Le plus pur des hasards - Migros

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Le plus pur des hasards - Migros
16 | MM09-2015 | SOCIÉTÉ
Reportage
Le plus pur
des hasards
Qui se cache donc derrière cette fabrique à nouveaux millionnaires? Immersion
exclusive dans les coulisses ultra-sécurisées du Swiss Loto.
Texte: Alexandre Willemin
Histoire
Le Swiss Loto
Le jeu est lancé pour la
première fois en 1970,
sous le nom de «Loterie
Suisse à numéros».
Depuis sa création, le
Swiss Loto a déjà fait 820
millionnaires.
Le gain record s’élève à
48,6 millions de francs.
La grille gagnante a été
validée en août 2014.
Le jeu n’a cessé d’évo-
luer au fil du temps, par
exemple en introduisant
le jackpot, le numéro
joker, le replay et passant
d’un à deux tirages
hebdomadaires.
Le 10 janvier 2013, la
Loterie Romande et
Swisslos ont lancé
conjointement une nouvelle formule: le 2e rang
de gain permet de remporter, avec déjà six numéros justes sur quarante-deux, un gain d’un
million de francs. Ce qui
aura permis, rien que
durant l’année 2014, de
faire trente nouveaux
millionnaires en Suisse.
I
Photos: Ueli Christoffel
ci la ponctualité est obligatoire. Impossible d’obtenir les clés du studio du Swiss
Loto avant 19 heures pile. L’instant précis
où les enjeux sont fermés, c’est-à-dire
qu’il n’est plus possible d’enregistrer une nouvelle grille dans un point de vente de la loterie.
Olivier Brun, responsable du service des tirages et promulgation à la Loterie Romande,
nous attend à la réception principale de la télévision SRF à Zurich. Il est accompagné de
Ruthi Zeller, l’huissier de justice de la ville de
Zurich en charge du Swiss Loto ce jour-là. Après
vérification de leur identité, ils obtiennent les
clés du local où sera réalisé le fameux tirage.
Après un long parcours dans les couloirs de
la TV alémanique, nous parvenons devant une
porte noire. Aucun signe ou inscription ne permettrait de la distinguer des entrées voisines.
«La pièce est tenue secrète, explique Ruthi
Zeller. Rares sont les personnes qui connais­
sent l’emplacement du studio. Y compris
parmi les employés de la SRF!»
Nous voilà entrés dans la pièce. Bien moins
spacieuse d’ailleurs qu’on aurait pu l’imaginer
en visionnant les résultats du Swiss Loto à la
télévision! La machinerie comporte trois principaux éléments: il y a d’abord la grande sphère
en plexiglas qui sert au tirage des cinq numéros principaux. Un peu plus loin l’appareil qui
sert à déterminer le numéro replay. Et tout à
droite les cinq petites sphères qui décideront
du numéro joker.
«La pièce est filmée 24 heures sur 24 et les
images enregistrées sur des serveurs externes», indique Olivier Brun. Une mesure de
sécurité, bien sûr, pour éviter qu’on ne puisse
s’introduire dans le studio et toucher aux appareils. Même l’équipe technique responsable
de la pièce est strictement organisée: «Ce
sont toujours les mêmes personnes qui s’en
chargent, toujours sous l’œil des caméras de
surveillance.»
On l’aura compris, le studio reçoit très peu
de visiteurs. Une mesure qui permet d’exclure
le risque de manipulation des appareils. Les
soirs de tirage du Swiss Loto, qui ont lieu tous
les mercredis et samedis, seules deux personnes sont présentes. Il y a d’abord en tout
temps un huissier de justice. Ensuite, un tournus est organisé entre les deux loteries qui organisent le jeu. «Un responsable de la Loterie
Romande se charge du tirage du mercredi et
une personne de Swisslos de celui du samedi»,
explique Olivier Brun qui se rend lui-même à
Zurich une fois par mois.
Toutes les boules pèsent le même poids
La procédure est bien rodée. La collaboratrice
de la ville de Zurich ouvre le coffre qui renferme les boules en caoutchouc utilisées pour
le tirage. Elle est d’ailleurs la seule personne à
en connaître la combinaison! Munie de gants
blancs, elle s’assure que tous les numéros sont
présents et les dispose déjà dans les tuyaux
qui surplombent la sphère transparente. «Une
fois tous les deux mois, je me charge de l’entretien des balles, indique-t-elle. Une opération minutieuse: elles doivent rester propres
et surtout ne pas coller!»
Toute la machinerie utilisée pour le tirage du
Swiss Loto est fabriquée par l’entreprise française Ryo-Catteau, leader mondial des appareils
de loterie. «Un jeu complet de boules coûte plusieurs milliers de francs, explique Olivier Brun.
Car il faut en fabriquer un grand nombre pour
parvenir à des sphères identiques en tout
point.» Toutes les boules pèsent donc exactement le même poids. Quand bien même «des
tests ont montré que, même si leur masse variait, le tirage resterait parfaitement aléatoire.»
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Les boules qui tombent
dans la grande sphère
sont rigoureusement
identiques.
Le processus de tirage inclut un procédé de
sécurité supplémentaire. Encore un! Avant
chaque tirage, Olivier Brun reçoit un ordre
aléatoire des chiffres de 1 à 5, fourni par ordinateur. Cette combinaison, une fois entrée
dans le système, déterminera l’ordre d’ouverture des tubes où se situent les boules avant
de parvenir jusque dans la grande sphère.
Pas de place pour la superstition
Le collaborateur de la Loterie Romande
l’avoue: la rigueur de son métier l’empêche de
prêter attention à toute superstition. «Les
chats noirs, les échelles… je n’y crois pas, sourit-il. Je sais que des joueurs tiennent des statistiques pour déterminer les numéros qui
sortent le plus souvent. Quand on sait avec
quelle rigueur se déroulent les tirages, il est
difficile d’y accorder le moindre crédit!»
Mais pourquoi, en 2015, poursuivre ce système de tirage avec de vraies boules, alors
qu’un simple ordinateur permettrait de fournir un code aléatoire? «Il est plus difficile pour
les joueurs de se représenter le fonctionnement d’un tirage informatique, répond Olivier
Brun. Ils ont davantage confiance en ces machines! Et puis l’image de la loterie à numéros
est encore associée à celle des sphères et des
boules en caoutchouc!»
Deux fax sont réceptionnés directement
dans le studio. Ils proviennent des bureaux de
la Loterie Romande à Lausanne et de Swisslos
à Bâle et confirment que les enjeux sont bien
clos. C’est le feu vert ultime pour procéder au
tirage. Toute la petite équipe présente dans le
studio est priée de se tenir dans un petit rectangle délimité par un marquage au sol qui indique la zone hors-champs. «Ne faites plus de
bruit, demande l’employé de la Loterie Romande. Le son des machines est également
enregistré!»
A ce stade, la tâche du responsable des tirages se borne alors à de simples manipulations. Debout derrière le petit bureau de commande, il actionne d’abord un premier bouton
qui enclenche sur le plateau l’éclairage adéquat. Un deuxième levier permet ensuite
d’amorcer le mécanisme complet pour procéder au tirage. Quelques-unes des caméras de
télévision se mettent en mouvement.
Tout le processus est programmé d’avance:
les caméras fixées au plafond savent exactement quand et où filmer, en opérant parfois de
jolis zooms et travellings. Dans le même
temps, la grande sphère se met à l’œuvre.
Après un double brassage, les cinq numéros
gagnants s’échappent de la machine et se
glissent dans les cases correspondantes. Le
même processus se répète pour les tirages du
numéro replay et ceux du joker.
Quand le hasard fait parfois
bien les choses
Olivier Brun note à la main sur la feuille de
protocole les numéros sélectionnés par les différentes machines. Après vérification par
l’huissier, le document sera transmis par fax
aux bureaux de la Loterie Romande et de
Swisslos. «Les deux bureaux ont maintenant la
tâche de rechercher les grilles gagnantes. On
s’échange ensuite les données avec nos collègues de Swisslos et on calcule les gains par
rang.»
Un travail qui permettra déjà d’annoncer si
le jackpot a été remporté ou non, lorsque le tirage sera diffusé quelques heures plus tard à la
télévision. «Il n’y a pas meilleure publicité
pour une loterie que d’apporter la preuve
qu’il est possible de remporter le jackpot,
avoue le responsable des tirages. Il faut faire
rêver!»
Il est temps de ranger minutieusement les
boules dans le coffre-fort et de quitter le studio, sans oublier de le refermer à clé. Quelques
portes plus loin, dans une autre pièce, un technicien se charge déjà du montage de la vidéo
du tirage. «J’attends que les numéros soient
confirmés par les loteries puis j’envoie le spot
aux trois chaînes de télévision qui se chargeront d’ajouter les voix off en français, allemand
et italien», indique Michael Stuber.
Alors, un nouveau millionnaire ce soir?
Grâce à cinq bons numéros trouvés, plus le numéro chance, six personnes auront remporté
chacune 12 429.25 francs. Personne en revanche n’aura décroché le jackpot qui se montait à 2,9 millions. Comme quoi, même le plus
parfait des hasards, parfois seulement, fait
bien les choses… MM