entretien avec abderrahmane bekiekh avec l`universite populaire de

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entretien avec abderrahmane bekiekh avec l`universite populaire de
ENTRETIEN AVEC
ABDERRAHMANE BEKIEKH
AVEC L'UNIVERSITE POPULAIRE DE
BONNEVILLE
Est‐ce que le fait d’analyser les films peut nous priver du plaisir premier que nous avons à la découverte d’un film ? Pour moi non, la notion de plaisir est toujours là, même
lorsqu’on analyse un film. Un film qui nous a plu, on va
le redécouvrir encore et d’une autre façon. C’est un
ravissement autre que celui que l’on a eu pendant la
projection.
Je parlerais de trois types de plaisir: le plaisir éprouvé lors de la
première projection, le plaisir lors de la remémoration des
émotions marquantes, et le plaisir de la découverte lors de
l’analyse; l’étude de l’œuvre permet de découvrir des
éléments qui ont échappé lors de la première vision et
d’approfondir des pistes rapidement survolées, embarqués
que nous étions par le temps et le rythme du récit.
Y aurait-il des films qui semblent légers au premier
abord, mais qui recèlent en eux une complexité ?
Oui, exactement, il nous faut parler de l’attitude
« paresseuse » de celui qui regarde.
D’où mon souci de ne pas préjuger d’un film et de ne pas
le cataloguer « nul » en le condamnant a priori.
Lors de la première vision, un film peut donner
l’impression qu’il est «insignifiant». Mais à l’analyse, le
film se révèle à nous.
Nous sommes plus ou moins attentifs, exigeants et prêts
à faire des efforts lorsque nous regardons un film.
Il faut dépasser cette certitude de savoir, celle de croire
que tout va nous être donné au premier coup d’œil et que
nous pouvons saisir tout en une seule vision.
Il est plus facile de décrier un film que de s’interroger sur
ce qu’il y aurait à regarder.
Quelles sont les différentes étapes de l’analyse filmique ?
Je vois une première fois le film en entier. J’ai besoin
d’avoir un point de vue global du film. Puis je revois le
film une ou plusieurs fois. Pour faire des liens et apporter
une interprétation pertinente, il faut revoir le film, plan
par plan et s’attacher aux détails.
Je vais donc lire le film, le relire.
«Lire», dans le sens étymologique, aux yeux des Anciens,
avait la signification de ramasser, cueillir, prendre,
glaner, voler, épier, reconnaître les traces. Je collecte
donc, je glane pour pouvoir ensuite élaborer une
interprétation.
Abderrahmane BEKIEKH enseigne le cinéma à Cinécursus, en partenariat avec l’Université de Genève. Il enseigne l’histoire, la théorie, l’esthétique, le vocabulaire et la grammaire du cinéma, le langage filmique, la mise en scène et le montage de films. Il anime également des ateliers d’écriture de scénario Est-ce qu’un film peut trop montrer ou trop cacher ?
Oui, trop cacher est une difficulté de plus pour l’analyste.
Le réalisateur risque d’être hermétique, de rendre opaque
son film et de me laisser avec toutes les interrogations
d’une quête qui n’aboutira pas. Mais trop montrer, trop
révéler, c’est venir occuper ma place, me retirer le plaisir
du dévoilement, de la révélation, c’est me frustrer de la
jouissance de la découverte qui passe forcément par la
quête.
J’apprécie l’auteur qui crée et me permet, spectateur que je
suis, de découvrir la trame en filigrane, et me permet de
rendre transparent le voile translucide qui opacifiait une
seconde lecture, et qui me laisse imaginer, créer, produire à
mon tour du sens.
Alors que doit être la démarche du spectateur novice ?
Souvent, le spectateur « colonise »l’objet filmique et le
réduit. Le spectateur va trouver dans le film, sans trop
d’efforts, ce qu’il connaît déjà de lui-même.
Pour une démarche de « décolonisation », le spectateur
doit accepter de recevoir ce qui est donné dans le film par
l’auteur, sa vision. Vouloir avoir raison à tout prix, c’est
une fois encore, risquer de figer le film.
Il ne s’agit pas de se battre pour un film, mais de se
débattre avec le film, puis d’en débattre avec d’autres, car
l’œuvre a tout à y gagner, et nous, rien à y perdre.
Le moteur de toute interprétation c’est la découverte, la
surprise encore et encore, l’émerveillement renouvelé.
Bibliographie : Pierre Gabaston : ‐ Pickpocket de Robert Bresson (Ed. Yellow Now 1970) ‐ 317ème section Film de Guerre ou la longue marche des hommes ( Ed. L’Harmattan ‐ 2005) ‐ Rio Bravo d'Howard Hawks ( Ed. Yellow Now ‐ 2006) ‐ Rebelles sur grand écran, Atelier cinéma (Ed. Actes Sud ‐ 2008) ‐ Riffs pour Melville (Ed. Yellow Now ‐ 2010) Daniel Weyl : ‐ Souffle et matière, la pellicule ensorcelée (Ed. L’Harnattan‐ 2010) ‐ Septième Art, du sens pour l’esprit (Ed. L’Harnattan ‐ 2006) Sites: danielweyl.pagesperso‐orange.fr www.cinecursus.ch 

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