agenda européen en matière de migration ou le syndrome

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agenda européen en matière de migration ou le syndrome
L’agenda européen en matière de migration ou le syndrome NIMBY Migrants et réfugiés, « Not in our backyard »
Note d’analyse de l'AEDH
Bruxelles, le 18 mai 2015
Après l'important mouvement de protestation provoqué par les disparitions en
Méditerranée, on pouvait attendre de la Commission qu’elle fasse preuve de plus
d’audace que le Conseil de l’Union et le Conseil européen. La déclaration du président
Jean-Claude Juncker devant le Parlement, le 29 avril dernier, semblait en effet
marquer une volonté de rupture avec le renouvellement du piteux discours de
commisération depuis le drame de Lampedusa en octobre 2013, pour engager une
réforme radicale de la politique européenne en matière de migration.
L’AEDH constate que, finalement, l’essentiel du nouvel « agenda européen en matière
de migration » de la Commission se structure autour d’un triptyque archi-connu : lutte
contre l’immigration irrégulière / sécurisation des frontières et externalisation de leur
protection à des pays tiers / petite libéralisation d’une immigration économique
choisie. En marge, de ce programme censé « éviter que davantage de personnes ne
meurent en mer » et qui se veut fonder « une meilleure gestion des migrations » pour
l’avenir, les mesures dites nouvelles sont peu nombreuses et guère porteuses d’une
politique européenne novatrice
FRONTEX plus fort, mais pour qui ?
Concernant les frontières méditerranéennes, les moyens de Frontex seront renforcés
financièrement et matériellement, comme l’avaient proposé les chefs d’État ou de
gouvernement et les ministres de l’Intérieur. L’extension du champ géographique
d’intervention de l’Agence et le triplement du nombre de ses opérations sur les sept mois à
venir en 2015 ne suffisent pas à garantir la sécurité des passages maritimes des migrants,
comme le faisait Mare Nostrum et ne répondent pas à la récente demande du HCR
d’organiser une vaste opération maritime de recherche et sauvetage des migrants.
Au vu des nouveaux moyens annoncés, l'AEDH s’étonne du silence total qui entoure
EUROSUR, conçu comme le « système des systèmes ». En vigueur depuis plusieurs mois,
il était pourtant vanté comme particulièrement adapté pour « contribuer à assurer la
protection de la vie des migrants et à leur sauver la vie »1. Il est vrai que le projet de
« frontières intelligentes » occupe dorénavant l’agenda de la Commission …
Des « canaux légaux de migration » à la portée dérisoire
Alors que, depuis plusieurs mois, les propositions concrètes - et raisonnables - affluent sur
l’ouverture de voies légales pour répondre à la crise migratoire, l’agenda de la Commission
1
Commission européenne, EUROSUR: Protecting the Schengen external borders - protecting migrants' lives, 29
novembre 2013 (en anglais seulement)
n’y fait pas référence, si ce n’est par le projet de « visa d’itinérance »2 - d’un usage plutôt
limité - et le choix à moyen terme, de la mobilité des migrants économiques.
En la matière, on sait combien les positions des États membres sont conflictuelles et
crispées. Si les fondements juridiques du paquet immigration de travail sont en cours
d’adoption, rien ne permet de dire que leur mise en œuvre mettra en cohérence le
développement européen et la demande des ressortissants de pays tiers. La législation
européenne à venir n’est pas conçue comme l’instrument d’une installation sur nos territoires
et pêche trop souvent par une absence de garantie de respect des droits économiques et
sociaux. En outre, ce que vise particulièrement la Commission, c’est une immigration très
sélective de personnes hautement qualifiées. Le peu de succès de la directive « carte
bleue » adoptée il y a six ans aurait dû freiner son élan sur ce terrain.
Quant à la migration familiale, première source de l’immigration européenne et toujours en
butte à de nombreux obstacles, elle n’est citée par la Commission que sous la forme d’une
vague incitation adressée aux États membres.
Pour l’immédiat, pour les exilés qui se risquent sur les mers et même aux frontières
terrestres, pour les personnes en danger quotidien, la Commission ne voit pas d’autre
moyen de faire face à l’urgence que la « réinstallation » de 20 000 personnes par an,
soutenue par un budget de 50 millions d’euros.
Cet objectif avait été pudiquement proposé à l’UE par le HCR dans sa quête de places pour
les 3,9 millions de réfugiés syriens actuellement hébergés par des pays tiers quelque peu
débordés, comme la Jordanie, le Liban, voire la Turquie, l’Égypte ou l’Irak. En dépit des
efforts de l’Allemagne et de la Suède, malgré un programme commun de réinstallation
adopté par le Conseil et le Parlement en 2012, ce chiffre n’a jamais été atteint. Il ne
représente pourtant qu’une goutte d’eau comparé aux drames qui se jouent sur les bords de
la Méditerranée puisque, pour les seuls Syriens, l’Agence onusienne estime les besoins
urgents à plus de 380 000 places.
Rappelons que, pour l’UE, première puissance économique mondiale, 20 000 réinstallations
représentent moins de 4 réfugiés pour 100 000 habitants …
Des « quotas » pour répondre à l’urgence
On peut penser que c’est la perspective de ne pas même parvenir à remplir cet objectif qui a
stimulé l’émergence de ce qui apparaît publiquement comme l’idée phare de l’agenda de la
Commission : le recours à des « quotas » de répartition entre les États membres. Ce
système serait utilisé tant pour la réinstallation de réfugiés que pour la relocalisation de ceux
qui sont déjà présents sur le territoire européen.
La « relocalisation », jusqu’à présent fort peu prisée par les États membres en dépit
d’incitations financières, a pour objectif d’alléger la charge des pays aux premières lignes
des arrivées en transférant les personnes concernées vers d’autres États membres. La
Commission se propose d’accroître ce type d’opérations, d’ici la fin du mois de mai, en
recourant au « mécanisme d’intervention d’urgence » prévu à l’article 78.3 du TFUE.
Implicitement, la Commission reconnaît ainsi les errements du passé et particulièrement
l’iniquité et l’inefficacité du règlement Dublin 3. Quant au « mécanisme d’alerte rapide, de
2
Visas qui devraient permettre de se rendre dans plusieurs États membres pendant plus de 90 jours, sans
pouvoir séjourner plus de trois mois sur six dans le même État - Voir proposition de règlement de la Commission
en date du 1 avril 2014 - COM(2014) 163 final 2014/0095 (COD)
préparation et de gestion de crise » - prévu en son article 33 -, il aura apporté la
démonstration de l’inutilité prévisible de cette usine à gaz technocratique.
Au-delà, l'AEDH et ses associations membres seront particulièrement attentives aux
conditions dans lesquelles cette « relocalisation » sera mise en œuvre. La Commission
précise, en effet, que seront concernés des demandeurs d’asile dont le besoin de protection
aura été reconnu, selon une procédure menée rapidement par l’État membre d’accueil et
avec le concours d’EASO. Le fait que, dans le même temps, la directive « procédures » sera
aménagée pour accélérer le traitement des demandeurs en provenance de pays d’origine
sûrs fait craindre une précipitation incompatible avec l’exercice du droit d’asile.
On ne saurait trop rappeler que si urgence il y a sans doute pour l’État d’accueil, cela ne
pourrait en rien justifier une procédure d’examen expéditive, sur la base de critères
préétablis. Toute demande d’asile doit donner lieu à un examen individuel et complet
respectant les normes de droit définies par les directives récemment adoptées par les
instances européennes et en cours de transposition dans les États membres.
L’AEDH entend insister fermement sur le fait que le respect des droits des exilés doit primer
sur le confort des États membres. A défaut de garanties absolues sur l’équité des
procédures utilisées quel que soit le pays d’accueil, notre association renouvelle sa
demande que la directive de 2001 sur la protection temporaire soit enfin activée afin de
permettre aux migrants de déposer et défendre leur demande d’asile de façon non
expéditive, une fois obtenu le titre de séjour ad hoc.
Une solidarité européenne qui reste à construire
En l’absence d’une expression commune et volontariste des États membres, « la solidarité
partagée », chère au Président Juncker - et au demeurant fondement de la construction
européenne -, devrait donc leur être dictée par lesdits quotas. A la condition que tous les
États membres les acceptent, ce qui manifestement ne sera pas le cas, la Grande-Bretagne,
le Danemark, la Hongrie, la Pologne et la France venant d’annoncer ne pas s’y conformer.
Car nul n’ignore que la Commission n’a guère de pouvoir de coercition pour les mises en
œuvre par les États membres. On peut craindre que ceux qui bénéficient d’une clause
d’exemption sur les législations asile et immigration (Royaume-Uni, Irlande, Danemark) ne
se maintiennent hors schéma et que, pour la grande majorité des autres, les réunions du
Conseil ne continuent de les voir s’arc-bouter contre l’agression qu’une telle mesure
représenterait, à leurs yeux, pour leur souveraineté nationale …
Pour l’AEDH, toute démarche qui permettra de sortir les exilés de l’enfer de Dublin 3, y
compris par l’attribution de quotas aux États membres à l’abri des frontières extérieures, ne
peut qu’être approuvée. Raison de plus pour regretter que la seule « innovation » véritable
du plan de la Commission ne se révèle aussi fragile et d’une mise en œuvre aussi aléatoire.
Notre association espère, cependant, que cet aveu d’échec saura inciter les institutions
européennes à supprimer, enfin et définitivement, le Règlement Dublin de la législation
européenne sur l’asile.
L’externalisation, déshonneur assumé de l’UE
Finalement, si les propositions de la Commission s’arrêtaient là, l’AEDH aurait pu, avec une
dérision amère, constater que tout cela a représenté beaucoup de bruit pour moins de
progrès que de déceptions et que l’on voit mal comment l’UE espère apporter ainsi un peu
d’espoir à ces dizaines de milliers de personnes qui tentent de rejoindre des rives espérées
hospitalières.
Mais, en réalité, les points ci-dessus évoqués ne représentent que des mesures
d’accompagnement d’une politique autrement plus structurée autour d’un unique objectif :
retenir les migrants hors des frontières de l’UE et accroître leur renvoi vers les pays tiers.
Usant de l’euphémisme consacré de « dialogue sur les migrations et la mobilité », la
Commission entend, en effet, d’une part, développer les Programme régionaux de
développement et de protection (PRDP) en Afrique du Nord et dans la Corne de l’Afrique,
déployer un plus grand nombre d’officiers de liaison dans les pays concernés3 et leur
apporter le concours de Frontex pour mieux assurer le contrôle des flux migratoires.
Il est vrai que la rhétorique selon laquelle l’immigration pourrait être enrayée à sa source par
une aide au développement n’est pas nouvelle. En d’autres circonstances, en d’autres
temps, elle a pu relever du bon sens et nombre d’associations humanitaires ont appuyé cet
objectif. Mais le contexte et les formes qu’y met l’Union européenne depuis quelques années
et qui sont clairement explicitées dans le plan publié par la Commission, ne représentent rien
d’autre qu’un délestage de la responsabilité de la question migratoire et de la gestion des
frontières européennes vers des pays pauvres. En tout état de cause, la Commission, ellemême, admet qu’une bonne partie de son plan ne produira d’effet qu’à l’échéance de
plusieurs années. Or, dans le même temps, elle a décidé de se lancer dans un projet de lutte
à force ouverte contre les passeurs. L’AEDH estime que, même s’il est légitime de lutter
contre des criminels qui, sans risque, connaissent des profits vertigineux, cela pose de très
gros problèmes de sûreté des personnes qui seront prises entre deux feux. Pour elles,
l’enjeu de leur survie est immédiat.
L’objectif de maintenir les migrants loin des frontières européenne s’appuiera donc sur une
« coopération » renforcée avec les pays de transit comme le Mali ou le Niger. Des projets de
création de « centres » y sont prévus à l’image de celui qui sera implanté au Niger d’ici à la
fin de l’année, avec le concours de l’OIM et du HCR.
Plus grave encore est le fait que, toute à son obsession, l’UE passe des accords avec les
pays que les migrants tentent de fuir parce que leur vie ou leur liberté y sont en danger. Il en
est ainsi, par exemple, de l’Érythrée à laquelle un budget de 312 millions d’euros devrait être
octroyé par le 11ème Fonds européen pour le développement (FED), alors que les
ressortissants de ce pays – s’ils réussissent à rejoindre l’UE !- figurent en 2e position parmi
des nationalités auxquelles les États membres accordent une protection internationale, juste
derrière les Syriens.
Enfin, ces partenaires seront sommés de s’acquitter de « l'obligation internationale qui leur
incombe de rapatrier leurs ressortissants en séjour irrégulier en Europe » et d’appliquer
pleinement les accords de réadmission signés avec l’Union ou ses États membres. C’est au
prix de cette fermeté et de celles des États membres pour assurer une application efficace
de la directive « retour » que les migrants cesseront d’envisager de rejoindre l’Europe,
estime la Commission.
Face au cynisme et à la pusillanimité des institutions européennes et des dirigeants
de nos pays, l’AEDH en appelle aux citoyens européens pour se tenir aux cotés de ces
migrants qu’elle ne veut plus voir abandonnés, cantonnés, refoulés, parqués sur les
rives de la Méditerranée qui font face à l’Europe et maltraités si d’aventure ils
réussissent à atteindre la terre européenne.
3
Égypte, Algérie, Maroc, Tunisie, Niger, Sénégal, Soudan, Turquie, Pakistan, Liban et Jordanie.
Contact :
Dominique Guibert, Président
Catherine Teule, Vice-présidente
AEDH, Association Européenne pour la défense des Droits de l’Homme
33, rue de la Caserne. B-1000 Bruxelles
Tél : +32(0)25112100 Fax : +32(0)25113200 Email : [email protected]
L'Association Européenne pour la Défense des Droits de l'Homme (AEDH) regroupe
des ligues et associations de défense des droits de l'Homme des pays de l'Union
Européenne. Pour en savoir plus, consultez le site www.aedh.eu.
Pour en savoir plus :
-
Commission européenne
Communication from the Commission to the European Parliament, the Council, the
European Economic and Social Committee and the Committee of the Regions a
European agenda on migration (uniquement en anglais)
http://ec.europa.eu/dgs/home-affairs/what-we-do/policies/european-agendamigration/backgroundinformation/docs/communication_on_the_european_agenda_on_migration_en.pdf
-
Communiqué de presse : « Mieux gérer les migrations dans tous leurs aspects: un
agenda européen en matière de migration » - Bruxelles, 13 mai 2015
http://europa.eu/rapid/press-release_IP-15-4956_fr.htm
-
Fiche d'information : « Questions et réponses sur l'agenda européen en matière de
migration » - Bruxelles, 13 mai 2015
-
European schemes for relocation and resettlement (uniquement en anglais)
http://ec.europa.eu/dgs/home-affairs/what-we-do/policies/european-agendamigration/backgroundinformation/docs/communication_on_the_european_agenda_on_migration_annex_en
.pdf
-
Communiqués de l’AEDH
BASTA ! Le cynisme criminel de l’Union européenne ; Bruxelles, le 17 avril 2015 http://www.aedh.eu/BASTA-Le-cynisme-criminel-de-l.html
-
Migrants en Méditerranée, 41 organisations à travers l’UE en appellent au Conseil
européen ; Bruxelles, le 22 avril 2015
http://www.aedh.eu/Migrants-en-Mediterranee-32.html
-
Morts en Méditerranée : le déshonneur du Conseil européen ; Bruxelles, le 24 avril
2015
http://www.aedh.eu/Morts-en-Mediterranee-le.html
-
Droits économiques et sociaux des migrants dans l’UE: une fiche de synthèse de
l’AEDH, Bruxelles, le 9 avril 2015
http://www.aedh.eu/L-AEDH-publie-une-fiche-de.html
-
L’AEDH s’oppose aux accords de réadmission de l’UE ; Bruxelles, le 7 octobre 2013
http://www.aedh.eu/L-AEDH-s-oppose-aux-accords-de.html