Rapport étude Allemagne Economie IFIP

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Rapport étude Allemagne Economie IFIP
Evolution des modèles d’élevages de porcs dans les principaux
pays producteurs de l’UE : enjeux et perspectives
Christine Roguet (1), Michel Rieu (2)
(1) IFIP-Institut du Porc, La motte au vicomte BP 35104, 35651 LE RHEU, France
(2) IFIP-Institut du porc, 34 boulevard de la Gare, 31500 TOULOUSE, France
[email protected]
En 2008, trois grands types d’élevages d’avenir ont été identifiés pour la production porcine
française à l’occasion d’une vaste étude réalisée par l’IFIP-Institut du porc et ses partenaires
(Roguet et al., 2008, 2009) : un élevage naisseur-engraisseur (NE) de 250-300 truies sur 100 à
200 ha de foncier (logique sous-jacente : valoriser la complémentarité entre le porc et les
céréales),une grande structure NE de 500 à 1 000 truies (accéder à une productivité élevée du
travail), une maternité collective alimentant les ateliers d’engraissement des associés
(externaliser et spécialiser le naissage). Comment se situent ces modèles d’élevage dans le
paysage porcin européen ? Comment évoluent les élevages de porcs des principaux pays
producteurs de l’UE, quels sont les facteurs d’influence et les perspectives ?
1. Dynamique de la production porcine dans les principaux pays de l’UE
1.1. Croissance de la production dans le Nord de l’Europe, stabilité en France
L’Allemagne, premier pays producteur de porcs de l’UE, réalise 22% du total de l’UE à 27 en
2010. Le Danemark et les Pays-Bas produisent le même volume (8,1% et 8,5%
respectivement), inférieur à celui de la France (10,4%). L’Espagne produit15,8% du total.
En Allemagne, des abattages supérieurs aux volumes produits (Figure 1) reflètent les
importations de porcs charcutiers vivants destinés à l’abattage. En effet, le secteur de
l’abattage découpe allemand bénéficie d’une compétitivité bien supérieure du fait de coûts
salariaux très bas (Roguet et Rieu, 2011). Les porcs importés proviennent principalement des
Pays-Bas et du Danemark, où les abattages sont inférieurs à la production.
Figure 1. Production, abattage et consommation de porc dans 5 pays européens en 2010
Production
tec
Abattage
Consommation
6 000
5 000
4 898
4 000
3 518
3 000
2 311
2 000
1 888
1 803
1 000
0
Allemagne
Espagne
France
Danemark
Pays-Bas
Source : IFIP d’après Eurostat et sources nationales
L’Allemagne dispose d’un marché de consommation intérieur très important contrairement au
Danemark et aux Pays-Bas dont le taux d’auto-approvisionnement atteint 640% et 240%
respectivement. Les cinq pays sont excédentaires en viande porcine et concurrents à l’export.
La santé insolente de l’Allemagne, qui affiche une croissance de sa production de 26% depuis
2000, contraste avec la fragile stabilité de la France (Figure 2). Elle entraine dans son sillage
les Pays-Bas et le Danemark. Le recul de la production porcine danoise sur les dernières
années peut être en partie conjoncturel. Mais la situation économique des élevages dans ce
pays pourrait expliquer un recul plus durable. Les Pays-Bas, pourtant confrontés à une
situation environnementale et sanitaire devenue ingérable, ont renoué avec la croissance
depuis 2004 (Roguet, 2011).
Figure 2. Evolution de la production porcine dans 5 pays de l’UE de 2000 à 2010
Par rapport à une base 100 en 2000
Evolution 2000-2010
130
DE : +26%
125
120
ES : +17
115
DK: +13%
110
NL : +5%
105
FR : =
100
95
90
85
00 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10
Source : IFIP d’après Eurostat et sources nationales
Dans un premier temps, la croissance de la production allemande a permis de combler le
déficit intérieur du pays qui avait dépassé 1 million de tonnes après la réunification de 1990.
Puis, les échanges commerciaux se sont très rapidement et considérablement amplifiés. Entre
2000 et 2010, les exportations de viandes et produits transformés ont été multipliées par 3,6
en volume. L’Allemagne a supplanté la France en 2001 puis les Pays-Bas en 2003 et le
Danemark en 2007 (Figure 3). Aujourd’hui, l’Allemagne exporte chaque année l’équivalent
de la production porcine française.
Figure 3. Evolution du total des exportations de porcs de 5 pays de l’UE de 2000 à 2010
Export total (tec)
2 500
Evolution 2000-2010
DE : +258%
2 300
2 100
1 900
DK : +19%
1 700
1 500
NL : +20%
1 300
ES : +139%
1 100
900
FR : +15%
700
500
00 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10
Source : IFIP d’après Eurostat et sources nationales
Dans ces pays, la croissance s’est accompagnée d’une mutation du modèle d’élevage, et
parfois plus globalement de la filière.
1.2. Un modèle d’élevage transfrontalier inédit
Dans le nord de l'Europe, une séparation géographique des fonctions de production s’est mise
en place : production des porcelets au Danemark et aux Pays-Bas, engraissement et abattage
des porcs en Allemagne 1.Dans un marché libéral, cette « coopération » reflète d’abord les
différences de rentabilité des activités entre pays (Roguet et Rieu, 2011). L’engraissement est
plus rentable en Allemagne, le naissage aux Pays-Bas et au Danemark. Cette spécialisation
géographique permet aussi de contourner les contraintes spécifiques de chaque pays (foncier,
environnement, société) et de valoriser leurs atouts propres (disponibilité et coût des intrants,
maîtrise technique, marché de consommation ...).
Les flux transfrontaliers, de natures diverses, sont considérables. En 2010, le Danemark et les
Pays-Bas ont exporté 18 millions de porcs vivants, soit 1,5 Mio par mois ! Les Pays-Bas
exportent en vif 45% des porcs qu’ils font naître : 6,4 Moi de porcelets pour moitié vers
l’Allemagne et pour un quart vers l’Europe de l’Est et 4 Moi de porcs à l’engrais,
essentiellement en Allemagne où l’entreprise Vion dispose d’abattoirs. Le Danemark exporte
surtout des porcelets, 6 à 7 Mio, à 80% vers l’Allemagne.
Les experts allemands prédisent un déficit du pays de 10,5 Moi de porcelets en 2011
(multiplié par 4,5 en 10 ans) et de13 Mio de porcelets en 2015. L’obligation pour tous les
élevages de conduire en groupe les truies gestantes en 2013 pourrait conduire à une forte
décapitalisation du cheptel reproducteur en Allemagne, dans le sud du pays notamment.
La compétition sur le marché du porcelet allemand est féroce entre les Pays-Bas et le
Danemark. En 1997, les Pays-Bas ont été touchés par un épisode dramatique de peste porcine
qui a interdit toute exportation en vif ; les Danois ont profité de cette absence pour conquérir
des parts de marché en Allemagne (Figure 4).
Figure 4. Evolution des exportations de porcelets par le Danemark et les Pays-Bas de 1995 à 2010
Millions de porcelets
DK
NL
8
7
6
5
4
3
2
1
0
95
00
05
10
Source : IFIP d’après Dansk Slagterier, Landbrug&Forderaver et PVE
L'Allemagne est devenue une plaque tournante : elle importe porcelets et porcs à l’engrais
(Figure 5) et exporte viande et produits transformés (Figure 3). Sur 58 millions de porcs
1
En Basse-Saxe et Westphalie surtout, à proximité de la frontière néerlandaise.
abattus en 2010, 11 millions ont été importés soit comme des porcelets ou des porcs
d'engraissement.
Figure 5. Evolution du commerce extérieur en porcs vivants de l’Allemagne de 1990 à 2010
Millions de porcs charcutiers
Millions de porcelets
10
9
8
7
6
5
4
3
2
1
0
Importations
5
4
Importations
3
2
Exportations
Exportations
1
0
90
95
00
05
10
90
95
00
05
10
Source : IFIP d’après Eurostat, AMI, DeStatis
2. Les modèles d’élevages de porcs : caractéristiques et performances
2.1. Tendance générale à la concentration et l’agrandissement des élevages porcins
La concentration de la production dans un nombre décroissant d’élevages de plus en plus
grands s’observe partout (Rieu et Roguet, sous presse). Mais l’ampleur du phénomène varie
entre pays : les tailles d’élevage de porcs augmentent beaucoup plus vite au Danemark et aux
Pays-Bas qu’en France, Allemagne ou Espagne (Figure 6).
Figure 6. Evolution de la taille moyenne des élevages de truies dans 5 pays de l’UE
Truies par élevage
450
DK : 395
400
350
NL : 317
300
250
200
150
FR : 133
100
ES : 88
DE : 87
50
0
73 75 77 79 81 83 85 87 89 91 93 95 97 99 01 03 05 07
Source : IFIP d’après Eurostat
2.2. La « mégamorphose » ou le choix des mégafermes au Danemark et aux Pays-Bas
Au Danemark, le nombre d’élevages de truies a été divisé par 3 entre 1990 et 2000 et encore
par trois entre 2000 et 2010. En 20 ans, leur taille moyenne a été multipliée par 10 (Figure 7) !
La restructuration néerlandaise semble plus douce : la moitié des élevages de truies a disparu
par décennie et la taille moyenne a « seulement » triplé en 20 ans. Certes, les Pays-Bas
avaient une avance sur leur concurrent danois en termes de taille puisque, en 1990, leurs
élevages étaient en moyenne trois fois plus grands. En Allemagne du nord-ouest aussi, la
concentration s’accélère, accompagnée d’un déplacement des effectifs (-20% dans le sud,
-11% dans le nord-ouest, mais +6% à l’est, en cinq ans).
Figure 7. Evolution du nombre et de la taille moyenne des élevages de truies : Danemark et Pays-Bas
Danemark
Pays-Bas
Nombre d'élevages de truies Truies par élevage
40 000
39 000
433
450
Nombre d'élevages de truies
24 700
25 000
300
13 400
20 400
20 000
Truies par élevage
416
450
300
244
12 500
141
127
150
7 700
24
44
57
2 580
0
0
82
90
00
10
150
6 190
2 950
0
0
80
90
00
10
Source : IFIP d’après Statistics Denmark et CBS
Dans le Nord de l’Europe, le nombre d’élevages et le cheptel n’augmentent que dans la classe
des élevages de plus de 500 truies. Au Danemark, les 905 élevages de plus de 500 truies,
d’une taille moyenne de 855 truies, concentrent 69% des effectifs en 2010. Aux Pays-Bas, on
en compte 721, d’une taille moyenne de 1 018 truies, concentrant près de 60% du troupeau.
Un tiers du cheptel reproducteur néerlandais est dans des élevages de 1 000 truies et plus. En
Allemagne, 29% des truies sont dans des élevages de plus de 500 truies (87% à l’est, 4%
seulement dans le sud, 18% dans le nord-ouest où cette part a doublé en cinq ans) et en France
19%. En France et en Allemagne, les élevages de moins de 200 truies rassemblent encore près
de la moitié du cheptel reproducteur du pays, contre 7,7% aux Pays-Bas, 4,4% au Danemark
(Roguet, 2011b). Mais, dans les pays nordiques, il s’agit majoritairement d’élevages
spécialisés dans le naissage alors qu’en France, 90% des truies sont dans des élevages
réalisant naissage et engraissement (Roguet, 2009).
Les motivations de ce choix d’évolution vers des élevages spécialisés de grande taille sont :
• Les gains de compétitivité, par l’amélioration des performances techniques, en lien
avec la spécialisation de l’activité, et l’accès à des économies d’échelle ;
• La nécessité de répondre à la demande des engraisseurs en grands lots de porcelets ;
• La productivité du travail, un facteur important dans ces pays où son coût est élevé et
le recours à des salariés important.
2.3. Un lien au sol et un recours au salariat variables entre pays
Les exploitations porcines danoises disposent d’une surface agricole importante (161 ha en
NE) par rapport aux autres pays (53,6 ha en Allemagne, 39,4 ha en France, 30,9 ha en
Espagne et 12,3 ha aux Pays-Bas) d’après les données du RICA 2. Cette situation est la
conséquence de la réglementation environnementale au Danemark qui lie l’élevage au sol en
plafonnant le nombre d’animaux autorisés par hectare de terres d’épandage (dont une partie
obligatoirement en propriété). Ainsi, les exploitations danoises et allemandes, à l’opposé des
néerlandaises, ont un chargement animal par hectare faible, favorable à l’épandage des
déjections et à l’auto-approvisionnement en matières premières pour l’alimentation des porcs
(Roguet, 2011c). Les Danois et Néerlandais sont propriétaires des trois quarts du foncier
qu’ils exploitent (une garantie pour leurs emprunts) tandis que les Français et les Allemands
sont fermiers.
Figure 8. Structure des exploitations porcines par orientation
Année 2008
Elevages naisseurs-engraisseurs
sauf pour l’Espagne (2007)
Truies productives
SAU (ha/ferme)
Part du foncier en fermage
UGB (a) / ha SAU
3
UTA (Unité de Travail Annuel)
UTF (Unité de Travail Familial)
Part main d’œuvre non familiale (%)
Truies productives / UTA
(a)
FR
215
39,4
82%
12,2
2,28
1,50
34%
94
DE
164
53,6
63%
4,9
1,90
1,51
21%
86
ES
234
30,9
46%
10,0
2,01
1,47
27%
116
DK
615
161,3
26%
4,9
3,67
1,14
69%
168
NL
290
12,3
24%
55,7
1,98
1,37
31%
146
Elevages naisseurs
DE
283
51,5
68%
3,7
2,05
1,35
34%
138
ES
401
2,6
38%
89,9
2,00
1,22
39%
201
DK
984
93,8
23%
9,1
4,75
1,14
76%
207
NL
668
8,9
49%
59,6
2,68
1,55
42%
250
UGB (Unité Gros Bétail) = résultat de la multiplication des effectifs moyens par un coefficient de conversion correspondant à chaque
type d’animal.
Source : IFIP d’après RICA
Plus grandes, les exploitations danoises emploient plus de main-d’œuvre, 3,67 UTA en NE
contre 2,28 en France, 2,01 en Espagne et moins de 2 en Allemagne et aux Pays-Bas. La
productivité apparente du travail est très élevée au Danemark et aux Pays-Bas, avec
respectivement 168 et 146 truies productives par UTA en NE (207 et 250 truies par UTA chez
les naisseurs) comparativement à la France et l’Allemagne (respectivement 94 et 86 truies par
UTA en NE). Le recours au salariat est massif au Danemark (69% des UTA en NE, 76% en
N) et très peu important en Allemagne (21% en NE, 34% en N, 15% en E), les autres pays
étant dans une situation intermédiaire (34% en France et 31% aux Pays-Bas en NE) en 2008.
2.4. Résultats technico-économiques
La concentration et la spécialisation des élevages s’accompagnent d’une amélioration rapide
des performances techniques. En 2009, les élevages danois et néerlandais produisent en
moyenne 0,7 porcelets de plus par truie et par an que les français (Figure 9). Le temps de
travail annuel en naissage-engraissement est de 15 à 16 h par truie au Danemark et aux PaysBas contre 20 à 21 h en France et en Allemagne (Roguet et al., 2011).
Sur le plan économique, les performances techniques des élevages danois et néerlandais leur
permettent de dégager une meilleure valeur ajoutée nette par UTA. Mais, au Danemark, ce
résultat est entièrement consommé par la rémunération des facteurs de production extérieurs
2
Créé en 1965 pour suivre les effets de la Politique Agricole Commune, le RICA repose sur une enquête réalisée à partir des
comptabilités des agriculteurs dans les Etats Membres de l’UE selon « des règles et des principes communs ». Il permet la
constatation annuelle des revenus agricoles et l’analyse du fonctionnement économique d’exploitations. Le RICA couvre
« l’ensemble des exploitations agricoles ‘professionnelles’, au sens statistique, c’est-à-dire d’une dimension économique
supérieure à un seuil de marge brute standard propre à chaque pays et employant au moins 0,75 unité de travail annuel ».
3
1 UTAéquivaut au travail d'une personne travaillant à temps plein sur une exploitation agricole pendant une année.
(travail salarié, capitaux empruntés) dont l’agriculture danoise est fortement dépendante. Au
final, en moyenne sur 2004-2008, le revenu de l’éleveur, destiné à rémunérer son travail et ses
capitaux propres, est négatif au Danemark.
Sur le plan financier, l’actif d’un élevage naisseur-engraisseur danois dépasse 5 millions
d’euros ce qui soulève la question de la transmissibilité de ces outils. Le capital d’exploitation
par truie, hors foncier, quota et autres droits, est aussi plus élevé au Danemark et aux PaysBas témoignant de la différence d’investissement et d’amortissement de l’outil de production.
Figure 9. Résultats technico-économiques des élevages porcins de 5 pays de l’UE
année
Sevrés / truie / an
2009
Temps de travail (h/ truie / an)
FR
DK
NL
26,5
24,0
27,2
27,2
21,3
19,7
15,1
16,6
Milliers d’euros
Valeur ajoutée nette / UTA
DE
Elevages NE
2004-08
Revenu de l’éleveur / UTANS
Actif par ferme
2008
Capital d’exploitation / truie
30,8
32,6
54,1
62,4
21,2
580
20,6
864
-49,2
5 136
34,5
2 131
2,530
2,770
4,040
3,910
Source: IFIP d’après Interpig pour performances techniques et RICA pour résultats économiques
3. Facteurs d’évolution et de risques
Le dynamisme des filières porcines du nord de l’Europe a été rendu possible par la
conjonction d’un ensemble de déterminants. Tout d’abord, des principes admis par tous les
acteurs ont facilité la définition et le suivi d’une stratégie offensive. Les études réalisées par
l’IFIP, accompagnées de rencontres avec les professionnels en Allemagne, aux Pays-Bas et au
Danemark, ont permis de constater que le porc y est réellement considéré comme un secteur
économique stratégique dont il faut défendre la compétitivité. La production porcine
représente 30% de la production agricole finale au Danemark, 13% en Allemagne, 11% aux
Pays-Bas, soit plus qu’en France où sa part est de 5%.De plus, le marché du porc (standard)
étant européen voire mondial, produire au coût le plus bas est considéré comme un impératif.
Sur la base de ces deux principes, la stratégie des pays du nord de l’Europe peut se résumer en
deux points (1) maintenir voire développer la production, (2) restructurer les élevages pour
faire face aux challenges économiques et réglementaires. De plus, ces pays ont su saisir les
opportunités que leur offraient leurs évolutions respectives au gré de leurs atouts et
contraintes propres.
Si à certains égards, cette stratégie apparaît comme une réussite – croissance, amélioration des
performances… - elle comporte des risques importants et rencontre de plus en plus de limites.
Le développement et la concentration géographique de la production finissent par porter
atteinte à l’environnement et au paysage et posent des problèmes de santé animale et humaine.
Les pouvoirs publics ont dû intervenir, de manière plus ou moins autoritaire, pour freiner ou
stopper le phénomène : instauration de droits de porcs pour contingenter le cheptel aux PaysBas, obligation de lien au sol de l’élevage au Danemark, durcissement de la loi sur le permis
de construire en Allemagne.
L’essor des « mégafermes »4, comme les appellent les Néerlandais et les Allemands, a fini par
rencontrer l’opposition de la population pour des raisons de santé et bien-être animal, de santé
humaine, de protection de l’environnement et du paysage et de modèle d’élevage jugé trop
grand et trop industriel. Là encore, sous la pression sociale, les pouvoirs publics ont réagi en
plafonnant la taille des élevages aux Pays-Bas et en organisant le débat avec la société. En
Allemagne, le bien-être animal est source d’intenses débats actuellement.
Au Danemark, la fragilité de la stratégie de croissance vient de son mode de financement. Les
investissements massifs dans la restructuration de la production ont été financés par des prêts
sur de très longues durées, généreusement octroyés par les banques, en contrepartie de la
garantie apportée par le foncier. Ce système génère des intérêts financiers astronomiques et un
surendettement des élevages. De plus, avec la crise financière, le prix du foncier s’est effondré
(- 40% depuis mi-2008). En défaut de garantie, les éleveurs ne peuvent plus emprunter.
Enfin, dans la compétition féroce que se livrent les Danois et les Néerlandais pour conquérir
le marché allemand, dans cette course effrénée et cette sélection drastique, les professionnels
semblent s’essouffler…comme si les ressorts étaient tendus à l’extrême et que la marge de
progrès apparaisse désormais ténue. Face à cette compétition devenue intenable, Pays-Bas,
Allemagne et Danemark cherchent d’autres voies au travers notamment de la démarcation de
l’image et de la spécification des produits nationaux vis-à-vis du standard. Vion parie ainsi sur
le label Beter Leven (meilleure vie), Westfleich a créé son propre label, Aktion Tierwohl et le
Danemark a mis en place un classement des élevages en fonction de leurs pratiques.
4. Enseignements et perspectives
Les types d’élevages diffèrent entre pays en fonction de leurs caractéristiques physiques et
agricoles (diversité des territoires, des productions…) et de leurs choix et contraintes propres
(modèle d’élevage, acceptation sociétale, capacité de consensus…). Au-delà des différences,
ils sont soumis à des contraintes communes, économiques (marché libéral, très concurrencé)
et réglementaires (directives) qui se traduisent par des évolutions structurelles similaires
(concentration, agrandissement, spécialisation) (Roguet, 2009).
La restructuration drastique des élevages danois et néerlandais laisse peu de place à la
diversité des structures et des profils d’éleveurs. Technique et économique, la course à la
taille apparaît aussi presque philosophique. Les Allemands sont plus nuancés dans leurs
perspectives et sur l’intérêt économique des très grandes structures. Le modèle de production
et d’élevages choisi est risqué. Il repose notamment sur un pari concernant la pérennité des
débouchés en porcelets. Or pour des raisons de bien-être animal, sanitaires ou
environnementales, ces débouchés pourraient se trouver brutalement compromis. Le prix des
porcelets est aussi une variable d’ajustement lorsque le prix du porc est trop bas ou celui de
l’aliment trop élevé. Ces élevages posent aussi des questions à plus long terme quant à leur
transmission, à l’évolution des conditions de travail et du métier et à l’image de la production.
Quoi qu’il en soit, les limites des stratégies mises en œuvre par les pays du nord de l’Europe
n’annihilent pas leurs bénéfices. Ces pays se sont dotés d’un outil de production, moderne,
efficace et aux normes. D’autres pays, dont la France, ont à définir leur propre vision pour
l'avenir, à choisir leur modèle de production et à le faire accepter par la société.
4
Megastallen : en porc, bâtiments de plus de 1 200 places de truies ou 7 500 places d’engraissement aux Pays- Bas, soit des
seuils très supérieurs à la situation française.
Références bibliographiques
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acteurs de terrain. Journées Rech. Porcine, 41, 285-290.
Roguet C., Duflot B., Graveleau C., Rieu M., 2010. Production porcine au Danemark : la grande
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