Anesthésies loco
Transcription
Anesthésies loco
Anesthésies loco-régionales. Alain et Monique Neidhardt Le milieu du dix-neuvième siècle fut étonnement propice à l’efflorescence des sciences médicales dont les innovations cumulées menèrent aux prouesses que nous connaissons aujourd’hui. En physiologie E. Marey, J-B. Chauveau, K. F. Ludwig éclaircirent les particularités des fonctions respiratoires et circulatoires et introduisirent les méthodes d’enregistrement expérimentales aussi bien que cliniques. I. Ph. Semmelweis pressentit les découvertes pastoriennes de 1864 qui allaient ouvrir l’aire de l’asepsie. Le 16 octobre 1846 fut homologuée la première anesthésie générale réalisée par W. G. Morton à Boston. Illustration de ce que l’audace du nouveau monde pouvait permettre à partir des découvertes réalisées dans l’ancien ! Et pour compléter ces avancées étonnantes, quelques années plus tard, Carl Koller, le 14 septembre 1884, publia les premiers résultats de l’anesthésie locale, illustration de l’exploitation par les esprits de la vieille Europe des connaissances et traditions du nouveau monde ! Carl Koller, ophtalmologiste viennois, n’avait fait que mettre en pratique les conseils de son ami, l’éminent neurologue et analyste Sigmund Freud ! La cocaïne au contact de la sclérotique permettait C. Koller une intervention pour cataracte sans douleur, à la grande satisfaction des patients. Sigmund Freud Certes Freud ne dominait pas parfaitement l’aspect toxicologique de la molécule, comme nous le verrons plus loin, à propos de son ami physiologiste et physicien Ernst von Fleischl-Marxow . Mais revenons aux origines : 1492, découverte des Indes Occidentales, devenues prérogatives espagnoles après les accords de Tordesillas (17/06/1494). Les conquérants prédateurs ne laissèrent pas grand’chose des écrits mexicains ou péruviens. Anesthésies loco-régionales. Alain et Monique Neidhardt Quelques codex furent cependant sauvés du désastre par des esprits curieux qui eurent le soin de noter les pratiques locales touchant à l’usage des plantes médicinales. En 1552, Martin de la Cruz, médecin indigène écrivit un codex qui prit le nom de son traducteur, Juan Badianus, le « Codex Badianus » où l’on trouve décrits les effets et les bienfaits de la quinine…et du coca. En 1570, Francisco Hernandez, médecin de Philippe II, dans son « Proto Medico de las Indias » fait une revue presque exhaustive des plantes soporifiques. En 1577 apparaît le Codex Florentinus, impression de l’ouvrage de Tenochtitlan (1665) par Bernardino Sahagun, franciscain investigateur ! Bien entendu, cette flore nouvelle fait l’objet de transfert vers l’Europe, Joseph de Jussieu la rapporte en France et la décrit minutieusement en 1750. Iil s’y trouve des plants de coca que J-B. Lamark, en 1786, nomme erythroxylon coca. Soixante-quinze ans plus tard, en 1859, Albert Niemann en extrait la cocaïne, principe actif. L’effet tonifiant fut alors largement exploité dans des préparations buvables et les vertus du vin Mariani furent étendues à tous les domaines, même les plus intimes ! Indice révélateur, en 1865, Charles Fauvel, médecin qui apporta sa caution au pharmacien Mariani, en recommandait l’usage pour atténuer les douleurs laryngo-pharyngées, susceptibles d’amoindrir les performances des orateurs ou des ténors et divas. En 1867, les effets pharmacologiques furent étudiés en détail chez l’animal par Felix Jolyet, mais le sujet d’expérience ne pouvant s’exprimer, l’effet anesthésiant lui échappa totalement ! J-B. V. Laborde utilisa en 1884 une cocaïne purifiée préparée par le chimiste H. Duquesnel et put ainsi préciser les actions locales et les effets toxiques suivant les injections intraveineuses. 2 Anesthésies loco-régionales. Alain et Monique Neidhardt Cette année 1884 restera mémorable pour les anesthésistes : à Vienne, sur les conseils de son ami Sigmund Freud, Karl Koller utilise la cocaïne pour insensibiliser le globe oculaire au cours des interventions pour cure de cataracte. Il en publie les premiers résultats le 14 septembre 1884 sous le titre de « Über Coca ». En 1885, il communiquera les résultats obtenus au cours de 373 interventions. Mais les effets généraux n’étaient pas encore parfaitement cernés, ce qui explique la triste mésaventure du célèbre physiologiste Ernst von Fleischl-Marxow (1846 –1891) que Freud voulut détacher de son addiction à la morphine en lui proposant le remplacement du stupéfiant par la cocaïne qu’il pensait être moins toxicomanogène ! En fait, Fleischl-Marksow associa rapidement les deux toxiques, devenant l’inventeur du « speed ball » et abrégeant ainsi sa brillante carrière à quarante cinq ans! Fleischl-Marksow Presque aussi rapide que la diffusion de la technique de l’anesthésie générale, quarante ans plus tôt, l’application de l’anesthésie locale devint universelle. Jolinek en usa pour les interventions sur le larynx dès le 17 octobre 1884, W. St. Halstead en 1885 publiait à Baltimore (U.S.A.) sur « Anesthésie dirigée et entretenue » précisant les techniques d’infiltrations des pédicules des organes intéressés. En 1886 James Leonard Corning communiquait aux U.S.A. sur l’ « Anesthésie tissulaire et l’Anesthésie rachidienne » insistant sur l’effet du garrot pour prolonger l’anesthésie au niveau des membres. Paul Reclus fournissait en 1888 collègues : « Cocaïne : mode d’emploi » l’ouvrage indispensable pour ses A Berlin, Karl Ludwig Schleich consignait ses pratiques d’ « Anesthésie par infiltration dans la chirurgie des organes ». Auguste Bier fit connaître le 15 août 1899 les résultats de l’usage de la Cocaïne dans le L.C.R. que Jean-Marie Athanase Sicard appliqua au traitement du tabès. Théodor Tuffier donne une idée de la rapidité de l’extension du procédé en publiant sur cinq cas de « rachi cocaïnisation » en 1899 et sur mille cinq cents cas en 1905 ! 3 Anesthésies loco-régionales. Alain et Monique Neidhardt Les nouvelles molécules. Devant l’importance de certaines complications et le taux excessif de mortalité qui pouvait illustrer le caractère « intrépide » de certains médecins que stigmatisait Georg P Pitkin en pensant à Gustave Le Filliatre, la synthèse de nouvelles molécules dépourvues des effets secondaires redoutables fut une démarche salutaire à la technique des anesthésies loco-régionales et …aux malades ! Ainsi apparaissent : - en 1897, la Betaeucin, chez Schering, - en 1905, l’Alypin, chez Bayer, due aux recherches de Fr. Hoffmann - En 1907, l’Amyleïne ou Stovaïne* due aux travaux de Ernest Fourneau (fourneau en anglais=stove !) - En 1909, La Procaïne ou, Novocaïne* mise au point par Alfred Einhorn chez Hoechst - En 1925, la Dibucaïne, aminoester (Nupercaïne*, initialement Percaïne ). - En 1928, la Métycaïne*, - En 1935, la Pontocaïne ou Tétracaïne* et une quinoleïne : la Percaïne*. - En 1948, la Lignocaïne ou Xylocaïne*, née chez Löfgren - De 1956 à 1960, se succèdent Mépivacaïne, Bupivacaïne, Etidocaïne, molécules de longue durée d’action. Evolution des techniques : Elles suivirent l’engouement légitime pour ces modes d’anesthésie et mirent à profit les particularités des molécules nouvelles. Sous le patronage de Victor Pauchet, Gaston Labat codifiait les stratégies adaptées aux multiples indications chirurgicales. Son ouvrage de 1921 est particulièrement riche et exhaustif, à tel point que l’on peut en trouver des exemplaires réimprimés en français à partir de sa traduction américaine… Après l’abord de la voie rachidienne intrathécale vint la technique de la péridurale ou « épidurale » dans le jargon anglo-saxon. En 1931, A.M. Dogliotti en précisa toutes les finesses. L. F. Sise, en 1935 faisant varier la densité de la solution justifia l’emploi de l’anesthésie hyperbare et des variations positionnelles. Le matériel devait suivre et en 1944, F.B. Tuohy proposait une aiguille permettant l’introduction et l’orientation du cathéter dans l’espace péridural. 4 Anesthésies loco-régionales. Alain et Monique Neidhardt Sources : P. Lechat. Abrégé de pharmacologie médicale. Masson & Cie 1973. M.-Th. Cousin. L’anesthésie-Réanimation en France. TI. 2005. L’Harmattan. V. Pauchet, P. Sourdat, G. Labat, R. de Butler D’Ormont. Gaston Doin. 1927. Ch. Coury. La Médecine de l’Amérique précolombienne. R. Dacosta. 1969. H. Schott. Die Chronik der Medizin. Chronik Verlag. 1993. Google: Images Besançon, avril 2007 5