VII, 2, juin 2000 - La Commission des Cadrans solaires du Québec

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VII, 2, juin 2000 - La Commission des Cadrans solaires du Québec
Le cadran vertical de Salisbury, UK (1749)
par André E. Bouchard
Lors d'un récent voyage au Royaume-Uni, j'avais le
plaisir de voir un cadran solaire qui date de plus de
250 ans. Il est situé dans le Wiltshire, sur une maison du cloître de la magnifique cathédrale de Salisbury (gothique anglais du XIII s.). J'avais déjà des
photos de ce cadran, mais il avait attiré mon attention et suscité mon intérêt. Le cadran fait d'ailleurs
partie du répertoire (No 2028) dans la troisième édition du catalogue de la British Sundial Society.
La description
du cadran
Il s'agit d'un cadran Vertical, légèrement déclinant
vers l'Ouest. Sa longitude : 01°47' Ouest, sa
latitude : 51°04' Nord. Cadran peint sur la pierre du
mur de la maison du Cloître de la Cathédrale de
Salisbury, il a été fait en
1749, par un cadranier
inconnu. Il porte une deFig. # 1: Le cadran luivise :"Life's But a Walking
même
Shadow" (La vie n'est rien
d'autre qu'une ombre en
marche). Ses chiffres sont romains ( VII-XII-VI en
passant par IIII ). Les lignes horaires partent d'un
demi-cercle (d'où part le style et où est inscrite l'année), et vont jusqu'à la bordure, où sont aussi dessinées les demi-heures semblables à des tiges tronquées en forme de fleur de lys; les quarts d'heures
et les 5 minutes y sont aussi. Le cadran comprend
en outre des lignes de déclinaison et différentes dates de l'année. Une particularité notable: le chiffre "
1 " de 1749 a la forme de la lettre " J ", peint en
noir sur le fond gris de la table du cadran... La devise et les chiffres (couleur or) entourent la table sur
un fond bleu. Seulement deux signes du zodiaque
ont été peints : la Balance et le Cancer. Le cadran a
été restauré en 1989. Un verset de saint Jean est
venu accompagner le cadran en dessous de celuici.
L'année de sa création et le
calendrier utilisé
En soi, la date de fabrication d'un cadran ne pose
pas problème. Au contraire, le fait de connaître l'an2
Le Gnomoniste
née est un indicateur intéressant et un révélateur
d'un tas de données factuelles ou mathématiques.
Pourtant, il est clair que ce cadran présentait des
particularités intéressantes, car en juin 1989, on a
fixé une plaque sur le mur qui indique ce qui suit :
"An important timely point of interest to the passer-by. In the year of our Lord 1752, the reformation of the Calendar took place. See the Wall Dial
above dated 1749. This Julian Calendar made the
year too short. England adopted the Gregorian or
Reformed Calendar so the day after September
2nd 1752 became September 14th 1752. "
Ce cadran a donc été construit en l'an 1749 du Calendrier Julien! Il a aussi un problème de concordance de dates avec un cadran de la même année
du Calendrier Grégorien. Voyons un peu comment,
et tirons en les enseignements utiles.
Voici un exemple d'incongruités découlant de ce
changement de calendrier pour le monde anglosaxon, alors que partout dans le monde de religion
catholique et universelle le changement s'était fait
depuis longtemps (en 1582)! Prenons un fait connu
de tous les Américains : la date de naissance de
Georges Washington, (premier Président de l'Union
en 1778). En effet, pour ses concitoyens, Washington est né le 11 février 1732 (selon le calendrier Julien toujours en vigueur en Angleterre et dans ses
colonies), alors qu'aujourd'hui on célèbre son anniversaire de naissance le 22 février, comme si le
changement de Calendrier s'était fait en Amérique
bien avant 1752! Intéressant quand même! Revenons donc au cadran, car il est très singulier, et tirons quelques connotations historiques.
Regardons la table du cadran, car elle comporte de
nombreux renseignements.
En plus des lignes horaires, le cadran comprend
des arcs , i.e. les courbes qui vont du solstice d'hiver à l'arc du solstice d'été, en passant par la
droite , appelée équatoriale, des équinoxes. Normalement un cadran avec des lignes de déclinaison
en compte 7 lignes; or ce cadran-ci en comprend
11, ce qui le rend très singulier! 12 lignes horaires
en traits pleins (il manque celle de 6h du matin);
seulement 5 lignes horaires relient l'arc du solstice
d'été à celui du solstice d'hiver; et 7 lignes horaires
rejoignent la ligne des équinoxes; 2 signes du zodiaque sont peints sur la partie Est du cadran : la
André E. Bouchard
Volume VII numéro 2, juin 2000
Balance (23 septembre) et le Cancer (22 juin), mais
seules les dates de 8 autres sont indiquées, sans
leur symbole. En revanche deux dates et leur signe
sont absents : le 22 novembre (Sagittaire) et le 21
janvier (Verseau).
Or je me demande encore si un cadran de 1749 a
été dessiné pour vraiment tenir compte du calendrier Julien? Imaginons une calendrier qui a déjà
pris une avance de 11 jours (en 1752) et demandons-nous donc si toutes les fêtes fixes sont décalées. Difficile de fêter universellement la fête de la
Nòel, ou le début du printemps (le 21 mars de chaque année), si les dates fixes deviennent des dates
mobiles!. De plus, le cadran de Salisbury contient
aussi des lignes de déclinaison et des dates qui me
font m'interroger sur les particularités de ce cadran.
Signalons un dernier détail, car il laisse présager la
connaissance de la notion de l'équation du temps,
et de sa représentation par la courbe en 8.
Fig. # 2: Les lignes de déclinaison
Finalement, sur le cadran des lignes diurnes sont
ajoutées pour commémorer des dates particulières :
du côté Est, le 4 novembre, le 8 octobre, le 8 septembre, et le 8 août; du côté Ouest, le 4 février, le 6
mars, le 6 avril, et le 6 mai. Remarquons enfin
qu'entre la ligne de XII et celle de I , il y a 13 intervalles de 5 minutes au lieu de 12, comme partout
ailleurs.
La plaque sur le mur fait donc référence à un temps
précis de l'histoire de l'Angleterre. Il est intéressant
de rappeler que ce changement de calendrier ne
s'est pas fait sans remous sociaux et politiques. Retenons pourtant qu'une des conséquences du calendrier Grégorien était de fixer la date de l'équinoxe vernal , le 21 mars, qui décidait ainsi que la
date de Pâques serait la même partout dans le
monde. D'ailleurs, dans le monde anglo-saxon, le
"Book of Common Prayer " nous dit comment trouver la fête de Pâques : " c'est toujours le premier
dimanche après la pleine lune qui arrive sur le 21
mars ou vient après cette date; et si la pleine lune
tombe sur un dimanche, alors le jour de Pâques sera le dimanche suivant! " L'une des choses que
l'histoire a retenue, c'est que des parties du monde
n'ont pas adopté ce changement de calendrier; et
que si d'autres l'ont fait, ce ne fut que tardivement.
En Angleterre, il y eut des remous très importants
qui n'ont rien à voir avec le jour de Pâques. En efVolume VII numéro 2, juin 2000
fet, par décret, on venait d'amputer de 11 jours l'année 1752, qui ne compterait que 354 jours pour
s'harmoniser au calendrier civil et religieux des autres états d'Europe. Or les paysans et les marchands anglais manifestèrent leur résistance au
changement, en refusant de payer des impôts et
des taxes, calculés sur une année normale de 365
jours! On dût aussi retrancher proportionnellement
les comptes de taxes...
En regardant le cadran à l'aide d'une autre photo,
on voit bien comment le
style joue son rôle en
tant qu'indicateur d'ombre. Remarquons sur la
tige du style entre les lignes de I et de II un nodule, de forme arrondie,
qui permet de suivre la
projection de l'ombre sur
les lignes horaires (entre
les lignes II et III ) et enFig. # 3: Le style et son
tre les arcs et les dates
nodule
( sous la ligne du 21
AVRIL ).
Le cadran se veut être aussi un
calendrier!
Quelques questions sont restées sans réponses
a) La restauration du cadran de 1989 a-t-elle modifié le style? Et les lignes de déclinaison?
b) L'ombre du nodule qui indique une date aux environs du 22 avril me semble indiquer sa position
exacte en temps moyen, mais qu'en est-il des
autres dates?
c) L'auteur du cadran devait connaître la table de
l'équation du temps, puisque c'est en 1672 que
l'astronome anglais John Flamsteed mit au point
André E. Bouchard
Le Gnomoniste
3
cette table de correction. Mais savait-il que le
français Grandjean de Fouchy, membre de
l'Académie Royale des Sciences, avait eu l'idée
(vers 1730) de transposer ces nouvelles données sur la méridienne des cadrans solaires?
d) Je me pose enfin une question concernant la distribution des dates du calendrier sur le cadran .
Selon Frank W. Cousins, in Sundials , (p. 184-185),
la courbe en 8 d'un cadran VERTICAL devrait suivre l'orientation suivante: § En haut, mettre le mois
de décembre; puis en descendant vers la Gauche
du cadran, mettre - janvier, puis février, et mars jusqu'à AVRIL qui croise la méridienne vers la droite
en descendant vers le bas; puis suit le mois de mai
qui descend vers JUIN au bas du cadran; et la ligne
repasse sur la méridienne et remonte vers la GAUCHE; en mettant juillet et août, en remontant vers
septembre; la ligne recoupe donc de nouveau vers
la droite en continuant son ascension: pour afficher
septembre, octobre et - novembre, avant d'atteindre
décembre, pour redescendre vers la gauche.
Quand on regarde un cadran vertical avec une
courbe en 8, le côté gauche du cadran est négatif
( - ) et le côté droit positif (+). Or le Cadran de Salisbury ne suit pas du tout cette dispersion des mois
de l'année... Est-ce voulu ainsi? L'intention du cadranier était donc d'indiquer non seulement les heures, mais aussi les dates sur son cadran... C'est
donc la représentation des dates du calendrier qui
pose beaucoup de problèmes...
Le simple passant ne voit pas tous ces détails. Mais
il est étonnant de voir comment ce cadran en dit
plus à propos de lui-même et de son époque qu'il
ne le laisse paraître, à première vue. C'est donc un
peu notre travail de permettre une manifestation de
ces connaissances... ne pensez-vous pas?
Le cadran de l'avenue Péronne (à Outremont):
un essai d'interprétation historique
par Mélanie Desmeules
Objets souvent négligés dans l'étude historique, les
cadrans solaires font partie intégrante du patrimoine
architectural du Québec. La chasse aux cadrans ne
fait que commencer, mais il nous faut encore plus
expliquer l'existence et la construction de ces cadrans, permettant ainsi de les replacer dans leur
contexte historique particulier. Le cas du cadran du
21 de l'avenue Péronne, à Outremont, est intéressant à cet égard, car mes recherches ont révélé
qu'il s'inscrit dans un courant architectural particulier
et à un moment précis de l'histoire montréalaise, ce
qui permet de justifier son existence.
ce moment-là et attirent les familles dans ce noyau
résidentiel nouveau. Ainsi, la Maison du 21 avenue
Péronne (coin avenue Robert) est un «cottage».
Remarquons que sur les plans de l'architecte, un
cadran apparaît en ébauche sur un dessin de la
cheminée du mur pignon, orienté vers l'Est. Ce cadran est intégré à la maison comme élément mi-
Ce cadran a été imaginé en 1921, lors de la
conception de la maison. Le contexte historique de
cette époque nous permet de comprendre le développement d'une bourgeoisie érigeant ses demeures à Outremont plutôt qu'à Montréal. Entre 1901 et
1930, en effet, on assiste à une augmentation de la
population montréalaise, et par conséquent du
nombre de riches bourgeois venus chercher dans la
métropole la richesse par la libre entreprise. En revanche, le Golden Square Mile (la banlieue bourgeoise de Montréal très fréquentée de 1850 à 192030), ne peut plus accueillir de nouveaux bourgeois,
totalement saturé de résidences somptueuses. On
assiste alors au développement d'une deuxième
ceinture de villes de banlieue, en bordure de Montréal. Outremont, Verdun et Westmount naissent à
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Le Gnomoniste
Mélanie Desmeules
Fig. 1: La localisation du cadran à Outremont,
en face du Parc de Vimy (53)
Volume VII numéro 2, juin 2000

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