RP255 Dubourthoumieu..

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RP255 Dubourthoumieu..
nouveau
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repéré
pa r
la
r é d a ct i o n
Gwenn
Dubourthoumieu
Au coeur de l’humanité
Lauréat du prix Sophot et finaliste de la Bourse du Talent dans la
catégorie reportage, Gwenn Dubourthoumieu est venu nous voir à la rédaction avec des photos poignantes et
puissantes. Depuis 2010 ce jeune photographe de 34 ans, a démissionné de son métier d’humanitaire quand il
a découvert la République Démocratique du Congo, ses enfants sorciers, ses “mangeurs de cuivre” et les Palais
de Mobutu. Trois histoires dont il nous dévoile l’envers du décor. Portfolio et entretien.
2 Réponses Photo • n°000 mois 201X
n°000 mois 201X • Réponses Photo 3
Les quatre photos ci-contre
à gauche comme celles de
la double précédente font
partie du reportage de
Gwenn Dubourthoumieu sur
les enfants sorciers de
Kinshasa réalisé entre
novembre 2010 et mars
2011. A Kinshasa on
compte entre 20 000 et 50
000 enfants abandonnés
dont deux tiers sont accusés
de sorcellerie. Gwenn s’est
rapproché des ONG qui
s’occupent de ces enfants
jetés à la rue et les a suivi,
souvent la nuit et dans les
centres d’accueil où ils
dorment à même le sol. La
grande pauvreté pousse les
familles kinoises à se
débarasser d’eux et
l’accusation de sorcellerie
est devenu un moyen
acceptable de le faire. Ils
sont parfois torturés, voire
même tués... Certains
survivent en faisant des
petits boulots (ici un enfant
imite Michael Jackson dans
les quartiers animés de
Kinshasa, d’autres sniffent
de la colle...
“En 1967, deux ans après son
coup d’Etat, Mobutu transforme
les quelques hameaux près
desquels il avait grandi. Au
cœur de la brousse, à
Gbadolite, apparaissent
soudain un barrage, une
centrale hydroélectrique, un
aéroport doté de la plus longue
piste d’Afrique centrale et trois
Palais”.
Aujourd’hui, 14 ans après
voilà ce qu’il reste de cette
démesure. Les Palais sont “
rongés par le climat, dévastés
par les pillages, envahis par la
brousse”. L’ensemble est
contrôlé par les militaires de
Laurent Desiré Kabila et il n’a
pas été facile pour Gwenn de
ramener ces images
témoignage de l’opulence du
règne de Mobutu.
4 Réponses Photo • n°000 mois 201X
n°000 mois 201X • Réponses Photo 5
Pendant deux ans, de début
2010 à début 2012,
Gwenn s’est intéressé à la
situation des “mangeurs de
cuivre”, titre de son
reportage qui lui a permis
de remporter le prix Sophot.
Le cuivre est une des
principales richesses de la
RDC. “Lors de la crise
sociale qui a touché la
République Démocratique
du Congo à la fin des
années 1990, “creuser” est
devenue l’unique alternative
pour des milliers de
chômeurs désœuvrés –
professeurs, étudiants,
licenciés en droit ou anciens
mineurs de la Gécamines
accumulant plusieurs
années de salaires impayés.
Sans protection sociale, ni
avantage en nature, armés
de simples pioches et de
pelles, ils continuent
aujourd’hui d’exploiter
comme ils le peuvent les
remblais des carrières
épuisées par la Gécamines,
tentant toujours de découvrir
de nouveaux sites, malgré
les risques mortels auxquels
ils s’exposent chaque jour.
Ces deux cent mille
hommes, auxquels
s’ajoutent trente mille
enfants et quantité de
femmes, sont cependant
chassés de carrière en
carrière par l’extension des
exploitations industrielles,
relégués dans vingt-quatre
zones autorisées par le
ministère des Mines”.
Gwenn a documenté cette
situation saisissant à l’aide
de son Canon 5 D et d’un
24-70 mm f:2,8, des
images qui semblent d’un
autre temps...
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n°000 mois 201X • Réponses Photo 7
Gwenn Dubourthoumieu
Finaliste de la Bourse du Talent, Bourse Getty, Prix Sophot, lauréat du
prix du festival de St Brieuc et du prix Scam-Roger Pic... à 34 ans
Gwenn Dubourthoumieu appartient à cette jeune génération de
reporters qui pour documenter le monde produisent leurs sujets sans
trop compter sur la presse. Son reportage sur les ‘mangeurs de cuivre”
sera exposé à la galerie Fait et Cause à Paris jusqu’au 20 juillet, puis à
Bruxelles à la galerie Ikono jusqu’à fin octobre.
Comment es-tu passé du travail
humanitaire à la photo de reportage ?
Entre 2004 et 2010, je réalisais des missions
pour des ONG en tant que coordinateur
de projets de déminage et consultant pour
l’ONU. En 2010, je me trouvais en République Démocratique du Congo (RDC) et,
brutalement j’ai démissionné…
Ah bon, comme ça, tout à coup ?
L’idée de devenir photographe me trottait
dans la tête. Quand je suis parti en Somalie
en 2004, j’avais acheté un compact pour garder des souvenirs. Sur place, j’ai hébergé une
photographe pro qui m’a initié à la photographie. Au retour, en 2006, je me suis acheté un
reflex. En 2007, je débarque en RDC et là, je
prends une claque. Ce pays est hallucinant
visuellement. J’étais basé à Mbandaka, une
ville où il y a entre 200 000 et 700 000 personnes qui vivent sans eau, ni électricité, ni
carburant, tout le monde circule à pied ou
à vélo... J’ai donc fait beaucoup de photos
pour documenter cette ville qui me semblait hors du temps avec ces immeubles de
l’époque coloniale belge... J’y ai rencontré
une personne qui m’a proposé de faire des
photos pour Acted, association qui s’occupe
de projets de développement.
C’était ta première commande ?
Oui et ma première rémunération. Après,
en 2009, Acted m’a commandé un reportage au Tchad et pour la première fois j’ai
pensé devenir professionnel. En 2010, je me
présente au Tremplin Photo de l’EMI-CFD,
un concours qui permet de gagner six mois
de formation au photojournalisme. Si j’avais
été pris, il fallait que je quitte mon boulot...
Je n’ai pas été choisi mais l’idée a fait son
chemin. Mon poste a été délocalisé dans
un coin paumé de la RDC qui ne m’attirait
pas. J’ai donc demissionné et me suis donné
quelques mois pour réussir là-bas. J’ai rencontré des photographes dont j’admire le
travail comme Cédric Gerbehaye ou Colin
Delfosse qui ont aussi travaillé dans le pays.
D’avril à juillet 2010, j’ai travaillé pour des
ONG en tant que photographe et, à la fin de
mon séjour, j’ai été contacté par l’AFP qui
m’a proposé de bosser à la pige et de me loger à Kinshasa. Ce que j’ai fait pendant deux
ans. A présent mon contrat est fini et je suis
rentré en France car je viens d’être papa...
Revenons au Congo et à ces histoires que
8 Réponses Photo • n°000 mois 201X
nous publions, notamment celle des
enfants sorciers à Kinshasa...
J’ai réalisé ce reportage de novembre 2010
à mars 2011, cela faisait quelques mois que
j’habitais à Kinshasa, capitale de la RDC,
huit millions d’habitants dont 90% sous le
seuil absolu de pauvreté. En réalité c’est un
immense bidonville où les familles se disloquent et se recomposent. Du coup, il y a
souvent trop de bouches à nourrir dans la
même famille. L’accusation de sorcellerie
est un moyen “acceptable” de se débarasser
des enfants. La sorcellerie est ancrée dans
les traditions depuis des générations mais
le fait d’accuser les enfants date d’une vingtaine d’années environ. Cela correspond à
la chute économique du pays. La pauvreté
a favorisé l’émergence des églises évangéliques, qu’on appelle églises de réveil, et ce
sont elles qui ont développé ce phénomène.
Il suffit qu’un enfant soit un peu bizarre ou
qu’il ait une maladie, pour que la famille aille
consulter le pasteur - en le payant ! - et que
celui-ci le diagnostique sorcier. L’enfant est
abandonné mais aussi parfois torturé, voire
même tué… Les enfants sont des proies faciles, ils sont crédules et fragiles. Il y a entre
20 et 50 000 enfants dans les rues dont deux
tiers sont des enfants sorciers. Ils vivent en
bande, les jeunes adultes organisent le trafic : vol, prostitution mais aussi parfois des
petits boulots comme faire la circulation ou
la plonge pour quelques billets.
Comment as-tu fait pour les suivre ?
Je suis rentré en contact avec des ONG qui
s’occupent d’eux. Les animateurs de ces
associations sont souvent d’anciens enfants
des rues. Je les ai surtout suivis la nuit, dans
la rue ou dans les centres d’accueil. Le plus
dur c’était de pénêtrer dans les églises et
d’assister aux exorcismes. Je savais que mon
reportage ne serait pas complet si je n’avais
pas ces photos.
Avec quel matériel as-tu travaillé ?
J’avais juste un Canon EOS 5D Mark II et un
24-70 mm f:2,8. Le 24-70mm est très polyvalent, et je peux le porter en bandoulière
avec le boitier. Pareil pour la post-prod, je
fais simple, Lightroom et c’est tout. J’ajuste
un peu le contraste et la luminosité. C’est un
logiciel très intuitif et pratique pour légender
et rentrer des mots-clés.
Toujours en quête d’histoires, tu
t’intéresses aux Palais de Mobutu et aux
mangeurs de cuivre, pourquoi ?
Les deux reportages sont révélateurs de ce
qu’est la RDC, un pays plein de richesses
dont les populations ne profitent pas. Les Palais de Mobutu se trouvent à Gbadolite, son
village natal. C’est là qu’il organisait des fêtes
somptueuses avec les chefs d’état étrangers,
les apparatchiks du régime et les expatriés.
Tout est à l’abandon désormais et géré par
les militaires de Kabila. De ce fait, ce n’est
pas facile d’y pénétrer. J’y suis parvenu grâce
à des contacts que j’avais eu du temps où je
travaillais pour des ONG. En ce qui concerne
les “mangeurs de cuivre”, il faut savoir que
la ceinture de cuivre Kangalaise proche de
la frontière avec la Zambie, recèle 10 % des
réserves mondiales ! C’est ce qui a fait vivre
Mobutu pendant 30 ans et représentait 85
% des revenus du pays à la fin des années
80… La libéralisation du secteur minier, sous
le contrôle de la Banque Mondiale en 2000, a
été un désastre. A l’époque de Mobutu tout
n’était pas rose, le cours était à 3000 $ mais
les mineurs avaient un logement de fonction,
un salaire et leurs enfants accès à l’éducation. Tout a été démantélé, des grandes entreprises ont acheté le terrain et se moquent
des conditions de travail des mineurs. Ils
travaillent sans protection, creusent presque
à mains nus ! .Le cours du cuivre, lui va bien,
a atteint un sommet en 2011, à 10 000 $ la
tonne ! J’ai pu finir ce reportage qui m’a pris
deux ans grâce à la bourse du festival de St
Brieuc.
Justement les bourses parlons-en... Tu
viens de remporter le prix Sophot et tu as
eu la bourse Getty, ces prix sont devenus
indispensables pour mener à bien ton
travail de documentation du monde, non ?
Sans être indispensables, ils sont appréciables d’autant que le montant des publications suffisent rarement à financer une
reportage au long cours. Souvent les bons
sujets, on le sait, il faut les financer soimême. Le prix Sophot va me permettre
d’exposer à la galerie Fait et Cause jusqu’au
20 juillet. Un beau lieu, bien placé dans Paris. Ensuite l’expo sera présentée à la galerie
Ikono à Bruxelles jusqu’en octobre. Je suis
très content d’exposer en Belgique, c’est la
première fois et le public belge sera forcément réceptif à mon travail. La RDC étant
une ancienne colonie...
Propos recueillis par Sylvie Hugues
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