Paris – 8 mars 2015 Journée Internationale des droits de la femme
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Paris – 8 mars 2015 Journée Internationale des droits de la femme
Paris – 8 mars 2015 Journée Internationale des droits de la femme Discours de Marianne Durano, 23 ans. Normalienne, agrégée de philosophie, elle travaille actuellement sur les techniques de reproduction artificielle. Elle a co-écrit, avec Gaultier Bès et Axel Rokvam, Nos Limites, pour une écologie intégrale, paru aux éditions Le Centurion en juin 2014. Sous embargo – Seul le prononcé fait foi Introduction • Citation de Thierry Hoquet, Cyborg philosophie, p. 217 Ce texte est extrait de l'ouvrage Cyborg philosophie, écrit par Thierry Hoquet. Rappelons que ce dernier a été maître de conférences en philosophie à lʼuniversité Paris Ouest Nanterre La Défense, et enseigne actuellement à lʼuniversité Lyon III Jean Moulin. Ce ne sont donc pas les délires dʼun technophile isolé, mais les propos assumés par un intellectuel en charge de former des générations dʼétudiants en philosophie. Il faut également préciser que ce paragraphe n'a rien d'ironique : le personnage de Cyborg est pour Hoquet le symbole de l'avenir, qu'il se contente soitdisant de décrire. Le ton est typique de la philosophie d'anticipation, qui cache sa fascination pour la technique sous une description apparemment neutre, "ouverte". Plusieurs traits ressortent néanmoins de ce paragraphe : • Refus de toute filiation, de toute origine, de tout ordre historique. La naissance ne sʼinscrit plus dans une histoire (familiale, nationale), elle est le résultat dʼun processus technique. • La filiation est remplacée en effet par une vision instrumentale de la génération : « une poule nʼest que le moyen que lʼœuvre a trouvé pour faire un autre œuf » On ne nait plus, on est produit. • La femme qui porte lʼenfant est donc un instrument comme un autre, qui peut être acheté et même avantageusement remplacé par un autre instrument. Le problème qui se pose alors est bien résumé par la dernière question : «qui veut, qui voudra couver ? ». Cette question dépasse la question de la liberté des mèresporteuses : « qui voudra couver lʼenfant dʼun autre ? ». Elle va beaucoup plus loin en mettant en lumière la remise en cause de la maternité elle-même : « qui voudra encore couver dès lors que la gestation nʼest plus un mystère mais un acte technique marchandable, qui pourrait être suppléé par une machine ? » Quand la maternité se réduit à cela, il est bien normal que les femmes refusent de se laisser définir par leur pouvoir de donner la vie. Quand mon utérus est comparé à une machine, il est bien normal que je ne veuille pas être définie par mon utérus. On lʼaura compris, la GPA pose la question suivante : quel rapport entre corps féminin et puissance technique ? Nous répondrons à cette question en deux parties : 1) Une partie historique : la GPA est-elle lʼenfant bâtard des luttes féministes ? 2) Une partie dʼanticipation : de la naissance à la fabrication : le corps féminin comme premier territoire conquis par le transhumanisme ? 1) La GPA, enfant bâtard du féminisme ? Le recours aux mères-porteuses montre bien toute lʼambiguïté des revendications dʼémancipation féminine. Dʼun côté, il est peu de féministes qui ignorent lʼaliénation que représente la GPA. De lʼautre, cette dernière nʼest quʼune étape dans un processus plus global revendiqué par les féministes : la dissociation entre sexualité et reproduction. Nos adversaires fondent leur argumentation sur cette ambiguité. C'est pourquoi il est bon de savoir de quel héritage féministe la GPA est tributaire. Exemple de cette ambiguité : Colloque « La Maternité face au marché » organisé à Sciences Po le 3 décembre 2014. Question dʼune étudiante à Marie-Jo Bonnet => La GPA nʼest-elle pas la conséquence logique du slogan féministe « Mon corps mʼappartient » ? En effet, ce slogan sous-entend que mon corps est à moi comme une chose, un bien, que je peux louer, hypothéquer, vendre si je le désire. Réponse de Marie-Jo Bonnet : En effet, le problème consiste à considérer son corps comme un objet, un instrument, à être avec lui dans un rapport de propriété. Mais ce slogan « mon corps mʼappartient » est en réalité la mauvaise traduction dʼun slogan américain bien plus juste : « our bodies ourselves ». Nous sommes nos corps. Parce que nous ne sommes quʼun avec nos corps, lʼintrusion de la technique et du marché ne peut être vécue que comme une violence, un viol presque. Cette intrusion de la technique dans le corps de la femme se traduit de manière très concrète dans les nouvelles techniques dʼimagerie médicale : le corps féminin, et particulièrement le corps de la femme enceinte devient transparent. Le ventre nʼest plus opaque, lieu du mystère, et même lʼinstant mystérieux de la fusion des gamètes peut être aisément reproduit en laboratoire. => DPI, DPN, intervention chirurgicales in-utero, etc. Entendons nous bien : il ne sʼagit pas évidemment de condamner ces techniques, tout comme il ne sʼagit pas de contester le slogan « our bodies ourselves », mais de comprendre dans quel contexte sʼinscrivent les nouvelles techniques de reproduction. La GPA, cette désacralisation de la naissance, rabaissée au rang dʼacte marchand comme un autre, nʼest possible et compréhensible que grâce à ces progrès techniques qui ont en effet constitué un progrès certain dans la prise en charge de la grossesse, et la compréhension du corps féminin. Mais le revers de cela est que la grossesse est réduite à nʼêtre, comme le dit Henri Atlan, le célèbre biologiste et généticien, « quʼun problème de tuyauterie très compliqué. » Enfin, la GPA est un héritage des luttes féministes marxistes, qui ont obtenu que lʼon reconnaisse à lʼactivité des femmes, notamment au foyer, le statut de « travail ». Dans ce contexte, la gestation peut être comprise comme un « travail », et par conséquent être encadrée juridiquement comme tel (cʼest la fameuse GPA éthique), et monnayée comme tel. Dʼoù la fameuse phrase de Pierre Bergé, chantre du libéralisme, qui s'inscrit ironiquement dans une filiation marxiste. On voit ici soit dit en passant le lien entre la GPA, la maternité-travail, et les études de genre, qui fondent la féminité, non pas sur une nature, mais sur un statut social identique au statut de telle ou telle catégorie de travailleurs. Et encore pour une féministe radicale comme Donna Haraway, cʼest être encore trop essentialiste que de fonder lʼunité du genre féminin sur une activité qui serait exclusivement féminine. Cʼest pourquoi elle se réjouit de lʼutérus artificiel comme de lʼultime moyen de faire du « travail reproductif », comme elle dit, une activité neutre, qui ne puisse même plus définir une catégorie socioprofessionnelle quʼon appellerait « femmes ». => Pour résumer, la GPA est l'enfant monstrueux de luttes féministes légitimes : 1. "Mon corps m'appartient" devient "mon corps est ma propriété" : le corps de la femme devient une chose, un bien monnayable. 2. Les techniques qui permettaient un meileur accompagnement de la grossesse deviennent un instrument de contrôle et de manipulation du corps féminin : le corps de la femme devient un matériau manipulable 3. La reconnaissance du travail domestique devient réduction de la grossesse à une activité salariée parmi d'autre : le corps féminin devient un instrument de travail On voit bien ici en quoi la GPA est le résultat de lʼemprise de la technique et du marché sur le corps féminin. Les deux sont indissociables : la technique, et le marché, légitimés par le combat des féministes elles-mêmes. Là est la perversion, et voilà pourquoi il est si difficile dʼargumenter contre les techniques de reproduction artificielle sans avoir lʼair de remettre en cause le droit des femmes elles-mêmes. Cela introduit notre deuxième point. Nous avons vu que la GPA était en effet lʼenfant paradoxal des luttes féministes de la 2ème moitié du XXème siècle. Mais quʼen est-il des féministes contemporaines ? Il faut distinguer à ce propos deux courants opposés et rivaux : lʼéco-féminisme, différentialiste et anti-techniciste, et le cyberféminisme, déconstructiviste et proche des courants transhumanistes. Lʼéco-féminisme, né aux Etats-Unis, présuppose quʼil existe une essence féminine, fondée sur la capacité de la femme à donner la vie (on peut ranger schématiquement dans cette catégorie des femmes comme Sylviane Agacinski et Nancy Huston). Dans cette perspective, les éco-féministes considèrent les nouvelles techniques de reproduction artificielle, de la PMA au clonage, comme une étape de plus dans le grand processus de domination masculine, qui considère le corps de la femme une marchandise. Lʼutérus artificiel étant alors lʼultime dépossession que préfigure la GPA. Ce qui était lʼapanage de la femme devient un acte technique : sa spécificité lui est volée, et devient lʼaffaire des savants (ce qui donne à réfléchir quand on connaît lʼeffarante proportion dʼhommes dans la recherche scientifique, 80% aux Etats-Unis). => Parler éventuellement des sages-femmes remplacées par les médecins (témoignage de Matondo), de la dépossession de la grossesse surmédicalisée, etc. Ce qui est intéressant dans cette approche cʼest quʼelle resitue la GPA et toutes les techniques de reproduction artificielle dans une perspective plus vaste, qui prend en compte la manière dont est vécue la grossesse en général dans notre société. > La GPA, les techniques de reproduction artificielle, influe sur toutes les grossesses : la mienne, la votre, en en changeant le sens, la symbolique sociale. • Concernant cette assimilation du corps féminin à une machine, il est instructif de lire les protestations quʼélève, contre cette comparaison, Monique CantoSperber, dans son livre Naissance et liberté p. 219 : « Quant à la comparaison de la mère porteuse avec une machine, il y a aussi de nombreuses raisons de la nuancer. La mère porteuse assure en effet la même fonction quʼune couveuse, qui est bien une machine. Mais, là encore, la femme gestatrice est une machine dʼun genre particulier. Elle peut mettre un terme à la grossesse quand elle le souhaite, ce qui nʼest pas le cas dʼune machine. Elle peut garder son produit, si lʼon peut dire, à savoir lʼenfant, pour elle-même, ce quʼune machine ne saurait faire. Enfin, on peut imaginer quʼelle prendra soin de cet enfant en ne compromettant pas la grossesse et, sans développer nécessairement des relations maternelles à son égard, elle lui sera liée par une certaine bienveillance, ce qui la distingue clairement dʼune machine. » Le problème de cet éco-féminisme est quʼil fonde la féminité sur la maternité, tout en dénonçant le fait que la maternité ne soit plus lʼapanage des femmes. Si donner la vie nʼest plus un privilège féminin, peut-on encore fonder la féminité sur la maternité ? Cʼest sur ce constat que sʼétablissent les théories dites cyberféministes, sur lesquelles nous nous appesantiront davantage, car il est plus intéressant de connaître ses ennemis que ses amis. Quʼest-ce que le cyberféminisme ? Cʼest lʼidée selon laquelle la technique est à même de libérer la femme des inégalités dont elle est victime, au 1er rang duquel, évidemment, la maternité. > Monique Canto-Sperber, p. 267 : « Le cas de lʼectogénèse est un objet de réflexion intéressant, car cette pratique, si elle devait voir le jour, permettrait dʼétablir une totale égalité entre les hommes et les femmes. Le rôle des femmes dans la procréation deviendrait en effet identique à celui des hommes. Libérées de la douleur de lʼenfantement et des servitudes de la grossesse, les femmes pourraient avoir des enfants, comme les hommes, sans préjudice pour leur carrière. Alors que les hommes réussissent dans leur carrière aussi bien que dans leur vie de famille, les femmes, à lʼinverse, doivent souvent sacrifier leur vie professionnelle si elles souhaitent avoir des enfants. Pareille inégalité entre hommes et femmes serait gommée grâce à lʼectogénèse. De plus, la maternité serait comme la paternité : construite et non plus donnée par les corps. Le sexe du parent, quʼil soit femme ou homme, nʼentraînerait aucun statut particulier quant à la grossesse. » > Rappeler lʼaffaire des employées du GAFA à qui on finance la congélation de leurs ovocytes. > « Au moment de conclure ce chapitre consacré à la grossesse, il faut souligner que tous les problèmes moraux évoqués jusquʼici disparaîtraient pour lʼessentiel si la grossesse avait lieu dans un utérus artificiel. En particulier, lʼectogénèse permettrait de dépasser les difficultés morales que suscite la pratique des maternités de substitution, lorsque les couples sont infertiles ou de même sexe. De plus, lʼutérus artificiel permettrait dʼesquiver les problèmes éthiques liés aux grossesses postérieures à la ménopause. » Donc, si lʼon suit les propos de qqun comme Monique Canto-Sperber, la technique permettrait de libérer la femme, et de compenser, par une technicisation toujours plus grande (lʼutérus artificiel) les problèmes quʼentraîne cette même technicisation. => Ainsi pour les grossesses post-ménopause : la technique permet à des femmes de rester féconde plus longtemps, grâce à la PMA. Mais le problème est que le corps d'une femme de 45 ans n'est plus adapté pour accueillir un foetus. Donc la GPA permet de résoudre un problème qui ne se serait pas posé sans la première intervention technique que constitue la PMA. De même l'utérus artificiel permettrait selon Monique Canto-Sperber de résoudre les problèmes posés par la GPA. On le voit, le cercle est sans fin. Coluche disait : "le mariage c'est résoudre à deux des problèmes qu'on aurait jamais eu tout seul", nous pouvons le paraphraser en disant : "les techniques de reproduction artificielle permettent de résoudre des problèmes qu'on aurait jamais eux sans elles." Quel est alors la prochaine étape du processus ? Les fantasmes transhumanistes, clonages, utérus artificiel, etc. relèvent-ils seulement de la science-fiction ? 2) De la naissance à la fabrication : le corps féminin comme premier territoire conquis par le transhumanisme ? Où en sommes-nous dans la recherche sur la reproduction artificielle ? A. Lʼutérus artificiel On est déjà capable de reproduire artificiellement le début et la fin de la grossesse. Dans le cas dʼune FIV, lʼembryon peut se développer en laboratoire jusquʼau stade de blastocyte, càd jusquʼà 5 jours après la fécondation (cʼest dʼailleurs cette technique qui rend possible la GPA). Dans le cas des très grands prématurés, le fœtus peut se développer en couveuse à partir de la 24ème semaine de grossesse, soit environ 5 mois de grossesse. La question est de savoir comment combler ces 5 mois pour lesquels on a encore besoin du ventre dʼune femme. Rien dʼimpossible pour Henri Atlan, célèbre biologiste et auteur dʼun essai consacré à la question. • Utérus Artificiel p. 29 : « Contrairement aux essais de clonage, de parthénogénèse ou de bouturage dʼorganismes animaux, qui posent des questions fondamentales difficiles quant à leur possibilité théorique, on ne touche ici à rien de fondamental du point de vue de la biologie du développement. Il ne sʼagit, en forçant le trait, que dʼun problème de tuyauterie très compliqué. » Pour passer de nos connaissances actuelles à lʼutérus artificiel, on peut soit chercher à accroître la durée de survie de lʼembryon en laboratoire au début de la grossesse, soit travailler à une prise en charge toujours plus précoce des bébés prématurés. Ainsi en 2002, Helen Hung Ching Liu et son équipe de lʼuniversité de Cornell, aux Etats-Unis, on tenté de reproduire lʼimplantation dʼembryons humains dans une ébauche dʼutérus artificiel. Les embryons introduits dans la cavité artificielle sʼy sont attachés et ont commencé à se développer normalement. Mais lʼexpérience a du être interrompue au bout de 6 jours, pour des raisons légales. Au Japon dès 1990, Yoshinori Kuwabara, de lʼuniversité de Tokyo, a fait se développer des fœtus de chèvre jusquʼà lʼâge de trois semaines (sachant que la durée de gestation dʼune chèvre est de 5 mois). Il utilisait un liquide amniotique artificiel qui est utilisé en service de néonatalité pour les grands prématurés. Pour ce qui est de la 2de méthode, on sait les progrès impressionnants réalisés en quelques années dans la prise en charge des grands prématurés. Lʼutérus artificiel ouvre des perspectives vertigineuses à la recherche scientifique => Atlan : si utérus artificielle, plus dʼobstacle à la recherche sur le clonage, et les manipulations génétiques appliquées aux embryons humains. B. Clonage et autres trafics Lʼutérus artificiel nʼest quʼun élément dans lʼemprise toujours plus grande que la technique acquiert sur la grossesse. En toile de fond, ce qui se joue également, cʼest la capacité de lʼhomme à choisir les caractéristiques de sa descendance. > Ainsi au colloque « la maternité face au marché », le généticien Jacques Testart, père du premier bébé éprouvette, soutenait-il quʼà lʼavenir, les bébés nés artificiellement bénéficieront dʼun avantage sélectif sur ceux dont le patrimoine génétique a été laissé aux aléas de la nature. En cela, il rejoint curieusement Thierry Hoquet, qui écrit p. 196 : « Nous aurons à répondre aux accusations des générations suivantes : « Par quelle étrange et profonde superstition pouviez-vous vous en remettre au hasard pour la production des enfants ? Les engendriez-vous vraiment dans des femmes ? » » Evoquer brièvement le DPI, le DPN, lʼaugmentation des marqueurs autorisés (ex. le strabisme en Angleterre). Choix du sexe possible dans certaines cliniques. Toutes ces innovations sont présentes dans la GPA puisquʼon peut choisir ses gamètes sur catalogue, ainsi que la mère porteuse. On fait actuellement en laboratoire des tentatives de clonage : Travaux de lʼéquipe dʼHui Zhen Sheng, de Shanghai, qui a réussi à produire des cellules souches viables à partir du transfert dʼun noyau humain dans un ovule de lapine. Equipe coréenne de Woo Suk Hwang, qui a produit des cellules souches embryonnaires (qui auraient pu être implantées) par auto-clonage : lʼovule énuclée provenait de la femme sur qui les cellules adultes donneuses de noyau avaient été prélevées. Si lʼembryon ainsi produit avait été implanté dans le ventre de la même femme, on aurait eu un cas de parthénogénèse. On arrive actuellement à transformer des cellules de souris en gamètes. Pour lʼinstant, la seule limite à ces expérimentations est dʼordre éthique : on ne peut pas implanter ces embryons dans des corps de femme (ni utiliser des ovules humains) en raison du traumatisme que constituerait le développement de fœtus possiblement monstrueux dans la chair dʼun être doué de raison. > Heureusement, Atlan a la solution : « Pourtant, lʼectogénèse, là aussi, brouillerait considérablement les cartes. En effet, en permettant de se passer du corps dʼune femme, elle permettrait de transférer directement ces pseudo-embryons dans des utérus artificiels. Dans ces conditions, où une expérimentation humaine ne sera plus nécessaire, les biologistes résisteront mal à la tentation dʼétudier, pour voir, comment et jusquʼà quel stade des organismes, et lesquels, pourraient alors se développer. Une telle étude, ne portant que sur des constructions artificielles en laboratoire, nʼimpliquerait en effet lʼutilisation dʼaucun sujet, notamment dʼaucune femme, comme objet dʼexpérimentation, ni comme source de gamètes ni comme lieu dʼimplantation utérine. Quant au noyau de cellule humaine à transférer dans lʼovule de lʼanimal énucléé, il serait facilement prélevé à partir dʼun tissu, par exemple la peau ou le sang de lʼexpérimentatrice ou de lʼexpérimentateur eux-mêmes. (…) » p. 76 On pourrait multiplier les exemples de ce genre. Mais cela est inutile. Le but de notre propos est de montrer que, dans les laboratoires comme dans les universités, lʼaprès-GPA se prépare : un avenir où la technique bidouille le vivant, remplace la naissance et la nature (nature vient nascor, naître). Le corps de la femme, en tant que lieu de la vie et de la naissance par excellence, est un terrain de prédilection pour ces apprentis-sorciers. Cʼest même lʼenjeu décisif de leurs recherches : quand lʼhumain ne sera plus né dʼune femme, mais fabriqué en laboratoire, alors on pourra véritablement le modeler à notre guise, éliminer ses tares. Les techniques de reproduction artificielle sont le cheval de Troie par lequel le transhumanisme pénètre dans la société, via le vagin de ces dames. Face à ce processus, vous trouverez peu dʼauteurs aussi francs que ceux que je vous ai cités. Et encore, ceux-là mêmes masquent leurs rêves transhumanistes sous un voile dʼobjectivité, des « pourquoi pas ? » qui ne disent rien, ou plutôt qui nʼosent rien dire. Vous trouverez peu dʼauteurs qui exposeront en quoi il est bon et souhaitable que la génération ne soit plus une affaire contingente, humaine, mystérieuse, mais un processus maîtrisable, technique, rationnel. En revanche, vous trouverez des gens pour dire quʼil faut « accompagner le progrès des sciences », « interroger les possibles », « ouvrir de nouvelles perspectives à la réflexion » : bref, des gens pour ne rien dire. A ce type de progrès, il faut sʼopposer de peur quʼils ne sʼimposent. On ne peut se contenter dʼinterroger la technique comme un objet neutre, une curiosité inoffensive, car peu à peu elle imprègne nos modes de vies, modèle nos représentations, jusquʼà ce quʼil soit trop tard pour y renoncer. Il faut vraiment insister là-dessus : les techniques de reproduction artificielle ne concernent pas seulement ceux qui y ont recours. Déjà, le simple fait que des chercheurs, scientifiques et philosophes, parlent de « matériau génétique » à la place « dʼembryon », de « lieu dʼimplantation » à la place « dʼutérus » affecte profondément la manière dont notre société pense la grossesse, la place quʼelle lui réserve, et la manière dont les femmes elles-mêmes finissent par vivre leur maternité. La technique nʼest pas neutre, objet dʼun choix libre de toute contrainte. Les progrès techniques, et les représentations quʼils charrient transforment même ceux qui les refusent le plus radicalement. Comment ? En les forçant à se définir contre elles. Le but du combat idéologique est de forcer nos interlocuteurs à prendre position, à sortir du "pourquoi pas", à avouer leurs fantasmes, dont les extraits que je vous ai lu ne sont malheureusement qu'un avant-goût.