ETRE URBAIN EN AMERIQUE DU NORD (CANADA, ETATS

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ETRE URBAIN EN AMERIQUE DU NORD (CANADA, ETATS
Histoire-géographie :
Concours blanc
Proposition de corrigé
ETRE URBAIN EN AMERIQUE DU NORD
(CANADA, ETATS-UNIS, MEXIQUE)
Un tel questionnement peut surprendre en Géographie, pour une sémantique qui semble
de prime abord renvoyer d’abord à la sociologie. Ce serait toutefois oublier les évolutions
récentes de la Géographie, qui amènent légitimement à envisager ces interrogations, dans le
cadre d’une « Géographie qui n’a plus honte de sa subjectivité » comme l’écrit A. Bailly dans
un article de son ouvrage La Géographie humaniste (1990). Conscient de la portée et des
apports de la Nouvelle Géographie, cet auteur annonce le regard vers les pratiques
territoriales, vers la considération des individus comme actants qui marquent désormais la
Géographie contemporaine.
Être urbain renvoie en effet à des pratiques de la ville par des habitants qui s’y inscrivent
au quotidien, la vivent, en retirent un vécu par les temporalités régulières, répétées et des
plus fréquentes qui fondent en définitive une identité. Personnelle – et donc multiple – comme
nourrie d’apports collectifs, l’identité mêle les pratiques aux lieux qui en sont le siège. Ces
enveloppes territoriales voient les habitants s’y mouvoir et renvoient donc, par leur
description, à des perspectives classiques en Géographie. La ville, le cadre urbain, se
différencient des territoires ruraux par la densité et la verticalité affirmées du bâti, pour des
paysages où ne règnent pas le vert des éléments d’allure naturelle. La ville n’est pas un
ensemble uniforme, tant pour la taille que pour les composantes de son organisation
territoriale. Cette diversité influe sur les identités urbaines, qui ne peuvent être uniques, et
procèdent de logiques diverses. Les sites urbains varient, tout comme les caractères
régionaux qui mêlent tant les critères sociaux que les perspectives économiques. Les très
vastes territoires des trois États à considérer, désormais réunis par l’ALENA (Association de
Libre-Échange Nord-Américaine), sont sources de différences de cadres bâtis en même
temps que les différents niveaux de développement, à saisir à plusieurs échelles, influencent
aussi les pratiques urbaines et, au final, les qualités et identités d’être urbain. Les dynamiques
générales qui animent les niveaux de vie se lisent aussi à travers les qualités d’être urbains.
S’interroger géographiquement – donc être attentif aux composantes territoriales comme
aux rapports que les sociétés nouent avec elles – sur être urbain en Amérique du Nord
renvoie donc à une lecture des différences qui caractérisent ces territoires. Au-delà d’un
questionnement géographique qui s’inscrit dans les tendances les plus récentes, attentives
aux pratiques puis aux paysages et autres composantes territoriales, il s’agit de considérer
que la qualité d’être urbain révèle, par la diversité et les dynamiques, qui animent les
pratiques comme les territoires, les réalités multiples et les différences de développement
entre trois États certes continus, mais vastes, liés entre eux par une intégration
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macrorégionale réduite à des perspectives commerciales comme des regards voire des
décisions réciproques qui souvent traduisent le différentiel de niveaux de vie.
Il conviendra ainsi de décomposer la qualité d’être urbain en montrant tout d’abord que les
pratiques urbaines se placent sous le sceau d’une certaine proximité renforcée. Les
enveloppes territoriales sont à identifier pour leurs fonctions et les pratiques qu’elles
supportent. Il en résulte des gradients dans l’urbanité et la qualité d’être urbain.
I) Des pratiques placées sous le sceau d’une proximité renforcée ?
A) Un inégal règne de l’automobile aux fondements de distances qui
seraient annihilées
L’importance des mobilités urbaines se décline pour toutes les villes d’Amérique du Nord,
quel que soit le niveau de développement considéré. On estime ainsi à 2 millions le nombre
de déplacements quotidiens dans la Communauté métropolitaine de Québec qui comporte
765 000 habitants. Chiffre autrement précis, les déplacements quotidiens moyens des
Étatsuniens atteignent en moyenne 16,3 minutes. Dans la ZMCM (Zona Metropolitana de la
Ciudad de Mexico), les déplacements motorisés sont de 21,6 millions par jour en 2007, contre
20,5 millions en 1994. La durée moyenne des allers-retours domicile-travail s’y établit à 2
heures 15 par jour. Seuls 36 % des habitants passent moins d’une heure par jour dans les
transports, et 19 %, plus de 3 heures.
La déclinaison des modes de transport sollicités s’inscrit dans des tendances socioéconomiques connues. Le règne de l’automobile, l’étalement urbain pensé pour une
accessibilité automobile accrue marquent les paysages des villes au nord du Rio Grande.
D’une manière générale, on compte 818 voitures pour 1000 habitants aux États-Unis, l’une
des plus fortes proportions au monde, contre 598 en France et près de 500 au Canada. Cette
importance se retrouve au niveau urbain. La voiture particulière représente 85,5 % des
déplacements aux États-Unis qui pourtant comptent 362 000 km de lignes de bus, 7 200 km
de trains de banlieue, 2 500 km de métros, 1 900 km de tramways et 380 km de trolleys. Les
mouvements pendulaires traduisent cette réalité, comme à Ottawa où 80 % des
déplacements interurbains sont fondés sur l’utilisation de la voiture. Il faut y voir la pleine
expression de la « dépendance automobile » (due au géographe G. Dupuy dans son ouvrage
éponyme, 1999). Cette dimension sociologique rappelle tant les logiques de l’étalement
urbain que celles du niveau de développement et de sociétés occidentales libérales où,
symboliquement, la voiture individuelle renvoie à un American Way of Life qui laisse une forte
part à l’individuel face aux transports collectifs de l’ancien bloc de l’Est. Le Mexique contraste
davantage. La motorisation générale n’y est que de 72 voitures pour 1000 habitants. Dans la
capitale, certaines familles peuvent toutefois compter 3 voire 4 voitures particulières. Seuls
36,6 % des déplacements intra-urbains sont fondés sur l’utilisation de la voiture à Mexico,
contre 19 % à Puebla (1,5 million d’habitants). Preuve d’une amélioration des conditions de
vie, le poids de l’automobile croît dans les transports urbains à Mexico, puisqu’elle
représentait 17 % des déplacements en 1994 et 29 % en 2007. L’étalement urbain explique
aussi cette hausse.
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Les transports autres, qu’ils soient collectifs et/ou doux, sont aussi en progression et
traduisent les choix sociétaux d’une amélioration du cadre de vie. À Toronto comme à
Montréal, les bus couvrent entre 21 et 22 % des déplacements de l’agglomération, contre
16,5 % à Vancouver et 15,6 % à Calgary. Ils descendent à 14 % à Washington, à 11,5 % à
Chicago et à 10,2 % à Québec. La taille de la ville n’influe en rien, puisqu’ils représentent 6,3
% des déplacements à Portland contre 8 % à Seattle ou 3,8 % à Miami. Les villes de la côte
Est doivent des parts plus élevées aux traditions de voies ferrées et de métro qui sont
moindres ailleurs. À Mexico, les transports publics ou semi-publics représentent 12 % des
déplacements (5 % pour le métro, 1 % pour le trolleybus et 6 % pour les autobus). Les autres
modes de transports révèlent aussi pour certains (taxis, 12 % en 2007) une croissance du
niveau de vie, puisqu’ils n’étaient sollicités qu’à hauteur de 5 % en 1994. Preuve encore de
l’inscription de Mexico dans un pays intermédiaire, où la « débrouillardise » des franges les
plus pauvres est une réalité, les microbus (ou « Combis ») représentent encore 45 % des
déplacements (53 % en 1994). Ces derniers desservent les quartiers les plus pauvres, aux
ruelles sinueuses qui laissent le passage de ce type de véhicules.
Au total, ces flux indiquent pour partie ce que signifie être urbain et participent de la
construction des identités urbaines.
B) Une densité maximale d’équipements pour une réduction des
distances
Les analyses en Géographie urbaine, élaborées pour les sociétés occidentales, opposent
une ville vue comme un lieu pour une proximité organisée (définition portée par un géographe
comme J. Levy qui y voit un lieu fondé sur la « coprésence », ou densité du peuplement
comme des activités) à des territoires ruraux où règne la distance, où les distances
kilométriques sont grandes pour accéder à des fonctions nécessaires au quotidien
(commerces, école…) et confèrent aux distances vécues un poids grand voire un sentiment
accru de manque (travaux d’Y. Jean). Cette proximité organisée trouve à s’exprimer par la
densité des équipements de transports. C’est aux États-Unis que l’offre d’autoroutes urbaines
est la plus élevée au monde (156 m/1000 habitants), contre 121 au Canada.
À ces équipements urbains s’ajoutent des organisations territoriales intra-urbaines qui
renforcent une certaine proximité. La tendance actuelle est à l’émergence d’edge cities, ces
villes-lisières qui, au sein d’une vaste agglomération, tendent à constituer des quasi-pôles
autonomes pour l’emploi, les services et, dorénavant, le peuplement. À l’origine, leur
particularité était de concentrer davantage d’emplois que de logements. La tendance actuelle
est à un renforcement des derniers, qui de fait limitent les distances parcourues. La proximité
s’en trouve renforcée, à l’image de l’« urbanisme insulaire » pointé par le sociologue mexicain
E. Duhau qui montre l’émergence de pôles cumulant des fonctions multiples, complètes, en
dehors des centres traditionnels. Il en va ainsi de Santa Fe à Mexico qui, sur 800 hectares,
présente un paysage de gratte-ciel qui concentrent les sièges sociaux des plus grandes
firmes du pays, près de centres commerciaux sur le modèle du mall américain. Ces
équipements sont complétés par d’autres, à la finalité résidentielle évidente : Barra devient un
quartier couvert de fraccionamientos cerrados, ces quartiers résidentiels fermés et
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hypersécurisés. Bien que marqué par une excellente desserte en direction du centre, ce
quartier gagne une autonomie que les habitants expérimentent désormais par des
déplacements limités.
Les exemples les plus parlants d’edge cities sont localisés au nord du Rio Grande. Des
lieux au dynamisme moindre sont repérables au Mexique, à l’image de Zapopan, à l’ouest de
Guadalajara qui en reste à une approche première du phénomène, nouveau pôle d’emplois
plus que de logements. La ville polycentrique qu’est Los Angeles en compte 28, et l’ensemble
San Francisco/San Jose/Oakland, 20. Une ville comme Salt Lake City en comprend 5 qui
toutes n’ont pas un caractère abouti. Ville-Saint-Laurent, à Montréal, permet de saisir la
logique canadienne. Située à 12 km du centre historique, elle concentre près de 113 000
emplois (10 % du total de l’agglomération), dont près de 30 % pour l’industrie (aérospatiale,
NTIC et biotechnologies). Les logiques résidentielles vont en s’accentuant, influant là encore
sur des pratiques urbaines dans lesquelles la continuité du bâti limite le sentiment de distance
vécue de manière négative.
C) Une proximité territoriale pour une grande proximité sociale ?
Être urbain semble s’inscrire dans l’anonymat pointé par les études sociologiques pour les
villes. Les petits organismes urbains, échelons intermédiaires entre les villages (quel que soit
le terme employé) et les concentrations les plus importantes de populations, donnent une
image de village, terme qui n’est d’ailleurs pas employé aux États-Unis, au profit de
l’expression de « small towns ». Les habitants de ces unités de peuplement sont liés aux
territoires ruraux environnants, pour les services fournis, si bien que la qualité d’être urbain ne
s’y relève pas toujours.
En revanche, nombre de pratiques habitantes en cours de renforcement semblent
confirmer l’amoindrissement du lien social. La fragmentation territoriale est à l’œuvre dans les
villes d’Amérique du Nord pour désigner les réalisations liées aux fermetures et autres
barrières physiques qui apparaissent. De véritables lieux fermés, voulus et recherchés par les
populations aisées ou moyennes, relèvent du choix de se regrouper en raison d’un trait
culturel commun. Les relations sociales urbaines se trouvent bridées par ces territoires clos
que sont les gated communities, offrant des services particuliers aux résidents – et en premier
lieu la sécurité, représentée par la présence d’un garde, parfois armé, à l’entrée. Les hauts
murs encadrent les logements standardisés. Des services complémentaires sont proposés,
qui peuvent aller jusqu’à des golfs, des commerces… lorsque ces lieux s’adressent aux plus
fortunés et sont alors situés aux portes des villes.
Au total, ce premier temps a montré que les pratiques, au cœur de la qualité de l’être
urbain, se caractérisent par la volonté de rechercher une proximité, qui ne doit pas faire
oublier une multitude de pratiques et de déplacements. Si quelques éléments liés à
l’organisation territoriale des ensembles urbains n’ont pu être gommés, un intérêt pour les
composantes urbaines, véritables cadres paysagers et territoriaux, est à relever à présent.
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II) La diversité des enveloppes territoriales des pratiques et du vécu
urbains
A) Les cœurs urbains, fréquentés la journée comme habités
Les paysages comme les lieux des espaces centraux urbains constituent des cadres, des
référentiels obligés dont les dynamiques informent sur l’être urbain. Ces territoires se repèrent
d’abord pour les noyaux initiaux, aux traces historiques et patrimoniales ténues. Le Mexique
et Québec se différencient de ce modèle avec pour le premier des bâtiments datant de la
conquête coloniale (cathédrale, palais du gouverneur) visibles et identifiables dans les
paysages. S’y ajoute le Zocalo, cette vaste place publique. Québec est aussi une exception,
avec le caractère historique maintenu de l’ancienne ville, où l’on pénètre toujours par une
porte aménagée dans ce qui subsiste des murailles, et le maintien de la citadelle. Lorsqu’une
référence historique existe, elle est préservée avec soin, à l’image du Carré dit français de la
Nouvelle-Orléans. La voirie – 31 % de la surface des centres des villes – garde le caractère
rectiligne des débuts, en lien avec le quadrillage en damier. À New York, seule Broadway
contraste par son tracé courbe avec l’ordonnancement des rues et des avenues de
Manhattan. San Francisco et son site de collines ne remettent pas en cause cette vue
rectiligne. Au Mexique, le plan colonial est lui aussi en damier.
Les territoires péricentraux possèdent des caractères propres, qui introduisent une
complexité supplémentaire dans les identités urbaines. L’existence de quartiers marqués au
niveau socio-économique comme communautaire est une réalité de l’Amérique du Nord et à
différents degrés. Les plus grandes villes sont concernées par ces phénomènes bien connus.
Aux États-Unis, le Skid Row est cette « auréole de dégradation », faite de friches urbaines
comme de bâtiments mal entretenus. Les quartiers à connotation ethnique s’y succèdent à
l’intérieur comme aux abords, à l’image de Koreatown à Los Angeles, de Little Saigon dans le
comté d’Orange (Los Angeles) ou de Little Havana à Miami. Les Chinatowns des villes
étatsuniennes comme canadiennes s’inscrivent dans ces mêmes tendances. Les tendances
sont toutefois autrement marquées au Canada comme au Mexique. La pauvreté est plus
éloignée du centre au Canada, dans des territoires correspondant à la première ceinture de
banlieues. Surtout, le terme de ghetto, employé pendant longtemps pour les États-Unis, ne
peut correspondre à la réalité canadienne. Les formes de ségrégation qui étaient à l’œuvre
pour Harlem par exemple, induisant une multitude d’identités urbaines, ne sont pas fondées
sur la couleur de la peau au Canada ou l’origine pour les immigrants. Au Mexique, les
quartiers informels s’accordent mal avec la réalité d’anciens ghettos, localisés dans des
bâtiments dégradés, mais en dur et non en objet de récupération comme à l’origine de ce
mouvement spontané.
Les territoires centraux ne sont plus ceux d’un habiter décrié et fui, qui a conduit à une
crise par les pertes démographiques enregistrées. Une véritable gentrification s’observe, pour
les villes les plus importantes au nord du Rio Grande qui voient alors une croissance des
populations centrales. Les origines du mouvement résident dans la recherche de modes de
vie différents, avec, notamment, la réduction des navettes quotidiennes. Au Canada, la
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volonté d’une proximité avec des aménités culturelles, contenues dans les centres, en est une
autre. À Toronto, les quartiers de la gentrification se situent ainsi dans la première auréole
entourant le centre historique strict, à proximité de territoires attractifs et aisés maintenus dans
cette situation. Cabbagetown, Don Vale ou The Annex sont des quartiers gentrifiés, à l’origine
habités par des immigrants irlandais, et soumis à une pression immobilière multipliée à partir
des années 1960 et de l’intérêt croissant des couches moyennes-supérieures. Des
dynamiques semblables existent au Mexique, tout en étant plus récentes. Mais alors que ce
mouvement a été spontané aux États-Unis comme au Canada, il procède au Mexique
d’impulsions institutionnelles pas toujours tournées vers les effets induits d’ailleurs. Dans le
District Fédéral, une politique récente limitant la construction dans les quartiers périphériques
en vient à influencer de fait une gentrification et induit une densification des quatre ensembles
centraux (Cuauhtémoc, Benito Juarez, Miguel Hidalgo et Venustiano Carranza). Les résultats
attendus sont rapidement escomptés : en 2000, 30 % de l’offre privée nouvelle de logements
se situait dans les quatre ensembles centraux, contre 72 % en 2005. Les logements construits
sont toutefois davantage destinés à des catégories aisées ou moyennes, pour des
populations pauvres gagnant les quartiers périphériques.
B) Les périphéries urbaines : une multitude de réalités
Les périphéries urbaines, une fois l’auréole dégradée franchie, acquièrent un statut
résidentiel affirmé. L’étalement urbain (ou urban sprawl) donne lieu à des réalités paysagères
variées. Au nord du Rio Grande, la part moyenne de territoire occupé par habitant a cru de 20
% entre 1990 et 2010. Ces banlieues concentrent 60 % de la population des États-Unis
aujourd’hui, pour des territoires marqués par une standardisation de l’habitat, avec une part
accrue de verdure, mais un lien affirmé avec des équipements urbains qui ne sauraient
associer ces vastes ensembles à des territoires ruraux. Les fronts d’urbanisation progressent,
montrant une recherche de ce type de cadre paysager et de lieu habité. À Phoenix,
l’urbanisation gagne 1 km en moyenne chaque année. La population centrale de Montréal
croît de 2,3 % entre 2001 et 2006, mais cette hausse monte à 30 % dans des entités comme
Vaudreuil-Dorion, Saint-Colomban, Blainville et Mirabel, et près de 15 % pour Laprairie,
Terrebonne, Mascouche ou Chambly, ensembles territoriaux bien reliés par des autoroutes
performantes.
Les vécus urbains sont marqués par la diversité des niveaux socio-économiques en
présence. Les banlieues américaines sont certes liées au rêve des classes moyennes d’une
maison individuelle avec jardin, composantes majeures du paysage de la banlieue
américaine. Cet idéal individuel se marie à l’origine aux recherches de cadres d’allure
naturelle. Une autre figure majeure de certaines banlieues pauvres est le mobil home. Peu
coûteux, impliquant des impôts minimes, il se fait lieu de vie à part entière pour les
populations paupérisées où les retraités croissent. Les trailers parks (« parcs de maisons
mobiles ») sont évalués à 35 000 aux États-Unis, pour parfois 1000 logements de ce type.
Leur existence est plus réduite au Canada, en raison de la rudesse du climat notamment et
des aides publiques plus importantes envers le logement social. Au Mexique, l’époque
actuelle ne peut que rappeler les progrès enregistrés dans certaines périphéries, à l’image de
l’ancien bidonville de Nezahualcoyotl, aujourd’hui banlieue industrieuse et peuplée, mais
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toujours pauvre. La diversité mexicaine s’exprime aussi à travers les constructions sous la
forme de tours et de barres d’immeubles, avec une forte densité de population (jusqu’à 400
habitants/hectare). Ces constructions en dur, sur le modèle des logements sociaux, mais avec
une accession possible à la propriété, rassemblent par exemple 15 % de la population totale
de la zone métropolitaine de Mexico.
En définitive, la diversité des paysages des périphéries urbaines rappelle les possibilités
comme les freins pour certaines pratiques.
C) La pratique ponctuelle d’un vaste « hinterland » urbain
Au-delà des fronts d’urbanisation, des territoires parfois très vastes, mais concernés
ponctuellement par les loisirs des urbains, loisirs répétés selon des temporalités régulières et
hebdomadaires. Il en va ainsi de Mexico Xochimilco, lieu de canaux et de jardins flottants (les
chinampas) pour des promenades en barques (trajineras) à destination de populations de
toutes catégories sociales. On compte jusqu’à 600 000 visiteurs en fin de semaine, pour une
subdivision administrative de 400 000 habitants. Il faut y voir l’entrée évidente dans une
société des loisirs, où le temps libre est synonyme de délassement familial et d’attractions.
Des parcs de loisirs à thème émergent auprès des populations plus aisées du nord du Rio
Grande. Les parcs Disney en sont la marque la plus flagrante. Mais les urbains étendent
aussi leur influence par les résidences secondaires. Cette notion ne trouve pas la même force
aux États-Unis qu’au Canada. Dans le premier, seules 3,5 millions de résidences secondaires
sont recensées en 2001. La Nouvelle-Angleterre concentre l’essentiel de ces logements, pour
les urbains de la Megalopolis donc. Pour la seule ville de Montréal, le chiffre s’élève à
251 000 propriétaires de résidences secondaires, situées dans un rayon allant jusqu’à 100
km.
L’étude des cadres territoriaux majeurs permet, outre le fait de montrer les multiples
composantes des villes, de saisir déjà des " habiter" différents et l’impossibilité de répondre de
manière univoque dans l’interrogation de ce que signifie être urbain en Amérique du Nord. La
confrontation entre les pratiques et les lieux permet de saisir au mieux les différents gradients
d’être urbain en présence.
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III) Des gradients dans la qualité d’être urbain ?
A) Une hyper-urbanité nord-américaine ?
La résidence dans les centres, ajoutée à leur pratique au quotidien, s’inscrit dans une
hyper-urbanité. Les distances parcourues et vécues sont de fait réduites. La tendance est
exacerbée dans le cadre des territoires liés aux processus de ségrégation auparavant décrits
et qui se maintiennent pour partie. La proximité entre lieu de résidence et lieu de travail se fait
grande ici. C’est ici que les niveaux de développement trouvent à s’exprimer. Les centres
urbains mexicains voient en ce sens nombre de petits vendeurs ambulants et autres vendeurs
à la sauvette, qui s’inscrivent dans les stratégies de survie d’un État encore intermédiaire.
Cette hyper-urbanité semblerait se construire à l’encontre des territoires ruraux. C’est
oublier toutefois que le cadre d’allure naturelle occupe une place fondamentale et que les
sociétés en présence le recherchent, y compris à proximité des lieux les plus densément
peuplés. Tout cadre est susceptible de fournir un lieu de pratiques récréatives, à l’image du
Navy Pier de Chicago, situé au centre du front d’eau du Michigan. De plus d’un kilomètre de
long, cette promenade fait l’objet d’une requalification inaugurée en 1995, à l’aide de
financements publics (ville et État de l’Illinois) comme privés. Cette réalisation accumule des
lieux de loisirs (manège, piste de patinage, Grande Roue) et des infrastructures d’affaires
(centre de congrès et de séminaires). Ces lieux participent de l’identité urbaine et diversifient
les cadres paysagers. Au Mexique, les grandes places publiques, mais surtout les parcs
urbains nés au moment de la colonisation et maintenus par la suite occupent une place
semblable.
Une logique particulière apparaît-elle en fonction de certains critères comme la taille des
villes ou leur orientation économique affirmée ? Toutes s’inscrivent dans ces tendances. Tout
au plus peut-on relever les identités particulières qui animent des villes spécialisées dans
certains secteurs. L’hyper-urbanité des villes industrielles du Nord-Est américain présente un
regard particulier vers une patrimonialisation de hauts-lieux de l’industrie triomphante. À
Minneapolis, le Mississippi Mile s’étend autour des chutes de St Anthony, à l’origine de
l’industrialisation de la ville par l’hydroélectricité fournie. Le Mill Ruins Park, ouvert en 2001,
met en avant des ruines des premières activités industrielles (production énergétique et
industries de l’alimentaire) et s’inscrit dans ce Minneapolis Riverfront District, voulu comme
lieu de mémoire comme de loisirs. Les villes touristiques bouleversent aussi la donne
générale. Las Vegas montre une hyper-urbanité dont les paysages s’inscrivent dans une
logique de postmodernité. À Cancun, le noyau villageois initial est des plus marginaux face à
la montée d’un front de mer qui, en retour, traduit une double centralité pour les habitants du
lieu.
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B) Une urbanité spécifique aux périphéries ?
Les distances parcourues sont ici les plus importantes, ce que le cadre paysager continu
tend sans doute à limiter. Les logiques purement insulaires peuvent exister et signifient que
les pôles de peuplement tendent à constituer des entités marquées par des identités fortes et
une suffisance des équipements présents.
Cette situation périphérique se traduit aussi par une urbanité moindre, que montrent des
dynamiques en cours. Les logiques pour un habiter urbain amélioré s’y manifestent, à l’image
des éco-quartiers qui sont pour partie développés dans ces territoires. Les réactions qui
émergent parfois rappellent les mobilisations urbaines qui participent aussi de la construction
des identités urbaines. Au Canada, à Lac-Beauport située à 20 km au nord de Québec, le
projet d’éco-quartier Silva suscite l’opposition d’une partie des habitants et la mobilisation
autour de la tenue souhaitée d’un référendum depuis le début de 2012. La doléance majeure
des résidents porte sur l’augmentation de la circulation automobile, que générerait la
construction de 291 unités de logements, conçues selon un principe écologique prévoyant 60
% d’espaces verts dans ce nouveau quartier (pour 10 % préconisés par les autorités). On le
voit, vivre dans des périphéries urbaines suppose parfois un regard plus grand envers les
éléments naturels. Ces derniers se trouvent " objet" de conflits et la montée des
revendications pour la préservation du cadre de vie est une réalité sensible qui émerge, y
compris en périphérie des villes du Mexique. À la fin des années 1990, à Guadalcázar, au
nord de la ville de San Luis Potosí, les habitants les plus proches d’une décharge « sauvage »
de déchets industriels dangereux, mise en place dès le début des années 1990, se mobilisent
pour la fermeture de ce site. L’obtention des revendications ne met pas fin au conflit, puisque
ce même endroit est ensuite vendu par le gouvernement fédéral à une entreprise américaine
pour en faire une décharge légale. Le danger suscité par de tels déchets entraîne la
mobilisation d’acteurs publics nombreux, dont l’antenne mexicaine de l’ONG Greenpeace,
mobilisation marquée par une radicalisation certaine. Le classement du site en zone naturelle
protégée, décidé par l’État fédéré, est un soutien à la municipalité ayant refusé de délivrer le
permis de construire. La victoire est obtenue avec le retrait total du projet en 2000.
Les règles françaises d’orthographe excluent de mettre une marque du pluriel à tout verbe
substantivé. Force est pourtant de constater qu’il n’y a pas une seule situation d’être urbain,
que les pratiques nécessaires comme les cadres paysagers influent sur cette multitude. De
fortes correspondances apparaissent pourtant, notamment autour d’une réduction des
distances et de la nature de mise en relation des habitants avec les services les plus
courants, voire plus rares. Ce dénominateur commun se lit à travers l’ensemble des territoires
urbains de l’Amérique du Nord. Les dynamiques en cours montrent à l’évidence le statut
intermédiaire du Mexique, dont les sociétés urbaines s’ancrent désormais, pour nombre de
leurs membres, dans une diversification des pratiques et l’accès des loisirs. Les villes et leurs
pratiques matérialisent au mieux ces réalités.
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Au total, un tel questionnement reflète bien ce qu’est l’ensemble Canada, États-Unis,
Mexique. Rassemblés parfois sous l’expression d’Amérique du Nord, ils se trouvent, à travers
la perspective urbaine et de son habiter, appréciés à une valeur juste : un ensemble légitimé
par l’intégration macro régionale devenue fondamentale qu’est l’ALENA, sans pour autant
induire une uniformisation totale.
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