Messagerie : péripéties et illusions stratégiques
Transcription
Messagerie : péripéties et illusions stratégiques
Messagerie : péripéties et illusions stratégiques Contrairement à ce que pourrait laisser entendre la presse généraliste, et d’une certaine manière le climat ambiant du transport routier de marchandises, la crise actuelle de la messagerie (voir TIH….), dont l’un des signes fort est le dépôt de bilan de Mory-Ducros, n’a rien à voir avec celle du pavillon français. Encore que l’un et l’autre ont à pâtir de l’affaiblissement de la production manufacturière française. Mais en matière de messagerie on ne peut invoquer le tractionnaire Polonais ou le chauffeur Bulgare. La réalité du marché est, on l’a dit (op.cit), actuellement problématique, et contrairement aux idées reçues, ne s’améliore pas mécaniquement avec la concentration du marché. A y regarder d’un peu plus près, on peut en effet considérer les choses autrement : un mélange de doute sur les stratégies de certains groupes, et de constat froid : il est difficile de transformer des entreprises boîteuses en « belles boîtes ». Les peripéties du secteur Dans les années 1990, la concentration était déjà là : la part de marché – hors Poste - des 10 premiers réseaux tournait autour de 60 %. Parmi ces 10 réseaux Calberson et France Express seront intégrés au sein de Geodis, Danzas et Ducros au sein de DHL (DPWN), Dubois est intégré au sein d’ABX (SNCB), Prost a été acheté par UPS… Et à l’époque, l’ouverture internationale restait modérée. : seuls Heppner et Graveleau étaient fortement ouverts aux trafics internationaux de messagerie, et la part de l’international chez le N°1 français de l’époque, Calberson, était de l’ordre de 13 %. L’arrivée des intégrateurs (les DHL, encore américain, FEDEX, TNT – alors encore Australien, UPS…) ne se fit pas sans erreurs, subresauts et péripéties. Fedex fait de la croissance externe en Europe avant de se retirer du marché intérieur de l’UE en 1992, revenant un peu plus tard à partir de son hub de Roissy, tout en s’appuyant sur son accord avec Geopost. UPS ne fait pas la même « erreur », et était implanté en Allemagne – pour cause de bases US – depuis 1976. Sa croissance externe soutenue se porta en France sur Prost, ce qui passa par une restructuration profonde de l’entreprise qui n’était pas mécanisée, ni d’ailleurs sur le même marché que son acquéreur. TNT, alors Australien, développa un réseau européen d’express fondé en partie sur une joint-venture avec des réseaux postaux européens, mais ce fût aussi avec des difficultés, et procéda finalement à des rachats sur le marché national (Jet Service). 1 Le rachat par des firmes européennes à forte capacité d’endettement et/ou d’autofinancement de plusieurs opérateurs mondiaux (TNT – Poste Neerlandaise -, DHL, Poste Allemande, Schenker, de retour dans le giron de la DB) et la stratégie de plusieurs grands groupes de transport pousse indéniablement à la concentration et à l »’intégration de service. Cette stratégie dite d’offre globale ou de guichet unique repose sur un modèle selon lequel des grands groupes généralistes offrent un continuum de services (logistique, organisation de transport, messagerie..) dans un espace logistique mondial, bute cependant assez vite sur des contraintes majeures : les activités « en réseau » sont délicates en rentabiliser, et encore plus à intégrer à une échelle vaste. Du coup, en fait de concentration, le secteur semble plus précisément mouvant. L’étude Eurostaf d’il y a 10 ans mettait en lumière un ensemble d’opérations touchant à la réduction des couts et à la restructuration des firmes de messagerie et d’express. Mais en réalité plusieurs opérations découlaient de redéploiements liés à des revirements stratégiques. Plusieurs entreprises – dont certaines aujourd’hui disparues – tentaient de sortir la tête de l’eau : ABX (plan de transport, recapitalisation), reprise en 2008 par DSV, Sernam (restructuration du réseau et recapitalisation massive contestée par ailleurs) depusi lors repris partiellement par Geodis, Deutsche Post (restructuration des réseaux Danzas, DHL, EuropExpress) – qui s’est débarassé depuis de Ducros, Mory (externalisation de la maintenance), intégré depuis à Mory-Ducros après son dépôt de bilan, Royal Mail (plan social massif) dont le réseau messagerie est devenu GLS. Dans le même temps, Geodis cédait Extand (issu d’Arc Service et Calbercourse) à Royal Mail et fermait des filiales, Heppner cédait sa participation dans DPD à la Poste, La Poste fermait Dilipack et DPD France, TNT cédait XP qui allait, via Hays, devenir Ciblex. A l’époque la mode était à la consolidation des réseaux (nationaux/européens), et poussait aux acquisitions. Et chacun éssayait de faire « le bon coup », avec l’apparition de « financiers » venant porter plus ou moins longtemps des entreprises du secteur. Ainsi Butler (Sernam), Caravelle (Ducros, Mory, XP, revendu à Heppner), Xaap Finances (Tatex de la Poste vers Fedex), 3i(portage d’ABX et d’Alloin) sont venus butiner dans le secteur (voir TIH 334). Ces interventions ne sont pas strictement toutes de même nature que celles menées – par des fonds d’investissement – sur des firmes comme CEVA (Appolo Management), ou comme a pu le faire Douglas Bay avec TDG, depuis repris par Norbert Dentressangle. D’autant que, dans plusieurs cas, les entreprises de messagerie « portées » l’ont été en raison de difficultés significatives. Revenons à titre d’exemple sur le couple Ducros-Mory. 2 Ducros- Mory Mory fut, on s’en souvient un des premiers réseaux messagers nationaux en France (après la « fusion Mory-Helminger »). Des opérations financières ont un temps modifié le pouvoir au sein du groupe familial (Saga et Masset prenant la majorité à la fin des années 1980). Un société rencentrée sur le transport (TOE), la messagerie (et la logistique naissante de Logidis) et l’overseas et employant en 1988 plus de 9300 personnes dont environ 6600 dans les réseaux de messagerie. Ils deviendront 3000 en 2012. Or déjà, en 1987 et 1988, le groupe donne des signes de difficultés et a un endettement considérable. Une situation qui n’a pas empêché le cours de l’action Mory de se valoriser très fortement « à I'occasion des changements de majorité au sein de la société ». C’est cette entreprise, qui dégage alors des pertes – qui intégrera en 1992 le groupe constitué par Alain Mallard sous le nom de Novalliance. Un groupe qui regroupera Garonor, Transalliance et Stockalliance. Un groupe ayant alors un certain soutien du Crédit Lyonnais et des AGF et qui aurait réalisé de solides plus-values sur des bons de souscription d’actions (On parle de plus values de 3400 % en un mois en 1994). Ce qui n’epèchera pas Mory de dégager entre 1980 et 1996 1 milliard € de pertes nettes, et son président, Alain Mallard, de déclarer « Je suis fier des résultats spectaculairement brillants de Mory, qui récompensent, même tard, ma contribution décisive àson redressement». En 1995 on estimait le redressement accompli, les bénéfices étant revenus en 1994. On chercha alors – avec le concours de son futur président (ex-DG de la Sceta) – de nouveaux partenaires, sans résultat.Tout ceci se termina comme on sait, avec la reprise du tout par le CDR du crédit Lyonnais, Alain Mallard étant confronté à un endettement de plus de 2 milliards €, sans que les filiales de son groupe ne puissent contribuer au désendettement. En 1999, le CDR laissa à Natwest, Barclay et une douzaine de dirigeants Mory pour 45,73 millions €. Bien entendu la firme prévoyait forte croissance externe et interne et un retour en bourse.. . En 2002, l’entreprise – qui avait doublé son chiffre d’affaires depuis 1996, avouait poursuivre son « redressement financier » (tiens tiens). Mais à qui sait lire, on relevait une étonante stabilité de l’activité messagère, passée de 1999 à 2003 de plus de 60 % à 47 % de son CA. Le plan stratégique 2004-2006 actait d’ailleurs cette stabilisation de la messagerie autour de 40 %. Parallèlement, on l’a vu, des rachats d’entreprises s’opéraient sous l’égide des grands mondiaux. Ducros, qui fut au rang des achats de la Poste Allemande, qui a acheté dans les années 1990, outre DHL, ASG (Danemark, Norvège, Finlande et Suède) Ducros, Arcatime, Sernadis (France), Guipuzcoana (Espagne, Portugal) MIT (Italie), Securicor (Grande-Bretagne et Irlande) Servisco (Pologne) Quickstep (Autriche, Suisse, rép. Tchèque), Van Gend & Loos (Benelux, et Global Mail/USA plus Danzas et Nedlloyd cargo. Ducros services rapides représentait , alors, un chiffre d’affaires de 290 millions € (2000), qui fut intégré dans un ensemble baptisé alors DHL express (En 2008 la part 3 de la messagerie au sein de DHL express France était de 45 % avec 360 millions €, et allait redevenir Ducros Express). Or très vite la direction de DHL a considéré que « le réseau messagerie de DHL express France (avait) des difficultés à se structurer et (n’était) pas rentable ». Un constat également fait aux USA et au Royaume Uni. Ce qui a améné l’entreprise à céder Ducros Express en 2009, le passif dûment nettoyé. Mais il s’agissait bien, d’une entreprise considéré par la Poste Allemande comme non rentable. Ca n’empèche nullement l’optimisme des repreneurs. En 2011, le dirigeant de Ducros, Eric Lefranc, optimiste sur l’avenir de sa firme, estimait dans TIH n°320 que le marché n’était pas encore assez concentré, et avouait guetter « toute opportunité de croissance externe ». Ce que l’entreprise fit– via Caravelle - avec Mory en grâves difficultés. Des problèmes que le patron de l’époque – Alain Bréau - expliquait alors en indiquant que le dépôt de bilan n’était en rien lié à sa gestion, mais au fait « que le marché de la messagerie est pourri». Rappelons aussi, pour le fun, que Butler détenant alors Sernam avait également proposé de reprendre Mory. C’est la suite de cette fabuleuse histoire que l’on vit aujourd’hui, où, paradoxalement le « nouveau » réseau en crise regroupe à peine plus de personnes que la méssagerie Mory de 1988. Un long drame social donc. Une histoire édifiante donc, à la fois sur le rôle réel des groupes repreneurs et leurs difficultés. Une histoire qui montre bien les difficultés qu’il y a à prendre une part plus grande de la messagerie nationale, et la relative vanité des projets d’économie d’échelle. Mais peut-être, tout simplement, faut-il se résoudre à ne pas croire que deux entreprises non rentables peuvent aisément en faire une viable. Patrice Salini, TIH n° 441 4