Docteur, je ne peux plus travailler - congress

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Docteur, je ne peux plus travailler - congress
Docteur, je ne peux plus travailler
La demande d’un certificat d’incapacité engendre un certain malaise, qu’elle soit formulée de façon
explicite ou simplement suggérée: le médecin a l’impression d’être happé vers un champ qu’il ne
maîtrise plus, où ses compétences scientifiques le cèdent aux tracasseries administratives. Certaines
préoccupations parasitent, voire menacent, la relation médecin-patient au moment de la rédaction
d’un certificat : l’impression d’être manipulé, l’échec thérapeutique, le sentiment de culpabilité, la
démission. A l’inverse, la reprise d’activité, lorsqu’elle est proposée par le patient, provoque un
sentiment de détente et de libération. Le début et la fin d’une période d’incapacité sont en réalité le
fruit d’une subtile négociation entre deux partenaires, l’un essayant de communiquer, l’autre de
comprendre.
Il n’y a pas de relation claire entre une lésion tissulaire, respectivement une douleur, et le degré de
limitation fonctionnelle ; l’on sait que, pour une atteinte en apparence similaire, le temps de
récupération est individuel. La durée d’une incapacité est encore plus aléatoire pour des symptômes
médicalement indéterminés, si fréquents en médecine ambulatoire.
Plus une douleur persiste, plus l’influence des facteurs organiques s’estompe au profit des facteurs
psycho-sociaux et comportementaux. Avec sa durée, la problématique de l’incapacité se complexifie :
on assiste à un renvoi de responsabilité, très au-delà du couple médecin-patient, au-delà d’un cercle
qui comprendrait assureurs sociaux et employeur.
Aucune déficience n’implique ni n’exclut, de façon immanente, une incapacité de travail. L’incapacité
n’est pas proportionnelle au degré de l’atteinte biomédicale. Le retentissement d’une déficience sur
l’aptitude au travail est individuel et contextuel. Dans la classification qu’elle propose, l’OMS en tient
compte : un individu peut peiner à s’insérer dans le monde du travail, même s’il ne souffre d’aucune
déficience ; il en va ainsi de la discrimination des séropositifs. Les facteurs personnels comme l’âge,
l’origine sociale ou ethnique, la condition physique ou le mode d’adaptation représentent le cadre de
vie. Le médecin doit leur accorder une certaine considération, même si l’évaluation de ces facteurs
dépasse souvent sa compétence.
Mais si le médecin tombe dans le piège, si fréquent, d’habiller la souffrance psychocociale ou
professionnelle d’un patient de diagnostics bio-médicaux, le malaise ne fait que grandir, de même que
le malentendu avec le patient. La franchise est beaucoup plus salutaire aux deux parties : la
souffrance est reconnue, mais elle n’entre pas forcément dans le schéma biomédical des assurances.
C’est ainsi, le patient n’y peut rien, le médecin non plus.
L’origine du malaise décrit plus haut nous paraît claire : il y a discordance, tension, entre le modèle
bio-psycho-social avec lequel nous travaillons quotidiennement dans l’ensemble de notre métier et le
modèle purement biologique, ou biomédical, auquel se réfère la loi et le système d’assurances. Nous
percevons les raisons contextuelles, personnelles ou environnementales qui empêchent le patient de
reprendre le travail, mais nous ne pouvons les faire valoir puisqu’elles n’entre pas dans le modèle des
assurances. D’où notre conflit intérieur, le malaise qui s’en suit et notre fatigue croissante face à ces
situations.
La prise de conscience de cette discordance, dont nous ne sommes pas responsables, est le premier
pas vers un soulagement du médecin : nous n’avons pas de prise sur le modèle imposé par la loi et le
système d’assurance ; nous avons juste à nous y conformer. Nous devons expliquer cette
discordance au patient, ce qui permet à la fois de valider sa souffrance et de reconnaître nos limites
de médecins dans ce système.