Lettre à Elise

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Lettre à Elise
Nittya
Lettre à Elise
Publié sur Scribay le 05/01/2017
Lettre à Elise
Lettre à Elise
Ma chère Elise,
Recevoir une lettre de ma part doit te sembler insolite. Crois bien que je ne le ferais
pas si je n'avais pas une raison primordiale. Oh ma chère Elise, je ne sais comment te
l'annoncer. Je ne sais par où commencer. Je ne sais comment te préserver. Ma chère
Elise, aujourd'hui, en lisant mes mots, tu vas souffrir. Je suis si malheureux de
devenir source de chagrin pour toi. J'ai essayé autant que faire se peut de t'apporter
allégresse et félicité. Mais aujourd'hui, je vais faillir à cette mission que je me suis
donnée jadis. Mon Elise, pourras-tu me pardonner ?
Lorsque tu m'as demandé de laisser ma place à Paul, je me suis écarté. Je ne désirais
que ton bonheur. Alors je vous ai laissé vous voir, sortir, flirter, aimer. J'ai souffert,
tu le sais. Cette arme collée à ma tempe que tu as surprise, tu m'as fait promettre de
ne jamais plus la lever. Et j'ai ravalé mon courage, celui que tu appelles lâcheté, mais
qu'il m'a bien fallu pour affronter la mort. Je l'ai rangé au plus profond de moi et j'ai
affronté votre amour. Vous sembliez heureux, aussi, je me suis éclipsé. J'ai cessé de
te voir, de te parler, de t'écrire, mais jamais, je n'ai cessé de t'aimer.
Je regrette de prononcer ces mots si tard. Je regrette de ne pas avoir eu la force de
te les dire lorsque tu me les as demandés. J'aurais aimé être aussi convaincu que toi.
Mais je suis faible. J'ai douté au mauvais moment, et crois-moi, j'ai payé ce doute.
Aujourd'hui, je suis capable de te le dire, de le crier, de le traduire dans cinq
langues. Ti amo. Te quiero. T'estimu. I love you. Ich liebe dich. Je t'aime.
Mais je te parle d'amour, alors que je suis sur le point de briser ton cœur. Excusemoi, Elise. Pardonne-moi. Elise, mon Elise, je ne veux pas t'annoncer cette nouvelle.
Je ne veux pas poursuivre cette lettre. Je souhaite la brûler, la cacher, que jamais tu
ne la lises. Mais, il le faut. J'ai fait le choix que cette annonce te soit faite par une
personne qui te soit bienveillante, et non par un officier si formel qui ne saura
enrober pour minimiser ta peine.
Alors, ma chère Elise, je continue mon récit.
Après avoir fui, je n'avais plus le goût de vivre. Et il y a eu les appels à la guerre. Tu
m'avais interdit d'attenter à ma vie, mais je pouvais partir dignement, sous le fait
d'un autre. Je reconnais que c'était tricher avec ma promesse, et encore une fois,
mon Elise, je te demande d'excuser ma fourberie. Je te connais, ma faiblesse ne te
semblera pas une excuse. Dans cette lettre, je te livre mon âme. Cette confession est
pour toi. Fais-en ce que tu veux. Sache juste qu'elle est honnête. Je ne cherche plus à
te plaire ou à me cacher. Je veux juste que tu saches.
Je me suis enrôlé avec les plus viles intentions envers ma personne. Un geste très
égoïste. Je n'avais aucune envie de tuer d'autres êtres humains. J'avais à peine suivi
Lettre à Elise
l'actualité, et j'ignorais contre qui nous nous battions. Mais je me suis enrôlé. Et j'ai
fait une rencontre. Le Destin a voulu que l'un de mes compagnons soit Paul. J'étais si
en colère contre le Ciel. Celui-là même que j'avais fui continuait de me poursuivre
dans le dessein que je m'étais choisi. Je t'ai soupçonnée, un vague instant, d'en être
la cause. Mais j'ai réalisé que tu avais cessé de t'intéresser à moi. Paul m'a appris
que vous aviez perdu un enfant. Il m'a dit à quel point tu étais bouleversée. J'ai songé
à t'écrire, mais que pouvais-je te dire ? Je n'avais aucun mot de réconfort. Toute mon
empathie ne pouvait être tournée que vers ma propre souffrance. J'ai commencé dix
lettres que je n'ai jamais terminées.
Nos entraînements étaient si intenses que nous n'avions plus le temps de penser.
Néanmoins, Paul continuait de t'écrire. Chaque soir, il s'asseyait au bureau et il
t'écrivait quelques lignes. Chaque matin, il postait sa lettre. Il avait du mal à trouver
les mots justes pour t'exprimer ses ressentis. Il a commencé à te décrire la difficulté
de notre quotidien. Et je lui ai apporté mon aide. Tel un Cyrano, je lui ai soufflé à
l'oreille de meilleures paroles. Des phrases d'humour et d'amour bien loin de nos
journées de labeur. Il ne fallait pas alourdir ton fardeau avec le nôtre. Tu devais te
sentir mieux. Et tes réponses ont changé. Elles se sont faites plus douces, plus
enjouées. Les entraînements sont devenus plus aisés. Nous flottions. Ton Paul si
aveugle a pensé que j'étais plus empathique, plus altruiste, que je ne le suis
vraiment. Il n'a jamais saisi que les mots que je lui soufflais ne venaient pas de mon
imagination, mais de mon cœur.
Mon Elise, ma douce Elise, à nouveau, je te demande pardon. J'ai conscience de
briser tes rêves dans cette lettre. Mais je me dois de te dire la vérité, quelle qu'elle
soit.
Nous avons été appelés au front. J'ai pris conscience du danger de notre situation. Et
je me suis fait une promesse. Tu ne devais pas être affectée davantage par notre
guerre. Paul devait rentrer à la maison. Je l'ai protégé. J'ai tué pour lui. J'ai repoussé
ses ennemis. J'ai été son bouclier. Et ton Paul, si aveugle, ne s'est rendu compte de
rien. Il a commencé à parler de chance. Et il s'est mis à jouer avec elle. Mais mon
Elise, comme je l'ai douloureusement appris étant jeune, on ne badine pas avec le
Destin. Je ne pouvais plus couvrir tous ses risques. Il y a eu cet enfant. Il semblait si
jeune, si innocent. Je ne pouvais pas lui faire de mal. Paul a voulu jouer les
négociateurs. Il s'est approché de trop. Et le petit n'a pas hésité un instant. Oh mon
Elise, je ne sais pas quelle action tu attendais de moi. Voulais-tu que je venge ton
Paul en tuant un enfant ? Aujourd'hui encore je doute de mes choix.
Tout ce sang que j'ai sur les mains pour toi, pour ton bonheur, à quoi a-t-il servi ?
Ton Paul n'est plus et ta vie sera brisée à cause de moi. J'aurais dû lui dire que sa
chance n'était due qu'à un camarade amoureux de sa femme. J'ai essayé de le
prévenir, je te le promets, mais je crois que je n'ai pas dû essayer suffisamment fort
parce qu'il est mort.
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Lettre à Elise
Mon Elise, mon adorée, pourras-tu un jour me pardonner ?
Je devais te dire la vérité, toute la vérité avant qu'un autre ne le fasse. Tu devais
savoir. Il le fallait.
Quant à moi, je vais finalement mettre mon plan à exécution. Demain, je suis envoyé
en mission suicide. Je me suis porté volontaire. Je ne tirerai pas. Je les laisserai me
prendre. Et je rejoindrai ton Paul. Au ciel, nous t'attendrons, Elise. Nous veillerons
sur toi. Remarie-toi. Aie des enfants. Vis heureuse à tout jamais. Et ne pense plus
jamais à nous.
Ton dévoué,
Jean
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