La kafala

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La kafala
LETTRE THEMATIQUE N°24
I La kafala dans les pays de droit musulman
La kafala est une institution de droit arabomusulman qui se caractérise par la prise en charge
d’un enfant afin de garantir son entretien, son éducation et sa protection. La kafala prend toute sa
signification dans les pays où l’adoption est prohibée. Prévue dans le Code de la famille algérien aux
articles 116 et suivants et dans la loi n°15-01 promulguée le 13 juin 2002 au Maroc, la kafala offre
une protection aux enfants délaissés ou abandonnés qu’ils aient ou non une filiation établie. La kafala ne crée pas de lien de filiation mais confère la
tutelle légale au kafil (celui qui recueille l’enfant).
Celui-ci peut transmettre son patronyme au makfoul (l’enfant recueilli) mais ce dernier ne peut hériter des personnes qui l’ont recueilli, avec la nuance à apporter par la voie du tanzil au Maroc. La kafala est provisoire et révocable. Judiciaire ou notariée, elle est utilisée pour offrir un cadre familial à des enfants sans filiation mais permet également des arrangements intrafamiliaux.
II La kafala et l’adoption : le statut prohibitif
La kafala n’est pas une adoption, elle ne créer aucun lien de filiation entre l’enfant recueilli et les
parents qui le prennent en charge. Depuis la loi du
6 février 2001, les enfants recueillis en kafala ne
sont plus adoptables en France. Cette loi est appliquée strictement par les tribunaux depuis un arrêt
de la Cour de cassation du 10 octobre 2006. La kafala n’étant pas assimilable à une adoption, un agrément ne peut être délivré par le Conseil général et
n’a pas a être demandé par les autorités consulaires françaises dans le cadre d’une demande de visa
d’un enfant recueilli par kafala. En pratique, certains conseils généraux délivrent néanmoins des
agréments ou une évaluation sociale délivrée à l’issue d’une enquête sociale.
- Adoption et nationalité française
Une voie a cependant été trouvée pour permettre
l’adoption des enfants recueillis en kafala par des
parents français. Dès lors que l’enfant acquiert la
nationalité française après 5 années de résidence
en France auprès d’un ressortissant français
(article 21-12 al. 3 du code civil), la prohibition posée par sa loi nationale d’origine tombe, ce qui permettrait l’adoption en France (Cour d’appel de Paris,
15 février 2011).
- Adoption et consentement
Reste posée, cependant, la question du consentement du représentant légal à l’adoption.
Selon l'art. 370-3, al. 3, c. civ., le consentement
doit être donné « quelle que soit la loi applicable ».
Il s'agit d’une disposition de droit matériel dont il
n'est pas possible de s'affranchir. Le consentement
doit être libre, obtenu sans contrepartie et éclairé
sur les conséquences de l'adoption, en particulier
sur la rupture complète et irrévocable du lien de
filiation en cas d'adoption plénière. En dépit de l’acquisition de la nationalité française, le juge saisi
d’une demande d’adoption doit rechercher si le représentant légal d’origine de l’enfant a donné son
consentement éclairé à l’adoption. Or le consentement pourra s’avérer difficile à caractériser dès
lors que l’Etat d’origine du mineur prohibe l’adoption.
Pour contourner cette difficulté, certains tribunaux
considèrent que l’ouverture d’une tutelle de droit
commun en France permettrait de recueillir le
consentement auprès d’un conseil de famille (Cour
d’appel de Paris, 24 juin 2010, Cour d’appel de Paris,
15 février 2011). La Cour de cassation avait pourtant considéré que le consentement exprès et éclairé des parents est une exigence de droit matériel
qui ne peut être satisfaite par une délibération du
conseil de famille (Cour de cassation, 22 octobre
2002).
III Les effets de la kafala en France
- Autorité parentale
La kafala est assimilée à une délégation d’autorité
parentale ou une tutelle de droit français. Le juge
aux affaires familiales refuse cependant de statuer
sur la résidence de l’enfant, les modalités d’exercice du droit de visite et la pension alimentaire à l’occasion du divorce puisque la kafala ne crée aucun
Association loi 1901 à but non lucratif - n° SIRET 499 638 260 00012
lien de filiation entre le l’enfant recueilli et ses parents. Le juge français est pourtant compétent pour
assurer la protection de l’enfant recueilli conformément à la loi française, en vertu du règlement Bruxelles II bis du 27 novembre 2003 et de la convention de
La Haye du 19 octobre 1996 (Cour d’appel de Limoges,
25 janvier 2011).
- Visa
Hormis le cas des ressortissants algériens qui, en vertu de l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968,
peuvent faire entrer en France, au titre du regroupement familial les mineurs de moins de 18 ans dont ils
ont juridiquement la charge, les couples étrangers, et
les ressortissants français ne peuvent pas prétendre
de plein droit à la délivrance d’un visa pour l’enfant
qu’ils ont recueilli par kafala.
Le refus de visa ne doit cependant pas porter atteinte
à l’intérêt supérieur de l’enfant et au respect de la vie
privée et familiale, ce qui est particulièrement le cas
lorsque le refus de visa concerne un enfant abandonné
et placé en institution. Il faut donc engager un recours
devant la commission des visas et devant le Conseil
d’Etat, le cas échéant.
- Séjour
L’obtention d’un titre de séjour à la majorité de l’enfant recueilli par kafala n’est pas de plein droit, excepté pour les algériens qui bénéficient là aussi d’un
régime juridique plus favorable en vertu de l’accord de
1968. Ainsi, les mineurs algériens entrés en France
avant l’âge de 10 ans bénéficient d’un titre de séjour à
leur majorité (article 7 bis e). Ils bénéficient également d’un Document de Circulation pour Etranger Mineur lorsqu’ils sont entrés en France avant l’âge de 10
ans et pour une durée d’au moins 6 ans (article 10 b).
Pour les ressortissants marocains, soumis au droit
commun, l’obtention d’un titre de séjour est conditionnée à la présence en France du père ou de la mère, au
sens filial du terme. Les enfants recueillis par kafala
en sont donc exclus, même s’ils sont entrés en France
en bas âge. Ils peuvent néanmoins demander un titre
de séjour « vie privée et familiale », dont la délivrance
sera soumise à l’appréciation du préfet et du juge en
cas de recours.
- Aides sociales
Les prestations familiales sont conditionnées par la
régularité du séjour de la personne qui a la charge de
l’enfant et de l’entrée régulière de celui-ci en France.
Cette règlementation exclut du bénéfice des prestations de la Caisse d’Allocations Familiales les enfants
entrés en France hors du regroupement familial.
La Cour de cassation, par décision du 15 avril 2010, a
mis un terme à une jurisprudence favorable visant à
accorder les prestations familiales même lorsque l’enfant à charge est entré sans visa. Elle estime désormais que l’exigence d’un certificat médical Ofii pour
prouver l’entrée régulière de l’enfant en France répond « à l’intérêt de la santé publique et à l’intérêt de
la santé de l’enfant ». La Haute juridiction a confirmé
sa position dans un arrêt du 3 juin 2011, estimant que
la demande de certificat Ofii revêt un caractère justifié dans un État démocratique et ne porte pas atteinte au droit à la vie privé et familiale et à l’intérêt
supérieur de l’enfant.
Un arrêt du 16 avril 2004 de la Cour de cassation
avait pourtant reconnu le droit aux prestations familiales des enfants entrés hors regroupement familial
afin de préserver l’intérêt supérieur de l’enfant, le
principe européen de non discrimination et le droit à
mener une vie privée et familiale normale.
La jurisprudence actuelle reste très contestable au
regard de ces principes.
IV Les propositions de réforme
Une proposition de loi relative à l'adoption des enfants régulièrement recueillis en kafala a été déposée le 10 mars 2012 à la présidence du Sénat. Cette
proposition fait écho aux nombreuses critiques dont
fait l'objet, depuis son entrée en vigueur, la loi n°
2001-111 du 6 févr. 2001 qui interdit l'adoption des
mineurs de statut prohibitif.
Elle serait d'un apport considérable pour la mise en
place d'un régime juridique respectueux de l'intérêt
supérieur de l'enfant. D'une part, elle assimile, pour
l'acquisition de la nationalité française, les enfants
recueillis par kafala aux enfants adoptés en la forme
simple, et, d'autre part, elle rompt de manière catégorique avec le système prohibitif de l'art. 370-3, al.
2, c. civ. en permettant l'adoption en France des enfants recueillis par kafala.
Une proposition de loi sur l’enfance délaissée et l’adoption a par ailleurs été adoptée par l’Assemblée
nationale en première lecture et transmise au Sénat
le 7 mars 2012. Elle prévoit l’adoptabilité des enfants
recueillis en kafala dès lors qu’un accord international
entre l’Etat et le pays d’origine du mineur le permet
(article 2 bis nouveau). La proposition de loi s’oriente
ainsi vers un régime d’adoptabilité encadré par le
droit international. Si l’évolution en faveur de l’adoption des enfants recueillis en kafala mérite d’être
saluée, la question se pose cependant de savoir s’il
est opportun de recourir aux accords internationaux
pour y parvenir.
Avril 2012