Musique et Cinéma

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Musique et Cinéma
Musique et Cinéma
Introduction :
I. Une rapide histoire du lien entre Musique et Cinéma
La musique dans la salle : Si les premiers films se font sans musique, les affiches font
rapidement état du pianiste qui accompagne les tableaux dans la salle. Les raisons de cette
présence : couvrir le bruit du projecteur, rassurer les spectateurs, créer un continuum entre
les différentes projections, couvrir les différents bruits de la salle. On peut ajouter le
caractère forain du cinéma, qui rend naturel un accompagnement musical.
Le musicien ne se préoccupe guère des images. Il joue son répertoire personnel, essaie de
coller aux ambiances. C’est aussi une occasion pour un musicien désœuvré de gagner un peu
d’argent en attendant mieux (voir témoignage). Mais la musique prend une dimension très
vite particulière : il fait ressentir au spectateur une durée.
Les producteurs de films prennent vite conscience de l’importance des accompagnements
musicaux et entreprennent d’aider les pianistes et les exploitants de salle. En 1909, Edison
publie Suggestion for music, catalogue dans lequel chaque émotion est associée à une ou
plusieurs mélodies. La sonate au clair de lune de Beethoven accompagne ainsi une nuit
paisible. Les compositeurs se mettent dans la foulée à composer des morceaux pour le
même genre d’utilisation, des incidentaux. Naissent ainsi les premières compositions pour le
cinéma. Outre ces outils, les musiciens de salle disposent d’instructions glissées dans les
boîtes des films. Ce constat ne doit pas faire oublier la diversité des situations : les petits
exploitants qui n’ont pas les moyens d’employer des musiciens capables de lire ces
partitions, des pianistes qui sont aussi caissiers, ouvreurs de salle.
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Un amateurisme qui disparaît dans les grandes salles, comme l’atteste Paul Fosse, directeur
musical de l’immense Gaumont Palace, inauguré à Clichy en 1911. Il dirige l’orchestre (80
musiciens), choisit les partitions après visionnage des films. Il emprunte au répertoire des
catalogues qu’il arrange par la suite. Son journal note méticuleusement pendant 17 ans les
titres des films ainsi que les morceaux qui les accompagnent. A partir de 1915, ses indications
sont plus précises, les films sont découpés en séquences de plus en plus petites, le nombre
d’extraits musicaux augmente. Les changements ne se font plus en fonction des intertitres
mais en fonction d’événements précis (sortie d’un personnage, chute…). Il ne s’agit plus
d’occuper l’oreille du spectateur, mais de proposer une lecture musicale du film.
Le problème de la synchronisation : aux débuts de l’aventure cinématographique (1895), le
cinéma se présente comme muet. En fait, le terme est inexact, privilégier plutôt le terme
« non-sonore ». Observez un film muet, vous verrez les lèvres des acteurs bouger. Signe
justement qu’ils ne sont pas muets mais que les moyens techniques de l’époque ne nous
permettent pas de les entendre. D’autre part, si les réalisateurs ne cherchent pas à tricher en
leur fermant la bouche, c’est justement que très vite ils vont chercher à sonoriser leurs films,
en particulier en y incluant des musiques et des chansons. 5 ans à peine après la PPPP, des
tests de sonorisation sont effectués par Gaumont : le Chronophone, appareil qui connaît un
certain succès (disque gramophone associé à une bande vidéo).
Succès du système Vitaphone, le triomphe du Chanteur de jazz d’Alan Crosland (1926)
impose le cinéma parlant. Procédé à son optique par piste photographique latérale devient le
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standard, un siècle plus tard il est toujours en vigueur. Les cinéastes ont désormais le
contrôle sur les voix, les paroles, la musique. Les musiciens quittent les salles pour rejoindre
les orchestres des studios, ou pour grossir les rangs des chômeurs.
Quelles musiques choisir ? Importance de la musique classique. Le symphonisme
hollywoodien incarné par des compositeurs comme Max Steiner qui compose pour de grands
ensembles orchestraux. Culture musicale nourrie d’Europe de l’est, Steiner est né à Vienne,
élève de Gustav Malher, Gustav Strauss était son parrain il devient célèbre en composant la
musique de King Kong (1933, Merian C. Cooper et Ernest Schoedsack). Evidemment, le
symphonisme ne sera pas suivi par tous, des compositeurs renouvellent le style, comme
Bernard Hermann qui rompt avec la logique du Leitmotiv comme motif de reconnaissance,
avec lui, le leitmotiv devient un élément perturbateur qui empêche toute envolée de cordes
ou des vents. Ouverture dans psychose, il utilise les cordes comme des percussions.
Première partition de film sur Citizen Kane d’Orson Welles, 1941. Dernière : Taxi driver de
Scorcese, 1976.
Quant au statut de la musique dans le film, il va changer radicalement et immédiatement :
les réalisateurs comprennent que cette dernière apporte autre chose qu’un simple
accompagnement. Elle complexifie le sens du film, par exemple dans le chanteur de Jazz, il y
a tout une dimension politique et dramatique, qui est transportée par la musique : Jack Robin
se grime en chanteur noir et connaît le succès dans les boites de jazz de Broadway mais subit
la colère de son père qui lui reproche de nier sa culture juive. A la fin du film, son père est
mourant et Jack vient à la synagogue pour y chanter le Kol Nidre, prière traditionnelle juive et
son père meurt dans la joie et le pardon. Jack est interprété par Al Jolson, un chanteur très
populaire.
Conclure sur 2 idées : question du choix difficile quand le film traite d’une époque dont les
références musicales sont tombées dans l’oubli (l’Antiquité). Autre problème : modification
du sens d’une œuvre par un film ou un genre de film : Carmina Burana de Carl Orff, 1935.
Cantate (composition musicale et vocale qui comporte plusieurs morceaux) qui s’inspire de
poèmes médiévaux. Le dernier mouvement de l’œuvre : O Fortuna, a été souvent repris dans
les films d’actions, dans le genre épique, associé à des scènes de bataille (Excalibur de John
Borman, 1981), alors que le sujet du poème original traite de la roue de la fortune, du jeu de
la destinée auquel chaque homme est contraint de jouer.
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II. La musique dans le film
Pour le spectateur, entendre la musique dans un film, c’est vivre une expérience qui
combine à la fois le champ visuel et le champ auditif, c’est établir un rapport entre point de
vue / point d’écoute.
Ce rapport est conditionné par de nombreux paramètres, lesquels sont vécus par le
spectateur comme des indicateurs de sens dans la compréhension du film. Par exemple :
constater une scission, ou provoquer l’impression d’un « point d’expérience » n’entraîne pas
les même conséquences.
Prenons l’exemple du bruit (pas la musique, mais fonctionne sur les mêmes principes) : on
voit un type qui pointe un pistolet, gros plan sur le doigt qui semble appuyer sur la gâchette,
retentit le coup de feu = l’homme vient de tirer… point d’expérience entre les deux points de
vue… si décalage par exemple avec un coup de feu qui retentit avant, on comprend sans
avoir à nous le montrer que l’homme vient de perdre son duel et qu’il a été touché le
premier, si le coup intervient après, il est innocent du crime qu’on va nécessairement lui
mettre sur le dos.
Le point d’écoute est conditionné par la source qui envoie le son au spectateur. Ces sources
sont réelles, ce sont les enceintes, haut-parleurs, qui projettent son et musique en fonction
de 3 paramètres acoustiques :
 La dynamique : crescendo et decrescendo, lié à l’approche et à l’éloignement de
la source fictive.
 La masse ou Timbre : plus ou moins épaisse ou mince, grave ou aigu. Une
explosion par exemple entraîne un effet de masse épais que l’on va même
ressentir physiquement.
 La réverbération : sorte de traînée sonore qui répète decrescendo des images
du son originel. Par exemple l’écho, ou le bruit d’une balle qu’on laisse tomber
et qui rebondit de plus en plus vite sur le sol jusqu’à l’immobilisme.
Au-delà de ces paramètres, un quatrième doit être évoqué : celui de la position des sources
par rapport à la position du spectateur et la manière dont le son est projeté : un décalage par
rapport à la projection entraîne invariablement une sortie dans l’immersion du spectateur
dans l’atmosphère du film (écouter depuis la salle de bain ou complètement sur le côté vous
sort du point d’expérience). Traditionnellement, le son est monophonique, c’est-à-dire qu’il
est projeté dans un couloir dans l’axe de l’objectif de l’image (face à la télé), avec les bandesson multiphoniques, chaque haut-parleur reçoit un type de son particulier à traiter et à
projeter. Le spectateur vit alors l’expérience de la spatialisation : son englobant, expérience
qualifiée de totale, propice aux grands espaces. La musique est toujours traitée par les hautparleurs centraux car elle est généralement sensée enveloppée totalement l’espace
diégétique du film, sauf dans le cas des sources intra-diégétiques (écouter une musique qui
sort d’une radio)
Les 3 positions de la musique au sein du film :
 La musique d’écran. Entendre une musique dont la source est visible à l’écran.
C’est donc une expérience sensible que nous partageons avec les personnages du
film. La musique fait partie de l’univers diégétique.
 Dans les hétéro-univers : entendre une musique dont on ne soit pas certain que le
personnage du film l’entende de son côté. Le personnage peut aussi être le seul à
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entendre ce que nous entendons. Le sens à en donner est généralement en lien
avec l’expérience intérieure (plongée dans les souvenirs), ou expérience
fantastique (entendre la musique des anges…) qui consiste à entendre une
musique qui vient d’un univers invisible (paradis, monde des esprits, monde
intérieur, celui de la folie par exemple) et qui n’est accessible que pour un ou
quelques personnages et évidemment pour les spectateurs (quoique…)
 Musique de fosse: extra-diégétique, c’est l’emploi le plus courant de la musique
dans un film. Elle accompagne ce que nous voyons à l’écran, donnant du sens à
l’image. Seuls les spectateurs sont invités à l’écouter, elle n’est pas accessible aux
personnages du film (elle vit en-dehors de l’univers de la narration).
III. La fonction de la musique dans le film
La musique peut avoir un rapport au temps, à la durée : le morceau est-il segmental ou
suprasegmental ? C’est-à-dire commence-t-il et se termine-t-il en rapport avec une séquence
de film ou bien la bande-son continue alors que l’action du film s’est déplacée en d’autres
lieux et vers d’autres situations.
Dans le premier cas, la musique peut, par exemple, servir de ponctuation aux événements de
l’histoire, exemple simple dans les dessins animés des anciens temps aves l’effet de
mickeymousing (le coup de cymbale qui accompagne la chute). Sinon, on parle d’effet
d’underscoring (on souligne un geste, un trajet… par exemple, le motif musical qui
accompagne le personnage de Darth Vador dans Star Wars).
La musique pour modeler l’espace : ouverture Star Wars et Lawrence d’Arabie (1962), de
Maurice Jarre. L’absence de musique peut aussi produire du sens : Alien le 8è passager
(Ridley Scott, 1979, ouverture : silence de l’espace, monde vide, sans espoir. Entrée dans le
vaisseau spatial avec le même silence, découverte du décor, situation d’angoisse car le
spectateur sait qu’une menace existe, mais l’absence de son l’invite à penser qu’il n’y a
aucun échappatoire, à l’extérieur comme à l’intérieur du vaisseau… pris au piège avec
l’angoisse pour seule compagne).
La musique comme compréhension de l’image : S’il y a un cliché à propos de la musique de
film c’est l’effet de redondance associé à la musique : elle serait là pour répéter à sa manière
les émotions contenues dans les images. Les violons accompagnent une scène d’amour. Dans
l’analyse, ce genre d’associations ne résiste pas.
La musique se comporte comme une valeur-ajoutée : effet en vertu duquel un apport
d’information, d’émotion, d’atmosphère, amené par un élément sonore, est spontanément
projeté par le spectateur sur ce qu’il voit comme si cela en émanait naturellement (Michel
Chion).
Avec la rencontre du son avec l’image, le spectateur enrichit sa vision d’une qualité nouvelle,
sans avoir conscience que l’absence de cette musique modifierait la lecture des mêmes
images.
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La musique dans le merchandising autour du film : dimension de plus en plus importante à
partir des années 80. Hollywood se lance à l’assaut des marchés extérieurs. Des films comme
Titanic (Cameron, 1992), font prendre conscience qu’un film US marche mieux à l’étranger
qu’aux USA et autour de ces films se développe toute une gamme de produits dérivés. La
musique intègre cette dimension et se trouve par là-même rejetée du film lui-même. Céline
Dion et Titanic, voir BO de Matrix (Marylin Manson, Prodigy, Deftones, Rammstein ou Rage
against the machine), BO qui associe tous les genres, pop, gothique, électronique, métal ou
Twilight (Muse, Linkin Park), fonctionne sur le même principe : des morceaux écrits et
interprétés par des groupes à la mode auprès du public visé par le film, et ce, dans le simple
but de réaliser des profits. Evolution ou appauvrissement du statut de la musique de
cinéma ? Chacun jugera.
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