Un cadran à la mémoire de 4 étudiantes de McGill

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Un cadran à la mémoire de 4 étudiantes de McGill
Un cadran à la mémoire de 4 étudiantes de McGill
par André E. Bouchard
Le cadran de l’Université McGill
a été complété et inauguré le 20
mai 2005.
Ce cadran monumental veut
rappeler la mémoire de 4 étudiantes décédées tragiquement
en 2002.
Il est situé sur la rue Sir-WilliamOsler, au nord de l’avenue du
Docteur Penfield, entre les maisons Hosmer et Davis, sur le
campus de l’université.
ͺͿ͑;Ͷ;΀΃ͺͲ;
Kavita Kulkarni
Physical therapist
1979-2002
Rachel Martin
Ergothérapeute
1979-2002
Margherita Rapagna
Rehabilitation Scientist
1968-2002
Lara Riente
Linguist
1969-2002
Always in our hearts
Toujours dans nos pensées
**
School of Physical and Occupational Therapy
McGill University
20-V-2005
Le style est de granite noir de 106”x40”x48” avec l’inscription gravée des noms suivants (ci-contre)
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Le Gnomoniste
André E. Bouchard
Volume XII numéro 2, juin 2005
Nous pouvons distinguer l’ensemble
composé de 6 pierres, dont 5 sont déposées sur le sol. 4 d’entre elles sont des
pierres individuelles (72”x40”) disposées sur un demi-cercle. Ces dernières
en entourent 2 autres en forme de croix
décentrée, composant le cadran et son
style. La table du cadran (120”x40”) git
sur le sol comme les 4 autres pierres
déjà mentionnées. Le style est une pierre qui projette l’ombre sur la table des
lignes horaires.
Les amateurs de numérologie et de
symétrie étudieront plus en détail la
symbolique du dessin ci-contre, de
manière à découvrir le positionnement
planifié des pierres. En particulier,
l’utilisation du 20 et de ses multiples
(40, 60).
Le cadran-monument comprend aussi plusieurs détails
intéressants que je vais exposer en détails.
Voici 2 dessins du monument pour montrer la conception
et les détails de sa réalisation originale.
A) Remarquons la pierre en guise de style. C’est la
seule à imiter une pierre tombale avec ses inscriptions,
comme on en trouve dans les cimetières.
B) Les messages gravés dans la pierre sont rédigés en
trois langues: -Le titre est en latin, car c’est la formule
la plus courte et la plus universellement utilisable dans
le milieu de la gnomonique et du haut savoir.
-Le corps du texte est en langue anglaise, sauf dans le
cas de l’étudiante francophone où son titre est écrit en
français. Il s’agit ici d’une situation normale, puisque
nous sommes sur le campus d’une institution anglophone, québécoise et canadienne. La devise est bilingue, mais avec une petite subtilité linguistique. Plus
qu’une traduction littérale du texte anglais, l’utilisation
du concret et de l’abstrait est mise à contribution pour
montrer le génie respectif des deux univers linguistiques. En effet, la langue anglaise s’adresse au coeur
du spectateur; tandis que la formulation française fait
appel à son esprit. Mais le lieu est si empreint de dignité, qu’on se croirait dans une cathédrale à ciel ouvert
où des gisants nous invitent au recueillement et à la
méditation sur le temps qui passe, et sur la jeunesse
des disparues.
-Le blason de l’Université McGill, et le nom de l’Ecole de la faculté de médecine qui est le commanditaire et l’initiateur du projet de monument, apparaisVolume XII numéro 2, juin 2005
sent aussi sur le style. Arrêtons-nous aux aspects spécifiques du cadran solaire.
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Le cadran est donc composé de deux pierres: l’une est
allongée sur le sol (c’est la table du cadran où sont
tracées les lignes horaires), l’autre s’y appuie (c’est le
style) et forme un angle de 45,5° , à l’intersection des
deux, en conformité avec la latitude du lieu. Examinons la table du cadran (ou des deux cadrans devrais-je
dire). En effet, si nous nous mettons au pied du style,
où nous pouvons y lire les noms des étudiantes disparues, avec attention nous remarquerons les particularités suivantes des 2 cadrans gravés sur la même pierre.
D’abord, la partie gauche de la table, (75”de longueur:
de l’extrémité gauche jusqu’au centre du style) est la
plus visible. Les lignes horaires (indiquées ici par des
traits discrets) affichent en chiffres arabes (9-11-1-3)
les heures d’été. C’est donc l’heure avancée de l’Est.
Nous pouvons y lire surtout les heures du matin,
compte tenu de la largeur inhabituelle de la pierre du
style. En été, c’est aussi le temps de l’année pendant
lequel le zénith du soleil est au plus haut dans le ciel;
et conséquemment, les ombres sont plus courtes. Enfin, ce cadran comprend aussi sur la ligne de 9h, le
tracé sinusoïdal non continu de la courbe en huit, qui
permet d’avoir l’heure de la montre (l’heure légale)
corrigée selon l’équation du temps.
Voici une représentation informatisée du cadran d’été (9-11-1-3)
La section du cadran en chiffres romains (cadran d’hiver)
Voici la représentation du cadran d’hiver (X-XII-II-IV)
Le cadran en chiffres arabes et la courbe en 8
Sur la partie droite de la table, plus courte n’ayant que
45” de longueur, nous y distinguons les lignes horaires
gravées avec des chiffres romains (X-XII-II-IV). La
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ligne droite, formée par le côté (l’épaisseur) du style,
donne l’heure à midi, donnant l’heure solaire, entre
octobre et avril. C’est le temps de l’année pendant lequel le soleil est au plus bas dans le ciel. Les ombres
du cadran sont donc les plus longues de l’année, et ici
compte tenu de la largeur du style, nous avons surtout
un cadran d’après-midi.
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En portant attention aux pierres individuelles qui entourent les cadrans, nous pourront y voir sur chacune
au moins un bout de ligne dans le prolongement des
lignes horaires d’un des deux cadrans décrits.
Les pierres de Stonehenge en Angleterrre
Finalement, un aménagement paysager a été réalisé de
manière à donner du décorum au monument. L’ajout
d’éléments d’horticulture augmente certainement un
sentiment de gravité solennelle au lieu. Mais il faut reconnaître le caractère unique de la situation du cadran
sur la montagne, où sétend le campus de l’université
McGill sur la face sud du mont Royal.
Très rapidement, la configuration même du cadranmonument de McGill m’a suggéré des sentiments déjà
ressentis à Machu Pichu (au Pérou) ou à Stonehenge
(au Royaume-Uni). J’y retrouve un témoignage de la
même curiosité pour le monde céleste (aujourd’hui on
dirait le cosmos). À Stonehenge, par exemple, localité
située au nord de Salisbury, en Angleterre, se trouve
l’un des vestiges les plus intéressants et les plus monumentaux que nous ait laissés l’homme préhistorique et
qui date d’environ 2000 ans. On y retrouve un ensemble de pierres géantes (mégalithes) dressées verticalement, et formant des cercles concentriques avec , au
milieu, une construction qui semble être un autel. Certains pensent que Stonehenge pouvait servir d’observatoire astronomique, d’autres de sanstuaire consacré au
culte du soleil. Chez l’homme préhistorique, qui reste
presque totalement dépendant de la nature, on voit
poindre les premières lueurs d’un sentiment religieux
associés aux astres et aux phénomènes célestes.
Dans le cas du cadran de McGill, je ne conclus pas
qu’il faille donner une signification autre que celle
voulue par les responsables du projet. C’était d’abord
un mémorial, un monument commémoratif, voulant
rappeler le passage de 4 jeunes femmes à l’université,
et le destin tragique qui les affligea.
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Mais j’aime le lien que l’on fait avec le temps passé, et
le temps qui passe. D’ailleurs en regardant le cadran
élevé à la mémoire des 4 jeunes étudiantes, il reste une
analogie qui me vient à l’esprit: celle chez les Anciens
qui consiste à faire un lien entre course du soleil et le
cercle. Il nous reste au moins aujourd’hui une survivance: le petit cercle par lequel nous symbolisons les
degrés de longitude et de latitude, et qui, sans doute,
était, à l’origine, un hiéroglyphe représentant le soleil.
Par contre la devise “Always in our hearts / Toujours
dans nos pensées” illustre bien la dimension temporelle de nos souvenirs. Ils sont vivaces aussi longtemps que nous vivons et, dans une certaine mesure,
plus présents encore quand nous sommes en contact
avec ces 6 pierres. Il serait téméraire de parler d’éternité. Le temps suppose une limite. La vie a une fin,
quelque soit le destin de chacun. Or en choisissant, à
l’aide d’un cadran solaire, de rappeler à nos souvenirs
la mort prématurée de jeunes graduées, les organisateurs du projet ont voulu suggérer la relation qui
existe entre l’homme et le cosmos. Il ne s’agit pas
d’une allusion innocente. Il s’agissait de montrer, à
mon avis, le lien qui unit les hommes depuis l’homme
préhistorique jusqu’à aujourd’hui. Le sentiment religieux d’aujourd’hui est peut-être complètement
désacralisé, il n’en reste pas moins qu’il illustre à sa
manière, les grandes interrogations des humains, face à
la vie et au temps qui passe. Qui suis-je? Où vais-je?
Pourquoi faut-il mourir?
Le cadran peut inspirer d’autres sentiments et réflexions. Je trouve intéressant qu’il se retrouve sur le campus d’une université. Celle-ci est le symbole par excellence du savoir et de la recherche, du progrès de la société, de la victoire sur la peur et l’obscurantisme.
Mais le cadran affiche en même temps le dilemme
d’une institution de haut savoir: plus on en sait, moins
on en sait! Il me semble qu’il nous enseigne la fragilité
de la vie et le besoin de l’humilité...
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