EVALUATION DE LA QUALITE DES GRANDS VINS DE

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EVALUATION DE LA QUALITE DES GRANDS VINS DE
EVALUATION DE LA QUALITE DES GRANDS VINS DE BORDEAUX :
EXISTE-T-IL DES DIFFERENCES SIGNIFICATIVES ENTRE LES DEGUSTATEURS ?
Philippe Barbe
Marché et Marketing du Vin
Bordeaux Ecole de Management
680 cours de la libération
33405 Talence cedex
[email protected]
François Durrieu*
Marché et Marketing du Vin
Bordeaux Ecole de Management
680 cours de la libération
33405 Talence cedex
[email protected]
Tel : 05 56 84 22 54
Résumé : Sur le marché de la dégustation des grands vins de Bordeaux, chaque dégustateur, s’il veut
garder ou gagner des parts de marché, a intérêt à afficher sa spécificité. Mais l’historique de ce
marché, notamment le rôle prédominant du critique américain Robert Parker, oblige chaque nouvel
arrivant à se positionner par rapport à ce leader. Aussi peut-on se demander si les différences
d’évaluations sont réelles ou si elles ne sont qu’un élément de la stratégie des « producteurs » de note.
Nous étudions pour cela les résultats des évaluations de Dubourdieu et Parker en termes de
positionnement et d’analyse de rang.
Mots-clefs : Parker, Dubourdieu, Comparaison des évaluations, appellations, châteaux
Abstract: On the market of the tasting of the high-class wines of Bordeaux, each taster, if he wants to
keep or gain market shares, may find it beneficial to post his specificity. But the history of this market,
in particular role prevailing of the critic the American Robert Parker, obliges each newcomer to
position compared to this leader. Also can one wonder whether the differences in evaluations are real
or if they are only one element of the strategy of the "notes’ producers". We study for that the
evaluations of Dubourdieu and Parker in terms of perceptual mapping and rank analysis.
Keywords: Parker, Dubourdieu, Comparison of the evaluations, appellations, castles
1
Ces dernières années, avec le retour de la croissance sur le marché des grands vins de Bordeaux,
notamment sur le segment des grands crus classés, le rôle tenu par les dégustateurs paraît être de plus
en plus important pour les consommateurs. En effet, ceux-ci à la recherche des meilleurs vins, ne
semblent plus se fier au prix et aux classements officiels, mais paraissent privilégier les jugements des
critiques et des guides d’achat les plus reconnus. Ainsi, au moment des marchés primeurs ou des foires
aux vins, les évaluations de la qualité des vins disponibles sont de plus en plus nombreuses. Par
exemple, lors de la mise en vente des vins de Bordeaux en primeurs, l’amateur averti peut consulter
les notes attribuées au millésime concerné par les des dégustateurs individuels tels Robert Parker le
critique le plus célèbre de la planète, James Suclking autre dégustateur américain travaillant pour le
magazine Wine Spectator, Jean Marc Quarin dégustateur bordelais, les négociants de la place de
Bordeaux, par des revues spécialisées comme la Revue du Vin de France, Vin Magazine ou encore la
revue Gault et Millau jusqu’au news magazine comme le Point. De même, à l’époque des foires aux
vins paraissent des guides d’achat comme le guide Hachette (18ème édition en 2003), le Bettane et
Dessauve, le Duberger, le Fleurus, et des numéros spéciaux des revues précédemment citées. Dès lors,
la question que le consommateur est en droit de se poser est la suivante : quel critique suivre, existe-til des différences significatives entre ces dégustateurs ? Pour répondre à cette question, nous avons
choisi de comparer les notes proposées par deux des dégustateurs les plus reconnus, l’américain
Robert Parker et le Bordelais Frank Dubourdieu. Les raisons de ce choix sont d’une part qu’ils
utilisent, à quelques nuances près, le même système de notation et que d’autre part chacun se présente
comme appartenant à une école différente, Robert Parker comme le défenseur du consommateur,
Franck Dubourdieu comme appartenant à l’école classique. L’objet de ce travail est donc de savoir s’il
existe véritablement des différences significatives entre ces dégustateurs, ou si celles-ci ne sont
qu’apparentes. En effet, sur un marché comme celui de la critique des vins la stratégie optimale pour
chaque dégustateur est sans aucun doute de se présenter comme différents de ses concurrents en
mettant l’accent sur sa méthodologie propre.
Dans un premier temps, nous présentons le s dégustateurs sélectionnés et leurs systèmes d’évaluation,
les vins étudiés en précisant les millésimes analysés, les appellations retenues et les châteaux faisant
partie de ces dernières. La méthodologie retenue permet de tester l’homogénéité des notes attribuées et
de représenter ces différences à l’aide de carte perceptuelle. Dans un deuxième temps, nous présentons
les résultats obtenus en matière d’appellation et de châteaux. Il s’agit de comparer les évaluations de
Dubourdieu et de Parker sur les appellations, de les représenter puis de faire de même avec les
châteaux.
I – Les données de l’étude
Les données de l’étude regroupent les évaluations de Dubourdieu et de Parker. Aussi nous
poserons trois questions :
? Comment ces deux personnes évaluent le s vins dégustés ?
? Quels sont les vins évalués ?
? Comment sont perçus les appellations et les châteaux à travers leurs évaluations ?
A – Les dégustateurs
Nous avons donc retenu pour cette étude deux dégustateurs réputés, Robert Parker et Franck
Dubourdieu. Les raisons de ce choix sont doubles. Tout d’abord ils utilisent le même système de
notation (sur 100), ce qui permet de comparer les évaluations directement plutôt que de faire une
analyse de rang lorsque les systèmes différent. Ensuite chacun se présente comme appartenant à un
courant bien spécifique de la dégustation. Robert Parker (RP) se veut le représentant de la défense du
consommateur, alors que Franck Dubourdieu (FD) se réclame lui de l’école classique privilégiant la
finesse et la structure.
Si RP est sans nul doute le critique le plus influent de la planète en matière de dégustation, le second,
FD, certes moins connu du grand public, est néanmoins une autorité reconnue par les professionnels
du monde du vin en sa qualité d’ingénieur agronome et d’œnologue. Il exerce son activité
professionnelle à Bordeaux dans le négoce du vin.
RP, avocat de formation, a lui découvert le monde du vin lors d’un séjour en France dans les années et
vient plusieurs fois par an dans notre pays depuis cette époque pour déguster les vins. Il a débuté en
1978 en distribuant gratuitement une publication appelée alors le Baltimore/Washington Wine
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Advocate.Sa réputation de dégustateur s’est faîte sur sa phénoménale capacité d’analyse et surtout sur
le fait qu’il a été l’un des premiers à identifier l’extraordinaire qualité du millésime 1982. Son
influence tient également au fait que près de 40% de la production des vins de Bordeaux est destiné à
l’exportation, notamment en Amérique du Nord.
RP se réclame ainsi de la philosophie d’indépendance prônée par Ralph Nader, illustre défenseur des
consommateurs américains et considère que le «rôle du critique est de prononcer des jugements
fiables »(2001, p 19) et que pour cela il doit répondre aux critères suivants : l’indépendance, le
courage, l’expérience, le sens des responsabilités, l’équilibre du jugement, la prime à la qualité et enfin
la franchise. Il reprend dans chacune de ses publications la citation bien connue de Beaumarchais :
« Sans liberté de blâmer, il n’existe point d’éloge flatteur ». Son objectif (p 21) « est de rechercher les
plus grands vins qui semblent les plus intéressants sous l’angle du rapport qualité/prix », et plus loin
« Le bénéficiaire de ces informations est avant tout le consommateur , qui mérite d’être protégé… ».
FD se situe lui dans une approche plus scientifique, sa volonté est de contribuer à la « conception
d’une dégustation relevant d’une analyse à la fois séparée et combinée de la structure et de la finesse »
(p 141). Selon lui, « la coexistence de ces deux attributs révèle le fondement même de la qualité des
grands vins ». Selon la dernière de couverture, « Il s’oppose donc à une certaine critique privilégiant
la puissance au détriment de la finesse (comprenez RP !). Son objectif est de répondre aux deux
questions suivantes : quelles sont les meilleures réussites dans chaque millésime ?, quel est le meilleur
moment pour déboucher les bouteilles ?
Si RP et FD se présentent donc sous un angle différent, ils utilisent néanmoins le même système de
notation sur 100, bien que là encore leur logique est quelque peu différente. Notons tout d’abord que
dans les premières éditions de son guide sur les grands vins de Bordeaux, FD a d’abord proposé un
classement pour chaque appellation (1992) puis utilisé un système d’évaluation qui conduisaient à
classer les vins en différentes familles : les bons vins, les très bons et ceux qui pouvaient être qualifiés
d’exceptionnels (1995). Dans la dernière édition datant de septembre 2000, ce système a donc été
abandonné au profit d’une notation sur 100. Néanmoins des différences existent quant à l’utilisation de
ce système.
On peut dire qu’il existe des différences au niveau de l’utilisation du système de notation, dans les
conditions de la dégustation et enfin au niveau de la publication de ces évaluations.
Concernant la notation des vins, RP précise qu’il note en fait les vins de 50 à 1OO, FD considère lui
qu’un grand vin de Bordeaux doit avoir une note minimale de 84 sur 100. Cette note est considérée
« comme le seuil minimum de qualité pour qu’un grand Bordeaux (cru classé et assimilé) puisse
répondre aux exigences d’un amateur qui débouche une bouteille d’un certain prix et d’un certain
renom » Ainsi, bien que ce dernier note les vins de 68 à 100, 68 correspondant selon l’auteur à un
Bordeaux de base, seuls sont cités dans le guide les vins qui ont obtenu au minimum 84.
L’inconvénient de cette méthode est que lorsque le consommateur ne trouve pas un vin donné dans le
guide, il ne peut pas savoir si ce vin n’a pas été dégusté ou s’il a obtenu une mauvaise note.
De plus, si RP détaille son système de notation, FD est plus mystérieux sur le sujet.
R P (1999, p 16) donne une description précise de son système de notation. Les vins sont en fait
évalués sur une base de 50 points. La couleur et l’apparence comptent pour cinq points, le bouquet
pour 15 points, les sensations et la finale en bouche pour 20 points, enfin l’impression d’ensemble et
l’aptitude au bon vieillissement pour 10 points. Ce système est donc extrêmement précis par rapport à
d’autre système plus souple (étoiles, qualificatifs) qui vise principalement à donner une impression
générale
Dernière différence concernant l’utilisation du système de notation, elle concerne la classification des
vins. En effet si RP et FD regroupent les différents vins dégustés en différentes familles selon la note
obtenue, ils ne retiennent pas les mêmes intervalles de notes (tableau 1). Ainsi un vin ayant obtenu la
note 93 sur 100 sera jugé exceptionnel chez RP et très bon chez FD.
Tableau 1 Interprétation de l’échelle de notation
Robert Parker
Franck Dubourdieu
<70 : vins en dessous de la moyenne
70 – 79 : vins de niveau moyen
84 – 88 : bons vins
80 – 89 : vins en principe très bons
89 – 93 : très bons vins
90 – 100 : vins excellents
94 – 100 : vins exceptionnels
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Si l’on s’intéresse maintenant aux conditions de dégustations, on peut souligner la encore une
différence d’approche. RP privilégie les dégustations en individuel dans la mesure où il estime
qu’elles représentent les meilleures conditions de travail (concentration, pas d’influence extérieure, ..
.). Néanmoins, il lui arrive de déguster dans les propriétés et …De plus RP déguste généralement les
vins en primeurs puis une fois mis en bouteille et en enfin à diverses autres occasions pour juger de
l’évolution. FD précise lui que les vins notés ont été dégustés plusieurs fois, mais sans en préciser les
conditions.
Dernier type de différence : elles concernent la publication de ces évaluations. RP édite chaque
trimestre une lettre à l’attention des ses abonnés (The Wine Advocate) chacune ayant en général un
thème bien précis par exemple le millésime X en primeur ou le millésime Y en bouteille, et fait
paraître régulièrement des guides sur des pays (Guide des vins de France) et sur des régions (Guide
des vins de Bordeaux, Guide des vins de Bourgogne, …). Les publications de FD sont plus
irrégulières. A ce jour on peut recenser les deux premières éditions de son guide des vins de
Bordeaux (1992, 1995), puis une nouvelle édition utilisant le barème de notation sur 100 (2000) , et
enfin dernièrement un guide des bons bordeaux(2002)
B – les vins étudiés
Notre étude porte sur les notes des grands vins de Bordeaux ou assimilés disponibles dans le guide des
vins de Bordeaux de RP paru en 199 et les Grands Bordeaux de FD (2000) pour les millésimes allant
de 1961 à 1997. Néanmoins toutes les années ne sont pas prises en compte dans la mesure où pour les
millésimes médiocres les notes ne sont pas disponibles (FD) ou très peu nombreuses (RP). Les
millésimes suivants ont donc été exclus de la base : 1963, 1964, 1965, 1968, 1969, 1972, 1974, 1977
et 1980. Au total, nous disposons donc de 28 millésimes.
Concernant les vins, nous trouvons dans notre base de données les grands vins de Bordeaux et
assimilés. Il s’agit, pour les premiers cités, de vins que les différents classements ont qualifiés de
Grands Crus Classés à partir de 1855 pour le Médoc, 195- pour Saint-Emilion, classement révisé en
1986 et 1996, et 1959 pour les vins de Graves. Au total ces différents classements concernent 144
vins, 62 pour le Médoc, 69 pour Saint-Emilion et 13 pour les Graves.
Par assimilé, on entend un vin que le marché considère comme l’équivalent d’un grand cru classé, bien
qu’ii ne fasse pas partie des différents classements, soit parce qu’il appartient à une appellation sans
classement (Pomerol), soit parce que le classement ne fait pas l’objet de révision (Médoc ou Graves)
ou encore qu’il a été ignoré par le dernier classement (Saint-Emilion), ou enfin qu’il s’agisse d’un vin
nouveau (vin de garage). 48 vins de cette catégorie sont intégrés dans notre base de données.
Au total, ces 192 vins représentent huit appellations : Pauillac, Margaux, Saint-Estèphe, Saint-Julien,
Haut-Médoc, Pomerol, Saint-Emilion, Pessac-Léognan.
C – Méthodologie
La première question à laquelle nous essayons de répondre est la suivante : les évaluations sont-elles
en moyenne différentes d'un dégustateur à l'autre. Pour cela, nous réalisons un test de moyenne sur
échantillons appariés. En effet les évaluations sont issues d'un même échantillon, cela conduit à penser
que les évaluations ne sont pas indépendantes a priori. La procédure du Test T pour Echantillons
Appariés (Saporta 1990) compare la moyenne de deux variables pour un seul groupe. Elle permet de
calculer la différence de valeurs entre les deux variables pour chaque observation et de tester si la
moyenne diffère de 0.
Après avoir confirmer ces différences, nous les positionnons sur une carte perceptuelle que ces
différences concernent les appellations ou les châteaux. Ici il ne sera pas question de savoir comment
sont évalués les vins (Cliff et King 1999) ni quelles sont les différences sensorielles entre les vins
testées par des juges différents (Gawel et ali, 2001). Pour cela, nous utilisant l’analyse
multidimentionnelle des similarités. Il s'agit d'une représentation spatiale d'objets basés sur des
distances euclidiennes en utilisant le modèle ALSCAL (Dillon W.R. et Goldstein M. 1984). Cette
analyse nous permet à partir de la matrice de similarités (chaque cas de la matrice représente un indice
moyen (les années) de proximité entre deux évaluations d’appellations ou de châteaux) de construire
une carte perceptuelle situant les appellations les unes par rapport aux autres. Pour mesurer la qualité
de la représentation de ces objets, nous utiliserons le stress de KRUSKALl (Dillon W.R. et Goldstein
4
M. 1984). Plus ce stress est faible, plus l'ajustement aux données initiales est bon (un stress inférieur à
0,025 conduit à un ajustement excellent et un stress compris entre 0,025 et 5 comme un bon
ajustement).
Pour analyser les châteaux, des moyennes et les notes maximales sont calculées sur l’ensemble des
millésimes pour chaque dégustateur. Ensuite un rang de classement sera affecté pour chaque château
(Ashenfelter et Quandt, 1998, Quandt 1998). Une comparaison des deux classements sur les moyennes
(globalement et par appellation) sera effectuée à l’aide d’un coefficient de corrélation de rang de
SPEARMAN (Kendal 1975). Il sera fait de même pour les notes maximales.
II - Comparaison des évaluations de PARKER et de DUBOURDIEU : les résultats
Afin de comparer les résultats de dégustation de nos deux critiques, nous procédons en trois étapes.
Dans un premier temps nous comparons les résultats du point de vue des statistiques descriptives.
Dans un second temps nous utilisons les cartes perceptuelles, puis dans un dernier temps nous faisons
une analyse de rang.
A - Comparaison des appellations
Nous avons tout d’abord calculé la moyenne des différentes évaluations pour chacune des huit
appellations étudiées. Les résultats sont présentés dans le tableau 2. Nous proposons en annexe 1 la
moyenne des évaluations sur l’ensemble des millésimes pris en compte dans l’étude pour RP et FD.
En première lecture des différences apparaissent, mais pour voir si celles-ci sont significatives, le test t
de STUDENT a été réalisé pour voire si les évaluations moyennes étaient différentes.
Tableau 2
Moyenne des évaluations par appellation
moydub
Pessac Leognan
Pauillac
Margaux
Saint-Estèphe
Saint Julien
Haut Medoc
Saint Emilion
Pomerol
moypark
88,69
89,21
87,96
87,39
87,85
86,49
87,45
88,98
84,28
84,38
81,64
83,26
84,47
83,72
81,69
86,64
Le test t (t=8,65, p=0,00) nous conduit à accepter cette hypothèse de différence et en moyenne celles
de FD sont supérieures à celles de RP, ce qui est logique si l’on veut bien se souvenir que FD ne
publie que les évaluations supérieures à 84. Cependant concernant les appellations qui sont bien
évaluées (maximum des évaluations), il n’existe pas de différences (t=0,35, p=0,73). En revanche les
notes minimales chez RP sont plus faibles que celles de FD toujours pour les notes maximales, il
existe une différence (t=7,39, p=0,00), ce qui est cohérent avec le mode de notation de Dubourdieu.
Concernant l’homogénéité, celle -ci est mesurée par l’écart-type des évaluations. Un test t de
STUDENT nous conduit à accepter une différence (t=8,74, p=00) quant à leur homogénéité. Les
évaluations de FD sont plus homogènes que celles de RP. Cette hétérogénéité se retrouve plutôt quand
il s’agit des notes minimales. Pour RP, il semble que POMEROL ait des évaluations minimales plus
élevées que pour les autres appellations. De plus Pomerol est l’appellation la plus homogène des
appellations pour RP alors que pour FD, c’est l’appellation la moins homogène. Concernant
l’appellation SAINT EMILION, cela est inversé. Ces premiers résultats tendraient à montrer des
préférences des dégustateurs pour certaines appellations mais pas pour les vins les mieux évalués dans
ces dernières.
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B - Comparaison des positionnements des appellations
Nous comparons ici le positionnement des évaluations de RP et FD par appellation. Pour cela, nous
utilisons l’analyse de similarités afin de voire si les évaluations sur certaines appellations sont proches
de celles sur d’autres appellations.
Pour RP, les résultats sont les suivants. La qualité du positionnement est de 0,02, elle peut être
considérée comme excellente.
Figure 1 Positionnement des appellations selon R. Parker
Pomerol
Pessac Leognan
Pauillac
Margaux
Saint-Estèphe
Saint Julien
Haut-Medoc
Saint Emilion
La figure 1 représente le positionnement des différentes appellations en fonction des évaluations de
Robert Parker. Deux types de résultat apparaissent.
Tout d’abord, il est a remarquer que deux appellations se détachent de l’ensemble POMEROL et
HAUT MEDOC, mais pour des raisons différentes. Le POMEROL est l’appellation qui en moyenne
est le mieux évalué et c’est aussi l’appellation la plus homogène. Le HAUT MEDOC a des évaluations
plus hétérogènes. Il semble donc que l’axe vertical permet de positionner les appellations en fonction
de leur degré d’homogénéisation. De plus, l’appellation POMEROL diffère de l’appellation SAINT
EMILION que cela soit au niveau de l’homogénéité de l’appellation que des notes minimales.Enfin ;
nous pouvons identifier des groupes d’appellations : le groupe 1 PAUILLAC, SAINT ESTEPHE et
SAINT JULIEN, le groupe 2 SAINT EMILION et MARGAUX. Les appellations dans le groupe 1 ont
des notes moyennes et maximales proches et ont des évaluations homogènes dans le même ordre de
grandeur. Quant au groupe 2, les notes moyennes maximales et minimales sont proches mais avec une
plus grande hétérogénéité si on les compare aux autres appellations.
La même démarche pour FD donnent les résultats suivants.
Figure 2 Positionnement des appellations selon F. Dubourdieu
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Pauillac
Saint Emilion
Haut-Medoc
Pessac Leognan
Saint Julien
Pomerol
Saint Estèphe
Margaux
La qualité du positionnement est de 0,03 , elle peut être considérée comme bonne. Les appellations
HAUT-MEDOC et SAINT-EMILION ont des notes maximales proches et les plus faibles des
appellations. L’axe horizontal va des notes maximales les plus élevées vers celles qui sont les plus
faibles. L’appellation POMEROL, a, pour FD, les notes maximales les plus élevées du vignoble
Bordelais. Le positionnement éclaté des appellations ne permet pas comme pour RP d’identifier des
groupes.
Si l’on compare maintenant les résultats obtenus pour chaque dégustateurs, on peut observer que si
pour FD l’appellation PESSAC-LEOGNAN est plus proche de l’origine alors que l’appellation
PAUILLAC est plus éloignée, pour RP c’est l’inverse. Si les deux évaluent en moyenne de la même
façon les deux appellations , PAUILLAC est cependant mieux évalué en moyenne que PESSACLEOGNAN pour les deux dégustateurs. En revanche ils n’évaluent pas de la même façon quand il
s’agit des notes maximales. Pour RP l’appellation qui obtient les notes les plus élevées est PESSACLEOGNAN alors que pour FD, c’est l’appellation PAUILLAC. Nous avons également des différences
de positionnement au niveau de POMEROL et SAINT EMILION. Concernant POMEROL, cette
appellation obtient la meilleure évaluation en moyenne pour RP alors que pour FD, elle obtient la
meilleure des notes maximales. Si pour RP, MARGAUX, SAINT EMILION forment un groupe, pour
FD ces deux appellations s’opposent. La différence se situe au niveau de l’homogénéisation des
évaluations de l’appellation SAINT EMILION. En effet, FD évalue de façon plus homogène SAINT
EMILION que MARGAUX alors que pour RP, il les évalue avec le même niveau d’hétérogénéité. Il
existe aussi des différences sur les appellations SAINT ESTEPHE et SAINT JULIEN. FD préfère sur
les vins les mieux évalués (les notes maximum) SAINT ESTEPHE à SAINT JULIEN alors que RP les
évalue de la même façon.
La question est de savoir si Dubourdieu et Parker ont des préférences en matière d’appellation. Au vu
des commentaires ci-dessus, Il semblerait que FD aurait des préférences pour PAUILLAC, SAINT
ESTEPHE et SAINT EMILION alors que pour RP cela serait plutôt POMEROL et PESSAC
LEOGNAN.
C) Analyse en termes de rang
Il serait intéressant de savoir si les deux dégustateurs respectent la hiérarchie des châteaux à l’intérieur
des appellations. Une analyse par rang peut confirmer cette hypothèse. Sur l’ensemble des
appellations, ils n’arrivent pas concernant la moyenne des évaluations sur les châteaux, à la même
hiérarchie. En effet le coefficient de corrélation est de 0,07, les deux classements sont presque
indépendants. Seuls pour les appellations de PAUILLAC (corrélation de 0,82) et POMEROL
(corrélation de 0,49) , ils arrivent à la même hiérarchie. Ici quand RP évalue bien un château, FD fait
de même. En revanche, il semble que pour SAINT EMILION avec une corrélation de -0,36
7
(signification à 5% et de faible niveau), quand FD évalue favorablement un château, RP évaluerait ce
dernier moins favorablement. Concernant les autres appellations, il n’existe pas de liens entre les
évaluations des deux dégustateurs.
Nous avons vu qu’il n’existait pas de différence sur les notes maximales. Aussi allons-nous faire une
comparaison de rang par appellation sur les notes maximales des châteaux. Concernant l’ensemble des
appellations, les deux dégustateurs respectent la même hiérarchie pour les bons millésimes. En effet le
coefficient de corrélation est de 0,38. Si ce coefficient est significatif, le niveau de cette corrélation
reste moyen. Pour les appellations PAUILLAC (0,75) coefficient de corrélation de rang de
SPEARMAN), POMEROL (0,62) et PESSAC LEOGNAN 0,56), les deux dégustateurs ont la même
hiérarchie. Si sur POMEROL et PAUILLAC, ils ont la même hiérarchie (sur les évaluations moyennes
et sur les notes maximales, les deux dégustateurs ne hiérarchisent pas les châteaux de la même façon
pour les autres appellations
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Conclusion
L’objectif de cette étude était de savoir si les différences affichées par les dégustateurs en matière de
dégustation étaient réelles ou s’il s’agissait simplement d’une stratégie de communication. Une étude
des évaluations de deux des plus grands critiques reconnus, Robert Parker et Franck Dubourdieu, pour
192 vins de Bordeaux sur 28 millésimes nous amène à conclure que ces différences sont bien réelles.
Elles apparaissent principalement au niveau des appellations en moyenne, pour l’homogénéisation des
notes dans les appellations , et non pour les notes maximales. Au vu du système d’évaluation de
notation de FD, les moyennes et les notes minimales ne sont pas intéressantes à interpréter. Cependant
on peut noter des préférences ou de spécificités pour chaque évaluateur sur certaines appellations
(PESSAC LEOGNAN et POMEROL pour RP ; SAINT ESTEPHE, PAUILLAC et SAINT EMILION
pour FD) dans une moindre mesure sur les châteaux. Si sur deux appellations , ils gardent la même
hiérarchie, ce n’est pas le cas pour les autres appellations. Nous pouvons conclure qu’au vu des
résultats Robert Parker et Franck Dubourdieu appartiennent bien à deux écoles bien différentes
Bibliographie
Ashenfelter O. et R.E. Quandt (1998): Analyzing a win e tasting statistically, liquidasset.com
Cliff, M.A. et King, M. (1999), Use of Principal Component Analysis for the Evaluation of Judge
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Dillon W.R. et Goldstein M. (1984), Multivariate Analysis, Concepts and Applications , John Willey
& Sons New York.
Dubourdieu, Franck (2000) : Les grands Bordeaux, Mollat.
Gawel, R., Iland, P.G., Leske, P.A. et Dunn, C.G. (2001), Compositional and Sensory Differences in
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Kendall, M. G. (1975). Rank correlation methods (4th ed.). London: Griffin.
Parker Robert (1999) : Les vins de Bordeaux, Editions Solar
Parker Robert (2001) : Guide Parker des vins de France, Editions Solar
Quandt Richard E. (1998), Measurement and inference in wine tasting, liquidasset.com
Saporta G (1990), Probabilités Analyse de données et statistiques, Editions Technip.
Thiney Marie -José (1992) : Petit guide d’œnologie , Mollat
Annexe 1 : Les évaluations moyennes de RP et FD
Dubourdieu
Parker
Moyennes des Moyennes des Moyennes des Moyennes des
Moyennes des Moyennes des Moyennes des Moyennes des
Moyennes
Min
Max
Ecart-type
Moyennes
Min
Max
Ecart-type
88,69
85,60
91,40
1,49 Pessac Leognan
84,28
66,67
94,33
4,79
89,21
86,57
92,17
1,78 Pauillac
84,38
66,00
92,07
5,67
87,96
84,00
91,00
1,66 Margaux
81,64
55,00
89,50
6,31
87,39
84,00
92,33
1,82 Saint-Estèphe
83,26
67,00
91,33
5,34
87,85
84,00
90,44
1,64 Saint Julien
84,47
66,20
91,45
5,71
86,49
84,00
90,00
1,71 Haut Medoc
83,72
55,00
90,33
6,64
87,45
85,50
89,90
1,20 Saint Emilion
81,69
55,00
90,50
7,07
88,98
86,00
94,50
1,87 Pomerol
86,64
79,50
93,64
3,41
9