Note de Plaidoirie de Me Véronique van der Plancke Cour de

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Note de Plaidoirie de Me Véronique van der Plancke Cour de
Note de Plaidoirie de Me Véronique van der Plancke
Cour de Cassation - 22.10.2008 : Aung Maw Zin et cst / X - TOTAL - Desmarest - Madéo
Monsieur le Président, Messieurs les Conseillers, Mr l’Avocat général,
Parler de justice au sein de la Cour suprême n’est pas un luxe. La justice n’est pas une abstraction
juridique ; elle est la quête ultime d’une société qui ne cesse de produire des injustices, et parfois de la
violence radicale telle des crimes contre l’humanité. Me Alexis Deswaef vous l’a rappelé, c’est de cela
qu’il s’agit dans la plainte déposée à Bruxelles le 25 avril 2002 par nos clients, 4 réfugiés Birmans.
La Premier Président de la Cour de Cassation de France disait en 1970 que le temps était révolu où les
juges pouvaient donner des réponses mortes à des questions vivantes1.
Si l’instruction de la plainte n’a pu être reprise jusqu’à ce jour, c’est parce que deux obstacles
juridiques combinés nous ont mécaniquement été opposés :
le principe de la légalité en matière pénale ;
le principe de l’autorité de la chose jugée.
1° le principe de la légalité en matière pénale signifie qu’on ne peut sanctionner quelqu’un pour des
faits qui, au moment où ils ont été commis, n’avaient pas été considérés par le législateur comme
pénalement répréhensibles. Dans votre arrêt du 9 novembre 2004, concernant les 3 asbl satellites du
Vlaams Blok, Votre Cour avait utilement adopté une interprétation juridique souple de ce principe,
permettant de concilier rigueur juridique et exigence démocratique2.
En l’espèce, Thierry Demarest relate, dans son mémoire, que depuis la loi du 5 août 2003, la
nationalité belge de la victime est devenue une condition pour que les infractions de droit international
humanitaire existent en droit belge. Sans nationalité belge, il n’y aurait pas d’infraction, et par
conséquent pas d’actions possibles devant nos juridictions. Suivant cette logique, reprendre
l’instruction aujourd’hui violerait le principe de la légalité en matière pénale, les victimes étant
Birmanes. La Société anonyme de droit français TOTAL ajoute dans son propre mémoire que les
plaignants birmans semblent, dans leur système de pensée, perdre de vue le respect des droits de celui
contre qui est dirigée une enquête pénale.
Nos clients n’ont pourtant cessé de rappeler qu’il est effectivement essentiel que chaque citoyen
puisse, à tout moment, connaître les limites de sa liberté sans être par la suite surpris dans ses
prévisions par une loi pénale rétroactive. En l’espèce, l’article 29, § 3, alinéa 2 de la loi du 5 août
2003, qui a provoqué à tort le dessaisissement des juridictions belges, ne visait nullement à opérer la
dépénalisation d’infractions humanitaires. Les faits matériels reprochés aux parties en cause sont
demeurés sans interruption pleinement punissables depuis qu’ils ont été commis et la partie adverse ne
l’ignore pas.
1
2
Voy. F. Ringelheim, Amour sacré de la justice – A la recherche d’une introuvable, Labor, 1998.
Sur cet arrêt, voy. M. Lys, «Le principe de légalité en matière pénale dans l’arrêt de la Cour de cassation du 9
novembre 2004: entre rigueur et valeurs», R.D.P.C.
Confirmer l’irrecevabilité de l’instruction pour ne pas surprendre et aggraver la situation des accusés
qui ont pensé échapper définitivement aux poursuites, reviendrait, en l’espèce, à interpréter
erronément le principe de légalité. Le principe de légalité n’a en effet jamais eu pour objet
d’empêcher des instructions valablement menées et interrompues sur la base d’une norme déclarée
anticonstitutionnelle, de reprendre naturellement leur cours.
Sans reprise des poursuites, il subsisterait une situation juridique inacceptable. La confirmation de ce
dessaisissement serait constitutive d’un malheureux et dangereux précédent : le législateur pourrait, à
l’envie, interrompre des instructions régulièrement introduites, et agir ainsi en violation des
obligations internationales et constitutionnelles, dès lors qu’il pourrait escompter que, même si cette
violation était par la suite censurée, les instructions irrégulièrement interrompues ne reprendraient
jamais leur cours.
2° le principe de l’autorité de la chose jugée de Vos arrêts du 29 juin 2005 et du 28 mars 2007
Le raisonnement de la partie adverse à ce sujet serait-il d’une logique implacable ?
Le 29 juin 2005, Votre Cour a rendu un arrêt de dessaisissement. Le 28 mars 2007, Votre Cour
prononce un arrêt de rejet de la demande de rétractation de la décision de dessaisissement. Le
dessaisissement, deux fois confirmés, serait donc irréversible, les arrêts de Votre Cour étant revêtus de
l’autorité de la chose jugée.
Il faut pourtant rappeler les éléments suivants quant à ces deux arrêts:
1° Votre arrêt du 29 juin 2005 repose sur un article de loi réputé n’avoir jamais existé
2° Votre arrêt du 28 mars 2007 a rejeté la rétractation parce que la loi sur la Cour d’arbitrage ne la
prévoyait pas explicitement pour notre cas de figure. Votre arrêt ne doit pas être considéré comme une
confirmation du bien fondé du dessaisissement, mais bien comme une incapacité juridique à infirmer
l’arrêt qui l’a prononcé.
En réalité, vos deux arrêts n’empêchent donc pas la reprise de l’instruction.
L’autorité de la chose jugée n’est pas un principe absolu : une certaine doctrine et jurisprudence ont pu
établir que c’est un principe général de droit de niveau législatif qui doit être écarté en cas de
contrariété avec la Constitution, et avec le droit international directement applicable. Or, juger que Vos
précédents arrêts empêcheraient la reprise de l’instruction entamée le 25 avril 2002, reviendrait à
violer les articles 10 et 11 de la Constitution, 6 et 14 de la CEDH, et 16 de la Convention de Genève
relative au statut des réfugiés.
Dans ses conclusions générales du 16 mars 2006 (affaires jointes C-392/04 et C-422/04, citées dans
notre mémoire), un avocat général auprès la Cour de Justice des Communautés européennes a déclaré
que le caractère définitif d’une décision ne pouvait empêcher que son contenu puisse à nouveau être
examiné, lorsque le maintien de la décision crée une situation d’injustice intolérable, porte atteinte à la
substance du système judiciaire ou le mène à une impasse. Le principe de l’autorité de la chose jugée
ne peut conduire à la violation ni de l’équité, ni de la « supra-légalité ».
Monsieur le Président, Messieurs les Conseillers,
L’autorité – y compris celle de la chose jugée – ne peut être auto-référentielle. Une chose est certaine :
elle se déforce lorsqu’elle repose sur une lecture du droit qui se retourne contre une idée de justice.
Alors que les crimes commis par la junte militaire birmane sont unanimement qualifiés de crimes
contre l’humanité par divers organes onusiens, la Belgique était le seul for judiciaire valablement saisi
d’une plainte à leur encontre. En autorisant la reprise de l’instruction interrompue en août 2003, Votre
Cour – Cour suprême – confirmerait la co-responsabilité de la Belgique dans l’édification de la justice
internationale.

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