Histoire de Clisson

Transcription

Histoire de Clisson
CLISSON
ET SES
MONUMENTS
par
le Comte Paul de BERTHOU
ancien élève de l’Ecole des Chartes
Illustrations par M. l’abbé Joseph BOUTIN
- 1910 (et supplément de 1913)
-1-
En 1910, Paul de Berthou (1859-1933), ancien étudiant de l’École des Chartes,
s’appuyant sur une connaissance quasi exhaustive des documents et archives historiques,
publie "Clisson et ses monuments - étude historique et archéologique". En 1913, il complète
cette étude d’un "supplément". Dans sa totalité, l’ouvrage est composé de trois parties :
- Route de Nantes à Clisson,
- Clisson et ses monuments,
- Histoire de Clisson,
auxquelles s’ajoutent des "Documents et pièces justificatives".
Les pages qui suivent réunissent les chapitres consacrés à l’Histoire de Clisson,
commence à ses origines, pour s’arrêter aux événements de 1832. Ce qui laisse penser que
l’auteur y voit une coupure essentielle dans l’histoire de la région, et dans celle de la
Bretagne en général,
HISTOIRE de CLISSON
Chapitre I. ..... - Des origines à la fin du XIIIe siècle ..................................... 3
Chapitre II. .... - Du commencement du XIVe siècle à 1419 ....................... 12
Chapitre III. ... - De 1420 à la fin du XVIIe siècle ........................................ 25
Chapitre IV. .. - Du commencement du XVIIIe siècle à 1786 ..................... 38
Chapitre V. ... - De 1789 à 1832 ................................................................. 44
-2-
HISTOIRE de CLISSON
CHAPITRE - I
Des origines à la fin du XIIIe siècle
Nous ne sommes pas suffisamment renseigné pour donner avec certitude le sens
étymologique du nom de Clisson. On peut le rapprocher de celui de l'Aula Clis près de
Guérande, qui a peut-être une même origine. L'on a crû trouver cette origine dans le mot
latin clivus, opinion que les lois de la philologie ne nous permettent pas d'admettre. Si ce mot
avait donné quelque chose en français, ce qui d'ailleurs n'est pas arrivé, son cas sujet,
clivus, remplacé, comme toujours, par son cas régime, clivum, aurait produit le mot clif,
comme tardivum a donné tardif ; captivum, chetif ; motivum, motif. Les plus anciennes
formes de Clisson que présentent les textes, sont d'abord Clicium, Cliceium, puis Clizo,
Clizonium, en français Clizun, Cliczon, Clichon1. Son étymologie nous paraît devoir être
cherchée dans le mot clisse2, treillis de branches, d'où enclos entouré de haies entrelacées.
Ce genre de clôture, au dessus d'un rempart de terre avec fossé, constituait une fortification
sommaire, très usitée au début de la période féodale, et plus ordinairement désignée par le
mot plessis3, auquel on ajoutait d'ordinaire le nom d'un de ses premiers seigneurs. Si le nom
de lieu, Clisson, se présentait quelque part, suivi d'un nom d'homme, nous n'aurions plus de
doute ; mais il n'en est pas ainsi, et nous n'osons soumettre au lecteur notre explication, que
comme une hypothèse acceptable.
Il y a plusieurs fiefs du nom de Clisson, en Gâtine et en Bas-Poitou. Le principal, avec
manoir important, est situé en la paroisse de Boismé, près de Bressuire, en Poitou, et
appartint pendant 500 ans à la famille Sauvestre 4. Il passa enfin, mais nous ne savons
comment, à la famille De Salgues de Lescure, originaire du Comtat Venaissin : c'est là que
résidaient le marquis et la marquise de Lescure, au début de la grande guerre de 1793, à
laquelle ils allaient prendre une part si glorieuse, et qui devait les illustrer tous deux5.
Le Clisson dont nous nous occupons ici, est sur un territoire uni à la Bretagne depuis 850,
mais primitivement dans le pays des Pictones, pays compris, à la fin du IV e siècle et sous
Valentinien 1er, dans l'Aquitania Secunda, formée elle-même d'une partie de l'Aquitania
d'Auguste6.
1
Les formes latines Clizo, Clizonium, nous paraissent calquées sur une forme française.
Voir le "Dictionnaire de la langue française", par Littré, à ce mot.
3
C'est-à-dire enclos de branches pliées. Voir le "Glossaire" de Du Cange, au mot Plexitium.
4
Voir "Dictionnaire historique des familles du Poitou", par M. Beauchet-Filleau, 2° édition, tome II, p.
547.
5
"Mémoires de Mme la marquise de la Rochejaquelein", 4°édition, 1817, pages 38, 50
6
Voir Strabon, "Géographie", IV, 2 ; — Pline, livre II, chap. VI, §§ 3-4 ; — "Atlas historique de la
France", par M.Lougnon Paris, Hachette planche 1.
2
-3-
Le pays des Pictones ou Pictavi s'étendait jusqu'à la Loire qui le séparait de l'Armorique.
Dans le courant du IVe siècle, les Empereurs y avaient établi une colonie de soldats
Sarmates, appelés Teifali7, d'où le nom de pagus Teofalgicus, Teofalgia (Tifauge), donné, à
l'époque franque, la région habitée par ces barbares, et occupant une place entre la Loire au
Nord, le pagus Medalgicus (Mauge) à l'Est, le pagus Herbadilicus (HIerbauge) à l'Ouest, et le
pagus Toarcensis (Thouars) au Sud. Ces pagus devinrent autant de comtés. Clisson fut
fondé dans le pagus Teofalgicus.
L'on peut supposer le pagus Teofalgicus autour des rives de la Sèvre Nantaise et de la
Moine ou Maine de Montaigu, entre le ruisseau de la Divatte et les environs de la Boulogne
et du lac de Grandlieu, d'une part ou de l'Est à l’Ouest ; entre la Loire et la naissance de la
rivière du Lay en Poitou, d'autre part ou du Nord au Sud8.
Tifauges fut anciennement et tout d'abord une place des Teifali, le nom l'indique et le fait
ne peut être douteux ; mais, au XI e siècle, lors de la Constitution des Marches de Bretagne
dont nous parlerons tout à l'heure, Tiffauges en fut exclu, et resta au Poitou, en dehors des
Marches sur lesquelles s'étendait cependant presque tout son territoire. Il semble même que,
dès le lXe siècle, la forteresse de Tiffauges ne fût plus comprise dans le comté de ce nom, où
elle ne retourna jamais depuis9.
L'on a plusieurs fois supposé que le château de Clisson avait succédé à un castrum galloromain. Nous ne croyons pas cependant que l'on ait jamais reconnu les traces de cet
ouvrage. A-t-on même trouvé à Clisson des débris romains, seule preuve certaine de la
préexistence d'une station antique ? C'est ce que nous ignorons absolument. Des voies
romaines assez peu connues se croisent aux environs, nous l'avons déjà dit ; et l'une d'elles,
venant de Mortagne et que nous avons signalée au Pallet, paraît avoir passé près de Clisson
et côtoyé la Sèvre au dessous de Loiselinière, pour rejoindre, avant Nantes, la grande voie
de la Table de Peutinger, de Poitiers à Nantes ; mais rien ne prouve qu'il y eût alors un
castrum ou une station quelconque à Clisson.
Jusqu'à nouvelle découverte et preuve contraire, nous croyons donc que le château et la
ville de Clisson sont de fondation et d'origine féodales. D'ailleurs, le nom de Clisson ne se
trouve, à notre connaissance, dans aucune charte antérieure au milieu environ du XI e siècle,
et aucune chronique n'en fait mention avant la môme époque10.
"L'Histoire de Saint Martin de Vertou" nous apprend qu'au milieu du VIe siècle, la Teifalie
était loin d'être évangélisée, et nous avons déjà fait allusion aux contradictions et aux
difficultés que rencontra, dans cette région poitevine, le missionnaire envoyé par Saint Félix.
Saint Martin de Vertou vit enfin ses efforts couronnés de succès, et on lui doit la fondation
des diverses paroisses qui sont encore sous son vocable, entre Vertou et Montaigu.
En 843, Lambert II, comte de Nantes, ayant rompu avec Charles le Chauve, son
souverain, et étant devenu l'allié de Nominoé, duc on chef des Bretons établis en Armorique,
vainquit et tua dans une rencontre près de Blain, Rainald, appelé comte d'Herbauge, en
réalité gouverneur du Bas-Poitou au nom du roi Franc. Lambert conquit ainsi toute la région
poitevine, située sur la rive gauche de la Loire, c'est-à-dire les comtes de Mauge, de Tifauge
et d'Herbauge, et les confia à trois seigneurs dont il avait à récompenser les services.
Gonfier, son neveu, eut le comté d'Herbauge, un certain Rainier reçut le comté de Mauge, et
le comté de Tifauge, Teofalgia, échut à un seigneur du nom de Girard.
7
Voir Ammien Marcellin, "Histoire des Empereurs Romains", livre XVII, chap. 13, § 11 ; — "Notitia
dignitatum imperii romani occidentalis" (Édit. Bocking, Bonn, 1839-1853, 2 vol, in-8°), chap. 40 §
4 ; "Præfectus Sarmatorum gentilium et Taifalorum gentilium, Pictavis in Gallia" ; — Grégoire de
Tours, "Vitæ patrum" ; "Vie de Saint Senoch".
8
"Géographie historique du comté Nantais", par M. Léon Maître, tome II : Introduction. Les conquêtes
bretonnes au delà de la Loire, avec carte des « pagi » bretons d'outre-Loire : la Teiphalie ; —
"Les marches séparantes..." par M. Chénon (ouvrage cité plus haut, page 104), pages 7-8.
9
Voir M. Chénon, op. cit., page 14 ; - "Histoire de Tiffauges", par M. Prevel (Société Archéologique de
Nantes, 1873, pages 191-206).
10
On chercherait en vain le nom de Clisson dans la Chronique de Nantes.
-4-
Lambert eut le courage et la puissance de défendre ses conquêtes contre les troupes de
Charles le Chauve. En voulant les reprendre, Bégon, dit "prince d'Aquitaine"11 et très
probablement simple successeur de Rainald, comme comte d'Herbauge et gouverneur du
Bas-Poitou, fut encore vaincu et tué, à "Durinum (Montaigu), bourg de la Teifalie". Deux
autres comtes, envoyés par le roi, trouvèrent aussi la mort bientôt après, en 844, dans la
même entreprise. Depuis lors, la portion du comté de Tifauge, dans laquelle se trouve
Clisson, n'a jamais cessé d'appartenir au comté de Nantes.
En 845, Nominoé fit lui-même une incursion victorieuse en Poitou ; puis défit
complètement Charles le Chauve près de Redon, à la célèbre bataille de Ballon, qui lui valut
le titre de roi et l'indépendance complète vis-à-vis des Francs. Cependant la souveraineté de
Nominoé s'arrêtait alors à la Vilaine. Rennes et Nantes ne faisaient point encore partie de
ses états12.
C'est en 850 que le roi Breton prit les comtés de Rennes et de Nantes, ce dernier
augmenté des conquêtes de Lambert au Sud de la Loire. Cette fois, le territoire de Clisson
était bien, et pour toujours, en Bretagne13.
L'on sait qu'après s'être emparé de l'Anjou et du Maine jusqu'à la rivière de Mayenne,
Nominoé, chassant devant lui les troupes franques à travers la Beauce, mourut tout à coup,
en 851, au milieu de son triomphe et comme il s'approchait de Chartres.
Par le traité d'Angers, en 851, Erispoé, fils de Nominoé, reçut de Charles le Chauve, avec
les ornements royaux, l'investiture de toutes les conquêtes de son père, y compris le "pagus
Ratensis" écrit l'annaliste de Saint-Bertin. Ces mots qui, dans leur sens strict, signifient
seulement le pays de Rais, circonscription occupant l'angle Nord-Ouest du comté
d'Herbauge, doivent être pris ici dans un sens plus large. L'annaliste écrivait bien après les
événements, et entendait certainement désigner ainsi toute la marche franco-bretonne,
appartenant de fait aux princes Bretons depuis 850, c'est-à-dire, au Sud de la Loire, environ
toute l'étendue actuelle du diocèse de Nantes, où se trouve la petite ville de Clisson. Cet
historien a pris la partie pour le tout14.
En 850, le roi Nominoé avait expulsé de Nantes l'évêque Actard qui lui était hostile et
soutenait le parti des Francs, et l'avait remplacé par Gislard. Toutefois ce dernier, mécontent
des Nantais, crut devoir quitter la ville, dès la première année du règne d'Erispoé. Il se retira
à Guérande, se constituant un diocèse particulier, dans le pays appelé la Mée, compris entre
la Loire, l'Erdre, la Vilaine et la mer. Actard revint donc à Nantes, et y fit reconnaitre son
autorité sur la ville et sur la partie du diocèse s'étendant au Sud de la Loire ; puis, s'étant
brouillé avec le roi Breton, se réfugia à Tours, en 85815.
D'après certains auteurs, il y aurait eu dès cette époque un doyenné de Clisson. Ils
allèguent divers capitulaires du IXe siècle, notamment un capitulaire d'Hincmar, archevêque
de Reims, à ses archidiacres, mentionnant formellement les doyens ruraux. Qu'il y ait eu, au
IXe siècle, des doyennés ruraux, nous ne prétendons pas le nier ; mais que, dans le diocèse
de Nantes, il y ait eu, en 851, des doyennés organisés et dénommés comme ils le furent
11
M. Léon Maître, "Géogr. histor. ", II, page XV ; — "Chron. de Nantes", édit. Merlet (Paris, Picard,
1896), ad. ann. 843 — D. Morice, Preuves, I, col. 21.
12
La Borderie, "Histoire de Bretagne", II, pages 44-45, 47-51 — "Chronique de Nantes", édition
Merlet, chapitres IV, V, VII, pages 8-12, 22-25; — Annales de Saint-Bertin, dans les "Historiens
des Gaules et de la France", de D. Bouquet, tome VIl, page 64.
13
La Borderie, II, pp. 60-61.
14
La Borderie, Il, pp. 407-409 ; — "Annales de St-Bertin", ad annum 851 ; — M. Léon Maître, "Géogr.
histor.", pp. XVI, XVII.
15
Gislard disparut on ne sait où, peu après 851 ; mais Actard n'y gagna rien car la partie du diocèse
que gouvernait Gislard, se mit sous l'autorité de l’évêque de Vannes. Voir "Chronique de Nantes",
édition Merlet, pp. 42-43; — La Borderie, op cit., Il, pp. 60-61, 79-80 ; — Travers, I, pp. 134-145,
— et plus haut, pages 281-288.
-5-
longtemps après, c'est-à-dire non seulement un doyenné de Clisson, mais aussi des
doyennés de la Roche-Bernard et de Châteaubriant, c'est ce que nous ne pouvons admettre.
La Chronique de Nantes, à propos des faits de 851 à 857, ne dit absolument rien des
doyennés ni de Clisson. Et comment un doyenné aurait-il pu être déjà constitué sur un
territoire qui venait d'être violemment arraché au diocèse de Poitiers, en 844, pour être
adjoint à celui de Nantes, et qui avait encore été ravagé par les Bretons, en 845 et en 850 ?
De ces événements sanglants résultèrent, dans la région Nantaise d'outre-Loire, des rivalités
et des troubles qui ne durent pas s'apaiser de suite, et qui étaient incompatibles avec
l'établissement de subdivisions ecclésiastiques régulières. Peut-on d'ailleurs parler de
doyenné de Clisson à cette époque ? Ne serait-on pas bien embarrassé de dire ce qu'était
Clisson et si même son château existait en 851, puisqu'il n'est pas mentionné avant le XIe
siècle ?
C'est-plus tard, croyons-nous, que Clisson, grâce à la puissance de ses seigneurs, a pu
être choisi pour chef-lieu d'un doyenné rural, installé déjà ailleurs, nous ne le contestons pas,
mais sous un nom qui nous est inconnu16. Quant aux doyennés de la Roche-Bernard et de
Châteaubriant, on a toujours été forcé de reconnaître que le siège du premier fut d'abord à
Nivillac, et celui du second à Saint-Jean-de-Béré. C'est que la Roche-Bernard et
Châteaubriant sont des fondations purement féodales, formées au pied d'un château, et qui
devinrent bientôt les centres de grandes seigneuries. Alors seulement y fut transféré le siège
des doyennés préalablement établis dans les paroisses voisines où ces petites villes
s'étaient taillé un territoire. Le fait ne peut guère être antérieur au XIe siècle.
En résumé, Gislard et Actard, dans les parties du diocèse qu'ils gouvernèrent
concurremment, en 851, confièrent à des archidiacres la surveillance de leur clergé respectif.
De là les deux grands archidiaconés Nantais : Nantes et la Mée. Comme subdivisions, il y
avait sans doute aussi des doyennés ruraux. Mais il n'est pas vraisemblable que le pays
Nantais d'outre-Loire ait été partagé en doyennés avant la fin du IXe siècle au plus tôt, ni
qu'un de ces doyennés ait pris le nom de Clisson, avant l'entier épanouissement de la
féodalité17.
Diverses incursions Normandes désolèrent le diocèse, dans les années qui suivirent l'an
855 ; mais sous le roi Salomon (857-874), aucun changement ne se produisit dans la
délimitation du pays breton d'outre-Loire18. En 888, le roi Alain le Grand ayant vaincu les
Normands près de Questembert, ces barbares se retirèrent en Anjou. Etant revenus l'année
suivante, le même prince les chassa encore du comté Nantais, et rétablit sur son siège
l'évêque Landramne19. Mais après le mort du roi Alain le Grand, en 907, les Normands se
précipitèrent en foule sur le pays de Nantes, ravagèrent les deux rives de la Loire, et s'y
établirent en conquérants, jusqu'en 936. C'est alors que le fameux duc Alain Barbe-Torte,
étant revenu d'Angleterre, écrasa leur principale armée sous les murs de Nantes, et en
purgea non seulement le comté, mais la Bretagne entière. Depuis 919 jusqu'en 936, les
Normands, après s'être emparés de Nantes, vécurent donc en maîtres sur tout le comté
d'outre-Loire, et cette région, ainsi que le reste de la Bretagne, fut livrée, pendant ces
années néfastes, aux pillages, aux massacres et à la confusion20.
Les Normands partout vaincus en Bretagne, l'an 93621, se retirèrent vite hors des comtés
de Mauge, Tifauge et Herbauge ; et en 942, en vertu d'un traité conclu avec Guillaume Tête16
Voir pages 287-288 ; et M. Léon Maître, "Géogr. hist...", Introduction, pp. .XIXXXII, XXXVII.
En 1235, le doyen de Clisson s'appelait Maurice. Il met son sceau au bas d'une donation de
Guillaume Sauvage aux Templiers de Clisson, charte que I’on peut lire dans nos Pièces
Justificatives.
18
La Borderie. op. cit.. II, pp. 84-95.
19
La Borderie, II, pp. 331-334 ; — Travers, I, pp. 145,151 ; — "Chronique de Nantes" », édit. Merlet,
pp. 66-80.
20
La Borderie, Il, pp. 357-383; — "Chron. de Nantes", p.83.
21
La Borderie, II, pp. 384-398.
17
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d'Etoupes, comte de Poitiers, toute la région comprise entre la Loire, le Lay, le Layon et
l'Ironne, fut assurée au duc Alain Barbe-Torte, comme faisant partie de la Bretagne. Ce
prince en jouit paisiblement jusqu'à sa mort, survenue en 952, et trente ans plus tard, en
982, le comte de Nantes, Guérech, par une convention avec Guillaume Fierabras, comte de
Poitiers, obtint la reconnaissance de ses droits souverains sur la même contrée22.
M. de La Borderie fait observer23 qu'il s'agit ici d'un territoire certainement bien plus grand
que celui des possessions d'outre-Loire, abandonnées par Charles le Chauve aux rois
Bretons, Erispoé et Salomon. Ces dernières ne dépassaient pas sensiblement la limite du
diocèse de Nantes, tel qu'il est constitué de nos jours, dans cette direction. Or nous voyons
Alain Barbe-Torte et Guérech, maîtres d'un territoire quatre fois aussi vaste, et embrassant
les circonscriptions qui dépendent aujourd'hui de Cholet, de la Roche-sur-Yon et des Sablesd'Olonne. Il est probable que ces contrées furent cédées par le comte de Poitiers au duc
Alain Barbe-Torte, parce que ce prince, les ayant délivrées du joug des Normands, les avait
d'une certaine façon conquises. Peu après, elles se repeuplèrent, sous la protection des
comtes de Nantes. Quand elles eurent été remises en valeur, les comtes voisins, dans les
dernières années du Xe siècle et les premières du XI e, profitant de circonstances favorables,
les reprirent en grande partie, mais peu à peu, sans bruit et sans opposition, du moins sans
lutte dont les effets aient eu beaucoup de retentissement dans l'histoire. La Bretagne revint
donc, de ce côté, à ses limites du temps d'Erispoé et de Salomon, qui dès lors n'ont plus
cessé de la séparer du Poitou et de l'Anjou. En 1060, le fait était accompli, quoique depuis
peu24.
Les Marches de Bretagne et Poitou dont l'origine n'est pas exactement connue, semblent
s'être organisées dans le XI e siècle. En effet, au cours des petites querelles fort répétées, qui
amenèrent la fixation définitive des limites de la Bretagne, la région voisine dut beaucoup
souffrir. Les pays frontières de la Bretagne et du Poitou étant souvent ravagés par les
troupes des deux partis, pour les dédommager et leur éviter de continuels changements de
régime, on fut amené à leur accorder une situation spéciale, qui s'établit probablement
depuis le milieu du XIe siècle. L'on traça donc, vers les bords du ruisseau du Falleron, une
ligne de démarcation idéale, hérissée de forteresses de part et d'autre, et les deux côtés de
cette ligne constituèrent les Marches de Bretagne et Poitou. Vers l'Anjou, on fit de même, sur
les bords de la Divatte et jusqu'auprès de Clisson, ce qui forme les Marches de Bretagne et
Anjou. L'autorité des évêques de Nantes subsista toutefois sur quatorze paroisses devenues
angevines25, lorsque Foulques Nerra, comte d'Anjou, eut, en 1032, ramené les limites du
comté de Nantes à la Divatte26. Auparavant, ce comté comprenait Liré et Montfaucon.
Jusqu'à la réunion dans les mains des Plantagenet, du duché de Bretagne et des comtés
d'Anjou et de Poitou, au XIIe siècle, la zone bordée par les seigneurs Bretons, Angevins et
Poitevins, fut un continuel champ de bataille, passant tantôt à l'un, tantôt à l'autre des
belligérants, tant souverains que seigneurs particuliers ; et le vainqueur s'empressait d'exiger
des habitants la reconnaissance de sa juridiction, certains impôts et l'hommage féodal.
Pendant cette période troublée, dut s'établir le système compliqué des marches séparantes,
22
La Borderie, II, pp. 407-409, 428 ; — M. Léon Maître, "Géogr. histor... ", II : Introduction, pp. VII-X ;
— "Chron. de Nantes", édit. Merlet, pp. 96-97, 119-120. Entre le Layon et l'Ironne, d'une part, et
le Lay, d'autre part, la limite, sur une longueur de 12 lieues, passait, d'après la "Chronique de
Nantes", par deux localités, dites Petra Fricta et Ciriacum. M. Maître suppose une ligne droite
entre le Lay et l’Ironne, passant pat Tillay (village de la paroisse de la Meilleraye, près de
Pouzauges) et par Cirière (gros village, voisin de Cerisay).
23
"Hist. de Bret.", Il. p. 407.
24
"Quamvis hæc omnia a Pictaviensibus invadantur", écrit, vers 1060, le rédacteur de la "Chron. de
Nantes". (édit. Merlet, p. 120). Voir M. Léon Maître, "Géogr. histor...", II, p. X.
25
Plus tard, ces 14 paroisses furent soumises à la juridiction de la sénéchaussée d'Angers, sans
cesser d'appartenir à l’évêché de Nantes, sous le ressort du doyenné de Clisson. La principale et
le centre de ce groupe était Châteauceaux.
26
La Borderie, III, p. 10 ; — "Chron. de Nantes", pp. 139-140.
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par suite de conventions qui placèrent dans l'indivision le territoire des frontières contestées,
pour qu'il cessât de suivre les chances de la guerre, et d'être attribué alternativement à l'un
ou à l'autre des seigneurs des pays voisins27.
Quoi qu'il en soit, l'organisation des Marches a été constatée pour la première fois par M.
Léon Maître, dans une charte de 126528. Puis, pendant plus de cent ans, aucun document
connu n'en fait mention. En 1372 enfin, dans le traité d'alliance, conclu entre le roi
d'Angleterre Edouard III, souverain du Poitou, et le duc de Bretagne Jean IV29, nous voyons
le roi d'Angleterre promettre au duc "la marche entre Bretagne et Poitou" sous réserve de la
souveraineté et du ressort30 de cette Marche.
A partir de 1380, les documents relatifs aux Marches séparantes deviennent plus
nombreux. Les Marches dites communes entre Bretagne et Poitou, furent l'objet d'un
mandement de Jean V, en 1434, et d'un règlement par commissaires spéciaux, en 145531.
Si une partie de la châtellenie de Clisson et divers seigneuries en relevant furent placées
dans les Marches, le château et la ville de Clisson ont toujours été en deçà de la limite de
ces dernières et en terre purement bretonne, et ont toujours constitué une place frontière,
fermant l'angle Sud-Est de la Bretagne.
Les ancêtres des seigneurs de Clisson reçurent-ils leur domaine en bénéfice, des mains
de ce Girard, allié de Lambert et qui fut comte de Tifauge en 844 ? Étaient-ils déjà, à cette
date, possessionnés dans la Teifalie ? Nous ne pouvons rien en savoir ; mais nous verrions
plutôt dans la concession qui leur fut faite, la récompense de services rendus aux rois
Bretons, Nominoé, Erispoé ou Salomon. Une autre hypothèse encore plus vraisemblable est
que les premiers seigneurs de Clisson, ayant aidé Alain Barbe-Torte à chasser les
Normands de la contrée bretonne d'outre-Loire, aient été dotés de belles terres dans cette
région, devenue déserte par la mort ou l'abandon de ses habitants. Les traités de 941 et 982
auraient sanctionné leur établissement à Clisson. Le lecteur pourra choisir entre ces
différentes suppositions.
En tout cas, le château de Clisson fut d'abord, selon la coutume des premiers temps
féodaux, une simple tour de bois, entourée d'une enceinte de pieux, et occupant le sommet
du coteau qui domine la Sèvre, en face du confluent de la Moine, là où se trouvent les
parties les plus anciennes du château d'aujourd'hui. Parfaitement choisie pour y asseoir une
forteresse, cette pointe-rocheuse, entre deux ravins profonds, n'était accessible que d'un
seul côté qu'il était facile de couper par une douve et un rempart. Vers le XIe siècle, un
massif donjon rectangulaire, soutenu par des contreforts, dut remplacer la grossière tour de
bois. A ses pieds et sous sa protection, s'amassa peu à peu le groupe de maisons qui devint
plus tard la ville de Clisson. Beaucoup d'autres petites villes se formèrent ainsi à côté d'un
château féodal, qui les défendait contre les ennemis et y attirait le commerce.
Les plus anciens seigneurs de Clisson que nous connaissions, sont Gaudin et Gui de
"Clichon" mentionnés dans l'acte de fondation du prieuré de Chateauceaux, vers 104032, et
Bernard de Clisson, témoin d'une donation de Pierre de Chemillé aux religieux de
Marmoutiers, en 104333. Puis nous trouvons "Baldri de Clizun", figurant parmi les "curiales"
ou principaux barons du duc Hoël (1066-1084), au bas de chartes de 1074, 1075, 107634 ; et
27
"Les marches séparantes... ", par M. Chénon, pages 13-19 et suivantes ; — M. Léon Maître,
"Géogr. histor...", pp. X-XII ; — La Borderie, III, pp. 58-59.
28
Archives de Nantes, E 186-188.
29
D. Lobineau, "Hist. de Bret. ", colonnes 579-580.
30
C'est-à-dire de la juridiction.
31
D. Morice, Preuves, II, col. 1163, et D. Lobineau, I, page 681.
32
D. Morice, Preuves, colonnes 384 et 385.
33
"Cartulaire de Marmoutiers", copie à la Bibliothèque de la rue de Richelieu, à Paris, II, page 501.
34
"Cartulaire de Quimperlé", édition 1904 (tome IV de la Bibliothèque Bretonne-Armoricaine de la
Faculté des Lettres de Rennes), chartes n° LXXV, LXXVI, LXXVII.
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ce seigneur contribua, en 1080, à la fondation du prieuré de Liré, sur son fief 35. "Gualdin de
Clizun" signa, en 1091, une charte de Mathias, comte de Nantes 36, et, en 1105, une charte
de Benoît, évêque de Nantes37.
L'on voit par là qu'au XI e siècle, le château de Clisson était bien dans le duché de
Bretagne, et dans la partie du comté de Nantes, régulièrement cédée aux rois Norninoé et
Erispoé par Charles le Chauve. Lorsque les Marches de Bretagne se constituèrent, dans la
seconde moitié du XIe siècle, ce château fut une des places bretonnes exerçant leur
influence sur les territoires contestés qui, nous l'avons expliqué plus haut, devinrent les
Marches de Bretagne et Poitou.
Parmi les premiers seigneurs de Clisson, nous n'en remarquons point qui aient porté un
nom breton ils s'appellent Gui, Gaudin, Baudri, Bernard, Guillaume, tous noms d'origine
germanique. Nous en concluons que cette maison était de race franque. Nous avons vu que
d'autres maisons de la même région, comme Rais, Goulaine, le Pallet, chargées par nos
ducs de défendre les frontières de Bretagne, dans lesquelles elles avaient reçu des fiefs,
semblent bien avoir été de race bretonne.
Généreux envers les églises et les monastères, les anciens seigneurs de Clisson ont
laissé leur nom au bas de nombreuses chartes de donation et d'accord38. Le lecteur pourra
étudier leur généalogie dans les divers ouvrages que nous avons cités39. Nous nous
occuperons ici, autant que possible, de faits d'un intérêt plus général.
Après l'assassinat du jeune due de Bretagne, Arthur, par son oncle Jean-Sans-Terre,
Philippe-Auguste se mit en devoir de conquérir toutes les terres possédées en France par ce
perfide et cruel roi d'Angleterre. Guillaume de Clisson, dit le Vieux, et son fils, Guillaume dit
le Jeune, sont mentionnés parmi les bannerets de l'armée du duc de Bretagne, Gui de
Thouars, allié du roi de France, armée qui, en 1204, parcourut la Normandie et s'empara du
Mont-Saint-Michel40. Ce fait d'armes fit grand honneur aux chevaliers qui y prirent part.
L'année suivante, 1205, Guillaume de Clisson signe, en qualité de baron de Bretagne, c'està-dire de vassal immédiat du duc, une donation de Gui de Thouars à l'abbaye de
Villeneuve41.
L'on croit que Philippe-Auguste passa par Clisson et y résida quelques jours, en 1205,
avant de se rendre à Nantes, préparer sa campagne de Touraine. La chose est
vraisemblable. Après avoir pris Loches et Chinon, cette même année, et voyant chanceler la
fidélité de Gui de Thouars, gagné à la cause anglaise par son frère, le vicomte de Thouars,
le roi se présenta à l'improviste devant Nantes, le 14 mai 1206.
Le duc, n'osant résister, lui ouvrit ses portes et lui céda même la ville où le roi fit divers
actes, en qualité de comte de Nantes42. En septembre 1206, Jean-Sans-Terre ravagea le
comté de Nantes, mais s'enfuit honteusement à l'approche de l'armée royale. Le pays de
35
D. Morice, Preuves, I, colonne 451.
"Cartul. de Quimperlé", n° LXXVIII.
37
D. Morice, Preuves, I, col. 511.
38
Voir D. Morice, Preuves, L col. 441, 451, 470, 479, 507, 508, 513, 541, 612, 637, 707, 712, 801 ; —
Société Archéologique de Nantes, 1813, pp. 146 et 156 ("Titres de l'abbaye de Geneston", par M.
de la Nicollière), Donation à la Madeleine de Geneston, par Guillaume de "Clizun", assisté de sa
femme Flavia et de son fils Garsirius, de tout ce qu'il possédait dans la forêt de "Clizun", vers
1190. Le nécrologe de Geneston mentionne "Garsirius filius Guillelmi de Clizio", au VI des
kalendes d'avril.
39
Voir surtout le "Dictionnaire des familles du Poitou", par M. Beauchet-Filleau, 2° édition, dont la
publication semble malheureusement avoir été interrompue.
40
D. Lobineau, I, pp. 190-191 ; —La Borderie, III, pp. 293 et suiv.
41
D. Morice, Preuves, I, col. 801.
42
D. Lobineau, p. 192.
36
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Clisson ne dut pas être épargné dans cette circonstance, et il est à croire que les troupes
anglaises y firent de grands dégâts43.
Guillaume de Clisson et son fils avaient tous deux figuré dans les osts ou revue féodale
des troupes de Philippe-Auguste, convoquées à Nantes en 1205, avant la campagne de
Touraine. Tous deux combattirent également à la grande bataille de Bouvines, en 1214.
Le roi d'Angleterre, Henri III, venant secourir le duc Pierre de Dreux, en guerre avec la
reine régente, Blanche de Castille, aborda à Saint-Malo, le 3 mai 1230, et résida à Nantes du
16 mai au 30 juin de la même année. De son côté, la régente, ayant convoqué les grands
vassaux à Angers, s'y rendit avec le jeune roi. Le 30 mai, Louis IX occupa, sans coup férir, le
château de Clisson dont les portes lui furent ouvertes par Olivier 1 er dit le Vieux ; car la
plupart des seigneurs Bretons étaient hostiles à leur duc. En juin, le roi assiégea et prit
Oudon, Ancenis et Châteauceaux ; c'est devant Ancenis qu'il fit déclarer Pierre de Dreux
coupable de forfaiture et déchu du trône ducal. Après son départ, l'armée anglaise,
cantonnée à Nantes, mais qui n'avait rien osé tenter contre lui, se retira sur le Poitou44.
Olivier 1 er fut en guerre et en querelles avec le duc Jean 1 er dit le Roux, de 1254 à 1261. Il
y avait donné lieu, en 1254 ; car il voulut alors exiger l'hommage lige des terres données en
apanage à ses frères puînés, hommage qui, aux termes de l'Assise au comte Geoffroi,
réglant les héritages nobles, devait revenir au duc. Abandonné par ses frères qui s'unirent
contre lui à Jean 1er, Olivier engagea dans son parti plusieurs barons, dont le principal était
Alain d'Avaugour, seigneur de Dinan, fils de Henri d'Avaugour que Pierre de Dreux avait
dépouillé, mais qui avait épousé l'héritière de Dinan. En 1257, le duc ayant brûlé les
faubourgs de Dinan, Alain fut obligé de se soumettre. Resté seul, Olivier de Clisson cita son
souverain devant la cour du roi dont il réclama la protection.
Cette suprématie du parlement de Paris sur la cour ducale, à laquelle les rois ne
pouvaient prétendre qu'en cas de "déni de justice ou de faux jugement" de cette dernière,
était le principal sujet de division entre la France et la Bretagne. Jean 1er, en guise de
réponse, s'empara, l'an 1260, de la seigneurie et du château de Clisson ; mais finit par se
résoudre à porter sa cause devant la cour du roi. Enfin, en 1262, un accord ménagé ou
imposé par ce prince, obligea le duc à se dessaisir du château et de la seigneurie de
Clisson, non pour les rendre à Olivier le Vieux, mais pour en investir Olivier II dit le Jeune,
son fils, qui fut chargé de pourvoir à la subsistance de son père, et d'acquitter à sa place
l'amende énorme de 4000 livres tournois45.
Olivier Il est qualifié écuyer en 1262, et vallet (c'est-à-dire jeune seigneur non encore
adoubé chevalier) dans un compromis de 1265 avec Eon de Pontchâteau, au sujet de
l'héritage de sa grand'mère, Constance de Pontchâteau46. Il souscrivit comme "seignor de
Cliçon" la célèbre charte du 11 janvier 1276, par laquelle Jean 1er changea le bail en rachat,
pour tous les domaines relevant immédiatement de lui47. Jusqu'alors, pendant la minorité
d'un vassal, le suzerain jouissait de son fief dont il avait le bail, usant et abusant de ce droit,
coupant les bois, pêchant les étangs, ruinant enfin toute la terre. Depuis 1276, le vassal,
mineur ou non, dut simplement payer au suzerain la valeur d'une année de revenu du fief
qu'il recevait en héritage, ou, s'il le préférait, laisser le suzerain en jouir pendant un an, mais
sans abus et en bon père de famille. C'est le rachat féodal.
Le changement du bail en rachat fut adopté peu à peu dans les années suivantes, par
tous les seigneurs Bretons, pour les terres qui relevaient d'eux.
Olivier Il, avec les seigneurs de Rais et de Donges, s'était porté caution pour le duc, en
1269, envers l'évêque de Nantes, Guillaume de Verra, au sujet de certaines sommes dont ce
dernier attendait le paiement. Ne recevant rien de son débiteur, l'évêque se retourna contre
43
D. Lobineau, ibid.
La Borderie, pp. 317-319.
45
La Borderie, III, p. 345 ; — D. Morice, Preuves, I, col. 976,980-981, 997.
46
D. Morice, Preuves, I, col. 997.
47
D. Morice, Preuves, I, col. 1038 ; — La Borderie, III, pp. 346-348.
44
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les cautions, et, pour les forcer à s'exécuter, les excommunia en 1276. Le sire de Clisson se
soumit au jugement du prélat sur cette affaire, en 1278, et fut relevé de l'excommunication
que son imprudence lui avait attirée48.
Il figura aux osts ou revue des troupes ducales, en 129449.
Nous avons dit qu'il mourut vers 1300. Sa fille ou peut-être sa sœur, Catherine, était, en
1303, veuve de Geoffroi de Rohan50.
La maison de-Clisson, aussitôt qu'elle apparaît dans les documents historiques, est
toujours alliée aux plus illustres maisons de Bretagne, comme celles de Vitré, Penthièvre,
Pontchâteau : l'antiquité et la noblesse de son origine la mettent de suite à côté des lignées
du premier rang51.
Elle portait : de gueules au lion d'argent, armé, lampassé et couronné d'or.
48
Travers, I, p. 387 ; — D. Lobineau, I, p. 269 ; — D. Morice, Preuves, col. 1044.
Ibid., col. 1111.
50
Ibid., col. 1181.
51
Voir le "Dictionnaire" de Beauchet-Filleau, 2e édition.
49
- 11 -
CHAPITRE - II
Du commencement du XIVe siècle à 1419
Maintenant nous allons résumer les hauts faits des sires de Clisson, au cours des guerres
du XIVe siècle, en nous occupant plutôt de leurs personnes que de leurs terres.
Cette excursion dans l'histoire générale ne nous semble pas ici hors de sa place nous
n'avons pu nous résoudre à passer en quelques mots sur le sort de la ville de Clisson
pendant cette période, et sans rappeler, avec des dates et des faits précis, les grands
évènements dans lesquels les hommes qui portaient son nom, jouèrent un tel rôle que la
gloire en a rejailli jusqu'à elle. Nous espérons que le lecteur ne nous en saura pas mauvais
gré.
Vers le milieu du XIV e siècle, un peu avant la guerre de
succession de Bretagne, le sire de Clisson était Olivier IV, marié
d'abord, en 1320, à Blanche de Bouville 52, puis, en 1330, à Jeanne
de Belleville, veuve de Geoffroi de Châteaubriant, qui fut mère du
connétable. Fils d'Olivier III et d'Isabeau de Craon, il avait deux
frères, Amaury et Garnier, qui tous deux se montrèrent dignes de
leur nom. Amaury, chevalier d'une grande réputation, comme on le
verra, était seigneur de la Blandinaye et d'Avrillé en Anjou, et aussi
de Remefort, du chef de sa femme.
Sceau de la châtellenie
Olivier IV, par sa seconde femme seigneur de Belleville et de
de Clisson, en 1333
Châteaumur53, suivit en Flandre, en 1339-1340, le duc Jean III, allié
de Philippe VI contre Edouard III, et contribua ainsi à la levée du siège de Tournai54. Le duc,
dans son testament de 1341, lui légua 900 livres de rente, en le traitant de "féal cousin"55.
Les Clisson soutinrent d'abord, tous les trois, la cause de Charles de Blois ; mais ne
tardèrent pas, on va le voir, à se diviser, sans qu'il y ait eu entre eux de querelle
personnelle : c'était simple affaire de politique.
En juillet 1311, Garnier de Clisson, défendant Brest assiégé par Jean de Montfort, mourut
de ses blessures après une sortie, et la ville, privée de son capitaine, se rendit peu après56.
La même année, Amaury de Clisson commandait à Jugon, très forte place, aussi pour
Charles de Blois. Mais il y a lieu de croire que ses opinions avaient déjà changé ; car il se fit
prendre dans une sortie, sans doute de connivence avec Jean de Montfort dont il devint
aussitôt le plus ferme soutien57.
Après la prise de Jean de Montfort, à Nantes, en novembre 1341, Amaury de Clisson eut,
en effet, l'insigne honneur d'être choisi pour régent de Bretagne et tuteur du jeune Jean IV ;
et dans cette haute situation, au milieu de la lutte la plus ardente et des plus graves
difficultés, montra, pendant trois ans, toute la valeur et la prudence que l'on pouvait attendre
52
Le contrat de ce mariage, passé par devant les commissaires du roi, est rapporté par D. Morice, Pr.,
I, col. 1291-1293.
53
D. Morice. Pr., I, col. 1381, 1430-1434.
54
La Borderie, III, p. 397.
55
D. Morice, Pr., I, col. 1411.
56
La Borderie, III, p. 427.
57
La Borderie, ibid.
- 12 -
de sa grande renommée58. Puis l'inconstance de son caractère le fit revenir à son point de
départ.
Olivier IV ne passa pas si vite à un autre camp. En 1341, enfermé dans la Roche-Periou
(en Prisiac, près du Faouët), il avait repoussé vigoureusement les attaques de Jean de
Montfort, et celui-ci avait dû se retirer59. Mais ce fut surtout à Vannes, vers la fin de 1342,
qu'il se montra véritable homme de guerre. Robert d'Artois, à la tête d'une armée anglaise,
ayant pris la ville d'assaut, malgré une furieuse résistance, Olivier fut obligé de se retirer d'un
côté non investi, et, loin de perdre courage, resta en observation à peu de distance. Profitant
alors de la négligence des Anglais, il revint à l'improviste et les chassa de Vannes, par un
coup de main hardi. Robert d'Artois, couvert de blessures, alla mourir à Hennebont, en
octobre 134260.
Pendant ce temps, Amaury de Clisson faisait merveilles, à la tête du parti opposé. Il
ramenait d'Angleterre une flotte qui, en juin 1342, dégageait la ville d'Hennebont, assiégée
par Louis d'Espagne et sur le point d'être réduite, malgré l'héroïsme de la comtesse de
Montfort61. Puis il conduisait une expédition maritime qui écrasait les troupes hispanogénoises de Charles de Blois, près de Quimperlé62. Enfin, enfermé avec la comtesse de
Montfort dans la place d'Hennebont, assiégée pour la seconde fois, en septembre 1342, il
forçait Charles de Blois à lever le siège63.
Au mois de novembre 1342, le roi d'Angleterre, Edouard envahit la Bretagne avec une
grande armée. En décembre, un de ses corps d'armée, commandé par les comtes de
Norfolk et de Warwick, mit le siège devant Nantes. Le duc de Normandie, fils du roi ds
France, était cantonné à Angers ; poussant, un jour, une reconnaissance vers Nantes, il
surprit une trentaine de Nantais du parti de Montfort, sortis secrètement de la ville, pour
s'aboucher avec les Anglais. Le lendemain, ces malheureux étaient tous décapités : ils
avaient agi, prétendirent les Français, à l'instigation d'Olivier IV, sire de Clisson, dont les
intentions, paraît-il, étaient devenues douteuses. D'ailleurs, une lettre du roi Edouard III au
prince de Galles, datée du siège de Vannes, le 5 décembre 1342, et rapportée par M. de la
Borderie64, prouve que, dès avant le siège de Nantes, le sire de Clisson avait promis son
concours aux Anglais. Le roi de France devait en avoir eu connaissance.
Après la trêve conclue à Malestroit, en janvier 1343, entre la France et l'Angleterre, Olivier
de Clisson crut pouvoir se rendre à Paris, prendre part à un tournoi ; on dit même qu'il y avait
été invité. Quoi qu'il en soit, il avait lieu de se croire couvert par les clauses de la trêve.
Aussitôt arrivé, à la fin de juillet, il fut saisi en trahison, condamné sans jugement et décapité
sous les halles de Paris, comme ayant tenté de livrer Nantes aux Anglais : sa tête fut portée
à Nantes, et exposée au dessus d'une des portes de la ville. Le 29 novembre, six chevaliers
Bretons, arrêtés dans les mêmes circonstances, subissaient le même sort.
Jeanne de Belleville, veuve d'Olivier, était à Clisson lorsque lui parvint la nouvelle de cet
indigne attentat, violation flagrante de la foi jurée. Loin de s'abandonner à des larmes
inutiles, elle fit preuve de la plus virile force d'âme. Vendant ses joyaux et engageant ses
terres, elle amassa de quoi mettre sur pied une troupe d'hommes d'armes résolus, et seule,
entreprit une guerre acharnée contre le roi de France et ses alliés.
Elle tomba tout d'abord sur un château du parti de Blois, voisin de Clisson et que l'on
pense avoir été celui de Touffou, y entra par surprise et en fit massacrer toute la garnison,
sauf le capitaine, Le Gallois de la Heuse, qui avait pu s'échapper. Alors elle équipa plusieurs
barques, montées par quatre cents hommes, et commença à écumer les côtes de Bretagne,
58
D. Morice, Pr., I, col. 1432, 1440; — La Borderie, III, pp. 445, 447, 448.
D. Morice, "Hist de Bret.", I, p. 248.
60
La Borderie, III, pp. 469-471.
61
Ibid., pp. 455-455; — D. Lobineau, I, pp. 321, 322.
62
La Borderie, III, p. 461.
63
La Borderie, III, p. 468.
64
"Hist. de Bret.", III, p. 474.
59
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faisant la chasse à tous les navires français, dont les équipages, aussitôt pris, étaient
pendus ou noyés sans merci. Accompagnée de ses trois jeunes fils, parmi lesquels le futur
connétable65 qui recevait de sa mère d'étranges leçons de cruauté, cette femme implacable
poursuivit longtemps son œuvre de vengeance : enfin, rassasiée de sang et de meurtres, et
ayant échappé à toutes les recherches, elle trouva un asile en Angleterre où elle se remaria
à un chevalier Anglais de grand mérite, appelé Gautier de Bentley66. L'un de ses fils était
mort de faim entre ses bras, sur une chaloupe où elle avait été obligée, un jour, de se
réfugier.
En décembre 1343, Jeanne de Belleville avait été déclarée bannie, et ses biens avaient
été confisqués. Elle continuait toujours sa guerre aux Français67.
Toute la maison de Clisson était donc passée à la cause de Montfort ; mais le roi de
France y avait été pour beaucoup.
C'est ainsi que le futur connétable fut amené en Angleterre. On l'y éleva en grand
seigneur, sous les yeux du roi et aux côtés du jeune Jean IV, qu'il aida ensuite puissamment
à monter sur le trône ducal de Bretagne, pour en devenir aussitôt après l'ennemi le plus
constant; par un de ces revirements d'idées, fréquents dans cette maison altière et violente.
Pour Amaury de Clisson, on l'avait mandé en Angleterre, au mois d'octobre 134368, et il y
était encore en juillet 1344. On lui avait promis des troupes à conduire en Bretagne,
promesse vaine ; car Edouard III se montra, en ce temps, fatigué de la Bretagne et des
Montfort69. Amaury revint donc en Bretagne, en octobre 134170. Le tuteur de Jean IV, le
régent de Bretagne était complètement découragé. Il savait que Jeanne de Flandre, l'héroïne
d'Hennebont, était folle et enfermée dans un château d'Angleterre ; il voyait Jean de Montfort
en liberté, mais sous condition de ne pas mettre le pied en Bretagne : il perdit tout espoir de
faire triompher la cause qu'il avait si bien servie, et manquant à ses devoirs de chef, se
soumit à Charles de Blois, le 31 décembre 134471. Nous n'hésitons pas à reconnaitre
qu'Amaury de Clisson ternit ainsi sa gloire : on attendait de lui une autre conduite, et, même
abandonné de tous, on eût aimé à le voir le dernier champion des Montfort. Il avait déjà
quitté le parti de Blois, il y rentrait après avoir commandé le parti contraire, et quand ce
dernier paraissait accablé : c'était faire preuve d'un esprit trop versatile. Aussi, dès lors, on
ne parle plus de lui dans l'histoire que pour mentionner sa mort. L'on dit qu'il fut tué, en
combattant vaillamment pour Charles de Blois, à la sanglante bataille de la Roche-Dérien, au
cours de laquelle ce prince fut fait prisonnier, Ie 20 juin 1347. Toutefois nous ne le trouvons
cité au nombre des chevaliers qui périront en cette journée fameuse, ni par D. Lobineau, ni
par D. Morice, ni dans "l'Histoire de Bretagne" de M. de la Borderie. Il laissait un fils, Amaury,
seigneur de Romefort, qui se distingua en Flandre, sous les ordres de son cousin le
connétable, en 1382, et mourut sans postérité 72.
La maison de Montfort, quelque temps abattue, devait cependant triompher.
C'est en 1358, qu'Olivier V de Clisson commença sa longue et brillante carrière militaire. Il
était devenu, à la cour d'Angleterre, un chevalier accompli, et reçut, cette année, le
commandement des troupes qu'Edouard III fit passer en Bretagne, pendant la captivité du roi
Jean73. L'année suivante, le 30 décembre 1359, le roi d'Angleterre le mit en possession des
65
Né à Clisson en 1336, d'après la plupart des auteurs. L'on prétend que sa mère lui fit jurer haine
éternelle aux Français, devant la tête de son père, exposée sur les murs de Nantes.
66
D. Morice, "Hist. de Bret", I .pp. 268, 279 — La Borderie, III, pp. 174-475, 482-483.
67
La Borderie, III, p. 492.
68
Ibid., p. 484.
69
Ibid., p. 486.
70
Ibid., p. 492.
71
Ibid., pp.494, 495.
72
D. Morice, "Hist.", I, page 330 ; Pr., I, col. 1558, 1559, 1633, 1631.
73
D. Morice, "Hist.", I, p. 293 ; Pr., I, col. 1527.
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biens de sa mère, Jeanne de Belleville, qui venait de mourir, et lui confia la capitainerie de
Quimerch, en Bretagne74.
Le traité de Brétigny, du 8 mai 1360, rendit à Olivier les terres et places de son héritage,
qui étaient aux mains du roi de France : la Garnache, Beauvoir et Châteauceaux75. Il n'est
pas question de Clisson: on peut donc supposer que ce château était alors gardé par les
Anglais, comme d'autres domaines de l'héritage d'Olivier IV76.
Mais la guerre ne tarda pas à se rallumer. Au printemps de 1363, le sire de Clisson
commandait un corps de l'armée de Montfort, en Bretagne77. L'on sait combien il contribua
au gain de la terrible bataille d'Auray, livrée le 29 septembre 1304, et qui mit sur le trône de
Bretagne le duc Jean IV78. Mais, au soir même de cette journée, lorsque, couvert de sang et
avec un oeil crevé, Olivier vint demander pour récompense à son souverain le château du
Gavre, voisin de son château de Blain, il lui fut répondu que le Gavre était déjà donné à Jean
Chandos. C'en était fait de son amitié pour Jean IV. N'écoutant que sa violence, il quitta
l'armée et, en signe de mépris pour le duc et pour Chandos, fit démolir le Gavre dont il prit
les matériaux pour compléter les défenses de Blain79. Malgré tout, il ne rompit pas de suite
avec Jean IV : ce dernier d'ailleurs avait intérêt à le ménager. Olivier signa, le 12 avril 1365,
le traité de Guérande qui mettait fin à la guerre de Bretagne80, et, le 22 mai suivant, fut
député par le duc vers Charles V, pour obtenir la ratification de ce traité, puis, une seconde
fois, pour préparer la réception de l'hommage féodal de la Bretagne81.
Toutefois les relations étaient tendues entre Jean IV et son vassal ; car le duc, en
représailles de la démolition du Gavre, refusa de rendre Châteauceaux à Olivier : "Si je suis
Olivier sans terre, répondit ce dernier, vous ne serez point duc sans guerre !" Il devait tenir
parole82. Ceci se passa en 1365 ou 1366.
D'autre part, le roi restitua au sire de Clisson, en 1367, la Garnache et Beauvoir, places
confisquées de nouveau, depuis le traité de Brétigny83.
En 1369. Olivier était entièrement gagné à la cause française, sans être toutefois en
rébellion ouverte contre le duc, puisque ce dernier le chargea, avec l'évêque de Saint-Brieuc,
d'aller assurer le roi de sa fidélité : ce message n'était qu'une tromperie, destinée à amuser
le roi ; car Jean IV venait de faire secrètement alliance avec l'Angleterre 84. Bientôt après,
Olivier se rendit encore près de Charles V, pour excuser le duc qui prétendait avoir été forcé
d'accorder passage sur ses terres à une armée anglaise 85.
L'on peut croire qu'il n'était pas dupe du rôle qu'on lui faisait jouer, et qu'il profita de ces
voyages pour nouer des intelligences en France. L'année suivante, il ne se considérait plus
comme au service de Jean IV. Le 24 octobre 1370, il faisait alliance d'armes, à Pontorson,
avec Bertrand du Guesclin86; puis aidait le connétable à gagner la bataille de Pontvallain,
74
D. Morice, Pr., I, col. 1529, 1530.
Ce château avait probablement été donné par Charles de Blois au père du futur connétable (D.
Loblneau, L pp. 318, 360).
76
D. Morice, "Hist.", I, p. 297.
77
Ibid., I, p. 300.
78
Ibid., I, pp. 308-309, 311-312. L'on peut lire un récit très détaillé et très intéressant de la bataille
d'Auray dans La Borderie, III, pp. 588-595.
79
D. Lobineau, II, vol. 537; — La Borderie, IV. p. 14.
80
D. Morice, Pr., I, col. 1597.
81
D. Morice, « Hist. », I, pp. 318-319 ; Pr., I, col. 1599, 1609.
82
D. Morice, "Hist.", I, pp. 338 ; — La Borderie, IV, p. 15.
83
D. Morice, Pr., I, col. 1621.
84
D. Morice, "Hist.", I, p. 331 ; — La Borderie, IV, p. 16.
85
D. Morice, "Hist.", I, p. 331.
86
Ibid ., p. 333.
75
- 15 -
près du Mans, sur les Anglais de Thomas de Granson87 ; enfin, sur les propres terres de son
souverain, il osait, la même année, disperser un corps d'Anglais, vers Saint-Mathieu de FineTerre88. Il était donc passé au service de France : le roi le nomma, en 1371, son lieutenant
en Touraine, Maine, Anjou et Poitou89, ce qui le mettait en situation de nuire grandement au
duc de Bretagne. Poussé par son caractère intraitable, à toutes les actions de nature à irriter
ce prince, il eut même l'audace de se faire nommer lieutenant en Bretagne de la comtesse
de Penthièvre, veuve de Charles de Blois, protégée de la France et ennemie naturelle de
Jean IV90.
En 1372, il guerroyait contre les Anglais en Poitou, avec le connétable, et mis en cause
dans des pourparlers qui eurent lieu entre la France et la Bretagne, refusait hautement de
mettre le pied à la cour ducale, tant que les Anglais y domineraient91.
L'on sait que la place prépondérante occupée par les Anglais dans cette cour, l'influence
qu'ils avaient su y acquérir, en un mot ce que M. de la Borderie appelle fort bien l'anglomanie
de Jean IV, déplut tellement aux Bretons qu'en 1373, ils forcèrent leur duc à se retirer en
Angleterre. C'est alors que Du Guesclin envahit la Bretagne, et tenta de la conquérir au nom
de Charles V.
Entrant avec une fureur vindicative dans les vues du roi, et ravi de nuire à son maître,
Olivier s'empara de Quimperlé, en 1373, et assiégea la Roche-sur-Yon92 ; puis, de concert
avec d'autres seigneurs Bretons, gagnés au parti français, consentit à la levée d'un fouage
extraordinaire, pour aider à chasser de Bretagne les Anglais qui s'y maintenaient encore93.
Le gouvernement de Nantes lui fut donné par le roi.
Il courut un grand danger, en 1375. Assiégé dans Quimperlé par le duc, rentré en
Bretagne à la tête d'une armée anglaise, il allait être pris et certainement mis à mort, car
Jean IV était bien décidé à en finir avec un ennemi si dangereux, lorsqu'il fut sauvé par la
nouvelle du traité conclu, le 27 juin 1375, entre la France et l'Angleterre, portant que tous les
différends relatifs à la Bretagne, seraient réglés par arbitres. Le duc reprit donc la route
d'Angleterre94.
En 1378, le sire de Clisson continuait sa guerre aux Anglais qui tenaient toujours
quelques places, comme Brest et Auray : il bloquait la première et prenait la seconde95.
Cette année, Charles V déclara fort imprudemment la Bretagne confisquée et unie à la
France, et dans l'acte solennel publié à ce sujet, furent mentionnés les griefs d'Olivier de
Clisson96. Menacés de perdre leur indépendance, les Bretons s'unirent soudain contre les
Français, et un immense mouvement de patriotique indignation secoua le pays. En 1370,
oubliant leurs divisions, tous prirent les armes et l’on députa vers Jean IV comme vers un
sauveur, pour le supplier de se mettre à la tête de ses sujets dont la plupart avaient
cependant contribué à son exil. Tel avait été l'effet de la déclaration royale : la Bretagne
s'était levée tout entière, pour la défense de ses droits.
Olivier de Clisson, depuis 1373 gouverneur de Nantes pour Charles V, s'était fait fort de
livrer cette ville au duc de Bourbon, chargé de conquérir la Bretagne. Il s'y rendit donc ; mais
87
Ibid., p. 334.
Ibid., p. 334 ; — La Borderie, IV, p. 17.
89
D. Morice, "Hist.", I, p. 336 ; Pr., I. col. 1666.
90
D. Morice, "Hist.", I p. 338.
91
Ibid., pp. 338-342.
92
Ibid., pp. 345-346.
93
Ibid., p. 348.
94
Ibid., pp. 351, 353.
95
Ibid., pp. 357, 359.
96
Ibid., pp. 362, 363.
88
- 16 -
en trouva les bourgeois inébranlables dans leur fidélité au duc, et fut obligé d'en sortir assez
piteusement97.
Enfin, le 3 août 1379, Jean IV débarquait à Dinard, accueilli avec un enthousiasme
unanime : la comtesse de Penthièvre elle-même, oubliant ses malheurs et ne songeant qu'à
la liberté bretonne, avait été la première à le rappeler ! Il fit son entrée à Rennes le 20 août.
Olivier désappointé alla chercher un refuge dans l'armée du duc d'Anjou, à Pontorson98.
Bientôt, incapable de se contenir, il dirigea sur Guérande une entreprise inutile, et les
Guérandais allèrent aussitôt ravager, en représailles, les domaines qu'il possédait dans le
voisinage, c'est-à-dire Blain et Pontchâteau99.
L'infatigable rebelle assiégea encore Brest, la même année100.
Il eut alors le désagrément d'apprendre que Jean 1 er, vicomte de Rohan101, ayant prêté
serment de fidélité au duc, comme tous les seigneurs Bretons, y avait ajouté la clause :
"même contre Olivier de Clisson"102.
Bertrand du Guesclin mourut le 13 juillet 1380, devant Châteauneuf de Randon, en la
sénéchaussée de Beaucaire, et le roi Charles V le suivit dans la tombe, le 16 septembre
suivant. Avant le mois de novembre, le sire de Clisson était connétable, et cette haute
situation lui donnait un nouveau point d'appui contre le duc103.
En novembre 1380, une armée anglaise, conduite par le comte de Buckingam, arriva, très
mal à propos, au secours de Jean IV qui ne l'avait point demandée et dont elle ne fit que
contrarier la politique ; aussi la reçut-il fort mal. Ces alliés forcés et incommodes mirent le
siège devant Nantes, ville qui avait une garnison française : à la tête de ses défenseurs
étaient Amaury et Jean de Clisson, le premier cousin, le second frère consanguin du
connétable, c'est-à-dire fils du premier mariage d'Olivier IV, avec Blanche de Bouville 104.
Buckingam leva bientôt le siège ; puis, ne trouvant en Bretagne qu'hostilité ouverte, et
furieux contre le duc dont les excuses embarrassées n'avaient pu cacher l'indifférence, se
rembarqua à Hennebont, en 1381.
Olivier de Clisson fut compris dans le traité du 15 janvier 1381 qui rétablit la paix entre
Charles VI et le duc de Bretagne, et le ratifia le 25 février105 ; mais en demandant au roi des
sûretés pour les sommes qui lui étaient dues, à cause de la garde de certaines places de
Bretagne, désormais rendues eu duc. Enfin, le 4 avril 1381, à Guérande, il jura
définitivement d'observer ce traité106. Un accord spécial fut signé à Vannes, le 30 mai, entre
Jean IV et le connétable ; mais tous deux se méfiaient l'un de l'autre, et le duc de Bretagne,
un peu auparavant, avait fait une alliance secrète avec le duc d'Anjou, contre un sujet trop
redoutable pour n'être pas toujours suspect. Cependant, le 17 février 1382, les deux
ennemis, réconciliés tant bien que mal, se renouvelèrent mutuellement l'assurance de leurs
bonnes intentions107.
Libre d'inquiétudes du côté de la Bretagne, le connétable put alors diriger la belle
campagne de Charles VI contre les Flamands, en novembre 1382 il commandait l'avant-
97
D. Morice, "Hist.", I, p. 364.
Ibid., p. 367.
99
Ibid., p. 369. ; — La Borderie, IV, p.58.
100
D. Morice, "Hist.", I, pp. 369, 370 ; —La Borderie, IV, p.57.
101
Dont le fils, Alain VIII, épousa, vers 1386, Beatrix, fille aînée d'Olivier de Clisson et de Béatrix de
Laval. Le vicomte lui-même devint beau-frère du connétable qui épousa sa soeur, en 1388.
102
D. Morice, "Hist.", I, p. 371 ; Pr., II, col. 281.
103
D. Morice, "Hist.", I, p. 377.
104
D. Morice, "Hist.", pp. 378, 379.
105
D. Morice, "Hist.", pp. 380-381.
106
Ibid., p. 382.
107
Ibid., pp. 383, 384.
98
- 17 -
garde française à la célèbre bataille de Rosbecq, dans laquelle Arteveld trouva la mort. Son
cousin Amaury l'accompagnait108.
Le duc de Bretagne, bien qu'ayant rappelé près de lui quelques seigneurs Anglais, et
donné lieu de penser qu'il se rapprochait de l'Angleterre, n'en rejoignit pas moins, avec des
troupes bretonnes, l'armée française dirigée, en juillet 1383, contre les Anglais débarqués en
Flandre. Il concourut à la prise de Cassel. Dans sa suite, on remarque un certain Eon de
Lesnerac, "capitaine de Clisson", c'est-à-dire chargé par le connétable de la garde de cette
place109.
Le 10 septembre 1384, mourut la comtesse de Penthièvre, veuve de Charles de Blois.
Ses deux fils, Jean et Gui, prisonniers en Angleterre depuis 1356, comme otages pour la
rançon de leur père, ne pouvaient faire hommage au duc ; et ce dernier s'empressa de saisir
leurs terres. L'ainé, Jean, devenu comte de Penthièvre, dans sa détresse eut recours au
connétable, et, le 6 janvier 1385, le nomma son lieutenant-général en Bretagne. Celui-ci
accepta : il avait déjà rendu ce service à la comtesse défunte110.
En 1386, le roi se préparait à tenter une descente en Angleterre, et une flotte nombreuse
se réunissait à l'Écluse. Le connétable, ayant été presser le siège de Brest, toujours aux
mains des Anglais, fit construire devant cette ville, pour la mieux bloquer, deux forts, l'un de
pierre, l'autre de bois ; puis gagna Tréguer : il y faisait exécuter les pièces d'une ville de bois,
sorte d'enceinte garnie de tours, facile à transporter et à remonter, destiné à servir d'abri au
premier corps français, campant sur la rive anglaise. C'était un présent qu'il offrait au roi. Le
duc ne le troublait point ; car il était mécontent du roi Richard II qui refusait de lui rendre le
comté de Richemond, possession bretonne en Angleterre, et la ville de Brest111.
Le connétable partit donc de Tréguer en septembre 1380, avec 79 vaisseaux, sans
compter ceux qui portaient les pièces de la ville de bois, pour rejoindre le roi à l’Ecluse ; mais
l'expédition, traversée par le duc de Berry, n'eut pas lieu112. En 1387, sans se décourager, il
préparait une nouvelle flotte contre l'Angleterre.
La même année, Richard II livra le comte de Penthièvre au comte d'Oxford, pour que ce
dernier en tirât la rançon qu'il voudrait. Saisissant cette occasion de faire revenir en Bretagne
un ennemi du duc, Olivier fit offrir à Jean de Blois 120 000 livres pour sa rançon, à condition
d'épouser sa seconde fille, Margot de Clisson. Rien ne pouvait être plus habile ; mais
Jean IV eut connaissance de cette négociation, et s'en trouva gravement offensé. Il
dissimula d'abord, fit, le 8 mai 1387, un accord secret avec le duc de Berry, contre le
connétable, et convoqua ses Etats à Vannes. Olivier y étant venu, après avoir été comblé de
feintes caresses, fut tout à coup arrêté dans une tour du château de l'Hermine, alors en
construction.
Tout le monde a lu les détails de ce drame. Sauvé par un officier du duc, nommé
Bazvalan, et secouru par son beau-frère, le sire de Laval, il n'en dut pas moins accepter, le
27 juin 1387, les conditions les plus dures et les plus humiliantes, et promettre 100 000
francs d'or, somme énorme jusqu'au paiement entier de laquelle diverses places, entre
autres Clisson, devaient être remises aux mains de Jean IV. Tout cela était entaché de
violence et ne pouvait pas avoir d'effet. En y souscrivant, Olivier n'avait eu d'autre but que de
sauver sa vie et sa liberté. Relâché le 4 juillet, il courut à Paris, en deux jours, et, en
demandant justice au roi, lui remit son épée de connétable, ne voulant plus la porter, après
l'injure qu'il avait subie113.
Le roi refusa l'épée, mais ne mit pas beaucoup d'empressement à venger son connétable,
ennemi de ses oncles, les ducs de Berry et de Bourgogne. Il lui reprocha même, avec une
108
Ibid., pp. 385-386.
D. Lobineau, I, p. 445 — D. Morice, "Hist.", I, pp. 386, 387.
110
D. Morice, "Hist.", I, pp. 391,392.
111
D. Morice, "Hist.", I, p. 593.
112
Ibid., p. 395.
113
Ibid., I, pp. 397-401.
109
- 18 -
sorte d'aigreur, d'avoir été à Vannes "se faire prendre comme un enfant", au lieu de conduire
sa flotte en Angleterre. Fort mécontent, Olivier s'enferma dans son hôtel ; puis, voyant que
l'affaire traînait en longueur, fit reprendre, par ses alliés et ses amis de Bretagne, plusieurs
des places dont, avant de le laisser partir, le duc s'était fait mettre en possession. Alors,
craignant les conséquences d'une guerre civile en Bretagne, le roi envoya à Jean IV l'ordre
de mettre sous séquestre les places livrées par le connétable, et défendit à celui-ci de
continuer les voies de fait.
Le 31 décembre, le duc répondit au roi, avec des explications et des offres vagues et
embarrassées114.
Trois semaines après, en 1388, Jean comte de Penthièvre, rendu à la liberté, épousait
Margot de Clisson, fille de son libérateur. La même année, le connétable se remaria avec
Marguerite de Rohan, veuve de Robert de Beaumanoir et sœur de Jean 1er, vicomte de
Rohan.
Après plusieurs vaines tentatives d'accord, après bien des difficultés, les deux parties
consentirent enfin à venir plaider leur cause à Paris. Toutefois, le duc avait trouvé moyen de
se faire des amis à la cour. L'affaire fut jugée le 20 juillet 1388, à l'hôtel Saint-Pol : Jean IV
devait rendre la plupart des places qu'il avait enlevées par violence, sauf cependant Jugon
qui lui restait. L'acte ne fait aucune mention de Clisson, et nous en concluons que cette place
n'avait pas été livrée au duc. Celui-ci promit encore de restituer l'argent extorqué. De son
côté, le connétable rendait plusieurs places reprises par ses alliés, et en mettait d'autres
sous séquestre, jusqu'à plus ample informé. Pendant huit ans, il était dispensé de
comparaître à la cour ducale115.
Un accord particulier fut aussi conclu entre Jean IV et le comte de Penthièvre à qui l'on
promit des terres en Bretagne, jusqu'à une valeur de 8000 livres de rente, selon les clauses
du traité de Guérande.
Il n'y avait pas grand fond à faire sur ces traités. En effet, le connétable commença par
refuser de se dessaisir des places reprises et des prisonniers qu'il avait en son pouvoir, et le
comte de. Penthièvre ne voulut point fournir l'hommage féodal qu'il devait au duc116.
Le 2 mai 1389, Olivier écrivit une lettre, datée du "chastel de Clisson", à un de ses
capitaines, Pierre Robin, seigneur de la Tremblaye, avec ordre de lui amener sa compagnie
de gens d'armes et d'arbalétriers, pour l’accompagner à Paris où il se rendit peu après 117.
C'est un cas très rare, peut-être unique, où il nous est permis de constater sa présence à
Clisson. L'on a pu d'ailleurs se rendre compte par les pages précédentes, que jusqu'ici le
connétable n'avait guère eu de temps à passer dans le château de ses ancêtres. Il est
vraisemblable toutefois qu'il y fit divers séjours, surtout pendant l'exil de Jean IV en
Angleterre, entre 1373 et 1379 ; car en ces années, le gouvernement de Nantes lui fut confié
par le roi.
Pendant son voyage à Paris, le duc lui enleva d'abord Plancoët et la Roche-Dérien, puis
Chäteauceaux, malgré une ambassade de Charles VI, en faveur de la paix.
Mais plusieurs grands seigneurs Bretons se lassaient de cette guerre ; et, le 18 mars
1391, les sires de Laval, de Montfort, de Châteaubriant, de Malestroit et de Rochefort firent
accepter aux belligérants un traité qui restituait au connétable toutes ses places, même le
Gavre, ainsi que les sommes dont il avait racheté sa liberté. Olivier n'en fut point
complètement apaisé. Il continua à porter ses causes au Parlement de Paris, et le duc ne lui
remboursa point son argent. D'autre part, le comte de Penthièvre refusant toujours son
hommage, ne recevait point les terres que lui avaient concédées le traité de Guérande118.
114
D. Morice, "Hist.", I, pp 402-403.
Ibid., I, pp. 404-405.
116
Ibid., pp. 405-406.
117
D. Morice, "Hist.", I, p. 406.
118
Ibid., pp. 407, 408.
115
- 19 -
En janvier 1392, le duc, le connétable et le comte de Penthièvre se rendirent à Tours,
près du roi qui les accorda encore, à peu près sur le pied des traités précédents, et d'ailleurs
sans plus de résultat119.
Un grave incident vint compliquer la situation. Le soir de la fête du Saint-Sacrement de
l'année 1392, le connétable, revenant de l'hôtel Saint-Pol, fut attaqué et laissé pour mort, au
carrefour de Sainte-Catherine du Val-des-Ecoliers, par son ennemi personnel, Pierre de
Craon, seigneur de Sablé, parent du duc de Bretagne. Mais il n'était pas mortellement atteint
et se remit assez vite. L'agresseur s'enfuit d'abord en Bretagne, où Jean IV le reçut fort mal :
"Vous êtes un chétif, lui dit-il, de n'avoir pu occire un homme duquel vous étiez au dessus".
Pierre de Craon s'embarqua pour l'Espagne et trouva un refuge à Barcelone.
Le roi, indigné cette fois sérieusement, demanda des explications au duc de Bretagne qui
fit l'étonné, et déclara ne rien savoir de l'attentat ni de Pierre de Craon. Malgré ces
protestations d'innocence, Charles VI, sans écouter les représentations de ses oncles, se
dirigea alors vers la Bretagne, à la tête d'une belle armée. Il ne devait point venger son
connétable. A la sortie du Mans, près de Sablé, il fut frappé de folie, dans les circonstances
dramatiques que nos lecteurs connaissent certainement. Jean IV était sauvé.
L'entreprise fut aussitôt rompue, et Olivier de Clisson, sans appui contre la haine des ducs
de Berry et de Bourgogne, et même ouvertement menacé par ce dernier, se retira à Josselin.
L'on informa contre lui, et sa charge fut donnée à Philippe d'Artois, comte d'Eu, gendre du
duc de Berry. C'était en décembre 1392120.
A la double nouvelle de la folie du roi et de la disgrâce complète de son ennemi, le duc de
Bretagne, rompant quelques pourparlers, engagés au sujet de l'exécution du traité de Tours,
déclara aussitôt à Olivier une guerre à outrance.
Celui-ci, dans des circonstances aussi critiques, fit briller d'un vif éclat ses grandes
qualités militaires. Favorisé en secret par le duc d'Orléans, ennemi du duc de Bourgogne, il
arma ses vassaux et se posta dans Moncontour. Pendant ce temps, en février 1393, sa
femme soutenait dans Josselin un siège poussé avec fureur par le duc en personne et par
Pierre de Craon, revenu d'Espagne. La forteresse allait être emportée, lorsque le vicomte de
Rohan s'interposa, et le sire de Clisson, en retour de la levée du siège, s'engagea à payer
120 000 francs d'or. Cette condition était dure, mais ne fut point exécutée.
Refusant de retourner à la cour de France, où sa place était occupée par un autre, Olivier
de Clisson se défendit avec tant d'habileté que le duc, effrayé de la lutte, lui accorda, le 3
janvier 1394, par l'entremise des ambassadeurs du roi, une trêve de deux mois, de laquelle
Pierre de Craon était seul excepté. Suivirent des propositions de paix qui n'aboutirent pas, et
la guerre recommença.
Pendant l'année 1394, Jean IV échoua devant Moncontour, mais pilla les faubourgs de
Lamballe, capitale du Penthièvre, et prit et fit démolir la Roche-Dérien, sous les yeux des
ambassadeurs du roi, qui s'épuisaient en tentatives d'apaisement; puis se retira à Morlaix.
De son côté, Clisson s'empara, après un siège de quinze jours, de la cathédrale fortifiée de
Saint-Brieuc, et du château du Perrier qu'il rasa : il était soutenu par des troupes, fournies
par le roi et le duc d'Orléans.
Se trouvant le plus fort, le duc rassembla son armée et vint près de Saint-Brieuc, offrir la
bataille à son sujet ; mais Olivier, bien enfermé dans la ville, n'eut garde d'en sortir, d'autant
plus que le roi rappela, sur ces entrefaites, les troupes qu'il lui avait envoyées121.
Cette guerre étrange épuisait la Bretagne, et Jean IV ne pouvant y mettre fin par la force,
songea de bonne foi à de sérieuses négociations. Il offrit de remettre son fils aîné en otage à
son ennemi, si celui-ci voulait venir à Vannes. Olivier, se souvenant du guet-apens de 1387,
119
Ibid., pp. 410-412.
D. Morice, "Hist.", I, pp. 413-417.
121
Ibid pp. 418-420.
120
- 20 -
resta méfiant et refusa. Le duc ordonna donc à ses troupes de venir le rejoindre à Auray,
toutefois sans commettre aucun acte d'hostilité sur leur route 122.
Le 12 novembre 1394, le duc, le connétable et le procureur du comte de Penthièvre
rejoignirent à Ancenis le duc de Bourgogne, choisi par le roi pour arbitre dans cette grande
affaire, et l'accompagnèrent à Angers où ils exposèrent leurs griefs réciproques. L'on se
sépara ensuite, en attendant le jugement, remis à plus tard. Ce jugement fut rendu le 24
janvier 1395, et le duc de Bourgogne publia la paix en Bretagne123. Malgré tout, la guerre se
poursuivit : Jean IV prit et rasa le château de Tonquédec, mais perdit toute sa vaisselle et
ses joyaux, que Clisson trouva moyen de lui enlever124.
Enfin des amis communs s'interposèrent, et firent cesser cet état de choses, intolérable
pour la Bretagne. Le duc prit une grande résolution, et écrivit de sa main à son ennemi, pour
lui demander un entretien. Olivier ayant réclamé comme otage le fils aîné de son maitre, le
jeune prince, âgé de moins de six ans, lui fut immédiatement amené à Josselin, par le
vicomte de Rohan. Une telle marque de confiance toucha le connétable : il prit de suite le
chemin de Vannes, reconduisant le futur Jean V à son père.
Les deux adversaires s'enfermèrent seuls dans une salle du couvent des Dominicains de
Vannes, et conférèrent pendant deux heures ; puis firent ensemble une promenade en
bateau sur le golfe du Morbihan. Ils étaient sincères et leur réconciliation fut complète. Le 19
octobre 1395, leurs procureurs, réunis à Aucfer, près de Redon, dressèrent un traité définitif,
signé à Rieux par Olivier, le 20 octobre, et à Guingamp par le comte de Penthièvre, cinq
jours après125. Depuis lors, tous trois vécurent en bonne intelligence, et la paix fut rendue à
la Bretagne.
Dans la nuit du 1er au 2 novembre 1399, Jean IV dit le Conquérant décéda dans son
château de Nantes126. La Chronique de Saint-Brieuc, œuvre de passion, accuse fort
injustement le connétable de l'avoir fait empoisonner127. Ce dernier était alors à Josselin.
Alain Bouchard128 prétend qu'ayant été nommé tuteur de Jean V et régent de Bretagne, par
le testament du duc défunt (ce qui est une erreur ; car il le fut par la duchesse et les Etats),
sa fille, la comtesse de Penthièvre, voulut lui persuader de faire mourir le prince confié à sa
garde, afin que la Bretagne revint aux petits-fils de Charles de Blois, dont elle était la mère.
Dans son indignation, Olivier se serait jeté sur elle, un épieu à la main, en s'écriant ; "Ah !
perverse et cruelle femme ! Si tu vis longuement, tu seras cause de détruire tes fils
d'honneur et de biens !" En s'enfuyant, Margot de Clisson aurait trébuché dans un escalier et
se serait brisé une jambe, dont elle resta toujours boiteuse depuis lors. Ce récit ne nous
paraît nullement authentique : c'est sans doute une légende, forgée après l'attentat des
Penthièvre sur Jean V, en 1420.
Quoi qu'il en soit, le roi, usant de son droit de suzerain, ne ratifia point le choix de la
duchesse et des Etats, et choisit pour régent de Bretagne et tuteur des enfants de Jean IV,
le duc de Bourgogne, son oncle.
Le prince défunt laissait quatre fils Pierre dit Jean, comte de Montfort, son successeur, qui
épousa Jeanne de France ; Arthur, Gilles et Richard. Ce dernier qui mourut en 1438, fut
comte d'Etampes et sire de Clisson, épousa, en 1423, Marguerite d'Orléans, et fut père du
duc François II. Jean IV avait aussi deux filles, Marguerite et Blanche.
Le 1er janvier 1400, fut signé au château de Blain, un traité de paix et d'accord entre la
duchesse douairière, Olivier de Clisson et ses deux gendres, le comte de Penthièvre et le
122
D. Morice, "Hist.", I, pp. 420-421.
Ibid., pp. 421-422.
124
Ibid., p. 423.
125
Ibid., p. 425.
126
Ibid., p. 429.
127
La Borderie, IV, p. 139.
128
"Grandes Chroniques de Bretagne", édit. des Biblioph. Bret., folio 170.
123
- 21 -
vicomte de Rohan129. Deux ans après, la duchesse épousa le roi d'Angleterre, Henri IV. Elle
ne s'embarqua à Nantes pour aller trouver son second mari, que le 20 décembre 1403130.
En 1402, le duc de Bourgogne, régent de Bretagne, vint à Nantes, et malgré l'opposition
des seigneurs du pays, à la tête desquels était Olivier de Clisson, reçut la garde de Jean V,
âgé de 13 ans, et de ses frères, Arthur et Gilles. Il les emmena tous à Paris, après avoir
gagné, à force de présents, les sympathies de la duchesse et d'une partie de la cour de
Bretagne131.
Au cours de l'année 1403, une flotte anglaise qui avait fait quelques prises sur les côtes
bretonnes, fut détruite, au large de Brest, par des navires qu'Olivier de Clisson envoya à sa
poursuite. Ce seigneur avait toujours des ennemis secrets en Bretagne : avant le départ de
la duchesse, il lui avait offert une grosse somme, pour obtenir d'elle le gouvernement du
château de Nantes, et l'affaire allait réussir,- lorsque le capitaine de Nantes, Gilles d'Elbiest,
eut l'adresse de la rompre. Le mariage de la duchesse n'arrêta point, d'ailleurs, la guerre qui
se faisait sur mer entre Bretons et Anglais132.
Jean V ayant atteint, en 1404, l’âge de 15 ans, celui de sa majorité féodale, fut mis en
possession du duché par le duc de Bourgogne, avec le sire de Laval pour curateur et
conseiller133.
Le 16 janvier de cette année, mourut Jean de Châtillon dit de Blois, comte de Penthièvre,
fils de Charles de Blois. Il laissait, de son mariage avec Margot de Clisson, six enfants :
Olivier comte de Penthièvre, Jean sire de l'Aigle, Charles seigneur d'Avaugour, Guillaume
vicomte de Limoges, Marguerite, première femme de Jacques II de Bourbon, comte de la
Marche, et Jeanne qui épousa successivement Jean Harpedane, seigneur de Montaigu, et
Robert de Dinan, baron de Châteaubriant. Les deux premiers moururent sans postérité, et
leur succession passa à Nicole de Blois, fille du seigneur d'Avaudour, qui l'apporta à son
mari, Jean Il de Brosse, seigneur de Sainte-Sevère et de Boussac, en Berry134.
La guerre continuait toujours entre les Bretons et les Anglais, et ceux-ci enlevèrent, près
de Guérande, 58 muids de sel, appartenant à Olivier de Clisson.
Le 14 janvier 1405, Jean V gouverna seul : le duc de Bourgogne était mort depuis
quelques mois135. Il maria sa sœur Marguerite, le 23 avril 1407, avec Alain IX de Rohan,
comte de Porhoêt, petit-fils d'Olivier de Clisson, ce qui contraria les ambitieux projets de la
comtesse de Penthièvre. En faveur de ce mariage, Alain VIII vicomte de Rohan céda à son
fils unique, le comte de Porhoët, le tiers de tous ses biens, présents et futurs, parmi lesquels
les terres de Clisson et de la Garnache sont expressément citées136 ; car les deux filles du
connétable avaient partagé la succession de leur père, du vivant et avec l'assentiment de ce
dernier137. Il faut admettre cependant que certains changements eurent lieu dans cette
répartition, après la mort d'Olivier, puisque Clisson passa alors dans le lot de la comtesse de
Penthièvre.
Le jour même du mariage de son petit-fils avec Marguerite de Bretagne, 23 avril 1407, le
connétable décéda à Josselin, et fut inhumé dans la collégiale de Notre-Dame de cette
129
D. Morice, "Hist.", I, p. 429.
Ibid., pp. 431, 433.
131
Ibid., p. 432.
132
D. Morice, "Hist.", I, p. 433.
133
Ibid., p. 434.
134
Ibid., pp. 434, 435.
135
Ibid., pp. 436, 437.
136
Ibid., p. 439 ; Pr., II, col. 784-785 ; — D. Lobineau, I, p. 511. Ces terres devaient former le douaire
de Marguerite de Bretagne, en cas de décès de son mari.
137
D. Morice, Preuves, II, col. 770-779.
130
- 22 -
ville138. Il était né en 1336, l'on ne sait en quel mois. Dans ses derniers jours, il avait été
accusé de divers crimes par les officiers du duc, condamné à une prison perpétuelle, et tous
ses biens déclarés confisqués. Il n'avait pu même mourir en paix qu'en promettant 100 000
francs d'or à Jean V qui, de Ploërmel, allait l'assiéger dans Josselin. En agissant ainsi, le duc
ne se fit pas honneur : il devait témoigner plus de considération à l'un des plus grands
hommes de guerre du XIV e siècle, au protecteur de son enfance, au glorieux blessé de la
bataille d'Auray, et même à celui qui, pendant tant d'années, avait su tenir tête au duc Jean
IV le Conquérant. Le vicomte de Rohan et la comtesse de Penthièvre s'obligèrent pour la
somme promise par le mourant, à condition qu'on ne leur demandât rien de plus, pour le
rachat des terres dont ils héritaient. Puis le duc leur accorda des lettres d'abolition pour le
passé, et, en retour, ils renoncèrent à tous les appels interjetés par leur père et beau-père au
parlement de Paris. Ces divers actes sont datés du 23 avril, jour de la mort du connétable 139.
Jean V avait marqué d'un souvenir fâcheux le début de son règne, et pour un bien médiocre
résultat.
Sceau d’Olivier de Clisson
Dans son testament, en date du 5 février 1407140, Olivier de Clisson partageait ses biens
entre ses deux filles, issues de son premier mariage avec Béatrix de Laval, à savoir la
vicomtesse de Rohan et la comtesse de Penthièvre, de manière à ce que la première et
l’aînée en eût les deux tiers, et la seconde l'autre tiers141. Il léguait la châtellenie de
Montfaucon pour la fondation et la dotation d'une collégiale de chanoines, à Notre-Dame de
Clisson, se réservant à lui et à ses successeurs, la collation des prébendes de ce chapitre, et
chargeant Mtre Jean Reyrant de poursuivre en cour de Rome la confirmation de cette
fondation, ainsi que celle d'un couvent de Frères Mineurs (Cordeliers), à Clisson. Il donnait à
la collégiale de cette ville une image d'argent de Notre-Dame, du poids de vingt marcs. De
plus, il fondait une chapellenie de Notre-Dame à Josselin, et faisait de grandes aumônes aux
pauvres de la châtellenie de Clisson. Il exemptait aussi ses vassaux du droit de guet par
deniers sur ses terres. C'était le devoir de faire le guet dans le château du seigneur, en
temps de guerre seulement, transformé en une somme d'argent, levée chaque année en tout
138
L'on peut voir dans "Histoire de Bretagne" de D. Morice (I, p.440), et dans celle de D. Lobineau (I,
p. 510), la gravure du monument funéraire, avec statue d'Olivier de Clisson, élevé dans cette
église, et détruit en 1793.
139
D. Morice, "Hist.", I, pp. 430-440 ; Pr, col. 786-787.
140
D. Morice, Preuves. Il, col. 779-782.
141
Le connétable n'eut pas d'enfant de son second mariage avec Marguerite de Rohan.
- 23 -
temps, et qui constituait, parait-il, un impôt assez lourd. Enfin il laissait trois cents livres à
Jean de Lesnerac, capitaine de Clisson, et chargeait Robert de Beaumanoir, son ami, de
remettre au roi son épée de connétable.
Dès lors, Clisson appartint à la comtesse de Penthièvre, ainsi que la très forte place de
Châteauceaux, sur la Loire. Le ressentiment de cette dame contre la maison régnante, était
loin d'étre éteint, et c'était vainement que le duc s'était flatté de l'avoir mise hors d'état de
nuire, en lui enlevant, par le mariage de Marguerite de Bretagne, l'appui de la maison de
Rohan. Dès 1408, en effet, Margot de Clisson se révolte, fait maltraiter des sergents du duc,
venus sur ses terres pour y exercer leurs fonctions, et se refuse à tout arrangement142. Sa
rébellion continua en 1409. Le principal objet de la querelle était la très importante place de
Moncontour, que Jean V voulait enlever aux Penthièvre.
Enfin, la comtesse ayant fait tuer un des sergents du duc, ses biens furent déclarés
confisqués ; mais le duc de Bourgogne, prenant parti pour elle, lui fit passer des secours, et
des rencontres sanglantes se produisirent bientôt sur les frontières du Penthièvre143.
Jean V, embarrassé et craignant que la fille du connétable, dont l'audace et la violence
égalaient celles de son père, ne fit renaitre les mauvais jours du règne précédent, consentit,
en 1410, à porter le différend devant la cour du roi. Celui-ci nomma des arbitres qui
prononcèrent un jugement, accepté par la comtesse et son fils, mais repoussé par le duc.
Peu après, eut lieu l'assemblée de Gien, entre les ducs de Bretagne, de Berry, d'Orléans, les
comtes d'Alençon, de Clermont et d'Armagnac, s'unissant pour s'opposer à l'influence du duc
de Bourgogne.
Le 8 août, Jean V, après s'être secrètement entendu avec ce dernier, traita avec la
comtesse de Penthièvre en échange de Moncontour qu'il garda, il lui rendit la Roche-Dérien,
Châteaulin, Avaugour, le Gage, et toutes les terres prises au cours des dernières hostilités ;
de plus, il lui assura 2000 livres de rente sur des terres dépendant du duché, mais situées en
France.
La paix régna ensuite entre eux pendant dix années144 et, du côté de Jean V, la
réconciliation fut loyale et complète. Il combla les Penthièvre de marques d'amitié et de
confiance, et se conduisit dès lors, à leur égard, en bon parent. En 1412, Charles de Blois,
seigneur d'Avaugour, était chambellan du duc qui, de plus, lui fit signer, en 1417, le projet de
mariage de sa fille Isabeau avec le duc d'Anjou. Olivier lui-même, l’aîné, accompagna son
souverain en France, l'an 1418.
Grand et petit sceaux de la châtellenie de Clisson en 1412
142
D. Morice, "Hist.", I, p. 442.
D. Morice, "Hist.", I, pp. 444-445.
144
D. Morice, "Hist.", I, pp. 444-445.
143
- 24 -
CHAPITRE - III
De 1420 à la fin du XVIIe siècle
Cependant la haine de Margot de Clisson survivait, tenace et terrible, et les sourdes
menées du dauphin la firent bientôt éclater. Le dauphin savait que la reine et un parti
puissant avaient résolu de l'exclure de la couronne, au profit du roi d'Angleterre. Mécontent
de Jean V qui, après lui avoir promis des troupes, ne les lui avait pas envoyées, il s'engagea
envers les Penthièvre, par lettres scellées, à les soutenir, en cas qu'ils pussent se rendre
maîtres du duc de Bretagne, suivant un projet abominable qu'ils avaient tramé entre eux.
Au début de 1420, le comte de Penthièvre et sa mère, pour mieux tromper Jean V, le
prièrent de leur permettre de s'unir à lui par un traité spécial, avec la mention : "contre tous
ceux qui peuvent vivre et mourir". Le malheureux prince y consentit et, de Vannes, se rendit
à Nantes.
Là Olivier de Blois vint le prier, avec force témoignages d'affectueux respect, d'aller
passer quelques jours à Châteauceaux, pour chasser et se divertir. Or Jean V avait en ce
traître une telle confiance qu'il comptait, s'il mourait le premier, lui laisser la régence du
duché et la garde de ses enfants. Toutefois ses plus fidèles serviteurs pensaient très
différemment, et le conjurèrent de ne point accepter de partie de plaisir à Châteauceaux,
sombre et puissante forteresse qui leur inspirait de tristes prévisions. Le comte de
Penthièvre en eut connaissance, et s'en plaignit au duc, promettant avec serment de le
ramener à Nantes sain et sauf, s'il lui faisait l'honneur d'entrer dans son château ; mais le
duc l'assura avec bonté que rien n'était changé dans ses sentiments, et qu'il ne tenait aucun
compte des mauvais propos.
Le 12 février 1420, Jean V et son frère Richard s'en furent donc, avec une faible escorte,
coucher au Loroux-Bottereau. Olivier de Blois les y laissa et partit en avant, avec les
maîtres-d'hôtel et la vaisselle du duc, pour tout préparer, disait-il. Il revint les chercher le
lendemain, pressant leur départ et affirmant que "les dames les attendaient". L'on se mit en
route et l'on arriva au pont de la Troubarde, simple assemblage de planches mobiles, jeté
sur le ruisseau de la Divatte. Le duc et son frère passèrent les premiers avec peu de monde.
Aussitôt, pour les séparer du reste de leur suite, les planches du pont furent retirées, et
Charles de Blois, seigneur d'Avaugour, apparut à la tête de quarante lances, armées de pied
en cap, et mit la main sur Jean V, "au nom du dauphin". Tout cela s'était passé si
inopinément, que le duc crut d'abord à une plaisanterie. Mais les quelques gentilshommes
qui l'accompagnaient dégainèrent et, avec un courage admirable, se jetèrent, tête baissée,
sur les assaillants : ils n'étaient point en équipage de guerre, et bientôt tous étaient tués ou
grièvement blessés. Ceux qui avaient précédé leur maître à Châteauceaux y furent arrêtés,
et quelques-uns conduits prisonniers à Clisson.
Jean V et son frère, attachés chacun sur un cheval, traversèrent Clisson le soir même,
sans s'y arréter, et avec menaces de mort, s'ils se fussent fait reconnaître. On les conduisit à
Palluau, puis à Châteauceaux, en les chargeant d'outrages et en les traitant indignement :
c'est à peine si on leur donnait quelques aliments grossiers, et, pendant que les soudards de
l'escorte faisaient ripaille dans les auberges, ils restaient au dehors sous la pluie, liés comme
des criminels.
A la nouvelle de cet odieux attentat, la duchesse tint conseil le 16 février, et, les Etats
étant assemblés à Vannes le 23, elle députa à son frère le dauphin. Pendant ce temps,
Margot de Clisson fortifiait et garnissait de troupes étrangères Châteauceaux, Clisson,
- 25 -
Palluau et d'autres places. Elle déclara même la guerre aux fidèles sujets du duc, et, faisant
tomber toute sa fureur sur Nantes, commença à ravager le comté Nantais. Le dauphin resta
muet, ou s'excusa on ne sait en quels termes.
Mais la Bretagne se leva comme un seul homme, pour la défense de son prince, et, à
l'appel de la duchesse, deux grandes armées se formèrent rapidement et se mirent en
campagne, grossies d'une foule de Bretons servant en France et qui s'empressèrent alors de
regagner leur pays, pour y remplir leur devoir. On assiégea Lamballe, capitale du Penthièvre
et centre de la rébellion.
Le pauvre duc passait de fort tristes jours. Plusieurs fois, Margot de Clisson et ses fils,
avec force injures et menaces, lui arrachèrent des ordres pour que les troupes bretonnes
cessassent leurs entreprises ; mais la duchesse et ses capitaines n'eurent aucun égard à
des lettres évidemment extorquées par violence à un prisonnier. Lamballe fut emporté
d'assaut, Guingamp capitula, et bientôt les principales places des Penthièvre furent prises,
tandis que Jean V que l'on voulait mettre hors de la portée de ses défenseurs, était traîné
secrètement de château en château, jusqu'en Saintonge. Après deux mois de voyages, on le
ramena à Clisson.
Sur ces entrefaites, le dauphin, voyant que l'affaire tournait mal pour ses alliés, les
abandonna et se prononça pour le prince captif ; et les Bretons, partout vainqueurs,
assiégèrent Margot de Clisson elle-même, dans Châteauceaux. La place était si forte qu'elle
tint bon pendant quelque temps. Enfin, voyant toutes ses ruses déjouées, perdant tout espoir
d'être secourue du dehors, et redoutant le massacre qui suit une prise d'assaut, la comtesse
dut se résoudre à demander composition. Son prisonnier avait été conduit à Clisson et y était
gardé depuis lors : elle subit l'humiliation de l'envoyer chercher par un de ses fils, et de le
remettre aux mains des assiégeants, le 5 juillet 1420.
Le soir même, Jean V couchait dans son château de Nantes. En vertu de la capitulation,
les Penthièvre purent se retirer librement en France ; mais Châteauceaux fut démoli de fond
en comble, et aujourd'hui le voyageur curieux a peine à reconnaître les traces de ses
murailles, sous l'herbe et les taillis145.
Pendant les cinq derniers mois, Jean V avait beaucoup souffert et avait souvent craint
pour sa vie. Dans ces circonstances critiques, il avait eu recours à des vœux extraordinaires
qu'il s'empressa d'accomplir : les principaux étaient le don de son pesant d'or, tout armé, aux
Carmes de Nantes, et de son pesant d'argent à Saint-Yves de Tréguer. Le premier ne lui
coûta pas moins de 380 marcs et sept onces d'or, qu'il livra d'abord en joyaux et vaisselle, et
racheta ensuite pour des rentes perpétuelles. Il dut même se faire relever de certains vœux
indiscrets, comme d'aller à Jérusalem, et de ne jamais établir d'impôts nouveaux sur ses
sujets146.
Le comte de Penthièvre et son frère, le seigneur d'Avaugour, qui avaient mis la main les
premiers sur leur souverain, furent cités à comparaître en personne aux Etats de Vannes ;
leur mère et leurs deux autres frères, seulement par procureurs. Jean, sire de l'Aigle, y
acquiesca seul tout d'abord, et le duc envoya à Clisson où étaient la comtesse et son fils
aîné, un projet de soumission à des conditions fort douces ; car il était bon et porté à la
clémence. Olivier de Blois promit de s'y conformer, et, en témoignage de son repentir, remit
comme otage son frère Guillaume.
Toutefois, les coupables se sentaient chargés d'un crime si énorme, qu'ils doutèrent de la
miséricorde de leur prince, et n'osèrent se présenter devant les Etats, assemblés à Vannes
le 15 septembre 1420, pour y demander grâce, comme ils s'étaient engagés à le faire. En
conséquence, ils furent déclarés infâmes, parjures et contumaces, et tous leurs biens furent
confisqués. Par un excès d'indulgence, le duc déclara qu'ils pourraient encore obtenir leur
pardon aux prochains Etats qui se réuniraient à Vannes, le 16 février 1421. Ce terme passé,
les Penthièvre ne se présentèrent pas davantage, et abandonnèrent à son sort leur
145
146
D. Morice, "Hist.", I, pp. 473-480 — La Borderie, Ivn pp. 196-214 ; — D. Lobineau, I, pp. 542-549.
D. Morice, "Hist.", I, p. 480.
- 26 -
malheureux frère Guillaume, seul innocent de la famille, qui languit de longues années en
prison et perdit la vue à force de pleurer. Le duc disposa donc des domaines confisqués sur
les rebelles147.
Déjà, par lettres datées de Vannes, le 29 septembre 1420, il avait donné en apanage à
son frère Richard, compagnon de sa captivité, 6000 livres de rente, assises sur Clisson,
l'Epine-Gaudin et autres terres de Margot de Clisson148. Cette donation fut confirmée par lui,
au château de l'Hermine, à Vannes, le 9 décembre 1421 ; à Nantes, le 4 mars 1424, et à
Redon, le 26 novembre 1436149.
Les Penthièvre, en s'enfuyant, avaient laissé une garnison dans Clisson où ils comptaient
d'ailleurs des partisans, et, pour se mettre en possession de cette pièce importante de son
apanage, Richard dut commencer par l'assiéger. Le château et la ville ne firent guère de
défense, et se rendirent presque de suite, peu avant le 5 octobre 1420150.
Olivier de Blois, comte de Penthièvre, se réfugia en Hainaut, et y passa le reste de ses
jours. Il avait épousé Jeanne de Lalain et en eut des enfants qui ne vécurent pas. Les terres
qui lui étaient restées en France, passèrent à son frère, le sire de l'Aigle.
Le 8 mai 1421, par le traité conclu à Sablé, entre le dauphin et Jean V, Richard de
Bretagne, le nouveau sire de Clisson, reçut le comté d'Etampes, puis, bientôt après, celui de
Mantes, en récompense d'avoir enlevé de Paris, en 1418, la dauphine, menacée par les
Bourguignons: Richard, s'il prit le nom de comte d'Etampes, ne jouit jamais de ce beau fief ;
car le duc de Bourgogne, Jean-Sans-Peur, s'en était emparé dès 1418, et on ne put jamais
le lui faire rendre. Le duc Francois Il ne fut pas plus heureux que son père : il prit aussi le
nom de ce comté dont, malgré toutes ses réclamations au parlement de Paris, il ne fut
jamais le maître. Étampes fut cependant donné à la reine Anne, par Louis XII, en 1513, et fit
retour à la couronne, après la mort de la reine Claude. François 1er en gratifia
successivement Anne de Pisseleu et Diane de Poitiers 151. Richard de Bretagne, par son
mariage avec Marguerite d'Orléans, en 1423, devint aussi comte de Vertus (en Champagne,
près Châlons-sur-Marne), terre qui entra dans la dot de sa femme152. Vertus suivit plus tard
la succession des Avaugour, bâtards de Bretagne, issus de François Il ; passa, en 1746, au
prince de Soubise, et, en 1792, était indivis entre la princesse de Guéméne, fille de ce
seigneur, et les enfants de la princesse de Condé, son autre fille.
En 1422, les habitants de Clisson se plaignirent au sujet d'une taille pour guet et garde,
dont ils avaient été déchargés par le testament du connétable, mais qui avait été rétablie par
Margot de Clisson et aussi par les officiers de Richard de Bretagne. Une enquête fut
147
D. Morice, "Hist.", I, pp. 482, 483, 485, 485.
"Lettres de Jean V" par M. René Blanchard, n°1436.
149
Ibid., n°1513, 1583, 2241. Le n°1848 du même ouvrage reproduit des lettres du 25 août 1429, dans
lesquelles on trouve encore une allusion à la donation de Clisson à Richard de Bretagne.
150
D. Lobineau, p. 523 ; — D. Morice, Preuves, II, col. 1049 ; — "Lettres de Jean V", n°1417 Vannes,
4 septembre 1420. Remise à Jean Augier des obligations qu'il avait contractées envers
Guillaume Simon, habitant de Clisson, rebelle et complice des Penthièvre. — N°1423 Vannes, 5
octobre 1420. Ratification du traité de capitulation des habitants de Clisson. — n°1529 janvier
1423. Les Rochers, confisqués sur Jean et Sevestre Sebien, complices des Penthièvre, en
garnison au château de Clisson; et donnés à Pierre de la Marzelière, ayant été rendus aux
Sebien, après le pardon accordé à la garnison de Clisson, Pierre de la Marzelière reçoit, en
échange, 200 livres de rente. — n°1715, 8 novembre 1426. Confirmation de la donation de la
terre de la Cormeraye, près de Clisson, faite à Guillaume de Mauge, "après la reddition du
chastel de Clisson".
151
Voir les vicissitudes et les détails de l'histoire fort embrouillée du comté d'Etampes, dans les
"Seigneuries de Bretagne hors de Bretagne", par le regretté président J. Trévedy, excellent
ouvrage. plein d'érudition, paru dans la Revue Bretagne, de Vendée et d'Anjou, en 1897 — D .
Lobineau, I, pp. 535, 557, 728-729, 736, 739 ; — D. Morice, "Hist", I, pp.486-487.
152
"Seigneuries de Bretagne hors de Bretagne".
148
- 27 -
ordonnée sur cette affaire, le 22 novembre 1422153. Il paraît qu'elle n'aboutit pas ; car ce fut
seulement le 12 octobre 1430 que les Clissonnais furent déclarés libres de toute imposition
pour droit de guet, mais à condition de faire personnellement la garde au château, en cas de
besoin154. Cette garde bourgeoise ne passait pas pour une troupe bien sérieuse, et lorsqu'un
danger menaçait, on ne manquait pas de lui adjoindre de véritables gens de guerre. C'est
ainsi qu'un mandement ducal du 27 décembre 1427, accorde une certaine somme à
"Monseigneur d'Etampes, pour luy aider au soulday des gens d'armes et de trait, qu'il tient à
Clisson et ailleurs"155.
Nous allons maintenant dire quelques mots de la châtellenie de Clisson, de ses droits et
de son importance, â la date où en est arrivé notre récit. M. le chanoine Guillotin de
Corson156 nous fournit une description de cette seigneurie, tirée de divers aveux, postérieurs,
il est vrai, à la donation de 1420. Toutefois, ces aveux doivent, selon un usage constant, en
reproduire presque textuellement d'autres plus anciens, et nous présentent ainsi un état de
choses, remontant au milieu du XV e siècle, et probablement même plus haut, au moins pour
partie.
La châtellenie de Clisson s'étendait en Bretagne et en Bas-Poitou, sur 23 paroisses, à
savoir : d'abord les 5 paroisses de Clisson, Notre-Dame, la Trinité, la Madeleine, SaintGilles-et-Saint-Brice, Saint-Jacques, réserve faite de ce que nous avons dit des paroisses de
la Trinité et de Saint-Jacques, qui semblent n'avoir été fondées qu'après 1428 ; puis les
paroisses bretonnes de Gorges, Monnières, Mouzillon et Vallet ; celles de la Bruffière,
Cugand, Gétigné et Boussay, formant les Hautes-Marches communes de Bretagne et
Poitou157, où le sire de Clisson partageait les droits de mutation, dits lods et ventes, avec le
seigneur de Tiffauges ; celles de Saint-Lumine-de-Clisson, Aigrefeuille, Montebert, SaintHilaire-du-Bois, la Bernardière, dans les Marches avantagères à la Bretagne sur le Poitou ;
enfin celles de Saint-Hilaire-de-Loulay, Treize-Septiers, la Guyonnière, les LandesGenusson et la Boissière-de-Montaigu, dans les Marches avantagères au Poitou sur la
Bretagne158. Dans ces 10 dernières paroisses, il y avait partage inégal des droits de
juridiction, entre le sire de Clisson et les seigneurs Poitevins.
Une partie des terres des abbayes de Villeneuve et de Geneston, enrichies des libéralités
des sires de Clisson, et diverses seigneuries, tant laïques qu'ecclésiastiques, relevaient de la
châtellenie, à laquelle revenaient un grand nombre de redevances féodales : paires de gants
blancs à la Mi-Août, 4 poires d'angoisse à Noël (sur le Pin-Sauvage en Cugand), éperons
d'or à la Pentecôte159, chevreaux à Pâques, moutons à l'Ascension, porcs à la Saint Michel,
besants d'or valant 23 sols monnaye, etc. ; outre beaucoup de rentes en argent et en nature
: vin, blé, volaille, un millier et demi de tuiles, dû par les briqueries de Monnières.
Le sire de Clisson était présentateur du chapitre de Notre-Dame, et prééminencier dans
les églises de Clisson. Il avait un sergent et un four banal à Vallet, un capitaine et un droit de
guet à Clisson. Il faisait tenir, dans cette ville, deux marchés par semaine, les mardi et
vendredi, et six foires par an, aux fêtes de Saint Antoine, de la Mi-Carême, de l'Ascension,
de Saint Jacques ou de la Madeleine, de Saint Lucas et de Saint André 160. Il avait un droit
sur le sel importé à Clisson, et de ce droit le prieur de Saint-Jacques et le seigneur du Pin-
153
"Lettres de Jean V" n°1510.
Ibid., n°1923.
155
Ibid., n°1785.
156
"Grandes seigneuries de Haute-Bretagne", III, pp. 76-82 : "Clisson, châtellenie".
157
M. Chénon, "Les marches séparantes…", p. 53.
158
M. Chénon, pp. 27-23.
159
La Pentecôte était appelée la Pâque des chevaliers, parce que cette fête était souvent choisie pour
l'adoubement des nouveaux chevaliers.
160
Il y a toujours un marché chaque vendredi, à Clisson, et plusieurs de ces foires sont conservées :
celles de la Mi-Carême et de l'Ascension sont encore très importantes.
154
- 28 -
Sauvage prenaient une part, parce qu'ils avaient la charge d'entretenir le pavé du chemin par
où venait le sel, depuis la porte de la ville, jusqu'au douet161 de la Nourice.
Le domaine propre du sire de Clisson comprenait le château, les halles avec l'Auditoire et
sa prison, 15 étangs formés dans la Sèvre par des chaussées de moulins, la garenne de
Gétigné, entre Sèvre et Moine ; le bois et la prairie de Chesnoue, en Cugand ; les métairies
nobles de la Gaignerie, la Turelière et la Bourdellière, en Gétigné ; la terre et la maison noble
de la Pinsonnière, en Gorges ; enfin le manoir seigneurial de la Roche, en Gétigné. Nous
avons vu que ce manoir était encore aux Sebien en 1423. Il est mentionné dans un aveu, de
1699162, comme faisant partie du domaine propre des seigneurs de Clisson ; mais il devait y
être alors depuis longtemps déjà.
Telle était la châtellenie de Clisson, donnée en apanage à Richard de Bretagne.
Le duc Jean V était à Clisson, le 21 juillet 1431, pour achever le traité de mariage de son
second fils, Pierre, avec Françoise d'Amboise, fille du vicomte de Thouars et de Marie de
Rieux. La dame de Thouars y vint aussi s'entendre avec le duc et terminer cette affaire. On
promit à Françoise d'Amboise 4000 livres de rente, à prendre sur le comté de Benon, l’île de
Ré et la seigneurie de Montrichard163.
En 1435, la comtesse d'Etampes alla voir le roi à Poitiers ; elle passa par Parthenay d'où
le connétable Arthur de Bretagne, comte de Richemond, son beau-frère, la conduisit à la
cour. Au retour, elle traversa encore Parthenay, pour se rendre à Clisson, appartenant à
Richard de Bretagne, son mari164.
Trois ans plus tard, Clisson fut témoin d'un autre mariage, celui de Guillaume de Châlon,
seigneur d'Argueil, fils ainé de Louis de Châlon, prince d'Orange, avec Catherine de
Bretagne, fille du comte d'Etampes et de Marguerite d'Orléans. Le contrat y fut dressé, le 15
février 1438. Mais le 3 ou le 4 juin suivant, Richard de Bretagne mourait au château de
Clisson. Son corps fut apporté par eau à la Fosse de Nantes, et mis dans le sépulcre de
Jean IV, à la cathédrale165. Il laissait six enfants de Marguerite d'Orléans qui lui survécut
jusqu'en 1466, et mourut chez le Clarisses de la Guiche, en Blaisois, à savoir François,
l’ainé, comte d'Etampes et de Vertus, né en 1425, qui, en 1458, fut duc après ses deux
cousins et son oncle ; un fils mort jeune ; Isabeau, morte jeune; Marie, femme du maréchal
de Rieux ; Catherine, mariée au fils du prince d'Orange ; une autre fille, abbesse de
Fontevrault.
En vertu de son testament du 2 février 1436, il léguait tous ses biens meubles à sa
femme, avec 4000 livres de rente, assises sur Clisson, l'Epine-Gaudin, Châteaumur et
Renac. Toutefois, aux Etats tenus à Vannes par le duc Pierre le 21 mai 1451, le chancelier
déclara que les terres de Clisson, l'Epine-Gaudin et Renac avaient été unies au duché, par
un traité entre le feu duc François et le comte de Penthièvre, et que si la comtesse
d'Etampes en jouissait, c'était seulement à titre d'apanage. Lorsque François Il fut monté sur
le trône, il fit don à sa mère, en 1459, de Clisson et de Renac166.
François II résidait à Clisson, en 1463, la comtesse d'Etampes s'étant probablement
retirée dès lors chez les Clarisses de la Guiche. La duchesse Marguerite de Bretagne, fille
du duc François 1er, était sur le point d'accoucher, et reçut diverses reliques, notamment la
ceinture de Sainte Marguerite, envoyées de la Rochelle par la reine douairière de France,
Marie d'Anjou, mère de Louis Xl. La comtesse d'Etampes et la duchesse douairière,
161
Le mot douet (du Latin ductus) signifie ruisseau, cours d'eau. Ce mot est usité dans les patois de
Haute-Bretagne, et a contribué à former divers noms de lieu.
162
"Grandes seigneuries de-Haute-Bretagne", III, p. 81.
163
D. Lobineau, I, p.588.
164
Ibid., p. 604.
165
Ibid., pp. 607-609. Les "Chroniques annaulx" (D. Morice, Pr., I, .col. 116) placent le décès de
Richard au 11 juin.
166
D. Lobineau, I, pp. 651, 674.
- 29 -
Françoise d'Amboise, se rendirent près d'elle, à cette occasion. L'enfant dont la duchesse
accoucha à Clisson, le 29 juin, mourut le 25 août suivant167.
Un an après, en 1464, le duc était en fort mauvais termes avec Louis XI, et redoutant une
attaque de ce prince, recherchait l'appui du roi d'Angleterre. Il crut, en prévision de la guerre,
pouvoir employer des deniers levés pour une croisade, à la réparation de plusieurs places
frontières, parmi lesquelles était celle de Clisson, considérée comme un des boulevards de
la Bretagne. Du 16 octobre 1464 au 1er janvier 1465, il y entretint une garnison, commandée
par Eonnet Sauvage, seigneur du Plessis-Guerry168.
Nous avons parlé des travaux entrepris à Clisson par le duc de Bretagne, en 1464 et
1466.
François II épousa, en secondes noces, le 27 juin 1471, dans la chapelle de l'hôpital
Saint-Antoine de Clisson, Marguerite, sœur du comte de Foix, dame célèbre par sa beauté
et sa prudence, et dont nous pouvons admirer le noble visage sur le célèbre tombeau, dit
des Carmes, depuis 1817 placé dans la cathédrale de Nantes169. En 1472, craignant une
attaque du côté de la France, il mit encore une forte garnison dans Clisson Louis XI s'en
étant plaint, le duc lui répondit franchement que, la trève entre son allié le duc de Bourgogne
et le roi allant expirer, il avait de graves raisons de se préparer à la guerre170.
La mort du duc de Bourgogne devant Nancy, le 5 janvier 1477, fut la cause principale qui
engagea le duc François II à presser l'achèvement des travaux, commencés en 1460, au
château et à l'enceinte urbaine de Clisson.
Louis Xl cependant ne cessait de lui dresser des embûches : l'une des plus perfides fut
l'achat des prétendus droits au trône de Bretagne, de Nicole de Penthièvre, mariée à Jean
de Brosse. Le roi promit à ces derniers, en février 1480, que, la Bretagne conquise, il leur
donnerait plusieurs places et terres importantes, parmi lesquelles Clisson, Goulaine, l'EpineGaudin et Renac171.
Au mois de septembre de la même année 1480, François Il tint les Etats à Vannes : il
créa baron d'Avaugour son fils naturel, François, et ajouta à cet apanage, le 27 octobre
1481, pendant les Etats tenus à Nantes, la Roche-Dérien, Châteaulin-sur-Trieu, et Clisson,
substituant à son fils François, en cas qu'il mourût sans enfant, son autre fils naturel,
Antoine172.
La mort de Louis Xl, en 1483, n'apporta à la Bretagne qu'un calme passager. Le roi
Charles VIII s'en approcha, en octobre 1480, pour s'en emparer, en vertu du traité de son
prédécesseur avec Nicole de Penthièvre, si le duc, alors assez gravement malade, fût passé
de vie à trépas. Mais François II trompa ces espérances et guérit promptement. Il se rendit
de suite à Clisson et y convoqua toute la noblesse du comté Nantais, sous les ordres de son
chambellan, Eon dit Eonnet Sauvage, seigneur du Plessis-Guerry173 : sur son ordre, la ville
de Nantes y envoya de l'artillerie, escortée de cent hommes 174. Un allié lui arriva bientôt.
Fuyant le roi Charles VIII qui l'attendait à Amboise pour le faire prisonnier, le duc d'Orléans
quitta Blois secrètement, le 11 janvier 1487, et gagna Clisson avec une telle hâte qu'il y était
le lendemain. Le duc l’envoya chercher, le 13, dans ce château, par son conseiller, Jean de
Châlon, prince d'Orange, qui amena à Nantes le futur roi Louis XII 175. Cette année,
François II fut assiégé dans Nantes par l'armée française. La ville et la garnison, secourues
167
Ibid., pp. 684-685.
Ibid.,- p. 689; — D. Morice, Preuves, III, col. 120.
169
Alain Bouchard, "Grandes Chroniques de Bretagne", édit. des Biblioph. Bret., feuillet 220 ; — D.
Lobineau, I, p. 713; — D. Morice, "Hist.", Il, p. 116.
170
D. Lobineau, I, pp. 715-716.
171
D. Lobineau, I, p. 734.
172
Ibid., pp. 734-735; — D. Morice, Pr., III, col. 368, 408.
173
D. Lobineau, I, p. 761 ; II, col. 1458.
174
Travers, II, p. 191.
175
D. Lobineau, I, p. 763.
168
- 30 -
par les Bas-Bretons et commandées par Dunois, montrèrent le plus grand courage, et ce
siège qui commença le 19 juin, fut marqué par de brillants faits d'armes et fit éclater les plus
beaux dévouements. Les Nantais eurent enfin l'honneur de forcer à la retraite une des
meilleures armées de l'Europe, et des mieux conduites. Le 6 août 1487, il n'y avait plus un
Français devant les murs de Nantes176.
Charles VIII qui était à Ancenis, en sortit alors, et se dirigea sur Clisson qui ouvrit ses
portes et où il laissa des troupes.
François d'Avaugour, seigneur du lieu, se retira près de son père. Toutefois on pense qu'il
était chargé par le roi d'une mission secrète. D'ailleurs, le bâtard de Bretagne, homme
d'intrigues, ne tarda pas à passer du côté des Français, en guerre avec son père, puis avec
sa sœur. En quittant Clisson, Charles VIII se rendit à Châteaubriant177.
La garnison française de Clisson ne tarda à faire des courses aux environs, et le duc lui
opposa des gens de guerre, parmi lesquels on remarque deux gentilshommes du pays
Guillaume Le Roux, seigneur de Fromenteau, en Vallet, et François du Borg, seigneur de la
Haie (la Haie-Fouacière)178.
Le baron d'Avaugour garda encore quelque temps les apparences, et, à la fin de 1487, il
était lieutenant-général de son père dans les évêchés de Vannes, Léon et Tréguer.
A cette époque, la Bretagne était envahie par l'armée française. Le roi tenait Clisson,
Châteaubriant, la Guerche, Vitré, Saint-Aubin-du-Cormier, Dol, Ploërmel, Vannes et Auray. Il
laissa dans toutes ces places des troupes, en quartiers d'hiver179.
Accablé de chagrin et voyant son duché envahi de tous côtés et en grande partie occupé
par ses ennemis, François II mourut à Couëron, le 9 septembre 1488. Il laissait sa fille bien
jeune dans la situation la plus critique, et aux prises avec les plus graves difficultés.
Ce prince, quand la paix lui en laissa le pouvoir, donna de beaux jours à notre pays : "Car
en Bretaigne, dit Alain Bouchard180, justice regnoit ; le prince y estait obéi de grans et polis,
le peuple y estait riche et plain de biens, tellement que l'on n'eust trouvé si petit village où il
n'y aust eu foison de vaisselle d'argent".
En 1489, une armée anglaise de 6000 hommes fut envoyée par le roi Henri VII, au
secours de la duchesse Anne. Le roi de France, ayant appris que ses troupes de BasseBretagne étaient mal payées et manquaient de vivres, les avait fait retirer dans les petites
villes de cette contrée, et en avait cantonné une partie à Brest, Saint-Malo, Dinan, SaintAubin, Vitré, Fougères et Clisson. Toutes ces places furent ravitaillées, et les gens de guerre
qui y résidaient reçurent l'ordre de tenir tête aux Anglais181.
Quant au baron d'Avaugour, seigneur de Clisson, il était ouvertement passé au service de
France, et faisait la guerre à la duchesse sa sœur : le 17 octobre 1489, il tenait garnison à
Dinan, avec sa compagnie d'hommes d'armes182.
Au mois de décembre de la même année, la duchesse accepta le traité de Francfort,
conclu à son sujet entre le roi de France et Maximilien, roi des Romains. La paix fut
proclamée solennellement à Angers, Clisson, Nantes, Brest, et par toute la BasseBretagne183.
176
Ibid., pp. 768-770.
D. Lobineau, I, p. 773 ; — La Borderie, IV, p. 538.
178
D. Lobineau, I, p. 773.
179
Ibid., p. 777.
180
"Grandes chroniques de Bretagne", édit. des Biblioph. Bretons, feuillet 233 verso.
181
D. Lobineau, I, Pierre. 798-799.
182
D. Lobineau. I, p. 805.
183
Ibid., p. 805.
177
- 31 -
Puis la guerre s'étant bientôt rallumée, par suite du mariage de la duchesse avec
Maximilien d'Autriche, le 19 décembre 1490, nous voyons le baron d'Avaugour, en 1491,
gardant Clisson, avec 50 lances françaises, pour les ennemis de sa sœur184.
Le mariage de la duchesse avec Charles VIII, qui eut lieu à Langeais, le 6 décembre
1491, rendit enfin à la Bretagne une paix durable.
Le 4 décembre 1534, un arrêt du parlement de Paris, maintint François II, baron
d'Avaugour, dans la possession de la châtellenie de Clisson, qui lui avait été contestée par
les administrateurs du domaine royal, comme étant un apanage réversible à la couronne,
depuis l'union de la Bretagne à la France, en 1532. Il y fut spécifié que le baron d'Avaugour,
fils d'un légitimé de Bretagne, chargerait ses armes d'une barre, signe de bâtardise 185. Plus
tard, en 1567, les gens du roi firent une réclamation au parlement de Paris, pour forcer Odet
d'Avaugour à quitter les armes de Bretagne186. Cette réclamation produisit peu d'effet
pratique pour l'avenir.
En 1562, l'hérésie avait déjà fait son apparition en Bretagne : il y avait, cette année, un
ministre calviniste à Saint-Gilles, faubourg de Clisson187.
Nous avons lu dans plusieurs ouvrages que Charles IX et sa mère, Catherine de Médicis,
étant venus à Nantes en octobre 1565, passèrent Clisson ; mais les auteurs d'histoire
générale188 ne disent rien de cette visite, e nous ne savons qu'en penser, pas plus que de
celle d'Anne de Bretagne, en 1491, et des visites de Louis XII et de François 1 er,
mentionnées seulement, à notre connaissance, par des auteurs modernes et de seconde
main, se répétant les uns les autres. Toutefois, il n'est pas invraisemblable qu'en certaines
circonstances, ces princes se soient arrêtés à Clisson.
En 1579, la Ville de Nantes, commençant à redouter les entreprises des calvinistes, fit
sortir de ses murs, en les engageant à se retirer sur leurs terres, quatre seigneurs qui
venaient d'y arriver et que l'on jugeait suspects : c'étaient le sire de Rieux, Odet d'Avaugour,
comte de Vertus, et les seigneurs de Châteauneuf et de Tréal. La cour vit cela d'un mauvais
œil, et crut y découvrir quelques pratiques secrètes des Nantais, contre le service du roi 189.
Durant les guerres de la Ligue, nous allons voir Clisson, à cause de sa situation à l'entrée
de la Bretagne, en avant de Nantes, et à cause de son château, tenir une place assez
marquée dans l'histoire de notre pays.
Le 10 juin 1580, le Bureau de Ville de Nantes proposa d'examiner si les troupes
cantonnées à Clisson, rendaient un service utile 190. René de Tournemine, seigneur de la
Hunaudaye, lieutenant-général pour le roi en Bretagne, et favorable aux huguenots, y avait
envoyé, en effet, la compagnie du capitaine La Vaultraye : il fit dire au Bureau que ces
troupes ne pouvaient être déplacées, avant d'avoir reçu la solde qu'on leur devait. Travers
insinue que ce lieutenant du roi songeait plus à ses propres affaires qu'à celles du prince et
des habitants191.
En juillet suivant, la Ville de Nantes pria le comte de Vertus, Odet d'Avaugour, dont la
conduite avait paru tout d'abord un peu douteuse, et en qui elle avait alors toute confiance,
de se mettre à la tête des volontaires du diocèse, pour reprendre le manoir de la
184
D. Morice, Preuves, III, col. 696 ; — Travers, II, p. 213.
D. Morice, Pr., III, col. 1020 Travers, p. 305.
186
D. Morice, Pr., III, col. 1353.
187
D. Morice, "Hist.", II, p. 290.
188
Ibid., p. 298; — Travers, II, pp. 391-392.
189
Travers, II, pp. 476, 476. Le chapitre de la cathédrale avait signé les articles de la Ligue, le 23
janvier 1571 l'Université de. Nantes avait fait de même (Travers, 11, pp. 466-467).
190
Ibid., p. 505.
191
Ibid., p. 517. La Hunaudaye mourut à Vitré, en 1592. Voir D. Morice, « Hist », Il, p. 415.
185
- 32 -
Blanchardaye, en Vue, où s'était logé un parti de calvinistes. Ceux-ci eurent connaissance
du projet ; car ils se retirèrent aussitôt192.
Pour être bon ligueur, Odet d'Avaugour, n'en était pas plus maître chez lui en mai 1581, le
régiment de Montpensier occupait Clisson et accablait le pays. L'on demanda à M. de la
Hunaudaye de l'en retirer ; mais nous ne savons si ce fut avec succès193.
Toutefois Clisson était aux mains des ligueurs, en 1587. Charles d'Avaugour en était alors
seigneur. Le 22 juin de cette année, le duc de Mercœur, résidant à Nantes, fit savoir au
Bureau de Ville que les calvinistes avaient dessein de prendre Clisson, Machecoul et
d'autres places, et qu'il convenait de leur opposer des troupes, levées par lui tout exprès.
Pour les payer, il emprunta à la Ville 2200 écus194.
L'année suivante, les courses des ennemis au delà de la Loire jetaient les Nantais dans
des alarmes continuelles. En juillet 1588, divers seigneurs du pays, surtout ceux de Clisson
et de Goulaine, à la veille d'être attaqués par les calvinistes qui poussaient leurs
reconnaissances jusqu'aux portes de Clisson et menaçaient d'en faire le siège, demandèrent
du secours à Nantes. Le Bureau arrêta plusieurs mesures, et prêta de la poudre à Charles
d'Avaugour et au marquis de Belle-Isle, pour la défense de Clisson, de Machecoul et d'autres
places, exposées aux premières attaques. La garnison calviniste de Montaigu inquiétait
surtout les Clissonnais, et s'avançait même quelquefois assez près de Nantes195.
Le 15 septembre, on apprit à Nantes que les ennemis se disposaient à attaquer Clisson et
les places de la même contrée ; le 18, la Ville ferma ses portes et se mit en défense.
Les calvinistes s'approchèrent, en effet, de Clisson, mais sans autre résultat que de faire
brûler sur eux un peu de poudre. Charles d'Avaugour, manquant de munitions, obtint de la
Ville de Nantes un millier pesant de poudre, estimé 200 écus au soleil, et qu'il devait rendre
en argent ou en nature, dans les six mois. Les Nantais donnèrent avis au roi des entreprises
des calvinistes sur Clisson et sur tout le comté196.
Dans le même mois, le duc de Mercœur s'avança jusqu'aux faubourgs de Montaigu, place
qui tenait pour le roi de Navarre, et dont la garnison désolait tout le pays voisin, par ses
courses incessantes. A cette nouvelle, le roi de Navarre partit de la Rochelle et se rendit aux
Essarts. Ne se trouvant pas en forces, le duc de Mercœur abandonna le siège de Montaigu
et se retira en toute hâte sur Clisson. Son arrière-garde, confiée à Jarzé197, fut poursuivie
depuis Monnières, par l’armée du roi de Navarre, grossie de la garnison de Montaigu, et fut
même défaite un peu avant le bourg de Piremil. C'est vers la fin de septembre que le futur roi
Henri IV tenta de prendre Clisson, après avoir été rejoint, par les troupes de La Trémouille. Il
était retourné à Saint-Georges de Montaigu, et de là vint se présenter devant Clisson ; mais
trouvant la place beaucoup plus forte qu'il ne l'avait pensé, il changea de résolution, gagna
Vertou, passa près de Machecoul, et le 4 octobre 1588, mit le siège devant Beauvoir-sur-Mer
qui capitula le 21 du même mois198.
Le duc de Nevers, à la tête de l'armée royale, arriva près de Montaigu, le 21 novembre
1588, et la Ville de Nantes lui envoya 50 000 pains. Le duc de Mercœur, étant allé à sa
rencontre, le rejoignit à Clisson, et obtint encore des Nantais 100 000 autres pains pour cette
armée, et, pour son chef, un présent de vins fins et de confitures, valant 200 écus d'or au
soleil, que dix notables apportèrent en cérémonie199.
192
Travers, II, p. 505.
Ibid., p. 522.
194
Ibid., p. 567.
195
Travers, Il, p. 577; III, p. 2.
196
Travers, III, p.7.
197
Colonel d'un régiment, au service de la Ligue.
198
D. Morice, "Hist.", II, pp. 362-365; — Travers, III, pp. 9-10.
199
Travers, III, p. 12.
193
- 33 -
Le mois suivant, le duc de Nevers assiégea et prit Montaigu, et sur la demande des
Nantais qui avaient eu tant à souffrir de cette place, en ordonna la démolition. Toutefois la
Ville dut faire les frais du travail qui dura jusqu'en mars 1589, et nourrir l'armée pendant tout
ce temps : il lui en coûta plus de 2000 écus d'or200.
Le 23 décembre 1588, le duc de Guise fut mis à mort à Blois, et deux jours après, Nantes
reçut des lettres du roi à ce propos. Cette nouvelle qui causa une grande indignation, donna
une nouvelle puissance à la Ligue et au duc de Mercœur, à tel point que le duc de Nevers,
commandant l'armée royale, se vit refuser le passage par Nantes201.
A Clisson, la mésintelligence régnait entre la garnison que le duc de Mercœur y avait
placée, et les gens de guerre de Charles d'Avaugour. Le 23 février 1589, le duc de Mercœur
pria le Bureau de Ville de Nantes d'y mettre ordre, parce que, disait-il, le roi de Navarre
réunissait des troupes pour assiéger Clisson ; mais on croit qu'il n'était pas sincère, et que
son but véritable était soit de faire rentrer à Nantes la garnison de Clisson et de s'en fortifier,
soit de dégarnir Nantes pour y gouverner plus librement, si la Ville envoyait des troupes à
Clisson. Le Bureau ne fut point dupe de cette finesse, et décida seulement de députer au
seigneur de Clisson, en le priant d'apaiser lui-même les troubles qui pouvaient affaiblir sa
défense202.
Le 13 août 1589, le parlement de Rennes déclara rebelle le duc de Mercœur qui fut, en
conséquence, remplacé comme gouverneur de Bretagne, par Henri de Bourbon, prince de
Dombes203 ; mais son pouvoir en Bretagne et à Nantes n'en souffrit aucune atteinte.
D'ailleurs, en mai précédent, la ville de Nantes s'étant déclarée hautement pour la Sainte
Union Catholique, le roi n'avait plus dans le comté que le pays de Retz, Clisson, Guérande et
le Croisic204.
Charles d'Avaugour avait embrassé le parti du roi et s'était retiré de l'Union : s'il avait
combattu les huguenots, il resta fidèle à Henri III, assassiné cette même année devant Paris,
le 1er août 1589, puis à Henri IV. Les ennuis que lui avaient causés les troupes du duc de
Mercœur, avaient peut-être contribué à son changement de conduite.
En Mars 1590, le duc de Mercœur désirait fort être maître de Clisson ; mais dissimulant
pour mieux réussir, il eut recours au grand-vicaire Decourant, ardent ligueur très populaire.
Celui-ci proposa, le 22 mars, au Bureau de Ville de Nantes, de faire le siège de Clisson, "si
le duc l'agréait". Une députation alla donc demander au duc un consentement qu'il ne fut pas
difficile d'obtenir. La Ville offrait de faire l'avance des frais, sauf à être remboursée par une
commission sur les paroisses confédérées du diocèse. Cependant les choses en restèrent
là, et le siège n'eut pas lieu. Au mois d'avril, les garnisons royalistes de Clisson et de Blain,
incommodaient tellement les Nantais, que la Ville décida, le 12 et le 14 avril, de lever une
compagnie de 20 cuirassiers et une autre de 30 arquebusiers à cheval, afin de faire cesser
leurs incursions205. A ce propos, Travers206 nous apprend que les couleurs des troupes
nantaises étaient blanc et noir.
Au mois d'août suivant, Charles d'Avaugour, seigneur de Clisson, avait été fait prisonnier
par les ligueurs, nous ne savons en quelles circonstances. D'autre part, les royalistes
s'étaient emparé d'un ligueur de marque, Urbain de Laval, marquis de Sablé et seigneur de
Bois-dauphin207. Le duc de Mercœur, par lettres datées du camp de Fougères, le 7 août
1590, engagea la Ville de Nantes à faire l'échange de ces deux seigneurs. Le Bureau lui
répondit, le 13 août, en le suppliant de ne consentir à l'échange qu'a condition que M.
200
Ibid., pp. 12-14.
Ibid., pp. 14-16.
202
Ibid., p. 18.
203
Ibid., p.21.
204
Ibid., p.23.
205
Travers, III, pp. 38-39.
206
Ibid., p. 41.
207
Appelé le maréchal de Boisdauphin, depuis 1593.
201
- 34 -
d'Avaugour livrât Clisson et plusieurs prisonniers qu'il y détenait, notamment un prêtre
ligueur, appelé Monsur dit Grenotière : c'était probablement le curé de Cordemais, pris à la
maison forte du Goust, avec l'escouade qu'il y commandait208. Le même jour, arrivèrent des
lettres de M. de Boisdauphin, demandant avec instances à être échangé ; et le 14, le duc de
Mercœur recevait une députation de la ville du Mans, dans le même sens ; car Boisdauphin
était le chef de la Ligue dans le Maine et l'Anjou. Toutefois, les Nantais ne rabattirent rien de
leurs prétentions, et Boisdauphin, relâché sur parole par les royalistes, vint à Nantes le 6
septembre, solliciter en personne son échange. La Ville, pour s'en défaire, renvoya la
décision an duc de Mercœur, parce que M. d'Avaugour ne voulait consentir qu'à un échange
de personne à personne209.
M. de Boisdauphin était en liberté complète le 16 octobre 1592 210 : l’échange eut donc
lieu, mais nous ne savons de quelle manière.
Le petit château de la Courbejollière, en Saint-Lumine de Clisson, fut assiégé, le 20
septembre 1591, par le Sr de Goulaine, lieutenant du duc de Mercœur, et la Ville envoya
2000 pains aux troupes employées dans cette entreprise. La place ne tint pas longtemps, et
le Bureau obtint, le 26 septembre, qu'elle fût en grande partie démolie. L'ordre en fut donné
au Sr de Goulaine, par le duc de Mercœur, le 3 octobre ; le 11, la Ville de Nantes envoya 140
hommes, pour aider au travail211.
L'histoire de la Ligue en Bretagne ne nous dit plus rien désormais au sujet de Clisson.
Nous pensons donc que le seigneur de cette ville, Charles d'Avaugour, rendu à la liberté, put
s'y maintenir jusqu'à la soumission du duc de Mercœur au roi Henri IV, en 1598. D'ailleurs,
pendant les dernières années de la guerre, surtout à partir de la fin de l'année 1596, les
ligueurs Bretons ne firent plus que se défendre avec désavantage et perdre des places. Au
moment de la paix, ils étaient fort resserrés dans Nantes, et leur cause était perdue depuis
longtemps212.
Trois grands bastions furent construits, entre 1592 et 1596, pour couvrir, de l'Est à
l'Ouest, le château et la ville de Clisson. Ces nouvelles défenses ne servirent probablement
pas ; mais elles prouvent que, pendant ces années, on redoutait toujours les attaques des
ligueurs213.
La prospérité de Clisson semble s’être accrue dans les années qui suivirent ; car le droit
de députer aux Etats de Bretagne, qui lui manquait, lui fut accordé en 1606. Dans le comté
Nantais, à l'origine, quatre villes seulement députaient aux Etats : Nantes, Châteaubriant, le
Croisic et Ancenis. En 1600, on leur adjoignit Machecoul, Clisson et la Roche-Bernard214.
Les guerres excitées par les calvinistes au XVII e siècle, ne passèrent pas tout-à-fait
inaperçues pour les Clissonnais. Le pays fut menacé par les rebelles. Claude 1er d'Avaugour,
comte de Vertus et seigneur de Clisson, fit savoir, le 22 décembre 1615, à la Ville de Nantes,
qu'un parti de calvinistes se fortifiait dans le manoir de la Brulère, aux environs de Clisson, et
qu'il était prudent de l'en faire déguerpir. Le Bureau lui fournit aussitôt un millier de grosse
poudre, 200 balles de calibre, un millier de plomb, 400 livres de mèche de mousquet et 9000
pains. L'ennemi eut connaissance de ces préparatifs ; car il évacua aussitôt la Brulère, et le
208
Travers, III, p. 26.
Ibid., pp. 44-45.
210
Ibid., pp. 71, 93.
211
Travers, III. p. 61. Voir plus haut, p. 52.
212
Travers, III, pp. 88, 93.
213
Archives de Nantes, B 63 : Mandement du duc de Mercoeur, accordant au Sr d'Avaugour
mainlevée des terres de Thouaré, Ingrande et Saint-Nazaire, pour payer la rançon des capitaines
Mallonnière et Heurtault, prisonniers de guerre à Clisson (1593-1596). — Ibid., B 508, fol. 121
Requête du 19 juin 1602, par Jean du Demars, miseur des deniers destinés aux fortifications du
château de Clisson, pour obtenir sa mise en liberté des prisons de Nantes.
214
Travers, III, p. 188.
209
- 35 -
convoi qui apportait à Clisson les munitions envoyées par la Ville, les ramena à Nantes, le 28
décembre, par la porte de l'Espau, au bout de la rue Dos-d'Anne, à Piremil215.
En 1622, le prince de Soubise, chef des calvinistes du Poitou, fit plusieurs courses dans
le comté Nantais, au Sud de la Loire, mais ne prit point Clisson. Le 14 avril de cette année, il
fut chassé de l’île de Ré par l'armée royale216.
L'année 1631 fut signalée pur une disette de grains dans notre région : les villes
s'occupèrent de nourrir les pauvres qui abondaient. En février, la communauté de Clisson
obtint du parlement de Bretagne la permission d'acheter 80 tonneaux de fèves, destinés à
ses indigents et à ses infirmes217.
Les troubles de la Fronde, à la fin de 1648, la révolte générale contre "le Mazarin" comme
on disait alors, n'eurent pas de retentissement à Clisson. M. de la Meilleraye exhorta
seulement la Ville de Nantes à garder sa fidélité au roi, et prit quelques mesures de défense,
en janvier 1649218.
Il parait qu'au XVIIe siècle, le chemin le plus suivi pour aller de Nantes à Clisson était celui
de la Rochelle, par la rive gauche de la Sèvre, avec embranchement sur Monnières et
Gorges. Il était difficile et en mauvais état, et en novembre 1667, on aplanit les rochers sur
lesquels il passait, depuis le Pont-Rousseau jusqu'à la lande de Ragon219.
En 1682, la guerre avec l'Angleterre ayant fait craindre des descentes ennemies sur les
côtes de Bretagne, l'arrière-ban de la noblesse de diverses provinces du centre, y fut
envoyé, par précaution. L'arrière-ban de Touraine, commandé par le marquis de Saché,
reçut ses quartiers à Clisson, et y resta du 7 juin au 17 septembre 1689 : il formait un
escadron. Ces gentilshommes, il faut l'avouer, s'y conduisirent fort mal, et y vécurent comme
en pays conquis.
Sans aucun respect pour le seigneur du lieu, alors absent, et qui était Claude II
d'Avaugour, ils tuèrent le gibier de ses garennes, forcèrent les portes de son château et
pillèrent ses jardins fruitiers220. Quant aux habitants qui logèrent ces hôtes incommodes et
exigeants, ils n'en furent payés que par des injures et des coups. Le sénéchal, Jean Hallouin
de la Pénissière221, et son alloué, Georges de Massale, ainsi que Jean de Plumaugat,
procureur fiscal, et même le capitaine du château, Claude du Boisbilly, seigneur de Bellaitre,
firent des représentations très mesurées au marquis de Saché : celui-ci, aussi brutal que ses
gentilshommes, ne leur répondit que par de grossières menaces de mort.
A Château-Thébaud, l'arrière-ban du Maine commit les mêmes excès.
Les Clissonnais portèrent plainte à l'intendant de Bretagne, Auguste-Robert de
Pommereu, qui fit faire une enquête, le 27 septembre 1689, par Paul Cassard, seigneur du
Broussay et de Fégreac, juge criminel, et Jean Joullin, greffier du présidial de Nantes. Tous
les faits sont constatés avec détails et par témoins, dans cette enquête dont nous ne
connaissons pas le résultat. Mais il y a lieu de croire que l'intendant obligea les
commandants des arrière-bans indisciplinés, à réparer tous les dommages commis par leurs
escadrons, et à payer tous les frais que réclamaient les habitants222.
215
Travers, III, p. 198.
Ibid., pp. 234, 237.
217
Ibid., p. 280.
218
Ibid., pp. 336-337.
219
Ibid., p. 407. Ragon est un village situé entre le chemin du Pont-Saint-Martin et la route de la
Rochelle.
220
Ces jardins étaient situés entre le fossé Sud du château et les grands bastions de la Ligue.
221
Dans sa Visite de Notre-Dame en 1683 (Arch. de Nantes, G 52, p. 433), l'archidiacre Binet
mentionne, parmi ses témoins synodaux : "Jean Hallouin, écuyer, Sgr de la Morhonnière (manoir
voisin du Cens, près de Nantes), sénéchal de Clisson".
222
L'on trouvera le texte complet de cette enquête, dans "L'insolence des gens de guerre sous Louis
XIV" par M. Léon Maître, mémoire paru dans les Annales de Bretagne, tome XXII 1906-1907,
page 72. II y est question de trois auberges, dans la ville de Clisson : les Trois-Rois, la Femme216
- 36 -
sans-Tête et la Corne-de-Cerf. Les Trois- Rois devaient être la meilleure ; car c'est là que
descendirent les commissaires enquêteurs.
- 37 -
CHAPITRE - IV
Du commencement du XVIIIe siècle à 1786
La ville de Clisson (mais non le château) constituait, à cause de son enceinte murée, un
gouvernement réservé au roi, comme successeur des ducs de Bretagne223.Des lettres
patentes de Louis XIV, datées de Versailles, le 6 janvier 1712, accordent "le gouvernement
de la ville de Clisson en Bretagne, aux gages de 200 livres, avec dispense de résider, à
Charles-Joseph Le Febvre, chevalier de Saint-Louis, capitaine au régiment de Champagne
et ingénieur en chef au Havre, pour le récompenser des services qu'il a rendus dans les
armées depuis 1680, où il a donné plusieurs preuves de valeur, entrant dans la place de
Heidelberg, l'épée à la main, en 1693, à la tête des troupes, après avoir essuyé un grand feu
des assiégés ; et s'étant trouvé, dans la même campagne, aux prises de trois villes. Le S r Le
Febvre a reconnu de fort près les retranchements des ennemis, proche de Heilbronn, a servi
encore en Allemagne, a contribué à couvrir le poste de la Roche-en-Ardennes ; en 1703,
s'est jeté dans la ville de Belle-Isle, au travers de l'armée navale des ennemis, qui bloquait la
place. Outre ses gages, le Sr Le Febvre jouira des foins, fruits, herbages et pêche des
fossés, remparts et glacis de la ville, avec droit de chasse dans tous les lieux dépendants de
cette ville, et privilèges de noblesse, tant qu'il sera revécu dudit office224". L'on voit que ce
brave officier avait bien mérité les gages attachés au gouvernement de Clisson, où nous
doutons fort qu'il soit venu souvent.
Nous devons parler maintenant des singuliers progrès que firent les doctrines jansénistes
à Clisson et aux environs, à partir du premier quart du XVIIIe siècle225. Le chanoine Nezan,
223
Le 29 juillet 1790, le directoire du district de Clisson fut saisi d'une demande de la municipalité, à
l'effet d'obtenir la jouissance des douves et de faire démolir les murs et la porte de ville. Il
rappela, à cette occasion, un arrêt du conseil du roi du 6 août 1771, rendu en exécution d'un
autre du 24 septembre 1678, qui déclare appartenir au roi les emplacements des murailles,
fossés, remparts et clôtures des places du royaume et un arrêt du même conseil, du 9 août 1757,
confirmant un jugement du Bureau des Finances de Dijon, et qui attribuait à la couronne les murs
et fossés de la ville de Saulieu ("Style civil" de Dumont, tome V, p. 455). Le directoire proposa de
donner à la municipalité les douves de la ville ; mais les distingua de celles du château, qui
appartenaient au seigneur (Archives de Nantes, L 404).
Le département, dans sa séance du 31 juillet 1790, autorisa la ville de Clisson à faire reconnaître,
contradictoirement avec le seigneur du lieu, ses droits sur partie des murs et fossés de l'enceinte
urbaine, conformément à l'arrêt du conseil du 24 septembre 1678, à l'édit de décembre 1681, et à
l'arrêt du conseil du 21 août 1696, attribuant au roi les murs et fossés des villes (Ibid., L 42,
registre, folio 80).
224
L'original sur parchemin de ces lettres patentes, fait partie des dossiers de M. Perraud.
225
Nous sommes redevable des détails que nous présentons au lecteur sur le jansénisme à Clisson, à
M. l'abbé Guiho, prêtre du diocèse de Nantes, qui, pour une thèse de doctorat ès lettres, a fait
une étude approfondie de l'abbé Nicolas Travers, considéré comme historien et comme
janséniste. N. Guiho a bien voulu consulter à notre intention les "Nouvelles Ecclésiastiques ou
Mémoires pour servir l'histoire de la Constitution Unigenitus", sorte de journal imprimé
clandestinement (pendant quelque temps, dit-on, dans un bateau sur la Seine), depuis 1713
jusqu'à la veille de la Révolution. Les appelants y marquaient, au jour le jour, tout ce qui pouvait
intéresser leur secte, et on le faisait courir parmi les groupes de l'obstiné troupeau, pour exciter
leur zèle. Nous le contrôlons par les données contraires, extraites du "Supplément aux Nouvelles
Ecclésiastiques", dit "Supplément Jésuitique", journal du même genre, mais composé dans un
esprit orthodoxe, pour réfuter les "Nouvelles Ecclésiastiques".
- 38 -
du chapitre de Notre-Dame de Clisson, appelant forcené de la bulle Unigenitus à un futur
concile, fut le plus ardent propagateur de cette hérésie, et pervertit tout le pays. Ses
principaux lieutenants étaient MM. Marion, recteur de Cugand ; Courtin, recteur de Gétigné ;
Boutin, dit le diable boiteux, recteur de Boussay ; de Masalve, recteur de la Bruffière, et de
La Grue, recteur de Mouzillon. D'ailleurs, la plupart des prêtres du doyenné de Clisson
étaient imbus des doctrines de M. de la Noë-Mesnard, directeur de la communauté de SaintClément de Nantes, tombée dans le jansénisme. Clisson devint donc, vers 1730, un vrai
foyer d'hérésie, où accouraient de toute la contrée et même des diocèses de Luçon et de la
Rochelle, des frères et des sœurs, désireux de faire des retraites et de s'exciter à la
résistance au Pape et aux évêques. La communauté des Bénédictines de la Trinité n'avait
pas échappé à ces détestables influences, et comptait dans son sein plusieurs
appelantes226.
M. Arnollet, curé de Saint-Nicolas de Nantes, janséniste obstiné, vint mourir à Clisson, en
mai 1730. Le recteur de Cugand n'hésita pas, bien entendu, à lui donner les sacrements et la
sépulture ; mais tout service funèbre lui fut refusé227. La même année, une mission fut
prêchée Gétigné par des Pères Capucins, pour tâcher d'arrêter le mal et de contre-balancer
les efforts du recteur de Cugand. Celui-ci s'en plaignit avec amertume et violence228. Plus
tard, il fut fortement soupçonné d'avoir tenté de faire renaître à Cugand les scandaleux
miracles du cimetière Saint-Médard et les scènes étranges des réunions jansénistes
parisiennes. Un de ses paroissiens étant mort, en 1734, sans sacrements et sans repentir de
ses erreurs, on raconta que le fantôme de cet homme revenait la nuit dans une maison,
faisant grand tapage, bouleversant les meubles, enfin apparaissant à un jeune garçon, à qui
il demandait des Messes et une neuvaine, et affirmait qu'il était sauvé. M. Marion, pensaiton, avait arrangé toute cette comédie, pour donner de l'appui à ses doctrines. Il s'en
défendit, mais sans beaucoup de succès229. Il prétendit encore que ses ennemis avaient
essayé de l'empoisonner, et fit du bruit avec cette affaire qui, du présidial de Nantes, alla
jusqu'au parlement de Rennes, mais n'eut pas de suites 230.
Cependant, en janvier 1737, les Bénédictines appelantes reconnurent leur erreur231.
Quant au recteur de Cugand, toujours intraitable, il continua à se plaindre d'être décrié
dans le clergé, et surtout par un de ses anciens vicaire, M. Jousseaume, au cours d'une
retraite à la communauté de Saint-Clément232, confiée aux Sulpiciens depuis 1730. La même
année 1737, il s'efforça de se disculper, au sujet de diverses fâcheuses affaires, notamment
de celle du revenant233.
En 1711, un prêtre janséniste de Paris, possesseur d'un bénéfice en Maisdon, se rendit
dans cette paroisse, faire de la propagande : mais on lui refusa les ornements sacerdotaux,
et il ne put célébrer la Messe. L'on agit de même à Saint-Lumine-de-Clisson, à l'égard d'un
autre appelant234.
Au mois de juin de cette année, l'évêque de Nantes, Mgr de Sanzay, vint faire dans le
doyenné de Clisson une visite pastorale, que l'état des esprits rendait bien nécessaire. Il
trouva les recteurs de Notre-Dame et de la Trinité entêtés dans leur révolte, et fit subir un
examen juridique aux recteurs de Cugand, Gétigné, Boussay, la Bruffière et Mouzillon. Il en
226
La sœur Marie Théronneau de la Pépinière fut même l'objet d'une enquête et de certaines mesures
de rigueur ("Nouvelles Ecclés.", mai 1728).
227
"Nouvelles Ecclés.", 21 mai 1790.
228
Ibid., 4 décembre 1730.
229
"Supplément aux Nouvelles Ecclés.". 13 octobre 1731.
230
Ibid., 15 novembre 1736 ; lettre du 10.
231
Ibid., 1er février 1737 : lettre du 2 janvier.
232
"Nouvelles Ecclés.", 7 septembre 1737.
233
"Supplément aux Nouvelles Ecclés." 12 janvier et 8 février 1735 : lettres du 5 octobre et 10
novembre 1737.
234
Ibid., 17 juillet 1741 : lettre du 10 juin.
- 39 -
résulta que tous ces prêtres étaient rebelles à la bulle Unigenitus. Les recteurs de Cugand et
de Gétigné avaient presque aboli l'usage des sacrements dans leurs paroisses, et depuis
plusieurs années, les trois quarts des habitants n'y faisaient plus leurs Pâques. C'étaient
surtout ces deux recteurs qui attiraient chez eux un grand concours de frères et de sœurs, et
même des diocèses voisins. Les jansénistes ne manquèrent pas de se plaindre avec aigreur
de Mgr de Sanzay et de son enquête qu'ils tentèrent de couvrir de ridicule 235.
En conséquence de cette visite, des lettres de cachet furent envoyées au mois de juillet
1741, à MM. Marion, recteur de Cugand236, et Courtin, recteur de Gétigné, ainsi qu'au
fanatique chanoine Nezan, qui furent relégués en d'autres lieux237.
Les trois exilés ne se pressèrent point d'obéir, et le 3 septembre 1741, firent un petit festin
chez M. Goubert, recteur de la Trinité. Ils s'efforcèrent ensuite, après leurs intrigues,
d'obtenir des adoucissements à leur sort, et y réussirent238. M. Nezan avait été envoyé chez
les Cordeliers de la forêt de Teillé, le recteur de Cugand chez les Cordeliers de Robinières
en Poitou, le recteur de Gétigné dans un autre monastère. Tous trois reçurent bientôt la
permission de vivre à dix lieues de leurs anciens domiciles. Les jansénistes en firent des
martyrs de la vérité 239.
Enfin, en août 1745, une retraite solennelle, prêchée à Clisson par des Jésuites, des
Sulpiciens et des Mulotins (surnom donné aux religieux fondés par le P. Grignon de
Montfort)240, apaisa ces déplorables querelles religieuses, prélude et préparation des
impiétés révolutionnaires, et fit rentrer dans l'ordre beaucoup d'égarés, séduits par leurs
propres pasteurs. Privé de ses principaux chefs, le jansénisme clissonnais ne tarda pas à
dépérir, et l'on vit s'éteindre dans le pays la dévotion au diacre Pâris et à Litoust, curé de
Saint-Saturnin de Nantes241.
En 1746, mourut M. de Museler, recteur de la Bruffière, dont les jansénistes firent un
pompeux éloge funèbre242 ; M. Nezan décéda la même année, hors de Clisson243. Peu à peu
disparurent de la contrée les traces de l'erreur funeste qui l'avait si longtemps divisée, et
aujourd'hui l'on on chercherait vainement quelque souvenir.
235
"Nouvelles Ecclés.", 28 janvier 1742 ; — "Supplément aux Nouv. Ecclés.", 17 juillet 1741 : lettre du
8 juin.
236
M. René Marion, bachelier en théologie, recteur de Cugand depuis 1710, exilé pour jansénisme par
lettres du 26 juillet 1741, mourut à Avessac en 1760. Dans son testament, il renouvela sa
profession de foi janséniste, et déclara nulles toutes les rétractations qu'il pourrait faire, par
faiblesse, à l'heure de la mort. Il conservait par devers lui, dans un coffre, les archives de la
paroisse, qui furent remises, par un de ses exécuteurs testamentaires, à son successeur. Depuis
1741 jusqu'en 1760, la paroisse fut administrée par des vice-gérants. En 1760, M. Jacques
Deschailles, docteur en théologie, fut nommé recteur de Cugand, et y mourut en 1788. Il eut pour
vicaire, jusqu'en 1781, M. Beaufreton qui fut chanoine de Notre-Dame et dont nous avons parlé.
En 1786, M. Le Bastard fut nommé recteur de Cugand, au concours. Il y resta jusqu'en 1806, se
rendit alors au petit collège ecclésiastique de la Chevalleraye, et mourut à Sainte-Luce (Registres
paroissiaux de Cugand).
237
"Nouvelles Ecclés." 28 janvier 1742 ; — "Supplément aux Nouv. Ecclés.", 4 décembre 1741 : lettre
du 15 octobre ; — Travers, III, pp.487-488.
238
"Supplément aux Nouv. Ecclés.", 15 janvier 1742 : lettre du 2 novembre 1741.
239
"Nouv. Ecclés.", 28 janvier 1742 ; — "Supplément aux Nouv. Ecclés.", 28 mai 1742 : lettre du 12
avril.
240
D'après le nom du Père Mulot, l'un des premiers supérieurs généraux de cette congrégation.
241
"Nouvelles Ecclésiastiques", 17 février, 17 et 24 juillet 1746 ; — "Supplément aux Nouv. Ecclés.", 7
septembre 1742 : lettre du 21 août ; 26 avril et 28 septembre 1746 : lettres des 26 février et 20
août.
242
"Nouvelles Ecclés.", 6 février 1740 ; — "Supplément aux Nouv. Ecclés.", 26 avril 1746 : lettre du 26
février.
243
Travers, III, p. 488.
- 40 -
Nous aurions aimé à donner ici des renseignements sur l’afféagement de la seigneurie de
Clissons, aux XVIIe et XVIIIe siècles. L'incendie et la destruction complète des archives du
château, en 1793, ne nous permettent pas d'étudier cette curieuse question.
Nous nous contenterons de rappeler que nous trouvons mentionnés successivement,
avec la qualification "seigneur de Clisson" : Henri de Bruc (né à Nantes en 1642), sur l'arrêt
de maintenue de noblesse, rendu en sa faveur, le 28 juillet 1670, par la Chambre de
Réformation ; — Pierre des Cazeaux (fils de Joachim des Cazeaux, seigneur du Hallay), sur
un document de 1714, où il est porté que son père avait acquis pour lui la seigneurie de
Clisson, peu auparavant ; — enfin, Antoine-François de Bruc, seigneur de la Morandière et
de le Parentière, en Mouzillon, sur un acte de 1754.
Il nous est impossible de dire quand et comment fut consenti l’afféagensent de Clisson,
de quelle manière il passa des De Bruc aux Des Cazeaux, pour retourner ensuite aux De
Bruc, ni en quelles mains il se trouvait en 1790, ou s’il avait alors pris fin, par retrait féodal ou
autrement. Il nous est seulement connu par les traces qu'il nous a laissées en 1670, 1714 et
1754.
Un seigneur avait le droit d'aliéner tout ou partie de son fief, à charge de rentes féodales :
c'était l’afféagement ; mais, en plus de ces rentes, il ne devait exiger de celui qui recevait le
féage, qu'un faible prix d'entrée en jouissance, cent sols par journal de terre. S'il touchait un
prix supérieur à cette somme, il n'y avait plus afféagement, mais rente. Aux termes de
l'article 359 de la Coutume de Bretagne, on ne pouvait vendre un fief, et en garder la
mouvance et les droits seigneuriaux : ceux-ci passaient alors au seigneur supérieur. Au
contraire, en cas d'afféagement, le seigneur afféageant gardait la mouvance, la juridiction et
autres droits seigneuriaux sur le domaine afféagé, et restait responsable, envers le suzerain,
des devoirs féodaux de ce domaine. L'afféagement était donc une sorte de bail à ferme, pour
une durée indéterminée, mais de nature féodale, et soumis aux conditions ordinaires des
fiefs : l'exercice du retrait féodal faisait retourner la terre afféagée au seigneur afféageant ou
à ses successeurs ; la rente féodale, condition de l'afféagement, pouvait aussi se racheter.
Ce genre d'aliénation était employé par des seigneurs qui, sans vouloir se déssaisir
complètement d'un domaine, ne comptaient plus l'habiter ni s'en occuper244.
ll est inutile de dire que la châtellenie de Clisson n'a jamais été vendue.
Nous allons maintenant donner quelques renseignements sur le pays clissonnais, extraits,
pour la plupart, des archives et registres paroissiaux de Cugand. Ils nous obligent à un petit
retour en arrière car nous n'avons pas voulu les mélanger aux précédents récits.
Il semble que ce fut en 1697 que l'on commença à déposer les testaments au greffe
ecclésiastique, établi par les ordonnances du roi, en la ville de Clisson.
L'année 1709, dite du grand hiver, fut terrible : le froid ayant commencé à sévir le 6
janvier, à l'heure de Vêpres, les vignes gelèrent jusqu'à la racine ; les blés gelèrent aussi ;
mais les laboureurs qui purent ensemencer à nouveau, eurent une récolte. Le vin dut fort
renchérir. Il n'était pas cher à la fin de 1708, car il se vendait, dans les auberges, un liard245
le demi-setier ou le quart246.
L'année 1710 fut signalée par une telle inondation de la Sèvre, qu'on l'appela l'année des
grandes eaux.
L'hiver fut très rude en 1766, et commença, presque comme en 1709, dans la nuit du 5 au
6 janvier. La plupart des vignes gelèrent aussi jusqu'à la racine, et furent plus de six ans
244
Voir les articles 358 et 359 de la Coutume de Bretagne : avec explications par Rene de la
Bigetière, Rennes, Garnier, 1720 pp. 390-395 ; — avec arrêts à l'appui, par Hévin, 4e édit.,
Rennes, Vatar, 1735, pp.2I6-219 ; — avec explications par Poullian du Parc, Rennes, Vatar,
1759, pp. 190-191.
245
Le liard fait le quart d'un sou, d'où le dicton : changer quatre liards pour un sou, opération de
commerce sans bénéfice. Cinq liards font un patard. Le liard est égal à trois deniers ou oboles.
246
Le demi-setier est le quart d'une pinte. II fait la moitié de la chopine, et deux chopines font une
pinte. Le demi-setier se subdivise en deux poissons.
- 41 -
avant de pouvoir donner du fruit. Toutefois l'année 1770 fut encore plus désastreuse. La
misère y fut à son comble247. "Je faisais bouillir, écrit M. Deschailles, recteur de Cugand, six
livres de riz et dix-huit livres de pain de froment, dont je faisais une bouillie qui nourrissait 80
personnes, tout leur content. Il y avait au moins un repas pour les pauvres affamés. Mais ils
n'étaient pas au bout de leurs maux. Pendant la nuit du 25 au 26 novembre 1770, après une
pluie continuelle de 48 heures, les eaux de la Sèvre se précipitèrent avec une impétuosité
qui ruina presque tous les riverains. L'eau monta, dans la paroisse de Cugand, à 27 pieds de
hauteur : les dommages furent estimés à 24 490 livres".
C'est cette inondation dont le niveau se trouve encore indiqué sur la façade d'une maison
que nous avons signalée, au bas du faubourg de la Vallée, un peu au dessous du pont
Saint-Antoine. L'on n'en avait jamais vu et l'on n'en vit jamais de pareille. L'eau monta, au
bas de la ville, à 25 pieds au dessus de son étiage ordinaire ; les parapets du pont furent
rasés, les piles fortement endommagées, et les passerelles de bois détruites. Les
malheureux habitants de la Vallée, surpris pendant la nuit, cherchèrent un refuge sur le toit
des maisons, où ils avaient de l'eau jusqu'à mi-corps. Il y en eut qui ne furent sauvés que par
des échelles jetées d'un toit à l'autre, ou dans des cuves attachées avec des cordes. Trenteneuf des plus éprouvés adressèrent, le 8 février 1771, une pétition, accompagnée de
l'estimation de leurs pertes, au contrôleur général des finances de Bretagne, pour être
déchargés de leurs impositions royales, se montant à 438 livres et 15 sols, tant que leurs
maisons ne seraient pas reconstruites.
Les Etats de Bretagne chargèrent M. de Bruc de Montplaisir d'aller reconnaître l'état des
lieux et de vérifier par lui-même les dégâts. Ce commissaire des Etats se rendit aussitôt â
Clisson, et fut effrayé de l'aspect de la basse ville : il constata la destruction complète de 35
maisons et la ruine partielle de 17. L'estimation produite par les 39 habitants de la Vallée se
montait à 61 976 livres. M. de Bruc la trouva beaucoup trop faible, et évalua la perte à plus
de 120 000 livres. Aussi son rapport du 15 avril 1771248 est-il entièrement favorable aux
pauvres Clissonnais dont la douleur muette l'avait touché, et qu'il avait encouragés de son
mieux.
Le couvent des Cordeliers avait été fort endommagé et nécessitait pour plus de 3000
livres de réparations ; mais ces religieux, se taisant avec dignité devant le malheur général,
ne réclamèrent rien, non plus que le prince de Soubise qui avait perdu son four à ban et sa
maison, appelée le Minage, où s'exerçait son droit de minage sur les grains, blés et avoines,
vendus à Clisson.
La pétition des habitants de la Vallée nous montre combien peu élevé était le chiffre des
impositions, à cette époque ; et, dans ses notes, M. Perraud nous fait observer que le nom
de trois seulement de ces 39 personnes, vivantes en 1771, était encore représenté à Clisson
en 1850, tant la population y avait été décimée par la guerre et les massacres de 1793 et
1794.
Cette inondation eut du retentissement jusqu'aux extrémités de la France. Plus tard, un
jeune Clissonnais se trouva, un jour, très ému en entendant, dans une ville du Comtat
Venaisin, près de Vaucluse, chanter une complainte sur les ravages de la Sèvre dans son
pays.
L'on fut amené à diverses réflexions, à propos de ce désastre : on se rappela que trente
ans avant, en 1740, les eaux avaient aussi beaucoup monté, à la fin de novembre et au
commencement de décembre ; que trente ans encore avant, en 1710, il en avait été de
247
Du Boueix, dans "Topographie de Clisson", fait allusion à cette famine (Annales de la Soc. Acad.
de N., 1868, pp. 184-185), ajoutant que l'usage de la pomme de terre, solanum tuberosum,
appelée improprement patate par les paysans, se répandait dans la région, en 1784. L'on avait
commencé par la donner aux animaux ; puis les pauvres en avaient mangé enfin tout le monde la
trouvait bonne. On comptait sur ce tubercule pour éviter les famines à l'avenir.
248
Nous reproduisons cette pièce, ainsi que la pétition des 39 Clissonnais, dans nos Pièces
Justificatives.
- 42 -
même ; et l'on assurait qu'en 1680, toujours trente ans en arrière, il y avait eu un grand
débordement de la Sèvre, à pareille époque249.
Depuis le mois d'août 1778 jusqu'au même mois de 1779, la petite vérole causa la mort
de beaucoup d'enfants de la région : la septième partie de ces enfants succomba. Ceux qui
étaient nourris uniquement de laitage, légumes et fruits, sans viande ni vin, furent atteints
moins gravement ; et ceux qui furent baignés huit jours après l'apparition de la maladie,
eurent une éruption plus facile.
A cette épidémie succéda une dissenterie contagieuse qui fit périr beaucoup de monde,
en 1780 et 1781, surtout aux environs de Cugand. Le recteur de ce lieu perdit 80 de ses
paroissiens, nombre double de celui des années ordinaires.
La récolte fut abondante en 1782 : des pluies qui commencèrent le 1 er mai et durèrent
longtemps, lui furent cependant nuisibles, en contrariant la moisson.
En 1786, M. Jacques Deschailles, recteur de Cugand, vendit son vin sur lie, de 12 à 18
livres la barrique.
249
Registres paroissiaux de Cugand. M. Du Boueix relate la tradition d'une inondation tous les trente
ans, en décrivant celle de 1770, dans sa "Topographie de Clisson", (Annales de la Soc. Acad. de
Nantes, 1665. pp. 139-1401.) Toutefois, depuis lors, les faits n'ont point confirmé cette tradition.
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CHAPITRE - V
De 1789 à 1832
A la fin du XVIIIe siècle, les habitants de Clisson, de moeurs douces et charitables, pleins
de religion et satisfaits des lois que leur avaient léguées leurs ancêtres, étaient heureux et
tranquilles ils aimaient la Bretagne et ses privilèges ; ils étaient fiers de la beauté de leur ville
et de son château. Dans leur pays on pouvait vivre à peu de frais ; le moindre bourgeois un
peu aisé y paraissait riche ; les pauvres étaient secourus généreusement et avec bonté ; la
terre nourrissait les laboureurs et les vignerons. Les jours de l'homme, depuis la tricotaine
joyeuse du baptême jusqu'au glas sonné par les confrères des Agonisants, s'écoulaient ainsi
faciles et paisibles, sur les charmants coteaux de la Sèvre, au pied de l'imposant château
des sires de Clisson et du duc François II, et à l'abri de la vieille enceinte urbaine. Les fêtes
de l'Eglise ramenaient à intervalles à peu près réguliers, leurs pompes rustiques, et les
temps féodaux étaient représentés par quelques cérémonies plaisantes et qui réveillaient la
gaieté populaire250 telles étaient les distractions des Clissonnais. Aucune contrée de la
Bretagne ni même de la France ne pouvait présenter, dans un cadre plus pittoresque, un
plus joli tableau de la vie provinciale. Il est vrai que Clisson était assez isolé. La route qui le
rattachait à Nantes, en longeant la rive droite de la Sèvre, était celle de Nantes à Poitiers ;
mais elle n'était pas des meilleures, et le passage à gué de la Saint-Guaise, au dessous du
Pallet, était souvent très difficile, pendant l'hiver.
Quant aux autres chemins qui sillonnaient le pays et reliaient ensemble les bourgs et les
villages, il n'y avait que des piétons, des cavaliers et de grossières charrettes à pouvoir y
circuler. M. Lemot les a connus en 1805, et les décrit ainsi dans sa "Notice sur Clisson",
parue en 1812 "Les chemins de traverse sont presque impraticables dans ce pays,
quelquefois encaissés de 10 ou 12 pieds au dessous du niveau des terres. Les charrettes
peuvent à peine y faire trois lieues dans une journée, et rarement trouve-ton des espaces où
elles puissent tourner, pour y changer de direction251".
Beaucoup de ces chemins du Bocage252 existent toujours, et montrent combien difficile
devait être un voyage aux environs de Clisson, à la fin du XVIIIe siècle. L'on peut voir encore,
entre Monnières et Gorges, quelques tronçons du vieux chemin de Clisson à Vertou, par la
rive gauche de la Sèvre : ils sont tout à fait conformes à la description de Lemot.
En 1789, Clisson et ses faubourgs formaient un ensemble de 2400 habitants environ253.
Après la solitude complète de 1794, ils étaient revenus à ce nombre, vers 1850.
250
Comme la quintaine qui obligeait les nouveaux mariés à monter à cheval et à briser une lance
contre un poteau ; et la chanson nouvelle, chantée par les nouvelles mariées de l'année, devant
le seigneur ou son représentant.
251
Comparer cette description des chemins du Bocage, avec celle de la Marquise de la
Rochejaquelein ("Mémoires", 4e édit., 1817, p. 43).
252
Le Bocage comprend une partie du comté Nantais, du Poitou et de l'Anjou.
253
A savoir 100 pour la Trinité, 650 pour Saint-Jacques et Saint-Gilles, 180 pour la Madeleine, et 600
pour Notre-Dame et la ville murée. A quoi il faut ajouter une centaine au moins d'habitants, pour
le petit groupe formé autour de l'Hôpital Saint-Antoine, en Gétigné. En 1784, Du Boueix comptait,
dans les 5 paroisses de Clisson, 2000 communiants, et proposait de doubler ce nombre, pour
avoir celui des individus.
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Les principales industries que l'on y exerçait, étaient celles des tanneurs, mégissiers,
chamoiseurs, et des tisserands en fil et en coton. L'on y faisait aussi des toiles, serges,
droguets et gros draps.
Le commerce, outre celui des produits manufacturés, consistait en bestiaux, vins254 et
eaux-de-vie. Il y avait un marché, depuis le premier vendredi après la Mi-Carême, chaque
vendredi suivant, jusqu'à l'hiver ; et, en plus de ces marchés, sept ou huit foires royales par
an255.
Dans la population de Clisson, à demi rurale et peu curieuse de changements, les
doctrines subversives du XVIII e siècle, n'avaient pas fait beaucoup de prosélytes. Les
dangereuses nouveautés que les sociétés secrètes s'efforçaient depuis longtemps de
répandre, par tous moyens, dans les provinces les plus reculées, afin de préparer la
révolution, avaient seulement gagné quelques hommes marquants de l'endroit, gens de loi,
notaires, médecins256, plus à portée par leur profession même, de recevoir les influences
étrangères. Complices inconscients de la grande conspiration contre l'autel et le trône, dont
on ne leur montrait que certaines apparences séduisantes, ces hommes crurent ainsi
montrer la supériorité de leur esprit. Plusieurs étaient de bonne foi, et demandaient
simplement la réforme de divers abus qui, au cours des siècles, s'étaient glissés dans
l'administration du royaume. L'on vit se joindre à eux quelques commerçants, maîtres
ouvriers et petits bourgeois, entraînés par l'exemple, et trois ou quatre malheureux prêtres
sans vocation, désireux de secouer le joug des obligations de leur état257.
A la tête du mouvement était M. Michel Du Boueix258, médecin habile et instruit, docteur
régent à la Faculté de Médecine de Nantes, et résidant sans doute dans cette ville, pendant
une partie de l'année.
254
Le vin de Clisson était apprécié des le XVI e siècle. Eguinaire Baron, professeur de droit à
l'Université d'Angers vers 1530, en but, un jour, à Nantes, cher un de ses amis, et le trouva digne
d'être comparé au vin d'Anjou : «"0 fortunatos nimium Britones, s'ecrie-t-il, qui, cum caeteris vitae
necessariis abundent maxime, de vini étiam gloria cum Andegavis dimicare queant !" » («
"Baronis opera" », 1552, in-folio ; Citation d’Ed. Riche, dans son « Voyage à Clisson" », édit.
1528, pp.113-114).
255
"Topographie de Clisson", par Du Boueix, ouvrage cité plus haut.
Aujourd'hui, il y a marche et foire à Clisson, tous les vendredis de l'année. Les grandes foires ont
lieu le vendredi avant le dimanche gras (Foire Grasse) ; le vendredi après la Mi-Carême ; le
vendredi, lendemain de l'Ascension; le vendredi avant la Fête-Dieu (Foire du Sacre, spéciale
pour les bêtes grasses) ; le vendredi après la Madeleine (22 juillet ; le vendredi après la Saint-Luc
(18 octobre) ; le vendredi après la Saint-André (30 novembre).
256
Il y avait alors à Clisson quatre docteurs médecins : MM. Michel du Boueix, Maillo cheau, Gouraud
et Nénable ; quatre maîtres chirurgiens MM. Peltier, Mesnard, Alphonse et Audap, ce dernier
greffier du tribunal du district, en 1792 (Archives de Nantes, L 404) ; deux notaires royaux et
procureurs MM. Jean Dabin et Jacques-François-Gabriel Massicot ; quatre avocats en parlement
MM. Pierre-Marie Dardel, Jean-Baptiste Bureau, Charles Bureau de ia Robinière et Jacques Le
Mesle C 567).
257
André Barat, gardien des Cordeliers, Jean Andrieux, recteur de la Madeleine ; et l'abbé Braud,
neveu du recteur de Notre-Dame.
258
Fils d'un notaire de Clisson, Michel Du Boueix naquit en 1712 et épousa, vers 1765, M lle CatherineJeanne-Marie Vinet. Il fut docteur régent de la Faculté de Médecine de l'Université de Nantes,
vers 1788 ; car les "Etrennes Nantaises" de 1788 le mentionnent en cette qualité ; mais non pas
celles de 1764. En 1781, sa "Topographie de Clisson" fut couronnée par la Société royale de
Médecine de Paris ; il avait déjà alors les titres de correspondant de cette Société et de médecin
de Monsieur, frère du roi. Le 2 avril 1790, il fut élu l'un des 36 membres de l'administration
supérieure du département, où il représenta le district de Clisson (Archives de Nantes, L 42, folio
80) ; mais il démissionna avant la fin de l'année. En juin 1791, il fut nommé trésorier du même
district, avec son fils Michel pour premier commis (Ibid., L 414). En septembre 1791, il fut élu
maire de Clisson et député suppléant à l'assemblée législative. Le 3 novembre de la même
année, il prononça au district, dans l'église abandonnée des Cordeliers de Clisson, à l'occasion
de la proclamation de la constitution, un discours qui nous a été conservé (Ibid., L 996), mais qui
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Conformément aux lettres patentes du roi, du 24 janvier 1789, les habitants (le général,
comme on disait) formant le tiers état des paroisses de Notre-Dame, la Trinité, SaintJacques et Saint-Gilles de Clisson, se réunirent le 29 mars suivant, dans l'église SaintJacques, pour rédiger le cahier de leurs doléances, à présenter aux Etats-Généraux. Noble
maître Pierre-Marie Dardel, avocat en parlement et sénéchal de la châtellenie, présida
l'assemblée dont le procès-verbal (Archives de Nantes, C 567) cite, en tête des autres
habitants : Noble maître Jean-Baptiste Bureau, avocat et procureur fiscal, Maître Joseph
Douillard, greffier en chef de la châtellenie, Noble maître Jacques Le Mesle, avocat,
correspondant de la commission intermédiaire des Etats de Bretagne et syndic de Clisson,
Noble maître Charles Bureau de la Robinière, avocat, et Maitre Jean Dabin, notaire royal et
procureur.
MM. Jean-Baptiste et Charles Bureau, Le Mesle et Louis Gautret furent nominés députés,
pour porter les doléances du tiers état de Clisson à l'assemblée de la sénéchaussée de
Nantes, qui devait se tenir en cette ville, le 7 avril suivant.
Le 6 avril 1789, le général de la paroisse de la Madeleine du Temple rédigea aussi ses
doléances, et donna commission de les présenter à Nantes, à M. Firmin Babin de Bourneuil,
major du régiment des gardes-côtes, et à M. François Robert (Archives de Nantes, C 567).
Les cahiers des doléances du tiers état de Clisson (Ibid., même cote) visent une série de
réformes concernant la législation, les impôts et l'administration, à peu près les mêmes que
partout ailleurs. L'on y relève certaines demandes indiscrètes et dangereuses, comme celle
de la liberté de la presse, auxquelles les habitants de Clisson n'avaient pu songer d'euxmêmes.
Elles leur avaient été probablement imposées par les meneurs de la révolution, qui, au
moyen d'affidés secrets, avaient su influencer les assemblées du tiers état dans la plupart
des localités, et en avaient fait ainsi les instruments de leur complot. Il existe dans divers
dépôts d'archives, des traces de cette action occulte.
Toutefois les Clissonnais, dans leurs cahiers, se déclarent formellement pour la
conservation des privilèges provinciaux de la Bretagne. Ils réclament, pour les personnes, la
suppression des privilèges d'exemption, mais non point des privilèges d'illustration. Ils
n'entendent point abolir la noblesse ; mais demandent seulement que les titres des nobles
soient vérifiés en présence d'une commission du tiers état. Ils désirent que l'organisation des
Etats de Bretagne se conforme à celle des Etats du Dauphiné, demande qui, sans aucun
doute, leur avait été suggérée par des étrangers. Le pays n'était pas sûr, et des vols,
assassinats et violences s'y commettaient souvent on souhaite donc l'établissement d'une
maréchaussée à Clisson. Une proposition d'une sérieuse utilité termine ces cahiers c'est
qu'à l'avenir il soit fait mention, dans les registres baptismaux, des lieux d'origine des père et
ne lui fait pas honneur : ce n'est qu'un amas de grossières injures à l'adresse des pauvres
religieux dont le district occupait le couvent. Il n'était plus maire de Clisson en 1792 : M. Boutiller
l'avait remplacé dans cette charge (Ibid., L 36). Mais il redevint maire, après la destitution de M.
Boutiller, en août 1792. M. Marionneau ("Collection archéologique du canton de Vertou", dans le
Bulletin de la Société Archéologique de Nantes, 1876) décrit un bon de confiance de deux sols,
de la municipalité de Clisson, imprimé, émis en septembre 1792, signé Duboueix et contresigné
Robert.
Michel Du Boueix se réfugia à Nantes, le 15 mars 1793, avec tous les Clissonnais qui avaient
quelque fortune, et y exerça la médecine. Atteint bientôt de la contagion qui s'était développée
parmi les prisonniers entassés dans l'Entrepôt, et qu'on appela la maladie de l'Entrepôt, il
succomba dans une maison du quai de Ia Fosse. Il laissait un volume sur l'électricité médicale,
une étude sur le croup, plusieurs mémoires parus dans des journaux de médecine, et
l'intéressante "Topographie de Clisson et de ses environs".
Son frère, Gui-Joseph-Michel, d'abord moine blanc (Jacobin ou Prémontré), puis recteur de
Houssay en Anjou, prêta le serment, défroqua, épousa une ex-religieuse et fut percepteur à
Vieillevigne. Cet indigne prêtre qui avait composé un scandaleux "Essai sur les vœux" (Angers,
Marne, 1791, in-8°) mourut à Vieillevigne, en 1804 ("Dictionnaire d'Anjou", par M. Port).
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mère, afin de faciliter les recherches auxquelles les familles sont souvent obligées. Elle ne
fut malheureusement pas prise en considération par les législateurs.
Les doléances des gens de la Madeleine ne renferment que quatre articles ici pas
d'influence étrangère, tout vient des habitants. L'on demande seulement la répartition des
impôts sur les trois ordres, proportionnellement à leurs facultés ; la suppression de la corvée
et du droit de franc-fief ; le payement de la portion congrue du recteur, opéré à l'avenir
comme celui de toutes les autres pensions, au lieu de dépendre de l'ordre de Malte, qui
payait sans doute peu régulièrement. Fait curieux : les habitants de la Madeleine avaient
d'abord réclamé la suppression des moulins et fours banaux ; puis, après réflexion, ils
revinrent sur leur décision, et firent rayer la demande, en l'annulant au bas de la pièce.
Taine a raconté d'une manière saisissante259 comment, en juillet 1789, une anxiété
sourde et une crainte vague se répandirent dans les campagnes, et furent suivies d'une
panique violente et soudaine. Du 20 au 30 juillet, par toute la France, dans les plus petits
bourgs et presque au même moment dans chaque région, on cria que des bandes de
brigands arrivaient, pour tout piller et ravager. Nulle part on ne vit de brigands, ce qui
n'empêcha pas d'assurer qu'ils approchaient. Aussitôt, pour les combattre, on organisa en
tous lieux la garde nationale.
L'on a su depuis, et de source certaine, que ces terreurs folles avaient été le résultat de
manœuvres secrètes des sociétés révolutionnaires qui voulaient, par un coup hardi, mettre
la France entière en armes contre les autorités, et rompre ainsi, à leur profit, l'équilibre du
royaume260. Elles n'y réussirent que trop bien, et c'est depuis lors que les révoltes, les
massacres, les pillages et les incendies désolèrent les villes et les campagnes261.
Cette première alerte de la révolution se produisit à Clisson, le 22 juillet 1789262. Une
frayeur subite y éclata, sans que l'on sôt pourquoi. A la même heure, dans la ville et les
faubourgs, tout le monde à la fois sortit des maisons, en criant : Les brigands arrivent ! Voilà
l'ennemi ! Le tocsin sonnait dans tous les clochers. L'on alla vers Saint-Hilaire, par où l’on
disait que les brigands s'avançaient. A Saint-Hilaire, point de brigands : on avait vu
seulement passer, de grand matin, deux cavaliers courant à bride abattue263. Cette alarme
ne se calma pas facilement, et sur le champ on forma la garde nationale qui fonctionna
jusqu'au départ des habitants, en mars 1793. A Clisson comme ailleurs, les chefs de la
révolution avaient atteint leur but.
Mais les Clissonnais n'étaient ni féroces, ni même exaltés, et cette prise d'armes n'eut
point chez eux de mauvaises suites : aucun acte de violence ne fut commis par les
nouveaux soldats. Dans ce pays, on subissait les changements de l'époque, et, loin de les
provoquer, on ne les désirait même pas.
A Clisson d'ailleurs, nous l'avons vu, l'attachement à la constitution bretonne n'avait point
été ébranlé, et l'on n'entendait nullement faire disparaître cette garantie des libertés
publiques. La nouvelle que l'assemblée constituante avait voté, le 4 août 1789, l'union pure
et simple de la Bretagne à la France et la suppression des privilèges de la province, excita
une indignation générale et profonde. Les représentants des paroisses rattachées à Clisson
s'y réunirent, le 27 septembre 1789, pour délibérer à ce propos, et refusèrent d'autoriser
259
"Les origines de la France contemporaine. La révolution", tome 1er, pp. 17 et suivantes.
"Cours d'hist. de Fr." par Alexandre Mazas, Paris, 1840, tome IV, p. 128.
261
Tous les mémoires du XVIIIe siècle sont unanimes à relater cette mystérieuse panique de la fin de
juillet 1789, dans toutes les provinces. Outre ceux mentionnés par Taine, nous citerons les très
intéressants "Mémoires du Comte Beugnot", (3 édit., 1889, pp. 111-113) qui donnent de curieux
détails sur la terreur des brigands dans la baronnie de Choiseul, en Champagne, près de
Chaumont.
262
Notes de M. Perraud.
263
C'étaient sans doute les agents des révolutionnaires, chargés d'annoncer l'approche des brigands
et de répandre l'alarme. Il y avait de ces agents, disséminés dans toute la France.
260
- 47 -
leurs députés à porter le coup mortel au dernier reste de l'indépendance bretonne264. C'est
ainsi que les paroisses clissonnaises firent un suprême, mais inutile effort, pour sauvegarder
ce qui avait subsisté des privilèges de leur pays, seul rempart contre l'oppression du pouvoir
central, qui allait bientôt peser si lourdement sur la Bretagne, et dont les excès et les
cruautés n'eussent jamais été possibles, sans la destruction préalable de toutes les
distinctions provinciales, et sans l'établissement d'une centralisation absolue. Les
Clissonnais pressentirent donc le danger des idées nouvelles, et montrèrent, dans la
circonstance, un patriotisme vraiment éclairé. M. Du Boueix s'abstint de prendre part à cette
délibération265.
Après la proclamation de la constitution du 3 septembre 1791, il y eut, dans la tempête
révolutionnaire, un moment d'accalmie. Les chanoines de Notre-Dame de Clisson, dont le
chapitre avait été dissous par violence le 23 novembre 1790, et qui avaient unanimement
refusé le serment schismatique, assistèrent cependant à la cérémonie de cette
proclamation ; mais, avec une réserve fort digne, ils se tinrent à l'écart, et ne montèrent point
sur l'estrade, réservée aux autorités nouvelles et aux notables266.
Une amnistie avait provoqué le retour de plusieurs émigrés ; beaucoup de gens à courte
vue pensaient que la révolution était finie et qu'un âge d'or allait commencer. Leur illusion ne
dura pas longtemps.
La constitution civile du clergé, votée le 12 juillet 1790, et imposée à tout le royaume, le
27 novembre de la même année, fut une des principales causes qui déchaînèrent les fureurs
révolutionnaires. Elle n'avait pu être acceptée par l'immense majorité du clergé, et le roi,
après l'avoir sanctionnée par faiblesse et découragement, le 22 décembre 1790, ne tarda
pas à se rétracter.
En 1791, des régions entières manquaient de prêtres, et les paysans du comté Nantais
commençaient à se révolter. Presque partout les curés intrus avaient été repoussés avec
horreur et mépris. Dans beaucoup de paroisses du diocèse de Nantes, il y eut des émeutes
et des tumultes, notamment au Loroux d'où le curé jureur, Valadon, fut chassé
honteusement par ses paroissiens. Il en fut de même à Maisdon et à Monnières. Les
environs de Clisson se faisaient remarquer par un grand attachement pour les prêtres
fidèles, et par une hostilité ouverte à l'égard des intrus.
Bientôt les mesures tyranniques du gouvernement mirent le comble à l'indignation. Le 12
mars 1791, un décret avait ordonné de dresser la liste des prêtres qui n'avaient pas prêté le
serment. Par arrêtés des 9 mai, 6 juin et 9 décembre 1791, le département enjoignit à ces
prêtres de quitter leurs presbytères ; mais les populations résistèrent et gardèrent leurs
pasteurs. Une grande agitation régna, pendant la fin de l'année 1791, dans les campagnes
Nantaises : les prêtres erraient partout comme des proscrits, et l'on ne savait où aller
entendre la Messe, chaque dimanche267.
Le 23 janvier 1792, le département renouvela ses précédentes interdictions de séjour, aux
prêtres non assermentés, et fit fermer la chapelle privée des demoiselles Bridon, à
Clisson268 : le district269 de Clisson s'empressa de l'encourager et d'applaudir à ces
264
"Archives curieuses de Nantes et des environs" par F. J. Verger, IV, 1510, colonnes 199, 201, 206
;— "La commune et la milice de Nantes", par Camille Mellinet, tome VI, pp. 69-71. Après le vote
de l'assemblée constituante, les députés de la sénéchaussée de Nantes avaient demandé à leurs
électeurs des pouvoirs illimités, pour la suppression des privilèges provinciaux le 30 décembre
1789, paroisses el corporations répondirent par un refus ; 136 accordèrent les pouvoirs. Il n'est
question ici que de la sénéchaussée de Nantes, et non de tout l’évêché.
265
Notes de M. Perraud.
266
Notes de M. Perraud.
267
II y avait des troupes de ligne, cantonnées à Clisson, le 10 juin 1791. Le 17 août suivant, le district
réclamait leur renvoi à cause de leur indiscipline, et demandait en place 15 ou 20 cavaliers
(Archives de Nantes, L 578).
268
Archives de Nantes, L 401.
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violences. En vain la municipalité, beaucoup plus modérée, demanda-t-elle, au nom de la
liberté des cultes, qu'au moins l'aumônier des Bénédictines pût continuer à célébrer la Messe
à la Trinité 270 : le département ordonna la fermeture de cette église271.
Les troubles augmentant, comme on pouvait s'y attendre, survint un nouvel arrêté du
département, en date du 22 mars, prescrivant l'internement dans la maison de Saint-Clément
de Nantes, de tous les prêtres non assermentés272. Les districts étaient chargés d'en faire le
dénombrement. En édictant cette mesure de proscription, le département s'érigeait fort
indûment en législateur. Les paysans des environs de Clisson ne s'en montrèrent que plus
déterminés à défendre leurs prêtres ; ceux de Gorges prirent les armes ; le 4 avril 1792,
Belorde, commandant de la garde nationale de Clisson, était si effrayé qu'il demandait des
secours à Nantes273.
La municipalité de Clisson désapprouvait toutes les persécutions, et craignait aussi le
soulèvement général qui devait en être la suite inévitable : elle donna, sur ces entrefaites,
une preuve remarquable de ses sentiments de justice et de modération. Le 3 avril 1792, elle
se réunit pour formuler une protestation très courageuse, rédigée en termes dignes et
mesurés, contre les mesures iniques prises par le département. Cette pièce nous a été
conservée274. "Dans les environs de Clisson, y lisons-nous, plus de vingt paroisses sont
privées de tout secours religieux ; les prêtres non assermentés ont toujours tenu une
conduite paisible. La municipalité croit devoir protéger des hommes innocents, et même
remplir ainsi les intentions du département, qui ont été seulement de punir des coupables.
Elle mériterait des reproches, si elle servait, aux dépens de la vérité, les passions des
méchants qui ont pu égarer la justice, etc."
Il fut décidé que cette protestation serait présentée non seulement au directoire du
département, mais encore au roi et à l'assemblée législative. Les Clissonnais qui
s'honorèrent en la signant, furent MM. Boutiller, maire ; Sénèque, Gouraud, Alphonse275,
officiers municipaux ; Pierre-Louis Dabin, procureur-syndic de la commune ; Nenable,
Clisson, Guilloteau, Guérin, Joseph Rogué, Bertin, P. Loiret, notables.
Elle fut, en effet, envoyée de suite au département, accompagnée de diverses
explications : "Il faut du courage, disait à bon droit la municipalité clissonnaise, pour déposer
en faveur d'hommes que la haine poursuit jusque dans le sanctuaire de la loi276".
Restait à la remettre au roi et à l'assemblée législative. MM. Dabin et Sénèque furent
chargés de cette commission difficile.
M. Pierre-Louis Dabin277, licencié en droit et procureur-syndic de la commune, avait été le
principal instigateur de la belle protestation de la municipalité. Il était cependant partisan
déclaré des réformes et des idées nouvelles. Il faisait partie de la garde nationale, avait été
délégué à Paris, en 1790, pour représenter la ville de Clisson à la fête de la Fédération, et
avait donné d'autres marques manifestes de ses sentiments politiques. Mais il était bon
catholique, allait courageusement à la Messe des prêtres réfractaires, et y entraînait les
269
Sur la composition du district de Clisson en 1790 et 1792, voir, aux Archives de Nantes, les
dossiers L 404 et L 414. Un certain Soulastre, moine défroqué, y figurait, en qualité de
commissaire du département.
270
Le maire était M. Boutiller. Il fit porter la requête à Nantes, par MM. Pierre-Louis Dabin, procureur
de la commune, et François Sénèque, maître d'école, dont nous aurons bientôt signaler la belle
conduite.
271
Archives de Nantes, L 47, folios 67 et 93.
272
Ibid., L 47, folios 152-153.
273
Ibid., L 281.
274
"Les confesseurs de la foi du diocèse de Nantes, pendant la Récohetion", pages 540-541.
275
Ce nom se retrouve parmi les signataires de la pétition des habitants ruinés par l'inondation de
1770 (Voir nos Pièces Justificatives).
276
"Archives curieuses de Nantes", par Verger, V, colonne 244.
277
Fils de M. Jean Dabin, notaire royal et procureur à Clisson.
- 49 -
hésitants. C'était un des personnages les plus influents de Clisson. Opposé à toutes les
mesures vexatoires, il prévoyait la guerre terrible qu'elles allaient bientôt causer, et désirait
faire tous ses efforts, afin d'en conjurer les malheurs.
M. François Sénèque, son dévoué auxiliaire dans cette œuvre de pacification, était maître
d'école. Il avait prêté le serment civique, était capitaine dans la garde nationale, et avait
même acheté des domaines nationaux ; mais lui aussi était catholique fervent et ennemi des
persécutions.
MM. Dabin et Sénèque commencèrent par faire imprimer à Nantes la délibération de la
municipalité Clissonnaise, et en répandirent un grand nombre d'exemplaires dans les
paroisses de la rive gauche de la Loire 278, et même jusqu'en Anjou, afin de provoquer un
mouvement favorable, et de recueillir des signatures d'adhésion. Pour subvenir aux frais de
leur voyage à Paris, ils firent aussi, dans toutes les paroisses de la région, une collecte qui
produisit 600 livres279 ; puis se mirent de suite en route pour Paris où ils arrivèrent le 16 avril.
Là, ils s'entendirent avec les députés de leur département, et donnèrent leur pétition au
ministre Roland qui la fit passer au comité des douze députés, chargés du rapport sur les
troubles religieux.
Le roi n'avait plus alors qu'une autorité illusoire et purement nominale. Les Clissonnais
songèrent donc à remettre leur requête à l'assemblée elle-même, comme leur mandat les y
obligeait. Mais se rendant compte de la puissance formidable acquise par les meneurs
révolutionnaires, et du danger qu'il y avait à courir, en la contrariant dans une salle
tumultueuse, sans cesse troublée par les cris forcenés des jacobins des tribunes, les deux
délégués de Clisson renoncèrent à paraître à la barre de l'assemblée, où un député de
Nantes les attendit vainement, pour les présenter.
De retour dans leur pays, ils y trouvèrent le plus mauvais accueil. La courageuse conduite
de la municipalité de Clisson avait exaspéré les membres du district, et même les
révolutionnaires de tout le pays Nantais, qui s'emportaient en furieuses déclamations contre
des gens assez audacieux pour prendre le parti des opprimés. La municipalité de Clisson fut
suspendue par le directoire du département, le 27 août 1799, et MM. Dabin et Sénèque,
accusés de complicité avec les rebelles, furent arrêtés, l'un en août, l'autre en septembre, et
récompensés de leur tentative d'apaisement, par un emprisonnement de près de deux mois,
au château de Nantes. On leur fit rendre les 600 livres, librement versées par les paroisses
des environs de Clisson, et tous les frais de leur voyage à Paris restèrent à leur charge280.
278
A Ancenis et à Prinquiau, des délibérations semblables à celle de Clisson, avaient été prises par
les municipalités.
279
Archives de Nantes, L 996.
280
Archives de Nantes, L 996 : directoire du district de Clisson, séance du 26 août 1792 ; — L 36, folio
45 verso : conseil du département, séance du 37 août 1792 ; — L 183, 250, 281. M. Léon Maître
a raconté ce curieux épisode de la révolution à Clisson, dans la "Revue des questions
historiques", n° d'avril 1907, sous ce titre : "Une coalition religieuse chez les Bretons, en 1792".
Dabin avait jusqu'alors écouté les théories révolutionnaires. Indigné de la mauvaise foi et de la
tyrannie dont il avait été témoin et victime, il changea complètement de sentiments, et il était
royaliste, lorsque vint à éclater la guerre qu'il avait bien prévue. En compagnie de son père, M.
Jean Dabin, il se réfugia à Nantes, le 15 mars 1793, avec tous les Clissonnais un peu aisés
(Archives de Nantes, L 997). Quand la ville fut menacée, il est à croire que, devenu suspect aux
autorités el ayant peut-être même à craindre pour sa vie, il se joignit aux Clissonnais qui en
sortirent pour se rendre à l'armée royale, avant la grande attaque de la Saint-Pierre (Ibid., même
cote). Il suivit, en effet, cette armée, dans toute sa glorieuse et terrible campagne, jusqu'à
Granville, et disparut après la sanglante bataille de Savenay, du 24 décembre 1793, où sans
doute il trouva une mort honorable. Sa femme avait eu le courage de l'accompagner. Après la
bataille acharnée du 13 décembre, il la laissa au Mans où elle n'échappa à la mort qu'après avoir
couru les plus grands périls ; elle put ensuite se rendre à Angers, fut recueillie par une famille
compatissante, et survécut à la révolution. Ses enfants, cachés, dès le début de la guerre, chez
des paysans fidèles, aux environs de Clisson, furent également sauvés, et son fils a laissé
postérité (Renseignements fournis par la famille).
- 50 -
Dans les premiers temps de la révolution, Clisson célébra par des fêtes publiques ce que
l'on appelait l'aurore des temps nouveaux. Un vent de folie soufflait sur les plus petites villes.
C'est alors qu'un grand festin fut donné sur l'esplanade du château (bastion "x"), mais pour
les hommes seulement. M. Du Boueix, maire, y présida, avec la seule femme qui y eût été
admise, celle du commandant des troupes alors cantonnées dans Clisson, pour défendre la
ville contre les paysans que la persécution religieuse soulevait partout aux alentours. Ces
troupes étaient peut-être le détachement du régiment du Pas-de-Calais, dont nous avons
parlé et qui, "pour s'amuser", brûla les belles charmilles de la grande cour du château. Elles
semblent d'ailleurs avoir quitté Clisson vers la fin de l'année 1792. Au dessert, M. Du Boueix
et la femme du commandant furent couronnés de lauriers, comme des sauveurs de la patrie.
Ce festin tenait toute la longueur de l'esplanade. Nous supposons qu'il eut lieu soit en 1791,
soit dans la seconde moitié de 1792, à cause de la présence, comme maire, de M. Du
Boueix, prédécesseur et successeur de M. Boutiller, destitué au mois d'août 1792, pour avoir
signé la protestation du 3 avril.
Le lendemain, les femmes s'avisèrent d'en faire autant, au même endroit ; mais on ne
nous dit point comment se passa la fête281.
A la cure de Notre-Dame était installé un administrateur du district, nommé Constantin 282.
Le district et le tribunal siégeaient dans le couvent des Cordeliers. La municipalité se
réunissait dans une maison du faubourg Saint-Jacques, confisquée sur la famille De Vieux.
Le tirage au sort pour la levée de 300 000 hommes, décrétée en 1793 par la Convention,
fit éclater enfin la guerre qui se préparait depuis longtemps.
M. Lemot, arrivé dans le pays en 1805, recueillit, sur les évènements de la fin du siècle
précédent, divers renseignements qu'il consigna dans sa "Notice sur Clisson" (1812). Son
récit nous semble présenter plusieurs inexactitudes, et nous préférons nous en tenir, pour le
détail des faits de 1793, à des documents authentiques283. Toutefois, nous croyons pouvoir
le citer, en plusieurs endroits.
L'administrateur du district, Constantin, en vertu d'une commission spéciale, était allé
procéder à la vente des meubles du château de la Galissonnière, le 22 février 1793. Cette
vente était terminée le 9 mars. Le dimanche 10 mars, il était à Vertou, pour y présider au
tirage au sort ; mais voyant qu'il n'y avait là rien de prêt, et que les listes des hommes
appelés étaient encore à Clisson, il résolut d'aller les chercher dans cette ville, et partit le
lundi 11 mars.
Ce même jour, nous dit M. Lemot, 4000 paysans royalistes, armés de bâtons, de fourches
et de quelques fusils de chasse, se portaient sur Clisson. En même temps, éclatait
281
Notes de M. Perraud.
Martin-Laurent Constantin, créole échappé de Saint-Domingue, arriva à Nantes, avec sa femme et
ses enfants, le 18 mai 1792, et se fit remarquer par son ardeur révolutionnaire. En août, il présida
l'assemblée primaire de Vertou où il avait une maison, et fut désigné comme électeur, pour
envoyer un député é la Convention. En octobre, il fut nommé l'un des administrateurs du district
de Clisson, et exerça cette fonction jusqu'a la constitution de 1795. Il se retira à Nantes, le 12
mars 1793, comme nous le dirons plus bas. Il était fort besogneux, ayant perdu ses biens de
Saint-Domingue, et bientôt après aussi sa maison de Vertou, brûlée en mars 1793. En 1795, on
le nomma commissaire du directoire exécutif du département pour le canton de Clisson, dont les
autorités étaient réfugiées à Nantes, depuis le 15 mars 1793. Il dut retourner à Clisson au
printemps de 1796. En 1799, les Clissonnais se plaignaient de sa conduite, et lui reprochaient
des vexations et des abus de pouvoir : il était en guerre ouverte avec la municipalité. Cependant
il trouva moyen de se maintenir, malgré les réclamations des habitants qui demandaient sa
destitution. Le 3 novembre 1799, Clisson ayant été évacué par sa petite garnison et, peu après,
par sa municipalité et ses autres autorités, incapables de s'y maintenir sans secours, contre les
entreprises des chouans, une bande de royalistes, commandée par François Gogué, ancien
sous-divisionnaire de Charrette, entra dans la ville, et pilla les meubles de Constantin. Celui-ci,
réfugié à Nantes pour la seconde fois, se déclarait réduit "à la plus parfaite indigence.". L'on
trouve beaucoup de détails sur Constantin, aux Archives de Nantes, dossiers L 209 et L 299.
283
Archives de Nantes, L 349, L 997, etc.
282
- 51 -
l'insurrection du Bas-Poitou ; car, la veille, de Fontenay à Nantes, presque aucune paroisse
ne s'était soumise au recrutement284.
Constantin s'arrêta au Pallet, y apprit la nouvelle du soulèvement et se hâta de gagner
Clisson, ce qu'il ne fit point sans danger. A Clisson, tout le monde était sous les armes. Il en
repartit de suite, pour se rendre à Vertou et tacher d'y faire exécuter te tirage au sort. S'étant
encore arrêté au Pallet, le curé jureur Le Prestre, ardent révolutionnaire, lui offrit de garder
les 12 000 livres en assignats, produit de la vente des meubles de la Galissonnière, qu'il
portait avec lui et qui l'embarrassaient. Constantin avait couché au Pallet, pendant la durée
de la vente, et connaissait le curé ; il accepta son offre, lui laissa la somme, et poussa
jusqu'à Vertou, remarquant en chemin plusieurs rassemblements de paysans. A Vertou, on
lui dit que les paysans de Saint-Fiacre, furieux du recrutement, avaient tué un volontaire et
en avaient blessé un autre. Toute la nuit, on fut sur pied. Le lendemain 12 mars, ayant
demandé du secours à Nantes, on lui répondit par un refus, mais en le prévenant que des
troupes se rendaient à Clisson ; et en effet, il vit passer ces troupes sur la route. Alors, sans
pouvoir procéder au tirage, il résolut de se replier sur Nantes, avec sa famille qui habitait
Vertou ; et il était à Nantes, le soir même du 12 mars285.
Dans le district de Clisson, l'insurrection commença donc le dimanche 10 mars 1793. Des
commissaires de ce district avaient été chargés de se rendre, ce jour-là, dans les différentes
paroisses qui en dépendaient, pour y faire le recrutement286. Dès le vendredi, sur la nouvelle
que des rassemblements hostiles se préparaient partout, on demanda à Nantes cent
hommes et du canon. Le samedi 9 mars, le bruit des attroupements s'accrut les
commissaires partirent cependant le lendemain, pour les vingt-six paroisses du district. C'est
alors que l'insurrection devint générale : tous les commissaires, sauf ceux du Loroux, de
Mouzillon et du Pallet, furent maltraités et chassés, et une prompte fuite put seule les sauver.
Le 10 mars 1793, à cinq heures du soir, un commissaire du département287 arriva à
Clisson, avec un détachement de cavalerie Nantaise. A huit heures, les commissaires du
Pallet ayant demandé du secours, on leur envoya, pendant la nuit, quelques cavaliers. L'on
sut encore qu'a Vallet, un rassemblement se formait dans les landes des Chaboissières.
Le lundi 11 mars, le tocsin sonnait dans toutes les paroisses, et les Clissonnais prirent les
armes. Le commissaire du département, voyant bien qu'il n'y avait plus à s'occuper du
recrutement, partit pour Vallet, avec sa cavalerie et quelques gendarmes, en tout une
trentaine d'hommes. Cette troupe attaqua les paysans aux Chaboissières, leur tua un
homme, mais fut repoussée.
Pendant ce temps, à Clisson, la journée du 11 se passa en préparatifs de défense, à
établir des corps de garde et à faire des patrouilles ; mais les paysans royalistes ne parurent
pas.
Le mardi 12 mars288, on fut tout le jour en armes, et on plaça un corps de garde au
château. Le matin, un détachement se porta vers Cugand, rencontra des royalistes armés, et
leur fit 16 prisonniers. A une heure, une fille Luneau, de Gorges, remit aux autorités une
lettre des royalistes, sommant les Clissonnais de se rendre, et leur annonçant qu'ils étaient
6000 à la chapelle Saint-Thomas, à un demi-quart de lieue de la ville. A quatre heures, la
garde nationale se forma en bataille sur la place Saint-Jacques, et 80 hommes, commandés
284
"Notice sur Clisson", par Lemot ; — "Mémoires", de la Marquise de la Rochejaquelein, édit. 1817,
page 61.
285
"Archives de Nantes", L 349 relation de Constantin. Le curé du Pallet s'étant réfugié à Nantes le 15
mars, Constantin lui réclama son argent, mais n'en reçut que 5 027 livres ; le reste avait été
oublié au Pallet, et fut pris par les royalistes. D'après le récit d'un témoin oculaire (Ibid., L 1008), il
y avait, près du Pallet, dès le 12 mars, une troupe de 8 000 royalistes environ.
286
Nous pensons que le tirage au sort avait eu lieu à Clisson, le dimanche précédent.
287
Le moine défroqué Soulastre, d'après les notes de M. Perraud.
288
Voir à la Bibliothèque de Nantes, collection Dugast-Matifeux, liasse 22, n°11 (page 155 du
catalogue), une lettre des officiers municipaux de Clisson au département, en date du 12 mars
1793, annonçant qu'Ils sont cernés par 10 000 insurgés.
- 52 -
par M. Audap, se détachèrent en reconnaissance. Parvenus à la chapelle Saint-Thomas, ils
virent, dans une pièce de genêts, une troupe de paysans avec un drapeau blanc,
l'attaquèrent et la dispersèrent, en lui tuant et blessant quelques hommes, et sans éprouver
aucune perte. Ils s'emparèrent même du chef des royalistes, nommé Langlais.
M. Lemot, dans sa "Notice", fait observer que les paysans, fort mal armés, timides et peu
aguerris, n'étaient pas alors bien redoutables.
A six heures, arriva un détachement de Nantes, avec du canon.
Le mercredi 13 mars, le détachement Nantais fit une sortie sur la route de Vallet, et
aperçut, à un quart de lieue, un attroupement qu'il évalua à 2000 hommes, et qui paraissait
conduit par des gens expérimentés. Le canon les mit en fuite. Quant au détachement, il
perdit un cavalier ; mais assura qu'il avait tué beaucoup de paysans.
Pendant cette expédition, un autre détachement, composé de Clissonnais et commandé
par le "général Touchard", venu de Nantes, marchait vers Gétigné où il y avait un grand
attroupement, assemblé au son du tocsin. Ce détachement dispersa les paysans, en leur
tuant quelques hommes, pénétra dans le bourg et brisa les cloches de la paroisse ; puis
rentra à Clisson, sans autre incident.
Le jeudi 14 mars, l'infanterie venue de Nantes retourna dans cette ville. Les cavaliers et le
canon restèrent à Clisson. Pendant toute la journée, une pluie abondante empêcha de faire
des sorties. On caserna la cavalerie Nantaise au château.
Durant la nuit qui fut affreuse, pluvieuse et obscure, arrivèrent tout à coup 32 dragons de
l'ancien régiment de Roussillon, échappés de Cholet qui venait de tomber au pouvoir des
paysans de Cathelineau289. Ils annoncèrent que les royalistes étaient maîtres de Cholet et de
Montaigu, et allaient fondre le lendemain sur Clisson, au nombre de 10 000 hommes, avec
treize pièces de canon.
A cette nouvelle, une véritable panique s'empara de la ville. Les troupes furent rangées en
bataille ; mais renoncèrent à défendre Clisson, et décidèrent de se retirer de suite à Nantes.
Le commandant refusa même de différer le départ de quelques heures, et les soldats,
accompagnés de toute la garde nationale et des autorités, district, tribunal et municipalité, se
mirent en route pour Nantes le 15 mars, à six heures du matin. A eux se joignirent presque
tous les habitants qui avaient quelques moyens d'existence, tant royalistes que
révolutionnaires, craignant les uns d'être faits prisonniers, les autres d'être mêlés forcément
à la guerre. L'intention générale et avouée était de revenir le lendemain, avec des renforts,
reprendre la ville.
La caravane s'achemina donc vers Nantes, "sans avoir le temps de prendre une
chemise", laissant derrière elle les vieillards, les femmes et les enfants, à qui l'on pensait
avec raison que les royalistes ne feraient pas de mal. Sur tout le parcours, elle fut harcelée
par les paysans des paroisses qu'elle traversa, et arriva à Nantes, harassée, après douze
heures de marche et neuf escarmouches. Pendant le voyage, on dut abandonner et brûler
sur la route des papiers publics, entassés sur des chariots, et dont le transport retardait la
colonne.
A Nantes, les Clissonnais virent bien qu'ils n'obtiendraient pas des forces suffisantes pour
leur permettre de retourner chez eux. Ils s'installèrent comme ils purent dans cette ville
encombrée, et où cependant la plupart d'entre eux allaient être forcés de résider pendant
trois ans290 ; car c'est seulement au mois de mai 1796 que leur municipalité put regagner
Clisson291.
289
"Mémoires", de la Marquise de La Rochejaquelein, édit. 1817 page 60 ; — "Histoire de la Vendée",
édit. 1895, I, pages 46-49. Crétineau-Joly place la prise de Cholet au 15 mars ; mais si l'on s'en
rapporte au document que nous citons, il faut que cette ville ait été prise le 14. D'ailleurs, M me de
La Rochejaquelein le dit formellement.
290
Cette relation dont nous avons trouvé le texte aux Archives de Nantes, L 397 (registre de
l'administration du district et de la municipalité de Clisson, réfugiés Nantes), est signée par MM.
Constantin (qui était à Nantes dès le 12 mars. Voir page 380), Bretin, Savariau, Le Roux, Audap
- 53 -
Le district, le tribunal et la municipalité de Clisson trouvèrent un local pour se réunir, dans
une maison appartenant à M. Trastour, rue de la Casserie, 30. C'est là que furent rédigés
ces registres des délibérations du district de Clisson, réfugié à Nantes, qui nous ont été
conservés292.
Plusieurs des exilés étaient royalistes et, avant le siège de Nantes, sortirent de la ville et
se jetèrent dans l'armée royale : on les mit au nombre des rebelles293.
Dans la journée du 15 mars, les paysans royalistes se précipitèrent dans Clisson, évacué
depuis le matin par les troupes et les autorités 294. Ils arrivèrent par Cugand, coururent au
district, prirent le peu de papiers qu'on y avait laissés, surtout les listes du tirage au sort, et
les brûlèrent dans la rue avec une grande joie, comme ils n'y manquaient jamais en pareil
cas. Ils délivrèrent une centaine de pauvres détenus, tant suspects que prisonniers faits
dans les sorties du 12 mars ; puis se retirèrent295.
Le 18 mars, un grand rassemblement d'insurgés était au village de l'Alloué en Vertou. Ces
paysans coupèrent, en cet endroit, la route de Nantes à Clisson, par un grand fossé avec
retranchement, garni d'une vingtaine de bouches à feu. Ils voulaient ainsi empêcher les
sorties de la garnison, et déjà songeaient à investir la ville. M. De Vieux, de Clisson, était le
commandant général du rassemblement. Il était secondé par un maréchal-ferrant de la
Regrippière, nommé Jean Gaudin296.
Le même jour, 18 mars 1793, les royalistes du pays se portèrent en foule sur Vertou et
s'en emparèrent. Ceux des habitants qui étaient partisans de la révolution, se sauvèrent à
Nantes.
Le 24 mars, arrivèrent encore à Vertou des troupes d'insurgés du Bas-Poitou, qu'on
appelait les Gris297. Depuis lors, Vertou fut occupé par les paysans jusqu'au 25 août. Ceux-ci
en partirent alors pour la plupart, et il n'y resta plus qu'un groupe d'officiers d'un état-major
royaliste (sans doute d'une des divisions de Charette), qui se retira lui-même le 27
septembre. Des troupes Nantaises vinrent aussitôt après, se poster dans le bourg298.
Le 18 mai 1793, veille de la Pentecôte, un détachement de Bleus entra dans Clisson,
pour en sortir presque de suite 299. Ces soldats prirent cependant le temps d'y commettre un
premier massacre qui devait être suivi de tant d'autres. Ils mirent à mort diverses personnes,
signalées comme royalistes, parmi lesquelles Madame de Goyon de la Muce (en Ligné) qui
avait cru pouvoir se cacher à Clisson, et une femme de la ville, avec ses deux filles 300.
(directeur de la poste à Clisson, mort à Nantes en 1793), Grignaud, Grelier, Brot, Bregeon,
Bichon, Le Fort, Pierre Gautret. Le Gall (procureur-syndic du district), Gabarit. Loriot. Massicot,
Aubinet, Gilbert, Rousseau, Nicolleau, Poitou, Picot, Du Boueix père, Duboueix fils. Granet, Jean
Dabin, Pierre-Louis Dabin, F. Dabin, Gendon, Dupont, Châtellier, Lagrange, Baudin, Defontaine,
Léchappé, Clisson, Vrignaud (tous Clissonnais réfugiés à Nantes), et Le Prestre, curé du Pallet,
qui s'était joins à eux sur la route, ainsi que plusieurs partisans de la révolution (Voir aussi dans
la Dugast-Matifeux, liasse n°53, page 191 du catalogue. 2 pièces sur cet épisode).
291
Archives de Nantes, L 209.
292
Ibid., série L. Les Clissonnais avaient amené à Nantes leur curé jureur, nommé Clément, qui, le 22
décembre 1793 déclara renoncer à toutes les fonctions ecclésiastiques (Ibid.. L 998, folio 2
verso). Voir les doléances des exilés, les 12 avril, le mai et 28 octobre 1794 (Ibid., L 578).
293
Ibid., L 997.
294
Ibid., L 1008; — "Notice sur Clisson", (1812) par Lemot, page 80.
295
Notes de M. Perraud.
296
Archives de Nantes, L 349 : les royalistes travaillaient au retranchement de l'Alloué, le 20 mars ; —
L 1008.
297
Sans doute par opposition aux Bleus. Ce nom de Gris ne s'est pas maintenu, et fut vite remplacé
par celui de brigands.
298
Archives de Nantes, L 1008.
299
Notes de M. Perraud.
300
La mère et les sœurs d'une dame Fournier qui vivait encore à Clisson en 1850 (Notes de M.
Perraud).
- 54 -
Ils brûlèrent aussi plusieurs maisons, entre autres celle du Minage 301. Le feu avait pris à la
halle ; mais ils s'empressèrent de l'éteindre. Ce furent les premiers incendies. En partant, les
Bleus engagèrent les personnes qui les avaient reçus, à s'en aller vivre ailleurs, assurant
qu'ils reviendraient mettre le feu à toute la ville et tuer tout le monde, sans exception302,
promesse qui fut exactement tenue.
Le 20 juin 1793, Nantes était investi par l'armée royale, déjà maîtresse d'Angers,
Ingrande, Chatillon-sur-Sèvre, Cholet, Doué, Ancenis, Machecoul, Mortagne et Montaigu.
Lyrot de La Patouillère était posté à la Croix-Moriceau303, près la Haie-Fouacière. Le 28 juin,
Charette qui s'était emparé de Machecoul, parut dans la lande de Ragon et s'avança sur le
Pont-Rousseau304.
La grande attaque de Nantes eut lieu le 29 juin, fête de Saint-Pierre ; après quoi, le
généralissime Cathelineau ayant été blessé à mort, l'armée royale fit retraite dans plusieurs
directions.
Pendant le siège de Nantes, il n'y avait plus à Clisson que des hommes au dessus de 60
ans, et des enfants au dessous de 16. Ces soldats improvisés étaient armés d'un seul fusil
par corps de garde305. L'on ne sait trop de quel parti ils étaient ; en tout cas, ils ne pouvaient
offrir d'obstacle au vainqueur.
Les 14 000 hommes de la garnison placée à Mayence, depuis la prise de cette ville par
les Français en 1792, avaient été forcés de se rendre aux Prussiens en 1793, après une
belle résistance. Ils avaient obtenu une capitulation qui leur interdisait de servir contre les
alliés pendant un an. Les Mayençais, comme on les appela toujours depuis, furent dirigés
sur Nantes qu'ils contribuèrent grandement à défendre, en juin 1793. On les destina ensuite
à servir contre les royalistes du Poitou. Ces derniers en furent indignés, et, considérant que
ces hommes violaient une capitulation dans laquelle l'armée royale était implicitement
comprise, résolurent de ne pas leur faire de quartier306.
En septembre 1793, les généraux Kléber et Canclaux, chefs de l'armée de Mayence,
avaient déjà repris Pornic, Bourgneuf, le Port-Saint-Père, Machecoul, Aigrefeuille, Legé et
Palluau, dont ils avaient chassé tous les postes royalistes307. Le 16 septembre, ils se
portèrent sur Clisson et y entrèrent sans coup férir ; car ils n'y trouvèrent point d'ennemis308.
Le quartier général fut établi au château, la ville reçut des dépôts d'armes et de grands
approvisionnements. Le gros de l'armée campa dans la plaine de Toutes-Joies, sur le
chemin de Gétigné309.
L'armée de Charette, après avoir perdu toutes ses positions en Bas-Poitou, enlevées par
les Mayençais de Kléber, les troupes de Beysser, venues de Nantes, et une division placée
aux Sables-d'Olonne, s'était mise en marche vers Cholet où se rassemblait la grande armée
royale, forte de 40 000 hommes et commandée par d'Elbée, Bonchamp et Lescure. La
Rochejaquelein blessé était le seul des généraux qui ne s'y trouvât pas.
De Legé, Charette s'était retiré d'abord à Montaigu ; puis, ne pouvant s'y maintenir devant
les troupes de Beysser, il avait traversé Clisson, avant l'arrivée des Mayençais, et s'était
rendu à Tiffauges. De là, il combina ses opérations avec celles de la grande armée310.
301
Sur l'emplacement du Minage, a été bâtie une maison appartenant, en 1800, à M. Delhoumeau
(Ibidem).
302
Ibidem.
303
"Hist. de la Vendée militaire", par Crétineau-Joly, 1895, 1, pp. 187, 191.
304
Ibid., p. 194.
305
Notes de M. Perraud.
306
Marquise de La Rochejaquelein, 1817, p. 226.
307
Cretineau-Joly, I, p. 261.
308
Notes de M. Perraud.
309
"Notice" par Lemot.
310
Marquise de La Rochejaquelein, p. 224.
- 55 -
Le 19 septembre 1793, les Mayençais, laissant à Clisson leurs magasins et une réserve
commandée par Canclaux, s'avancèrent, conduits par Kléber, sur Boussay et sur Torfou
dont ils s'emparèrent successivement, et se rangèrent en avant de ce dernier bourg. Là se
livra, le même jour, la bataille que les paysans appelèrent le grand choc de Torfou. Kléber,
après un combat terrible, pendant lequel se firent des prodiges de valeur et se virent de
brillants faits d'armes, fut mis en pleine déroute. Ses troupes en fuite, arrivées au pont de
Boussay311 sur la Sèvre, eussent été exterminées sans le courage d'un officier nommé
Chevardin qui se dévoua à la mort, pour retarder la marche des royalistes, avec quelques
pièces de canon. Canclaux, accourant en toute hâte avec sa réserve et parvenu à Gétigné,
fut forcé de céder à l'élan furieux des paysans que rien ne pouvait plus arrêter, et se replia
sur Clisson, sans avoir combattu312. L'armée vaincue trouva un refuge dans cette ville.
Le lendemain, Charette et Lescure chassèrent le général Beysser de Montaigu, après un
combat très vif313.
Les généraux royalistes avaient décidé ensemble d'aller attaquer de suite l'armée de
Mayence, qui, le 22 septembre, commençait sa retraite sur Nantes, en fort mauvaise
posture, traînant avec elle, sur 1200 chariots, tous ses approvisionnements de Clisson, ses
blessés et tout le butin, amassé dans sa campagne précédente. Si ce projet avait été
exécuté ponctuellement, c'en eût été fait de cette armée dont pas un homme ne se fût
échappé314.
D'Elbée, Bonchamp et le prince de Talmont partirent donc à la poursuite de l'ennemi qu'ils
devaient aborder d'un côté, pensant être soutenus de l'autre côté, par Charette et Lescure.
Prise ainsi par ses deux flancs, la longue colonne des Mayençais était perdue sans
ressource.
Mais Charette et son lieutenant Joly voulaient tirer vengeance des cruautés commises
dans leurs cantonnements, par les Bleus de Saint-Fulgent. Ils persuadèrent à Lescure de les
aider, et croyant que les divisions de Bonchamp et de d'Elbée étaient bien assez fortes pour
écraser seules les débris de l'année de Mayence, écrivirent à ces généraux de ne plus
compter sur eux. L'officier chargé du message n'arriva pas à temps.
Charette et Lescure, laissant Bonchamp et d'Elbée sans appui, allèrent donc à SaintFulgent et y dispersèrent le corps du général Mieskouski, en lui tuant beaucoup
d'hommes315.
Le dimanche, 22 septembre 1793, à 8 heures du matin, Bonchamp, d'Elbée et Talmont
attaquèrent, près du château de la Galissonnière, l'armée de Canclaux, en retraite sur
Nantes. Lyrot de la Patouillère, campé à la Croix-Moriceau, accourut à leur aide. Mais
Lescure et Charette n'arrivèrent pas, et les royalistes qui n'étaient que 7000 contre 15 000,
durent se retirer après une bataille acharnée, dans laquelle Canclaux perdit une grande
partie de ses chariots et toute son artillerie316.
En évacuant Clisson, les Mayençais mirent le feu au château épargné jusque-là, et à bon
nombre de maisons. Ils crièrent au peu d'habitants restés dans la ville : "Sortez de chez
vous ! On va mettre le feu partout !" Alors chacun se sauva, en emportant ce qu'il avait de
plus précieux. Le château brûla pendant un mois.
Parmi les maisons incendiées ce jour-là, on signale un beau bâtiment à peine terminé,
appartenant à une famille Provost, et le fameux hôtel du Sauvage, au carrefour de la
311
D'après la "Notice sur Clisson", par Lemot, le fait eut lieu au passage du ruisseau de Gétigné, au
dessous du bois de la Roche-Sebien.
312
Marquise de La Rochejaquelein, pp.226-228 ; - Crétineau-Joly, I, pp. 271 et suiv.
313
Marquise de La Rochejaquelein, pp. 228-229.
314
Ibid., p. 229.
315
Marquise de La Rochejaquelein, pp. 230-211,— Crétineau-Joly, I, p.277.
316
Marquise de La Rochejaquelein, pp. 231-232; — Crétineau-Joly, I, p. 280.
- 56 -
Trinité317. C'est alors probablement que le pauvre abbé Jean Braud, curé de Notre-Dame,
perclus et aveugle, fut brûlé vif dans son presbytère. L'hôpital Saint-Antoine fut aussi
incendié le 22 septembre 1793. Depuis lors, les Bleus qui occupèrent ou traversèrent
Clisson, y brûlèrent chaque fois plus ou moins de maisons, de sorte qu'en 1794 il n'en restait
pas une intacte, à l'exception de la toiture de la halle que les soldats respectèrent, parce
qu'elle leur servait d'abri318.
D'Elbée et Bonchamp revinrent à Clisson peu après la bataille du 22 septembre, et y
séjournèrent, faisant tête aux Mayençais qui ne s'étaient pas encore remis en mouvement.
Ils prièrent avec instances Charette d'attaquer l'ennemi sur ses derrières. Charette,
mécontent de n'avoir pas obtenu pour ses troupes, par suite d'un malentendu, la part qui leur
revenait dans le butin pris à Saint-Fulgent, ne répondit et ne fit rien.
Alors Bonchamp et D'Elbée résolurent, d'accord avec tous les autres généraux, sauf
Charette, de reprendre Châtillon. La ville fut emportée et l'armée de Westermann, en fuite,
fut poursuivie avec fureur et perdit ses canons et ses bagages. Mais ce général, par un
retour offensif très hardi, parvint à y rentrer : on s'y battit toute une nuit dans les rues, et il y
eut là un carnage épouvantable des habitants sur qui les Bleus s'acharnèrent. Westermann
en sortit d'ailleurs aussitôt. Le jour paru, l'armée royale, campée au dehors, contempla
tristement ce théâtre de dévastation319.
Le 14 octobre 1793, Châtillon était donc entièrement saccagé ; il n'y avait plus un seul
homme à Saint-Hermand, à Chantonnay, aux Herbiers. Mortagne, par où venaient de passer
les Mayençais, pour rejoindre les autres divisions de leur parti, était en flammes. Dans les
campagnes, de tous côtés, des maisons brûlaient, et des troupeaux, conduits par quelques
femmes, erraient çà et là320.
Une grande bataille se livra, le 17 octobre, dans la lande de Cholet, du côté de
Beaupreau. L'armée royale qui comptait 40 000 hommes et qui avait affaire à 45 000
ennemis, avait presque gagné la victoire, lorsqu'elle plia devant une réserve de Mayençais,
perdit l'avantage et se réfugia à Beaupreau. Elle ne put y tenir, bien que les Bleus fûssent
trop affaiblis par leurs pertes pour la poursuivre vivement. Beaupreau fut abandonné à
Westermann qui y entra le 18, et dont les soldats y commirent leurs horreurs accoutumées.
Quant à la ville de Cholet, tout y fut mis à feu et à sang, et elle resta absolument déserte,
sans un seul habitant. D'Elbée, Bonchamp et Lescure étaient blessés à mort321. Les débris
de l'armée se rassemblèrent à Saint-Florent ils passèrent la Loire en ce lieu, les 18 et 19
octobre.
Tout le monde a lu dans les fameux "Mémoires", de la Marquise de La Rochejaquelein, le
récit touchant de cette retraite, à la fois héroïque et lugubre, conduite jusqu'à Granville, sur la
Manche, et qui, marquée par une série de combats sanglants dont beaucoup furent des
victoires, se termina par l'écrasement de la grande armée royale à Savenay, le 24 décembre
1793.
La Rochejaquelein, Marigny, Stofflet et Charette continuèrent cependant la lutte en Anjou
et en Poitou, avec le courage du désespoir. Autour d'eux se réunirent tous les paysans qui
survivaient dans cette malheureuse contrée.
Dans la campagne autour de Clisson, plusieurs prêtres étaient restés cachés,
administrant les sacrements, consolant les populations restées fidèles, et menant une
existence vagabonde, de ferme en ferme, exposés à des dangers continuels et toujours
renaissants. Nous avons déjà eu l'occasion de parler de plusieurs d'entre eux. Leur lieu de
rendez-vous habituel était un bois peu éloigné de la Trinité, dit le Bois du Collège.
317
Notes de M. Perraud.
Ibidem ; — "Notice", par Lemot.
319
Marquise de La Rochejaquelein, pp. 238-243.
320
Ibid., p. 243 ; — Crétineau-Joly, 1, p. 296.
321
Marquise de La Rochejaquelein, pp. 250-252, — Crétineau-Joly, p. 297.
318
- 57 -
Parmi ceux qui y venaient le plus souvent, on cite M. Jacques Bureau, chanoine de NotreDame, et M. Guérin, vicaire de Saint-Hilaire, qui avait refusé le serment, en disant "Je n'ai
qu'une âme ; je veux qu'elle soit à Dieu pour toujours !". Nous rappellerons encore ici
l'admirable conduite de M. Beaufreton, aussi chanoine de Notre-Dame, que nous avons
mentionnée plus haut.
D'autres prêtres des environs purent également exercer leur ministère, pendant les plus
mauvais jours de la guerre et de la persécution M. du Ronceray, recteur de Saint-Hilaire-duBois, et M. Le Bastard, natif d'Héric et recteur de Cugand, homme d'une vaste érudition et
profond théologien. Dans les circonstances les plus périlleuses, M. Le Bastard montra
toujours la plus rare présence d'esprit, et sut échapper à toutes les poursuites, avec une
adresse qui tenait du prodige. Un jour qu'il venait de rentrer dans sa cure et de se coucher,
les Bleus lancés à sa recherche, s'y présentèrent à l'improviste, et il n'eut que le temps de
sauter par dessus le mur de son jardin. Les soldats fouillèrent la maison, bouleversèrent le lit
défait et s'écrièrent "L'oiseau n'est pas loin ! Le nid est encore chaud !". Ils se répandirent
aussitôt aux alentours. M. Le Bastard, blotti dans une haie voisine, rentra alors chez lui et se
recoucha tranquillement. Ses persécuteurs ne pensèrent plus à venir l'y troubler322.
L'on peut lire, dans les "Confesseurs de la foi du diocèse de Nantes", beaucoup d'autres
détails sur la vie aventureuse des prêtres cachés dans le pays clissonnais, en 1793.
Plusieurs furent arrêtés, déportés ou mis à mort. Enfin, en 1794, une guerre d'extermination
fut déclarée au pays royaliste, guerre accompagnée d'actes de barbarie, exécutés de sangfroid, dignes à peine des nations les plus sauvages, et dont le récit excite toujours l'horreur.
Elle fut décrétée par la Convention, et organisée par le général Turreau323.
Sous la direction de Turreau, douze colonnes, dites colonnes infernales, formant un
effectif de 15 000 hommes, tant soldats que gens recrutés dans les bagnes et dans les
prisons et dans l'écume des villes, commencèrent à parcourir le Poitou et l'Anjou en tous
sens. Elles mettaient le feu à toutes les maisons, massacraient tous les hommes, sans
même s'inquiéter de quel parti ils étaient, et plusieurs fois on les vit fusiller des municipalités
entières, accourues au devant d'elles, pour leur faire honneur. Partout où elles passèrent,
elles ne laissèrent rien debout ; rien de vivant ; les incendies annonçaient leur marche ; plus
d'un quart de la population tomba sous leurs coups.
L'une de ces colonnes ravagea surtout le Bas-Poitou et la région du comté Nantais qui
nous occupe. Elle était commandée par un ami de Carrier, nommé Cordelier, scélérat de la
plus lâche férocité, se parant du titre de général, et qui a inondé de sang le Bocage, de
Clisson au Loroux et de Tiffauges à Vezins.
En janvier 1794, Cordelier achevait un massacre à la Jumellière, pendant qu'un de ses
détachements, était écrasé par La Rochejaquelein, près du moulin du Grouteau324. Le 2
février, il était battu à Gesté par Stofflet et le comte de la Bouère325. C'est alors, croyonsnous, qu'il se rapprocha de Clisson.
Déjà les colonnes infernales avaient passé par les ruines de cette ville 326, et y avaient mis
à mort beaucoup de pauvres paysans. Elles s'y arrêtaient seulement quelques jours, et de là
couraient les campagnes, en quête de leur proie. L'on amenait au château tout ce que l'on
avait pu saisir, et l'on fusillait les prisonniers sur le bord d'une longue fosse, creusée dans
322
Notes de M. Perraud.
Voir une lettre significative de Turreau, à la Bibliothèque de Nantes, collection Dugast-Matifeux,
huitième volume, n°36, page 109 du catalogue.
324
Crétineau-Joly, II, p. 125.
325
Ibid., p. 170.
326
Le 24 janvier 1794, le "général Touchard" occupait Clisson avec une colonne ; et le 3 février
suivant, les habitants de Clisson, réfugiés à Nantes, lui envoyèrent leurs félicitations ; mais lui
firent savoir qu'ils ne retourneraient pas chez eux, sans être sûrs de pouvoir s'y maintenir.
Beaucoup de royalistes avaient cessé de faire la guerre (Archives de Nantes, L 1002, folio 8
recto).
323
- 58 -
l'esplanade (bastion "x"), à l'endroit même où s'étaient dressées les tables des festins
civiques et fraternels de 1791. Chose étrange, on accordait à ces malheureux deux minutes
pour une dernière prière ; puis on faisait sur eux une décharge générale, et on les précipitait
sur les cadavres de la veille. Auprès de cette fosse, restaient des débris humains, et l'on vit
des enfants les prendre comme des jouets327.
Un jour de février 1794328, Cordelier se trouvait sur la lande de Gétigné. Il venait de brûler
la chapelle de Toutes-Joies et de massacrer des habitants de Gétigné, qui s'étaient avancés
cependant, leur maire en tête, pour fraterniser avec lui329. Tout à coup, il remarqua une
fumée légère sortant de la grande cheminée du château. Cet indice lui suffit, et sur le champ,
flairant de nouvelles victimes, il y accourut avec une troupe de soldats.
Clisson n'était plus qu'un amas de maisons à demi brûlées ; ses habitants avaient fui, et
tous ceux qui avaient pu échapper aux Bleus, erraient dans les bois. Une troupe de femmes
et d'enfants, avec un seul homme, ne sachant où se réfugier et ne se doutant pas que les
Bleus étaient si proches, étaient entrés dans le château dont les ruines pouvaient encore
offrir un abri à leur détresse. L'une des femmes avait un peu de farine, vrai trésor à cette
époque, et l'offrit à ses compagnons pour en faire du pain. Le four pratiqué sous le manteau
de la grande cheminée de la cuisine, lui en suggéra probablement l'idée. Aussitôt, amassant
quelques broussailles, l'homme se mit à chauffer ce four dont la fumée avait été aperçue par
Cordelier.
Ces pauvres gens, avec une insouciance incroyable, n'avaient point songé à poster de
sentinelle qui leur eût signalé le passage des soldats sur les ponts de la Moine et de la
Sèvre, dominés par le château.
Dans ce cas, un moyen de salut leur restait : la fuite par l'escalier du moulin ou par le
passage dérobé du bastion "x", ou même par la porte Sud du château. Quand ils entendirent
les Bleus, après avoir passé la grande porte, entrer dans la barbacane, ils auraient encore
pu se sauver par l'escalier du moulin. Mais, perdant la tête, ils se blottirent dans une
chambre haute, s'y croyant bien cachés. Bientôt les Bleus les découvrirent, les saisirent et,
avec une joie féroce, les traînèrent dans la cour. L'homme et plusieurs femmes furent
égorgés tout d'abord. Alors la vue du grand puits donna aux bourreaux l'envie d'essayer un
nouveau supplice. Ils y précipitèrent les cadavres mutilés de ceux qu'ils avaient tués, et
ensuite, un à un, et tout vivants, tous leurs autres prisonniers. Puis une ronde ignoble se
forma autour du gouffre béant, au bruit des chants obscènes, étouffant les gémissements et
les cris de douleur qui en sortaient.
Plusieurs auteurs ont relaté cet acte de barbarie, l'un des plus atroces qu'aient commis
les colonnes infernales dans le Bocage. Les uns portent le nombre des victimes à 500,
d'autres à 300, à 200, à 50330. M. Perraud habitait Clisson dans un temps où vivaient au
moins un témoin oculaire331 de ce drame affreux, et diverses personnes332 ayant connu
particulièrement des femmes333 qui y avaient assisté et avaient été sauvées, comme par
miracle, de la rage des Bleus. Il en fit l'objet de longues et patientes recherches, et parvint à
retrouver le nom de la plupart des victimes, avec des détails très circonstanciés, qui ne
permettent pas de douter de la réalité des faits consignés dans ses notes manuscrites. M.
Perraud n'a pu désigner par leurs noms que 16 des malheureux jetés dans le puits du
château. Probablement il y en eut d'autres, restés inconnus ; mais leur nombre total, si l'on
s'en rapporte aux souvenirs des témoins interrogés, ne semble pas avoir été supérieur à 20
ou 25.
327
Notes de M. Perraud.
Crétineau-Joly, II, p. 157 ; — "Archives curieuses" de Verger, II, 1838, colonne 179.
329
Notes de M. Perraud.
330
Crétineau-Joly, II, p. 157 ; "Lettres Vendéennes", par le Vicomte Walsh, lettre XXXIV.
331
me
M Chesneau, vivant encore à Nantes en 1850, et dont nous aurons à parler bientôt.
332
Mme veuve Grenouilleau, Mme Aunillon, M. Loiret, vivant à Clisson en 1850.
333
Mme Bazire née Judex, et les demoiselles Douillard, dont il va être question.
328
- 59 -
Des scènes poignantes se passèrent ce jour-là, dans la cour intérieure du château de
Clisson.
Deux sœurs334 purent s'échapper, au moment de l'arrivée des soldats : l'une par le
souterrain conduisant au moulin, par l'escalier dérobé du bastion "x"335. L'autre se jeta par
une grande fenêtre de l'Est, d'une hauteur de trente pieds, et tomba sur une terrasse, en se
brisant une jambe, mais sans se faire d'autre mal. Un soldat l'aperçut, en eut pitié et ne la
dénonça point. Le soir, il revint furtivement au lieu où gisait cette pauvre fille, lui banda la
jambe avec son tablier qu'il déchira, lui fit boire un peu d'eau-de-vie et la porta jusqu'au delà
du dernier fossé de la ville, l'abandonnant ensuite à la garde de Dieu ; puis, tout tremblant de
sa bonne action, courut rejoindre le reste de la troupe. Celle qu'il avait ainsi sauvée, put se
traîner vers un bois du voisinage, fut secourue par des paysans et survécut à la révolution.
Il y avait, en effet, dans la bande de Cordelier, des gens qui ne tuaient que par peur et qui
n'avaient pas perdu tout sentiment d'humanité : peut-être avaient-ils été enrôlés par force.
Dans une de ses courses, cette colonne avait pris un homme de la Bruffière, qui reconnut
parmi les Bleus, un de ses anciens amis de Paris où il avait été boulanger. Le soldat ayant
montré quelque bienveillance à son égard, fut obligé par ses camarades, sous peine de
mort, à tuer son ami d'un coup de pistolet, ce qu'il fit en pleurant et après l'avoir embrassé336.
Devant la bouche du puits du château, une petite fille de cinq ans trouva grâce devant les
bourreaux, non point à cause de sa beauté, car elle venait d'être défigurée par la petite
vérole ; mais son ingénuité, son bavardage enfantin désarmèrent ces misérables. Près du
cadavre de sa grand’mère337, elle les appelait "ses tontons"338, et ils n'eurent pas le courage
de la tuer. Conduite à Nantes, à la suite de la colonne, elle fut abandonnée dans une rue, la
nuit, à l'entrée de la ville, près de Saint-Jacques. Ne sachant que devenir, elle aperçut de la
lumière dans une maison, y frappa et demanda l'hospitalité.
On la reçut bien, et plus tard on la rendit à ses parents qui habitaient Nantes depuis un an
et l'avaient laissée à Clisson, chez sa grand’mère. Mais sa mère l'avait quittée jolie, et, la
retrouvant marquée de petite vérole, ne voulait plus la reconnaître. Il fallut que l'enfant
invoquât le nom de ses parents, de ses voisins et tous ses premiers souvenirs, pour se faire
admettre au foyer paternel. Elle y fut même longtemps sur le pied d'une étrangère, et sa
mère, conservant toujours quelque doute sur son identité; ne l'aima jamais comme
auparavant. L'on remarqua que ce fut son père qui le premier lui ouvrit les bras339.
Une autre fille de 15 ans plut à un soldat qui la garda pour en faire sa femme. Mais en
sortant de Clisson, arrivé à l'abreuvoir du Grenouillet, près du champ de foire, cet homme,
par un sentiment de brutale pitié, lui fendit la tête d'un coup de sabre et la jeta à l'eau, en
s'écriant "Tiens, pauvre fille ! Mieux vaut pour toi mourir ici ! Au temps où nous t sommes, la
mort est préférable à la vie, et tu pourrais finir plus misérablement !"
Une autre jeune femme340 fut aussi réclamée par un soldat. Elle était mariée, mais n'avait
pas d'enfants. Par un dévouement admirable, elle refusa la vie qui lui était offerte, en
334
Les Dlles Douillard.
Les notes de M. Perraud parlent du "souterrain Housset". Or l'escalier du moulin domine la cour
d'une maison qui, de nos jours appartint à M. Housset ; et le passage souterrain du bastion "x"
débouche dans cette cour marne. L'entrée de l'escalier du moulin, ouvrant dans le bâtiment "I",
près de la cour du château, se présentait la première à la D lle Douillard. Au contraire, pour gagner
l'entrée de l'escalier dérobé du bastion, il fallait faire un grand détour et traverser le donjon, ainsi
que la petite cour située derrière la barbacane. Il nous parait donc plus vraisemblable que la D lle
Douillard se soit échappée par l'escalier du moulin.
336
Notes de M. Perraud.
337
Mme Robert.
338
Tonton se dit familièrement, à la campagne, pour oncle.
339
Cette petite fille devint Mme Chesneau, vivant à Nantes en 1850.
340
Mme Dutemple, née Judex.
335
- 60 -
suppliant qu'a sa place, on voulût bien épargner sa sœur, mère de famille 341, prise avec elle.
"Je ne crains pas la mort, dit-elle ; mais sauvez ma sœur qui a des enfants, et que Dieu vous
récompense !" Aussitôt elle fut jetée vivante dans le puits. Son dernier vœu toutefois fut
exaucé. Surpris de cette action, les soldats firent grâce à sa sœur qui fut conduite presque
nue à la cure de la Trinité, où s'était transporté l'état-major de la colonne, et survécut à la
révolution.
Deux frères, jeunes gens de 15 à 16 ans, obtinrent aussi la vie, à condition d'être soldats.
Un autre enfant, plus jeune, se dit leur frère, et fut sauvé avec eux.
Voici, en témoignage de l'authenticité de ce récit, les noms des victimes du grand puits du
château, retrouvés par M. Perraud. Ce sont des noms du pays, mentionnés dans des
documents du XVIIIe siècle, et dont le souvenir n'était point perdu au commencement du
XIXe. Plusieurs sont encore portés aujourd'hui à Clisson.
De Saint-Jacques une femme Crabit342 et ses trois filles Perrine, Jeanne et A...343 ; une
femme Gaudin344 et ses trois filles : Françoise, Victoire et Marie ; le père Branger,
cordonnier, qui chauffa le four, avec sa femme, sa fille Jeanne et un enfant345.
De la Madeleine, une fille Judex346 ; sa sœur, Mme Dutemple347, qui se dévoua pour son
autre sœur, Mme Bazire ; une femme Robert348, dont la petite-fille, âgée de 5 ans, fut sauvée
et devint Mme Chesneau.
De Saint-Lumine un jeune homme, Jean Douillard, tisserand. Les deux jeunes filles qui
s'échappèrent, l'une par le souterrain, l'autre en se jetant d'une fenêtre, s'appelaient aussi
Douillard.
Le grand puits du château a été comblé, et son entrée murée, nous ne savons à quelle
époque. Les restes de ceux qui y furent jetés en février 1794, y reposent peut-être encore. Il
est regrettable qu'au lieu d'un grand sapin, on ne trouve pas aujourd'hui, à l'endroit où il
s'ouvrait, une inscription commémorative ou au moins une croix. Nous exprimons le même
regret, à propos de l'esplanade où tant de pauvres paysans ont été fusillés.
L'on peut supposer que les os de toutes ces victimes, tant du puits que de l'esplanade, en
ont été retirés secrètement, à une époque où le culte n'était pas encore rétabli, et déposés
en un lieu aujourd'hui inconnu. Si l'exhumation avait été faite sous l'Empire ou la
Restauration, il en resterait quelque trace ou quelque souvenir.
Cordelier fut battu à Legé, le 23 février 1794, par les royalistes, et se retira sur Nantes349.
Le 11 mars, il reprenait Cholet et faisait massacrer le peu d'habitants rentrés dans cette
ville350. Dans le même mois, il repoussa Stofflet, à Beaupreau351. Au mois de mai, son chef
Turreau l'entraîna dans sa disgrâce, et tous deux furent rappelés à Paris, pour y rendre
compte de leurs actes ; mais ils n'y reçurent pas le châtiment de leurs forfaits 352.
Cordelier ne fut qu'un subalterne. Le véritable organisateur de toutes ces monstruosités,
le directeur de cette guerre d'extermination qui dépeupla le Bocage, fut le général Turreau.
341
Mme Bazire.
Ce nom est encore porté à Saint-Jacques de Clisson. Les deux frères, emmenés pour être soldats,
s'appelaient aussi Crabit.
343
Nom laissé en blanc sur les notes de M. Perraud.
344
Egorgée et jetée morte dans le puits.
345
Son autre fils échappa à la mort, en se disant frère des deux jeunes Crabit.
346
Ce nom se trouve sur la pétition des inondés de la Trinité, de 1771.
347
Ce nom est encore porté Clisson. Il se trouve sur la pétition de 1771.
348
Elle était grand'mère d'une famille Marteau, vivant au XIXe siècle. Elle fut égorgée et jetée morte
dans le puits.
349
Crétineau-Joly, II, p. 192.
350
Ibid., p. 174.
351
Ibid., pp. 178, 179.
352
Crétineau-Joly, II, p. 250.
342
- 61 -
Turreau, qui écrivait le 9 mars 1794353 : "J'ai ordonné à Cordelier de faire déterrer La
Rochejaquelein354", devenu baron en 1804, était, en 1813, après une carrière militaire agitée
et assez heureuse, commandant du grand-duché de Wurtemberg. En mai 1814, il n'eut pas
honte de célébrer par un festin, avec des officiers Bavarois, le retour de Louis XVIII à Paris.
On croit rêver, en lisant que cet homme abominable fut nommé par le roi chevalier de SaintLouis, et qu'on le vit figurer dans l'état-major du duc d'Angoulême ! C'est ainsi que l'on
récompensait la fidélité héroïque des pays ravagés ! Turreau s'empressa de trahir les
Bourbons en 1815 — et c'était justice, — puis mourut tranquillement dans sa terre de
Conches, en Normandie, l'année suivante355.
Après le passage des colonnes infernales, le silence de la mort plana sur les ruines de
Clisson, devenues, par les atrocités qui y avaient été commises, un objet d'horreur et d'effroi,
pour les rares paysans vivant encore dans les campagnes voisines. Ce silence était parfois
troublé par les hideuses batailles que des bandes de chiens errants et de loups, sortis des
forêts environnantes où ils abondaient alors, venaient s'y livrer, en se disputant des cadavres
mal enterrés, parmi les maisons croulantes. De temps en temps, quelques paysans
parcouraient à la hâte les rues désertes de la ville dévastée, comme pour y chercher les
débris de ce qu'ils y avaient vu jadis.
De ce nombre fut une pauvre femme, nommée Marie Bouet, qui s'était enfuie devant les
Bleus, d'abord à Vallet, puis au Loroux. A Vallet, elle avait été recueillie, avec beaucoup
d'autres malheureux, par M. Guérin, ancien vicaire de M. du Ronceray, recteur de SaintHilaire-du-Bois. Les fugitifs louèrent dans un pressoir, où le charitable prêtre leur porta un
chaudron de lait.
Un jour donc, Marie Bouet voulut constater par elle-même ce qu'était devenu Clisson,
dont on racontait tant de choses étranges, et eut le courage d'y retourner et de le traverser
en plusieurs sens. Dans ce lieu maudit il n'y avait plus une âme ; toutes les maisons étaient
brûlées, toutes les portes étaient ouvertes. Beaucoup de cadavres à demi dévorés, à peine
enfouis sous des décombres, se voyaient çà et là. Dans la maison qu'habita depuis M.
Perraud , près de la halle, un nègre avait été mal enseveli, au fond d'une allée, en face de la
porte d'un jardin donnant sur les douves de l'enceinte urbaine sa tête et ses bras sortaient de
terre356.
Bien d'autres villes de la contrée étaient dans le même état, ruinées et désertes : les
loups et des chiens devenus sauvages y erraient seuls en liberté. Dans "l'Histoire de la
Vendée militaire", par Crétineau-Joly357, l'on trouvera la reproduction d'un dessin de M.
Cesbron-Lavaux, représentant Cholet en 1794 au milieu des rues incendiées, on y voit une
troupe de loups s'arrachant des cadavres.
Le fragile traité de la Jaunaye fut signé le 18 février 1795, et Charrette fut reçu en
triomphe à Nantes, le 26 du même mois ; mais la paix n'était pas durable et les conditions
n'en pouvaient être tenues. Aussi la guerre recommença bientôt. Resté presque seul de son
armée, et fait prisonnier après des prodiges de valeur, l'illustre général tomba sous les halles
du peloton d'exécution, dans un angle de la place Viarmes, à Nantes, le 29 mars 1796.
Clisson resta désert pendant environ deux ans. Lors même que l'anéantissement complet
des armées royales en Poitou et en Anjou, eut mis fin à la guerre, les Clissonnais qui avaient
trouvé un refuge à Nantes, ne se pressèrent pas d'aller revoir les tristes restes de leurs
maisons.
Le 5 mars 1796, la municipalité de Clisson était toujours à Nantes, continuant à se réunir
rue de la Casserie. Le maire, M. Robert, retourna cependant à Clisson avant le 4 mai ; car il
353
Ibid., p. 168.
Tué le 4 mars 1794, à l’âge de 22 ans.
355
Turreau a laissé des "Mémoires".
356
Notes de M. Perraud.
357
Edition illustrée, 1895, in-8°, tome II, page 382.
354
- 62 -
y présida, ce jour-là, à des élections municipales. Les nouveaux administrateurs furent
installés le 15 août358.
Le 31 mars 1796, M. Constantin, commissaire du département, était lui aussi revenu à
son poste, à Clisson, et désormais ses lettres au département vont nous renseigner sur ce
qui s'est passé dans cette ville, jusqu'à la fin de 1799. Il se plaignait, en mars, des prêtres
réfractaires qui étaient dans le pays ; mais proposait d'user plutôt de persuasion que de
rigueur, pour ramener les populations au gouvernement, dans un pays à peine tranquillisé 359.
Les 21 avril, 3, 6 et 15 mai, il signale la dilapidation des bois dans toute la région, et
surtout dans la Garenne de Clisson. Tous les habitants en coupaient à l'envi, pour se faire
des baraques, à la place de leurs maisons incendiées. Il dénonce 10 des principaux voleurs
de bois, et se plaint des mendiants qui affluent. Il réclame l'ancien presbytère de NotreDame, ayant servi précédemment d'hôpital militaire, pour y installer les autorités. C'était le
seul local de la ville, en état de servir. L'on avait enlevé les meubles de la Barillère en
Mouzillon, à M. de Bruc, émigré360.
Les 15 et 17 mai 1796, Constantin dénonce des royalistes qui s'assemblaient en comité, à
la Gohardière en Gorges, chez M. de la Tribouille : MM. Douillard, Clisson, notaire, Massicot
de La Bérengerie, Bureau-Robinière, Boutiller de La Porte, Cornu. Ces royalistes, à l'en
croire, attendaient les Anglais et les Autrichiens M. De Vieux, émigré rentré, était l'âme de
ces réunions, et se déguisait en meunier, pour échapper aux recherches361.
Plusieurs des inculpés s'étant rendus d'eux-mêmes à Nantes, pour se défendre, le
commissaire du département réclama leur emprisonnement, le 22 mai362.
Le 19 août suivant, Constantin félicite l'administration centrale de l'arrestation des frères
Jean-Baptiste et François Gogué, chefs royalistes qui avaient fait leur soumission, mais qui
allaient être relégués à Saumur, comme suspects. Il y avait alors des mouvements royalistes
à Maisdon et à Château-Thébaud363.
Le 5 septembre 1796, il se plaint du bataillon cantonné à Clisson. Ces soldats
commettaient des brutalités ; leur commandant leur donnait raison, injuriait les
administrateurs, et excédait les paysans par des réquisitions arbitraires, pour des charrois364.
Le 21 avril 1797, les méfaits d'une bande de chauffeurs de pieds terrorisaient les environs
de Clisson, troublés par des alarmes continuelles 365.
Le 17 octobre suivant, Constantin envoie au département le résultat des élections des
administrateurs communaux de son canton. Celles du mois de mars précédent avaient été
annulées par une loi du 5 septembre ; mais les anciens administrateurs venaient d'être
presque tous réélus, faute d'autres.
A Clisson, le président (ou maire) était M. Méchinaud366, "homme honnête, mais
royaliste" ; son agent, chargé de l'état-civil, était "républicain, mais âpre au gain, incapable et
nul" ; son adjoint, Fonteneau, "savait à peine écrire". Les agents municipaux des paroisses
voisines, étaient tous "royalistes ou incapables". A Boussay, Corbet et son adjoint - Guibert
étaient "des chouans". A Gétigné, Plessis, d'ailleurs "moral", était "nul, illettré et royaliste" ;
358
Archives de Nantes, L 209.
Ibid., L 299.
360
Archives de Nantes, L 299.
361
Ibid., L 299.
362
Ibid., L 299.
363
Ibid., L 299.
364
Ibid., L 299.
365
Ibid., L 299.
366
M. Méchinaud, chirurgien des environs de Clisson, n'avait pas suivi les habitants, dans leur exode
du 15 mars 1793, et s'était joint aux royalistes. II avait servi dans l'armée royale, tant comme
chirurgien que comme commandant de cavalerie, et avait été blessé à l'attaque de Nantes, du 29
juin 1791. Depuis il avait fait sa soumission (Archives de Nantes, L 209).
359
- 63 -
son adjoint Coupris était "attaché aux prêtres". A Gorges, Le Simple était "lettré, intelligent,
le seul du canton capable de tenir un registre", mais "ancien capitaine royaliste et partisan
des prêtres et des nobles" ; son adjoint Retaillon "regrettait la Messe !" A Saint-Hilaire,
Poirier, "fanatique, était mené par un beau-frère de l'ex-curé Du Ronceray" ; son adjoint
Poiron était "mené par le domestique de Du Ronceray". "Hors de Clisson, ajoute Constantin,
vous chercheriez en vain un seul ami du gouvernement367".
Les notaires du canton, au 1er novembre 1797, étaient MM. Boyer, ancien greffier de la
police correctionnelle ; Savariau jeune, ancien notaire ; Clisson, ancien notaire, ancien
inspecteur des armées royalistes ; Dugast, à Saint-Hilaire, ancien membre de l'année
royaliste ; Jean-Baptiste Bureau, à Mouzillon, ancien notaire368.
Le 1er décembre de la même année, Constantin dénonce plusieurs royalistes, entre autres
François Gogué, chirurgien à Boussay, ancien sous-divisionnaire royaliste (dont nous avons
déjà parlé), "tocsin ambulant", et son frère, Jean-Baptiste Gogué, "ex-Bénédictin, retiré à la
Bruffière, aussi très dangereux" ; Alphonse, officier de santé, Boutiller de La Porte, Du
Landais (en Gorges), "fier, insolent, chef marquant du comité" ; Cornu fils, de la Proutière
(en Gorges) ; Paquereau, dit de la Botte-Fleurie, "tigre altéré de sang" ; Douillard, de la Brie
(en Gorges), "ex-divisionnaire royaliste, beau-frère de De Vieux, émigré" ; Renaudin, près
Saint-Hilaire ; Clisson, notaire à la Goguerie (en Gétigné) ; Paviot aîné, notaire à la Robinière
en Gétigné, etc. Le commandant des troupes cantonnées alors à Clisson, s'appelait
Belorde369.
En février 1798, des chauffeurs de pieds sont encore signalés en Mouzillon 370.
Le 12 mars de cette année, M. Méchinaud était toujours président de l'administration
municipale (maire) de Clisson371 ; et en avril suivant, presque tous les administrateurs
nouvellement élus avaient figuré dans les armées royalistes l'on ne pouvait en trouver
d'autres. M. Méchinaud avait été réélu à Clisson. Plusieurs paroisses du canton, comme
Gétigné, Saint-Hilaire et Gorges, n'avaient pas voulu nommer d'administrateurs. Les agents
que l'on y avait nommés d'office, avaient refusé d'accepter ce poste. L'unique administrateur
républicain du canton, avait été élu par Boussay372.
Le 6 avril 1798, M. Méchinaud fut révoqué, il est vrai ; mais fut bientôt aprés réélu 373. A
cette date, on poursuivait M. Charles De Vieux : le bruit de sa mort avait couru ; mais on n'en
était pas assuré374.
Le 12 septembre 1798, Constantin donne des détails sur les fêtes qu'il a organisées à
Clisson. Il y en avait eu une le 5 août ; puis le 11 août, une course à pied, avec des prix
distribués par un jury. L'administration municipale avait protesté contre ces prix, bien qu'ils
eussent été le produit d'une collecte. Il devait y en avoir encore une, le 22 septembre 375.
C'est à cette époque qu'il faut placer des fêtes renouvelées du paganisme, mentionnées
dans les notes de M. Perraud. Il y eut une fête de l'Agriculture, pendant laquelle on "laboura
les rues" de Clisson, ce qui ne dut pas y faciliter la circulation. Peut-être fit-on seulement
semblant de les labourer. Saint-Jacques était le temple décadaire, où se faisaient les
mariages, chaque jour de décade.
367
Archives de Nantes, L 209.
Ibid., L 209.
369
Ibid., L 299.
370
Ibid., L 299.
371
Ibid., L 209.
372
Archives de Nantes, L 209.
373
On le retrouve président, en 1799 (Ibid., L 209).
374
Ibid., L 209.
375
Ibid., L 209.
368
- 64 -
Le 19 décembre 1798, le commissaire du département exprime ses regrets d'avoir
"manqué une rafle de prêtres, assemblés en vue des fêtes du ci-devant Noël"376.
Par sa lettre du 22 mars 1799, il prévient le département qu'aux assemblées primaires,
réunies le 21 pour nommer des électeurs et des juges de paix, aucun habitant des
campagnes ne s'est présenté pour voter. Corbet, agent municipal de Boussay, est un
chouan, sachant "juste signer"377.
En juin et juillet 1799, une levée royaliste se préparait dans le pays de Clisson. Le
mouvement était surtout manifeste à Gétigné et à Montfaucon. M. de la Tribouille,
propriétaire de la Cohardière en Gorges, favorisait cette prise d'armes. A Clisson, on se
préparait à la défense. M. Méchinaud était président du conseil d'administration (ou maire),
avec MM. Guérin 378 et J. Gautret comme adjoints. A cette époque, on vit des bandes de
chouans dans les paroisses de Gétigné et de la Bruffière379. En septembre suivant, des
chouans, dont plusieurs venus d'outre-Loire, couraient le pays et arrêtaient les diligences380.
Mais Constantin n'avait pas seulement à combattre les royalistes. Il n'avait point su
gagner les cœurs des Clissonnais, et la petite ville où il représentait le département, s'était
soulevée contre lui. On lui reprochait des excès de pouvoir, des violences ; la municipalité et
la garde nationale le détestaient, et faisaient tous leurs efforts pour obtenir son rappel.
Le 1er juillet 1799, le capitaine de la garde nationale se plaignit de lui au département381.
Le 11 août, autre plainte, émanant du président de l'administration municipale, M.
Méchinaud. Celui-ci déclare que le représentant du département "a voué une haine éternelle
à la municipalité" qui a refusé d'accepter ses deux fils pour secrétaires, comme n'ayant pas
l'âge requis382.
Le 25 août, une pétition, signée de nombreux habitants et réclamant le rappel de
Constantin, fut envoyée à Nantes383. Le lendemain, M. Méchinaud et ses adjoints, MM.
Guérin et Nicolleau, ainsi que M. J. Gautret, son secrétaire, appuyèrent cette pétition, par
une lettre dans laquelle ils signalaient des scènes scandaleuses, produites par la violence du
commissaire384.
Le 5 septembre 1799, Constantin se disculpait comme il pouvait, mais d'une manière très
vague, auprès du pouvoir central qui ne paraît pas s'être beaucoup soucié de le défendre 385.
Le 10 octobre, la municipalité demandait encore son rappel, avec de pressantes
instances386.
Les évènements vinrent trancher le différend.
Les chouans, nous l'avons dit, étaient alors fort remuants dans la contrée : ils avaient
repris les armes, cette année, dans toute la Bretagne ; et, sur ces entrefaites, la petite
garnison, cantonnée à Clisson depuis plusieurs années387, reçut l'ordre de retourner à.
Nantes. Clisson, entouré d'ennemis déterminés, restait donc livré à ses seules ressources.
Nantes n'en fut pas moins pris par les chouans des généraux Châtillon et d'Andigné, le 20
octobre 1799, et resta plusieurs heures au pouvoir des royalistes. Ses autorités civiles et
376
Ibid., L 299.
Ibid., L 209.
378
M. Guérin était un des Clissonnais sortis de Nantes, avant la fin de juin 1793, pour se joindre à
l'armée royale. Il était reste lié avec tous les anciens chefs royalistes. (Ibid.,L 209).
379
Ibid., L 299.
380
Archives de Nantes, L 299.
381
Ibid., L 209.
382
Ibid., L 209.
383
Ibid., L 209.
384
Ibid., L 209.
385
Ibid., L 209.
386
Ibid., L 209.
387
Elle y était depuis le printemps de 1796.
377
- 65 -
militaires qui avaient fait preuve, en la circonstance, d'une grande incapacité, étaient hors
d'état de porter secours à leurs voisins.
Le 21 octobre 1799, la municipalité de Clisson, par l'organe de Méchinaud, son président,
protestait contre l'abandon de la ville "que l'on aurait pu défendre, en y maintenant des
troupes". Elle demandait un nouveau détachement ; mais, en attendant, ne pouvant
repousser les chouans du pays, décidait de faire encore une fois retraite sur Nantes388.
Constantin l'y suivit.
Le 3 novembre 1799, une bande de chouans, commandée par François Gogué389, entra
sans résistance dans la ville, renversa les barrières, coupa l'arbre de la liberté, et pilla les
meubles de Constantin et de Belorde, commandant de la force armée qui jusque là avait
résidé à Clisson390. Les Chouans en voulaient tout particulièrement à ces deux personnages.
Ils ne paraissent pas avoir fait d'autre mal aux habitants, ni occupé longtemps la ville. Cet
épisode de la levée royaliste de 1799, fut une conséquence de la prise de Nantes, du 20
octobre.
Le 2 décembre 1799, la municipalité était de retour à Clisson, depuis quelque temps
déjà ; et Constantin, encore à Nantes, accusait son ennemi Méchinaud de connivence avec
les chouans, "puisqu'il vivait sans crainte au milieu d'eux391". Constantin était toujours à
Nantes, le 16 décembre 1799392.
En 1798, Pierre Cacault, étant venu s'établir à Clisson, rencontra de grandes difficultés
pour s'y rendre et pour y vivre393. Les routes et les chemins étaient coupés par des fossés et
des palissades, obstacles opposés par les paysans à la marche des colonnes ennemies ; les
excursions dans la campagne étaient fort dangereuses ; le pays était presque désert, et
dans la ville, toujours en ruine, bien peu de familles étaient revenues, la plupart habitant de
misérables cabanes.
Pierre Cacault acheta les ruines du presbytère de la Madeleine et commença, dès 1798,
ses travaux d'installation. Son frère François résolut alors de venir le rejoindre à Clisson ; et
d'y finir ses jours, auprès de la belle collection de tableaux, statues et gravures, qu'il avait
formée en Italie. Le Musée, destiné à recevoir cette collection, commencé près du
presbytère de la Madeleine, en 1799, ne fut achevé qu'en 1804. D'ailleurs, en mars 1801,
François Cacault fut rappelé à Rome par la négociation du concordat, et y resta, comme
ambassadeur, jusqu'en 1803. En 1804, il put enfin habiter Clisson, et obtint la construction
du pont de la Saint-Guaise, au dessous du Pallet, très utile pour permettre aux Clissonnais
de communiquer avec Nantes, et que l'on appelle le pont Cacault.
Lemot vint à Clisson en 1805, sur la description enthousiaste que lui fit le sénateur
Cacault des beautés du lieu. Il en fut si fortement impressionné, qu'il voulut s'y fixer près de
388
Archives de Nantes, L 299.
L'on trouve aux Archives de Nantes, liasse L 299, un curieux dossier concernant Jean-Baptiste
Gogué, ex-Bénédictin, et son frère François Gogué, chirurgien Boussay, ancien sousdivisionnaire de Charette, tous deux chefs royalistes et dont nous avons parlé déjà. Ils avaient fait
leur soumission ; mais avaient été arrêtés et relégués à Saumur, en 1796. Emprisonnés au
Bouflay, en août 1798, ils avaient été remis en liberté, le 6 novembre de la même année. II
existe, dans la série moderne des Archives de Nantes, un autre dossier sur François Gogué,
encore chef de chouans en 1804, puis toujours suspect et surveillé par la police, jusqu'en 1814.
390
Archives de Nantes, L 209.
391
Ibid., L 209.
392
Ibid., L 299.
393
"Notice sur Clisson", par Lemot, édit. 1812, pages 88-90. Lorsque, un peu auparavant "Pierre
Cacault s'était hasardé seul à faire un voyage à Clisson, pour en dessiner les sites, il n'y avait
trouvé qu'un amas de décombres, au milieu d'un désert et n'avait pas rencontré un seul habitant
pour le guider, pas un toit pour lui servir d'asile : le silence des tombeaux régnait partout, et il
avait parcouru avec effroi cette ville abandonnée et ce vaste château, dont les oiseaux de proie
se disputaient seuls la jouissance" (Ibid., p. 88). Cette description lugubre ne convient qu'aux
années 1794 et 1795. A partir du printemps de 1796, Clisson commença se repeupler.
389
- 66 -
ses amis. Il acquit d'abord le bois de la Garenne, et à l'entrée de cette magnifique propriété,
sur la route de Torfou, fit bâtir les logements de style italien qu'on y voit encore et qui
devinrent sa résidence ; puis, à la fin de 1806, il acheta l'église incendiée de Saint-Gilles et
ses dépendances, avec tout le coteau faisant face à la Garenne. Les ruines du château
appartenaient alors à l'Etat, et Pierre Cacault, héritier de son frère (décédé le 10 octobre
1805), demandait qu'elles fussent annexées au Musée qu'il voulait donner à la Ville de
Nantes, à condition qu'on le laissât à Clisson.
L'on a vu que ce Musée, acheté en 1810 par la Ville de Nantes, y fut transporté en
1812394. Enfin, Lemot put acheter le château, le 17 octobre 1807, et plus tard la RocheSebien et l'église si intéressante de la Madeleine395.
Nous nous sommes déjà étendu en plusieurs endroits sur l'influence des frères Cacault et
de Lemot dans la reconstruction et le repeuplement de la ville de Clisson. Pierre Cacault
écrivait en 1806 "Nous avons voulu rappeler à Clisson ce qui reste de ses anciens habitants,
et même de nouvelles familles, puisque une guerre cruelle et désastreuse a détruit
entièrement cette ville". Dans une autre lettre de la même année, il parlait de Lemot, "attiré
par nous à Clisson", disait-il, et "déjà propriétaire de la Garenne"396.
Le relèvement de Clisson ne s'opéra pas vite. Cependant peu à peu les deux rives de la
Sèvre, au pied et en face du château, se couvrirent de jolies maisons d'un goût italien fort
agréable.
Napoléon 1er ne traversa point la ville, au cours de son voyage de Bayonne à Nantes, en
juillet et août 1808. Il arriva à Nantes par la route de la Rochelle, en passant par Montaigu,
Remouillé et Aigrefeuille 397. En parcourant le Poitou il avait été frappé par la vue des traces,
encore fraîches, de la guerre horrible qui avait dévasté cette contrée, et prit, aussitôt après,
diverses mesures, pour favoriser la reconstruction des habitations incendiées. C'est en
exécution de ses ordres que fut dressé, le 7 juillet 1812, par le maire Bourneuil, un curieux
Etat des maisons détruites à Clisson pendant la guerre, destiné à désigner les bénéficiaires
d'une prime à la reconstruction, accordée par l'Empereur, et qui nous a été conservé 398.
Cette liste des principales maisons ruinées (car certainement beaucoup d'autres, de moindre
prix, n'y sont pas mentionnées) donne le nom des propriétaires, la valeur des maisons
incendiées, le nombre et la valeur des maisons rebâties, l'année de l'incendie et celle de la
reconstruction. Sur les 366 maisons énumérées, toutes présumées incendiées en 1794, une
394
Pierre Cacault décéda à Clisson, le 29 janvier 1820. En 1812, Lemot destinait à ses restes et à
ceux de son frère François, le tombeau de style grec qu'il projetait dès lors de faire bâtir par
Mathurin Crucy, sur l'emplacement de l'église Saint Gilles, et qui devint son propre tombeau. Sur
le séjour et les travaux des frères Cacault à Clisson, sur le sort de leur Musée et sur le pont du
Pallet, voir la "Notice sur Clisson", (1812) par Lemot, pages 86-100. Sur le Musée, voir "Archives
curieuses", de Verger, Il, colonnes 376-377.
395
"Souvenirs du statuaire Lemot et de Clisson", par Ch. Marionneau (Société Archéologique de
Nantes, Bulletin de 1896).
396
"Souvenirs du statuaire Lemot et de Clisson",, par M. Ch. Marionneau.
397
"Passage à Nantes de S. M. l'Empereur Napoléon 1 er, 9-11 août 1808", par J.-C. Renoul ; Nantes,
Mellinet. 1859.
398
Archives de Nantes, série R : affaires militaires modernes ; primes à la reconstruction. D'après les
évaluations de ce document, parmi les principaux immeubles incendiés à Clisson, nous citerons :
l'église paroissiale (60 000 F), l'hôpital Saint-Antoine (10 000 F), les maisons de Mme veuve de
Surgère (2 maisons : 3 000 et 5 000 F), et de MM. Michel Du Boueix (10 000 F), Louis Minguet (2
maisons : 20 000 et 5 000 F), Gui-Michel Douillard (4 maisons 12 000, 12 000, 4 000, 2 000 F),
François Gogué (8 0130 F), Gabriel Clisson (12 000 F), Bureau-Robinière (10 000 F). JeanBaptiste Bureau (6 000 F), Bureau, notaire (6 000 F), Valentin, de Paris (40 000 F), Marson (15
000 F), Pépin-Poultriere (7 000 F), Honoré Peltier (18 000 F), Jean Lambourg (13 000 F), Béliard
et Bätard (35 000 F), de la Tribouille (8 000 F), Pierre-Louis Dabin (6 000 F). Antoine Fougnot (7
200 F), de Bourneuil (2 maisons) 6 000 et 1 200 F). Pierre Méchinaud (4 000 F). MassicotBérengerie (4 000 F). Sur les 366 maisons énumérées, 92 environ, outre celles que nous venons
de mentionner, atteignaient et dépassaient la valeur de 2 000 F.
- 67 -
avait été rebâtie dès 1794, une autre en 1795, 8 en 1796, 29 en 1797, 17 en 1798, 13 en
1799 ; et 140 étaient encore en ruine. On avait relevé les autres, de 1800 à 1812.
M. Lemot, dans sa "Notice", nous dit aussi qu'en 1812, "plus de la moitié de la ville était
rebâtie".
Les événements des Cent-Jours produisirent un trouble profond dans toute la région
clissonnaise : beaucoup de royalistes y prirent les armes, comme aux beaux jours de la
grande guerre. Les généraux Travot et Lamarque furent chargés de les combattre.
Le 21 juin 1815 (3 jours après la bataille de Waterloo), le général Lamarque s'étant dirigé
sur Roche-Servière, à quelques lieues de Clisson, fut attaqué par les corps des généraux
royalistes Suzannet et Saint-Hubert qui commandaient pour le roi, dans le Bocage, et que
vint soutenir le corps du général D'Autichamp.
Dans ce combat qui fut acharné, le Comte de Suzannet trouva une mort glorieuse, et les
paysans de Maisdon, conduits par M. de l'Aubépin, se distinguèrent. Les royalistes tenaient
bon dans le bourg de Roche-Servière, lorsque Lamarque, passant la Boulogne, put les
tourner et les forcer à la retraite 399. C'est la bataille la plus sérieuse qui ait été livrée dans les
environs de Nantes, en 1815.
Clisson était complètement restauré et rajeuni, et comptait un bon nombre d'habitants,
quand la duchesse de Berry y passa, en 1828400.
Cette princesse, au cours de son voyage dans l'Ouest, arriva de Torfou à Clisson, le 6
juillet 1828, à 2 heures après midi, et y trouva une réception magnifique. Une troupe de vieux
soldats Vendéens, débris des grandes guerres, conduits par leur général, M. Douillard,
l'attendait près de Toutes-Joies. Madame commença par aller voir les pauvres malades de
l'hôpital, puis entra dans la Garenne où une fête champêtre avait été préparée. Des couples
de bergers et de bergères, habillés de vert et de blanc, vinrent la saluer et lui servirent
d'escorte, dans les allées de ce beau parc. Madame fit alors une petite promenade en
bateau sur la Sèvre, et visita le château. Un portier, en costume du moyen-âge, lui présenta,
sur un plat d'argent, les clefs de la forteresse ; dans la cour, décorée de guirlandes et d'une
profusion de banderoles variées, des personnages, habillés à l'ancienne mode, formaient
des groupes pittoresques : on y remarquait un Olivier de Clisson, sa grande épée à la main.
La princesse parcourut toutes les ruines, donna un souvenir ému aux victimes du grand
puits, et de là se rendit chez M. et Mme Du Boueix401, à la maison Peloutier, où une superbe
collation l'attendait. Elle n'accepta que quelques fruits, et se montra vivement frappée de la
beauté des rives de la Sèvre, en cet endroit. Enfin, après avoir gracieusement témoigné sa
reconnaissance aux Clissonnais, et les laissant ravis du charme de sa personne, elle monta
en voiture le soir même, pour gagner Beaupreau.
Clisson s'était distingué parmi les villes qui eurent la joie de recevoir Madame : nulle part
fête plus galante ni mieux réussie ne fut offerte à la princesse, pendant sa triomphale
pérégrination de 1828402.
399
"Histoire de la Vendée militaire", 1895, IV, pp. 35I-354.
Le 19 septembre 1923, la duchesse d'Angoulême, se rendant à Nantes et à Auray, pour poser la
première pierre du monument élevé à la mémoire des victimes de Quiberon, ne passa point par
Clisson. Elle venait de Bordeaux, el suivit la route de la Rochelle, entrant à Nantes par le PontRousseau, après avoir traversé Remouillé. Aigrefeuille et les Sorinières.
401
Probablement le fils de M. Michel Du Boueix, maire de Clisson en 1791, sa femme parait avoir été
une demoiselle Peloutier.
402
L'on en peut lire tous les détails dans la "Relation du voyage de S. A. R. Madame, duchesse de
Berry, dans la Touraine, l'Anjou, la Bretagne, la Vendée et le Midi de la France, en 1828", par le
te
V Walsh Paris, Hivert, 1829; pp. 279-299 (Supplément aux "Lettres Vendéennes", du même
auteur). La duchesse de Berry séjourna à Nantes du 22 au 30 juin 1828, et y posa la première
pierre de l'écluse de l'Erdre. Le pont de l'Ecluse fut appelé de son nom : pont Madame.
400
- 68 -
Cependant les mauvais jours n'étaient pas éloignés, et la révolution de 1830 vint bientôt
prouver, une fois de plus, l'instabilité des sentiments populaires et la vanité de promesses
politiques.
En 1832, confiante dans les serments de fidélité que partout, dans le Midi et dans l'Ouest,
l'armée, les autorités et les populations lui avaient prodigués, quatre ans auparavant, au
milieu d'un enthousiasme indescriptible, la duchesse de Berry se décida à venir elle-même
les leur rappeler.
Le 28 avril, elle débarquait près de Marseille. Cette ville n'ayant pas répondu à son
attente, la vaillante princesse partit pour les provinces de l'Ouest, son dernier espoir. Le 17
mai, elle arrivait au château de la Preuille, près de Montaigu, qui appartenait au Cte de
Nacquard. Elle en partit le lendemain, pour se rendre au château de Bellecour, en Montbert,
où elle resta cachée jusqu'au 21 mai; puis gagna la paroisse de Saint-Etienne de Corcoué,
et, devenue l'objet de poursuites toujours plus actives, se retira à la ferme du Meslier, dans
un bois près de Roche-Servière.
Bientôt cette retraite devint dangereuse, et, le 3 juin, après de longues et pénibles
courses, la duchesse trouva un refuge dans la paroisse de Saint-Colombin. Pendant ce
voyage du Meslier à Saint-Colombin, elle fit beaucoup de détours, pour échapper aux
troupes qui sillonnaient le pays. C'est alors qu'elle se serait approchée de la rive gauche de
la Sèvre, près de Monnières, si l'on ajoute foi â ce que racontaient, il y a quelques années,
plusieurs vieillards de cette paroisse, tous décédés aujourd'hui. Elle allait de ferme en ferme
et de château en château, par les chemins les plus impraticables, déguisée en jeune paysan,
tantôt à pied, tantôt à cheval, sous la conduite d'hommes fidèles.
En juin 1832, les environs du Loroux, de Vallet, de Clisson et de Vieillevigne étaient en
armes. Le général Dermoncourt s'y rendit d'Aigrefeuille, en toute hâte, pour contenir la
région. Alors se livrèrent les combats de Montbert, de la lande de Maisdon et de la Caraterie.
Un engagement plus important eut lieu au Chesne, près de Vieillevigne, le 6 juin ; il fut
meurtrier, mais indécis.
Le Baron Athanase de Charette, l'un des principaux chefs carlistes (comme on disait en
se temps), voyant ses troupes hors d'état de faire tête aux ennemis, se décida à les licencier,
après ce dernier combat.
Madame était toujours dans une ferme de la paroisse de Saint-Colombin.
Clisson était occupé par le commandant George, du 29e régiment d'infanterie, à la tête de
troupes assez nombreuses. Le 5 juin, cet officier apprit que quarante-deux royalistes du
corps de La Rochejaquelein, se dirigeant sur Cugand, étaient au manoir de la Pénissière, en
cette paroisse et à peu de distance de Clisson. Il courut les y surprendre, avec toutes les
forces dont il disposait, à savoir un bataillon du 29e, quatre autres compagnies d'infanterie et
une compagnie de gendarmerie mobile.
Retranchés dans le petit manoir et armés d'espingoles évasées, les royalistes
repoussèrent, pendant toute la journée du 6 juin, les attaques fürieuses et réitérées de ces
troupes. Vers le soir, l'édifice étant en flammes, ils firent une sortie désespérée, au nombre
de trente-quatre, dont étaient les quatre frères de Girardin ; et, en perdant cinq des leurs,
purent s'échapper dans la campagne. Huit hommes n'avaient pas entendu l'ordre de départ ;
ils continuèrent la défense, au milieu des ruines et jusqu'à l'écroulement du manoir.
Enfin, croyant qu'il ne restait plus personne en vie à la Pénissière, les ennemis se
retirèrent, laissant 250 morts et emportant un plus grand nombre de blessés. Alors les huit
qui avaient été préservés de la mort par l'encoignure de deux murs épais, en sortirent
librement. Ce beau fait d'armes, qui fit briller d'un vif éclat la valeur des derniers champions
de la légitimité, est une fin glorieuse pour les annales de la Vendée militaire 403.
403
L’on trouvera dans Crétineau-Joly, édit. 1899, IV, pp. 580-581, les noms des 42 braves de la
Pénissière. Nous pensons avoir connu le dernier survivant d'entre eux. II s'appelait François
Viaud et vivait fort pauvre au hameau de la Rochelle, sur le bord de la Sèvre, en la paroisse du
Pallet : il y est décédé vers 1888.
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Madame comprit qu'il lui serait bien difficile de se dissimuler plus longtemps à la
campagne : le 9 juin, elle quitta la paroisse du Pont-Saint-Martin où elle se tenait cachée
depuis quelques jours, et entra à Nantes, déguisée en paysanne. Reçue d'abord dans une
maison qui ne parut pas assez sûre, elle se réfugia bientôt à l'hôtel Du Guiny, rue Haute-duChâteau, n° 3, où la cachette dans laquelle cette princesse passa plus tard, de si cruelles
heures, pendant la nuit du 6 au 7 novembre 1830, est toujours l'objet de respectueuses
visites.
Ici se termine l'histoire de Clisson. Désormais cette ville n'est plus connue que par les
témoignages de l'admiration des artistes et des voyageurs.
L'on conserve comme un précieux souvenir, dans une famille Nantaise, le clairon dont les sons
ne cessèrent d'animer au combat les vaillants assiégés de la Pénissière, pendant toute la journée
du 6 juin 1832, en répondant aux clairons et aux cris de leurs ennemis.
Les blessés du commandant George furent transportés à l'hôpital de Clisson, où beaucoup
décédèrent et furent inhumés dans le cimetière de la Trinité, comme l’indique l'inscription d'une
pierre tombale que l'on remarque dans ce cimetière. Quant aux cadavres des morts, il est
possible qu'on les ait portés d'abord au cimetière de Cugand, puis à celui de la Trinité.
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