L`ethnogenèse des Azéris-Turcs dans l

Transcription

L`ethnogenèse des Azéris-Turcs dans l
Emile et Emin Karimov, Doctorants à l’Université de Paris IV(Sorbonne)
L’ethnogenèse des Azéris-Turcs dans l’historiographie nationale
(Au sujet d’une hypothèse)1
« La région sud-est du Caucase, ou Transcaucasie proprement dite, est depuis des temps
immémoriaux, peuplée, jusqu’aux bords de la mer Caspienne, de tribus en partie turques, en
partie tartares qui, ainsi que les éléments iraniens, se confondirent à la longue avec le peuple
turc qui l’emportait par le nombre, la force et la vigueur. A la suite de cette union, les
indigènes de ce territoire du Caucase furent tous nommés : Turcs d’Azerbaïdjan ou
simplement Azerbaïdjaniens d’après le nom du pays qu’ils occupaient »2 – c’est ainsi que nos
illustres ancêtres dès l’apparition le 28 mai 1918 de l’état national – la République
Démocratique d’Azerbaïdjan – ont tenté de poser le premier jalon dans le processus de la
définition conceptuelle des origines du peuple Azéri-Turc.
Devenu dès lors le sujet suscitant le plus de passion dans l’historiographie nationale,
l’évolution de recherches dans le domaine d’identification des racines ethniques des AzérisTurcs3 au cours d’un siècle aboutit à l’apparition des deux conceptions qui se sont affermit et
tentent à en élucider le contenu :
Conception sur le caractère autochtone d’élément turc en Azerbaïdjan
I. L’Azerbaïdjan historique étant depuis toujours un foyer de culture turc autochtone,
où se développe le processus d’ethnogenèse des proto-Turcs. Une partie de ce massif
ethnique vers le milieu du IVème millénaire avant J.C. commence à se propager vers
le Nord, Nord-Ouest et Est en direction de l’Asie Central, Sibérie Méridionale et
Altaï par conséquent des facteurs au nombre desquels peut être cités : le cataclysme
climatique, la différenciation au sein des ethnies, les rivalités interethniques etc. Par
la suite s’observe le retour par les vagues successives d’une partie des ethnies
dispersées dont la consolidation avec l’élément turc autochtone devient une phase
finale de la formation du peuple Azéri-Turc.
1
Par cet article nous envisageons de proposer ultérieurement une série d’études permettant d’approfondir les
connaissances sur divers aspects de la problématique, liés à l’ethnogenèse des Azéris-Turcs, choronyme
Azerbaïdjan, les origines ethniques de la population de l’antique Albanie et Atropatène, etc.
2
Extrait du rapport « La République de l’Azerbaïdjan du Caucase » édité à Paris en 1919 et présenté par la
Délégation de la Paix de la République de l’Azerbaïdjan au Congrès de Versailles, cité dans USSR, Seeds of
Conflict Series I, Irredentist and Nationalist Questions in Central Europe, 1913-1939, Kraus Reprint, Nendeln,
1973, p. 3. Dans le même rapport on trouve également la référence au particularisme linguistique des AzérisTurcs : « En Azerbaïdjan, dans sa partie persane, aussi bien qu’au Caucase, ou plutôt en Transcaucasie, la
population est composée de Turcs, parlant un dialecte turc appelé azerbaïdjanien, qui possède sa littérature, sa
poésie nationale, ses traditions et ses mythes. Ibid., p.7. Voir aussi : Délégation Azerbaïdjanienne à la
Conférence de la Paix, Composition anthropologique et ethnique de la population de l’Azerbaïdjan du Caucase,
Paris, 1919 dans AMAE, Série Z Europe, Sous-série URSS, vol.638, f.44-51
3
On se propose d’adapter dans le présent article la dénomination du peuple émanant de la transcription
communément admise en Azerbaïdjan comme étant AzəriTürklər Ŕ Azéris-Turcs.
Conception sur le caractère allochtone d’élément turc en Azerbaïdjan
II. Etant peuplé par l’ethnie iranien au sud du fleuve d’Araxe (Azerbaïdjan –
Atropatène) et l’ethnie caucasien au nord de l’Araxe (Azerbaïdjan – Albanie)
l’Azerbaïdjan subisse au cours de XIème siècle le processus de turquisation par
conséquent de l’afflux massif des Turcs-Oghouz qui vont par assimiler des ethnies
susmentionnés et aboutir vers le XIIIème siècle à l’apparition du peuple et de la
langue azérie-turque.4
La deuxième conception étant suffisamment étudiée, notre but consiste à attirer l’attention sur
la première dont on n’examinera que certains aspects, tenant compte du stade actuel
d’évolution des recherches.
Il convient de souligner qu’elle est relativement récente aussi bien dans l’historiographie
azerbaïdjanaise qu’en turcologie en général. Il est vrai qu’en son temps l’académicien
N.Y.Marr s’évertua à exprimer le point de vue sur le caractère autochtone des Turcs en Asie
Antérieur5 par le biais des études linguistiques. Il avait d'abord réuni sous le nom de «langues
japhétiques» un ensemble comprenant les langues du Caucase, comme le géorgien, les
langues chamito-sémitiques, puis avait transféré cette notion à toutes les anciennes langues
mortes du bassin méditerranéen et d'Asie Mineure6 et puis à l’ensemble des langues du monde
classées selon leur stade du progrès par rapport à la langue originelle.7 Marr remarqua qu’avec
« le processus de glottogenèse mondial localisé dans la région méditerranéenne par
conséquent de l’évolution historique on observe la naissance des langues turques »,8 qui sont
4
La conception d’ethnogenèse longtemps demeuré officielle dans l’historiographie soviétique sous influence
d’une vision officielle étayée par Staline en 1939 tendant de faire apparenter le peuple Azéri-Turc au peuple
Mède, présumé être d’origine iranienne. Nous donnons ici une liste succincte des œuvres soutenant cette thèse:
L’histoire de l’Azerbaïdjan, (Etude abrégé dès temps anciens au XIX ème siècle) (en russe), Bakou, 1941 ; « Etude
sur l’histoire de l’Azerbaïdjan (Dès temps anciens jusqu’à la fin du XIXème )»(en russe) dans Bulletin de
l’Académie des Sciences de l’Azerbaïdjan, Bakou, 1946, N°1,5 ; L’histoire de l’Azerbaïdjan (en azéri-turc et en
russe), Bakou, 1958, vol. I ; V.N.Leviatov, Etudes sur l’histoire de l’Azerbaïdjan au XVIIIème siècle (en russe),
Bakou, 1948 ; I.M.Diakonov, L’histoire de Mède des temps anciens au IVème siècle av. notre ère (en russe),
Moscou-Leningrad, 1956 ; Id., Etude sur l’histoire de l’Iran ancien (en russe), Moscou, 1961 ; Id., Les langues
de l’ancienne Asie Antérieur (en russe), Moscou, 1967 ; E.A.Grantovski, L’histoire ancienne des tribus
iraniennes de l’Asie Antérieur (en russe), Moscou, 1970 ; I.Aliev, L’histoire de Mède (en russe), Bakou, 1960 ;
Id., Etude sur l’histoire de l’Atropatène (en russe), Bakou, 1989 ; Id (éd.) L’histoire de l’Azerbaïdjan (en azériturc), Bakou, 1998, vol. I
5
N.Y.Marr, « Au sujet du déplacement des peuples japhétiques du sud au nord du Caucase » (en russe) dans
Bulletin d’Académie Impérial des Sciences de Saint-Pétersbourg, VI série, N° 15, 1 novembre 1916, pp.14031405 ; Id., « A propos du mot russe « Salo » à travers la description du festin des Khazars du 7 ème siècle par la
chronique antique arménienne (Au sujet des rapports russo-caucasiens dans l’antiquité) » (en russe) dans Œuvres
choisies, Moscou-Leningrad, 1935, vol. V, p. 94 ; Id., « La propagation des peuples et des langues et le berceau
des langues turques » (en russe) dans Sous le drapeau de marxisme, juin 1927, № 6, pp.18-60
6
Langages, Paris, 1969, n°15, p.5, dans Trésor de la Langue Française informatisé (TLFi), Paris, SNRS, 2004
7
J.Dubois, M.Giacomo (éd.), Dictionnaire de linguistique, Paris, 2002, p. 295
8
N.Y.Marr, « La propagation des peuples et des langues et le berceau des langues turques » dans Op.cit., p.59
apparenté aux langues sémitiques à travers la langue tchouvache envisagé comme un rameau
le plus tangible de la langue sumérienne9.
L’insuffisance des recherches dans le domaine de glottogenèse et de l’ethnogenèse des
peuples turcs sapa la théorie de Marr et incita la génération postérieure des savants azéris de
multiplier les efforts en vue d’assembler et de corroborer les preuves sur la présence des
éléments turcs sur le territoire de l’Azerbaïdjan, malgré la pression évidente de la thèse
officielle soviétique qui ne cessait de poser un tabou sur les recherches des racines ethniques
turques avant notre ère.10
Les années 80-90 s’avèrent de ce point de vue révélatrices, car firent apparaître les travaux
des savants azéris comme Y.Yusifov, S.Aliyarov, G.Geybullaev et d’autres qui vont par
avancer des hypothèses audacieuses sur l’élément proto-Turc (les peuples Turukku, Lullubi,
Guti) en Azerbaïdjan antique par le biais d’une nouvelle lecture et examen des textes
cunéiformes.11
9
N.Y.Marr, « Les Tchouvaches – Japhétiques sur Volga » (en russe), dans Œuvres choisies, Moscou-Leningrad,
1935, vol. , V, pp. 323-372
10
A.Demirtchizadé, « Le mot Azerbaïdjan » (en azéri-turc), dans Travaux de l’Université d’Etat d’Azerbaïdjan,
Bakou, 1945, vol.V; Id., L’histoire de la langue azerbaïdjanaise dès temps anciens jusqu’au XII ème siècle (en
azéri-turc), Bakou, 1947 ; Id., La langue de l’œuvre épique « Le livre de mon père Gorgud » (en azéri-turc),
Bakou, 1959 ; Id., « Sur la chronologie de l’histoire de la langue littéraire azerbaïdjanaise » (en russe) dans La
structure et l’histoire des langues turques, Moscou, 1971 ; Id., L’histoire de la langue littéraire azerbaïdjanaise
(en azéri-turc), Bakou, 1979, vol. I ; Z.Yampolski, « A propos de l’homogénéité de la population antique de
l’Albanie et de l’Atropatène » (en russe), dans Travaux de l’Institut d’histoire et de philosophie de l’Académie
des sciences d’Azerbaïdjan, Bakou, 1954, vol. IV ; Id., « Sur le sens du terme atropat » (en russe) dans Rapports
de l’Académie des sciences d’Azerbaïdjan, 1955, série XI, N° 3 ; Id., « Les auteurs antiques sur la langue de la
population d’Azerbaïdjan » (en russe) dans Bulletin de l’Académie des sciences d’Azerbaïdjan, Bakou, 1955, N°
VIII ; Id., L’Albanie antique (IIIe-Ie siècles av. J.-C.) (en russe) Bakou, 1962 ; Id., « Sur la permanence
ethnogénétique en Azerbaïdjan » (en russe) dans Questions sur l’histoire de l’Albanie du Caucase, Bakou,
1962 ; Id., « Une très ancienne mention concernant la présence des Turcs en Azerbaïdjan » (en russe) dans
Collections de l’Université d’Etat d’Azerbaïdjan, Série : Langue et littérature, Bakou, 1965, N° II ; Id., « A
propos des Turcs au Vème siècle av.J.-C. » (en russe) dans Collections de l’Université d’Etat d’Azerbaïdjan,
Série : Langue et littérature, Bakou, 1979 N°V-VI ; M.Azerli, T.Musevi, Z.Yampolski, « Sur le mot
Azerbaïdjan » (en russe) dans Rapports de l’Académie des sciences d’Azerbaïdjan, 1974, série XXX, N° 12 ;
R.Gurban, « Sur les mots Azéri, Atropatène, Azerbaïdjan » (en azéri-turc) dans Bulletin de l’Académie des
sciences d’Azerbaïdjan, Série : Littérature, Langue et Art, Bakou, 1968, N° III ; Z.Bunyadov, « Au sujet d’une
durée de présence des Khazars en Albanie au VIIe – VIIIess.) » (en russe) dans Bulletin de l’Académie des
sciences d’Azerbaïdjan, Bakou, 1961, N° I ; Id., « Sur l’histoire de l’Albanie du Caucase (VII e –VIIIe ss.) (en
russe) dans Questions sur l’histoire de l’Albanie du Caucase, Bakou, 1962 ; Id., Analyse des sources sur
l’histoire de l’Azerbaïdjan. Les sources arabes (en russe), Bakou, 1964 ; Id., L’Azerbaïdjan au VIIe Ŕ IXe siècle
(en russe), Bakou, 1965 ; R.Gusseinov, « A propos des Turcs en Albanie du Caucase au IVe-VIIe ss. » (en russe)
dans Questions sur l’histoire de l’Albanie du Caucase, Bakou, 1962 ; Y.Yusifov, « Au sujet de certains éléments
linguistiques turcs dans l’œuvre d’un historien albanais » (en russe) dans Turcologie soviétique, Bakou, 1974, N°
2 ; Id., « Les Huns en Transcaucasie » (en russe) dans Les liens ethniques et historico-culturelles des peuples
turcs de l’URSS, Recueil des rapports, Alma Ata, 1976
11
Y.Yusifov, « Sur l’ethnogenèse des azerbaïdjanais » (en russe) dans Littérature et histoire, Recueil des
rapports, Tachkent, 1980 ; Id., « Au sujet des populations de l’Azerbaïdjan ancienne (IIIème millénaire av.J.C.) »
(en azéri-turc) dans Les questions de la philologie azerbaïdjanaise, Bakou, 1983 ; Id., « Les premiers contacts de
Mésopotamie avec les pays du Nord-Est (zone d’Ourmia) (en russe) dans Revue d’histoire antique, Moscou,
1987, N°1 ; Id., « Les Cimmériens, Scythes et Sakes en Azerbaïdjan antique » dans Recueil du Caucase Ŕ
Proche-Orient, Tbilissi, 1988 ; Z.Bunyadov (éd.), L’histoire de l’Azerbaïdjan à travers les sources (en russe),
Bakou, 1990 ; Z.Bunyadov et Y.Yusifov (éd.), L’histoire de l’Azerbaïdjan (en azéri-turc), Bakou, 1994 ; Sur
l’ethnogenèse du peuple azerbaïdjanais. Recueil des articles (en azéri-turc et russe), Bakou, 1984 ; S.Aliyarov,
C’est précisément dans ce sens qu’irons les efforts du professeur azéri Firidun Agasioglu
(Djalilov)12 qui va également élaborer une hypothèse sur le caractère autochtone d’élément
turc en Azerbaïdjan, tenant compte des recherches de ses prédécesseurs, des donnés
essentiellement ethnolinguistiques, usant de surcroît de la géographie historique.
Selon lui, l’ethnie proto-Turc d’une race anthropologique européenne de type
méditerranéenne, porteur des cultures archéologiques Hassuna, Halaf, Obeid du Nord, KouraAraxe13, commence à partir du milieu du IVème millénaire avant J.C. à se scinder pour donner
la naissance aux multitudes des peuples. C’est aussi le début du déplacement des peuples
porteurs des langues turques en direction de l’Est et du Nord vers l’Asie Central, la Sibérie
Méridionale et l’Altaï. Tenant compte des donnés archéologique et linguistique F.Agasioglu
propose de reconstituer l’espace du déplacement des peuples proto-Azéris-Turcs (Az/As,
Azer/Azar, Hazar, Turuk/Turk, Kuman, Gashgay, Gögär, Shadili, Zangui et d’autres)
englobant la trajectoire Derbent-Tiflis-Erzeroum-Mosul-Kerkouk-Khamadan-Bakou-Derbent.
Une partie des peuples qui se sont dispersé vers le Nord et l’Est (Avares, Huns, Seldjoukides,
Saks-Cimmériens (Saga-Gamer), Suvar/Savir/Bulgar et d’autres) revient vers leur lieu
d’habitat initial – l’Anatolie et l’Azerbaïdjan. C’est ainsi qu’on voit surgir l’ethnie Azéri-Turc
comme aboutissement d’un long processus de consolidation des peuples turcs autochtones
avec les nouveaux arrivants ethniquement apparentés aux aborigènes.14
Certains éléments de la conception décrite ci-dessus peuvent paraître hasardeux, mais ne nous
précipitons pas d’en tirer les conclusions hâtives, essayons de voir ne serait ce que quelques
aspects.
A première contact avec le manuscrit de l’auteur il nous a paru particulièrement stimulant une
lecture innovante des textes assyriens émanant des Archives Royales de Mari15, ou il propose
« La Livre de Gorgud : sur la nécessité d’études historique et philologique concertés » (en russe) dans
Turcologie soviétique, Bakou, 1989, N°IV ; Id.,(éd.), Les sources sur l’histoire d’Azerbaïdjan (en azéri-turc),
Bakou, 1989 ; Id.,(éd.), L’histoire de l’Azerbaïdjan (en azéri-turc), Bakou, 1996 ; G.Geybullaev, Sur
l’ethnogenèse des azerbaïdjanais (en russe), Bakou, 1991, vol. I ; Id., Les Turcs anciens et l’Arménie (en azériturc), Bakou, 1992 ; Id., Sur l’ethnogenèse des Azéri-Turcs(en azéri-turc), Bakou, 1994 ;
12
F.Agasioglu (Djalilov), La morphologie de la langue azerbaïdjanaise (en azéri-turc), Bakou, 1988 ; Id., Les
théonymes proto-azéris (en azéri-turc), Bakou, 1989 ; Id., La famille et l’alliance linguistique (en azéri-turc),
Bakou, 1989 ; Id., Les données ethnolinguistiques à travers des emprunts réciproques (en azéri-turc), Bakou,
1989 ; Id., Le peuple Azéri (en azéri-turc), Bakou, 2000 ; Id., Les Neuves Parties (en azéri-turc), Bakou (Ouvrage
à paraître en 9 volumes)
13
Pour la transcription des noms des cultures archéologiques se rapporter au Dictionnaire de la civilisation
mésopotamienne, Sous la direction de F.Joannès, Paris, 2002
14
F.Agasioglu, Les Neuves Parties, Bakou, (manuscrit dont l’auteur nous a fort aimablement offert en vue de la
consultation)
15
Correspondance de Šamši-Addu et de ses fils, transcrite et traduite par Georges Dossin dans Archives Royales
de Mari, Paris, 1950, vol. I ; Lettres diverses, transcrite et traduite par Charles-F.Jean dans Archives royales de
Mari, Paris, 1950, vol.II ; Correspondance de Kibri-Dagan, transcrite et traduite par J.R.Kupper dans Archives
Royales de Mari, Paris, 1950, vol. III ; Correspondance de Šamši-Addu et de ses fils (suite), transcrite et traduite
par Georges Dossin dans Archives Royales de Mari, Paris, 1951, vol. IV
d’identifier et d’élargir notre perception sur l’étendue du peuplement des proto-Turcs en Asie
Antérieur et sur leurs traditions étatiques en perpétuation à travers un nombre important des
éléments onomastiques proto-Turcs.
A titre d’exemple nous avons pris soin de préciser la contenu de tablette N° 9016 qui se
rapporte à une période de règne de Šamši-Addu (1813-1781 av.J.-C.) et ou « Šamši-Addu
informe son fils, Iasmah-Addu, d’un engagement qui s’est produit entre les Turukkû et un de
ses alliés » 17:
90
Transcription
A-na Ia-ás-ma-ah-(il)Addu
qí Ŕ bí Ŕ ma
um-ma (il) Šamši(ši)-(il)Addu a-[b]u-ka-a-ma
i-na A-mur-za-ak-k[i-i]m(ki)
a-šar [awî]lu(meš) Tu-ru-uk-ku-ú wa-aš-bu
i-na ka-ra-ši-im Da-da-nu-um
it-ti 2 li-im Nu-ru-ga-i(k[i)]
a-na ra-ma-ni-im-ma i-na i-di iš-te-en
90
Traduction
A Iasmah-Addu
dis ceci :
ainsi (parle) Šamši-Addu, ton père.
Dans Amurzakkim,
là où se trouvent les Turukkû,
Dans un camp, Dadanum,
Avec deux mille hommes de Nurrugi,
Est installé, seul, en un groupement unique.18
Le glossaire tout à fait préliminaire19 et non exhaustive des éléments onomastiques rencontrés
qu’on se propose de reconstituer ci-dessous illustre probablement une importance du phone
proto-Turc et des influences lexicographiques réciproques turco-sémitiques dû très
vraisemblablement à leur coexistence dans les territoires englobant l’espace allant de
l’Azerbaïdjan historique à la Mésopotamie :
16
Dans le premier volume de recueil des sources provenant des Archives Royale de Mari on dénombre 3
tablettes faisant état des références à l’ethnonyme Turukku (tablettes N°16, 69, 90), dans la deuxième – 3
(tablettes N°40, 63, 83) et dans la quatrième – 11 (tablettes N°21, 22, 23, 24, 25, 41, 45, 52, 70, 78, 79)
17
Correspondance de Šamši-Addu et de ses fils…, dans Archives Royales de Mari, Paris, 1950, vol.I, p.16
18
Id., p.160-161.
19
Pour la règle de transcription Cf. Dictionnaire de la civilisation mésopotamienne…, p. XII-XIII. Nous avons
pris soin de citer d’abord le mot du texte translittéré du cunéiforme, suivi de la transcription française, ensuite de
la version probable aussi bien en Azéri-Turc, qu’en Turc d’Anatolie et enfin de la traduction en français.
Tu-ru-uk-ku-ú Ŕ Turukkû Ŕ Turuk/Türk/Turc (cf. note N°14)
Ia-tar-sa-lim Ŕ Iatar-Salim Ŕ Yatar-Salim - Salim le Dormeur (vol. II, tablette N°43)
Iš-me-Da-gan Ŕ Išme-Dagan Ŕ Ismi Dagan Ŕ Dénommé Dagan (vol. II, tablette N°40)
Ia-si-im-Il Ŕ Iasîm-El Ŕ Yaşam El Ŕ Lieu d’habitat (Pays d’origine) (vol. II, tablette
N° 40)
5. Ka-sa-[-pa-a] Ŕ Kasapâ Ŕ Kasaba/Kasa-oba Ŕ Petite ville (bourg) (vol. II, tablette N°
69)
6. Ma-aš-ka-an-ša-bi-ir Ŕ Maškan-Šabir Ŕ Sabirlərin Məskəni Ŕ Patrie (lieu de demeure)
des Sabirs20 (vol. II, tablette N°72)
7. A-bu-um-e-ki-in Ŕ Abum-ekin Ŕ Abum Ekin/Bəy Ŕ Seigneur Abum (vol. II, tablette N°
77)
8. Na-pi-iš-tim Ŕ Napištim Ŕ Yapıştım Ŕ J’ai touché(saisi) (vol. II, tablette N° 77)
9. I-ni-ib-šarrim Ŕ Inib-šarrim (nom de servante dans le texte) Ŕ Enib-šarıldayan Ŕ
Prosternant tapageusement (vol. II, tablette N°112, 113)
10. Ia-an-ta-ki-im Ŕ Yan Takim Ŕ Yan Takım Ŕ Section (District)Proche (vol.IV, tablette
N° 44)
11. Ia-tar-na-nu-um (ia-tar-me-ès-ki-num) Ŕ Yatar-Nanum(Yatar-Meskinum) Ŕ
Yatar/Yatan Məskənim Ŕ Patrie dormante (vol. IV, tablette N°88)
12. Às-di-ta-ki-in Ŕ Asdî-Takin Ŕ Əzdi/Ezdi Takın Ŕ Le Terrible (vol. IV, tablette 77)
13. Šu-ba-a[r-ti]m Ŕ pays de Šubartu21 Ŕ Su/Sub əri/Su/Sub adamı Ŕ Le peuple du pays
riverain (vol. I, tablette N° 18)
1.
2.
3.
4.
Concordance entre l’hypothèse de Marr sur le caractère autochtone et méditerranéen de
conglomérat turc de l’Asie Antérieur et la découverte des éléments turcophones dans les
sources cunéiformes assyriennes permettent d’engager un certain nombre des réflexions sur
les points qui méritent d’être soulignés, tels que :
I.
20
L’existence des éléments lexicologiques communes entre les Turcs, Sumériens,
Assyriens de l’Asie Antérieur ;
Une référence aux Sabirs/Savirs le peuple turc attesté et localisé en Azerbaïdjan au Ve-VIe siècles – Cf.
M.Artamonov, L’histoire des Khazars (en russe), Leningrad, 1962, p. 69 ; N.Pigoulevskaya, Les sources
syriennes sur l’histoire des peuples de l’URSS (en russe), Moscou-Leningrad, 1941, p. 9-10 ; C.Pletneva, Les
Khazars (en russe), Moscou, 1976, p. 116 ; A.Sumbatzadé, Les Azerbaïdjanais Ŕ ethnogenèse du peuple (en
russe), Bakou, 1990, pp. 82-87 ; Y.Djafarov, Les Huns et l’Azerbaïdjan (en russe), Bakou, 1993, pp. 64-101,
S.Aliyarov, L’histoire de l’Azerbaïdjan..., pp.178-180 ; Mirza Bala, L’Albanie turc dans l’histoire de
l’Azerbaïdjan (en turc), Ankara, 1951, pp. 14-15 ; Šerif Baştav, « Les Turcs-Sabirs » (en turc) dans Bulletin de
la société turque d’histoire, Ankara, 1941, N°V, pp. 17-18
21
Selon l’hypothèse de F.Agasioglu les Subars considérés comme étant des proto-turcs cohabitent avec les
Sumériens. Cette interpénétration influença selon toute vraisemblance le vocabulaire sumérien, riche en lexique
turc. – Cf. F.Agasioglu, Le peuple Azéri, p.157-158, voir également : Osman Nedim Tuna, Le problème
d’éclaircissement de l’age de la langue turque dans le contexte des rapports turco-sumériens (en turc), Ankara,
1990.
II.
III.
La perception communément admise tachant à considérer la trajectoire du
déplacement des proto-Turcs de l’Altaï vers la région du Caucase enclin de subir
un examen sérieux devant les découverts récents en Azerbaïdjan22 ;
Des réserves exprimés par les savants azéris Y.Yusifov, F.Agasioglu,
A.Alekperov, S.Aliyarov, G.Geybullaev, M.Seidov et d’autres qui se solidarisent
avec leur collègues étrangères G.Doerfer23, M.Zekiyev24, I.Miziev25, A.Cherbak26,
B.Serebrennikov27, O.Tuna, K.Mirşan28 quant à la validité de la conception
« altaïque » d’ethnogenèse des Azéris-Turcs.
Ainsi, une bref analyse d’une série d’aspects de l’hypothèse sur l’ethnogenèse du peuple
Azéri-Turc fait clairement apparaître les atouts inégalables que la première conception nous
offre, permettant de projeter une regarde équitable sur l’histoire du peuple Azéri-Turc.
La culture des Turcs apparaisse ainsi comme toute aussi ancienne, que celles des Sumériens,
Assyriens et d’autres. Contrairement aux autres familles linguistiques, celle des Turcs
commence à se propager dans des directions diverses à partir du moment où s’achève
vraisemblablement le processus de genèse d’une racine ancienne et apparaisse le système
accompli dans sa structure.
A présent les efforts de diverses catégories des chercheurs azéris se focalisent sur les sujets
lesquels semblent permettre dans l’avenir d’élucider nos connaissances sur la question aussi
complexe qu’ethnogenèse des Azéris-Turcs :
1.
2.
3.
4.
5.
6.
7.
22
La patrie des proto-Turcs ;
La base ethnique de l’archéologie azerbaïdjanaise ;
L’anthropologie des Azéris-Turcs dans le contexte du massif ethnique turc ;
La langue proto-Turque et ses dialectes ;
La langue proto-Azérie-Turc et ses dialectes ;
La géographie ethnohistorique de l’Azerbaïdjan ;
Les donnés historiques dans le folklore et la mythologie azerbaïdjanaise ;
En 1995 dans la région de Djalilabad l’étudiant de l’Université de Lenkoran Chakir Asadullabeyli découvre
une quenouille ornée de l’écriture pré-turque quasiment semblable à celle d’Orkhon. Cette découverte précède
les deux autres révélés en 1985 dans le village de Nuvedi et en 1993 dans la région de Djabrail. Elles démontrent
des écritures runiques, qui, selon l’avis des experts, sont plus anciennes que celles d’Orkhon, renforçant ainsi la
thèse sur le caractère autochtone des Turcs en Azerbaïdjan.
23
G.Doerfer, « Proto-Turkic : Reconstruction Problems », Bulletin annuel d’études sur la langue turque,
Ankara, 1975-76, pp.1-59
24
M.Zekiyev, « Les Proto-Turcs en Asie Antérieur et Central, au Caucase, au Nord de la mer Noir, dans la
région Volga-Oural et en Sibérie occidental » (en turc) dans Les Turcs, sous la direction de H.C.Güzel, K.Çiçek,
S.Koca, Ankara, 2002, vol. I, pp.424-431
25
I.Miziev, K.Laypanov, Sur la genèse des peuples turcs (en russe), Tcherkessk, 1993
26
A.Cherbak, La phonétique comparée des langues turques (en russe), Leningrad, 1970
27
B.Serebrennikov, N.Gadjieva, La grammaire comparée des langues turques (en russe), Moscou, 1986
28
K.Mirşan, L’origine de l’écriture (en turc), Ankara, 1994 ; Id., Les Proto-Turcs en Anatolie (en turc), Ankara,
1985
8. L’ethnographie historique du peuple azerbaïdjanais ;
9. Onomastique (anthroponymie et toponymie) historique du peuple azerbaïdjanais ;
10. Les rapports de l’Azerbaïdjan historique avec ses voisins ;
11. Les rapports de la langue proto-Turque avec des langues mortes (akkadien, araméen,
assyrien, élamite, hittite, hurrite, sumérien, urartéen) de l’Asie Antérieure ;
12. La démographie historique ;
13. Les donnés archéologiques permettant de déterminer les directions de déplacements
dans une rétrospective historique ;
14. Les pictogrammes, les écritures rupestres, les pétroglyphes en Azerbaïdjan ;
15. Le paysage ethnique des états apparus en Azerbaïdjan antique.
Il nous semble utile de conclure qu’à l’aube du XXIème siècle la formation des nouvelles
méthodes d’analyse des textes anciennes s’appuyant sur le système d’identification des
attributs ethnolinguistiques en liaison avec les autres domaines des sciences donnera une
impulse à l’étude du problème d’ethnogenèse des Turcs en général et des Azéris-Turcs en
particulier et que la nouvelle conception aura devant elle une longue vie.