Psychologue de rue, une expérience novatrice
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Psychologue de rue, une expérience novatrice
Psychologue de rue : Une expérience novatrice Caroline BIZET, 11 mars 2013 Je vais vous présenter le poste de « psychologue de rue » que j’ai exercé au sein d’un club de prévention spécialisée sur le Douaisis qui est un mode d’action éducatif en direction de jeunes et de groupes de jeunes en voie de marginalisation ou déjà marginalisés. Sa mission première est de créer des liens de confiance dans la durée grâce notamment à un travail de proximité et de partenariat. difficulté de garder, de maintenir une distance suffisante avec le public. 3 grands axes de travail : La présence sociale, le partenariat, et l’accompagnement psychologique. Premier axe de travail : la présence sociale. C’est assez innovant, on a l’habitude de voir les psychologues derrière leur bureau, en cabinet, en tout cas dans les murs. Là je fais du travail de rue, seule ou en binôme avec un éducateur. Je vais à la rencontre des habitants et surtout des jeunes de quartiers. Je rencontre régulièrement des groupes de jeunes, ils sont parfois en train de fumer leur joint, certains disent chercher du travail et se plaignent : « on ne trouve pas ! ». Ce n’est pas toujours simple d'aller à leur rencontre parce que ce sont surtout des jeunes hommes, il y a très peu de femmes qui se regroupent. Il faut dépasser les barrières : je suis une femme et je suis psy. Je fais aussi des permanences dans différents quartiers, un accueil avec ou sans rendez-vous. Ils peuvent venir vraiment librement. Dans certains endroits je propose un thé, un café, on n’est pas dans un cadre d’entretien formel. Les permanences ne se font pas seulement dans des locaux appartenant à l’association, mais aussi dans des locaux prêtés par une mairie ou un centre social pour que je puisse recevoir les jeunes. C’est donc vraiment en partenariat avec les communes et les associations. La présence sociale, être présent dans les quartiers, dans la rue, permet de dédramatiser le rôle et l’image des psy. On entend très souvent : « des psy : c’est pour les fous ». Ils ne savent pas bien distinguer les psychologues des psychiatres, des psychothérapeutes… Ils pensent que le psy ça retourne le cerveau, il y a plein d’anecdotes et de rumeurs qui sont alimentées. Ce qui est assez étonnant c’est qu’au final, avec le temps, je suis très bien intégrée, très bien respectée, de temps en temps, j’ai droit à « on sait que t’es psy, mais t’es pas comme les autres psy ! ». On me tutoie… Les personnes ne sont pas forcément en demande explicite, les L’origine du poste Les éducateurs de rue et les partenaires sociaux rencontraient des difficultés à accompagner certains jeunes dans leur démarche socioprofessionnelle à cause de troubles psychiques ou de troubles mentaux. De cette difficulté est apparue l’idée de créer un service d’accueil psychologique, d’avoir dans l’équipe un psychologue qui aille au devant du public, qui travaille en complémentarité avec les éducateurs. Le Directeur a mis presque 10 ans pour que le projet voie le jour en février 2006. Arrivée en tant que stagiaire, j’y ai travaillé de 2008 à 2013. Objectifs du service d’accueil et d’écoute psychologique L’objectif général du service est de prévenir et de prendre la charge la souffrance psychique des jeunes et des familles, et aussi de promouvoir les ressources et le bien être des personnes et des communautés dans une logique de prévention des conduites à risques. C’est une mission très large. Public Des jeunes de 10 à 25 ans, parfois au delà de 25 ans. J'accompagne aussi les familles, les parents. Ses principes sont les mêmes que ceux du service de prévention : la libre adhésion, la confidentialité, l’anonymat, la gratuité, l’absence de mandat et la non institutionnalisation des interventions. Ce sont des principes vraiment importants pour créer des liens de confiance avec le public, qu’il se sente libre d’adhérer ou pas et qu’il sache qu’on n’intervient pas à la demande d’un juge. Il n’y a pas la pression de rendre des comptes à la justice, et ça le public le sait. Le service est un service souple, mobile, de proximité, l’idée c’est d’être proche du public, j’y reviendrais après parce que vraiment c’est une 2 méthodes traditionnelles peuvent paraître froides surtout si elles se retrouvent face à un psychologue qui ne parle pas, Je l’entends souvent. C’est important de montrer qu’avant d’être une psychologue, je suis une personne à part entière et que je peux aussi communiquer avec eux « normalement », comme eux l’entendent. de mon groupe sur certaines choses ». La présence sociale permet donc d’accueillir, d’informer, il y a un gros travail, dans le travail de rue, de repérage des jeunes et des familles en souffrance (qui ne sont pas forcément en demande, mais qui montrent des signes de mal-être dans leur comportement), de création des liens de confiance, d'écoute et de soutien. Comme je suis au contact, je suis dans leur milieu de vie, dans leur quartier, je n’ai pas de cadre institutionnel visible à ce moment là, je dois donc avoir un cadre mental pour pouvoir ne pas oublier justement que je suis là en tant que professionnelle. En même temps, comme il n’y a pas ce cadre institutionnel, ça paraît plus sécurisant pour le public, ils ne se sentent pas menacé par une institution, ce qui permet de créer des liens de confiance. Ils voient plus le lien, comme un lien réciproque qu’un lien professionnel/usager, ça permet de communiquer plus facilement. L’idée c’est aussi de lutter contre la stigmatisation des personnes souffrant de troubles psychiques, tout type de troubles, y compris les troubles addictifs. Expliquer que les comportements qu’on observe chez certains jeunes ne sont pas forcément des actes de délinquances mais des signes de souffrances, expliquer ça non seulement aux parents, au public, mais aux professionnels de terrain qui, sans en être toujours conscients, mettent des étiquettes. Nous avons tous des stéréotypes et des préjugés que nous devons essayer de lever. Je craignais d’aller à la rencontre des jeunes en groupe qui fument leur joint parce que je me disais « ils peuvent être agressifs, c’est des dragueurs, à chaque fois, ils vont me juger, me provoquer. » Ça n’a pas du tout été le cas, simplement parce que j’ai osé les regarder dans les yeux et osé m’affirmer face à eux. Je n’ai pas eu un comportement de retrait, de méfiance. Ces groupes là, peuvent être très réticents à aller voir les psychologues ou les psychiatres. S’ils y vont c’est souvent parce qu’il y a des injonctions de soins, c’est le juge qui décide. Je suis étonnée qu’avec du temps, ils se livrent à moi, me racontent leur histoire. Je pense à un jeune qui m’a raconté son accident de moto et m’a dit « j’ai failli y passer », il est toujours dans une recherche d’adrénaline. J’ai lui ai reparlé de cet accident là en présence d'un autre jeune qui l’a regardé et lui a dit surpris : « tu lui en as parlé ? Tu lui as dit ? ». On peut lever des préjugés. Je pense à des jeunes d’origine maghrébine qui parlent toujours de « nous » au sens de « nous, dans notre religion on fonctionne comme ça » ou « dans notre culture », il y toujours ce « nous » et ce « vous ». J’ai réussi avec du temps à discuter avec certains de ces jeunes qui ont pu me dire : « je ne pense pas toujours comme le reste Deuxième axe de travail : le partenariat. Cela permet de mieux repérer et analyser les situations problématiques, faciliter le relais et coordonner les interventions de chacun, faciliter l’orientation du public vers les structures de soin et développer des actions collectives. Je travaille avec l’équipe de prévention : une petite dizaine d’éducateurs de rue, ou moniteurs éducateurs et aussi un médiateur santé qui vient d’arriver, qui est là justement pour accompagner dans les démarches de soins, les dossiers CMU.... Je me rends aussi disponible dans l’équipe pour pouvoir échanger sur les situations, essayer de se fixer des objectifs. Ce n’est pas si évident que ça en prévention, parce que le public est très mouvant, très instable. Pour ne pas se laisser manipuler par certains publics, il est important de se fixer des objectifs et des limites dans nos interventions ; ce n’est pas toujours simple quand on est dans leur milieu de vie. Je consacre presque 1/3 de mon temps à travailler avec les partenaires : ça concerne les jeunes eux-mêmes, ils vont venir me voir pour leur cousin, leur copain, les familles des jeunes, toutes les structures et associations éducatives et 3 sociales, le club de prévention, les centres sociaux, la mission locale, les service d’AEMO, la PJJ, les services d’aide aux victimes, c’est vraiment très large ; les structures de soin surtout, j’accompagne et j’oriente le plus souvent vers le CMP, le CSAPA ou le CMPP. Je vais me présenter en réunion d’équipe, aux réunions de comité de pilotage, aux réunions de suivi et de synthèse, et je participe aux réunions des réseaux existants dans le territoire : le réseau des conduites de consommations à risques et le réseau précarité/santé mentale. code à eux, c’est le tutoiement, j’ai mis un petit peu de temps à m'adapter et eux n’oublient pas malgré le tutoiement que j’ai un rôle de professionnelle. Avec le public, je dis souvent : « ensemble, à deux on réfléchit mieux ! » J’essaie d’évaluer les besoins de la personne, de fixer des objectifs, j’oriente vers les partenaires si besoin, ce n’est pas toujours nécessaire. J’interviens aussi dans des collèges à la demande de l’infirmière, de l’assistante sociale, de la CPE, il y a des jeunes qui sont en malêtre, qui expriment leur mal-être par exemple par la scarification. Avec quelques séances, on se rend souvent compte que c’était un événement ponctuel, une rupture sentimentale par exemple qui a créé le mal-être. On travaille sur quelques séances, il n’y a pas forcément besoin d’une prise en charge par l’équipe du CMP. J’accompagne sur le court et moyen terme mais j’explique dès le premier entretien que je ne suis pas là pour accompagner sur du long terme, qu’on est là pour essayer de voir, évaluer les besoins, les possibilités qui s’offrent à la personnes, mais je ne peux pas m’engager à accompagner sur le long terme, c’est un travail qui me demanderait trop de temps. Et puis ce n’est pas ma mission ! Dans certains cas, parce qu’il y a une trop grand réticence à aller au CMP, Il peut m’arriver de faire plus de la pré-thérapie que de la thérapie en elle-même. Je suis formée aux TCC, thérapies cognitivocomportementales, je vais pouvoir travailler sur quelques séances, si c’est sur une problématique très particulière comme un trouble d’affirmation de soi. Troisième axe de travail : l’accompagnement psychologique. Ecouter, soutenir de façon neutre et bienveillante. C’est une démarche de psychologie communautaire, se mettre à égalité avec le public, considérer l’autre comme expert de son quartier, de sa vie, de son milieu. Se mettre vraiment au même niveau que le public permet qu’il n’y ait pas cette position d’apprenant, ou de professionnel face à l’usager. Aider le public à verbaliser sa souffrance, aider à la mobilisation des ressources psychiques individuelles et collectives, informer et faire émerger des demandes de soins ; ça prend vraiment du temps. Je pense à une maman qui souffre de troubles dépressifs, elle a un traitement mais n’a jamais été prise en charge par un psychiatre ou un psychologue. Elle exprimait une crainte liée à cette pathologie anxieuse et dépressive : « j’ai pas ma place au CMP, peut-être que je prends la place de quelqu'un d'autre ». On a mis quelques mois à faire connaissance dans l’informel ; elle est venue une fois à ma permanence, ça a été très difficile pour elle de venir pour parler d’elle. Au bout d’un moment, avec le temps, ça a été mieux, je lui ai dit « tu as ta place, tu es légitime, tu as le droit, comme les autres d’avoir accès aux soins. » Maintenant elle est suivie au CMP. Le tutoiement est important dans un local où le public vient le soir prendre un café, échanger, jouer aux cartes, etc… Quand je suis arrivée, j’ai vouvoyé, j’ai serré la main, on m’a dit « si tu continue de vouvoyer, on ne te parle même pas, c’est pour nous un manque de respect », leur J’essaye toujours d’orienter, mais il arrive qu’il y ait un problème de mobilité, une résistance à aller au CMP « parce que je connais quelqu’un qui m'a dit que... », « parce que j’y suis déjà allé, et je ne veux plus y retourner », dans ce cas je ne refuse pas d’accompagner la personne, mais bon, sur le long terme c’est vraiment très rare. Les problématiques rencontrées sont très variées : des conflits familiaux, amicaux, des déscolarisations, du décrochage scolaire, des difficultés de logement, le 4 chômage, les difficulté d’insertion professionnelle, des deuils, des maladies, des accidents, etc… Comme j’ai un public tout venant, les types de troubles rencontrées sont également très larges, très diversifiées : troubles anxieux, dépressifs, addictifs, du comportement, psychotiques, de la personnalité. Certains jeunes et familles restent convaincus qu’ils n’ont pas besoin d’un psy, « j’suis pas fou !» C’est assez amusant d’entendre certains dire : « non, non, de toute façon je n’en ai pas besoin » et finalement se livrer malgré tout, rechercher le contact. D’autres se confient de façon informelle mais ne rentrent pas encore dans une démarche de soin, ils ne se sentent pas prêts. D’autres encore viennent spontanément vers moi, pour me demander une orientation, il y a le bouche à oreille qui fonctionne. Dans le bilan 2011, pour l’origine des demandes : 1/3 des personnes viennent spontanément ou par le bouche à oreille, 1/3 viennent à la demande d’un partenaire et 1/3 du service de prévention. On a aussi un groupe d’ados avec une éducatrice et un éducateur. Cela a démarré à la demande d’un jeune qui participe au groupe Slam, il s’est dit « je sais qu’il y a des mamans qui ont un groupe de parole, moi j’aime bien écrire, j’aimerai aussi participer à un groupe de paroles.» C’est donc parti du public. On a créé les séances selon leurs attentes, leurs demandes. On a ainsi abordé différentes thématiques : l’école, le travail, la famille, l’amitié, les relations amoureuses et on a utilisé des supports que j’empruntais au GRPS, des vidéos où d’autres ados parlent de leurs expériences ; ça amorçait le débat, c’était assez intéressant, on a fait aussi un jeu qui s’appelle « Brin de jasette », pour faire connaissance, pour commencer. L’année dernière avec une stagiaire, on a mis en place une action de sensibilisation à la santé mentale ouverte à tous publics. Elle visait à lever les préjugés et les fausses croyances concernant la santé mentale. Par exemple, nous expliquions qu’une personne dépressive, si elle ne se lève pas, ce n’est pas forcément parce qu’elle est fainéante, c’est parce qu’elle souffre, qu’elle est malade. Dans l’accompagnement psychologique, j’entends aussi les orientations, accompagner vers les dispositifs de droit commun, donc vers les partenaires : l’hôpital, les services de l’hôpital, les CMP, CMPP, l’équipe mobile de psychiatrie précarité, en thérapie familiale aussi ça peut arriver, la psychologue de la mission locale. Je rencontre tous les 2 mois l’assistante sociale et parfois le médecin du CMP enfant. Avec le CMP adultes, le partenariat vient de commencer, j’ai rencontré la médecin chef. Ça prend du temps, mais l’idée est de se faire connaître et pouvoir favoriser les prises en charge, enclencher une prise en charge plus rapide pour certains types de public, qu’ils puissent aussi me faire des retour si jamais il y a des ruptures de soins, que je puisse revoir la personne dans le quartier, voir un peu ce qui fait qu’elle ne va plus au rendez-vous. En conclusion le service d’accueil et d’écoute psychologique est un dispositif qui suppose l’existence de demandes masquées, qui propose une offre de contenant, une préparation et une véritable prise en charge, il s’inscrit dans une logique de prévention des conduites à risques et de lutte contre les discriminations. Pratique de psychologue de rue et Conduites de Consommation à risques Puisque le séminaire porte sur les addictions, je vais parler de ma pratique en lien avec les conduites de consommations à risque. Un exemple sur comment j'ai accompagné des parents dans la prévention des conduites de consommations à risques de leur fils : une maman m’a interpellée, elle connaît un peu le service, elle a travaillé avec une éducatrice ; elle m’appelle paniquée : « mon fils, je suis obligé d’aller le chercher au commissariat, c’est une catastrophe, il a fumé la chicha », en fait la Je participe aussi à des actions collectives, encore une fois pour dédramatiser l’image, le rôle du psy. Je fais parfois du bowling, du théâtre, des ateliers Slam, pour rencontrer les jeunes. 5 police l’avait emmené parce qu’il n’avait pas de papier d’identité. Comme c’est une maman très anxieuse qui a très peur que ses enfants tournent mal elle est très envahissante dans la vie de ses ados. Elle a eu elle-même des parents qu’elle dit alcooliques, elle a tout fait pour s’en sortir, elle a eu des galères, elle ne veut surtout pas que ses enfants vivent la même chose. Elle me dit « ça ne va pas, il est en garde à vue, ça y est, il entre dans la délinquance, il va falloir que je le place en foyer ! » Le jeune n’a pas supporté la façon dont le père posait les interdits et a levé la main sur lui, à un moment c’est allé vraiment très loin. Les parents voulaient absolument que je rencontre leur enfant, mais lui n’adhérait pas à la démarche. J’ai donc proposé aux parents de venir plutôt que de le rencontrer lui, parce qu’il n’était pas d’accord. Tout doucement on a travaillé sur les questions de l’adolescence, des changements, qu’estce que ça crée. La crise adolescente créait aussi une crise familiale, du fonctionnement familial. L’idée est de pouvoir les rassurer, de leur expliquer que le jeune essaie de tester ses propres limites, que souvent l’adolescent cherche à transcender les limites posées par ses parents pour mieux connaître les siennes, il a aussi un besoin d’appartenance sociale, donc oui, peut-être qu’il a commencé à fumer pour faire comme ses copains, que même s’il a adopté un comportement à un moment donné, il ne va pas forcément être fumeur de chicha toute sa vie. J’ai proposé aux parents de montrer leur désapprobation mais de ne pas couper la communication. Puis nous avons cherché à comprendre ce qui a pu déclencher les attitudes oppositionnelles de leur fils et à apprendre à adopter un mode de communication clair et positif. Les séances partaient de leur discours et expériences éducatives. Aujourd’hui, ça va un peu mieux, leur fils est moins dans l'opposition et respecte globalement les limites. les thérapies, quelque soit l’orientation, le courant, c’est le degré d’empathie, d’authenticité, de congruence lors d’entretiens avec le patient, je me base vraiment là dessus. Je me rends compte que les personnes qui entrent dans les conduites de consommation à risque ont vraiment des trajectoires de vie marquées par des moments de ruptures de liens. Je pense alors au syndrome d’auto-exclusion de Jean Furtos qui explique bien ce phénomène. On est dans la prévention aux trois niveaux : primaire, on essaye d’intervenir avant les premières apparition de conduites à risques, on favorise l’estime de soi, l’affirmation de soi, en prévention secondaire, l’idée c’est de pouvoir dépister, traiter dès les premières apparitions des conduites à risques et en tertiaire, favoriser la réinsertion sociale et professionnelle. Les ruptures de soins sont fréquentes. Il faut vraiment être patient, persévérant, se rendre compte de nos limites. Accompagner des personnes présentant des conduites de consommation à risque, ça prend du temps. Echanges - J’ai un problèmes avec l’exposé que j’ai trouvé très intéressant : vous n’arrêtez pas de dire « créer un lien de confiance » et on ne sait pas entre qui et qui, entre vous et les jeunes, ou est-ce que c’est entre les jeunes et quoi ? Si c’est un lien de confiance personnel, c’est bien, mais ce n’est pas la même chose que si c’est un lien de confiance entre les jeunes et je ne sais pas quoi. - Les liens de confiance, c’est avec le public, les partenaires, l’idée c’est de surtout ramener la confiance des jeunes envers l’Autre. Ils n’ont parfois plus confiance en l’adulte, à cause de leurs expériences personnelles. Dans un premier temps je cherche à ramener la confiance en montrant qu’il y a un adulte qui peut être solide, l’écouter, montrer que je m’intéresse à sa santé, à son bien-être. Le poste de psychologue de rue, c’est l’interface entre le social, l’éducatif et le sanitaire, je tente de lever aussi les Je me base sur des concepts de psychologie communautaire, j’aime beaucoup Carl Rogers, dans son livre sur le développement de la personne, il rappelle que ce qui fonctionne bien dans 6 préjugés sur les différentes institutions. Il faut du temps pour reprendre avec certains parents, donc le lien se fait avec du temps, mais je ne sais pas si je réponds à votre question ? Je peux donner un exemple, pour l'orientation en CMP : ça n’est pas toujours facile de faire la démarche, j’accompagne donc parfois lors du premier rendez-vous pour justement relayer ce lien de confiance ; les entretiens tripartites sont assez efficaces, je trouve, dans le passage de relais. autres ne l’ont pas » la relation de confiance aura du mal à se construire. Et d’autre part le positionnement de proximité, je trouve très intéressant que des psychologues, des éducateurs, des assistants sociaux aillent vers le public, se conforment aux usages des publics et se mettent à l’écoute des besoins du public, dans sa temporalité. Je crois qu’il est nécessaire que les psychologues soient dans des bureaux, que des éducateurs et des assistants sociaux puissent y être aussi, mais il est également nécessaire que ces mêmes professionnels aillent s’immerger dans le public avec leurs outils professionnels, pas simplement pour faire copain-copain mais vraiment de s’y définir comme professionnel. C’est donc avoir une autre disponibilité, une autre écoute possible qui ne diminue en rien la capacité professionnelle. Simplement elle ne va pas s’inscrire de la même manière. Tu fais vraisemblablement très peu de suivi individuel dans cette situation là - La confiance, tu ne l’acquières pas simplement parce que tu es présente dans le quartier. La confiance se construit avec le temps. A un moment il y a un éducateur, un étranger malgré tout, par rapport à l’espace du quartier (pour tous les jeunes c’est bien clair qu’il n’est pas du quartier), c’est quelqu’un qui y a pénétré, qui est accueilli, respecté, mais ce respect et cette connaissance s’acquièrent avant tout parce que l’éducateur en tant que professionnel amène des réponses. Je pense que la confiance c’est vraiment quelque chose qui se construit autour de la capacité et de la qualité professionnelle du professionnel, je pense qu’il n’y a pas d’amalgame, ce n’est pas une confiance simplement amicale, parce que t’es un pote, t’es sympa, c’est vraiment sur le côté professionnel que ça se joue. Je crois que c’est important d’insister là-dessus, ce n’est pas virtuel. - En fait, ce qui est intéressant dans votre posture, c’est la réactivité, parce que prendre rendez-vous avec un psychologue au CMP, c’est quasi impossible, où alors il faut être accompagné, quand on arrive seul comme ça, on n’a pas un rendezvous rapidement. Avec vous, on va avoir rendez-vous plus vite. - Ca permet de répondre rapidement aux besoins. - Et ça se mesure peut-être un peu à travers les personnes qui viennent par « le bouche à oreille ». - La réactivité sur le terrain c’est important. Si quelqu’un est en souffrance, moi ce que je repère en tant que professionnelle, je me dis « tiens là il y’a une professionnelle qui peut peut-être entrer directement en contact avec ces jeunes ». Donc c’est un peu comme les équipes mobiles psy, comme sur Lille, Diogène, des trucs comme ça. - C’est aussi montrer qu’on est fiable, parce qu’ils ont rencontrés des adultes qui n’ont pas été fiables. C’est aussi leur rappeler qu’« il existe encore des personnes et des institutions en qui on peut faire confiance. » - Il y a deux choses dans ce que tu dis par rapport à la création de liens de confiance et qui me semblent importantes : d’une part la question de la réciprocité dans les échanges, c’est un positionnement très important, si on est réellement dans une possibilité d’échanges ça aide à construire une relation de confiance, alors que si on est sur un plan « nous on a le savoir et les - Oui sauf que les équipes mobiles ne font pas de travail de rue, de présence sociale, comme le font les professionnels de la prévention spécialisée. - Vous avez une équipe mobile psy ? - Oui, mais sur le Douaisis, l’équipe mobile ne fait pas de travail de rue, ailleurs certaines équipes vont peut-être dans la rue faire des maraudes. Je travaille aussi 7 parfois avec eux, parce que dans leur équipe il y a une infirmière, un psychiatre, je peux parfois les faire venir pour rencontrer le public. l’entourage, c’est un petit peu contradictoire, mais en tout cas, par moment tu les appelles et à d’autres moments tu voudrais qu’il y ait plus de distance, donc c’était intéressant la façon dont tu le présentais, et ce que je voulais te demander : quand cette rupture des liens est consécutive à des situations traumatisantes ou à des violences dans la famille, dans ce cas, on pourrais peut-être se dire qu’on est dans des situations de traumatismes complexes et que la rupture de lien n’est pas uniquement dans ton secteur, des gens de confiance. Effectivement, on sait bien que lorsqu’il y a traumatisme complexe, il y a atteinte des liens et il y a atteinte de la capacité à faire confiance. Voilà c’était ma question. - En tant que travailleur social, je suis éducatrice spécialisée, je travaille dans la rue, la difficulté que je rencontre c’est de voir des personnes qui sont vraiment en souffrance psychique, et je sais qu’une réponse va être très longue. En tant que « racoleuse des institutions », c’est mon but de racoler un maximum de partenaires pour essayer d’avoir une réponse quasi immédiate. Je me dis que des équipes comme ça de proximité, ça irait peut-être plus vite, qu’on pourrait être dans une certaine réactivité, même si on sait que la personne va fuir après le soin, elle va fuir, mais au moins à ce moment là, elle a eu une réponse et a déjà approché quelque chose de l’ordre du soin, même si c’est une pause, un petit truc et qu’elle va revenir… ça se travaille sur 2-3 ans, mais au moins on a touché ça à un moment de crise, et je trouve ça pas mal. - Oui souvent il y a des traumatismes, je rencontre beaucoup de jeunes qui ont été placés, il y a pas mal de jeunes adultes qui ont des trajectoires de vie de ce type là bien sûr. Je pense à une jeune qui m’a raconté que son père est alcoolique et violent, que les parents sont en train de se séparer, c’est de ces ruptures là dont je parlais, la perte d’un des deux parents, ce qui peut créer des troubles de l’attachement. - J’aime mieux parler de passeur, c’est un peu plus optimiste ; quand on fait ce travail là, on fait un pont quand c’est possible d’accompagner quelqu’un vers un lieu où il n’ira pas tout seul. - Comment penses-tu que tu peux créer un lien dans un accompagnement vers les fameux psy qui sont inaccessibles ou pas, comment tu leur donnes envie d’y aller ? - La question de la confiance, je dirais que quand tu nous parles de cet aller vers l’autre, c’est effectivement, comment une personne peut s’appuyer sur toi, ou sur un tiers ou un éducateur ou un psy effectivement, faire l’expérience de l’appui, de la proximité vers quelqu’un, c’est sensible, humanisé, plutôt que de s’appuyer sur un passage à l’acte violent ou s’appuyer sur un symptôme, sur une bouteille. Je trouve que la question, c’est que s’appuyer sur quelqu’un est quelque chose d’essentiel lorsqu’on ne va pas bien et au plus il y a de la proximité (je préfère le terme de proximité parce que je pense que tu vas à leur rencontre)… je trouve que ces personnes là, ne vont pas aller dans un CMP pour s’appuyer, ils vont s’appuyer sur le proche, et ça c’est vraiment intéressant dans ta posture. J’aurais une question : quand tu parles de rupture des liens, les exemples que tu utilises, la place des parents et la place de - Je prépare justement à l’orientation en leur expliquant déjà le fonctionnement général du CMP, ou du CSAPA. Il y a souvent un premier rendez-vous infirmier, puis peut-être avec le médecin, il y a un délai d’attente entre le premier rendezvous et le second. J’explique ce côté là, parce que j’ai des jeunes qui disent aussi « non, non je ne veux pas rencontrer 10 000 personnes ». Puis j’explique à l’usager qu’il a le droit de dire quand ça ne lui convient pas, et de demander s’il préfère un thérapeute homme ou femme, de telle orientation, de tel courant et j’explique les différences entre les courants théoriques en psychologie sans rentrer forcément dans le détail. Pour certains, je vais sentir qu’ils ne sont pas prêts à une thérapie psychanalytique, je le 8 marque dans les notes de relais au CMP, « ce jeune insiste sur le fait qu’il veut rencontrer un thérapeute qui interagisse avec lui ». Je sais qu’il y a des psychologues d’orientation psychanalytique qui vont être dans l’échange, d’autres moins et je pense que le médecin ensuite peut décider vers quelle personne orienter. Si jamais la démarche CMP se fait, c’est que la personne est prête, qu’elle a envie de mieux comprendre ce qui lui arrive, ce qui se passe, après il faut voir, je ne connais pas forcément toute les équipes du CMP, je ne sais pas comment ils travaillent mais je m’engage à chaque fois auprès de la personne à les revoir au moins une fois, ou à les appeler au moins une fois après la prise en charge CMP pour savoir si ça se passe bien comme ils le souhaitent. Je pense à un jeune que j’ai orienté vers l’équipe mobile, au deuxième rendezvous, il y va seul, et là l’infirmière avait une stagiaire ; elle lui a demandé « est-ce que ça te dérange qu’il y ait une stagiaire », il a répondu non. Puis quand je l’ai revu, il m’a dit : « ah lala je n’irais plus, il y avait une stagiaire ! » Il n’a pas osé dire que ça le gênait, et donc après, on peut retravailler ça. J’explique qu’ils travaillent comme moi, que je suis psychologue comme les psychologues qu’ils vont rencontrer. Je leur explique bien que mon poste est un peu particulier parce que j’interviens chez eux ou dans leur quartier et que du coup, j’explique mes limites. Je ne peux pas les accompagner sur le long terme parce que ce n’est pas les missions du poste, et aussi parce que comme on se croise trop souvent, on se voit dans d’autres contextes, j ne pourrais pas vraiment bien faire mon travail avec eux. Il y aurait trop de biais, du coup, je ne peux pas m’engager. - Moi je comprends, dans mon équipe, par exemple, les médecins qui travaillent avec nous le soir de 21h à minuit, c’est une volonté de travailler dans cet espace temps dans un bus de prévention. Le médecin chez nous fait le café, c’est important d’être dans cette posture de l’entre-deux, qui est un concept fort, parce que ce médecin travaille aussi dans un service d’addictologie, il va faire le lien grâce à cette proximité qu’il a dans le bus, quand après il sera dans la structure. Je comprends tout à fait cette posture de l’entre-deux, extra-muros qui va permettre de rendre accessible et ordinaire des choses qui peuvent faire peur, qui peuvent être de l’ordre du soin très protocolaire, parce que de toute façon nos publics, dans la structure d’addictologie vont avoir le même protocole que les autres, c’est aussi un cadre ; alors le fait d’avoir cette proximité avec cette personne, d’avoir fait connaissance déjà extra-muros, d’avoir déjà pu avoir par exemple des discussion dans un état d’ébriété… - Je travaille dans le même milieu que Caroline Bizet, effectivement, on n’a pas, nous, le dispositif qu’elle a développé au niveau du Douaisis. Tout ce qu’elle a rapporté, moi ça me parle, ça a du sens, d’autant plus que nous même, on cherche également à créer ces complémentarités un peu « santé ». Par exemple on bosse avec un psy, ce n’est pas du tout la même démarche de proximité dans la rue, mais c’est un psy attaché au club de prévention et lorsque les éducateurs repèrent soit le jeune, soit l’adulte, qui auraient besoin d’un accompagnement clinique, pas nécessairement dans la thérapie, plus dans l’éclairage et le soutien à la personne dans un contexte particulier, on invite, via les éducateurs, ces personnes jeunes ou adultes, à se rapprocher du psy. On essaie donc nous aussi de trouver des biais, parce qu’il y a une distance telle entre les personnes et le contexte CMP, et toutes les réponses sanitaires que parfois il est nécessaire de mettre ces entre-deux, et je pense qu’effectivement, cette initiative permet de faire un pas en avant. Je pense que ce que Caroline présente là aujourd’hui va se développer. Ensuite il faudra mesurer les effets sur d’autres lieux - Moi qui ai une culture purement sanitaire, donc une culture qui me dit chacun a sa tâche, chacun a son poste, là dans le travail de rue, que je ne connais pas du tout, vous m’avez pas mal embrouillée sur la répartition du travail à faire auprès des jeunes que vous voyez en proximité, dans ce travail du rue. Participant 9 mais nous, sur la métropole lilloise, on est en réflexion pour construire un peu ce genre de dispositif de proximité. Après il faut trouver les bons intercalaires. - Je pense que j’ai encore beaucoup de travail à faire pour la conceptualisation de ma pratique tant d’un point de vue de psychologie sociale que psychologie communautaire, psychologie clinique, psychologie cognitive. Pour penser comment utiliser les outils que j’ai pu acquérir lors de ma formation, à l’université ou dans les colloques, comme les outils pour pratiquer la restructuration cognitive par exemple, dans les entretiens individuels mais aussi de manière informelle et dans la rue avec des groupes de jeunes pour amener des débats, amener le questionnement, utiliser le questionnement socratique pour amener plus d’échanges. Notre façon d’intervenir dépend aussi de qui on est, l’idée c’est déjà de bien se connaître, de bien connaître ses limites. On est 3 psychologues dans le service, une sur Caudry, une sur Cambrai et moi sur Douai, nous n’avons pas la même façon de créer les liens, de travailler ; être psychologue c’est avoir un diplôme de psychologie et je ne sais pas comment le dire mais pour moi ça va au delà de ça, c’est utiliser les compétences que j’ai acquises tout au long de ma vie : mes expériences professionnelles et personnelles pour essayer d’apporter quelque chose au public. Merci de votre attention. 10