Les médecins sont-ils réellement imperméables aux

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Les médecins sont-ils réellement imperméables aux
Les médecins sont-ils réellement imperméables aux principes de la politique de santé ? une analyse textuelle de la
déontologie et des conventions médicales
Philippe ABECASSIS (GEAPE, Université d’Angers et FORUM),
Philippe BATIFOULIER (FORUM, Université Paris X-Nanterre),
Isabelle BILON (FORUM, Université Paris X-Nanterre),
Frédéric GANNON (CERENE, Université du Havre et FORUM),
Bénédicte MARTIN (CERENE, Université du Havre et FORUM).
Résumé
La difficile régulation du système de santé français est souvent imputée au pouvoir d’opposition des médecins. Ce texte relativise cette conception. L'analyse
textuelle des codes de déontologie et des conventions médicales sur longue
période révèle une certaine naturalisation du référentiel "marchand" d'action
publique.
1. INTRODUCTION
Le terme "réforme" a pris un sens particulier depuis quelques années. Il met
davantage l’accent sur la nécessité de recourir aux mécanismes de marché et
suscite un discours de combat à la réforme qui dénonce la "privatisation de la
santé". Il reste pourtant à faire la preuve de l’arrivée de mécanismes marchands
dans le système de santé. On peut souligner au contraire que l’Etat n’est jamais
autant intervenu dans la politique de santé que ces dernières années, du fait
d’une part de l’orientation beveridgienne croissante du système de santé, que
l’on ne retrouve pas dans d’autres secteurs de la protection sociale française et,
d’autre part des processus de "planification de la santé" (Barbier et Théret,
2004). Cette prise de pouvoir de l’Etat sur la santé s’accorde peu avec l’idée
d’une privatisation, au sens commun du mot.
Pour autant, l’importation dans le domaine de la santé, de concepts venus du
secteur privé (notamment la comptabilité analytique ou les techniques assurantielles) peuvent conduire à crédibiliser un sentiment de privatisation. Plus encore, le succès grandissant en matière de santé de la notion de concurrence offre
un témoignage du recours croissant au marché en réponse aux "défaillances" de
l’État et à son désengagement.
La mise en concurrence des acteurs de santé s’observe aussi bien en médecine ambulatoire (avec la concurrence des assureurs pour le financement d’une
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part complémentaire en croissance) qu’en médecine hospitalière (avec la T2A et
la concurrence par comparaison ou Yardstick competition). Les désormais incontournables méthodes de benchmarking font office de critère de "bonne gestion" et permettent de mesurer la performance d’un système de santé, d’un hôpital, d’une mutuelle, en comparaison avec la performance des autres. La compétition est alors la source de l’efficacité.
Si l’idée de concurrence est intimement liée à celle de marché, elle n’est pas
présentée comme une idéologie mais comme une "mécanique" pragmatique.
Elle ne se veut donc pas d’inspiration libérale. Au contraire, le renforcement de
la concurrence en santé a besoin de l’Etat (Rochaix, 2004). C’est en effet l’Etat
(ou plus généralement les organismes de tutelle) qui s’emploie à diffuser la
mécanique concurrentielle. Le développement de la concurrence dans le secteur
de la santé relève d’une politique volontariste des pouvoirs publics, conciliant
efficacité (réduction des dépenses sans sacrifier la qualité des soins) et équité
(éviter la sélection des risques par exemple).
L’orientation marchande (ou concurrentielle) de l’État est alors justifiée au
nom de critères d’efficacité qui se veulent neutres et s’appuient sur des données
"scientifiques". L’hypothèse qui soutient ce travail est que la mécanique concurrentielle ne peut pas être déconnectée de l’idéologie car elle influence les représentations. Elle produit du sens en pointant les problèmes jugés importants, en
délimitant l’espace des solutions, en indiquant aux acteurs les ressources pertinentes, en forgeant un régime des "bonnes idées", etc. Elle conduit à la diffusion
d’un référentiel marchand sur lequel les individus vont davantage s’appuyer
pour interpréter les règles (Abecassis et Batifoulier, 2004).
Ainsi, nous considérons que la politique de santé ne fait pas que transformer
les comportements, elle transforme aussi les représentations du comportement
qu’il convient d’adopter dans telle ou telle situation. Elle modifie ainsi la définition, chez les acteurs et chez les médecins particulièrement, d’un comportement
légitime. La vision du professionnel, sourd à toute tentative de régulation marchande, doit alors être relativisée.
La dépolitisation de la notion de concurrence, en produisant un discours qui
se veut universel et naturalisé, est un puissant vecteur du formatage marchand
des problèmes économiques de santé. Elle donne une légitimité qui voile la
violence du cadrage marchand de la situation en faisant apparaître la concurrence comme incontournable et en orientant l’arbitrage des acteurs entre différentes façons de juger.
Notre analyse cherche à repérer la pénétration de cette conception marchande" du monde dans les argumentaires des acteurs. Notre travail a alors davantage vocation à porter sur des mots que sur des chiffres. L’étude ordonnée
d’un corpus de textes influents, élaborés ou co-élaborés par la profession médi-
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cale, permet d’étudier l’évolution des représentations et d’accéder à la manière
de penser privilégiée à un moment donnée.
La première partie présente le corpus de textes analysés : codes de déontologie et conventions médicales sur plusieurs années. Ce corpus est soumis à une
analyse lexicale réalisée avec le logiciel ALCESTE qui permet de classer les
occurrences de mots pour dégager des mondes lexicaux particuliers. Le passage
lexical d’un monde à un autre serait l'annonce d’un changement de justification
et donc d’une expérience sociale différente.
Forte de cette analyse statistique sur un corpus de textes de la profession, la
seconde partie cherche à identifier des mondes sociaux. Elle mobilise l’analyse
empirique des justifications pour accéder aux représentations sociales. Dotant
les individus d’une pluralité de façons de juger, on cherche à recenser ce qui est
mis au premier plan, à un moment donné, par les acteurs et qui constitue donc la
manière de penser dominante. Dans cette perspective, les cartes cognitives mise
en évidence révèlent une forme d’imprégnation marchande croissante avec le
temps, dont on dégage les contours dans cette partie.
2. TEXTES DE LA PROFESSION MEDICALE, REPRESENTATIONS
ET ANALYSE TEXTUELLE
Il est difficile d’accéder aux représentations des acteurs. Un des moyens d’y
parvenir est de supposer que les textes publiés ou co-publiés par la profession
médicale constituent une expression de l’argumentation professionnelle. La
catégorisation mais aussi la compréhension de leur langage, tel qu’il apparaît
dans le verbe médical, permet de restituer les modèles utilisés par les acteurs
(Defalvard, 2003). L’analyse des données textuelles, rarement utilisée en économie, permet à la fois d’identifier une pluralité de façon de penser et de dégager les représentations dominantes à un moment donné de l’histoire du système
de santé français. Ce travail vise en effet à mettre en évidence le passage d’un
registre de justification à un autre à partir de l’argumentaire contenu dans les
textes du corpus.
2.1. Les textes de la profession : deux types de règles conventionnelles
On entend par textes de la profession, les textes qui orientent la conduite
économique des médecins et qui sont rédigés en totalité ou en partie par la profession elle-même. On recense deux types de textes : les textes déontologiques
et les textes juridiques. Les premiers ont pour objet de fixer les rapports entre
confrères d'une part et entre médecins et patients d'autre part. Les textes juridiques (les conventions médicales) fixent quant à eux les rapports entre les professionnels et la tutelle. Ces deux types de textes, qui régulent effectivement
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l’activité médicale, permettent de mesurer les argumentaires que les médecins
peuvent employer vis à vis de leurs interlocuteurs.
Les textes de la déontologie (codes de déontologie, serment d’Hippocrate,
etc.) se présentent comme un catalogue de l’interdit. Le code proscrit en effet la
discrimination dans l’accès au soin, la publicité, la compétition, etc. Il le fait au
moyen de formules abstraites et lapidaires qui semblent relever de bons sentiments (par exemple l’article 19 : « la médecine ne doit pas être pratiquée
comme un commerce » ou l’article 56 : « les médecins doivent entretenir entre
eux des rapports de bonne confraternité ») mais qui permettent au conseil de
l’ordre d’interdire d’exercer.
La déontologie ne constitue pas, pour autant, un ensemble de règles de droit
car elle n’est pas soutenue par des sanctions juridiques. Cependant, le respect de
la déontologie n’est pas étranger à sa capacité coercitive et même si les textes
déontologiques ne sont pas la loi, ils font "force de loi "1. La définition de la
convention proposée par Weber semble alors offrir un moyen de capter les règles déontologiques en médecine. Une convention est « une coutume dont la
"validité" est approuvée au sein d’un groupe humain et qui est garantie par la
réprobation de tout écart » (Weber, 1971, p. 69). Elle expose le contrevenant à
un "boycott social" de son "milieu environnant" sans pour autant avoir besoin
d’instance juridique pour faire respecter la contrainte.
Ceci est particulièrement vérifié pour les relations entre médecins où le code
est un support à la menace exercée par les pairs sur chaque médecin. Le conseil
de l’Ordre, qui édicte et est en charge du respect du code, organise ainsi la
concurrence entre médecins en sanctionnant et en organisant le boycott du
contrevenant à la déontologie2 .
Le deuxième type de textes de la profession est constitué par les conventions
médicales, qui sont des conventions collectives. S’il administre l’exercice médical et a la charge du respect de la déontologie, l’Ordre des médecins n’a pas
compétence dans la régulation contractuelle. Les instances syndicales remplacent les instances ordinales dans la négociation avec la tutelle3. La négociation
conventionnelle entre la CNAM et les syndicats de médecins règle les rapports
entre l’assurance maladie et les médecins en médecine ambulatoire. Elle fixe
1
Edictés par le conseil de l’Ordre, ils sont d’ailleurs signés par le Premier Ministre, le Ministre de
la justice et le Ministre en charge de la santé.
2
« Le Code est prescriptif, et l’Ordre sévère, dés lors qu’il s’agit de réguler la concurrence économique et professionnelle entre experts. Dans ce registre se situe également la capacité des pairs
à "boycotter" un professionnel dérogeant aux codes (non seulement de la déontologie, mais aussi
aux attentes réciproques plus larges : circuits de patients, publicité, ...) » (Mossé, 2005, p. 132).
3
Le code de la santé publique interdit le cumul de mandat syndical et ordinal (on ne peut pas être
président, trésorier, etc., à la fois d’un conseil de l’ordre et d’un syndicat).
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notamment les tarifs d’autorité (et les revalorise), autorise et encadre le dépassement d’honoraires.
Si la première convention de 1960 instaure le "conventionnement", c’est-àdire le remboursement des frais médicaux à l'assuré sur la base de tarifs fixés
par les pouvoirs publics, il faut attendre la convention de 1971 pour que les
tarifs soient nationaux et non départementaux. De la fixation d’un tarif unique,
les conventions ont été progressivement orientées vers l’identification extra
tarifaire de normes de pratiques professionnelles. A partir des années 80 et surtout 90, la régulation conventionnelle constitue un moyen, valorisé par le gouvernement, d’orienter la "maîtrise comptable" des dépenses de santé vers une
"maîtrise médicalisée"4. Le tableau 1 ci-dessous donne un aperçu des différentes
conventions médicales.
Tableau 1 : Présentation simplifiée des conventions médicales
Conventions
Principale innovation
médicales
1971-1975 Sanctions possibles en cas de sur prescription (mesurée par les TSAP).
1976-1981 Reconduction de la première convention.
Création du secteur à honoraires libres5 . Apparition de la notion d’objectif de
1980 -1985
dépenses annuel.
1985 - 1990 Abandon du principe de l’enveloppe globale (pour la médecine ambulatoire).
1990-1993 Gel du secteur à honoraires libres6.
Objectifs Quantifiés nationaux (limite de prescription et d’honoraires). Références
1993-1997
Médicales Opposables.
1997-1998 2 conventions séparées, une pour les généralistes et une pour les spécialistes7.
1998-2005 Reprise du médecin référent, carte vitale8.
2005Autorisation de majorations d’horaires suite à la réforme du médecin traitant.
Les conventions médicales se caractérisent par leur conflictualité qui tient
pour une large part à la difficulté de concilier un exercice libéral de la médecine
avec un financement socialisé. La période récente, faite de dénonciations,
d’attaques devant les juridictions, surtout de la part des médecins spécialistes ou
d’annulation du conseil d’Etat marque une instabilité juridique.
4
La récente réforme de la gouvernance de la santé de 2004 introduit une "union des professionnels de santé" aux cotés de l’union des caisses d’assurance maladie et de l’union des complémentaires.
5
Signée par la Fédération des Médecins Français (FMF) puis par la Confédération des syndicats
médicaux français (CSMF).
6
Signée par la FMF.
7
Annulée par le conseil d’État car le seul signataire de la convention des spécialistes, l‘Union
Collégiale des Chirurgiens et Spécialistes Français (UCCSF) est jugée non représentative.
8
Signée par MG France (généralistes).
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Nous sommes ainsi en présence de deux types de textes qui sont en fait deux
types de conventions, les conventions sociales d’un côté régissant la déontologie et les conventions médicales de l’autre encadrant les relations des professionnels avec la tutelle. Notre corpus de textes est donc homogène. Il est composé des textes suivants :
· Trois codes de déontologie (1955, 1979 et 1995) ;
· Neuf conventions médicales (1971, 1976, 1980, 1985, 1990 ; 1993,
1997, 1998 et 2005).
Ce corpus compte au total 33 152 mots pour les codes de déontologie et
93 972 mots pour les conventions médicales. Ces deux corpus de mots ont été
traités séparément. Les textes n'ont pas été retouchés, seuls quelques groupements de mots tels que "caisses primaires", "médecin référent" ou "médecin
traitant" ont été codés. Nous avons par ailleurs enlevé la liste des personnalités
qui ont signé lesdits textes. Enfin, ni la structure générale des textes, ni les coupures internes (la rythmique) n'ont été modifiées.
2.2. Mots et représentations des acteurs
Dans les textes de la déontologie comme dans les conventions médicales, on
peut penser que les mots sont pesés et reflètent, pour une part, les argumentaires
des acteurs. Le logiciel ALCESTE conduit à la mise en évidence de "mondes
lexicaux" dont le principe d’organisation suppose de considérer le discours
comme un acte. Le type de statistique construit par le logiciel est particulièrement approprié à une analyse en termes de mondes sociaux (Didry, 1998 ; Zalio, 2004, Baudry et Cautela, 2003).
ALCESTE se démarque de l’analyse du contenu (AC)9 par l’utilisation de
méthodes statistiques qui évitent le codage a priori. L’utilisateur du logiciel
n’intervient pas sur le découpage du texte, de sorte qu’aucun présupposé ne
vient influencer les résultats. La démarche est exploratoire et permet de formuler des hypothèses. Le logiciel ALCESTE se base sur une analyse de discours
dans la lignée des écoles pragmatiques. Il ne s’agit pas de comprendre ce qu’un
acteur veut dire mais d’analyser ce qu’il dit. Le discours est alors considéré
comme un acte (Achard 1993). C’est à travers le rythme, la résonance
qu’apparaissent les sujets et les objets dans le discours. On retrouve la démarche
suivie par Boltanski et Thévenot (1991) et plus généralement par toute la sociologie dite compréhensive qui redonne un rôle actif aux acteurs, conscients de
leurs actes. On reconnaît aux personnes des compétences de jugement qui
9
Les méthodes classiques de l’analyse de contenu (Belerson 1954) préconisent une approche
fondée sur l’interprétation et le codage. Ce cadre peut-être établi a priori et se fonder sur des
modèles généraux indépendants du corpus ou être progressivement construits en cours d’analyse.
L’idée est, en résumé, de confronter le corpus au modèle de référence préconstruit.
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s’expriment par le langage. Dès lors, il s’agit d’identifier à travers des formulations des univers de référence, des mondes lexicaux. Max Reinert, concepteur
du logiciel ALCESTE insiste sur la notion de répétition au cœur de la méthode
de représentation du sens (1990, 2002), la répétition d’un même signe, d’une
même occurrence permet de modéliser la trace de l’activité discursive.
L’objet de l’analyse menée par ALCESTE est donc de faire apparaître des
"classes" composées de phrases (des unités de contexte ou UC) dont le degré de
dissimilarité est minimal ou, en d’autres mots, dont le vocabulaire est proche.
La proximité se traduit par le fait que deux unités de contexte partagent un
nombre minimal d’occurrences. La répétition de "mots pleins" (qui ont un
contenu immédiat) constitue une classe. C’est la présence ou l’absence de ces
mots pleins qui permet une catégorisation. Schématiquement, ALCESTE découpe le corpus en UC puis produit un tableau comptabilisant les mots pleins
présents dans chaque UC (Tableau 2 ci-dessous).
Tableau 2 : Tableau croisé des Unités de Contexte et des Mots Plein
MP1 MP2 MP3
UC1 0
1
0
UC2 1
0
0
UC3 1
1
0
En procédant à une classification descendante hiérarchique (CDH), le logiciel réorganise ensuite les lignes du tableau pour regrouper dans des classes les
unités de contexte (les fragments de texte) qui mobilisent le même type de répétition (le même profil de colonne). Grâce à cette CDH, on rapproche des phrases
qui ont des mots en commun et l’on identifie alors des univers communs, des
mondes lexicaux. Ainsi, du tableau précédent on aboutit au le tableau 3 :
Tableau 3 : Constitution des classes, des mondes lexicaux
Vocabulaire 1 vocabulaire 2
classe 1
1
0
classe 2
0
1
Dans cet exemple, le logiciel a découpé le corpus initial en deux classes fortement opposées, deux mondes lexicaux.
Enfin, l’analyse factorielle des correspondances permet de représenter graphiquement les relations entre les classes. On obtient une cartographie des
mondes lexicaux mis en évidence. Le plus important consiste alors à analyser
les rapports qu’entretiennent les classes et à montrer lesquelles sont les plus
marquées. On portera donc notre attention sur ce qui fait la spécificité d’une
classe, puis sur les oppositions marquées entre les classes identifiées.
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En outre, lors de la préparation du corpus, le texte a été caractérisé par des
variables supplémentaires qui font apparaître l’origine du texte (la date des
conventions, des codes de déontologie). Il est donc possible de déterminer, à
partir de ces variables, un degré d’association (χ2) avec les mondes lexicaux (les
classes identifiées). Chaque texte qui constitue le corpus se caractérisera donc
par une circulation spécifique entre plusieurs mondes lexicaux, par une proximité plus ou moins grande par rapport à une classe. L’analyse statique fera apparaître cette carte des mondes lexicaux, l’analyse dynamique quant à elle, permettra d’identifier, au fil du temps, le passage d’une classe à une autre, révélant
un glissement sémantique dans l’argumentation des personnes.
3. DES MONDES LEXICAUX AUX
L’ÉVOLUTION DES REPRÉSENTATIONS
MONDES
SOCIAUX :
Les conventions (médicales et déontologiques) créent des obligations à la
fois administratives et d’ordre économique et financier. Nous cherchons à la
fois à jauger ces obligations et à mesurer leur évolution avec le temps. Notre
objectif n’est pas de donner un panorama exhaustif de ces différentes conventions mais de relever, par l’analyse textuelle, quels sont les points saillants. Il
s’agit ainsi d’identifier des mondes sociaux à partir des mondes lexicaux.
3.1 L’analyse de la déontologie : un poids plus important à l’organisation
professionnelle
La lecture comparée des trois codes de déontologie médicale publiés révèle
un certain nombre de "valeurs sûres" qui n’ont pas été érodées avec le temps.
Ainsi, et en s’intéressant particulièrement aux aspects économiques de la mission du professionnel, on note la présence, dans les trois codes, des articles relatifs à la prohibition de l’exercice commercial de la médecine ou de la discrimination, à l’interdiction de la baisse des honoraires mais à l’autorisation de la
gratuité ou encore à l’affirmation d’une "bonne" confraternité. De même, la
fixation des honoraires avec « tact et mesure » a traversé les décennies et semble constituer une affirmation constitutive de l’exercice médical, à tel point que
toutes les conventions médicales depuis 1971 reprennent cet article et en font
ainsi la loi tarifaire de la profession, sans pour autant en donner une définition
plus précise. L’appréciation du « tact et mesure » varie cependant avec le temps.
S’il dépend toujours de « circonstances particulières », il doit être fonction de
« la fortune du malade et de la notoriété du médecin » en 1955 puis de « la réglementation et des actes dispensés » en 1979 et 1995.
Les principes de la charte de la médecine libérale que l’on retrouvait dans
l’article 8 du code de 1955 ont disparu dans les versions ultérieures. La déclaration de valeurs "politiques" cède du terrain au profit de l’affirmation d’un pouvoir administratif. L’analyse textuelle permet d’affiner cette conclusion.
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Le tableau 4 présente les 4 classes d’unités de contexte élémentaire (UCE) issues de cette analyse.
Tableau 4. : Codes de déontologie, définitions des classes d'UCE
Classe 1 : Relation médecins/patients : volet administratif et tarifaire
[Poids (a) : 22,5% - Code de déontologie le plus proche : Aucun]
Mots représentatifs de la classe (b)(e) : Honoraires, interdit+, acte, note, procédé, médica<
Mots exclusifs de la classe (c)(e) : note (8), appareil+ (7), insuffis+ant (6), auxiliaire+ (5)
Phrase type (d)(e) : "pour tout acte(17) médical(9), le médecin établit une note(8) et perçoit(3) lui-même ses honoraires(20), il
le fait avec tact(3) et mesure. Il lui est interdit(38) de distribuer(2), à des fins(4) lucratives(2), appareils(7), remède(4) ou
procédé(10) illusoire(2) ou insuffisamment(6) éprouvé(6)."
Classe 2 : Contour de la mission professionnelle du médecin agent tutélaire
[Poids (a) : 7,33% - Code de déontologie le plus proche : 1955]
Mots représentatifs de la classe (b)(e) : circonspect, étrangère, plan, vivant, parfaitement, proprement, amis, contenus, expert,
groupement, interdiction, jeu, limites, mission, questions, réponse, accrédite, apprendre, contrevenir, contrôl+er, estim+er,
étendre, expertis+er, fournir, invest+ir, motiv+er, pos+er, récus+er, taire, interprétation, objectif, rédaction, technique
Mots exclusifs de la classe (c)(e) : expertis+er (9), question+ (7)
Phrase type (d)(e) : "le médecin(35) expert(14) a pour mission(15) de fournir(5) des conclusions(5) de nature à apporter des
réponses(3) à la question(7) posée(7). Hors de ces limites(3), il doit taire(3) tout ce qu'il a pu connaître(3) à l'occasion(3) de
cette expertise(9). Tout contrevenant(2) s'exposerait(2) à des sanctions administratives(7) et/ou juridiques(2)."
Classe 3 : Relation médecins/patients : volet médical
[Poids (a) : 32,56% - Code de déontologie le plus proche : Aucun]
Mots représentatifs de la classe (b)(e) : malade, soins, appelé, urgence
Mots exclusifs de la classe (c)(e) : efforcer (11), soign+er (8), mineur (7), consentement (7), cours (7), volonté (6), approprie+ (5), séri+eux (5), temps (5), protég+er (5), pronostic (5)
Phrase type (d)(e) : "le médecin doit proposer au malade(81), même lorsqu'il est appelé(17) d'urgence(20), des soins(50)
sérieux(5) et appropriés(5). S'il est amené à soigner(8) un mineur(8), il doit s'efforcer(11) d'obtenir(7) le consentement (7) d'un
parent(3) ou représentant légal(3)."
Classe 4 : Relations médecins/institutions
[Poids (a) : 37,86% - Code de déontologie le plus proche : 1995]
Mots représentatifs de la classe (b)(e) : code, départementa+l, national, contrat, mois, société, autoris+er, conseil<, l'ordre
Mots exclusifs de la classe (c)(e) : l'Ordre (31), contrat (29), société (15), mois (15), nom (14), objet (12), association (11),
tableau (10), convention (9), secondaire (8), ministre (8), projet+(8), français+ (7), qualification (7), renouvel+er (7), vérifi+er (7), conforme+ (7), clause (7), statut (6), types (6), usage+ (6), exist+er (6), install+er (6), notifi+er (6), , prénoms (6),
date (6), heures (6), institution+ (6), déclaration (6), jours (5), ordonnance (5), période (5), titulaire (5)
Phrase type (d)(e) : "Toute association(11) ou société(15) entre médecins doit faire l'objet(12) d'un contrat(29) écrit(10) qui
respecte l'indépendance professionnelle(10) de chacun d'eux. Les projets(8) de contrats(70) ou de conventions(12) doivent être
communiqués(6) au conseil(70) départemental(54) de l'ordre(54) qui vérifie leur conformité(7) avec les principes(7) du présent
code(30)."
(a) En % du nombre total d'UCE ; (b) c² > 50 ; (c) Le nombre d'occurrences est entre parenthèses ; (d) Les phrases types ne
sont pas des extraits du corpus, elles sont reconstruites à partir des mots caractérisant la classe. Ceux-ci apparaissent en italique
dans la phrase, le nombre d'occurrences de chaque mot est mis entre parenthèses ; (e) Les signes + et < indiquent que le mot
apparaît sous plusieurs formes dans le texte (un verbe apparaît conjugué, par exemple), seule la forme la plus significative est
indiqué ici (le verbe à l'infinitif, par exemple).
La classe 1 rassemble les unités de contexte relatives au volet administratif
de la relation médecins/patients. Elle est caractérisée par une forte homogénéité
des unités de contexte, se traduisant par une faible quantité de mots représentatifs et de mots spécifiques. De par sa qualification, proche de l'objet attendu
d'un code de déontologie, cette classe puise ses mots sur l'ensemble des 3 codes.
La classe 2, la moins importante en termes d'unités de contexte, est plus spécifique du code de 1955. Elle se focalise sur la mission du médecin expert, en tant
qu'agent d'une administration tutélaire. La classe 3 correspond au volet médical
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de la relation médecins-patients, elle rassemble le vocable régulant le comportement attendu du médecin envers le patient. Ces trois premières classes définissent la mission (éthique) du médecin, déclinée sous un angle tarifaire (classe
1), véhiculant les critères d’une bonne expertise médicale (classe 2) et requérant
le consentement du patient (classe 3).
La classe 4 est d’un registre différent. Elle regroupe les unités de contexte
relatives au statut juridique de la profession et les relations avec l'Ordre. Elle
fixe l’appartenance du médecin à une organisation professionnelle dont il doit
respecter les règles. Elle ancre le médecin dans un ordre (aux différents sens du
mot). La CDH montre que cette dernière classe se distingue clairement des 3
autres. Le discours sur le statut et l’organisation professionnelle s'oppose donc à
celui portant sur la mission du médecin.
Or le code 1995 est particulièrement proche de la classe 4, ce qui laisse entendre que le code a été progressivement mobilisé pour affirmer un statut professionnel en développant un pouvoir de négociation, national comme départemental, voire un pouvoir syndical à mesure de la progression de l'intervention
de l’État en matière de santé. Le discours médical de dénonciation de
l’étatisation du système s’appuie progressivement sur l’affirmation d’une organisation professionnelle. L’argumentaire professionnel fait état d’institutions
bien visibles comme les différents conseils et instances professionnelles. Ce
rempart à l’intervention croissante de l’État est jugé plus solide que
l’affirmation d’institutions invisibles (valeurs, éthique).
3.2 L’analyse des conventions médicales et la logique financière de la représentation médicale
Pour combattre la volonté publique de maîtrise comptable des dépenses de
santé, perçue comme un épouvantail, la profession a trouvé dans l’expression
"maîtrise médicalisée" une position de repli honorable. Cette autre maîtrise
consacre, tout comme la précédente, la dominance d’une logique financière.
Elle est le produit d’une négociation du type donnant–donnant où la profession
a obtenu des revalorisations tarifaires (avec ou sans création d’un secteur optionnel) contre l'assurance d'une "médicalisation" des objectifs financiers. Tout
comme la politique publique de santé a été pilotée par des "ministres aux
comptes de la sécurité sociale", selon l’expression de PALIER (2002, p. 175), les
conventions médicales ont entériné une logique financière, comme peut
l’illustrer l’analyse textuelle du corpus constitué des conventions médicales,
présentée dans le tableau 5 ci-dessous.
Cette analyse fait ressortir 5 classes. La classe 1 met l'accent sur la nécessité
et les conditions d'une maîtrise comptable/médicalisée des dépenses. La classe 2
définit les conditions de choix du statut juridique du médecin et les procédures
Evolution du système de santé et modification de la légitimité des comportements
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de déclaration de ces statuts. La classe 3 rassemble les unités de contexte associées aux procédures qu'implique le conventionnement médical. La classe 4 est
composée des termes liés à l'organisation et la représentation collective des
médecins. Enfin, la classe 5 est composée des termes comptables et financiers
liés à la gestion quotidienne de la pratique médicale.
Notre analyse des conventions médicales ne va pas dans le sens d’une lecture habituelle de la profession qui en fait un adversaire immuable de la puissance publique. A sa manière, la profession relaie les propos gestionnaires et
économiques des pouvoirs publics. Si le discours médical reste celui de
l’opposition, il ne doit pas faire oublier qu’il est aussi un discours de participation (Hassenteufel, 1997).
Le langage « comptable » qui apparaît dans les classes 1 (comptable « collectif ») et 5 (comptable individuel) représente plus de 50 % du corpus de mots.
Ces 2 classes qui sont les premières agrégées par la CDH sont associées aux
conventions médicales les plus récentes (nous y reviendrons dans la section
suivante) et s’opposent aux classes 2, 3, 4 qui sont celles de l’affirmation
d’une représentation juridique. La classe 4 qui est celle de l’affirmation des
instances juridiques est la plus éloignée des classes 1 et 5, selon la CDH.
Ainsi, alors que l’analyse textuelle de la déontologie montre un renforcement
de la représentation juridique de l’organisation professionnelle (à mesure que
s'érode le rôle de la mission et des "valeurs"), on assiste au phénomène inverse
pour les conventions médicales. La force du discours comptable reporte
l’affirmation juridique sur la déontologie ce qui amoindrie la place laissée aux
valeurs éthiques. La représentation juridique conforte au sein de la déontologie
une position perdue dans des conventions médicales. Au total, l’accent sur une
manière de penser comptable amoindrit une conception davantage tournée vers
l’affirmation de valeurs éthiques.
3.3. La maîtrise comptable : une représentation partagée
Le tableau précédent permet de rapprocher les différentes classes des différentes conventions médicales. Il est ainsi possible de mettre en exergue
l’argumentation dominante de la période et de saisir l’évolution de cette argumentation avec le temps.
Les conventions de 1971 et 1985, caractéristiques de la classe 3, s’emploient
à détailler toutes les procédures liées à l’activité conventionnelle. L’analyse
révèle que cette classe est fortement modalisée10.
10
La modalisation est l’art de nuancer son discours selon l’impression que l’on veut produire.
Repérer la modalisation, c’est reconnaître les marques de jugement du locuteur (une certaine
expression de sa subjectivité).
12
Evolution du système de santé et modification de la légitimité des comportements
Tableau 5. : Conventions médicales, définitions des classes d'UCE
Classe 1 : Maîtrise comptable/ médicalisée (collective) [Poids (a) : 43,73% - Convention la plus proche : 2005]
Mots représentatifs de la classe (b)(e) : évoluti+f, Partie+, pratique+, dépense+, santé+, Soin+, Maîtris+er, Médica< objectif+,
pati+ent, refer+ent, système+, coordination, signataire+
Mots exclusifs de la classe (c)(e) : parcours (27), adapt+er (26), consommat+ion (22), population (21), orientation+ (17), approprie+ (17) opposabilité (16), thématique+ (16)
Phrase type (d)(e) : "Les parties(252) signataires(259) s'engagent à mettre en œuvre(27) la maîtrise(106) médicalisée(57) de l'évolution(112) des dépenses(141) de santé(122) et d'adapter(26) la pratique(47) médicale(110) par la mise en œuvre(27) du dispositif de
coordination(59), dans le but d'améliorer (18) la qualité(74) des soins(361) et la maîtrise(106) des dépenses(141)"
Classe 2 : Statut juridique et secteur optionnel du médecin (individuel)
[Poids (a) : 24,19% - Convention la plus proche : 1976, 1980, 1990]
Mots représentatifs de la classe (b)(e) : primaire+, avis, caisse+, convention+, date+, délai+, interdiction+, lettre+, mois, réception+, sanction+, compt+er, connaître, cotis+er, mesur+er, modifi+er, notifi+er, pratiqu+er, recommand+er, répét+er, résili+er,
accuse+, décis+ion, informe+, prés+ent, praticien+, suspension+
Mots exclusifs de la classe (c)(e) : suspension+ (27), résili+er (20), accuse+ (16), dispose+(15), livre+(13), tarifaire+(12)
Phrase type (d)(e) : "le médecin dispose(15) d un délai(73) d’un mois(138) à compter(41) de la réception(58) du courrier(4) pour
faire(41) connaître(21) ses observations(18). A l’issue(9) de ce délai(73), la caisse(53) peut notifier(27) au praticien(76) la fin de
son adhésion(29) à l’option(34) par lettre(59) recommandée(55) avec accusé(16) de réception(58). Il notifie(27) dès la date(74) de sa
première(32) installation(15), sa volonté(12) de bénéficier(14) du droit(48) de pratiquer(38) des honoraires differents(51).
Classe 3 : Procédures liées à l'activité conventionnée (individuel) [Poids (a) : 13,46% - Convention la plus proche : 1971, 1985]
Mots représentatifs de la classe (b)(e) : accessoire+, direct+, disctinct+, frais, gratuit, honoraire+, malade+, nomina+l, personnel+,
qualitati+f, qantitati+f, therma+l, acte+, arrêt+, colonne+, établissement+, formule+, imprime+, laboratoire+, mention+, numéro+,
ordonnance+, paiement+, papier+, porte+, précision+, support+, traitement+, attest+er, avanc+er, dispens+er, effectu+er, identifi+er,
indiqu+er, rembours+er, utilis+er, acquit+, confidenti+el, électronique, feuille de soins, indication, lisi+ble, médecin<, prescri<,
auxiliaire médical, factur+, inscrit+, nomenclature, pré-imprime+, prestation+, sage-femme.
Mots exclusifs de la classe (c)(e) : auxiliaire médical (35), Mention+ (22), Numéro+ (17), Acquit+ (17), Colonne+ (16), Sagefemme (13), Nomina+l (13), Quantitatif (13)
Phrase type (d)(e) : Le médecin porte(32) sur la feuille de soins(28), dans les colonnes(18) réservées à cet effet, les mentions(22)
relatives à son identification(42) complète (numéro(17), établissement(41)…). Les prescriptions(38) sont formulées(9) quantitativement(11) et qualitativement(11) avec toute la précision(9) possible(8). Il ne donne son acquit(17) que pour les actes(133) pour lesquels il a perçu(16) des honoraires(77), sauf pour les dispositions relatives à la dispense(56) des frais(47) ou aux actes gratuits(16).
Classe 4 : Représentation juridique collective [Poids (a) : 12,46% - Convention la plus proche : 1993, 1998]
Mots représentatifs de la classe (b)(e) : agricole+ consultati+f, electi+f, intérieur+, syndica+l, titulaire+, buletin+, comité+, compose+, composition, convocation, département, expert, fonctionnement, instance, jour, loca+l, majorité, membre, moitié, nombre,
ordre, partage, règlement, représentant, réunion, séance, secrétariat, section, siège, syndicat, vice-président, voix, vote, adopt+er,
compos+er, désign+er, exprim+er, institu+er, siég+er, supplé+er, absence administrat<, délibérat+ion, indépendant, prépondérant,
présid+ent, représentat+ion, carence, paritaire+, quorum, requise
Mots exclusifs de la classe (c)(e) : déliberat+ion (29), intérieur+ (23), siège+ (23), supplé+er (22), sièg+er (18), vice-président (17),
convocation (12)
Phrase type (d)(e) : "En-cas d’absence(20) du titulaire(29) ou du suppléant(24), une délégation(7) de vote(29) est donnée a un
représentant(34) présent de la même section(114). Les membres(69) de l’instance(66) locale(50) sont soumis(10) au secret(10) des
délibérations(31). L instance(66) locale(50) délibère(10) hors de la présence des experts(26) dont les voix(57) ne sont que consultatives(16)".
Classe 5 : Sanctions financières individuelles et maîtrise comptable [Poids (a) : 6,08% - Convention la plus proche : 1997]
Mots représentatifs de la classe (b)(e) : affecte+, continue, inférieur+, quotidienne, agrément, année, fonds, indemnité+, journée,
montant, perte, projet, provision, ressource, valeur, agré+er, financ+er, indemnis+er, modul+er, revers+er, vers+er, act+ion, annu+el,
concurrence, contribution, format+ion, pédagogique, scientifique, organisme gestionnaire conventionnel, prévisionnel.
Mots exclusifs de la classe (c)(e) : fonds (16), perte+ (10)
Phrase type (d)(e) : "Si le montant(43) des dépenses médicales de l’année(36) est supérieur au montant(43) prévisionnel(18) de ces
dépenses, le reversement(16) exigible(6) des médecins conventionnes(7) est calculé(6) conformément(13) a la réglementation(5) en
vigueur. Le montant(43) de l’indemnité(16) quotidienne(11) pour perte(11) de ressources(11) est fixé(15) a 15C ou 11CS selon la
catégorie(3) des médecins concernés."
(a) En % du nombre total d'UCE ; (b) c² > 50 ; (c) Le nombre d'occurrences est entre parenthèses ; (d) Les phrases types ne sont
pas des extraits du corpus, elles sont reconstruites à partir des mots caractérisant la classe. Ceux-ci apparaissent en italique dans la
phrase, le nombre d'occurrences de chaque mot est mis entre parenthèses ; (e) Les signes + et < indiquent que le mot apparaît sous
plusieurs formes dans le texte (un verbe apparaît conjugué, par exemple), seule la forme la plus significative est indiqué ici (le verbe
à l'infinitif, par exemple).
Evolution du système de santé et modification de la légitimité des comportements
13
La présence particulièrement importante d’adverbes comme "réellement" ou
"évidemment" souligne en effet la volonté de convaincre dans l’argumentation.
Il s’agit en effet de persuader le corps médical d'adhérer à l'idée même du
conventionnement. En 1971 avec la généralisation au niveau national du
conventionnement qui lie tout médecin avec la CNAM, notamment au travers
de la nomenclature générale des actes professionnels (chargée de fixer la valeur
des actes médicaux). Puis, faisant suite à la segmentation tarifaire entre professionnels (la création du secteur 2 en 1980), la convention de 1985 semble vouloir persuader du bien fondé du conventionnement.
Les conventions de 1980 et 1990, qui créent puis gèlent le secteur à honoraires libres, sont particulièrement liées aux secteurs tarifaires optionnels. Elles
fixent les conditions juridiques d’accès à l’option tarifaire choisie librement et
individuellement par le professionnel. Le langage de ces conventions est proche
de celle de 1976 qui reprend en grande partie la convention de 1971 en insistant
toutefois sur le statut individuel du médecin face aux caisses11 .
Les conventions de 1993 et 1998 amorcent un changement. Elles s’efforcent
de réglementer les aspects collectifs de la profession. Ces conventions sont caractéristiques de la classe 4 qui définit la représentation juridique collective. La
convention de 1993, en instaurant notamment les "Objectifs Quantifiés Nationaux" (objectifs portant sur les honoraires des médecins et leurs prescriptions
mais à un niveau collectif), se démarque nettement des précédentes. Cette tendance se confirme avec la convention de 1998 qui voit la plupart des sanctions
individuelles disparaître.
La convention de 1997 s’intéresse aussi au collectif que forme la profession
même si elle a un statut très particulier. Elle n’a duré qu’un an et est fortement
associée à la classe 5 de faible poids dans notre corpus (environ 6%). Cette
convention instaurait un système de bonus/malus individuel en cas de dépassement collectif de l’objectif de dépense. Elle constitue un premier palier vers une
maîtrise comptable qui ne sera véritablement consacrée qu'avec la convention
de 2005.
C’est en effet dans le texte de 2005 que les préoccupations financières sont
le plus fortement mises en avant. Le langage de la classe 1, bien que présent sur
l’ensemble de la période considérée, trouve un terrain d’élection avec la
convention 200512. Cette classe reprend les thèmes de la classe 5 mais, en écartant l’idée de sanction financière elle met en avant le rôle actif des médecins
11
L'analyse révèle que la convention 1976 est aussi assez proche de la classe 3, bien qu'elle n'en
soit pas spécifique.
12
La classe 1 rassemble près de 44% du corpus alors que la convention de 2005, caractéristique
de cette classe, ne représente que 21% de ce même corpus.
14
Evolution du système de santé et modification de la légitimité des comportements
dans la limitation des dépenses. L’expression désormais acceptée de "maîtrise
médicalisée" vient donc suggérer que les considérations financières et économicistes ne sont plus imposées aux médecins. Ceux-ci jugent dorénavant légitime
le processus visant à contrôler les dépenses de santé en introduisant une logique
plus gestionnaire. Les priorités de la politique économique en matière de santé
sont aussi celles du corps médical. A cet égard, il est révélateur de noter que
dans cette classe 1, les marqueurs de persuasion ont disparu. A l’inverse de la
classe 3, il ne s’agit plus de convaincre les médecins mais de contractualiser une
organisation marchande devenue naturelle et incontournable. L’objectif comptable initié par la politique publique va désormais de soi et apparaît comme une
loi naturelle à laquelle on ne saurait déroger. Il imprègne dorénavant les représentations médicales.
L'analyse textuelle des conventions médicales met donc en évidence une évolution progressive du langage et des représentations qu'il implique. Comme l'illustre le graphique 1, d'un langage principalement axé sur l'efficacité de l'organisation administrative du système de santé, on a lentement glissé vers une représentation comptable.
Graphique 1. Classes d'UCE et conventions sur le plan factoriel 1x2
Evolution du système de santé et modification de la légitimité des comportements
15
4. Conclusion
Le système de santé français est largement présenté comme étant régi par
une logique de blocs, le pouvoir politique (la tutelle) d’un côté et le pouvoir
médical de l’autre. La politique publique se heurte au pouvoir de blocage des
médecins. La capacité d’influence de la profession et la défense active de
l’intérêt professionnel sont notamment liées à la nature exceptionnelle de
l’activité médicale qui permet de rallier les patients à la cause des médecins13.
La lecture du dernier plan de "réforme" de l’assurance maladie (plan "Douste
Blasy" de 2004) permet de mesurer la force de ce pouvoir médical. Le plan se
concentre sur la demande et épargne l’offre. La logique de concurrence s’arrête
ainsi au seuil du cabinet médical et l’Etat semble incapable de faire admettre
(ou d’imposer) les principes de bonne gestion à la profession qui lui oppose la
charte de la médecine libérale ou l’argument –éthique– de la qualité des soins
(Batifoulier et Gadreau, 2005). La régulation concurrentielle a besoin de la main
bien visible de l’Etat, mais celle-ci est tremblante et vacillante face à la poigne
de fer des médecins. Ainsi l’affirmation du caractère libéral de la médecine
apparaîtrait paradoxalement comme le principal obstacle à l’installation des
principes marchands !
L’étude lexicale des textes de la profession a permis de relativiser cette
conception. Notre étude, encore largement exploratoire, a permis de mesurer le
rôle du référentiel marchand d’action publique sur les représentations médicales. Les professionnels travaillent les règles de politiques publiques et
l’évolution des textes de la déontologie et des conventions médicales sont une
expression de ce travail. Le déplacement marchand du système de santé français
ne se fait pas contre les médecins mais résulte d’une régulation conjointe.
L’étude des argumentaires médicaux révèle une évolution de la légitimité (de ce
qu’il convient de faire) valorisant la primauté des questions financières et les
logiques économicistes. Les critères marchands sont ainsi mis au premier plan.
Ils se nourrissent des logiques historiques et institutionnelles d’obédience libérale de la médecine et tirent leur force de leur capacité à présenter diagnostic et
thérapeutique comme des données naturelles, allant de soi et auxquelles on ne
peut déroger. Ainsi, la marchandisation existe, et c'est dans les argumentaires
des médecins que l'on peut en trouver une illustration.
13
Voir l’analyse de Hassenteufel (1997) qui rapporte la phrase du Chancelier Adenauer « il est
extrêmement difficile de faire une loi contre 70 000 médecins qui voient chacun 30 patients par
jour » (p. 23).
16
Evolution du système de santé et modification de la légitimité des comportements
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