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DROIT DE LA FAMILLE - REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - JANVIER 2009
1
La réception des
institutions algériennes
par le droit français :
la kafala
Marc BODIN,
université Montesquieu Bordeaux IV CERFAP
1 – Dans le cadre de la troisième Semaine de droit
comparé de l’Université Montesquieu-Bordeaux IV initiée
par le professeur Claude Lacour, le Centre européen
d’études et de recherches en droit de la famille et des
personnes (CERFAP, EA 3651, dirigé par M. le professeur
Jean HAUSER et Mme Marie LAMARCHE, maître de conférences) a organisé un colloque sur la kafala les 1er et
2 octobre 2008.
2 – Le programme de ces journées d’études a été établi
en collaboration avec l’Observatoire de droit comparé sur
la famille et les personnes (OFAP, Centre de recherche et
d’analyse juridique EA 1929) de l’université de Pau et des
Pays de l’Adour, le Centre de recherches juridiques (CRJ,
EA 1965) de l’université Pierre-Mendès-France (Grenoble
II), ainsi qu’avec le Centre d’études et de recherches sur
l’administration publique de Saint-Etienne (CERAPSE, EA
777) de la faculté de droit de l’université Jean-Monnet. Le
sujet développé en 2008 s’inscrit, par ailleurs, dans le
cadre plus général de travaux pluriannuels sur la réception
des institutions familiales algériennes par le droit français,
en collaboration avec le Laboratoire des droits de l’enfant
(LADREN) de l’université d’Oran (Algérie).
3 – Le concours du Recteur de la mosquée Al Houda
(Bordeaux) a permis de mettre en évidence les multiples
influences de la pensée islamique. Cet éclairage dogmatique explique d’ailleurs la diversité des orientations législatives dans les pays de tradition musulmane. Toutefois,
les difficultés d’identification de la kafala au sein de l’ordre
juridique français n’aboutissent qu’à lui conférer un statut
ambigu : la prise en charge de l’enfant concerné ne reçoit
qu’une traduction parcellaire, pourvu que les situations de
fait vérifient les conditions propres à chaque branche du
droit concerné (journée du 1er octobre, Identification de
la kafala dans les systèmes juridiques).
4 – C’est pourquoi apparaît finalement la nécessité d’une
qualification plus globale de cette institution, la recherche
d’équivalents en droit interne se révélant systématiquement inappropriée (journée du 2 octobre, Traduction de
la kafala dans le système juridique français). C’est déjà là
ouvrir la voie de l’imaginaire juridique, à moins que
celui-ci ne se résume à restaurer quelque technique
tombée en désuétude !
Tareq OUBROU, La kafala et la sharia : article 2
Malika BOULENOUAR AZZEMOU, Recueil légal (kafala) et droit(s) positif(s) : article 3
Olivier DUBOS, La kafala et le juge administratif : court séjour au pays de l’insécurité juridique : article 4
Maryse BADEL, Olivier PUJOLAR, Kafala et droits sociaux : article 5
Constance DUVAL-VERON et Manon WENDLING, Kafala et droits patrimoniaux : article 6
Sandrine SANA-CHAILLE de NERE, La kafala et le droit international privé : besoin de qualification : article 7
Pierre MURAT, Le refus de la transformation en adoption : article 8
Adeline GOUTTENOIRE, Marie LAMARCHE, Recherche d’équivalent : l’autorité parentale : article 9
Jean-Marie PLAZY, Une recherche d’équivalent : la tutelle : article 10
Jean HAUSER, L’imagination juridique française : article 11
Malika BOULENOUAR AZZEMOU, La réception par le système juridique algérien de l’imagination juridique
française : article 12
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DROIT DE LA FAMILLE - REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - JANVIER 2009
La kafala et la sharia
Tareq OUBROU,
imam et recteur de la mosquée de Bordeaux,
président d’IDEMM (Institut de découverte et d’étude du monde
musulman),
président de « imams de France »
1 - La notion de la kafala est une notion ancienne. Elle date du
temps du droit musulman classique. Aujourd’hui elle est reprise,
adoptée et adaptée pour être une sorte d’alternative à la notion
de l’adoption. Elle fut appropriée par le droit de certains pays
musulmans, l’Algérie et le Maroc, notamment. Elle nous offre en
l’occasion une opportunité qui nous permettrait de suivre la
courbe de l’évolution de la sécularisation du droit musulman
dans ses pays ainsi que ses derniers territoires de résistances qu’il
manifeste encore à son égard dont la notion de kafala fait partie.
Plus concrètement, la problématique posée dans ce colloque
est la réception par le droit français de la kafala du droit algérien.
Comment trouver un ordre cohérent à cette réception et accepter la différence sans renoncer à un droit commun en conciliant
l’universel commun avec le spécifique relatif ? Pour surmonter
cette difficulté, il faudrait convoquer, comme le propose Mireille
Delmas-Marty, « les forces imaginantes du droit afin de pouvoir,
à défaut d’instaurer un ordre immuable, inventer une harmonisation souple, propre à laisser espérer la refondation de valeurs
communes ». Difficile tâche qui incombe aux différents juristes
spécialistes de ce colloque. Quant à ma contribution, elle a
choisi une voie facile, celle de l’introduction. Des généralités
pour ne pas dire des banalités.
1. De la « sharia » en général
2 - Le terme signifie étymologiquement la source intarissable.
Le verbe shara’a issu de la même racine veut dire commencer
une tâche, une entreprise. Son usage conventionnel sera au fil
du temps réservé au domaine normatif. Ainsi définie la sharia
n’est pas tout l’islam. Il est d’abord une foi avant d’être une loi
et un ensemble de pratiques. On pourrait qualifier ce répertoire
par celui de la dogmatique ou de la théologie en tant que la discipline qui s’intéresse à la doctrine qui aborde les croyances –
au-delà du visible – mais aussi une certaine vision de l’homme,
de la liberté, de la responsabilité, le statut de la raison, etc. Selon
les options et les différents courants de la théologie musulmane
– appelée également par « science des fondements de la religion » (’usûl ad-dîne) – nous avons des lectures diverses.
Le domaine de la dogmatique est celui de l’orthodoxie, tandis
que la sharia s’occupe de l’orthopraxie. Cependant il convient
de rappeler que selon l’orthodoxie sunnite entre autres courants
théologiques, la pratique ne valide pas la foi, à condition que la
personne accepte les croyances orthodoxes, c’est-à-dire formellement et unanimement admises par tous les musulmans,
comme le dogme de l’Unicité de Dieu, les Prophètes, les livres
révélés, la Résurrection et le Jour du Jugement dernier... Néanmoins, il existe un lien entre la foi et les pratiques qui est dialectique, dans la mesure où ces dernières sont une expression de la
première en même temps qu’elles permettent de l’entretenir et
de la parfaire. Mais elles ne la valident pas en tant que telle.
Autrement et en terme sotériologique : c’est la foi qui sauve,
même si la pratique ne suit pas toujours.
3 - Parallèlement à ces deux aspects de la religion musulmane,
la foi et la loi, nous avons l’univers soufi, domaine de la mystique musulmane en tant que démarche initiatique qui passe par
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l’éducation spirituelle et morale en tant qu’approche subjective
et expérientielle de la transcendance qui vise la rencontre avec
Dieu, pour ne pas dire la « fusion » (al-fanâ’). C’est le domaine
qu’on a coutume de qualifier d’islam intérieur ou ésotérique. Il
n’est pas découplé ni de la dogmatique ni de la sharia, contrairement à ce que l’on pense.
4 - Revenons à la sharia, domaine des pratiques. Elle comprend
une dimension verticale et une dimension horizontale. C’est ce
que les canonistes appellent respectivement al-’idâdâte-s
(domaine du rite) et al mû’âmalate (champ de la morale et du
droit).
Par ordre d’importance, nous trouverons :
‰ le culte (al-’ibâdâte). – Qui est l’aspect le plus permanent de
la sharia organisant l’expression et la traduction directes de la foi.
C’est la zone rituelle de la sharia.
Ses pratiques essentielles sont résumées dans les cinq piliers de
l’islam : la proclamation de la foi, les cinq prières canoniques,
le jeûne du mois de Ramadan, l’impôt cultuel et le pèlerinage à
La Mecque. Certains canonistes ne considèrent pas l’impôt rituel
comme relevant du registre du rite, mais plutôt une sorte d’impôt
purificateur, dans la mesure où il permet au croyant de se purifier de son avarice. Il relève donc à la fois de la morale, puisqu’il
est destiné à des œuvres sociales et que tout citoyen nécessiteux
peut en bénéficier, musulman ou non, et du droit, puisqu’il s’agit
des affaires publiques et qu’il est donc organisé par des institutions (baït al-mâl).
Le culte résumé en ces pratiques reste le domaine invariant de
l’islam. Tous les musulmans quels que soient leurs contextes et
leurs époques sont unifiés par ces pratiques rituelles et spirituelles ;
‰ la morale (al-akhlâq). – Par ce terme, nous entendons le
domaine des règles de conduite liées essentiellement à la conscience propre de chaque individu ;
‰ le droit. – Il est le domaine des lois liées aux comportements
et concerne tous les comportements des personnes en société
musulmane. C’est la notion du droit, telle qu’on l’entend
aujourd’hui. Cette dimension est née avec l’islam dont le destin,
dès départ, fut lié à la logique historique des empires.
Cette dimension sera absorbée par la morale en condition occidentale, française laïque notamment, puisque le droit musulman
est exclu de la sharia non seulement de fait mais par la sharia ellemême grâce à la posture canonique de l’« éthicisation de la
sharia » 1. Celle-ci est réduite aux seules dimensions cultuelles
et éthiques personnelles exprimées dans le cadre du droit français en vigueur.
A. - Deux approches de la sharia
5 - Dans le domaine du culte, le canoniste ne cherche pas le
pourquoi de la loi. Par exemple : le pourquoi du nombre cinq
s’agissant des prières canoniques, ou bien le pourquoi du jeûne
d’un mois bien précis, celui du mois de Ramadan. Ces prescriptions rituelles sont d’ordre spirituel et symbolique qui répondent
aux mystères de l’âme. Quant au domaine de la morale et du
1. V. notre concept de sharia de minorité in article.
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droit, le canoniste (al-faqîh), ou le docteur de la loi, est invité à
chercher la raison ou le motif (al-’illa) de la loi scripturaire quand
il s’agit de la morale ou du juridique. Dans ces deux domaines
(la morale et le droit) il y a par conséquent pour le canoniste
musulman (faqîh) une certaine marge de manœuvre pour le
raisonnement discursif (al-ijtihad) et une certaine rationalité plus
que dans le domaine du culte.
B. - Deux dimensions de la sharia
6 - ‰ la loi fixe (al-hukme). – Elle vient d’une lecture théorique
des Textes, qui ne prend en considération que leur contexte
historique. On trouve cette catégorie de la loi dans les ouvrages
classiques du droit (fiqh) organisés en chapitre et par sujet ;
‰ la loi mobile (fatwa)
7 - Elle est plus en prise avec la réalité et le contexte où se
trouve le canoniste qui pense la norme. Elle est plus pratique,
plus pragmatique. Elle permet à la sharia d’avoir un aspect dynamique qui ne se contente pas d’énoncer une loi même scripturaire (même coranique). Elle donne des dérogations, des exceptions... À cet égard la sharia ne se confond pas avec l’application
mécanique d’un verset coranique ou d’un hadith normatifs
univoques et formels si les conditions ne le permettent pas, dont
l’application trahirait l’esprit, provoquerait un trouble sociétal ou
engendrerait une contrainte insurmontable.
La fatwa, change en fonction des époques, des situations, des
lieux, des intentions et motifs, des traditions, et des conventions
sociales 2.
2. Les sources du droit musulman
8 - Le théologique et le juridique sont deux répertoires distincts.
Nous venons de l’indiquer. Cependant le droit n’est pas totalement en rupture par rapport au théologique, métaphysique. Ils
s’articulent autour de sujets communs grâce à la discipline de
usûl al-fiqh, fondement du canonisme et du droit. Nous l’appellerons principologie. Elle s’intéresse aux sources des lois, la
méthodologie de l’interprétation des Textes scripturaires et des
techniques et démarches d’élaboration de normes non abordées
même indirectement par les Textes fondateurs. Les ouvrages
classiques de la principologie s’ouvrent généralement sur des
questions métaphysiques liées aux qualités et attributs du
(L)législateur, le statut et la nature du langage (qui articule la loi),
le statut de la raison... Elle aborde également la validité des théories normatives et la pertinence de leurs techniques et règles. La
principologie correspond en quelque sorte à la philosophique
et à l’épistémologique du droit.
A. - Les Textes scripturaires
9 - Les références premières du droit musulman sont : le Coran
puis la Sunna (paroles et faits du Prophète, comme personne
divinement inspirée).
Elles sont le lieu fondationnel premier de la pensée et de l’agir
musulmans. Cependant, il a toujours été clair dans l’esprit des
canonistes musulmans que l’interprétation de la loi à partir de
ces Textes doit être problématisée par des procédures et des
techniques herméneutiques.
Al-Juwaïny (m.1086), un des maîtres de la principologie,
précise que les fondements de la sharia sont initialement dans
l’information scripturaire (al-khabar) mais aussi dans le « raison2. Ibn-Qayyem Al-Juzia a développé cette règle dans son livre en 56 pages,
I’lâm al-muwaqqi’în, t. 3, p. 14-70.
nement » (an-nadhar) 3. Le mu’tazilise, courant théologique
musulman bien connu, va jusqu’à penser que la raison (al-’aql)
est capable par elle-même d’estimer, sans le secours de la Révélation, ce qui est bien et ce qui est mal. Certains hanbalites n’en
pensent pas moins 4. Il s’agit là curieusement d’une théologie
immanentiste de l’éthique et du droit.
B. - Le Consensus (al-Ijmâ’e)
10 - Il est la troisième source du droit, après le Coran puis la
Sunna (ou hadith). Mais le consensus absolu n’est pas facile à
obtenir. La notion d’Ijmâ’e a fait l’objet de définitions multiples.
La seule forme admise par tous est le consensus établi autour
d’une seule interprétation d’un Texte parce qu’univoque. L’interdiction principielle de l’adoption (at-tabannî, en arabe) avec
attribution de filiation avec certaines conséquences qui s’en
suivent relève de ce type de consensus, car il se réfère à un Texte
univoque, comme nous le verrons.
C. - L’Analogie (al-qiyyas) :
11 - Il a fait l’objet de plusieurs définitions selon ses multiples
formes. Sa pratique la plus élémentaire consiste à transposer une
loi explicitement et formellement citée dans un Texte en rapport
à une situation donnée à une autre situation qui présente la
même raison (’illa) d’application de la loi, énoncée dans le
Texte. Il s’agit dans cette forme élémentaire de l’Analogie d’un
cas nouveau qui reçoit la même loi d’un cas-type. La complexité
de l’application de l’Analogie vient du fait que le Texte pourrait
contenir une raison implicite qu’il faudrait décrypter a priori. Il
pourrait en contenir éventuellement plusieurs raisons ou motifs.
L’opération de l’Analogie oblige l’herméneute canoniste à effectuer deux démarches. La première est l’exploration fine pour
trouver l’intention du Texte, afin d’en extraire la raison, qui n’est
pas évidente dans ce cas figure. Cette opération s’appelle « pénétration », aç-çabr. La deuxième opération vise la vraie raison de
la loi lorsque le Texte en suggère plusieurs. L’herméneute doit
accomplir dans ce deuxième cas de figure une classification et
une hiérarchisation des motifs de la loi pour en sélectionner celle
qui lui apparaît la plus pertinente, la plus déterminante de la loi.
On appelle cette opération par « fractionnement », taqçîm. C’est
à ces deux niveaux, entre autres, de la pratique de l’Analogie où
les canonistes divergent souvent.
D. - L’Estimation (Al-içtihçân)
12 - Elle permet de sortir des aberrations auxquelles pourraient
conduire la logique et l’application mécanique de l’Analogie ou
celle d’une autre méthode ou principe. La loi ne doit pas perdre
de vue l’esprit de justesse et de justice. L’Estimation exige alors
une grande intuition de l’esprit canoniste (fiqh an-nafs). Il s’agit
d’une démarche d’ajustement. C’est Abu-Hanîfa (m.768), fondateur de l’école hanafite, qui adopta cette approche. C’est la
source des lois la plus subtile car elle convoque plusieurs mécanismes de la pensée canonique et juridique. Chaféi (m.820),
fondateur de l’école chaféite, contesta fortement cette méthode,
car elle donne au canoniste un pouvoir législateur subjectif et
arbitraire. Mais, lui-même n’a pu l’éviter devant certains cas très
compliqués.
E. - Le principe d’Utilité (al-maslha)
13 - Les malikites sont les précurseurs de ce concept. Ils ne
l’appliquent que dans les domaines sur lesquels les Textes sont
3. Al-Juwaïny Abdulmalik, Al-kâfiyatu fî al-jadal : Dar al-kutub al-’ilmiyya,
Beyrouth, 1999, p. 55.
4. Ibn-Qayyim Al-Juzia, madârij as-sâlikîn : Dâr al-kutub al-’ilmiyya, Beyrouth,
non datée, t. 1, p.258-259.
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silencieux. Il fut extrapolé par les hanbalites à tous les champs
de la loi et transformé carrément en paradigme à la lumière
duquel doit être comprise la sharia et interprétées ses sources
scripturaires. La loi, dans cette perspective théologique hanbalite, doit être au service des hommes et pas le contraire. Elle n’est
pas une peine. Et si loi contient une épreuve, elle n’est pas vaine,
dénuée de sens et donc serait absurde.
Par conséquent toute lecture qui procure des désavantages ne
doit pas être attribuée à la sharia, comme le mentionne le
hambalite Ibn-Qayyim (m.1350) : « La sharia est fondée sur la
sagesse – le bon sens – et l’utilité pour l’homme dans ce bas
monde et dans l’au-delà : elle est toute justice, toute miséricorde,
toute avantage (maslaha), toute sagesse. Par conséquent une loi
qui sort de la justice à l’injustice, de la miséricorde à son
contraire, de l’utilité au désavantage, de la sagesse à l’absurdité
ne fait pas partie de la sharia, même si on l’y introduit par une
quelconque interprétation... » 5.
C’est probablement Atûfy Sulaïmân (m.1317), un autre hanbalite, qui a poussé ce principe à l’extrême, car il va jusqu’à son
application même au détriment de la lettre de certains Textes
(Coran et Sunna). Cette approche penche vers une vision des
Textes qui contiennent une pédagogie, une sagesse, une raison
et une utilité (maslaha) de la loi plus importantes que la forme
de la loi elle-même. C’est l’esprit de la loi qui importe, et donc
il ne faudrait pas se fixer toujours et dans tous les cas éternellement sur certaines formes de lois scripturaires, insensiblement
aux exigences du contexte où se trouve la communauté ou
l’individu concerné, puisque ces dernières étaient liées à un
contexte particulier, celui de l’époque et du peuple immédiat du
Prophète. Cette approche hanbalite de la maslaha ne concerne
pas le domaine du rite (al-’ibâdâte-s).
F. - La coutume, l’usage, la tradition, les
conventions sociales... (al-’urf)
14 - C’est l’une des grandes sources de la sharia. Le Coran
renvoie souvent à la notion de ma’rûf, citée une trentaine de fois,
comme principe normatif. Beaucoup d’enseignements du
Prophète ont également pris en considération les coutumes de
son peuple. Ce principe suppose le changement de la loi selon
le changement des coutumes et des traditions. Il n’est pas admis
dans l’absolu et sans conditions. Selon les critères propres à
chaque école canonique on lui donne une place plus au moins
importante.
G. - D’autres règles
15 - Il y des principes (usûl), nous en avons vu les principales.
Mais il y a aussi une multitude de règles (qawâ’ide) subsidiaires.
Citons-en quelques-unes : « La nécessité fait loi » (ad-darûrâte
tubîh al-mahdûrâte) ; « Le besoin a le même statut que la nécessité » (al-hâjatu tanzilu manzilatu ad-darûra) ; « L’interdiction
préventive » (saddu adh-dharâ’i’e), inventé par les malikites, une
sorte de principe de précaution, « Tout moyen nécessaire pour
réaliser un devoir devient lui-même un devoir », etc.
Chacun de ces principes et chacune de ces règles admet des
conditions d’acceptation et ont fait l’objet d’une grande disputation (khilâfiyyate) entre les principologues.
3. De la production plurielle à la
fixation « définitive »
16 - Selon les options méthodologiques, l’interprétation et
l’invention du droit diffèrent d’un juriste à un autre, d’une école
5. Ibn-Qayyem Al-Jûzia, I’lâm al-muwaqqi’îne : Dar al-kutub al-’ilmiyya,
Beyrouth1996, t. 3 ; p. 11.
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juridique à une autre. Cette activité intellectuelle intense, appelée Ijtihâd, est venue répondre à la diversité des communautés
et des cultures que l’islam a rencontrées lors de son extension.
Après, environ, quatre siècles de production intellectuelle les
musulmans se sont trouvés devant une vraie inflation normative.
Car une fois atténuée l’extension de l’islam, cette surproduction
de la norme, commence à produire des effets négatifs parce que
démesurée par rapport aux besoins normatifs réels des sociétés
musulmanes de ces époques. Pour une même question éthique
ou juridique, on pourrait avoir une multitude d’avis différents et
souvent opposés. Cela commence à troubler la foi des communs
des musulmans. Pour éviter un chaos religieux, les canonistes
ont décidé d’atténuer cet élan de l’ijtihad qui dissuadait également les non-musulmans de se convertir à l’islam, car les gens
avaient l’impression d’être devant plusieurs religions différentes,
plusieurs églises. Comme dans un concile – mais informel et sans
réunion officielle ni concertation – les savants de l’islam ont
décidé spontanément de fermer les portes de l’ijtihad, tel un
dogme. Certains canonistes et théologiens continuèrent cependant à le pratiquer subrepticement dans le cadre des écoles constituées.
Cette période, Xe siècle environ, inaugura l’ère du taqlîd
(mimétisme doctrinaire et suivisme théologico-canonique) qui
prit la place de l’ijtihâd des premiers temps. Les canonistes se
contentèrent d’interpréter le droit, devenu presque divinisé, au
lieu d’en produire, sauf quelques rares exceptions. La fermeture
de l’ijtihad, peut-être qu’au départ a-t-elle évité un problème
d’excès normatif, néanmoins il en a créé un autre, celui du fanatisme. La culture du pluralisme des premières générations des
canonistes a cédé la place à celle du sectarisme des derniers.
On qualifie cet état de fait canonique par la tradition des hâwâchî qui veut dire « marges », parce qu’il s’agit de commentaires
faits à la marge d’un texte de droit. On pourrait ainsi trouver dans
un même ouvrage de droit classique trois marges ou plus : l’interprétation du texte de droit initial, souvent celui d’un grand maître
canoniste d’une des écoles établie, puis l’interprétation de son
interprétation, puis l’interprétation de l’interprétation de son
interprétation, etc. Et c’est ainsi que l’esprit du droit s’est trouvé
perdu dans les marges. Cette paralysie de l’esprit canoniste a
laissé des traces dont souffre encore le monde musulman. Elle
fut l’un des effets pervers de cette fermeture de l’ijtihad.
Finalement, le droit musulman formalisé s’est ossifié en quatre
grandes écoles, pour ne parler que de la tendance théologique
sunnite 6 : hanafisme 7, malikisme 8, chaféisme 9 et hanbalisme 10. Au Maghreb ce n’est qu’une variante malikite qui fut
adoptée, un peu différente de celle de Bagdad.
4. Le droit musulman et le pouvoir
politique
17 - Il est établi historiquement que le droit musulman était
toujours indépendant du pouvoir politique. Ce dernier n’interfère pas dans l’activité des instances chargées d’élaborer les
règles et les lois ni dans leur mise en application par les juges.
Les bases fondamentales étant posées par les fondateurs des
6. Il y a un droit de la tendance théologique Chiite, pluriel aussi, comme le droit
Jafarite, le droit Zaïdite... Il y a également un droit issu de la tendance théologique kharijite représenté par le droit Ibadite. Quant à la tendance théologique Mu’tazilite, si elle a contribué activement à formaliser les fondements
théoriques (usûl al-fiqh) du droit musulman, elle n’a pas pu produire un droit
avec des lois et des normes.
7. Fondé par l’imam Abu-Hanîfa.
8. Fondé par l’imam Malik ibn Anas (m.796).
9. Fondé par l’imam Chaféi Mohammed.
10. Fondé par l’imam Ahmed ibn Hanbal (m.856).
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grandes écoles canonistes et les jurisprudentiels inauguraux dès
le début du VIIIe jusqu’à la fin du IXe siècle. Le pouvoir politique
se contentait de nommer les juges (qadis) et même un qadi
suprême (qadi al-qudât) – une sorte de juge d’appel ou de cassation, puis exécuter leur jugement.
Dans une même ville, surtout dans des villes comme Bagdad,
Koufa, Caire... on pourrait trouver un tribunal hanafite, un autre
chaféite, un autre malikite, un autre hanbalite. Les justiciables
selon leur option juridique se dirigent vers tel ou tel tribunal, tel
ou tel qadi. On peut qualifier cette disposition de justice ou de
droit sociétal, par opposition au droit étatique.
18 - Dans cet état d’indépendance est resté le droit musulman,
pluriel et décentralisé jusqu’à la colonisation séculière occidentale et l’éclatement de l’Empire Ottoman. La décolonisation a
laissé derrière elle des frontières politiques et des États-nations,
qui forgèrent des identités nationales nouvelles. Le monde
musulman était jusqu’alors organisé en logiques régionales,
communautaires, ethniques..., toutes au sein d’un même
système où la géographie politique nationale (dâr al-islâm)
correspondait à celle d’une communauté spirituelle, sauf quelques exceptions. La notion de la Umma spirituelle se confondant
ici avec celle de la Umma nationale politique.
Le contact massif et inégalitaire de l’univers musulman avec
l’Occident a provoqué de grands bouleversements dans tout ce
système, au niveau des pratiques aussi bien qu’au niveau idéologique. Le droit musulman va subir deux révolutions profondes :
l’une par rapport à sa conception classique, l’autre au niveau de
sa mise en pratique. Chronologiquement, la sécularisation politique a modifié d’abord sa forme pour qu’ensuite la sécularisation idéologique vienne interroger sa légitimité même.
L’invasion du droit étatique né en Occident à partir du XIXe
siècle va gagner les États musulmans qui vont inscrire dans leurs
corpus législatifs des normes islamiques pour en faire des règles
de droit positif (qânûn). Le droit allait devenir alors le produit de
la volonté de l’État. Même en Arabie Saoudite où le droit est resté
presque entièrement classique (hanbalisme) et où le droit religieux continue à vivre en autonomie, ce sont des textes étatiques
qui en posent le principe. On parle dans cette culture politicoreligieuse de Annidhâm al asâsî 11.
Le droit devenu ainsi l’expression de la volonté de l’État va
investir automatiquement toute la société. Le politico-religieux
à travers l’enjeu de l’islamité ou non du droit va devenir central.
Cela transparaîtra et d’une façon récurrente dans les débats politiques intenses dans certains pays musulmans, par exemple sur
la question du statut personnel. Sur un plan idéologique, le droit
musulman sera alors remis en cause plus au moins ouvertement.
19 - Pour comprendre le sort actuel du droit musulman et son
imbrication aux droits étatiques et son impact sur les sociétés
musulmanes, il ne faudrait pas se limiter uniquement à analyser
les dispositions constitutionnelles qui font référence selon les
pays à la sharia, au Coran, à la religion musulmane... Ces inscriptions dans la Constitution ne revêtent pour les croyants musulmans majoritaires de ces pays qu’une dimension plus esthétique
et affective qu’effective.
Et si la notion du droit musulman – assez floue, comme celle
de la sharia d’ailleurs dans beaucoup d’esprit, islamistes compris
– conserve encore un certain statut, c’est parce qu’il relève de
l’ordre de la préservation d’un ensemble de valeurs communes.
Dans la réalité ces valeurs s’inscrivent d’abord dans des logiques
et des stratégies politiques, identitaires, idéologiques, au niveau
local de chaque société musulmane et par rapport à l’environnement international.
11. Qui signifie littéralement l’« ordre fondamental » qui est une sorte de « protoconstitution ».
Un fait reste bien établi, c’est que l’« État musulman » ne trouve
pas le fondement de son organisation dans la sharia – ou dans le
droit musulman pour être plus juste. Par conséquent, la question
de savoir quelles sont les exceptions qu’apportent les Constitutions de ces États au « modèle politique islamique » ne se pose
pas, mais l’inverse. C’est-à-dire quelles sont les exceptions islamiques qu’elles réservent dans un système politique qui n’est pas
fondamentalement islamique. Bref, on n’est pas dans un État de
religion mais une religion d’État.
5. La kafala, la genèse d’un concept
20 - Après cet aperçu rapidement exposé sur l’état général du
droit musulman, nous aborderons ici la notion et la pratique de
la kafala, comme un de ces foyers de résistance du droit musulman devant une sécularisation rampante. Elle se propose comme
l’équivalent de l’adoption. Celle-ci est née et définie dans la catégorie du droit séculier occidental, reconnue par le droit international, lui-même à dominance occidentale.
L’adoption engage au niveau de la filiation les parents adoptants, leurs enfants, les frères et les sœurs des parents et leurs
parents, ainsi de suite. Tout rapport conjugal de la part de l’enfant
adoptif avec un membre de cette grande famille, serait dans ce
cas un inceste, etc. Voilà un de ses effets. Elle n’est donc pas une
simple procédure administrative d’attribution de nom de la
famille adoptante, des droits sociaux et successoraux, elle
suppose une certaine conception de la famille, de la généalogie,
de l’identité de la personne et met en jeu ainsi un aspect aussi
anthropologique que psychanalytique. Elle est d’une certaine
manière liée à la question des valeurs. Et l’on ne sait que trop
bien la dialectique complexe qui existe entre les valeurs d’une
société, ou d’une civilisation, et son droit. Le droit reflète certaines valeurs de la société qu’il pourrait créer réversiblement 12.
Une fois le droit passé au registre des valeurs, sa contestation
deviendrait une remise en cause de l’identité de toute une
société, territoire sensible par essence.
21 - La kafala vient poser ici une question juridique et technique à la pratique de l’adoption et qui suppose que la réponse est
censée intégrer une portée interculturelle. C’est à ce titre
qu’accueillir la kafala dans le droit français constitue un chantier difficile à débrouiller totalement. La situation crée un certain
flou juridique. Traiter cette question c’est traiter aussi bien les
faiblesses de l’universel que les limites du spécifique relatif.
Nous allons nous contenter ici dans un premier temps d’aborder la légitimité de la notion de la kafala et ses fondements, puis
très rapidement sa forme juridique actuelle, puisque d’autres
plus compétents l’aborderont amplement. Disons d’emblée que
son noyau insécable reste l’interdiction d’attribution de filiation.
C’est ce point nodal qui fait sa différence avec l’adoption qui va
nous occuper ici.
A. - Un aspect théologique
22 - Métaphysiquement la question de la filiation puise son eau
d’une source théologique très sensible chez les musulmans.
Dieu, contrairement au christianisme, n’a pas engendré et n’a
pas été engendré 13. L’islam n’admet pas d’attribution, même
métaphoriquement, d’une quelconque filiation à Dieu. Car dans
ce domaine des croyances, la métaphore ou la parabole finit
12. Nous connaissons la place de l’abolition de la peine capitale assez récente
d’ailleurs 1981, alors que 60 % des français étaient majoritairement partisans de la peine de mort. Après la loi de l’abolition, inscrite aujourd’hui dans
la Constitution, elle est aujourd’hui considérée comme un grand progrès de
l’humanité. Cette loi est adoptée par toute l’Europe comme un de ses
marqueurs identitaires.
13. Sourate 112.
13
Dossier
souvent par être prise à la lettre, ce qui induirait à une forme de
tromperie. Pour être théologiquement plus explicite, Jésus dans
le Coran n’est ni fils de Dieu ni celui de l’homme. Le christianisme s’est accommodé de cette amphibologie scripturaire évangélique, où Jésus-Christ pourrait être à la fois fils du Dieu Père
(qui est dans le ciel) et fils de Joseph 14, mari de Marie. Jésus est
qualifié dans cette tradition également de fils de David, ancêtre
de Joseph.
Pour l’islam, il en est tout autrement. Jésus n’a pas de père, né
à partir d’un souffle divin (ruhu-llah) déposé dans le ventre de
Marie par l’Ange Gabriel, appelé dans le Coran par le Saint-Esprit
(rûh al-Qudus). Jésus est nommé dans le Coran par « Jésus fils de
Marie » (’Issa ibn Maryam). Pour cette raison les canonistes stipulent que l’enfant doit porter le nom de sa mère si on ne connaît
pas le nom de son père.
Certains malikites peuvent y voir dans cette histoire une possibilité d’appliquer ici leur « principe de précaution » (saddu
adh-dhrâ’i’e), déjà vu, et qui consisterait à interdire de s’attribuer
des filiations (non biologiques ni légales 15 afin de ne pas ouvrir
la porte à une vision anthropomorphiste de Dieu, si l’on admet
que nos pratiques anthropologiques pourraient avoir une incidence sur nos perceptions théologiques.
Si l’on adopte une archéologie foucaldienne des valeurs juridiques, on pourrait avancer ici qu’il serait compréhensible que
dans une certaine civilisation d’origine chrétienne – même fortement positive et sécularisée – l’adoption plénière ou simple ne
constitue pas un problème métaphysique, ni éthique, encore
moins juridique.
Certes, cette approche théologique de l’interdiction d’attribution de la filiation à l’enfant adopté n’est pas un argument direct
et objectivement très probant en droit musulman. Néanmoins il
peut aider à comprendre le lien que pourrait avoir le droit avec
les valeurs, qui s’enracinent parfois et d’une façon non consciente ou non conscientisée dans le théologique et dans des
croyances qui au fil du temps persistent dans une société à
l’échelle de traces et dans des comportements impensés.
B. - La kafala dans les textes scripturaires
23 - Des textes scripturaires explicites en parlent directement.
Nous en avons deux.
Le récit coranique qui évoque explicitement le mot kafala,
concerne Marie mère de Jésus. Elle fut prise en charge par Zacharie (kafalahâ zakariyyâ’) 16 en conservant son nom patronymique : Marie fille de Imrân 17 (Mariam bint ’Imrân). Imrân étant
son vrai père. Dans ces époques, les noms étaient patriarcaux et
le demeurent encore d’une certaine façon, même après l’invention assez récente de la notion de nom de famille. Le récit de
Marie contient un enseignement moral, reçu grâce à une règle
juridique chaféite. Celle-ci stipule que « la loi, l’éthique ou la
règle antécédemment révélée (les Anciennes Écritures) nous la
faisons nôtre, tant qu’elle n’est pas abrogée par nos Écritures
(Coran et Sunna) ». Elle pourrait à ce titre constituer un argument
pour la kafala, avec interdiction d’attribution de filiation. Mais
il n’est pas l’argument le plus fort.
Ce sont les versets 4 et 5 de la sourate 33 qui sont venus abolir
cette pratique d’une manière univoque : « (...) Il n’a pas fait que
vos épouses que vous avez rendues comme vos mères par simple
14. Jn. 1, 45 ; Mt.1, 1-17 ; Lc. 3, 23-38.
15. Par distinction à la filiation biologique. Cela signifie dans que le droit musulman l’enfant –né dans le cadre d’un mariage– est attribué au père légal même
si son père biologique pourrait être un autre. Il est aussi possible de l’attribuer au père biologique, s’il est né dans le cadre d’une union en dehors du
mariage.
16. Coran (3, 37).
17. Coran (66, 12).
14
DROIT DE LA FAMILLE - REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - JANVIER 2009
déclaration – pour ne plus avoir de rapports intimes avec elles 18
– le soient effectivement, ni que vos enfants adoptifs soient
comme vos propres enfants. Ce n’est qu’une parole qui sort de
votre bouche, mais Dieu dit la vérité. C’est lui qui guide vers le
chemin droit. Appelez-les du nom de leurs vrais pères, cela est
plus juste pour Dieu (...) » 19.
L’adoption plénière tabannî était pratiquée dans le contexte
historique préislamique, rappelons-le. Le Prophète l’avait pratiqué. Des passages de la même sourate, versets 37-40, sont venus
compromettre le Prophète en y engageant sa personne et sa vie
intime 20.
C. - La kafala dans le droit classique
24 - Dans le droit classique la kafala a d’autres significations.
Chez les hanafites, elle concerne le cautionnement de personnes, de dettes, une prise en charge de mission... 21.
Les malikites la réservent essentiellement aux domaines de
l’argent, du cautionnement des dettes 22.
Les chaféites considèrent que la kafala n’est qu’une forme du
damâne, un cautionnement ou une garantie 23.
Les hanbalites parlent de damâne et n’utilisent carrément pas
le terme de kafala 24.
18. Ce processus s’appelle ah-dhihâr : lorsqu’un homme se fâche avec sa femme
et décide de ne plus l’approcher sexuellement lui dit : « ton dos m’est devenu
aussi interdit que celui de ma mère ». Une façon de dire : « si je couche avec
alors toi je commettrai l’inceste », il s’agit d’une forme de jurement, que
l’islam a aboli dans une autre sourate (58, 1-4).
19. Coran (33, 4-5).
20. Ces passages ont mis le Prophète dans un grand embarras. Car la coutume,
très forte alors dans ce milieu, interdisait aux parents adoptifs de se marier
avec les ex-épouses de leurs enfants adoptifs. C’est le Prophète lui-même qui
a été derrière le mariage entre Zaïneb sa cousine et Zaïd esclave qu’il affranchi, puis adopté, et auquel il avait beaucoup de tendresse. Ce dernier portait
jusqu’alors le nom de Zaïd ibn Mohammed (nom du Prophète), au lieu de
Zaïd ibn Harîtha, le nom de son vrai père. Mais vu la différence du rang
social, et l’incompatibilité de leur caractère, leur ménage n’a pas survécu.
En effet, Zaïneb était très fière car très belle et appartenant à la noblesse
mecquoise. Elle fait partie de ces femmes qu’on appelait Hurra. Par ce
mariage, le Prophète a voulu abolir dans les esprits les frontières, celles des
origines, des rangs et des statuts sociaux, mais cela n’a pas marché. Implicitement selon le Coran, le Prophète était déjà informé que leur divorce était
inéluctable et qu’après leur divorce, Zaïneb sera mariée à lui. Car si l’on
entend le Coran (33, 52), c’est Dieu qui lui choisi les épouses. Mais malgré
le fait qu’il en soit avisé, lorsque Zaïd vient lui parler du divorce avec Zaïneb,
le Prophète gêné, le dissuadait pour ne pas divorcer et insistait à ce qu’il
garde Zeïneb. Mais ce qui doit arriver arriva, Zaïd ne supportant plus la fierté
de Zeïneb fini par divorcer. Après la révélation de ces versets (33, 37-40),
hormis Zeïneb qui fut enchantée et ravie, tout le monde a senti un grand
malaise, particulièrement le Prophète auquel s’adressaient directement les
versets. Comme si le Coran pour abolir cette pratique a voulu choisir l’exemple du Prophète lui-même, sa vie personnelle. Il reste pour les croyants un
exemple, il doit donc être le premier à donner l’exemple même quand cela
le met dans une difficulté. En effet, Aïcha épouse du Prophète disaient de ces
versets très compromettants : « Si le Prophète voulait cacher aux musulmans
une partie de la Révélation, il aurait caché ces versets et ne les aurait jamais
transmis, tellement ils étaient très durs à son égard ». Il s’agit surtout du
passage qui lui dit que : « Tu –Muhammed– gardait en toi ce que Dieu allait
bientôt dévoiler – le divorce de Zaïd et de Zeïneb –, et tu crains les gens alors
que c’est Dieu que tu dois craindre. Une fois Zaïd divorcé Nous te l’avons
mariée – Zeïneb – afin qu’il n’y ait plus de gêne pour les croyants vis-à-vis
des ex-épouses de ceux qu’ils prétendent être leurs fils – c’est-à-dire adoptifs, une fois ceux-ci divorcés ».
21. Al-’Aïny Mahmûd, Al-binâya : dar al-fikr, 1990, Beyrouth, t. 7, p. 536-596.
22. Al-Qarâfî Ahmed, adh-dhakhîra : dar al-gharb al-islâmî, Beyrouth, 1994, t.
9, p.189.
23. Charwânî et Al-’Abbâdî, Hawâchî Tuhfat al-Muhtâj : éd. al-kutub al-’ilmiyya,
Beyrouth, 1996, t. 6, p. 612.
24. V. Al-Maqdisî Abdullah ibn Qudâma, Al-Mughnî : dar al-kutub al-’ilmiyya,
Beyrouth, 1983, t. 5, p. 70-108.
Dossier
DROIT DE LA FAMILLE - REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - JANVIER 2009
Le kafîl est appelé également za’îm 25, hamîl, sabîr, dâmin,
adhîn, qabîl 26.
D. - La kafala dans le droit étatique musulman
actuel
25 - Telle qu’elle est entendue, la kafala tire sa légitimité du
Coran, certes, mais également d’un aspect de la kafala ancienne
du droit classique. Il s’y ajoute d’autres notions issues de ce
même droit : le droit de l’« enfant trouvé, sans parent(s) » (ahkâm
al-laqîte) 27 ; la notion de la tutelle (al-wilâya) ; de la « délégation » (al-wakâla) ; la « suppléance » (an-niyâba), etc.
Il s’agit d’une combinaison de plusieurs aspects du droit canon
musulman – si l’on peut user d’un vocabulaire chrétien – articulé
sous forme de droit musulman positif (qânûn islâmî).
Elle y est définie comme une mesure d’accueil légal d’un
enfant, par une famille n’altérant pas la filiation de celui-ci, et qui
peut-être assurée également par un organisme ou un établissement ; un engagement de prendre bénévolement en charge
l’entretien, l’éducation et la protection d’un enfant mineur, au
même titre que le ferait un père pour son fils. Ses effets sont ceux
de la tutelle légale et ne crée aucun lien de filiation...
Il faut dire que ce mode d’accueil des enfants a toujours été
pratiqué dans les sociétés musulmanes, par des personnes mais
également par les institutions de waqf, une culture sociétale et
sociale de générosité et de solidarité observée depuis la naissance de l’islam. Ce qui nouveau, par contre, c’est l’ampleur du
phénomène provoqué par l’évolution des mœurs et la complexification des sociétés musulmanes, et qui exigent désormais une
gestion juridique plus élaborée. Ceci, entre autres, a fait sortir
cette pratique du seul registre de l’éthique pieuse de charité à des
implications qui convoquent des dispositions juridiques et un
encadrement par un droit étatique à l’interface du national et
l’international.
26 - La kafala est un concept juridique reconnu par la convention des Nations Unies du 20 novembre 1989 relative aux droits
de l’enfant, mais la convention de La Haye du 29 mai 1993 sur
la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption
internationale, concernant toutes les formes d’adoption créant
un lien de filiation, ne la reconnaît pas.
Certains pays musulmans, la Tunisie, Turquie, l’Indonésie, par
exemple, ont fini par concordisme juridique à reconnaître
l’adoption, et ceux qui ne la reconnaissent pas délivrent déjà des
autorisations exceptionnelles d’adoption. Un pas a été déjà franchi en Algérie. Une fatwa 28 reconnaît la possibilité de transmettre son nom à un enfant adopté, mais sans conséquence sur les
effets juridiques de la filiation et l’héritage. Ceci illustre bien la
fonction de la fatwa, comme une norme plus en prise avec la
réalité et donc capable de pragmatisme, de dérogation, cherchant l’intérêt de l’enfant en appliquant le principe de la maslaha
(concept malikite), celui de la nécessité (ad-darûra) qui fait loi
ou autres règles avec certaines conditions et dispositions.
Certains canonistes actuels suggèrent des fictions canoniques
(huyal fiqhiyya), en proposant par exemple un acte qui permet
25. On trouve ce qualificatif dans Coran (12, 72)
26. On pourrait expliquer cet état de fait par des raisons pratiques. Par exemple
dans le cas du divorce par exemple, il se peut que l’on ignore à qui appartient un enfant : au premier ou au deuxième mari ? la mère étant connue
d’office. C’est pour cette raison que certains droits, le droit musulman notamment, ont instauré un délai de viduité pour s’assurer que la femme n’est pas
enceinte et interdire ainsi tout autre mariage avant l’accouchement, pour
attribuer l’enfant au premier mari et non au deuxième.
27. Al-Hattâb Mohammed al-maghribî, mawâhib al-jalîl : dar al-kutrub
al-’ilmiyya, Beyrouth, 1995, t. 8, p. 53-62, p. 264.
28. Fatwa délivrée par le ministère des Affaires religieuses, 20 août 1991 à Alger,
à la demande de l’Association enfance familles d’accueil bénévoles. Le
décret du Premier ministre qui a suivi est du 13 janvier 1992.
de faire entrer l’enfant dans la famille par filiation, mais qui reste
de deuxième degré. Il s’agit du lien par allaitement (ar-radâ’a).
Il consiste à allaiter l’enfant à prendre en charge (makful) par la
femme (kafile). Celle-ci devient sa mère, ses enfants deviennent
ses frères et sœur et le mari devient son père, etc. Ceci n’est valable que pour les bébés, des nourrissons. Ce procédé crée une
filiation qui lui interdit tout mariage avec les parents et frères de
lait, etc., comme pour l’adoption certes, mais n’autorise pas à
l’enfant qui en bénéficie de porter le nom de sa famille de lait,
ni d’avoir une part nommée scripturairement dans la succession
(qu’on appelle un fard). Ce qui en définitive ne change en rien
quant au fond du problème, même s’il rejoint l’adoption au
niveau de l’interdiction du mariage avec les enfants de sa mère
de lait.
Par contre, qu’il soit simple makful ou enfant de lait et makfûl,
il peut bénéficier d’une part des biens du kafil que ce soit par un
legs (hiba), par simple testament (wasiyya), ou par une disposition théoriquement possible, que l’on nomme en droit musulman « testament obligatoire » (al-wasiyya al-wâjiba), à condition
qu’il ne dépasse pas le tiers de la succession globale. Cette disposition est l’équivalent de la succession anomale, ou legs universel. C’est une clause plausible. Le verset 8 du chapitre 4 du
Coran, ouvre cette perspective. Cependant ni le droit de la kafala,
Marocain ou Algérien, à ma connaissance, ne fait mention à
cette possibilité successorale, pourtant possible théoriquement
dans le droit musulman classique.
6. La kafala en France
27 - Quand il s’agit de citoyens vivants dans un pays musulman
qui pratiquent la kafala, juridiquement cela ne pose aucun
problème. Mais quand il s’agit de binationaux (franco-marocains
et franco-algériens) ou de simples résidents marocains ou algériens qui veulent pratiquer la kafala, des problèmes concrets
inextricables apparaissent et un gouffre juridique s’ouvre devant
eux et surgit des difficultés insurmontables mettant en jeu
plusieurs registres : celui du droit bien sûr, celui d’une politique
d’immigration contradictoire, de l’économique, du religieux, du
social, etc.
Les croyants musulmans pratiquants résistent à l’adoption,
même simple. L’adoption étant une pratique permise mais pas
obligatoire, les résidents ou citoyens nationaux (généralement
binationaux) de confession musulmane qui ont un certain
respect des prescriptions coraniques, cherchent d’autres modes
de prise en charge d’enfants sans entrer en porte-à-faux avec leur
religion : parrainage d’enfants d’autres pays par le biais d’organismes humanitaires ou autres moyens. Mais la kafala reste la
possibilité idéale, surtout pour le couple qui ne peut avoir
d’enfants. Elle est permise en France pour les époux demeurant
en France. Il leur est également possible d’adopter simplement
un enfant (de nationalité marocaine ou algérienne) confié à l’un
d’eux dans le cadre d’une kafala. Car elle reste assez proche
quant à ses effets de l’adoption simple qui permet à l’adopté de
rester dans sa famille d’origine et d’y conserver tous ses droits.
Elle s’en distingue bien sûr par le fait qu’elle refuse l’attribution
de la filiation de la famille d’accueil.
28 - L’adaptation de la kafala à l’adoption simple pourrait être
une solution médiane, à condition que l’enfant soit informé que
ses adoptants ne sont pas ses vrais parents, si on ne peut garantir l’intérêt de l’enfant autrement, lequel intérêt doit en principe
être un souci majeur des législateurs des deux bords. Des canonistes classiques parleront d’« un moindre mal » (aqallu addararaïne) surtout lorsque cela reste le seul moyen qui réalise
l’avantage (maslaha) de l’enfant. Seul le procédé de fatwa qui
pourrait aux yeux de la sharia abordé cette conciliation, vue sa
nature mobile et réaliste.
15
Dossier
29 - Je n’entamerais pas les aspects compliqués de la recevabilité de la kafala dans le droit français, d’éminents intervenants
les aborderont au cours de ce colloque. Ce que je voudrais noter
ici c’est le fait que jusqu’à présent, aucune sociologie sérieuse,
en ma connaissance, n’a été encore faite sur la pratique de la
kafala en France afin de nous décrire objectivement l’ampleur
et la réalité sociologiques de ce phénomène, pourtant liminaire
pour penser le droit en la matière. Des dérives dans la pratique
de la kafala ont été constatées. La motivation du kafîl, résident
étranger ou citoyen français, n’est pas toujours éthique et généreuse ni religieuse, mais parfois opportuniste et intéressée. En
effet, le makfûl une fois sur le territoire français, vu la vulnérabilité de sa situation, étant coupé de sa famille d’origine et à
cause de son statut ambigu, pourrait se trouver objet d’exploitation par le kafîl. Déjà au début des années 2000 l’UDAF de la
Haute-Vienne – région qui a toujours opté pour une politique
active de repeuplement – avait attiré l’attention sur ces enfants
mineurs auxquels étaient déniés des droits, hormis la scolarisation. À partir de dix-huit ans, la majorité de ces jeunes se retrouvent en situation irrégulière. Beaucoup ont sombré dans la délinquance, m’a-t-il informé l’aumônier musulman de prison de
Limoges et Recteur de la mosquée de Limoges. On peut trouver
parmi les kafils des retraités, des septuagénaires et des familles
d’accueil (kafîl) dont la condition ne leur permet même pas
d’assumer leur propre vie matérielle, vivant principalement
d’aides sociales. Cette situation n’est conforme ni au droit de la
kafala du pays d’origine ni au droit français.
16
DROIT DE LA FAMILLE - REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - JANVIER 2009
30 - Aussi est-il un fait remarquable, c’est que dans la même
région (Haute-Vienne), on trouve des makfûls qui viennent tous
de la même région, Mostaganem en Algérie, plus précisément.
On est en droit de soupçonner un certain « trafic », surtout
lorsqu’on sait qu’une seule personne, pourtant pauvre socialement, peut avoir l’autorisation de prendre en charge plusieurs
mineurs (makfûls). Peut-être que l’ambiguïté des conventions
signées entre les deux pays en explique ces aberrations. En tout
cas, le cas de la Haute-Vienne est criant. Dans un rapport consacré à l’exclusion, le Comité économique et social du Limousin
soulignait que « du fait de la méconnaissance du phénomène »,
la kafala constituait une véritable bombe à retardement et que
« la réalité de l’importance des enfants de la kafala à Limoges
soulevant de nombreuses interrogations. ». En 2005 le nombre
de ces enfants est évalué entre 200 et 600 dans le département
et principalement à Limoges. Cette approximation en dit long sur
le flou juridique et social dans lequel ces enfants vivent en
France, même l’adoption simple ou même plénière ne réglera
pas leur problème.
L’intérêt de l’enfant étant majeur et central pour l’adoption
comme pour la kafala, comment le réaliser concrètement et techniquement ? Je reviens ainsi à ma question de départ cédant la
place aux spécialistes pour en proposer des pistes de réflexions
certainement fécondes et qui permettront d’y répondre. ê
Mots-Clés : Kafala - Sharia
DROIT DE LA FAMILLE - REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - JANVIER 2009
3
Dossier
Recueil légal (kafala) et droit(s) positif(s)
Malika BOULENOUAR AZZEMOU,
professeur, université d’Oran
1 - En vertu de l’article 46 du Code de la famille algérien,
l’adoption est interdite.
L’objet de l’interdiction prévue par l’article 46 du Code de la
famille doit être défini par rapport au droit musulman, étant
donné que le Code de la famille s’inspire directement de ce
droit 1. Il faut alors rechercher ce que le droit musulman entend
par « adoption ».
Un auteur 2 l’a définie comme étant « un acte de volonté
émanant d’un homme ou d’une femme consistant à donner à un
enfant de filiation connue ou inconnue une filiation autre que sa
filiation biologique ». C’est cette forme d’adoption largement
pratiquée avant l’avènement de l’Islam et prohibée par les versets
coraniques 4 et 5 de la sourate 33 qui est visée par l’article 46
du Code de la famille. Aucun enfant ne peut se voir attribuer par
simple acte de volonté une filiation autre que sa filiation biologique 3.
Fidèle à une interprétation restrictive des versets 4 et 5 précités, et ayant le souci de rompre avec une certaine pratique judicaire de la période coloniale, le législateur algérien a interdit
l’adoption s’alignant ainsi sur de nombreuses législations de pays
musulmans 4.
Contrairement au droit tunisien par exemple qui n’a pas repris
le principe de l’interdit et a conservé l’institution dans son arsenal juridique, le législateur algérien a préféré s’exprimer d’une
manière non équivoque sur la prohibition de l’adoption.
2 - Le principe d’interdiction posé, il était néanmoins nécessaire de tenir compte des problèmes que vit la société algérienne.
Ne pouvant rester à l’écart de certaines réalités, (enfance abandonnée à une cadence effrayante 5, existence de couples stériles) le législateur algérien se devait de prendre en charge ces
questions sociétales et tenter de leur apporter des solutions.
Pour rester fidèle à l’esprit du principe de l’interdiction de
l’adoption prôné par le droit musulman, le législateur a institué 6
la kafala.
3 - Selon Millot 7 la kafala, qui serait à mi-chemin entre la
tutelle (wilaya) et la garde (hadana), consiste en un engagement
pris par un ménage de recevoir, d’entretenir et d’élever un enfant
de parents connus. Cet engagement se fait par contrat passé
devant adul 8 entre le ménage recueillant (kafil) et les parents de
1. C. fam. algérien, art. 222 : « En l’absence d’une disposition dans la présente
loi, il est fait référence aux dispositions de la « charia » ».
2. Mahiedine Abdul Hamid, Statut personnel en droit musulman (en arabe),
sans date.
3. Encore faut-il que l’enfant soit né du mariage conformément aux règles du
droit musulman.
4. Exemple : C. fam. marocain, art. 149, al. 1er : « l’adoption (Attabani) est juridiquement nulle et n’entraine aucun des effets de la filiation ».
5. Statistiques du ministère de la solidarité nationale en 2007 : 15000 enfants
sont nés hors mariage durant les cinq dernières années, 9000 de ces enfants
ont été pris en charge dans le cadre de la kafala dont 1056 par la communauté nationale à l’étranger, 1977 enfants ont été repris par leur mère biologique.
6. Il s’agissait pour le législateur d’empêcher « toute confusion avec l’adoption », V. G. Benmelha, Éléments du droit algérien de la famille : OPU 1993.
7. Millot, Introduction à l’étude du droit musulman : S. p. 413, n° 461.
8. Aduls : témoins du cadi.
l’enfant recueilli. Institution de nature contractuelle, les droits et
obligations qui en découlent sont liés à la volonté des parties
contractantes.
Cette pratique très utilisée concernait le plus souvent des
enfants liés au kafil par un lien de parenté (neveu, nièce, petitfils...). Elle reflétait une conception des structures de la famille
étendue. C’est d’ailleurs cette même conception qui a prévalu
et qui prévaut en Algérie et qui fait que l’on assiste bien souvent
à un recueil de fait d’un neveu ou d’une nièce, d’un petit-fils ou
d’une petite fille par un oncle ou par une tante, un grand père ou
une grand-mère.
Par ailleurs, on rapporte que, pendant la colonisation, des cadis
mais aussi des tribunaux de l’ordre colonial 9 ont admis la validité de l’adoption dans des cas où le statut personnel des requérants était pourtant soumis au droit musulman. La pratique judiciaire a même révélé qu’après l’indépendance mais avant la
promulgation du Code de la famille, certains juges ont cru devoir
accepter des demandes d’adoption en toute légalité.
La promulgation du Code de la famille en 1984 a solennellement sonné le glas de l’adoption et en signe de riposte le législateur a institué la kafala 10. Car il s’agissait d’abord d’interdire
l’adoption parce qu’elle heurte les fondements du système juridique algérien mais dans le même temps de trouver une issue
pour résoudre les problèmes que connaît la société algérienne.
En conformité avec les instruments internationaux 11, il est donc
prévu pour tout enfant privé de son milieu familial une protection de remplacement 12 conforme à la législation nationale en
la forme de kafala.
4 - La kafala ou recueil légal d’enfants a été réglementé par le
Code de la famille qui lui a réservé le dernier chapitre du livre
deuxième consacré à la représentation légale. Ce chapitre
incluant les articles 116 à 125 est intitulé « le recueil légal
(Kafala) ». Son domaine concerne non seulement les enfants
d’origine connue mais il s’étend aussi aux enfants d’origine
inconnue 13 auxquels l’institution semble principalement destinée. Ainsi les enfants trouvés ou abandonnés peuvent bénéficier
de l’institution. En outre et même si le législateur ne le prévoit pas
expressément, l’enfant né hors mariage devrait pouvoir faire
l’objet d’une kafala par ses parents biologiques. Mais cela ne lui
attribue pas pour autant la filiation. Cela même si les parents
venaient à s’unir par les liens du mariage après la conception de
l’enfant. Car juridiquement il restera toujours de filiation inconnue, même si ses parents biologiques le recueillent. Il convient
en effet de rappeler que le Code de la famille algérien n’admet
que la filiation découlant du mariage. Il n’y a que l’enfant conçu
9. V. F. Z. Sai, Le statut politique et le statut familial des femmes en Algérie :
Oran 2007, p. 110.
10. Signalons que l’ordonnance n° 76-79 du 23 octobre 1976 portant Code de
la santé publique prévoyait déjà la kafala au titre de l’assistance publique à
l’enfance.
11. L’Algérie a ratifié la CIDE en 1993.
12. V. notamment : CIDE, art. 20, al. 1, 2 et 3.
13. C. fam. algérien, art. 119.
17
Dossier
pendant le mariage qui peut prétendre à la filiation 14. La Cour
suprême algérienne en effet, a toujours refusé la légitimation
d’enfants par mariage subséquent 15.
Le recueil d’un enfant par une famille va créer un lien entre kafil
et makful qui n’est pas seulement d’ordre affectif. Réglementé par
les articles 116 à125 du Code de la famille, il entraîne des effets
juridiques. Institution dont la nature juridique est difficile à
cerner 16 – s’agit-il d’un engagement personnel, d’un contrat,
d’un acte de charité institutionnalisé, d’un acte judiciaire, d’un
serment, la kafala qui par certains de ses aspects se rapproche de
la tutelle officieuse qu’a connu le droit français 17 mais s’en éloigne par d’autres, présente une double caractéristique. D’un côté,
une assise bénévole, une volonté de faire œuvre charitable, d’un
autre côté, un aspect réglementaire, puisque la volonté de faire
œuvre charitable une fois née dans les conditions prévues par
la loi sera soumise à une réglementation plus ou moins précise.
5 - L’assise volontaire et bénévole de l’institution ne manquera
pas de marquer l’institution du sceau de la précarité. La réglementation de la kafala quant à elle, même si elle pèche par
manque de précision, révèle à l’évidence un souci du législateur
d’assurer au lien créé par la kafala une certaine stabilité tant du
côté de l’enfant makful que du recueillant kafil.
L’analyse des conditions et des effets de la kafala montrera ce
souci du législateur à doter l’institution d’une certaine stabilité
mais aussi les zones d’ombre qui la fragilisent.
1. Les conditions de la kafala
6 - Si les conditions de solennité de la kafala, les qualités requises de la personne du kafil et la règle de concordance de nom
sont en faveur d’une certaine stabilité de la kafala, en revanche
les conditions concernant le titulaire du droit de recueil légal 18,
les dispositions relatives au consentement des parties intéressées 19 et au rôle du juge 20 manquent quant à elles de rigueur
et sont lacunaires.
A. - L’imprécision au niveau de certaines conditions
relatives à la kafala.
7 - Il ne fait aucun doute que l’intérêt 21 de l’enfant recueilli
doit être au centre des préoccupations. Son intérêt consiste avant
tout à lui procurer un substitut familial le plus proche possible
de ce qu’aurait dû être sa famille. Par ailleurs, le kafil, la famille
de recueil elle aussi a besoin de garanties.
Pour préserver ces intérêts, pour éviter les dislocations du lien
créé par la kafala, il aurait été prudent de préciser davantage les
dispositions concernant le titulaire du droit de recueil légal 22,
le consentement des parties intéressées 23 et enfin le rôle du
juge 24.
14. cf. C. fam. algérien, art. 40 et s.
15. Cour suprême, 19 nov. 1984 : Rev. judiciaire 1990 (en arabe). – Signalons
à ce sujet les propositions du ministère de la Solidarité nationale consistant
à obliger le père biologique à reconnaître son enfant et le cas échéant à
recourir au test ADN ! – V. également C. fam. algérien, art. 40 modifié, al. 2
« le juge peut recourir aux moyens de preuves scientifiques en matière de
filiation ».
16. Sur la qualification de la kafala par le droit français, V. infra études 7, 8, 9,
10 et 11.
17. M. Vidal, Une tentative législative infructueuse : la tutelle officieuse (18041923) : Rev. hist. dr. fr. et étranger 2006, vol. 84, n° 3, p. 437 à 450.
18. C. fam. algérien, art.118.
19. C. fam. algérien, art.117.
20. Préc. n° 19
21. La notion de l’intérêt de l’enfant est cependant à préciser..V. notion « d’intérêt supérieur » in CIDE 1989, art. 3 (ratifiée par l’Algérie en 1993).
22. C. fam. algérien, art.118.
23. C. fam. algérien, art.117.
24. Préc. n° 23.
18
DROIT DE LA FAMILLE - REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - JANVIER 2009
1° Quant à la personne du titulaire du droit de recueil
8 - L’article 118 du Code de la famille, en dehors des qualités
de « musulman, sensé, intègre et à même d’entretenir l’enfant,
ne fait allusion ni à l’âge du kafil ni à son état matrimonial. Il ne
précise pas davantage si l’enfant né hors mariage peut être
recueilli par ses parents biologiques.
En l’état actuel des dispositions de la kafala, le titulaire du droit
de recueil légal pourra être invariablement une personne célibataire, veuve ou mariée. Aucune condition d’âge n’est mentionnée. De même que les dispositions du Code de la famille ne
précisent nulle part que le kafil doit être un homme ou une
femme. En principe et dans le silence du législateur, il n’y a pas
lieu d’exiger que le kafil soit de l’un ou l’autre sexe.
Certains pensent qu’il serait souhaitable pour répondre au but
même de l’institution et qui consiste à placer un enfant dans une
famille, de poser comme condition que le recueil se fasse par un
ménage en règle générale 25.
9 - Par ailleurs, le Code de la famille ne connaissant que la filiation légitime, la reconnaissance de maternité 26 ou de paternité
ne se conçoit que dans le cadre du mariage. De ce fait, les
enfants nés hors mariage ne peuvent juridiquement être reconnus par leur mère biologique ni d’ailleurs par leur père biologique 27. Ces enfants sont voués presque systématiquement à
l’abandon voire à l’infanticide. Aussi, l’introduction de règles
instituant une kafala au profit de la mère célibataire pourrait
contribuer à l’évitement de cette sombre réalité. Car s’il est vrai
qu’en l’état actuel de la législation familiale rien n’interdit à la
mère célibataire de demander la kafala de son enfant 28, une
consécration sur le plan juridique rendrait la question moins
tabou et favoriserait une baisse du taux d’abandon de ces
enfants.
2° Quant au consentement de l’enfant
10 - S’agissant de l’article 117 du Code de la famille, on est en
droit de se demander s’il ne s’agit pas d’une maladresse de rédaction. En effet, cet article énonce « le recueil est accordé... avec
le consentement de l’enfant quand celui-ci a un père et une
mère ». Cette exigence du consentement de l’enfant
s’appliquerait-elle uniquement lorsque l’enfant a des parents
connus ? L’enfant qui en est dépourvu n’aurait-il pas le droit
d’exprimer son opinion 29 ?
Quoiqu’il en soit, deux conséquences sont à tirer de cette
disposition.
D’abord il s’agira bien entendu du consentement de l’enfant en
âge de discernement. L’enfant non discernant, c’est-à-dire au
regard de la législation algérienne l’enfant ayant moins de treize
ans 30, ne peut donner un consentement valable.
Ensuite, on exclut du champ d’application de cet article les
enfants n’ayant pas de parents, notamment les enfants abandonnés. En réalité, pour plus de logique, il aurait fallu exiger en plus
25. La pratique révèle que la kafala a été accordée invariablement à la demande
de couples mariés et de femmes mariées, célibataires, divorcées ou veuves.
26. C. fam. algérien, art. 44 et 45.
27. V. cependant les propos tenus par le ministre de la Solidarité au sujet de la
reconnaissance de l’enfant né hors mariage par le père biologique : El Watan,
31 oct. 2007.
28. Il convient de signaler qu’en droit musulman, l’aveu de maternité pour un
enfant né hors mariage produit des effets juridiques, mais ces effets juridiques sont limités. – V. G. Benmelha, Le droit algérien de la famille : OPU
1993, p. 263.
29. V. au sujet du droit de l’enfant à exprimer librement son opinion l’article 12
de la CIDE « les États garantissent à l’enfant qui est capable de discernement
le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les
opinions de l’enfant étant dûment prises en considération, en égard à son
jeune âge et son degré de maturité ».
30. Cf. C. civ. algérien modifié en 2005, art. 40.
Dossier
DROIT DE LA FAMILLE - REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - JANVIER 2009
du consentement de l’enfant s’il est en âge de discernement, et
ce, qu’il ait ou non des parents, le consentement de ces derniers
lorsqu’ils existent ou de l’organisme qui a la charge de l’enfant.
Dans le cas où l’enfant n’a pas l’âge du discernement, le consentement de ses tuteurs suffit.
En outre, pour plus de stabilité, ce consentement devrait consister en une renonciation solennelle de la part des parents par le
sang ou de ses tuteurs, ceci pour éviter d’éventuelles demandes
abusives de réintégration de l’enfant par ces derniers avec tous
les risques d’incertitude quant au sort de l’enfant.
3° Concernant les conditions de forme prévues par
l’article 117 du Code de la famille
11 - En vertu de cet article, le recueil légal est accordé
par-devant le juge ou le notaire. Sur la solennité prévue par l’article 117, il est permis de se demander en quoi elle consiste. Quel
est son rôle ? Sa fonction ? S’agit-il d’une condition de validité ?
Auquel cas le juge ou le notaire devraient avoir un rôle important dans la constitution du recueil. Ils ne devront pas se contenter d’homologuer mais de contrôler si les conditions légales sont
réunies. La formalité prévue par l’article 117 constitue-t-elle un
moyen de preuve ? Mais là aussi il aurait fallu préciser à quelles
fins servirait cette preuve. Le kafil peut-il se prévaloir du jugement de kafala dans la vie courante ? Nous soulevons ce
problème parce que la pratique 31 révèle que la famille qui
recueille un enfant reste toujours liée au bureau de l’institution
compétente en matière d’assistance. Pour le document administratif le plus banal, le kafil est obligé de solliciter le bureau de
l’assistance.
B. - Les conditions en faveur d’un renforcement de
l’institution
12 - Les conditions liées à la personne du recueillant, la solennité requise dans la constitution du recueil légal de l’enfant et la
règle de concordance des noms du makful et du kafil figurent
parmi les règles favorisant une certaine stabilité de la kafala.
1° Les qualités du kafil et la solennité de la kafala
13 - Le législateur soucieux avant toute chose de l’intérêt de
l’enfant a mis en avant les qualités tant humaines que matérielles nécessaires à la kafala d’un enfant 32. En outre la solennité
prévue par l’article 117 est également une preuve de l’intention
du législateur de donner à l’institution tout le sérieux qu’elle
mérite. Un engagement d’une telle importance, – il s’agit en effet
de régler le sort d’un enfant –, ne saurait être pris à la légère. Il
doit être entouré de précautions sérieuses. La présence du juge
ou du notaire – encore faut-il préciser leur rôle – est susceptible
de garantir ce sérieux. Précisons à ce sujet que lorsqu’il s’agit
d’une demande de kafala devant le juge, la juridiction est purement gracieuse et le jugement une fois rendu, un extrait est transmis à l’officier d’état civil aux fins de transcription en marge de
l’acte de naissance de l’enfant makful. Notons que le Code de la
famille algérien avant sa révision de 2005 ne prévoyait pas
l’intervention du ministère public. Le nouvel article 3 ter du
Code de la famille est susceptible de changer la donne puisque
cet article prévoit que le Ministère public est partie principale
dans toutes les instances tendant à l’application des dispositions
du Code de la famille.
31. Enquête effectuée auprès de la pouponnière d’Oran (organisme public
chargé de recueillir les enfants abandonnés).
32. C. fam. algérien, art. 118 : « le titulaire du droit de recueil légal (kafil) doit
être musulman, sensé, intègre, à même d’entretenir l’enfant recueilli
(makfoul) et capable de le protéger. Comparer avec le texte en arabe dans
lequel ne figure pas la condition d’intégrité du kafil ».
2° La concordance de nom du makfoul avec celle du
kafil
14 - Il convient de signaler que la rigueur de l’article 120 du
Code de la famille 33, qui ne permettait pas d’attribuer à l’enfant
recueilli le nom patronymique du kafil, a été quelque peu atténuée depuis le décret de 1992 34. Ce décret permet désormais,
à toute personne ayant procédé au recueil d’un enfant de parents
inconnus conformément aux dispositions du Code de la famille
relatives à la kafala, de faire concorder le nom patronymique de
l’enfant recueilli avec celui de son recueillant 35 en précisant que
cette concordance des noms n’a aucune incidence sur la filiation.
2. Les effets de la kafala :
15 - Le législateur fait produire à la kafala des effets juridiques.
Comme pour les conditions de la kafala, on constate que les
effets que le législateur fait produire à la kafala dénotent d’un
souci de protection sociale de l’enfant avec des garanties pour
la famille de recueil. Mais dans le même temps, ces effets
baignent dans un certain flou.
A. - Effets fragilisant le lien créé par la kafala
16 - Engagement à titre gratuit 36, la kafala ne fait peser aucune
obligation sur l’enfant recueilli. En outre, elle peut être révoquée
à tout moment 37. Le législateur est en effet muet sur les droits et
obligations de l’enfant recueilli envers son kafil. Il en est de
même pour les limites de la révocabilité prévue par l’article 124
du Code de la famille, de l’abandon 38 de l’enfant recueilli ainsi
que le sort de l’enfant en cas de divorce des parents titulaires de
la kafala.
1° Les rapports juridiques entre kafil et makful
17 - En vertu des dispositions relatives à la kafala, les obligations ne pèsent que sur le kafil. L’enfant n’étant pas assimilé à un
enfant légitime n’est soumis à aucune des obligations de descendant à ascendant, notamment par l’obligation de « nafaqa » ou
entretien prévue par l’article 77 du Code de la famille 39. Une
obligation naturelle 40 pourrait éventuellement la remplacer.
Tout dépendra de la force du lien qui sera établi entre le kafil (le
recueillant) et le makful (le recueilli). Quoiqu’il en soit, cette obligation sera dépourvue de sanction civile, mais une fois exécu33. L’article 120 du Code de la famille algérien prévoit en effet que l’enfant doit
obligatoirement garder sa filiation d’origine s’il est de parents connus tandis
que l’enfant de parents inconnus se voit appliquer les dispositions de l’article 64 du Code de l’état civil algérien. Ce dernier prévoit que l’enfant de
parents inconnus est désigné par une suite de prénoms dont le dernier lui sert
de patronyme.
34. D. exécutif n° 92-24, 13 janv. 1992 : « la demande de changement de nom
peut être faite au nom et au bénéfice d’un enfant mineur né de père inconnu,
par la personne l’ayant recueilli légalement dans le cadre de la kafala, en vue
de faire concorder le nom patronymique de l’enfant recueilli avec celui de
son tuteur. Lorsque la mère de l’enfant mineur est connue et vivante, l’accord
de cette dernière, donné en la forme d’acte authentique, doit accompagner
la requête ».
35. Il convient toutefois de signaler que l’enfant recueilli ne peut être porté sur
le livret de famille du kafil (Circ. min. Intérieur, 28 aout 1994).
36. C. fam. algérien, art. 116.
37. C. fam. algérien, art. 124 et 125.
38. C. fam. algérien, art.125.
39. Cet article 77 du Code de la famille algérien ne vise comme on le sait que
les enfants légitimes.
40. Un auteur estime que le makful « devenu majeur doit des aliments à celui
qui l’a recueilli dans la mesure où il est dans le besoin », G. Benmelha, Le
droit algérien de la famille, op. cit., p. 277.
19
Dossier
tée, elle devient valable conformément aux dispositions du Code
civil 41.
2° La révocabilité de la kafala
18 - Conformément à l’article 125 du Code de la famille la
kafala est révocable à tout moment. Cette révocabilité présente
une double menace, l’une pour l’enfant recueilli, l’autre pour la
famille de recueil.
En effet, permettre l’abandon de l’enfant recueilli, comme cela
est prévu par l’article 125 42, entraîne des risques, particulièrement si l’enfant recueilli était à l’origine un enfant abandonné.
La seule issue pour ce dernier est de retourner à l’assistance
publique avec tous les problèmes que ce retour peut engendrer.
En application du principe de l’intérêt de l’enfant, le kafil qui
s’engage à « prendre bénévolement en charge l’entretien,
l’éducation et la protection d’un enfant mineur », devrait être
tenu par son engagement au moins jusqu’à la fin de la minorité
de l’enfant.
D’un autre côté, pour l’enfant de parents connus, le risque
d’une demande de réintégration par les parents par le sang de
l’enfant recueilli, possibilité ouverte par l’article 124 du Code de
la famille, reste toujours présent d’où les pénibles conflits entre
les parents biologiques et le kafil. Ces conflits vont nécessairement se répercuter sur l’enfant sur lequel va planer une incertitude permanente.
3° En cas de divorce des époux ayant obtenu la kafala
d’un enfant
19 - Le sort de l’enfant recueilli en cas de divorce des époux
ayant obtenu sa kafala est totalement évacué par le Code de la
famille. Une fois le divorce prononcé par le juge, lequel des deux
époux est en droit de garder l’enfant recueilli ? Quel sera le juge
compétent pour trancher et en vertu de quelle règle ? Le recours
aux dispositions relatives à la Hadana semble d’emblée exclu
dans la mesure où ces règles sont destinées aux enfants du
mariage. Mais quoiqu’il en soit, la décision du juge devra impérativement être commandée par la règle de l’intérêt de l’enfant.
20 - Pourtant et malgré ces lacunes, le législateur conscient de
l’importance du but visé par l’institution, a voulu l’assortir de
certaines garanties à même de lui conférer une certaine stabilité.
Nous tenterons de faire ressortir ces éléments en faveur de la
stabilité de la kafala.
B. - Effets en faveur d’une stabilité du lien créé par
la kafala
21 - C’est surtout à propos de certains des effets de la kafala
qu’apparaît le souci du législateur de donner à l’institution la
stabilité et la sécurité dont elle a besoin. En effet, dans la réglementation de la kafala, institution qui va fonder malgré tout un
lien familial même si ce lien est fondé sur la seule réalité des faits
et non sur la filiation juridique, le législateur n’a pu s’empêcher
d’imiter parfois les éléments que l’on retrouve dans la filiation,
cela aussi bien en ce qui concerne les obligations pesant sur le
kafil qu’en ce qui concerne la règle de l’intérêt de l’enfant.
1° Les obligations du kafil
22 - Cela est patent d’abord dans le premier article qui réglemente l’institution. « Le recueil légal est l’engagement de prendre en charge l’entretien, l’éducation et la protection d’un enfant
mineur, au même titre que le ferait un père pour son fils ».
41. C. civ. algérien, art. 160 à 163.
42. L’action en abandon doit être introduite devant la juridiction qui l’a attribuée
après notification au Ministère public : C. fam. algérien, art. 125.
20
DROIT DE LA FAMILLE - REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - JANVIER 2009
Volonté apparente du législateur de vouloir assimiler le kafil à un
père et le makful à un fils, cette assimilation qui se veut complète
dans les faits n’est que partielle en droit. Il n’en reste pas moins
que les effets juridiques rattachés à la kafala ont leur importance.
Et, tout d’abord, concernant les obligations qui pèsent sur le
kafil. Entretien, éducation, protection de l’enfant, ce sont les
mêmes obligations qui pèsent sur un père à l’égard de son enfant
légitime.
23 - De plus, le kafil au même titre qu’un père, se voit conférer la tutelle légale de l’enfant recueilli. Le kafil est donc tuteur
légal avec toutes les obligations qui pèsent sur le tuteur et les
prérogatives qui en découlent 43. Enfin, il a l’obligation d’administrer les biens de l’enfant 44 « au mieux de l’intérêt de l’enfant ».
2° L’intérêt de l’enfant
24 - L’enfant recueilli ne pouvant hériter de son kafil, le législateur algérien, rappelant une règle du droit musulman, permet
au kafil de léguer à son makful jusqu’au tiers de ses biens 45. Il
est vrai que pour plus de certitude, il aurait été peut-être souhaitable de transformer cette possibilité en obligation, comme cela
a été fait dans un autre domaine 46. Signalons que le Code marocain de la famille qui lui aussi prohibe l’adoption, retient la solution de « l’adoption dite de gratification » (jasa) ou testamentaire
(tanzil) par laquelle l’enfant est placé au rang d’un héritier de
premier degré sans pour autant que ce procédé de jasa ou tanzil
n’établisse de lien de filiation 47.
25 - En cas de décès du recueillant (kafil), le législateur
soucieux de protéger le makful a posé la règle selon laquelle le
droit de recueil est transmissible aux héritiers, encore faut-il là
aussi que les héritiers s’engagent à l’assurer 48.
26 - Enfin dans l’hypothèse où les parents de l’enfant recueilli
demandent sa réintégration sous leur tutelle, l’article 124 prévoit
que l’enfant en âge de discernement doit obligatoirement être
entendu afin d’exprimer son avis sur le retour ou non chez ses
parents 49. La Cour suprême a d’ailleurs eu l’occasion de s’exprimer sur cette question en exigeant la stricte application de l’article 124 50. Dans le cas où l’enfant n’est pas doué de discernement, le juge doit toujours rendre sa décision au mieux de
l’intérêt de l’enfant 51.
27 - En conclusion de ce bref examen de l’institution de la
Kafala ou recueil légal, on aura relevé que le législateur algérien
en interdisant l’adoption a voulu être en conformité avec une
interprétation stricte de la Shari’a. Il s’est voulu aussi en conformité avec « la nature des choses » le lien juridique de filiation
devant logiquement coïncider avec la filiation biologique ou
réelle 52. Mais, s’il est vrai que la filiation est d’abord un fait
biologique et partant de cette vérité biologique de la filiation, on
devrait la faire coïncider avec l’établissement du lien juridique
43. C. fam. algérien, art. 121 : « le recueil légal confère à son bénéficiaire la
tutelle légale et lui ouvre droit aux mêmes prestations familiales et scolaires
que pour l’enfant légitime ».
44. C. fam. algérien, art. 122 : « l’attributaire du recueil légal assure l’administration des biens de l’enfant recueilli résultant d’une succession, d’un legs ou
d’une donation, au mieux de l’intérêt de l’enfant ».
45. C. fam. algérien, art. 123 : « l’attributaire du droit de recueil légal peut léguer
ou faire don dans la limite du tiers de ses biens en faveur de l’enfant recueilli
(...) »
46. Cf. C. fam. algérien, art. 170.
47. C. fam. marocain, art. 149, al. 2.
48. C. fam. algérien art. 125, al. 2.
49. C. fam. algérien, art. 124, al. 1 : « il appartient (à l’enfant recueilli) s’il est en
âge de discernement d’opter pour le retour ou non chez ses parents ».
50. Sur la prise en compte de l’opinion de l’enfant recueilli, Cour suprême,
21 mai 1991, dossier n° 71801.
51. C. fam. algérien, art. 124, al. 2 : l’enfant « ne peut être remis que sur autorisation du juge compte tenu de l’intérêt de l’enfant recueilli ».
52. Gérard Cornu, op. cit.
DROIT DE LA FAMILLE - REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - JANVIER 2009
de parenté et s’il est vrai que les choses devraient se passer ainsi
en toute logique, dans une harmonie parfaite entre le fait et le
droit, la réalité est toute autre. Cette harmonie fait malheureusement bien souvent défaut. Ainsi, lorsque par suite d’une
carence biologique, le couple stérile aspire en dépit de sa
mauvaise fortune à créer une famille, à établir un lien juridique
entre lui et un enfant qui n’est pas de son sang ou encore, et
surtout, lorsqu’on se retrouve devant une situation de fait
d’enfants abandonnés sous une forme ou une autre et qui ont
besoin d’être intégrés dans une famille, – et ce aussi bien pour
l’intérêt de l’enfant que de la société –, l’harmonie de principe
entre le fait et le droit est inévitablement rompue. Le recours à
l’artifice devient inévitable. Sous un vocable ou un autre –
recueil, placement familial, tutelle, adoption 53 etc. – on a voulu
apporter un remède à ces problèmes. Dans une première approche, ce remède qui se voudrait un substitut à la filiation par le
sang, s’inscrit davantage dans les mœurs et semble appartenir au
domaine des relations humaines, non juridiques. En effet,
l’objectif visé par ce remède est de venir en aide à un enfant
destiné par la naissance à la misère et, d’un autre côté, de consoler les époux de leur stérilité. Vu sous cet angle, l’intervention du
législateur et du droit trouve difficilement sa place. Un simple
recueil de fait devrait pouvoir satisfaire les désirs des familles de
recueil et les besoins de l’enfant recueilli. Mais il est clair que
cette façon de voir relève d’une conception quasi idéale des relations humaines.
28 - La réalité ne s’accommode guère de cette conception. Un
besoin d’adéquation de la réalité vécue à la réalité juridique
53. M.-P. Marnier, Sociologie de l’adoption, étude de sociologie juridique : Paris
LGDJ, 1969, Biblio.de droit privé, H. Solus (ss dir.), p. 4.
Dossier
voulue se fait sentir. Aspiration légitime à la sécurité du lien créé
entre l’enfant et sa famille de fait, qui ne peut être réalisée qu’en
empruntant la voie juridique. Le législateur algérien a voulu
régler le problème en esquivant l’adoption et en instituant la
kafala. Institution visant un objectif d’une rare importance, régler
le destin d’un enfant, la kafala telle que réglementée par le Code
de la famille parviendra-t-elle à réaliser cet objectif ? Car, même
si les intentions à ce sujet sont formelles (préserver l’intérêt de
l’enfant et de la famille), il est permis de se demander si les objectifs visés seront correctement atteints, par exemple lorsqu’il s’agit
d’enfants algériens recueillis en dehors de leur pays d’origine 54
ou encore en cas de divorce d’un ménage ayant recueilli un
enfant.
29 - Ces questions et toutes celles qui ont été soulevées plus
haut, méritaient d’être examinées par le législateur au moment
où il a procédé à la réforme des principaux Codes et particulièrement du Code de la famille 55. L’opportunité n’a pas été saisie
pour combler les lacunes ou pour lever les ambiguïtés. Pourtant
le législateur ne pourra pas indéfiniment esquiver la prise en
charge de ces questions. Les questions pendantes devant les
tribunaux devraient accélérer l’intervention du législateur.
Mots-Clés : Kafala - Droit international privé - Recueil légal Code de la famille algérien
54. C. Neirinck, Adoption internationale, consentement à l’adoption, Kafala : RD
sanit. soc. 2006, p. 1098 à 1101.
55. Le Code civil, le Code de la famille et le Code de la nationalité entre autres
ont été respectivement amendés le 27 février, juin 2005.
21
Dossier
4
DROIT DE LA FAMILLE - REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - JANVIER 2009
La kafala et le juge administratif : court
séjour au pays de l’insécurité juridique
Olivier DUBOS,
professeur de droit public à l’université Montesquieu-Bordeaux IV,
CRDEI
1 - La kafala 1 forme un labyrinthe dans lequel le juge administratif erre, et à sa suite les justiciables, sans véritablement parvenir à trouver un chemin jurisprudentiel quelque peu rectiligne.
Les parois de ce labyrinthe sont constituées par le Code de
l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile dont il n’est
pas besoin de rappeler l’instabilité : jadis il variait au gré des
changements de majorité, désormais il fait l’objet de modifications quasi-annuelles afin de faire savoir à l’opinion publique
que les pouvoirs publics se préoccupent toujours de l’immigration illégale. Dans ce labyrinthe, le juge administratif parcourt
des méandres forgés par la Convention européenne des droits de
l’homme et la convention internationale sur les droits de l’enfant,
textes aux vertus qui ne sont plus à démontrer, mais dont les
normes contiennent des standards très généraux, qui, s’agissant
de la convention européenne, sont façonnés par une jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme certainement plus empiriste que conceptualiste 2. Le juge administratif
est également amené sur les chemins peu explorés du droit de
la famille et du droit international privé.
2 - Il s’agit pour le juge administratif de se prononcer sur les
effets que peut produire dans l’ordre juridique français l’acte de
kafala. En général, le problème pratique est simple : alors que le
kafil (recueillant de l’enfant) séjourne régulièrement sur le territoire français, dans quelle mesure le makfoul (l’enfant) peut-il
séjourner sur le territoire français alors qu’il ne dispose pas d’un
titre de séjour ? La kafala est donc invoquée soit pour bénéficier
du regroupement familial ou d’un titre de séjour, soit plus rarement pour contester un arrêté de reconduite à la frontière, dans
l’hypothèse évidemment où le makfoul serait majeur 3.
Dans la mesure où le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoit de manière précise quels sont les
membres de la famille qui peuvent en bénéficier et n’évoque pas
l’hypothèse de la kafala 4, la marge de manœuvre est relativement restreinte pour le juge administratif. Surtout, la kafala
s’avère particulièrement délicate à qualifier pour l’ordre juridi1. P. Bonfils et A. Gouttenoire, Droit des mineurs : Paris, Dalloz, n° 372 et s.
2. J. Hauser, L’abstrait et le concret dans la construction du droit européen des
personnes et de la famille in Études en l’honneur de J.-C. Gautron, Les dynamiques du droit européen en début de siècle : Paris, Pédone, 2004, p. 105.
3. La question de la kafala ne peut se poser dans le contentieux de l’expulsion
dans la mesure où selon l’article L. 521-4 du Code de l’entrée et du séjour
des étrangers et du droit d’asile, « l’étranger mineur de dix-huit ans ne peut
faire l’objet d’une mesure d’expulsion ».
4. L’article L. 411-3 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit
d’asile dispose que « le regroupement familial peut être demandé pour les
enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint, qui
sont confiés, selon le cas, à l’un ou l’autre, au titre de l’exercice de l’autorité
parentale, en vertu d’une décision étrangère. Une copie de cette décision
devra être produite ainsi que l’autorisation de l’autre parent de laisser le
mineur venir en France ». Il ne vise toutefois pas la kafala dans la mesure où
il traite des liens entre les parents et les enfants biologiques.
22
que français 5. La kafala pose les mêmes difficultés que le trust
dans la mesure où il ne correspond à aucune catégorie du droit
français 6. Le traitement de la kafala est d’autant plus délicat pour
la juridiction administrative qu’elle n’est que rarement confrontée à des situations juridiques affectées d’un élément d’extranéité
et constituées à l’étranger 7. Le contentieux Schengen constitue
toutefois une exception à cette traditionnelle territorialité du
contentieux administratif 8. Dès lors dans la jurisprudence administrative, la nature juridique de la kafala demeure ambiguë (1)
et ses effets sont particulièrement incertains (2).
1. Une nature ambiguë
3 - Si le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit
d’asile, droit commun applicable aux étrangers, ne prend pas en
compte directement la kafala (A), il n’en va pas de même pour
l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968 (B) 9.
A. - Droit commun
4 - Les errances du juge administratif débutent dès le stade de
l’examen de la recevabilité de la requête et notamment sur le
point de savoir si le kafil peut agir au nom du makfoul pour
contester la légalité d’un acte administratif dont ce dernier est le
destinataire. Dans une décision de 2004, le Conseil d’État a jugé
que dans la mesure où l’acte de kafala n’avait pas fait l’objet d’un
exequatur, le kafil n’a pas qualité pour agir au nom du
makfoul 10. En 2005, il estime au contraire que le kafil a intérêt
pour agir au nom du makfoul alors même qu’il n’y a pas eu
d’exequatur et dans la mesure où l’authenticité de l’acte n’est pas
contestée 11.
Au fond, il est possible de relever une décision du 8 juin 2005
qui a estimé au sujet d’une kafala prononcée par le tribunal de
Béni Msik que « par cette décision juridictionnelle, l’enfant doit
5. V. infra étude 7.
6. J.-L. Beraudo, Les Trusts anglo-saxons et le droit français : Paris, LGDJ, 1992.
7. Le droit administratif et le droit public de manière générale sont fondés sur
le principe de territorialité puisque ils régissent les relations des autorités
publiques avec les citoyens et que la sphère de compétence des autorités
publiques est en principe limitée au territoire de l’État. Il n’y a donc pas en
droit public l’équivalent du droit international privé.
8. M. Gautier, Le dépassement du caractère national de la juridiction administrative française : le contentieux Schengen : Dr. adm. 2005, étude 8. – Se
développent également des contentieux relatifs aux contrats internationaux
de l’administration, V. S. Lemaire, Les contrats internationaux de l’administration : Paris, LGDJ, 2005 et d’autre part, M. Audit, Les conventions transnationales entre personnes publiques : Paris, LGDJ, 2002.
9. Accord franco-algérien, 27 déc. 1968 entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire relatif à la circulation, à l’emploi et au séjour des ressortissants algériens et de leurs familles (pour une version consolidée, V.
www.gisti.org/doc/actions/2001/algeriens/accord.html).
10. CE, 16 janv. 2004, n° 235310.
11. CE, 5 déc. 2005, n° 266300 : JurisData n° 2005-069471.
Dossier
DROIT DE LA FAMILLE - REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - JANVIER 2009
être regardé comme ayant fait l’objet d’une adoption, au sens des
dispositions applicables en France » 12. Le juge administratif
considère toutefois que la kafala, comme acte juridique, ne
produit aucun effet intrinsèque en matière de droit au séjour.
Toutefois selon une jurisprudence constante, « l’acte de kafala
qui, à la différence de l’adoption, ne crée aucun lien de filiation
et s’apparente à un simple transfert de l’autorité parentale,
n’emporte aucun droit particulier à l’accès de l’enfant sur le territoire français » 13. Dès lors peu importe que la kafala ait fait
l’objet d’une décision d’exequatur par une juridiction française 14.
5 - Cette solution est toutefois en contradiction avec la jurisprudence par laquelle le Conseil d’État juge que « si la décision
résultant d’une procédure de kafala laisse aux autorités consulaires, saisies d’une demande de visa, une marge d’appréciation
de l’intérêt de l’enfant, il en va différemment lorsqu’une telle
demande s’appuie sur la décision définitive d’une juridiction
française qui confie à un ressortissant français, avec autorité de
la chose jugée, la délégation de l’autorité parentale sur un enfant
dans les conditions définies par les articles 376 à 377-1 du Code
civil ; que, dans ce cas en effet, et sous réserve d’éventuels motifs
d’ordre public, l’intérêt de l’enfant est en principe de vivre auprès
de la personne qui a reçu du juge la délégation de l’autorité
parentale » 15. Si un acte de kafala fait l’objet d’une décision
d’exequatur, il est alors assimilé à une délégation de l’autorité
parentale, dès lors il ne présente plus aucune différence de
nature juridique avec une délégation de l’autorité parentale des
articles 376 et suivants du Code civil. Le Conseil d’État a
d’ailleurs lui-même estimé qu’« en règle générale l’autorité
consulaire dispose d’une large marge d’appréciation de l’intérêt d’un enfant de nationalité étrangère à se voir délivrer un visa
d’entrée en France ; que, toutefois, il en va différemment lorsque
(...) la demande de visa s’appuie sur la décision définitive d’une
autorité française qui confie à un ressortissant français ou étranger la délégation de l’autorité parentale sur un enfant ou
prononce son adoption, enfin la demande repose sur un acte
d’état civil étranger ou une décision définitive d’une juridiction
étrangère ayant l’un ou l’autre de ces objets, pour autant que ces
actes ou jugement aient été soumis dans l’ordre juridique français à une procédure de transcription ou à une mesure d’exequatur » 16.
6 - Si les kafils de nationalité étrangère, dont la décision de
kafala a fait l’objet d’un exequatur, ainsi assimilée à une délégation de l’autorité parentale, ne sont pas soumis au même régime
que les nationaux bénéficiant d’une telle délégation sur le fondement des articles 376 et suivants du Code civil, il serait éventuellement envisageable de considérer qu’une telle différence de
traitement constitue pour les intéressés une violation des articles
8 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme. On
rappellera en effet que le Conseil d’État, à la différence de la Cour
européenne des droits de l’homme, estime que l’article 8 peut
fonder un droit au regroupement familial 17.
7 - Le juge administratif semble donc parfois ignorer les principes du droit international privé et l’idée de coordination des
systèmes juridiques qu’il sous-tend. Le paradigme de la territorialité du droit administratif l’empêche ainsi de considérer que
des actes étrangers puissent produire les mêmes effets que des
actes nationaux analogues. Ce refus des autorités françaises de
12. CE, 8 juin 2005, n° 221774, Mohamed A : JurisData n° 2005-068612.
13. CE, 27 juin 2008, n° 291561, Fatima X : JurisData n° 2008-073781 ; à paraître au Recueil.
14. Même arrêt.
15. CE, 27 mai 2005, n° 280612, Touria A. : JurisData n° 2005-068567.
16. CE, 29 févr. 2008, n° 290871, Fatiha A. : JurisData n° 2008-073240.
17. CE, Sect., 10 avr. 1992, n° 120573, Marzini : JurisData n° 1992-040902.
reconnaître la kafala se retrouve également dans l’accord francoalgérien du 27 décembre 1968.
B. - Droit spécial
8 - Le premier avenant du 22 décembre 1985 à l’accord
franco-algérien du 27 décembre 1968, avait stipulé que « les
membres de la famille s’entendent du conjoint d’un ressortissant
algérien, de ses enfants mineurs ainsi que des enfants de moins
de dix-huit ans dont il a juridiquement la charge en vertu d’une
décision de l’autorité judiciaire algérienne ». Cette disposition
permettait ainsi, pour le regroupement familial, de mettre sur un
pied d’égalité la filiation et la kafala et ainsi de faire produire
automatiquement à celle-ci des effets dans l’ordre juridique français.
Toutefois, à la demande de la République française, le troisième avenant du 11 juillet 2001, pour la catégorie des makfouls,
est venu ajouter une condition supplémentaire tenant à « l’intérêt supérieur de l’enfant ». Ainsi la kafala ne produit plus aucun
effet automatique : il appartient aux autorités administratives
françaises de se prononcer sur cet intérêt supérieur de l’enfant.
Dans la mesure où ce standard est particulièrement vague et
laisse un large pouvoir discrétionnaire à l’autorité administrative,
le Conseil d’État ne procède logiquement qu’à un contrôle de
l’erreur manifeste d’appréciation 18.
9 - On voit ici comment cette notion issue de la convention de
New-York sur les droits de l’enfant, habilement instrumentalisée
par les pouvoirs publics français, devient un moyen de lutte
contre l’immigration. On arrive alors à un curieux résultat dans
lequel les autorités françaises compétentes en matière de police
des étrangers ont le pouvoir de se substituer aux parents algériens
pour décider à leur place quel est l’intérêt de leur propre enfant.
Plus généralement, sur le terrain des droits de l’homme, on ne
peut guère se réjouir d’une solution qui revient à admettre que
les choix éducatifs des parents soient sous l’emprise de l’administration, qui plus est d’une administration étrangère.
10 - Il n’en demeure pas moins que la kafala, dans le cadre de
l’accord franco-algérien, produit en tant que telle des effets sur
le droit au séjour des makfouls. Le Conseil d’État a rappelé qu’il
n’appartenait pas « aux autorités administratives françaises,
hormis le cas où le jugement produit aurait un effet frauduleux,
de mettre en doute le bien-fondé d’une décision juridictionnelle
étrangère » 19.
11 - En revanche, lorsque le kafil est un ressortissant français,
il n’existe aucun droit au regroupement familial pour le makfoul
puisque la kafala n’est pas visée par l’accord lorsque le regroupant est de nationalité française. En effet selon l’article 7 bis de
l’accord, un certificat de résidence est délivré « à l’enfant algérien d’un ressortissant français si cet enfant a moins de vingt et
un ans ou s’il est à la charge de ses parents ». Dès lors dans la
mesure où la kafala ne crée aucun lien de filiation le makfoul ne
dispose d’aucun droit au séjour sur ce fondement, peu importe
que la kafala ait fait l’objet d’une décision d’exequatur 20. On
pourrait donc de nouveau considérer qu’existe une discrimination contraire aux articles 8 et 14 de la convention européenne
des droits de l’homme.
12 - Dans la mesure où la kafala ne produit pas intrinsèquement des effets dans l’ordre juridique français et ne fonde donc
pas automatiquement un droit au séjour, ses effets demeurent fort
incertains.
18. CE, 5 déc. 2005, n° 267953 : JurisData n ° 2005-069470.
19. CE, 22 févr. 2008, n° 293833, MM. A..
20. CE, 18 avr. 2008, n° 303765, M. et Mme A. : JurisData n° 2008-073495.
23
Dossier
2. Des effets incertains
13 - La kafala peut produire des effets sur le droit au séjour des
étrangers grâce à deux standards relativement flous : le droit au
respect de la vie familiale (A) et l’intérêt supérieur de l’enfant (B).
A. - Le droit au respect de la vie familiale
14 - Bien que les dispositions relatives au regroupement familial du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit
d’asile ne visent pas la kafala, celles-ci peuvent être prises en
compte au titre du droit au regroupement familial que le Conseil
d’État déduit de l’article 8 CEDH 21. L’autorité administrative ne
peut ainsi refuser une demande de regroupement familial en se
fondant uniquement sur l’existence d’un simple lien établi par
une procédure de kafala entre un enfant et des ressortissants
étrangers. La kafala peut ainsi fonder un droit au respect de la vie
privée et familiale au sens de l’article 8 CEDH.
Toutefois, la kafala ne suffit pas en tant que telle à créer un lien
suffisant pour que les étrangers puissent automatiquement se
prévaloir du droit au regroupement familial. Le Conseil d’État a
bien pris soin de préciser différents éléments prouvant l’existence
d’une vie familiale. Dans l’arrêt Dra, il rappelle ainsi que les
requérants s’étaient vu reconnaître la qualité de tuteur et de
subrogé-tuteur par le juge des tutelles du tribunal d’instance français. Cette limite ne semble toutefois pas en pratique très importante comme le montre l’arrêt Boulouida dans lequel n’existait
encore aucun lien autre que la décision de kafala, entre
Mme Boulouida et la jeune enfant qu’elle entendait recueillir 22.
15 - On retrouve un raisonnement analogue dans le cadre du
contentieux du refus de visa ou des arrêtés de reconduite à la
frontière. A été ainsi développée tout une casuistique liée au
contrôle de proportionnalité auquel procède le juge lorsqu’est
en cause l’article 8 de la Convention européenne des droits de
l’homme. Il était ainsi tenu compte de différents critères.
Le critère le plus important semble l’existence ou non pour le
makfoul d’une famille biologique. S’il est orphelin, le juge considère que la décision de refus porte atteinte à l’article 8 CEDH 23.
La kafala est ainsi considérée comme un substitut de l’adoption
dans la mesure où la loi personnelle des intéressés ne leur permet
pas d’y recourir 24. S’agissant de ressortissants français, le juge
tient compte de l’existence d’un agrément en vue d’une adoption 25. La solution est identique si la famille biologique du
makfoul n’est pas en mesure d’assurer matériellement son éducation 26. En revanche, si les parents du makfoul sont en mesure
d’assurer son éducation, il n’y a pas violation de l’article 8
CEDH 27. Le juge administratif ne se montre pas toujours d’une
grande mansuétude dans la mise en œuvre de ces critères. A été
ainsi jugé que si « M. X fait valoir que sa sœur, née en 1987,
sourde et muette, lui a été confiée par acte de kafala en 2001, et
qu’il souhaite faire venir en France pour pourvoir à son éducation, qui ne peut pas être assurée en Algérie, où leur mère âgée
de 54 ans, malade élève seule huit autres frères et sœurs, il ne
21. CE, 24 mars 2004, Min. Aff. soc. du travail et de la solidarité c/ Boulouida :
JurisData n° 2004-066710 ; AJDA 2004, p. 1425, note A.-M. Tournepiche.
– CE, 24 mars 2004, n° 220434, M. et Mme Dra : Jurisdata n° 2004-066660.
– Certaines cours administratives d’appel avaient en revanche estimé qu’eu
égard à la nature juridique de la procédure de kafala, il n’était pas possible
de se prévaloir des stipulations de l’article 8 CEDH (CAA Lyon, 27 déc.
2001, n° 99LY01863, Naïma Merabet).
22. CE, 24 mars 2004, Min. Aff. soc. du travail et de la solidarité c/ Mme Boulouida, préc. – CE, 24 mars 2004, M. et Mme Dra, préc.
23. CE, 16 janv. 2006, n° 274934 : JurisData n° 2006-069660.
24. CE, 24 mars 2004, Min. Aff. soc. du travail et de la solidarité c/ Mme Boulouida, préc.
25. CE, 16 janv. 2006, préc.
26. CE, 17 déc. 2004, n° 242192.
27. CE, 9 nov. 2007, n° 296173 : JurisData n° 2007-072704.
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DROIT DE LA FAMILLE - REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - JANVIER 2009
ressort pas des pièces du dossier, eu égard au fait que l’intéressée a toujours vécu en Algérie où elle conserve l’essentiel de ses
attaches familiales, notamment sa mère, que la décision de rejet
prise par la commission de recours contre les décisions de refus
de visa d’entrée en France ait porté au droit de Mlle X au respect
de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par
rapport à l’objectif poursuivi » 28. L’âge auquel le makfoul a fait
l’objet d’une kafala est déterminant pour le juge afin d’apprécier
la réalité de la prise en charge de l’intéressé par le kafil 29. Par
ailleurs, si le kafil n’est pas en mesure de subvenir aux besoins
du makfoul, le juge administratif rejette la demande d’annulation 30.
Dans la mesure où les makfouls sont dans la plupart des cas
mineurs, peut être également invoquée la convention de
New-York sur les droits de l’enfant.
B. - L’intérêt supérieur de l’enfant
16 - Dans le cadre de l’accord franco-algérien de 1968, il a
déjà été souligné que cette notion d’intérêt supérieur de l’enfant
pouvait être utilisée pour limiter l’accès au territoire. De manière
analogue, les autorités administratives se prévalent de l’intérêt
supérieur de l’enfant pour refuser un visa d’entrée alors que le
demandeur a été autorisé à bénéficier du regroupement familial.
Toutefois, le Conseil d’État rappelle fort justement que « l’appréciation de l’intérêt supérieur de l’enfant, qu’il appartient au préfet
de porter lorsqu’il se prononce sur une demande de renseignement familial, n’est pas au nombre des motifs d’ordre public
pouvant à eux seuls justifier légalement le refus de la délivrance
d’un visa de long séjour lorsque le regroupement familial a été
autorisé par le préfet » 31.
17 - Selon l’article 3, paragraphe 1 de la Convention relative
aux droits de l’enfant : « dans toutes les décisions qui concernent
les enfants, qu’elles soient le fait d’institutions publiques ou
privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant
doit être une considération primordiale ». Cette disposition est
utilisée pour contester aussi bien des décisions de refus de
regroupement familial que des décisions de refus de visa. Il intervient toutefois à titre subsidiaire par rapport à l’article 8 CEDH.
Il joue de manière implicite comme un argument interprétatif
pour apprécier la réalité des liens entre le kafil et le makfoul 32.
On retrouve alors les mêmes critères que dans le cadre l’application de l’article 8 CEDH. Il en va de même lorsque l’article 3
est invoqué à titre principal et l’article 8 CEDH 33.
18 - Ces solutions doivent être comparées avec les hypothèses
dans lesquelles l’enfant a fait l’objet d’une délégation de l’autorité parentale sur le fondement des articles 376 et suivants. Le
juge déduit alors de l’article 3 de la Convention de New-York
que l’intérêt de l’enfant est de vivre auprès de la personne qui a
reçu délégation 34. On retrouve alors le hiatus déjà souligné au
regard des situations dans lesquelles la kafala a fait l’objet d’un
exequatur.
19 - Alors que le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et
du droit d’asile ignore la kafala, le juge administratif s’efforce
d’en tenir compte. Mais il se livre alors à un numéro d’équilibrisme entre un droit national peu accueillant et des droits de
28. CE, 12 déc. 2005, n° 268993 : JurisData n° 2005-069498.
29. V. au sujet d’un majeur âgé de 18 ans et ayant fait à l’âge de dix-neuf ans
l’objet d’une kafala, CE, 21 sept. 2005, n° 274128.
30. CE, 27 juill. 2006, n° 277165 : JurisData n° 2006-070661.
31. CE, 5 déc. 2005, n° 266300, Mme Yakout YX : JurisData n° 2005-069471.
32. CE, 24 mars 2004, Min. Aff. soc. du travail et de la solidarité c/ Mme Boulouida, préc.
33. CE, 27 juin 2008, n° 291561, Mme A. : JurisData n° 2008-073781.
34. CE, 28 déc. 2007, n° 304202, M. et Mme A : JurisData n° 2007-073002.
Dossier
DROIT DE LA FAMILLE - REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - JANVIER 2009
l’homme par nature vagues, équilibrisme qui conduit finalement
à des solutions à la fois incertaines et globalement peu cohérentes. Cela témoigne par ailleurs de la difficulté du juge administratif à manier des actes des autorités étrangères. ê
5
Mots-Clés : Kafala - Juge administratif
Kafala et droits sociaux
Maryse BADEL,
Olivier PUJOLAR,
maître de conférences à l’université
Montesquieu Bordeaux IV,
Comptrasec 1
maître de conférences à l’université
Montesquieu Bordeaux IV,
directeur de l’Institut du travail de
Bordeaux, Comptrasec
1 - Confronté à la kafala et aux questions de droits à prestation
qu’elle soulève, le droit social se montre ambivalent. L’antagonisme des courants qui le portent et les influences qui l’inspirent
n’y sont pas étrangers, la discipline étant en tension entre les
objectifs ambitieux qui la guident et les contraintes qu’elle subit.
En effet, les fins de la sécurité sociale – garantir les travailleurs
et leur famille contre les risques susceptibles de réduire leur
capacité de travail ou de gain, couvrir les charges de maternité,
de paternité et de familles – invitent à accueillir largement les
situations issues de la kafala, encore que la référence à la famille
puisse donner lieu à débat. Les fins de l’aide sociale – en substance mettre l’homme à l’abri du besoin – engagent à faire de
même et à prendre en compte toutes les situations de dénuement, quelle que soit la forme du foyer qu’elles affectent. Mais
dans le même temps, la protection sociale est enserrée dans des
contraintes économiques évidentes. Élargir le cercle des personnes couvertes ou créer une aide nouvelle conduirait à coup sûr
à augmenter les dépenses sociales, ce qui n’est guère souhaitable dans un contexte marqué par les déficits abyssaux des comptes sociaux. Enfin, et c’est un carcan tout aussi redoutable, la
protection sociale est adossée aux politiques migratoires et elle
en subit les influences, la crainte étant ici, disons-le sans détour,
que la perspective d’obtenir des prestations avantageuses attire
des étrangers non désirés sur le territoire national.
2 - Aussi, quels que soient ses objectifs et sa générosité, la
protection sociale est rattrapée par des considérations d’ordre
très pragmatique : limiter les dépenses et empêcher une attribution trop large des prestations qui favoriserait l’augmentation des
bénéficiaires. Des manifestations de cette ambivalence ont pu
du reste déjà être observées avec une autre institution familiale
du droit musulman : le mariage polygame. Alors que cette union
devrait produire toutes ses conséquences quand elle est autorisée par le statut personnel, tel n’a jamais été le cas en droit de la
sécurité sociale qui, de plus, ne s’est pas montré capable de traiter la question de façon uniforme pour toutes les prestations. Des
droits dérivés n’étaient reconnus qu’à une seule épouse pour la
maladie et la maternité tandis qu’ils étaient simultanément
accordés à toutes pour le décès, la réversion et le risque professionnel, les épouses se partageant alors la prestation 2.
3 - On retrouve des hésitations comparables avec la kafala. En
effet, si le droit de la sécurité sociale n’en traite pas de façon
1. Centre de droit comparé du travail et de la sécurité sociale, UMR CNRS
5114.
2. F. Monéger, La polygamie en question : JCP G 1990, I, 3460. – A. Toullier,
Les tergiversations du droit de la protection sociale face à la question de la
polygamie : Dr. soc. 2007, p. 324.
spécifique, il a une aptitude naturelle à connaître les situations
qu’elle recouvre car, au-delà des liens familiaux auxquels elle
se réfère pour ouvrir des droits sociaux aux proches de l’assuré,
la discipline a un véritable « souci du réel » 3. Partant, elle
accorde une importance toute particulière aux situations de fait
et prend en compte les personnes qui sont à la charge de l’assuré,
indépendamment d’un lien familial. L’enfant recueilli par kafala
(makfoul) peut donc être ayant droit, comme ouvrir des droits au
recueillant (kafil). Aussi, dans l’attente des textes annoncés par
la Garde des sceaux 4, qui devraient permettre à la kafala d’être
reconnue de plein droit sur le territoire français, sans formalité
particulière, et conférer à l’enfant un statut protecteur, le droit
social reçoit les situations de kafala et leur fait produire des effets.
Pour autant, si le lien créé par la kafala peut donner naissance
à des droits sociaux, la discipline ne réserve aucun traitement
privilégié à l’institution. De plus, si les principes généraux qui
fondent les droits à prestation lui sont plutôt favorables, les prestations sont soumises à des régimes juridiques spécifiques, non
unifiés, et leur attribution est conditionnée par la détention de
titres de séjour variables. Il en résulte que si la protection sociale
semble être un champ hospitalier et plutôt accueillant pour la
kafala (1), le régime juridique des prestations est en réalité discriminant (2).
1. La protection sociale : un champ en
apparence accueillant
4 - Bien que faisant naître une relation privilégiée, la kafala
n’instaure aucun lien familial. Elle se présente comme une sorte
« d’entre-deux », à mi-chemin entre le familial et le non familial.
Si l’institution est généralement déconcertante pour le juriste
français qui doit adapter ses repères, elle ne pose pas forcément
problème en droit social. En effet, s’il est vrai que la famille reste
encore au fondement de nombreuses prestations, ce qui empêche la kafala de produire des conséquences (A), l’importance
accordée à la situation de fait, à travers les notions de charge et
de foyer, permet au droit social de s’ouvrir à la kafala (B).
A. - Quand la protection sociale se réfère au lien
familial : les empêchements à la prise en compte
de la kafala
5 - Penser que le droit de la protection sociale fait abstraction
de la famille pour l’attribution de droits sociaux serait une erreur
3. J. Hauser, Prestations familiales et modèles sociaux : RD sanit. soc. 1994,
p. 627.
4. Rép. min. n° 3811 : JO déb. Sénat 21 août 2008, p. 1698.
25
Dossier
grossière. Il s’y montre au contraire profondément attaché puisque plusieurs droits sont véritablement ancrés dans le fait familial, filiation, mariage et ascendance apparaissant dans le Code
de la sécurité sociale comme une cause majeure d’attribution
des droits dérivés. Aussi, malgré les évolutions récentes qui
conduisent à reconnaître des droits sociaux dans des cas où la
référence à la famille est hasardeuse, plusieurs prestations font
expressément référence à la filiation pour leur attribution. La
kafala ne créant pas de lien familial, elle ne peut alors autoriser
leur attribution.
6 - Bien que peu nombreuses, ces prestations sont suffisamment symboliques pour mériter d’être évoquées. Il en est ainsi
du congé paternité. Pas plus qu’il ne peut bénéficier à la compagne de la mère qui, de toute évidence, ne peut être qualifiée de
père 5, ce congé ne peut être attribué au kafil puisque la kafala
ne crée pas de lien de filiation. Il en est de même pour le congé
d’adoption qui, selon les circulaires de la CNAM, ne peut bénéficier à la personne qui recueille un enfant par la kafala. On peut
enfin transposer le raisonnement à l’allocation de parent isolé,
versée sous condition de ressources au père ou à la mère qui
élève seul un enfant. En outre, et c’est un problème voisin,
l’étranger soumis par son statut personnel au droit musulman, ne
peut avoir droit au congé de paternité pour un enfant naturel. En
effet, selon l’article 311-17 du Code civil « la reconnaissance
volontaire de paternité ou de maternité est valable si elle est faite
en conformité soit avec la loi personnelle de son auteur, soit la
loi personnelle de l’enfant. Au contraire, si l’enfant est français
par sa mère, il pourra être reconnu par application des articles
335 et suivants du Code civil français » Dans la mesure où le
droit musulman ne reconnaît pas la filiation naturelle et où le
droit au congé du père est soumis à la double condition qu’il ait
reconnu l’enfant et qu’il vive notoirement avec la femme dont
il a cet enfant, les conditions du droit au congé ne pourront pas
toujours être réunies.
7 - Ces solutions n’appellent a priori guère de commentaires.
Elles sont amplement justifiées parce que les conditions d’attribution des prestations ne sont tout simplement pas remplies, la
filiation requise faisant défaut. Pourtant, dans le même temps et
de façon surprenante, les Caisses d’allocations familiales (CAF)
admettent de verser au kafil des prestations réservées aux adoptants. Dans la pratique en effet, les CAF tiennent compte de la
kafala – nommée recueil légal – pour verser la prime d’adoption
dépendant de la prestation d’accueil du jeune enfant (PAJE) pour
les enfants originaires de pays où existe le recueil en kafala, alors
même qu’elle ne peut être assimilée à l’adoption.
8 - En dehors de ces cas, le droit de la sécurité sociale, sans
doute guidé par l’objectif de généralisation, procède de façon
pragmatique. Il reconnaît des droits aux proches de l’assuré en
se fondant sur leur situation de fait, quand ils sont à la charge de
l’assuré. Il en est de même pour le droit de l’aide sociale qui
prend en considération le foyer, notion qui s’applique au-delà
du cercle familial. Il en résulte de ce point de vue une véritable
indépendance du droit social et une réelle aptitude à s’emparer
des situations créées par la kafala.
B. - L’autonomie apparente du droit de la
protection sociale : l’aptitude à connaître des
situations de kafala
9 - Le champ d’application personnel de la protection sociale
n’est pas restreint a priori par la référence au lien familial. En
effet, si certains droits à prestations sont justifiés par le lien familial, d’autres sont attribués sur le fondement d’éléments d’ordre
5. CA Rennes, ? ? ? 2008, obs. M. Badel : RD sanit. soc. 2008. p. 384.
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DROIT DE LA FAMILLE - REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - JANVIER 2009
affectif et économique synthétisés dans la notion de charge. La
personne à la charge de l’assuré social se voit donc reconnaître
des droits à prestations, de même que le bénéficiaire d’une prestation peut voir attribuer des droits au regard de la composition
de son foyer. Le makfoul peut ainsi être ayant droit du kafil de
même que le kafil peut voir ses droits augmentés en considération de la présence du makfoul dans son foyer.
10 - Notion de charge. La condition d’être à charge pour obtenir des droits dérivés est commune à plusieurs prestations de
sécurité sociale 6. On la trouve dans la branche maladie où elle
est exigée pour tous les ayants droit quel que soit leur lien avec
l’assuré, dans la branche vieillesse pour les enfants entraînant la
majoration de durée d’assurance, et dans la branche famille où
les prestations sont versées pour les seuls enfants à charge de
l’allocataire. En matière de maladie, si le cercle originel des
ayants droit présentait un caractère familial marqué, tel n’est plus
le cas puisque, après s’être élargi à la personne vivant maritalement avec l’assuré, il s’étend aujourd’hui à la personne qui vit
avec lui et à son partenaire pacsé. Même l’enfant mentionné par
l’article L. 313-3 du Code de la sécurité sociale, qui se réfère
pourtant aux « membres de la famille », doit être envisagé de la
façon la plus large. Il s’agit de tout enfant à charge de l’assuré,
de son conjoint ou compagnon. La nature et, même, l’absence
du lien de filiation sont sans incidence, les juges ayant admis que
l’enfant recueilli par l’assuré peut être son ayant droit s’il est à sa
charge 7. Outre l’âge de l’enfant (CSS, art. L. 313-3 et R. 313-12),
c’est donc la situation de charge qui est déterminante et, dans ce
dernier cas, elle parvient même à effacer la référence à la famille
placée en tête de l’article précité. Il en est de même pour les prestations familiales qui bénéficient aux personnes assumant la
charge effective et permanente d’un ou plusieurs enfants, indépendamment d’un lien de filiation mais sous condition de résidence en France.
11 - Toutefois, au mépris du Code, les pouvoirs publics invitent à des pratiques restrictives 8. Lettres ministérielles, circulaires de la CNAF et de la CNAV préconisent une approche réductrice de la notion de charge en demandant de la réserver aux cas
où l’autorité parentale est transférée à la famille accueillante. Les
lettres ministérielles intervenues pour traiter du parrainage 9 estiment par exemple que les enfants ainsi accueillis ne peuvent
ouvrir droit aux prestations familiales. De même, selon la circulaire CNAF relative aux prestations familiales, la charge d’enfant
consiste à supporter durablement le poids financier de son entretien et la responsabilité concrète de son éducation, et elle s’étend
à l’ensemble des responsabilités civiles dévolues aux représentants légaux de l’enfant 10. Ces circulaires conduisent les CAF à
distinguer le recueil, où les parents ne peuvent exercer leurs obligations, du placement volontaire initié par les représentants
légaux. Dans ce second cas, des caisses recourent à la distinction allocataire/attributaire ce qui prive les enfants étrangers
confiés en France par leurs parents restés à l’étranger du bénéfice des prestations. Dans ces situations en effet, l’enfant attributaire remplit les conditions de résidence en France, mais comme
la condition de résidence en France est aussi appréciée du chef
6. F. Monéger, La relation de charge dans les prestations familiales : RD sanit.
soc. 1994, p. 613. – M. Rebourg, La notion d’enfant à charge dans les familles
recomposées : RD sanit. soc. 1998, p. 402. – C. Bouvier-Le Berre, L’enfant
à charge en droit social et en droit fiscal après la réforme de l’autorité parentale du 4 mars 2002 : RD sanit. soc. 2003, p. 485.
7. Cass. soc., 27 janv. 1994 : Bull. civ. 1994, V, n° 36 ; RJS 1994, n° 317. –
Cass. soc., 21 déc. 1977 : Bull. civ. 1977, V, n° 732.
8. I. Sayn, Le critère de charge d’enfant, quels usages ? : Recherches et prévisions mars 1997, n° 47, p. 51.
9. Accueil d’enfants étrangers vivant des situations de guerre.
10. CNAF, circ. n° 29-92, 15 av. 1992 : RD sanit. soc., 1992, p. 708 et CNAF,
circ. n° 96-46 du 22 nov. 1994.
DROIT DE LA FAMILLE - REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - JANVIER 2009
de l’allocataire (parents), il ne peut pas prétendre aux prestations.
Ces pratiques locales impulsées par les autorités de tutelle font
souvent loi à l’échelon local, faute de contradiction. Elles ne sont
remises en cause que rarement, lorsque le contentieux prospère
pour parvenir devant la Cour de cassation. On retrouve enfin la
même conception de la charge à la CNAV dans son interprétation des textes relatifs à la majoration de la durée d’assurance 11.
Selon elle, la charge effective et permanente suppose que soient
réunies la charge pécuniaire et la condition d’éducation, au sens
de l’article 371-1 du Code civil. La condition d’éducation
renvoie ainsi à l’accomplissement des responsabilités parentales relatives au devoir de garde, de surveillance et d’éducation
dans le but de protéger l’enfant dans sa sécurité, sa santé, sa
moralité. Elle s’entend de la responsabilité éducative et affective
à l’égard de l’enfant. Quant à la charge pécuniaire, elle correspond aux dépenses engagées pour l’entretien (logement, nourriture, habillement...) de l’enfant.
12 - De son côté, la Cour de cassation n’hésite pas à censurer
ces orientations, estimant que rien ne justifie la concordance
entre la charge et l’obligation alimentaire requise par les autorités de tutelle. Elle estime que la charge n’implique ni obligation alimentaire, ni titre juridique conférant la garde 12 ; elle doit
simplement combiner des éléments d’ordre matériel et psychologique. Cette double dimension, qui autorise le partage des allocations familiales entre les parents quand la garde de l’enfant est
alternée 13, permet aussi de verser les prestations quand l’enfant
est simplement recueilli 14 ou accueilli dans le cadre d’un parrainage et hébergé par l’allocataire, le lien juridique avec l’allocataire étant indifférent 15. Les juges estiment que l’article L. 521-2
du Code de la sécurité sociale relatif aux prestations familiales
n’exige pas que l’allocataire soit débiteur d’une obligation
alimentaire à l’égard de l’enfant dont il assume la charge effective et permanente 16. Il faut approuver sans réserve cette position qui, seule, permet de maintenir à la notion de charge son
autonomie et son caractère de notion de fait. Faute de pouvoir
épouser un régime juridique connu du droit français, la kafala
qui ne fait naître aucun lien familial peut être assimilée à cet
accueil et permettre de percevoir les prestations 17. Ce qui est
déterminant pour la notion de charge, c’est que l’adulte assume
la direction matérielle et morale du mineur, ce qui est manifestement le cas avec la kafala où le kafil remplace le parent dans
le quotidien de l’enfant. Cette appréciation a été mise en œuvre
encore récemment par la cour d’appel de Bordeaux qui a énoncé
que « malgré l’absence de tout lien de filiation biologique
comme de toute délégation de l’autorité parentale par une autorité française... », il devait être admis que le demandeur assumait
la charge effective et permanente des enfants qui demeuraient
chez lui 18. C’est cette lecture de la notion de charge qui doit
prévaloir car, si la notion de charge peut naturellement avoir un
11. Circ. n° 2004/22, 30 avr. 2004 relative à la loi n° 2003-775 du 21 août 2003,
Majoration en faveur des femmes ayant élevé des enfants.
12. Cass. soc., 25 nov. 1993 : RJS 1994, n° 187. – Cass. soc., 27 janv. 1994 : RJS
1994, n° 317. – Cass. soc., 31 mars 1994 : RJS 1994, n° 911. – Cass.soc.,
5 mai 1995, n° 92-13.230, inédit.
13. Cass. avis, 26 juin 2006, n° 00-60.005 : JurisData n° 2006-034209 ; JCP S
2006, 1788, note E. Paillet. – D. n° 2007-550, 13 avr. 2007 : JO 14 avr.
2007, p. 6854.
14. Cass. 2e civ, 14 sept. 2006 : RJS 2006, n° 1222. Pour des enfants étrangers
placés dans des familles françaises mais n’étant pas à leur charge selon le
ministère.
15. Cass. soc., 5 mai 1995, n° 92-13.230, inédit.
16. Les allocations familiales peuvent être versées pour un enfant étranger confié
temporairement par ses parents algériens et restés en Algérie à une assurée
sociale résidant en France. Cass soc., 21 janv. 1994, CPAM du Haut-Vivarais
c/ dame Y. : Bull. civ. 1994, V, n° 36.
17. Sauf arrangements familiaux ou frauduleux où les parents ne sont pas dispensés de l’obligation d’entretien.
18. CA Bordeaux, ch. soc., 22 mai 2008 : JurisData n° 2008-369544.
Dossier
rapport avec la parenté, elle peut en être indépendante, jouant
dans ce sens un rôle extensif pour l’attribution de droits
sociaux 19. Car si le foyer kafalite ne peut être qualifié de famille,
on peut le considérer comme une quasi-famille. En revanche,
lorsque le texte ne vise pas l’enfant à charge mais seulement les
enfants, il ne peut s’agir que des enfants dont le lien de filiation
est établi avec la personne qui réclame des droits. Le makfoul ne
peut alors être concerné.
13 - Référence au foyer. Dans le sens commun, le foyer est le
lieu de vie de la famille et, du même coup, la communauté des
personnes qui vivent « à même pot et à même feu » Quand le
droit s’en saisit, c’est pour lui reconnaître des droits qui se justifient peu ou prou par sa fonction protectrice ou pour lui imposer des obligations. Comme en droit fiscal où la notion intervient
pour le calcul de l’impôt, le foyer constitue une référence en droit
social. Jusqu’en 1986 par exemple, il existait un congé de naissance ou d’adoption pour tout chef de famille salarié à l’occasion de chaque naissance survenue au foyer. Le terme était alors
réservé au seul foyer légitime, ce qui était très restrictif.
Aujourd’hui, la référence au foyer intervient surtout pour les
prestations sous condition de ressources. Les personnes présentes au foyer et leurs ressources sont prises en compte pour
évaluer de façon globale les besoins du demandeur et rechercher
si sa demande d’aide est justifiée. Partant, la définition du foyer
influence directement à la fois l’existence du droit à la prestation
et le quantum de la prestation, cette dernière étant due « en fonction de la composition du foyer et du nombre de personnes à
charge » 20. La géométrie du foyer, perçu à la fois comme un
gisement de ressources et un lieu de satisfaction des besoins,
détermine donc le droit aux prestations assistancielles par principe subsidiaires 21. Cela explique que le droit social privilégie
une acception large du foyer, détachée du statut matrimonial, et
considère qu’en cas de vie maritale et de Pacs, ce sont les
ressources du couple qui sont retenues 22. Compte tenu de cette
orientation et de la place centrale accordée à la personne à
charge pour la définition du foyer, il semble naturel que l’enfant
accueilli par kafala soit pris en compte pour arrêter la composition du foyer, d’autant que concernant les enfants à charge, le
Code de l’action sociale et des familles se réfère aux « enfants
ouvrant droit aux prestations familiales » (C. action soc. et fam.,
art. R. 262-2). Deux limites demeurent cependant. Cela a été dit,
le droit à prestation ne doit pas se fonder sur un lien familial désigné (filiation), un tel fondement étant un empêchement dirimant
à l’attribution de la prestation. Mais surtout, le droit à prestation
reste conditionné par la régularité du séjour du bénéficiaire et de
ses ouvrants droit, attestée par la production de titres de séjour
spécifiques.
2. Des régimes juridiques en réalité
discriminants
14 - Les conditions générales permettant de bénéficier de telle
ou telle prestation de sécurité sociale ne posent, on vient de le
voir, qu’assez rarement difficulté à l’égard des demandeurs
étrangers et spécialement des personnes concernées par une
kafala, qu’il s’agisse du kafil ou du makfoul. En revanche, des
conditions supplémentaires leur sont souvent opposées, ces
conditions supplémentaires constituent alors souvent un barrage
19. À l’inverse de la parenté qui joue un rôle filtrant. V° J. Carbonnier.
20. C. action soc. et fam, art. L. 262-2, pour l’allocation de RMI.
21. M. Badel, Subsidiarité et aide sociale : quelle actualité ? : RD sanit. soc. 2007,
p. 1077.
22. CE, 22 oct. 2003, n° 249462, Carine S. et Kader B. : JurisData n° 2003066033.
27
Dossier
à l’accès aux prestations ; barrage qui n’est guère contournable
en ce qui concerne les enfants sous kafala.
15 - Ces conditions tiennent à l’exigence d’une régularité du
séjour en France (A) et plus précisément encore aux modalités
administratives du séjour en France et à la référence à une
énumération restrictive des titres de séjour (B).
A. - L’exigence d’une régularité du séjour (condition
nécessaire)
16 - Le droit aux prestations sociales est consacré par un grand
nombre d’instruments internationaux qui énoncent un principe
d’égalité des droits et de traitement entre nationaux et non nationaux.
17 - Pendant longtemps, droit aux prestations de sécurité
sociale et politiques migratoires n’étaient pas liés. Ainsi, par
exemple, à l’occasion de la mise en place de la branche Famille,
le législateur n’avait qu’un but : solvabiliser les familles en
charge d’enfants, quels qu’ils soient. Ainsi, aucune condition de
régularité du séjour ne fut posée pour bénéficier de prestations.
Cependant, les évolutions de la politique migratoire vont
progressivement avoir des incidences sur le droit aux prestations
de sécurité sociale 23. Deux étapes méritent d’être relevées. En
premier lieu, la loi n° 86-1307 du 29 décembre 1986 (dite loi
Barzach) qui introduit, à travers l’article L. 512-2 du Code de la
sécurité sociale, une double condition de régularité de séjour en
matière de prestations familiales. Allocataire et enfants à charge
aux titres desquels les prestations familiales sont demandées,
doivent justifier de la régularité de leur séjour en France. En
second lieu, la loi n° 93-1027 du 24 août 1993 (dite loi Pasqua),
qui va accentuer l’exigence précédente en élargissant la condition de double régularité de séjour à l’ensemble des prestations
de sécurité sociale.
18 - Des exceptions. Quelques exceptions ont été apportées à
la double condition de régularité du séjour 24. Il convient en
particulier de relever celle qui prévoit que l’étranger mineur a
droit aux prestations de l’assurance maladie, maternité et décès
dès lors que la personne du chef de laquelle il tient ses droits est
elle-même en situation régulière 25. Au-delà des limites connues
en droit de la sécurité sociale stricto sensu, restent également
accessibles les prestations d’aide sociale à l’enfance (non soumises à la condition de régularité du séjour). Dans le même sens,
d’une protection spécifique des mineurs, on peut évoquer un
exemple significatif en matière d’aide sociale. On sait que la loi
portant création de la couverture maladie universelle a supprimé
l’aide médicale départementale et l’assurance personnelle.
Cependant, cette même loi a maintenu l’aide médicale d’État
pour permettre l’accès aux soins de personnes qui ne peuvent
pas juridiquement bénéficier de la CMU de base ou de la protection complémentaire en matière de santé (spécialement quand
elles ne peuvent justifier de la régularité de leur séjour). La loi de
finances rectificative pour 2003 a introduit une condition
nouvelle pour accéder à l’aide médicale d’État : une résidence
en France depuis au moins 3 mois de manière ininterrompue.
23. Sur ces évolutions, V. notamment : S. Segues et A. Toullier, L’accès des étrangers aux prestations servies par les caisses d’allocations familiales, Dr. soc.
2005, p. 665-671.
24. Ainsi, l’étranger en situation irrégulière continue d’avoir vocation aux prestations de la branche Accidents du travail ; l’étranger incarcéré (quelle que
soit la régularité de sa situation) continue d’être obligatoirement affilié à une
assurance maladie et maternité ouvrant droit aux prestations en nature pour
les membres de sa famille.
25. Les étrangers ne peuvent être affiliés à un régime de sécurité sociale que s’ils
sont en situation régulière au regard de la législation sur le séjour et le travail
des étrangers en France (CSS, art. L. 115-6) et leurs ayants droit étrangers
majeurs doivent également être en situation régulière (CSS, art. L. 161-252).
28
DROIT DE LA FAMILLE - REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - JANVIER 2009
Mais, le Conseil d’État a estimé que cette condition de résidence
de 3 mois ne pouvait s’appliquer aux mineurs étrangers car en
contradiction avec les dispositions de l’article 3-1 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant 26.
19 - Un premier bilan permet donc de constater que la condition de séjour régulier peut être opposée à l’enfant sous kafala.
Cependant, son accès aux soins médicaux reste possible, de
manière plus ou moins aisée selon que son ouvrant droit
lui-même est ou non en situation régulière : via l’assurance
maladie-maternité-décès ou via l’Aide médicale d’État. Ainsi, on
peut retenir qu’en toute dernière hypothèse, la prise en charge
par l’AME des soins dispensés à l’enfant constitue la couverture
par défaut du makfoul.
20 - Le cas des prestations familiales. La situation de l’enfant
sous kafala est en revanche plus complexe s’agissant du bénéfice des prestations familiales. Depuis 1986 (loi Barzach), on l’a
vu, les dispositions du Code de la sécurité sociale relatives aux
prestations familiales posent une double condition de régularité
du séjour. Ainsi, selon l’article L. 512-2 du Code de la sécurité
sociale, « bénéficient [...] de plein droit des prestations familiales [...] les étrangers non ressortissants d’un État membre de la
Communauté européenne, d’un autre État partie à l’accord sur
l’Espace économique européen ou de la Confédération suisse,
titulaires d’un titre exigé d’eux [...] pour résider régulièrement en
France [...] » Mais le même article impose également que les
enfants qui sont à leur charge et au titre desquels les prestations
familiales sont demandées soient dans une situation précise 27.
21 - C’est ainsi qu’en vertu du Code de la sécurité sociale, les
prestations familiales sont versées aux étrangers qui résident
régulièrement en France et pour les seuls enfants qui sont en
situation régulière sur le territoire français. Pour autant, par une
décision remarquée en date du 16 avril 2004, la Cour de cassation 28 a décidé, en référence aux articles 8 et 14 de la CEDH,
d’écarter l’exigence de régularité du séjour des enfants pour faire
bénéficier du service des prestations familiales des parents étrangers en situation régulière.
Mais, à travers l’article 89 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2006, le législateur (sur amendement gouvernemental) a tenu à réaffirmer l’exigence de double régularité du
séjour posée par l’article L. 512-2 du Code de la sécurité sociale
qui subordonne l’accès aux prestations familiales pour les
parents en situation régulière à la condition que les enfants
concernés : soient nés en France, ou relèvent de catégories de
familles faisant l’objet d’un traitement protecteur (réfugiés,
apatrides, titulaires de la protection subsidiaire, scientifiques), ou
soient enfants d’un titulaire de la carte de séjour « vie privée et
familiale » visée au 7° de l’article L. 313-11 du Code de l’entrée
et du séjour des étrangers et du droit d’asile et soient entrés en
France au plus tard en même temps que ce parent.
22 - En dehors de ces catégories, un enfant étranger n’ouvre
droit à prestations familiales que si ses parents l’ont fait venir
auprès d’eux dans le cadre du regroupement familial, ce qui ne
peut être le cas d’un enfant sous kafala.
23 - Le Conseil constitutionnel 29 a reconnu la constitutionnalité de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2006.
26. CE, 7 juin 2006, n° 285576, assoc. Aides et a.
27. Naissance en France, ou entrée régulière dans le cadre de la procédure de
regroupement familial, ou membre de famille de réfugié, ou enfant étranger
titulaire de la carte de séjour mentionnée au 10° de l’article L. 313-11, à
l’article L. 313-13, à l’article L. 313-8 ou au 5° de l’article L. 313-11 du Code
entrée et séjour des étranger, ou enfant étranger titulaire de la carte de séjour
mentionnée au 7° de l’article L. 313-11 à la condition que le ou les enfants
en cause soient entrés en France au plus tard en même temps que l’un de
leurs parents titulaires de la carte susmentionnée.
28. Cass. ass. plén., 16 avril 2004, n° 02-30157 : JurisData n° 2004-023421.
29. Cons. const., 14 déc. 2006, n° 2006-544 DC : JO 22 déc. 2006, p. 19356.
DROIT DE LA FAMILLE - REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - JANVIER 2009
Selon le Conseil constitutionnel, si le législateur peut prendre à
l’égard des étrangers des mesures spécifiques, il lui appartient,
« de respecter les libertés et droits fondamentaux de valeur constitutionnelle reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de
la République ». Toutefois le Conseil ne cite pas les droits
sociaux dans la liste des droits fondamentaux. De plus, les droits
des étrangers doivent se concilier avec la sauvegarde de l’ordre
public et ne sont accordés qu’aux étrangers résidant de façon
régulière sur le territoire national. Or, l’établissement de cette
régularité passe par la production de titres de séjour dont
l’énumération est primordiale...
B. - La référence à une énumération restrictive des
titres de séjour (condition supplémentaire)
24 - Des engagements internationaux au droit interne. Après
avoir posé l’exigence d’une double régularité de séjour (pour
l’allocataire et pour l’enfant à charge), l’article L. 512-2 déjà
évoqué prévoit qu’« un décret fixe la liste des titres et justifications attestant la régularité de l’entrée et du séjour des bénéficiaires étrangers. Il détermine également la nature des documents
exigés pour justifier que les enfants que ces étrangers ont à charge
et au titre desquels des prestations familiales sont demandées
remplissent les conditions prévues aux alinéas précédents ».
25 - L’article D. 512-2 du Code de la sécurité sociale indique
que la régularité de l’entrée et du séjour des enfants étrangers au
titre desquels des prestations familiales sont demandées est justifiée par la production de l’un des documents suivants : un extrait
d’acte de naissance en France ; un certificat de contrôle médical, délivré par l’Agence nationale de l’accueil des étrangers et
des migrations (ANAEM) à l’issue de la procédure d’introduction
ou d’admission au séjour au titre du regroupement familial ; un
livret de famille (ou acte de naissance) délivré par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) lorsque
l’enfant est membre de famille d’un réfugié ou d’un apatride ; un
visa délivré par l’autorité consulaire ; une attestation délivrée par
l’autorité préfectorale, précisant que l’enfant est entré en France
au plus tard en même temps que l’un de ses parents admis au
séjour sur le fondement du 7° de l’article L. 313-11 ou du 5° de
l’article 6 de l’accord franco-algérien du 27-12-1968 ; un titre
de séjour délivré à l’étranger âgé de seize à dix-huit ans (conditions de l’article L. 311-3 du CESEDA).
26 - En application de ces dispositions, sont actuellement
exclus du droit aux prestations familiales, alors que l’allocataire
étranger est en situation régulière : les enfants en situation régulière qui ne sont pas entrés dans le cadre du regroupement familial notamment parce que leurs parents ont été régularisés après
leur entrée sur le territoire, les enfants originaires de pays musulmans, hors Algérie, recueillis par kafala qui ne peuvent prétendre au bénéfice du regroupement familial. On observera, sans
s’y arrêter plus longuement ici, que la difficulté est accrue par le
fait qu’au-delà des seules prestations familiales, la plupart des
prestations de sécurité sociale ou d’aide sociale font l’objet d’une
liste de titres de séjour différente 30.
27 - Les dispositions de droit interne actuellement applicables
sont à l’origine de contentieux entre des familles ayant recueilli
des enfants par kafala et les Caisses des allocations familiales
(CAF). Le constat doit être fait de condamnations régulières, sur
le fondement des conventions internationales dont la France est
signataire, de CAF refusant d’accorder le bénéfice des prestations
familiales en raison de l’absence de production d’un des documents présents dans l’énumération posée par le Code de la sécurité sociale. Ces condamnations interviennent tant au niveau de
30. Ainsi, par exemple, pour le RMI, V. C. action soc. et fam., art. L. 262-9.
Dossier
la Cour de cassation 31 qu’au niveau de nombreuses Cours
d’appel avec des motivations souvent très explicites. Ainsi, la
cour d’appel de Bordeaux 32 a récemment pu juger que « le fait
de subordonner à la production d’un justificatif de régularité du
séjour en France des enfants mineurs le bénéfice des prestations
familiales porterait une atteinte disproportionnée au principe de
non-discrimination et au droit à la protection de la vie familiale »
28 - Vers une évolution du droit interne ? Constatant les
nombreuses difficultés d’articulation entre textes de droit interne
et textes internationaux, la Défenseure des enfants 33 et la Haute
autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité
(HALDE) ont pris position.
Dans l’affaire qui a donné lieu à sa délibération n° 2006-288
du 11 décembre 2006, la HALDE était saisie du cas d’un Camerounais, titulaire d’une carte de résident, auquel une caisse
d’allocations familiales avait refusé d’accorder les prestations
familiales pour ses deux enfants car ils étaient entrés sur le territoire national hors de la procédure de regroupement familial 34.
Dans sa délibération, la HALDE a relevé trois éléments. En
premier lieu, le fait que le droit aux prestations familiales, pour
toute personne française ou étrangère, est lié à la charge effective et permanente d’enfants résidant de façon durable en
France. En deuxième lieu le fait que l’article 14 de la CEDH (dont
l’applicabilité a été étendue aux prestations sociales) dispose que
la jouissance des droits et libertés reconnus dans la convention
doit être assurée sans distinction fondée notamment sur l’origine
nationale, sauf à justifier d’un motif raisonnable et objectif et que,
de plus, en vertu de l’article 8 de la CEDH, les États signataires
doivent prendre les mesures nécessaires pour garantir aux
personnes présentes sur leur territoire le droit au respect de la vie
privée et familiale ; or, les prestations familiales touchant à
l’aspect patrimonial de la vie familiale, peuvent être considérées
comme relevant de l’article 8. Et, enfin, en troisième lieu, le fait
que dans une décision du 16 avril 2004, l’assemblée plénière de
la Cour de cassation a décidé que les prestations familiales
étaient dues à une mère togolaise en situation régulière, pour ses
deux enfants entrés en France en dehors d’un regroupement
familial. La HALDE a pu en conclure que « la condition de régularité du séjour exigée des enfants étrangers pour ouvrir droit aux
prestations familiales peut être qualifiée de discriminatoire » et
a donc demandé au ministre délégué à la Sécurité sociale de
proposer la modification de l’article L. 512-2 du Code de la sécurité sociale et de faire supprimer l’article D. 512-2 du Code de
la sécurité sociale.
29 - La HALDE rejoint ainsi l’une des solutions souvent
évoquées à propos des contentieux intéressant des enfants sous
kafala. En effet, la liste des titres de séjour justifiant la régularité
du séjour des enfants pourrait être élargie par l’introduction du
document de circulation pour étranger mineur (DCEM) 35. Ce
31. V. par exemple, Cass. 2e civ., 14 sept. 2006, n° 04-30.837 : JurisData
n° 2006-034911.
32. CA Bordeaux, ch. soc., 22 mai 2008, Driss Chrifi c./ MSA de la Gironde :
JurisData n° 2008-369544.
33. V. spéc. rapports d’activité pour 2004 et pour 2007.
34. Les deux enfants n’étaient donc pas titulaires du certificat délivré par
l’Agence nationale d’accueil des étrangers et des migrations (ANAEM) à
l’occasion de la procédure d’entrée par regroupement familial.
35. Ce document est attribué hors regroupement familial (Ord., 2 nov. 1945
consolidée, art. 9) aux enfants : mineurs qui ont établi leur résidence habituelle en France avant l’âge de treize ans (sauf pour les Algériens qui doivent
être arrivés avant l’âge de dix ans), mineurs dont les parents sont réfugiés
statutaires ou qui ont obtenu l’asile territorial, mineurs d’apatrides qui
peuvent justifier de trois années de résidence régulière en France, mineurs
dont les parents ont bénéficié de l’article 12 bis 7 de l’ordonnance (article
qui prévoit la régularisation si tous les liens personnels et familiaux sont en
France), mineurs dont l’un des parents a acquis la nationalité française ou
celle d’un état membre de l’Espace économique européen.
29
Dossier
DROIT DE LA FAMILLE - REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - JANVIER 2009
document est attribué hors regroupement familial et pourrait
donc concerner les enfants sous kafala (hors Algérie) 36.
On rappellera cependant que les propositions de la Défenseure
des enfants allaient beaucoup plus loin que celles consistant en
une simple modification de l’énumération des documents justificatifs. Dans un avis du 9 juin 2004, la Défenseure des enfants
proposait en effet de ne retenir que la régularité du séjour des
parents pour l’attribution des prestations familiales et donc une
limitation de la condition de régularité du séjour au seul kafil.
La Défenseure des enfants, la HALDE, la Cour de cassation et
de nombreuses cours d’appel s’accordent sur le fait que les
dispositions relatives à la régularité du séjour des enfants sont en
de nombreux points contraires à plusieurs engagements interna36. Cette solution permettrait de résoudre seulement une partie des litiges : ceux
concernant des enfants de moins de treize ans (les enfants entrés en France
après l’âge de treize ans, en dehors de la procédure de regroupement familial, ne peuvent prétendre au DCEM).
6
tionaux. Pourtant, le législateur et le pouvoir réglementaire ne
modifiant pas les dispositions litigieuses du Code de la sécurité
sociale, de nombreux organismes, se conformant aux seuls textes
de droit interne, continuent de les mettre en avant pour contester le droit aux prestations familiales pour de nombreux mineurs
étrangers, dont ceux liés par une kafala. « Des refus de guichet
apparaissent ainsi « légaux » au regard des textes internes alors
que ces refus sont opposés en violation de la jurisprudence et/ou
des textes internationaux » 37. ê
Mots-Clés : Kafala - Protection sociale
37. V. S. Segues et A. Toullier, L’accès des étrangers aux prestations servies par
les caisses d’allocations familiales : Dr. soc. 2005, p. 665-671, spéc. p. 668.
– Pour des observations du même type, V. également I. Sayn, Le critère de
charge d’enfant, quels usages ? : Recherches et prévisions mars 1997, n° 47,
p. 51-64.
Kafala et droits patrimoniaux
Constance DUVAL-VERON
et Manon WENDLING,
université Montesquieu-Bordeaux
IV
1 - La question de la kafala est d’une actualité brûlante. Il n’est
que d’allumer un poste de radio ou de télévision, ou d’ouvrir un
journal pour constater cette réalité.
Les liens très particuliers, notamment la proximité géographique, qu’entretient la France avec les pays du Maghreb, berceau
de cette institution de la kafala, expliquent très certainement
cette situation et l’acuité avec laquelle se posent les questions
ayant trait à la kafala. Ce n’est d’ailleurs peut-être pas la question
la plus sensible qu’il nous appartient de traiter puisqu’il s’agit ici
d’aborder les droits patrimoniaux que la kafala offre ou pourrait
offrir au kafil et surtout d’ailleurs au makful.
Par droits patrimoniaux, on entend « l’ensemble des droits
subjectifs évaluables en argent » Ce ne sont pas tous les droits
patrimoniaux qui ont vocation à être abordés dans le cadre de
cette étude, mais seulement ceux qui sont susceptibles d’exister
dans les rapports juridiques que crée la kafala entre le kafil et le
makful : seules les questions de l’obligation alimentaire et des
successions feront donc l’objet de notre attention.
2 - S’impose, dès lors que l’on aborde l’institution de la kafala,
un constat que l’on pourrait d’ailleurs qualifier de carence et qui
justifie très certainement l’existence même de ce colloque, c’est
l’absence de statut légal de la kafala en droit français, son
absence de traduction par le droit français. Cette carence, si elle
implique peut-être une connotation quelque peu péjorative, est
parfaitement légitime dans la mesure où cette institution de la
kafala est une institution de droit musulman, justifiée par des
exigences propres au droit musulman qui n’existent pas dans le
droit français. On pense bien entendu ici à l’interdiction qui
préside dans les pays de droit musulman, de l’adoption et dont
30
la kafala constitue très certainement pour ne pas dire évidemment, le moyen, habile au demeurant, de détourner cette règle
prohibitive. La reconnaissance en droit français de l’adoption
atténue, à n’en point douter, l’intérêt même de la kafala.
Quoiqu’il en soit et au-delà même de cette raison circonstanciée, le droit musulman n’est pas le droit français et l’on ne
saurait reprocher à ce dernier sa méconnaissance de la kafala ou
tout au moins l’absence de reconnaissance d’un statut légal de
la kafala.
Dès lors que l’on constate ce « rien » dans le droit français et
même si l’on comprend les raisons de ce « rien », l’on peut être
tenté assez logiquement et puisqu’il s’agit de faire produire en
droit français des effets à une institution de droit algérien, de
calquer les dispositions de ce droit algérien quant aux droits
patrimoniaux reconnus dans le cadre de la kafala.
Dans l’hypothèse assez probable où cette technique se révèle
inefficace, il s’agira alors de chercher ailleurs et le salut pourrait
venir de la technique contractuelle.
3 - Nous aborderons ainsi d’une part l’éventualité d’un
calquage du droit français sur le droit musulman, d’autre part,
et à défaut de solution satisfaisante, le jeu de la volonté dans cette
matière particulière qu’est celle des droits patrimoniaux dans le
cadre de la kafala.
1. Les tentatives délicates de calquage
du droit français sur le droit
musulman
4 - Ce calquage, ou tout au moins cette tentative de calquage,
assez prospective, pour ne pas dire totalement virtuelle suppose
Dossier
DROIT DE LA FAMILLE - REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - JANVIER 2009
de dresser un état du droit musulman en la matière, avant de
déterminer dans quelle mesure ce calquage serait effectivement
possible. L’on perçoit à n’en point douter, les évidentes failles
que revêt un tel raisonnement. En effet, nul n’est besoin de procéder à une analyse approfondie du droit musulman pour savoir
que ce dernier obéit à des logiques fondamentalement différentes du droit français. Une telle tentative de calquage, bien que
vouée à l’échec, semble-t-il, présente néanmoins le mérite non
négligeable de mettre à jour, sans pour autant la stigmatiser,
l’aporie que constitue en l’occurrence une telle méthode et dès
lors, d’imaginer d’autres manières, plus efficaces de reconnaître des droits patrimoniaux aux acteurs de la kafala. C’est cette
raison qui justifie ainsi que l’on se prête à un tel raisonnement.
5 - Deux points ont vocation à retenir notre attention, dès lors
que l’on aborde les droits patrimoniaux dans le cadre de la
kafala : d’une part, les obligations alimentaires, d’autre part, les
successions.
A. - Obligation alimentaire et kafala
6 - La logique d’un calquage, nous l’évoquions précédemment,
implique d’identifier les règles que l’on tend à copier, avant de
procéder effectivement, et dans la mesure du possible, à ce
calquage.
C’est dans cette optique que l’on va, dans un premier temps,
dresser un tableau de ce que prévoit le droit musulman en
matière d’obligation alimentaire dans le cadre de la kafala, avant,
dans un second temps, d’imaginer le visage que revêtiraient,
transposées dans le droit français, ces règles de droit musulman.
1° L’état du droit musulman
7 - Puisqu’il s’agit ici de s’intéresser plus spécifiquement à la
kafala dans le droit algérien, l’outil nécessaire en l’occurrence
pour procéder à une telle analyse réside à n’en point douter dans
le code de la famille algérien. Ce dernier définit ainsi la kafala,
à son article 116, comme « l’engagement de prendre bénévolement en charge l’entretien, l’éducation et la protection d’une
enfant mineur, au même titre que le ferait un père pour son fils ».
Une lecture même rapide de cet article permet de mettre à jour
l’obligation alimentaire dont doit s’acquitter le kafil envers son
makful. Traduction logique de la volonté manifeste du législateur qui tend à assimiler au moins en fait le makful à un enfant
légitime, l’existence de cette obligation alimentaire découle en
définitive de l’essence même de l’institution en cause.
Mais si le kafil est soumis à une telle obligation envers le
makful, la réciproque n’est pas vraie et le makful n’est tenu à
aucune obligation particulière envers celui qui l’a recueilli.
L’enfant en cause n’est pas, en effet, assimilé en droit à un enfant
légitime, ce qui explique qu’il ne soit tenu à aucune des obligations de descendant à ascendant prévues par le code de la
famille algérien 1.
Voilà très sommairement rappelés les rapports juridiques qui
existent entre le kafil et le makful en matière d’obligation alimentaire plus particulièrement.
Reste à déterminer les tenants et les aboutissants de ces règles
en droit français.
français positif. Sans présumer de ce que sera le droit de demain,
il paraît néanmoins raisonnable de considérer, compte tenu des
circonstances en cause, que le droit français, ne devrait pas
connaître de révolution en la matière.
En effet, l’obligation alimentaire se déduit, sinon de la création
effective d’un lien de filiation, du moins d’une sorte de solidarité familiale. Tel est ainsi le cas, de l’obligation alimentaire à la
charge des parents envers leurs enfants, ou encore des conjoints
entre eux. Si l’on peut parfaitement considérer que la kafala, à
défaut de créer un véritable lien de filiation, sous-tend cette
fameuse solidarité familiale que nous évoquions précédemment,
l’on perçoit mal en revanche les raisons qui pousseraient le législateur français à reconnaître l’existence d’une obligation alimentaire entre kafil et makful, alors même qu’il s’y est refusé dans les
relations entre frères et sœurs ou encore entre concubins.
Quoiqu’il en soit, et à supposer que l’on dépasse cette opposition de bon sens, il ne semble pas que s’inscrive dans les projets
actuels et futurs du législateur français, la création d’une obligation alimentaire à la charge du kafil. La preuve en est d’ailleurs
de la teneur de la prochaine circulaire interministérielle tendant
à rappeler aux services consulaires, sociaux, fiscaux ou éducatifs le régime et les effets de la kafala en France 2 et passant totalement sous silence cette problématique d’obligations alimentaires.
9 - Une échappatoire réside peut-être dans le montage juridique mis en œuvre dans le cadre des relations entre concubins et
entre frères et sœurs, montage que l’on abordera un peu plus tard
dans notre démonstration.
Il existe un deuxième point fondamental en matière de droits
patrimoniaux dans le cadre de la kafala. Il s’agit de la question
de la succession, plus particulièrement de la vocation successorale du makful qui se pose avec beaucoup d’acuité.
B. - La vocation successorale du makful
10 - Là encore, il convient de reprendre la technique de
calquage développée à propos de l’obligation alimentaire, à
savoir la détermination de l’état du droit musulman actuel
d’abord et son éventuelle transposition dans le droit français
ensuite. Cela étant, si la méthode est la même, les difficultés sont
sensiblement accrues dans cette matière successorale dans la
mesure où le droit musulman lui-même ne prévoit pas réellement de vocation successorale de l’enfant, bénéficiaire de la
kafala.
1° L’absence de reconnaissance par le droit musulman
d’une vocation successorale du makful
8 - Force est tout d’abord de constater que la création d’une
obligation alimentaire relève normalement en France de l’initiative du législateur. Or, il convient encore de constater l’inexistence manifeste d’une telle obligation à la charge du kafil en droit
11 - Il est assez étonnant de constater que le droit musulman
lui-même qui crée la kafala ne régit pourtant que très sommairement cette institution, notamment et peut-être particulièrement
dans cette matière épineuse et sensible qu’est le droit des successions.
L’article 123 du Code de la famille algérien prévoit que « l’attributaire du recueil légal peut léguer ou faire don dans la limite
d’un tiers de ses biens en faveur de l’enfant recueilli ». Cette
possibilité peut sembler de prime abord accorder au makful une
vocation successorale spécifique. Un examen plus poussé des
dispositions du droit musulman permet en fait de constater que
cette possibilité pour une personne de léguer un tiers de ses biens
n’existe pas que dans le cadre particulier de la kafala. Ce tiers
correspond en définitive ni plus ni moins qu’à la quotité disponible qui peut de ce fait être léguée à quiconque, y compris et
1. L’article 77 de ce code prévoit ainsi l’obligation de nafaqa ou entretien mais
ne vise que les enfants légitimes.
2. V. V. Avena-Robardet, Circulaire à venir pour la kafala : D. 2008, p. 2223 ;
Rép. min. n° 3811, JO Sénat 21 août 2008, p. 1698.
2° L’obligation alimentaire du kafil en droit français
31
Dossier
non pas seulement au makful. Le droit musulman ne prévoit
donc aucune vocation successorale particulière du makful.
Il faut cependant préciser que ce même droit musulman
dispose que le makful ne peut hériter de plus d’un tiers des biens
du kafil, sauf, et l’exception est d’importance, accord des héritiers « légitimes ». L’article 123 est ainsi rédigé « L’attributaire
du droit de recueil légal peut léguer ou faire don de ses biens à
l’enfant recueilli. Au-delà de ce tiers, la disposition testamentaire
est nulle et de nul effet sauf consentement des héritiers ».
12 - La rédaction de cet article peut certes sembler tout à fait
claire. Elle n’en demeure pas moins un peu lacunaire dès lors
que l’on tente de déterminer les modalités de cet accord des héritiers et des conditions dans lesquelles ce dernier est susceptible
d’intervenir. Ce point paraît peut-être assez secondaire mais le
silence du droit musulman porte encore sur d’autres aspects plus
problématiques.
C’est ainsi que le droit musulman érige un principe tout à fait
fondamental, celui du non-cumul en matière de succession entre
les droits conventionnels d’une part et les droits légaux d’autre
part. Or, si l’on considère que la kafala peut permettre de passer
outre ce principe de non-cumul, elle pourrait alors être instrumentalisée afin de privilégier sur le plan successoral un enfant
qui détient par ailleurs des droits légaux sur la succession de
celui qui tend à devenir kafil. Tel serait le cas par exemple d’un
neveu faisant l’objet d’une kafala.
Sur ce point qui revêt un intérêt pratique non négligeable, le
droit musulman ne semble pas se prononcer clairement en imposant par exemple d’opter soit pour les droits conventionnels, soit
pour les droits légaux.
13 - Cette espèce de nébuleuse dans laquelle le droit musulman semble vouloir laisser la kafala ne rend que plus ardues les
opérations de calquage du droit français sur le droit musulman.
Il n’est en effet que de constater que copier un droit manifestement assez flou relève peu ou prou sinon de l’ubuesque, au
moins du très audacieux.
Contentons-nous alors de ce qui semble le plus clair dans le
droit musulman lui-même, à savoir la question du tiers « léguable » et du fameux accord des héritiers.
2° Une vocation successorale du makful en droit
français
14 - Le premier constat qui s’impose réside à n’en point douter
dans l’absence logique de vocation successorale reconnue
spécifiquement au makful en droit français. Dès lors, il convient
d’envisager ce qu’il pourrait advenir des règles de droit musulman, à supposer qu’elles soient effectivement transposées dans
le droit français.
Tout d’abord, la « règle du tiers » peut bien entendu s’analyser à l’aune du droit français comme une quotité disponible
particulière. La part accordée d’un tiers ne saurait trouver un
quelconque écho en droit français, ce dernier obéissant à
d’autres règles de calcul, ni plus ni moins légitimes et qui obéissent à l’idée que se fait le législateur d’un partage équitable.
Ensuite, envisageons la possibilité d’un accord des héritiers qui
consiste pour les héritiers légitimes à renoncer à une part de leur
réserve. L’idée n’est pas totalement étrangère au droit français,
ce dernier connaissant ainsi la renonciation anticipée sur la
réserve ou encore la renonciation in favorem, deux types de
renonciation distincts sur lesquelles nous reviendrons plus tard.
15 - L’idée de renonciation telle qu’elle existe dans le droit
musulman est un peu différente de ce qui existe dans le droit
français dans la mesure où elle implique, au moment de l’ouverture de la succession du de cujus, une renonciation partielle à
cette succession, ce qui en l’occurrence est parfaitement étranger au droit français, ce dernier ne permettant après la mort du
32
DROIT DE LA FAMILLE - REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - JANVIER 2009
de cujus, que de renoncer totalement, et non seulement pour
partie, à la succession.
L’introduction dans notre droit français de cette disposition du
droit musulman reviendrait en définitive à créer une hypothèse
de renonciation partielle.
Là encore, et comme en matière d’obligation alimentaire, cette
méthode du calquage ne paraît pas devoir prospérer. Quoiqu’il
en soit, et de manière plus générale, qu’il s’agisse de droits patrimoniaux ou d’autres types de droit, cette technique ne doit pas
être privilégiée, d’une part parce que le droit musulman n’organise pas de statut particulier de la kafala et que l’on ne saurait être
plus royaliste que le roi en créant en droit français un statut,
dénaturant par là même l’institution elle-même, d’autre part
parce que l’on ignore les conséquences pratiques et théoriques
qu’une telle transposition pourrait avoir sur l’ensemble du droit
français, ou tout au moins sur sa cohérence.
16 - Une autre voie plus sage, plus raisonnable et très certainement plus probable paraît devoir être explorée, c’est celle dans
laquelle la technique contractuelle vient au secours des carences législatives logiques mais néanmoins et dans une certaine
mesure problématiques. Les parties à la kafala doivent ainsi
s’emparer du formidable espace de liberté pour reconnaître
eux-mêmes des effets à la kafala.
C’est ce point qu’il convient désormais d’aborder.
2. La technique contractuelle au service
de la kafala
17 - S’il n’appartient pas nécessairement au législateur français
de prendre en compte et par là-même de régir la kafala, la mobilité des populations, des rapports humains suppose en réalité un
dépassement de ses frontières par la kafala. Cet état de fait explique la raison pour laquelle le droit français, répondant en cela
à un besoin des justiciables, tente de traduire sur la scène juridique française l’objectif de la kafala, et plus concrètement, tente
d’attribuer des effets à la kafala. Cette tentative doit bien entendu
se faire dans le respect de l’intégrité de la kafala, le droit français
n’ayant pas vocation à dénaturer l’institution de droit musulman,
et de la conception française de la famille, cette dernière n’ayant
quant à elle pas nécessairement vocation à s’adapter à toutes les
réalités.
Ces quelques directives impliquent néanmoins de trouver un
outil susceptible précisément de répondre à toutes ces exigences. L’outil contractuel, conventionnel s’impose ici comme une
évidence : il appartient en effet aux acteurs de la kafala d’user de
la liberté qui est la leur pour renforcer les effets qu’il convient
d’attribuer à la kafala. Il s’agit ici de permettre au kafil et au
makful d’aménager les effets de leur kafala, dans le respect de
l’esprit, familial quoiqu’on en dise, de cette institution.
Cette question doit alors être analysée à travers le prisme retenu
dans la première partie, de l’obligation alimentaire et du droit des
successions.
A. - La vocation « alimentaire » du makful
18 - Nous avons déjà expliqué que le droit musulman prévoit
une telle obligation alimentaire à la charge du kafil, mais que
cette obligation ne trouve naturellement pas d’équivalent en
droit français, les seules obligations prévues par le législateur
reposant sur un lien de parenté, voire d’alliance. Il n’en demeure
pas moins qu’une telle obligation peut être aménagée par le
truchement de la volonté des parties.
Deux possibilités distinctes peuvent alors être relevées : d’une
part, l’acte juridique unilatéral, d’autre part, la notion d’obligation naturelle.
Dossier
DROIT DE LA FAMILLE - REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - JANVIER 2009
1° L’acte juridique unilatéral comme support d’une
obligation alimentaire
19 - On pourrait en effet envisager la création ex nihilo d’une
obligation alimentaire par le biais d’un acte juridique unilatéral.
En raison de la minorité, au moins provisoire, du makful, le
contrat unilatéral ne peut avoir vocation à s’imposer ici.
En tout état de cause, L’acte juridique unilatéral suppose la
conclusion effective et formelle d’un tel acte ce qui, en pratique,
peut susciter quelques difficultés.
Cette difficulté pratique pourrait néanmoins être dépassée par
la notion d’obligation naturelle.
2° La notion d’obligation naturelle.
20 - Il est en effet parfaitement possible de reconnaître en droit
français, comme on l’a fait en leur temps pour les frères et sœurs
ou pour les concubins 3, l’existence d’une obligation naturelle
du kafil envers le makful. Il serait alors possible d’appliquer le
régime de l’obligation naturelle dans ces relations particulières
entre kafil et makful. Ce régime permet en l’occurrence la transformation de l’obligation naturelle en obligation civile par
l’engagement unilatéral du kafil d’exécuter cette obligation naturelle.
L’existence de cette obligation naturelle du kafil envers le
makful n’est pas réellement discutable dans la mesure où elle
résulte de l’essence même de la kafala (Il suffit pour s’en convaincre de rappeler la définition de la kafala qui implique l’engagement de prendre en charge l’entretien d’un enfant). Le fait de
recueillir un enfant implique, dans le sens d’une kafala, le respect
de cette obligation alimentaire.
Pour ce qui est de la transformation à proprement parler de
l’obligation naturelle en obligation civile alors susceptible
d’exécution forcée, elle obéit aux conditions classiques de la
transformation posées par le droit français : elle suppose l’engagement unilatéral du kafil, pris en connaissance de cause,
d’exécuter cette obligation naturelle. Cet engagement n’est pas
réellement soumis à des formalités particulières puisqu’il
suppose, pour être constitué, un simple engagement verbal, un
commencement d’exécution.
21 - Dans notre cas particulier de la kafala, cet engagement
suppose de toute façon d’être matérialisé par un écrit réalisé
devant le juge ou le notaire et répond à l’objectif même de la
kafala. Dès lors, Il faut relever la spécificité de la relation entre
kafil et makful en ce que l’engagement pris par le kafil dans l’acte
de kafala provoque simultanément la création de l’obligation
naturelle et sa transformation en obligation civile.
Reste à examiner la réciproque éventuelle de cette obligation
à la charge du kafil, en l’occurrence, la possibilité d’une obligation naturelle à la charge du makful et à l’égard de son kafil.
L’on peut tout à fait supposer que cette obligation naturelle nait
de l’exécution de sa propre obligation naturelle, et transformée
dès lors en obligation civile, par le kafil.
Si l’on reconnaît l’existence circonstanciée de cette obligation
naturelle, elle suppose alors pour être transformée, l’engagement
de la part du makful de l’exécuter, voire un commencement
d’exécution.
L’existence d’une telle obligation à la charge du makful n’est
pas anodine, loin s’en faut puisque sa transformation en obligation civile permettrait alors au kafil, le cas échéant, de s’adresser, au regard de la solidarité qui préside entre débiteurs d’une
obligation alimentaire, exclusivement au makful, plutôt qu’à ses
3. V. notamment Cass. 1re civ., 17 nov. 1999 : Rev. personnes et famille 2000,
p. 27. – Cass. 1re civ., 20 mai 2003 in Quelques indications supplémentaires sur la transformation d’une obligation alimentaire naturelle en une obligation civile : Rev. personnes et famille 2003, p. 381.
enfants légitimes. Elle implique encore la possibilité pour le kafil
d’avoir recours à l’exécution forcée.
22 - Ces quelques développements à propos de l’obligation
alimentaire permettent ainsi de mettre en lumière la possibilité
pour les protagonistes, kafil et makful, de s’emparer de l’espace
de liberté que leur accorde le droit français et de voir le cas
échéant consacrer l’existence d’une obligation alimentaire.
Cet espace de liberté n’est pas propre à l’obligation alimentaire.
C’est ainsi que l’on peut envisager des aménagements à
l’absence de vocation successorale du makful.
B. - La vocation successorale du makful.
23 - Comme en droit musulman, le makful ne dispose pas en
droit français d’une vocation successorale spécifique, dans la
mesure où la kafala n’a pas pour objet la création d’un quelconque lien de filiation ou d’alliance.
Dès lors, il convient, pour passer outre cette absence de vocation successorale, de s’emparer de l’espace de liberté qui existe
dans la matière successorale, si tant est d’ailleurs qu’il en existe
réellement un.
Cet espace de liberté peut sembler de prime abord extrêmement restreint : il paraît en effet être limité aux seules dispositions
par legs et donation de la quotité disponible, cette dernière étant
définie en fonction du nombre d’enfants.
Cette impression est cependant battue en brèche par la prise en
compte du mouvement de contractualisation que connaît le droit
des successions et des libéralités 4, notamment sous l’impulsion
de la réforme du 23 juin 2006 5
24 - C’est plus particulièrement la renonciation anticipée à
l’action en réduction désormais prévue aux articles 929 et
suivants du Code civil qui pourrait, le cas échéant, profiter au
makful 6. Il s’agira ici pour l’héritier réservataire d’accepter que
le makful reçoive plus que la quotité disponible : il renoncera
alors avant l’ouverture de la succession à exercer l’action en
réduction en faveur du makful : la détermination du bénéficiaire
de cette renonciation constitue en effet une condition de cette
renonciation. Il convient néanmoins de préciser que le kafil a
encore, même dans cette hypothèse, vocation à jouer un rôle
puisque la renonciation n’engage le renonçant qu’au jour où elle
est effectivement acceptée par le kafil. L’on ne saurait dès lors
passer outre la volonté du kafil de limiter la part du makful.
25 - L’on peut encore évoquer la possibilité de la renonciation
in favorem dont pourrait là encore bénéficier le makful. Il
conviendrait alors pour l’héritier réservataire de renoncer à sa
réserve au profit du makful, après le décès du kafil. Cette renonciation doit en effet se faire en faveur d’une personne expressément déterminée et ne peut intervenir qu’après l’ouverture de la
succession du de cujus.
26 - Le désintérêt manifeste du droit français pour la kafala peut
ainsi ponctuellement être dépassé sans qu’il soit pour autant
besoin de dénaturer les institutions ou concepts juridiques du
droit français. Il suffit en effet de s’attacher aux possibilités
qu’offre le droit français lui-même d’aménager une situation juridique en offrant à chacun la faculté de s’emparer de l’espace de
liberté qui est le sien. Les mécanismes contractuels constituent
4. Compte tenu des évolutions successives du droit des successions, le caractère restrictif de cet espace de liberté n’est peut-être que provisoire
5. L. n° 2006-728, 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités : JO 24 juin 2006, p. 9513. – V. notamment H. Fulchiron in Dr. et patrimoine 2007, p. 28-36 ; La réforme des successions et des libéralités et la loi
du 23 juin 2006. Actes du colloque du Centre Pierre Kayser, Aix en Provence,
19 déc. 2006 : PUF Aix-Marseille, 2008.
6. Cette renonciation rappelle, toute proportion gardée, la possibilité pour le
kafil de donner plus du tiers de ses biens au makful avec l’accord des héritiers réservataires.
33
Dossier
ainsi un intéressant palliatif à la méconnaissance de la kafala par
le droit français.
Ces aménagements permettent de mettre à jour l’existence
éventuelle d’une obligation alimentaire à la charge du kafil et
d’évoquer la possibilité sinon une véritable vocation successorale du makful, au moins d’une sorte de considération successorale.
Ces aménagements ne sont certes pas l’apanage du seul makful
et peuvent parfaitement être mis en place en dehors de toute
7
DROIT DE LA FAMILLE - REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - JANVIER 2009
kafala. Ils présentent néanmoins le mérite d’exister aussi pour les
acteurs de la kafala et pourraient ainsi, dans ces matières particulières des successions et de l’obligation alimentaire, permettre de faire l’économie de la qualification et des difficultés qu’elle
suscite inévitablement. ê
Mots-Clés : Kafala - Droits patrimoniaux - Obligation alimentaire
Kafala - Droits patrimoniaux - Vocation successorale
La kafala et le droit international privé :
besoin de qualification 1
Sandrine SANA-CHAILLE DE NERE,
professeur à l’université Montesquieu-Bordeaux IV
1 - Même si les personnes concernées ne s’en rendent pas très
bien compte, tout recours à une institution étrangère en France
déclenche les règles du droit international privé. Lorsque l’institution vécue dans l’ordre juridique du for, c’est-à-dire l’ordre juridique du point de vue duquel on se place, est une institution
connue, l’application de ces règles peut passer plus ou moins
inaperçue et, en toute hypothèse, en cas de litige, leur mise en
œuvre ne pose guère de difficulté. Il en va ainsi, par exemple,
lorsque l’on parle de divorce, de mariage ou de succession. Lorsque, en revanche, l’institution est inconnue de l’ordre juridique
du for, l’application des règles de conflit est beaucoup plus
compliquée puisqu’elle impose en premier lieu de comprendre
ce qu’est cette institution avant de pouvoir déterminer les règles
auxquelles elle doit être soumise.
Parce que la France est une terre d’immigration, le droit international privé français a souvent été confronté à ce genre de difficulté. L’accueil d’institutions étrangères inconnues de notre
ordre juridique est un phénomène classique et ancien 2. Il en est
allé ainsi pour la quarte du conjoint pauvre, pour le mariage
polygamique, et aujourd’hui, entre autres, pour le trust en
matière économique. Il en va, de la même façon, pour le mariage
homosexuel, pour les partenariats enregistrés ou pour la kafala.
Dans tous les cas, il s’agit d’insérer dans nos classifications des
institutions pour lesquelles elles n’ont pas été pensées.
Parfois, l’opération se fait de manière quasi inconsciente : ainsi,
parce que la chose ne fait plus de difficulté, on oublie
aujourd’hui que la question de la réception ou de l’intégration
dans notre ordre juridique s’est posée pour le mariage polygamique. S’il ne fait plus de doute, désormais, que cette institution
1. Ce texte est celui d’une conférence prononcée à Bordeaux à l’occasion des
Journée des droits comparés et s’inscrit dans le cadre d’une recherche collective portant sur la réception en France de la kafala musulmane. Le style oral
en a été conservé. Que le lecteur n’en soit pas surpris.
2. V. l’exemple de l’affaire Bartholo et de la quarte du conjoint pauvre. CA
Alger, 24 décembre 1889 : JDI, 1891, p. 1171 avec l’analyse de Bartin
publiée au JDI 1897, p. 227.
34
étrangère doit être rapprochée de notre mariage, une telle
conclusion a néanmoins nécessité une démarche analytique
destinée à comprendre les enjeux de cette union très particulière
puis une opération de qualification indispensable à la détermination de la loi applicable. Soulignons d’ailleurs que cette opération de qualification doit être menée, alors même que, en
présence d’institutions connues ou facilement assimilables aux
institutions nationales, elle se fait de manière très intuitive. Il n’en
demeure pas moins qu’elle doit être faite. La mécanique du droit
international privé l’impose. C’est ce que nous allons essayer
d’expliquer dans le cas particulier qu’est celui de la kafala.
2 - Pour comprendre, rappelons à grands traits la manière dont
s’opère le raisonnement conflictualiste.
Lorsque se présente une situation juridique internationale,
autrement dit lorsque existe un élément d’extranéité, plusieurs
lois sont potentiellement compétentes pour régir la situation litigieuse. Pour déterminer, parmi ces différentes lois, celle qui,
seule, devra effectivement être appliquée, le juge doit faire entrer
cette situation juridique dans l’une des quatre grandes catégories de rattachement que sont le statut personnel, le statut réel,
la catégorie des obligations (avec en sous-catégories le statut
contractuel et le statut délictuel) et enfin les questions de procédure 3.
À chacune de ces catégories correspond un facteur de rattachement qui permet de désigner la loi applicable : pour le statut
personnel, le facteur de rattachement est la nationalité, pour le
statut réel, la situation du bien, pour le statut délictuel, le lieu de
survenance du dommage, etc. On connaît donc, pour chaque
catégorie de rattachement, la loi qui doit être appliquée à la
question posée. Précisément, on sait que toute question qui entre
3. Ce sont là les catégories « historiques » du droit international privé. Il est bien
évident qu’elles se sont précisées et raffinées, de sorte que la désignation du
statut personnel, par exemple, ne suffit plus à trouver la loi applicable. Encore
faut-il savoir si la question posée est, par exemple, une question de mariage,
de divorce ou d’autorité parentale, chacune de ces questions ayant sa propre
règle de conflit.
DROIT DE LA FAMILLE - REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - JANVIER 2009
dans la catégorie statut personnel est soumise à la loi dont l’individu a la nationalité.
Cette brève présentation permet, à elle seule, de mesurer
l’importance de l’opération de qualification qui consiste justement à déterminer à quelle catégorie de rattachement appartient
la question litigieuse. Si, en effet, la qualification est erronée, le
facteur de rattachement utilisé ne sera pas le bon et application
sera faite d’une loi non compétente.
3 - Dans la plupart des cas, l’opération de qualification ne
semble pas excessivement compliquée. Mais il existe quelques
hypothèses pour lesquelles elle n’est pas aussi évidente qu’il
pourrait sembler. Prenons l’exemple des régimes matrimoniaux
qui, bien que très liés au mariage, n’entrent pas, comme lui, dans
le statut personnel. Depuis le seizième siècle, ils sont qualifiés
de contrats et entrent, de ce fait, dans la catégorie des obligations 4. De la même manière, les questions successorales sont
classées, en France, dans la catégorie statut réel et non dans la
catégorie statut personnel.
Cette question de la qualification souligne d’ailleurs le caractère « national » du droit international privé puisqu’il faut savoir
que, au-delà de nos frontières, les qualifications sont bien
souvent différentes : l’un de nos plus proches voisins, l’Italie, fait,
par exemple, entrer les successions dans le statut personnel. Là
où nous les soumettons à la loi du lieu de situation des biens,
l’Italie les soumet à la loi nationale du de cujus.
Néanmoins, c’est selon les concepts du for que l’opération de
qualification doit être menée, ainsi que l’a décidé la Cour de
cassation dans l’un des arrêts les plus fameux du droit international privé, l’arrêt Caraslanis, rendu le 22 juin 1955.
4 - Qualifier, c’est donc, avant tout, déterminer à quelle catégorie de rattachement doit être associée telle ou telle question
juridique.
L’opération est, de ce fait, essentielle. Mais les choses se
compliquent lorsque l’institution dont ont à connaître les autorités françaises est inconnue de notre ordre juridique et ne peut
être assimilée, de manière parfaite, à aucune de nos institutions.
C’est le cas de la kafala comme cela a pu l’être, en d’autres
temps, de la quarte du conjoint pauvre issue de la législation
maltaise de la fin du dix-neuvième siècle. Cette institution, totalement inconnue de notre ordre juridique, s’est trouvée soumise
à la sagacité des juges de la cour d’appel d’Alger en 1889 5.
L’affaire, qui révèle à la fois les difficultés et l’importance de la
qualification, mérite d’être précisée.
Le litige opposait la veuve d’un certain Bartholo aux héritiers
de celui-ci. Le de cujus, de nationalité maltaise, possédait des
immeubles en Algérie et la veuve entendait faire valoir, sur ces
immeubles, un droit qu’accordait le droit maltais au conjoint
survivant mais qui était inconnu du droit français : la quarte du
conjoint pauvre. Nous étions ici face à la même situation que
nous le sommes aujourd’hui face à une kafala ou à un trust :
comment qualifier cette prétention ? L’enjeu était de taille : si la
quarte du conjoint pauvre était qualifiée d’avantage matrimonial,
le droit maltais était applicable en tant que loi du premier domicile conjugal et la veuve obtenait gain de cause. Si au contraire,
on y voyait un droit successoral, le droit français était applicable en tant que loi de la situation de l’immeuble et la veuve en
était privée 6.
4. Adoptée en droit international privé français à la suite de la consultation
donnée par Dumoulin aux époux de Ganey, en 1525, la solution a été confirmée par la Convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux
régimes matrimoniaux.
5. Arrêt Bartholo, préc.
6. Pour la petite histoire, la quarte du conjoint pauvre a été classée parmi les
avantages matrimoniaux et la vve Bartholo a donc pu en bénéficier.
Dossier
Chacun a bien conscience, pourtant, que ni les régimes matrimoniaux ni les successions tels qu’organisés par notre ordre juridique ne connaissent un équivalent exact de la quarte du
conjoint pauvre. Cela implique donc nécessairement d’assouplir ou d’élargir nos catégories afin d’y faire entrer des institutions
inconnues. Non pas, d’ailleurs, nécessairement pour leur faire
produire effet. Mais simplement pour identifier le droit qui doit
leur être appliqué.
5 - Il est vrai, pourtant, que la qualification peut parfois se révéler tellement difficile qu’on peut être tenté de ne pas y procéder
et d’appliquer – arbitrairement – la loi du for ou la loi d’origine
de l’institution.
À cet égard, la kafala expose le droit international privé aux
mêmes difficultés que le Pacs. Sur ces questions, en effet, on peut
raisonner de deux manières différentes. Il est possible de considérer, dans une première approche, que la kafala, comme le
Pacs, sont des institutions très spécifiques à un pays donné et
n’ont donc de sens que dans l’ordre juridique de ce pays. Par
conséquent, l’un ou l’autre ne peut être soumis qu’à la loi de son
pays d’origine. Ce faisant, on considère implicitement que ces
institutions n’ont pas vocation à circuler, juridiquement, par-delà
les frontières.
Selon une autre approche, on peut estimer que le Pacs, par
exemple, est certes une création de la loi française mais qu’il
entre dans une catégorie plus large de partenariats enregistrés où
il sera rejoint par des institutions étrangères non absolument
identiques mais présentant les mêmes caractéristiques principales. Dans ce cadre, dans un contexte international, le Pacs doit
être envisagé de manière plus abstraite comme un « partenariat »
et être soumis, en tant que tel, au raisonnement conflictualiste.
On pourra ainsi le faire entrer dans la catégorie statut personnel
ou, pourquoi pas, dans la catégorie contrat. Cela suppose, alors,
que la loi française, ne sera pas nécessairement appliquée à
toutes les questions concernant ce partenariat pourtant d’origine
française. La kafala pose le même type de problème. Si on la
perçoit comme une institution qui n’a de sens que dans l’ordre
juridique où elle a été créée, elle ne peut être soumise qu’à cette
loi. Si, au contraire, on la détache de cet ordre juridique en considérant qu’elle entre dans une catégorie plus large, soumise à des
règles de conflits spécifiques, son appréhension sera plus aisée
par les ordres juridiques étrangers. Et il semble, en définitive,
qu’on ne peut pas faire autrement que d’adopter cette seconde
approche.
6 - Pour nous en convaincre, concentrons-nous sur la kafala.
7 - Face à une kafala dont on ne sait pas quels effets lui faire
produire ni quelles sont ses conditions de validité, on peut
raisonner de manière intuitive : un juge français confronté à une
kafala algérienne (au sens où elle a été établie entre ressortissants
algériens) mérite sans doute d’être soumise au droit algérien.
Certes. Mais imaginons que la kafala a été établie entre un
recueillant – kâfil – marocain et un enfant recueilli – makfoul –
algérien. Quelle loi, de la loi marocaine ou algérienne, régira les
conditions de formation de la kafala si sa validité est remise en
cause (par exemple lors d’une succession lorsque le makfoul a
été gratifié) ? Quelle loi déterminera les effets exacts de la kafala :
la loi du recueillant ou la loi du recueilli ? Pourquoi pas la loi de
leur domicile commun ? Quid de l’hypothèse où le kâfil et le
makfoul ont la même nationalité – algérienne par exemple –
mais sont établis dans un autre État que celui de leur nationalité
qui, lui-même, connaît la kafala et la soumet donc à des dispositions spécifiques. Que faire lorsque le kâfil est musulman et
français et qu’il entend recueillir un enfant de nationalité algérienne ? La religion du recueillant lui permet de le faire mais pas
sa nationalité. Celle de l’enfant, en revanche, le permet...
L’actualité récente nous a montré que de telles questions
pouvaient parfaitement être soulevées devant un juge français.
35
Dossier
On ne peut donc se contenter de dire que l’on prend la kafala
pour ce qu’elle est dans « son pays d’origine » car rien n’empêche que plusieurs pays soient concernés par la kafala et que la
loi de chacun d’entre eux ait une prétention légitime à régir la
question posée. On ne peut donc pas occulter le raisonnement
en termes de conflit de lois et donc, pas non plus occulter la
question de la qualification.
8 - Mais entendons-nous bien sur le sens même du mot de
qualification. La qualification, en droit international privé, est
l’opération qui consiste à classer une institution dans l’une des
catégories de rattachement. Ce n’est en aucun cas une opération
de traduction.
Autrement dit, il n’est pas question, ici, de trouver dans l’ordre
juridique du for l’institution qui serait l’exact équivalent de l’institution étrangère. Dans la plupart des cas, une telle tentative sera
vaine. Et plus l’institution étrangère sera éloignée de nos
concepts nationaux, plus cette tentative de traduction sera
perverse, au sens premier du terme, puisqu’elle risque de pervertir l’institution étrangère 7.
Pour ce qui nous concerne ici, il n’est donc pas question de
chercher à traduire la kafala en adoption, en délégation de
l’autorité parentale ou en tutelle. En qualifiant, il s’agit seulement
de déterminer si, eu égard à ses caractéristiques principales, la
kafala est avant tout une relation interpersonnelle, si elle est
plutôt une forme d’organisation patrimoniale ou si elle est,
comme cela a été évoqué, un contrat 8. Selon l’analyse qui en
sera faite, on pourra alors déterminer s’il convient de faire entrer
la kafala dans le statut personnel, dans le statut réel ou encore,
pourquoi pas, dans le statut contractuel.
9 - Bien évidemment, cependant, pour opérer cette qualification, ce rangement dans l’une des quatre grandes « boîtes » que
sont les catégories de rattachement, il faut comprendre ce qu’est
l’institution étrangère en cause et, par suite, tenter de comprendre, parmi les institutions françaises, celle(s) dont elle se rapproche le plus. En effet, c’est ce rapprochement qui permettra de
prendre la décision ultime du choix de la catégorie de rattachement, et, au sein d’une catégorie large comme le statut personnel, si elle est retenue, de déterminer si cette institution relève
davantage de la filiation ou de la protection des mineurs par
exemple.
Dans le travail collectif que nous avons mené depuis plusieurs
mois autour de cette question, l’opération analytique a été réalisée grâce aux explications d’un professeur de droit algérien 9 et
de M. le recteur de la mosquée de Bordeaux. Ce sont, en effet,
leurs analyses qui nous ont permis, à nous juristes français, de
7. Ainsi de la tentative de traduction de la kafala en adoption, fût-elle simple,
par certaines juridictions françaises : CA Reims, 2 déc. 2004 et CA Toulouse,
15 févr. 2005, arrêts cassés par Cass. 1re civ., 10 oct. 2006 : JurisData
n° 2006-035303 ; JCP G 2007, II, 10072, note M. Farge ; Defrénois 2007,
p. 307, note J. Massip ; Defrénois 2006, p. 132, note Revillard ; D. 2007,
p. 816, note H. Fulchiron.
8. Analyse proposée par M. le recteur de la mosquée de Bordeaux lors de son
intervention.
9. Mme le Pr. Malika Boulenouar de l’université d’Oran.
36
DROIT DE LA FAMILLE - REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - JANVIER 2009
comprendre ce qu’est la kafala dans les cultures et législations
musulmanes. L’idée, ici, n’était d’ailleurs pas de comprendre ce
qu’est spécifiquement la kafala algérienne mais de comprendre
ce qu’est la kafala d’un point de vue plus général, d’un point de
vue commun aux législations qui la connaissent.
Ensuite, il s’est agi de réaliser l’opération de rapprochement
(mais non de traduction) entre la kafala désormais analysée et les
concepts du droit français afin de déterminer qui, de la tutelle ou
de la délégation d’autorité parentale, de l’adoption ou du contrat,
est le mieux à même d’accueillir la kafala.
10 - En toute hypothèse, il faut, pour ce faire, ouvrir nos catégories et les assouplir, les élargir même, afin d’y faire entrer cette
institution inconnue. Mais que l’on ne voie pas, surtout, dans
cette démarche, un forçage de nos catégories ! Ce n’est là, au
contraire, que la réaction naturelle – et nécessaire – d’un ordre
juridique ouvert concerné, à un titre ou à un autre, par un dispositif légal étranger. On doit donc ouvrir l’une de nos catégories
à la kafala comme nous les avons ouvertes au mariage polygamique ou à la quarte du conjoint pauvre, à la répudiation et,
demain, au mariage homosexuel. Cela ne signifie pas, d’ailleurs,
que l’intégration intellectuelle d’une institution étrangère dans
l’une de nos catégories implique sa mise en œuvre dans notre
ordre juridique. On sait bien, par exemple, que la répudiation
ne saurait produire effet chez nous dans la mesure où elle est
contraire à l’ordre public international français et rien ne dit,
pour l’heure, quelle position prendront nos juges lorsque des
époux homosexuels étrangers leurs demanderont de prendre en
compte en France l’ensemble des droits et devoirs qu’ils tiennent
de leur mariage. Mais dans tous les cas, avant même de prendre
une telle décision, il aura fallu qualifier ces institutions étrangères afin de les faire entrer dans nos catégories qui pourtant les
ignorent pour ensuite les soumettre aux lois correspondantes.
11 - Lorsque l’on a compris que la qualification, au sens du
droit international privé, n’était pas une traduction mais une
opération de classement, on mesure qu’elle est une étape indispensable à la détermination de la loi applicable. Or, cette recherche de la loi applicable ne peut pas être évitée dans un grand
nombre de cas. On a donné quelques exemples de questions qui
ne pouvaient être résolues qu’à l’issue d’un choix entre plusieurs
lois potentiellement compétentes.
Lorsque la question sera posée au juge non pas de savoir si la
kafala peut être transformée en adoption ou si la kafala peut justifier l’obtention d’un titre de séjour mais plutôt de savoir si les
conditions de validité de la kafala ont été respectées, ou si la
kafala peut être révoquée, la qualification, cette fois, devra être
réalisée. Espérons alors que les juges se souviennent que la
kafala, comme l’adoption, sont des institutions qui ont été créées
pour répondre à un besoin. Elles ont donc un aspect fonctionnel
très marqué et il n’y aurait guère de sens à les sacraliser. Cela ne
ferait que rendre plus difficile la réponse à apporter, en droit
international privé, à ce besoin de qualification. ê
Mots-Clés : Kafala - Droit international privé - Qualification
Dossier
DROIT DE LA FAMILLE - REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - JANVIER 2009
8
Le refus de la transformation en adoption
Pierre MURAT,
professeur à la faculté de droit de Grenoble
1 - La « doctrine » de la Cour de cassation est désormais clairement établie. Des cours d’appel ayant prononcé l’adoption
d’un mineur maghrébin confié en kafala se sont vu censurées
pour violation de l’article 370-3, alinéa 2, du Code civil : en
statuant ainsi, alors qu’il ressort de leurs propres constatations,
que la loi étrangère interdit l’adoption, que la kafala n’est pas une
adoption et que, par ailleurs, le mineur n’était pas né et ne résidait pas habituellement en France, ces cours ont violé
l’article 370-3, alinéa 2 du Code civil 1.
Toute transformation de la kafala en adoption paraît donc
fermée : la fermeture est triple comme le montre la formulation
des arrêts de la Cour de cassation : 1/ la loi de l’adopté interdit
l’adoption : aucune reconnaissance directe n’est donc évidemment possible puisqu’il n’y a pas d’adoption ; 2/ la kafala n’est
pas une adoption : aucune équivalence n’est envisageable non
plus ; 3/ lorsque le mineur n’est pas né et ne réside pas habituellement en France, l’exception à l’interdiction de l’adoption des
mineurs étrangers dont la loi nationale prohibe l’adoption (C.
civ., art. 370-2) n’est pas applicable : aucune adoption ne peut
par conséquent être prononcée.
2 - Dans les rapports que peuvent entretenir kafala et adoption,
des opérations intellectuelles différentes peuvent se concevoir.
On peut comparer la kafala et l’adoption pour éventuellement
utiliser des raisonnements par analogie : c’est une question de
« traduction », de transposition, voire de qualification : en
d’autres termes, cela revient à se poser la question de savoir dans
quelle mesure la kafala s’apparente à une espèce d’adoption qui
tairait son nom. Mais on peut aussi plus simplement vouloir
remplacer la kafala par une adoption : question de transformation. Une adoption peut-elle recouvrir une kafala ? Selon le droit
positif, la réponse aux deux questions paraît négative : ni transposition, ni transformation.
Au regard des dispositions des pays de droit musulman classique et au regard de nos propres textes, tout cela paraît rigoureusement exact. La kafala ne se transforme pas en adoption.
Pourtant, une telle réponse donne d’abord un fort sentiment
d’insatisfaction, surtout lorsqu’il s’agit d’une kafala prononcée
dans des circonstances où l’enfant est abandonné et où il a été
remis officiellement aux koufala (pluriel de kâfil) qui l’élèvent
depuis son jeune âge en France 2. On peut donc avoir une attitude de combat et trouver la solution bien peu respectueuse de
la primauté des droits de l’enfant. En outre, en regardant avec
1. V. les deux décisions de principe : Cass. 1re civ., 10 mai 2006 : Dr. famille
2007, comm. 96, note M. Farge ; JCP G 2007, II, 10072, note M. Farge ;
D. 2007, p. 816, obs. H. Fulchiron ; Defrénois 2007, p. 133, note
M. Révillard ; p. 307, note J. Massip ; AJF 2007, p. 32 obs. A. Boiché ; RJFF
2007-1/35, note M.-C. Le Bourcicot ; JDI 2007 comm. 11, p. 564, note
C. Brière. – Adde pour une confirmation récente : Cass. 1re civ., 9 juill. 2008 :
Dr. famille 2008, comm. 133, note M. Farge ; Defrénois 2008, p. 2181, note
M. Révillard ; AJF 2008, p. 394, obs. A. Boiché.
2. L’arrêt de la Cour de cassation du 9 juill. 2008 (préc.) montre parfaitement
que la haute juridiction est parfaitement insensible à la particularité de cette
situation et ce sont ces situations pour lesquelles notre règle de droit paraît
devoir être modifiée, tant elles paraissent différentes des situations où
l’enfant, pourvu d’une famille, est confié à certains membres de cette famille
ou a des proches résidents en France.
plus d’attention, on aperçoit aussi que le droit positif n’est peutêtre pas aussi radical qu’il y paraît au premier abord... Il faut alors
s’interroger sur la légitimité des critères de distinction qu’il opère.
3 - Pour tenter de se faire une opinion, on recherchera d’abord
à cerner l’origine du malaise avant d’examiner le fond du
problème qui tient au verrou que pose la règle de droit international privé de l’article 370-3, alinéa 2 du Code civil.
1. L’origine du malaise
4 - Le malaise provient de la difficulté d’articuler correctement
l’absence d’équivalence juridique entre les deux institutions (A)
malgré la grande proximité de leur fonction sociale (B).
A. - L’absence d’équivalence juridique entre kafala
et adoption
5 - La kafala de droit musulman s’inscrit dans des législations
qui prohibent l’adoption : elle a pour effet de tempérer cette
prohibition en permettant une prise en charge de l’enfant qui
offre à celui-ci une protection de remplacement. La présence de
cette institution compense donc l’absence d’adoption dans un
système législatif qui ne recourt pas à la création d’un nouveau
lien de filiation. En conséquence, sur le plan de la technique juridique mobilisée, l’absence d’équivalence entre les deux institutions s’impose.
Comme cela a été souligné, ce serait dénaturer la loi étrangère
que d’établir une équivalence : le respect de la loi de l’adopté
interdit de voir dans la kafala en ce qu’elle n’est pas. Le professeur Fulchiron écrit vigoureusement : « Il n’y a d’« équivalence »
entre les deux institutions ni dans leur fondement, ni dans leurs
effets. Ce serait dénaturer l’une et l’autre que d’opérer une telle
confusion ». Et le même auteur de poursuivre un peu plus loin :
« Contrairement à ce qu’avaient affirmé certains juges du fond,
et même, dans une décision isolée, le Conseil d’État, il n’y a pas
« équivalence » entre les institutions et le consentement donné
à l’une n’équivaut pas à un consentement donné à l’autre.
Certes, la kafala permet de compenser l’absence d’adoption en
assurant la prise en charge de l’enfant et, éventuellement, la
transmission du nom et des biens ; mais il manque l’essentiel, la
création d’un lien de filiation, que ce lien fût ou non exclusif du
lien de filiation originel » 3. On ne peut qu’approuver l’analyse.
6 - On peut ajouter que la kafala se place aujourd’hui toujours
dans une sorte d’entre-deux de nos institutions. La kafala était
naguère assez proche de la tutelle officieuse qui était un contrat
permettant se rattacher par un titre légal un enfant et qui emportait « l’obligation de nourrir le pupille, de l’élever et de le mettre
en état de gagne sa vie » (C. civ. 1804, art. 361 à 370). Mais la
tutelle officieuse n’existe plus depuis 1923 4 !
Hormis cette institution disparue, aucune institution française
ne lui correspond plus : l’adoption, en raison de la constitution
3. Adoption sur kafala ne vaut (à propos des arrêts Cass. 1re civ., 10 oct. 2006),
art. préc., p. 818 et 819.
4. Sur cette institution, V. M. Vidal, Une tentative législative infructueuse : la
tutelle officieuse (1804-1923) : Rev. hist. dr. fr. et étranger 2006, p. 437.
37
Dossier
du lien de filiation, est trop complète ; les autres institutions envisageables trop lacunaires et partielles. Comme l’écrit un auteur :
« En dehors de l’adoption, et pour ne se préoccuper que de
l’aspect « protection de l’enfance » de la question, il n’existe en
France aucun statut aussi protecteur que la kafala au sein d’une
famille : ni la tutelle, ni la délégation de l’autorité parentale, ni
le placement en assistance éducative, ni le placement en famille
d’accueil sous une forme ou sous une autre n’engagent les
« recueillants » ne serait-ce qu’à entretenir l’enfant, et il est
douteux que les tribunaux français puissent les contraindre à
exécuter un engagement inconnu du droit français qu’ils ont pris
à l’étranger » 5.
7 - Pourtant, pendant longtemps, certaines des décisions du
fond ont considéré que la kafala équivalait au moins à une adoption simple, si bien que le consentement donné à la première
équivalait au consentement donné à la seconde 6. Le Conseil
d’État lui-même semble bien s’être risqué un temps sur ce terrain
de l’équivalence dans un arrêt resté cependant isolé où il annulait un refus de visa en considérant « que par cette décision juridictionnelle (de kafala), l’enfant doit être regardé comme ayant
fait l’objet d’une adoption, au sens des dispositions applicables
en France » 7. Le Conseil d’État est revenu aujourd’hui au credo
le plus répandu en énonçant que « l’acte de kafala, qui à la différence de l’adoption, ne crée aucun lien de filiation, n’emporte
aucun droit particulier à l’accès de l’enfant sur le territoire français » 8. On précisera toutefois que les problèmes du droit civil
et du droit des étrangers ne sont pas de même nature : il ne s’agit
pas de déformer la kafala au point de lui faire produire des effets
contre nature en droit de la famille, mais d’analyser sa substance
pour lui faire produire des effets face à l’administration. L’usage
de l’analogie, toute proportion gardée, n’est peut-être pas alors
sans donner quelques renseignements utiles : après tout, dans
l’arrêt de 2005, le Conseil d’état ne faisait que rapprocher la
kafala de l’adoption pour certains effets extra-familiaux et non
se prononcer sur une équivalence de nature... Mais sans doute
le raisonnement juridique devient-il alors trop subtil et source
d’ambiguïtés...
8 - Globalement, il reste vrai que placer le débat sur le terrain
de l’équivalence revient à favoriser outrancièrement un raisonnement par analogie ; ce « forçage » de l’analogie opère nécessairement un glissement artificiel, puisque la kafala, précisément,
est née du refus de l’adoption. Même si la kafala présente certains
points communs avec l’adoption, les idées d’équivalence et
d’assimilation débouchent sur une impasse. Mais l’absence
d’équivalence institutionnelle n’empêche pas de constater une
proximité de fonction.
B. - La proximité de fonction entre kafala et
adoption
9 - Les deux institutions poursuivent globalement le même but :
satisfaire le droit de l’enfant à une protection de remplacement.
L’article 20 de Convention sur les droits de l’enfant le montre
clairement 9. L’objectif est unique mais les moyens sont diffé5. P. Salvage in Droit de la famille, P. Murat (ss dir.) : Dalloz, Dalloz Action,
2007, spéc. n° 224-32, p. 681.
6. V. notamment les décisions citées par M. Farge in JCP G 2007, II, 10072,
p. 28. – Pareille équivalence se trouvait jusque récemment sous la plume des
juges judiciaires : V. par exemple CA Aix-en-Provence, 24 oct. 2006 : JurisData n° 2006-322119 ; JCP G 2007, II, 10073, obs. A. Verdot : « attendu que
(...) la loi algérienne qui ne connaît pas ou prohibe l’adoption plénière,
connaît et prévoit sous le nom de kafala une institution aux effets similaires
aux effets de l’adoption simple ».
7. CE 8 juin 2005, n° 221774 : JurisData n° 2005-068612.
8. CE 27 juin 2008 : AJF 2008, p. 342, obs. F. Chénedé.
9. Art. 20-1 « Tout enfant qui est temporairement ou définitivement privé de
son milieu familial, ou qui dans son propre intérêt ne peut être laissé dans ce
38
DROIT DE LA FAMILLE - REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - JANVIER 2009
rents, fonction d’une plus ou moins grande intégration juridique
à la famille d’accueil et fonction des techniques juridiques mobilisées : « si l’abandon d’un enfant est un drame universel », écrit
fort justement un auteur 10, « la création d’une nouvelle filiation
n’est pas un correctif universel. D’autres remèdes sont concevables, telle la kafala qui ne peut être intégrée dans le même genre
que l’adoption ». En fin de compte, la vraie question et la source
du malaise pourrait bien être de savoir si la diversité des moyens
de réalisation de l’objectif ne se retourne pas contre l’objectif
lui-même.
10 - En apparence en effet, la diversité de modes de protection
crée une situation de concurrence où la présence d’une kafala
joue comme obstacle à l’adoption. Alors que la communauté de
finalité sociale devrait plutôt faciliter le passage d’une situation
à l’autre, elle l’empêche 11. La raison provient du respect du droit
national de l’adopté, non de raisons de nature fonctionnelle et
téléologique. La question fondamentale est donc de savoir si le
respect de la loi nationale s’impose, y compris lorsque l’enfant
se trouve transplanté en France et qu’il a toutes les raisons
d’entretenir des liens les plus étroits avec la France, notamment
parce qu’il a fait l’objet d’un abandon définitif dans son pays
d’origine.
La question se pose d’autant plus que des pays musulmans
acceptent de confier des mineurs à des ressortissants français en
toute connaissance de cause et même en demandant que
ceux-ci soient titulaires d’un agrément en vue de l’adoption 12.
Est-il d’ailleurs condamnable que les autorités du pays d’origine
de l’enfant recherchent la meilleure solution juridique pour
celui-ci dans le pays d’accueil ? À défaut de toujours pouvoir s’y
inscrire juridiquement 13, une telle démarche s’inscrit sans mal
dans l’esprit de la Convention de La Haye du 29 mai 1993 sur
la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption
internationale et dans celui de la Convention internationale des
droits de l’enfant (CIDE).
11 - En effet, la Convention de La Haye pose un principe de
subsidiarité de l’adoption internationale dans l’intérêt même de
l’enfant 14 : primo, il y a lieu de tout mettre en œuvre pour aboutir à une solution dans le pays d’origine afin qu’un déracinement
géographique et culturel ne s’ajoute pas au déracinement famimilieu, a droit à une protection et une aide spéciale de l’État ». Et l’article 20-3
d’ajouter : « Cette protection de remplacement peut notamment avoir la
forme du placement dans une famille, de la kafalah de droit islamique, de
l’adoption ou, en cas de nécessité, du placement dans un établissement pour
enfants approprié. Dans le choix de ces solutions, il est dûment tenu compte
de la nécessité d’une certaine continuité dans l’éducation de l’enfant, ainsi
que de son origine ethnique, religieuse, culturelle et linguistique ».
10. M. Farge, préc. p. 28.
11. La situation n’est pas inédite : il fut un temps où l’on estimait de manière
assez générale que l’enfant était bien dans une famille d’accueil, il n’était pas
nécessaire de développer pour lui de projet d’adoption. Un mode de protection en chassait un autre. Mais il s’agissait alors d’un obstacle purement
factuel et non textuel...
12. V. P. Salvage in Droit de la famille, préc., p. 681.
13. La Convention de la Haye n’est pas applicable dans les relations avec la
plupart des pays musulmans qui n’ont pas adhéré à cette convention (V.
art. 2 : « La Convention s’applique lorsqu’un enfant résidant habituellement
dans un État contractant (« l’État d’origine ») a été, est ou doit être déplacé
vers un autre État contractant (« l’État d’accueil »), soit après adoption dans
l’État d’origine par des époux ou une personne résident habituellement dans
l’État d’accueil, soit en vue d’une telle adoption dans l’État d’accueil ou l’État
d’origine ». – adde plus largement sur la Convention, B. Sturlese, La Convention de La Haye du 29 mai 1993 : JCP G 1993, I, 3710. – E. PoissonDrocourt, L’entrée en vigueur de la Convention de La Haye du 29 mai sur
la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale). En revanche, ces pays ont ratifié la CIDE : c’est notamment le cas du
Maroc et de l’Algérie.
14. V. Conv. de la Haye, préambule et art. 4 b. – adde plus amplement, P. Murat,
L’évolution du droit de l’adoption en Europe in Le statut juridique de l’enfant
dans l’espace européen, D. Gadbin et F. Kernaleguen (ss dir.) : Bruylant
2004, p. 119.
Dossier
DROIT DE LA FAMILLE - REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - JANVIER 2009
lial ; secundo, si cette solution est impossible, l’adoption internationale a vocation à répondre au besoin de satisfaire l’intérêt
de l’enfant 15.
Pour les rapports avec l’Algérie ou le Maroc – qui sont particulièrement concernés sur ces questions – l’esprit de la Convention
de La Haye se trouve respecté parce que les kalafa prononcées
au profit d’étrangers ou de binationaux sont généralement
conçues dans un esprit de subsidiarité pour pallier l’impossibilité de solutions nationales : c’est la difficulté pour ces pays à
mettre en place des solutions internes de remplacement des
familles défaillantes qui les poussent à accepter des solutions
internationales.
De plus, le respect de la CIDE y trouve aussi son compte en
faisant primer la satisfaction concrète de l’intérêt de l’enfant. La
kafala, solution de remplacement sans doute adaptée dans l’État
d’origine, n’est pas plus universelle que ne l’est l’adoption ellemême et devient décalée dans nos sociétés occidentales bureaucratiques et très contrôlées : l’absence de lien clair et défini y est
alors une source de complexité, de singularité, de marginalisation dont l’enfant qui doit déjà surmonter le traumatisme d’un
abandon n’a certainement pas besoin. Il est indéniable que
l’adoption dispose en France d’une lisibilité dont la kafala ne
dispose pas. C’est pourquoi, les couples qui ont recueilli des
enfants abandonnés demeurent en quête d’une adoption qui, en
l’état du droit positif, offre les meilleures garanties d’une insertion de l’enfant tant dans sa famille d’accueil que dans la société
française.
12 - Dans ces conditions, le passage d’une institution à l’autre
peut constituer un gage de satisfaction de l’intérêt de l’enfant.
Qu’au nom de l’intérêt de l’enfant, on tienne principalement
compte de l’intensité du rattachement, est simplement le signe
que la fin dépasse les moyens. Or, l’intensité du lien avec la
société française paraît largement dépendre du contexte dans
lequel la kafala a lieu : la force du lien ne fait guère de doute lorsque l’enfant est confié à un couple français après un abandon
définitif et irrévocable ou lorsque l’enfant n’a pas de parents
connus 16. « La solution qui fige l’enfant dans un statut qui ne
correspond plus à son environnement sociojuridique actuel n’est
pas acceptable » écrit très justement en synthèse un auteur 17.
13 - L’opposition des techniques et des idéologies employées
dans les moyens ne doit pas faire oublier la communauté de fins.
Le refus d’un passage d’une institution à l’autre ne provient pas
fondamentalement de l’objectif des institutions, mais plus superficiellement du système français de reconnaissance de la loi
étrangère. Depuis la loi n° 2001-111 du 6 février 2001 18, le
refus de transformation tient tout entier dans l’article 370-3,
alinéa 2 du Code civil.
3, alinéa 2, précise que « cet article a vocation à s’appliquer aux
mineurs recueillis par kafala dont la loi nationale ne reconnaît
pas l’adoption, notamment l’Algérie et le Maroc » 19. C’est aussi
au visa de cet article que sont actuellement rendus les arrêts
bloquant toute transformation de la kafala en adoption. Le cœur
du problème est donc sans conteste dans la règle de l’article 3703, alinéa 2, du Code civil. On a pu dire que cet article était le
résultat d’un « dogmatisme législatif » 20 (A). En retour, cet excès
de dogmatisme provoque la résistance au nom d’un certain pragmatisme (B).
A. - Le résultat d’un dogmatisme législatif
14 - Une récente réponse ministérielle du 21 août 2008 annonçant une circulaire interministérielle et rappelant l’article 370-
15 - Dans un premier temps, dès la fin des années 80, la Cour
de cassation avait élaboré une jurisprudence plutôt tolérante à
la suite des arrêts Torlet (7 nov. 1984), Pistre (31 janv. 1990),
Moreau (1er juin 1994) et Fanthou (10 mai 1995) 21. Le résultat a été la possibilité de prononcer l’adoption d’enfants
« confiés » aux demandeurs par les autorités judiciaires ou administratives de leur pays, alors même que ces autorités agissaient
au nom d’un système juridique prohibant ou ignorant l’adoption 22. Le législateur a ensuite souhaité poser une règle plus
sévère au travers de la loi du 6 février 2001 dans l’article 3703, alinéa 2, du Code civil : très clairement, il s’agit d’un cas où
la loi vient combattre une jurisprudence 23. Ce texte a ôté aux
juges la possibilité de statuer au cas par cas.
L’article contient un principe – « l’adoption d’un mineur étranger ne peut être prononcée si sa loi personnelle prohibe cette
institution » – et une exception pour le cas où le mineur est né
et réside habituellement en France. Les critères de l’exception
qui ouvrent la possibilité d’une adoption sont assez objectifs –
naissance et résidence habituelle en France – et sont cumulatifs,
si bien que le système ne laisse au juge aucun pouvoir d’appréciation. Le fond du problème est là : la raideur du texte et l’étroitesse des exceptions.
16 - Au soutien de la règle, on avance les engagements internationaux de la France. La France a notamment ratifié la
Convention de la Haye du 29 mai 1993 sur la protection des
enfants et la coopération en matière d’adoption internationale :
or l’un des buts de la Convention est de moraliser l’adoption
internationale en favorisant notamment le respect du consentement à l’adoption et la recherche de la continuité du statut de
l’enfant à travers les frontières 24. Évidemment, ces objectifs sont
mis à mal si l’adoption est interdite dans l’État d’origine de
l’enfant. Deux obstacles au moins viennent à l’esprit : d’une part
la question de la validité du consentement d’un particulier ou
une autorité publique à une institution que leur propre droit
ignore ou, pire, réprouve ; d’autre part l’absence de reconnaissance de l’adoption dans le pays d’origine qui crée ce qu’il est
usuel d’appeler des adoptions « boiteuses ».
On fait généralement remarquer que la Convention de la Haye
n’est pas applicable dans les relations avec la plupart des pays
musulmans : la plupart des pays qui prohibent l’adoption n’ont
en effet pas adhéré à cette Convention. À quoi il est répondu :
15. V. le préambule de la Convention où les États reconnaissant « que l’adoption internationale peut présenter l’avantage de donner une famille permanente à l’enfant pour lequel une famille appropriée ne peut être trouvée dans
son État d’origine ».
16. Sur les possibilités ouvertes par l’abandon dans le pays d’origine comme
correctif des excès de nos règles actuelles, V. M. Farge, Le statut familial des
étrangers en France : de la loi nationale à la résidence habituelle : L’harmattan, 2003, n° 187 et s.
17. M. Farge, note ss Cass. 1re civ., 9 juill. 2008, préc.
18. V. sur laquelle, notamment F. Monéger, L’adoption internationale après la
loi du 6 février 2001 : Dr. famille 2001, chron. 15. – M. Révillard, La loi du
6 février 2001 relative à l’adoption internationale : Defrénois 2001,
art. 37316. – P. Lagarde in Rev. crit. DIP 2001, p. 275. – H. Muir-Watt in JDI
2001, p. 995.
19. Plus précisément, tous les mineurs des pays de droit coranique sauf la Tunisie, la Turquie et l’Indonésie.
20. L’expression est d’A. Boiché in AJF 2006, p. 33 et s.
21. Sur cette phase antérieure, V. notamment H. Fulchiron, note préc. et réf. cit.
– adde J. Rubellin-Devichi, L’adoption à la fin du XXe siècle in Études offertes à P. Catala : Litec, 2001, p. 341 et s.
22. V. Cass. 1re civ., 1er juill. 1997, Lorre : Dr. famille 1997, comm. 119 et nos
obs. ; JCP G 1997, II, 22916, note T. Garé ; D. 1998, jurispr. p. 187, note
E. Poisson-Drocourt ; Rev. crit. DIP 1997, p. 706 (1re esp.), Note H. MuirWatt ; JDI 1997, p. 973, note F. Monéger.
23. V. B. Ancel et Y. Lequette, GAJDIP, p. 620.
24. V. notamment l’art. 4 a) qui affirme que l’adoption ne peut-être prononcée
que si les autorités compétentes de l’État d’origine de l’enfant ont établi que
l’enfant est adoptable.
2. Le verrou de l’article 370-3, alinéa 2
du Code civil
39
Dossier
« le texte a pour objet de « moraliser » l’adoption : un pays qui
l’a ratifié peut-il ouvertement violer un principe qu’il reconnaît
solennellement ? » 25. Il est tout de même permis de s’interroger
sur la pertinence de cette extension de la portée de la Convention.
17 - D’abord, cette extension conduit le législateur français à
être plus soucieux de la portée de la prohibition étrangère que
ne le sont les autorités étrangères : ces autorités confient des
enfants en vue de leur déplacement à l’étranger en toute connaissance de cause de futurs projets d’adoption et certains pays
exigent même des candidats français qu’ils soient détenteurs
d’un agrément 26. Le réalisme prévaut donc dans l’attitude des
autorités étrangères ; curieusement, ce réalisme rencontre notre
propre dogmatisme. Est-ce bien à la France de se faire la
gardienne du dogme des autres ?
18 - Ensuite, on fait encore valoir que la France est le seul pays
européen à avoir introduit un principe prohibitif aussi sévère 27.
Certains pays n’ont pas hésité à poser des règles très différentes
et beaucoup plus souples : la Belgique par exemple 28.
L’article 67 du Code de droit international privé belge a retenu
une solution radicalement inverse. Il contient une série de règles
« en cascade » très favorables à l’application de la loi belge 29.
L’adoption est régie par la loi nationale de l’adoptant ou des
adoptants ; si les adoptants sont de nationalité différente, la loi
applicable est celle de leur résidence habituelle et, à défaut de
résidence habituelle dans le même État, la loi belge. Enfin, in fine,
l’article contient une clause d’exception dérogatoire aux conflits
de lois précédents : « toutefois, si le juge considère que l’application du droit étranger nuirait manifestement à l’intérêt supérieur de l’adopté et que l’adoptant ou les adoptés ont des liens
manifestement étroits avec la Belgique, il applique le droit
belge ». Ainsi, si deux époux marocains (dont la loi prohibe
l’adoption) se sont vu confier un enfant par kafala et qu’ils
souhaitent l’adopter en Belgique, ils le peuvent.
De plus, une loi du 6 décembre 2005 a introduit dans le Code
civil belge un article 361-5 afin de résoudre globalement la question des enfants confié en kafala et d’admettre la possibilité d’une
adoption en Belgique 30 : l’article autorise sous conditions le
prononcé de l’adoption simple ou plénière. Il doit s’agir d’enfants
orphelins de père et mère ou bénéficiant d’un jugement d’abandon et ils doivent avoir été mis sous tutelle de l’autorité publique ; l’exigence du consentement à l’adoption est alors remplacée par la preuve que l’autorité compétente de l’État d’origine
a établi une forme de tutelle sur l’enfant et que l’autorité centrale
belge de l’adoption et l’autorité compétente de l’État d’origine
ont approuvé la décision de confier l’enfant, en vue de son
déplacement à l’étranger pour y vivre de manière permanente.
En substance, la transformation de la kafala en adoption est donc
possible avec un contrôle pour en définir les contours et éviter
les excès.
19 - En comparaison, la position française apparaît donc totalement opposée : notre choix aboutit à une appréciation abstraite
et définitive des situations qui marque une méfiance à l’égard de
la médiation du juge. Des grands principes sont mis en avant :
souveraineté des États ; moralisation de l’adoption internatio25. V. H. Fulchiron, note sous Cass. 1re civ., 10 oct. 2006, préc., spéc. p. 817.
26. V. P. Salvage in Droit de la famille : Dalloz Action, op. cit., n° 224.32, p. 681.
27. V. M.-C. Le Boursicaut, obs. ss Cass. 1re civ. 10 oct. 2006 : RJPF 2007, p. 22
et s.
28. Même si le rapport Colombani fait valoir, pour relativiser le fait, que la loi
belge n’est pas à ce jour effectivement appliquée : V. Rapp. sur l’adoption,
Mission confiée par le président de la République et le Premier ministre à J.-M.
Colombani : Doc. fr. 2008, ann. IV, p. 112.
29. V. I. Lammerant, A. Ottevaere, M. Verwilghen, Le nouveau droit fédéral de
l’adoption : RTD fam. 1/2006, Larcier, Belgique, spéc. p. 102.
30. V. I. Lammerant, A. Ottevaere, M. Verwilghen, art. préc., spéc. p. 122 et s.
40
DROIT DE LA FAMILLE - REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - JANVIER 2009
nale ; respect de la culture d’origine. Ceux-ci ne sont pas en
eux-mêmes contestables. Mais la raideur de l’application vient
bafouer la réalité des pratiques au point qu’une nette résistance
existe en doctrine 31 et que certaines juridictions ont choisi une
dissidence ouverte 32, même si la majorité des décisions connues
se plie à la position de la Cour de cassation 33.
Manifestement, le législateur a du mal à articuler deux
niveaux : le collectif et l’individuel ; l’action politique et l’effet
concret de certaines décisions. La primauté a été accordée à une
approche abstraite des questions. Reste à savoir si cette position
résistera aux attaques réitérées.
B. - La résistance d’un certain pragmatisme
20 - La résistance se manifeste d’abord dans les tempéraments
suggérés qui vident finalement la prohibition d’une partie de sa
substance ; cette résistance pourrait trouver à l’avenir de puissants appuis dans les droits fondamentaux.
S’est posée la question de savoir si la prohibition ne pouvait pas
être contournée grâce au droit de la nationalité et à l’article 2112 du Code civil. Ce texte permet notamment à l’enfant qui,
depuis au moins cinq ans, a été recueilli en France et élevé par
une personne de nationalité française, de réclamer la nationalité française. L’élément d’extranéité ainsi éliminé ramènerait la
situation dans l’orbite du droit interne français. La doctrine s’est
tout de même interrogée sur le caractère frauduleux de l’opération et semble conclure par la négative 34, de même que la Chancellerie. Une réponse ministérielle du 21 août 2008 énonce en
effet : « dès lors que l’enfant a été élevé pendant cinq ans en
France par des Français, la nationalité française peut lui être
accordée, selon les conditions fixées par l’article 21-12 du Code
civil. La loi française lui étant alors applicable, l’enfant devient
adoptable ». On trouvait d’ailleurs une suggestion identique un
an plus tôt 35 : les dispositions en cause « prennent fin le jour où
le mineur acquiert la nationalité française postérieurement à son
arrivée en France, dans les conditions de l’article 21-12 du Code
civil. ». Une voie de transformation de la kafala en adoption
apparaît donc. Tous les problèmes sont-ils résolus pour autant ?
21 - Comme l’on l’a très justement souligné 36, reste la question du consentement à l’adoption. La règle matérielle de
l’alinéa 3 de l’article 370-3 du Code civil retient que « quelle que
soit la loi applicable, l’adoption requiert le consentement du
représentant légal de l’enfant ». Or le consentement à la kafala
ne peut être équivalent à un consentement à l’adoption et l’on
voit mal les autorités étrangères consentir à une institution que
leur droit prohibe. Une possibilité peut être entrevue dans la
réunion d’un conseil de famille ad hoc, faite après l’acquisition
de la nationalité française 37. Encore faut-il que ce conseil de
famille ne soit pas constitué pour contourner le consentement de
31. Pour une opposition manifestée d’emblée alors que la règles de C. civ.,
art. 370-3, al. 2 était encore en discussion, V. J. Rubellin-Devichi, article préc.
32. Comme CA Limoges, 1er oct. 2007 : Juris-Data n° 2007-350320, cassé par
Cass. 1re civ., 9 juill. 2008, préc. L’arrêt – lui aussi dissident – de la CA Aix-enProvence (24 oct. 2006, préc.) n’est peut-être toutefois pas pertinent car il
a été rendu presque en même temps que les arrêts de principe du 10 oct.
2006.
33. V. notamment les arrêts tirés de JurisData et cités par M. Farge, note ss Cass.
1re civ., 9 juill. 2008.
34. V. M. Farge, notes préc. ss Cass. 1re civ., 10 oct. 2006 et Cass. 1re civ., 9 juill.
2008.
35. Rép. min. Justice n° 00078 et 00293 : JO Sénat, 30 août 2007, p. 1545.
36. V. M. Farge, notes préc.
37. Implicitement en ce sens, V. Cass. civ. 30 sept. 2003 : RJPF févr. 2004, p. 21,
obs. M.-C. Le Boursicot. – adde CA Paris, 31 oct. 2001 : AJF 2002, p. 26. –
CA Paris, 4 oct. 2007 : Juris-Data n° 2007-349900.
DROIT DE LA FAMILLE - REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - JANVIER 2009
la famille d’origine en se substituant à elle 38, mais tel ne sera
évidemment pas le cas chaque fois que l’enfant aura fait l’objet
d’une procédure d’abandon. On en revient donc à souligner une
nouvelle fois la singularité de ces hypothèses...
22 - En résumé donc, pour trouver la prohibition de
l’article 370-3, alinéa 2 du Code civil, il suffirait d’attendre. Mais
alors éclate une question de politique législative : « Dans ces
conditions, on peine à comprendre une prohibition liée uniquement à l’ordre chronologique des événements (l’acquisition de
la nationalité suivie de l’adoption est possible et pas l’inverse) et
qui, de toute façon, n’est que temporaire : lorsqu’il sera majeur,
l’enfant recueilli en kafala pourra être adopté en adoption simple
par son ou ses kafils. Quel sens a une interdiction qui ne dure que
le temps pendant lequel l’enfant aurait le plus intérêt à ce qu’elle
n’existe pas ? » 39. En fin de compte, le droit positif, avec son
principe prohibitif aboutirait seulement à différer l’adoption.
Cette solution est-elle bien conforme aux droits fondamentaux ?
23 - Des juridictions dissidentes n’ont pas manqué d’exploiter
la non-conformité d’un refus d’adoption aux prescriptions tirées
du respect de la CIDE, notamment à l’article 3 qui exige que
l’intérêt supérieur de l’enfant soit une considération primordiale
dans toute décision concernant les enfants 40. Trois remarques
peuvent être faites.
En premier lieu, l’intérêt de l’enfant ne trouve guère en effet son
compte dans le système actuel. Si une appréciation in abstracto
de l’intérêt de l’enfant peut valablement conduire à une politique de hiérarchie des solutions qui donne à l’adoption internationale le dernier rang parmi les possibilités envisageables, en
revanche, une appréciation in concreto a plus de poids lorsqu’il
s’agit de situations déjà constituées : il n’est guère contestable,
lorsque l’enfant est abandonné, lorsqu’il vit en France auprès de
parents français, qu’il est de son intérêt de bénéficier dans son
milieu d’éducation du statut le plus stable et le plus protecteur
que constitue l’adoption.
En deuxième lieu, le respect même des obligations nées de la
kafala est très incertain. Depuis la suppression de la tutelle officieuse, on ne trouvera dans notre droit aucun équivalent à la
kafala qui permette de lui donner une traduction pérenne : la
tutelle ou la délégation de l’autorité parentale, et a fortiori un
simple placement en famille d’accueil, ne garantissent pas la
protection qui naît d’une kafala dans laquelle le kafil s’engage
bénévolement à entretenir éduquer, protéger un enfant mineur
au même titre que le ferait un père ou une mère. La loi française
ne permet donc même pas de garantir le respect des obligations
de la kafala ; de surcroît elle maintient le mineur dans un état de
moindre protection, là où il devrait pouvoir bénéficier des avantages d’une adoption.
Enfin, en troisième lieu, la trop grande étroitesse des exceptions
– permises seulement au profit de l’enfant né et résidant habituellement en France – conduit à s’interroger au moins sur la proportionnalité entre la finalité poursuivie et les contraintes imposées
à ces mineurs exclus d’adoption par l’article 370-3, alinéa 2 du
Code civil : ne crée-t-on pas une inégalité bien peu justifiable
entre des enfants nés et résidant habituellement en France – qui
peuvent bénéficier d’une adoption – et ceux qui ne sont pas nés
sur le territoire – et ne peuvent pas par conséquent bénéficier
d’une adoption ?
38. Pour une condamnation de cette hypothèse, V. Cass. 1re civ., 22 oct. 2002 :
JurisData n° 2002-016290 ; JCP G 2003, I, 148, obs. Y. Favier ; RJPF janv.
2003, p. 31, obs. M.-C. Le Boursicot.
39. P. Salvage-Gerest in Droit de la famille, op. cit., n° 224-32, p. 681.
40. V. notamment V. CA Aix-en-rovence, 24 oct. 2006, préc.
Dossier
24 - L’accumulation de ces remarques donne de l’épaisseur
aux critiques et invite naturellement à s’interroger sur la proportionnalité de la réponse donnée par la loi française au problème,
alors que la Cour européenne des droits de l’Homme, jusque
récemment assez réticente à s’aventurer sur le terrain de l’adoption, paraît abandonner sa prudence originelle et poser les
premières pierres d’un ordre public européen en matière d’adoption internationale 41. L’existence d’une « vie familiale de facto »
entre kafil et makfoul, pourrait ne pas laisser la Cour européenne
des droits de l’Homme insensible. Certains spécialistes semblent
en tout cas le penser : « La Cour européenne des droits de
l’homme, si elle était sollicitée sur ce point, pourrait aller dans
le sens de la cour d’Aix en Provence, en se fondant, comme l’a
fait récemment dans l’arrêt Wagner c/ Luxembourg sur l’intérêt
supérieur de l’enfant, lequel peut conduire à imposer au juge
interne d’écarter une loi nationale lorsqu’elle s’avère manifestement contraire à la fois à l’intérêt supérieur de l’enfant et à la
position adoptée par la majorité des pays du Conseil de l’Europe.
Or, la France est le seul État européen à maintenir l’interdiction
de prononcer l’adoption d’un enfant dont la loi nationale
prohibe cette institution » 42.
25 - L’action pourrait bien venir en effet de l’Europe car,
curieusement, les rapports officiels et les groupes de travail français semblent se résigner et ne semblent guère enclins à faire
bouger les choses sur la question de la transformation de la kafala
en adoption. On lit en effet dans le rapport Colombani de mars
2008 ces propos désabusés et en demi-teintes : « S’il ne paraît
pas possible de revenir sur l’article 370-3 du Cde civil et de
donner à un enfant recueilli en kafala un statut d’adopté que ne
reconnaît pas sa loi personnelle, une coopération avec les deux
principaux pays concernés, à savoir l’Algérie et le Maroc, paraît
devoir être recherchée » 43. Au niveau officiel, le maintien du
statu quo semble donc pour l’instant l’emporter. Cette position
est défendue par ceux qui pensent que l’intérêt de l’enfant
n’exige nullement que soit prononcée une adoption à la française parce qu’ils préconisent parallèlement le développement
de nouvelles formes de prise en charge de l’enfant par des
tiers 44. Une telle solution a évidemment une forte cohérence
pour les kafala dans lesquelles l’enfant a été confié à un tiers par
sa famille d’origine, mais on peut douter que la solution réponde
parfaitement aux problèmes des enfants ayant fait l’objet d’un
abandon définitif dans leur pays d’origine...
26 - Après avoir fait dans nos sociétés occidentales un usage
sans doute un peu abusif et surtout sans nuance de l’adoption,
n’est-on pas en train d’oublier tout de même qu’il s’agit d’une des
meilleures techniques pour insérer un enfant dans une famille et
dans nos sociétés ? Sous couvert de bonnes intentions, il ne
faudrait pas créer de vastes de zones de non-droit : or qui sait
aujourd’hui quels sont les droits de ces enfants confiés en kafala ?
La seule chose que chacun retient finalement est qu’ils ne sont
pas adoptables. On ne crée pas de lien social et de sens à partir
de ce constat purement négatif. ê
Mots-Clés : Kafala - Adoption - Adoption internationale
41. V. CEDH, 28 juin 2007, Wagner c/ Luxembourg : RJPF nov. 2007, p. 23, obs.
M.-C. Le Boursicot. –adde les remarques d’A. Gouttenoire sur la reconnaissance progressive d’un droit à devenir parent in « Le droit de la famille dans
la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme » : Dr. famille
2008, études 14.
42. A. Gouttenoire, Droit des mineurs : Dalloz 2008, n° 374, p. 213.
43. Rapp. préc. p. 116.
44. V. Hugues Fulchiron, article préc., p. 821.
41
Dossier
9
DROIT DE LA FAMILLE - REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - JANVIER 2009
Recherche d’équivalent : l’autorité
parentale
Adeline GOUTTENOIRE,
Marie LAMARCHE,
professeur à l’université Montesquieu Bordeaux IV,
directrice de l’Institut des Mineurs
(IDM)
maître de conférences à l’université
Montesquieu Bordeaux IV,
directrice adjointe du Centre européen de recherches
en droit de la famille et des personnes (CERFAP)
1 - Faute d’un lien de filiation obtenu par la voie de l’adoption 1, et en l’absence d’une reconnaissance de complaisance
dont le ministère public pourrait se saisir rapidement, le besoin
de qualification de la situation juridique créée par la kafala
prononcée à l’étranger s’impose afin d’organiser les rapports
entre le makful et son kafil et de leur donner des effets vis-à-vis
des tiers. La kafala recouvre en réalité deux hypothèses distinctes : soit elle est le support de la prise en charge de l’enfant, en
France, par un membre de sa famille, soit elle permet l’accueil
d’enfants par une personne ou un couple de français s’étant
heurtés à l’interdiction de l’adoption en droit musulman et ayant
dès lors recouru à la kafala à titre de palliatif.
La kafala, figure inconnue du droit français, doit nécessairement être reçue par le système juridique français, dès lors que
des enfants d’origine algérienne ou marocaine vivent sur le territoire français avec leur kafil.
2 - Deux solutions peuvent alors être envisagées d’un point de
vue technique pour permettre à la kafala de produire des effets
en France 2. Il est tout d’abord possible de procéder à une assimilation de la situation juridique résultant de la kafala à une
situation juridique de droit français la plus proche possible. On
peut ensuite envisager d’appréhender, non plus la situation juridique, mais la situation de fait qui résulte de la kafala et de la
transformer en situation juridique française. La première solution
est évidemment bien plus respectueuse de l’institution étrangère,
puisque la seconde revient finalement à nier son existence pour
ne tenir compte que de la situation de fait qu’elle a provoquée
ou permise.
3 - Une troisième solution, encore plus favorable au droit
étranger, consisterait à appliquer celui-ci sans passer par l’assimilation ou la transformation en institution de droit français 3.
Directement sollicitée pour affirmer que la kafala doit produire
les effets d’une décision de délégation d’autorité parentale, la
cour d’appel de Paris a dans un arrêt du 27 mars 2008, ainsi
refusé cette demande au motif que « l’arrêt accordant l’exequatur donne effet en France à l’acte de kafala du tribunal notarial
et constate une situation existante à l’étranger » 4. Cette décision
pourrait signifier que la recherche d’équivalence en droit français n’est pas nécessaire dès lors que la kafala produit en ellemême des effets en France. Une telle proposition implique
cependant que le juge français applique le droit étranger, ce qui
n’est pas sans présenter certaines difficultés. Il semble que les
1. V. supra étude 8.
2. V. supra étude 7.
3. M. Farge, comm. ss. Cass. 1re civ., 9 juill. 2008 : Dr. famille 2008,
comm. n° 133.
4. CA Paris, 27 mars 2008 : JurisData n° 2008-364933.
42
magistrats, confrontés à la kafala, préfèrent rapprocher celle-ci
d’un mécanisme français équivalent.
4 - La recherche d’un équivalent à la kafala se heurte cependant à l’incertitude qui entoure l’objet même de cette institution
de droit musulman dans les législations qui la prévoient. Au-delà
de la méconnaissance que l’on peut avoir en France des institutions familiales étrangères, la kafala demeure en effet, au sein
même du système juridique algérien, une technique aux
contours mal définis. Proche de la garde (hadana) mais ne
pouvant y être assimilée, la kafala implique pour l’essentiel un
pouvoir de fait sur l’enfant qui est « pris en charge par le kafil » 5.
Il s’agit ainsi pour le législateur algérien d’assimiler en fait et non
en droit, le kafil à un père et le makful à un fils.
5 - Dans le cadre de la recherche d’une qualification française
de la kafala, certaines exclusions peuvent être tout d’abord
opérées. Il est évident que la kafala ne crée pas de lien de filiation et que par là même, dès lors que le droit français maintient
un lien indéfectible entre attribution de l’autorité parentale et
filiation, on ne peut considérer que le kafil se voit attribuer l’autorité parentale.
6 - En revanche, le recours à la théorie de l’apparence (apparence de filiation) pourrait, comme la technique de « l’enfant
confié à un tiers » prévue par l’article 373-3 du Code civil, suffire
dans un certain nombre d’hypothèses. L’intérêt demeure toutefois limité à certains actes et à certaines situations ; l’article 373-4
du Code civil énonce en effet que la personne à qui l’enfant a été
confié accomplit seulement les actes usuels relatifs à sa
surveillance et son éducation, ce qui s’explique par un maintien
de l’exercice de l’autorité parentale par les père et mère. La possibilité d’accomplir les seuls actes usuels implique dès lors que
l’enfant ait par ailleurs des parents et que la kafala ne corresponde qu’à une simple prise en charge de fait et temporaire. La
technique ne saurait suffire en cas de kafala car celle-ci n’est en
réalité qu’un substitut à l’adoption. Trop précaire, la situation qui
en résulterait ne produirait pas en outre d’effets juridiques suffisants, les actes non usuels ne pourraient ainsi être accomplis. Par
ailleurs, aucun effet juridique lié à la filiation ne pourrait être
admis. À défaut de père et mère, l’ouverture d’une tutelle
s’impose (C. civ., art. 375-5).
7 - Entre l’attribution directe de l’autorité parentale, qui conférerait à la kafala une portée qu’elle n’a pas, et le seul fait de
confier l’enfant à un tiers qui lui ferait produire des effets insuffisants, il convient de se tourner vers la délégation de l’exercice
de l’autorité parentale, désormais largement utilisée par les tribunaux et notamment dans les hypothèses comparables d’impos5. V. supra étude 3.
DROIT DE LA FAMILLE - REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - JANVIER 2009
sibilité d’établir un lien de filiation 6, pour traduire juridiquement
la prise en charge d’un enfant par un adulte qui n’est pas son
parent. Ce succès s’explique essentiellement par la reconnaissance, dans la loi du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale,
d’une nouvelle forme de délégation de l’exercice de l’autorité
parentale « pour les besoins d’éducation de l’enfant » 7.
8 - Ce recours à la délégation de l’autorité parentale, que l’on
retrouve dans la plupart des décisions françaises relatives à la
kafala, pourrait constituer un équivalent satisfaisant d’un point
de vue pragmatique, dès lors qu’il permet de résoudre un certain
nombre de difficultés et fonde les pouvoirs du kafil sur la
personne de l’enfant vis-à-vis des tiers. Cette équivalence
demeure cependant un pis-aller dans l’attente d’un possible
établissement du lien de filiation de l’enfant à l’égard du kafil. Et
dans cette attente, la recherche d’équivalence repose sur des
fondements incertains (1), et produit en outre des résultats imparfaits (2).
1. Une tentative d’équivalence aux
fondements incertains
9 - Le recours des personnes concernées par une kafala à la
délégation de l’exercice de l’autorité parentale est susceptible
d’emprunter deux voies distinctes : l’assimilation ou la transformation selon que la kafala est appréhendée en tant que situation
juridique ou en tant que situation de fait. Il apparaît que la
recherche d’une équivalence, qui constitue sans doute la solution la plus simple à mettre en œuvre pour le juge comme pour
les personnes concernées, remporte les faveurs de la jurisprudence rendue en la matière tant par les juridictions judiciaires
qu’administratives 8. Il s’agit en réalité non pas de faire produire
à la kafala, en tant qu’institution étrangère, les effets qu’elle doit
avoir, mais de l’assimiler à une situation juridique française, en
l’occurrence la délégation de l’autorité parentale, et de lui faire
produire les effets de ce dernier mécanisme. Il n’en reste pas
moins que cette assimilation implique la reconnaissance de
l’institution de droit étranger. Elle suppose que la kafala réponde
aux mêmes conditions que la délégation de l’autorité parentale,
ou du moins que les conditions essentielles de la délégation de
l’autorité parentale soient satisfaites.
10 - Les décisions qui procèdent à une assimilation de la kafala
et de la délégation d’autorité parentale sont rendues dans un
domaine étranger à celui de l’autorité parentale. En réalité, le
juge qui procède à cette assimilation le fait de manière incidente
pour répondre à une question distincte. Il n’empêche que cette
qualification incidente (A) conduit à s’interroger sur l’incidence
de cette qualification du point de vue de l’autorité parentale (B).
A. - Une qualification incidente
11 - De manière générale, l’assimilation de la kafala à la délégation de l’autorité parentale n’est pas elle-même une question
qui est soumise au juge, quel qu’il soit. Il apparaît que la qualification de la kafala au regard des catégories juridiques françaises intervient le plus souvent « en creux » lorsqu’il s’agit de
répondre à la question de l’assimilation de la kafala à l’adoption,
ou lorsqu’il s’agit de faire produire des effets particuliers, notamment relatif au droit des étrangers, au lien créé par la kafala.
12 - Dans une réponse ministérielle du 21 août 2008, la garde
des Sceaux a rappelé que « la kafala, si elle ne créait pas de lien
6. . V. pour les couples homosexuels, Cass. 1re civ., 24 févr. 2006 : JurisData
n° 2006-032294 ; Bull. civ. 2006, I, n° 101.
7. A. Gouttenoire et P. Bonfils, Droit des mineurs : Dalloz, Précis Dalloz, 2008,
n° 750 et s.
8. Cf. infra.
Dossier
de filiation, a vocation lorsqu’elle est judiciaire, à être reconnue
de plein sur le territoire français sans formalité particulière, et à
bénéficier d’un statut de protection » 9. Ce statut est précisé par
la ministre de la Justice selon laquelle, pour les enfants abandonnés, sans filiation connue ou orphelins, la kafala peut être assimilée en France à une tutelle, alors que lorsque les attributs de
l’autorité parentale ont été transférés au kafil, sans renoncement
définitif des parents à les exercer, la kafala produit les effets d’une
délégation d’autorité parentale. Il n’est pas certain que cette
distinction entre tutelle et délégation de l’autorité parentale selon
les circonstances du prononcé de la kafala se retrouve systématiquement en jurisprudence. Les qualifications de délégation
d’autorité parentale et de tutelle légale ne semblent pas, par
ailleurs, exclusives l’une de l’autre. Ainsi, la cour d’appel de
Paris, dans un arrêt du 23 novembre 2006, affirme à la fois que
l’acte de kafala constate que la mère de l’enfant a délégué l’autorité parentale au demandeur et que celui-ci n’a « d’effets que
comparables à ceux de la tutelle légale exclusive de tout lien de
filiation » 10.
13 - Le rapprochement avec la délégation de l’autorité parentale permet le plus souvent de limiter les effets de la kafala et de
la distinguer, justement, de l’adoption. La cour d’appel de Paris
affirme, par exemple, pour justifier un divorce pour faute aux
torts de l’épouse, que celle-ci a fait croire à son mari que la kafala
qu’ils avaient obtenue était l’équivalent d’une adoption alors
qu’il s’agissait seulement « d’un recueil légal de l’enfant à savoir
un équivalent en droit français de la délégation de l’autorité
parentale » 11. Cette même décision précise que « le jugement
algérien de kafala lui confiant les enfants, a été déclaré exécutoire en France par jugement du tribunal de grande instance de
Paris en ce que cette décision algérienne a délégué à Le’la Y.
l’autorité parentale sur les enfants Sid Ali Z. et Souhila A. ». De
manière encore plus claire, une autre décision de cette même
juridiction affirme, dans un arrêt du 16 février 2006 12, que le
jugement de kafala, « institution de recueil légal », s’assimile à
une délégation d’autorité parentale et non à l’adoption qui est
prohibée par le droit algérien 13.
14 - L’assimilation entre kafala et délégation de l’autorité
parentale ressort de manière très nette de la jurisprudence administrative relative à l’entrée en France des enfants qui ont fait
l’objet d’une kafala. Le Conseil d’État n’hésite pas à évoquer
« une mesure de délégation de l’autorité parentale dite kafala »
d’un tribunal algérien ou marocain 14. Il considère que le kafil
exerce l’autorité parentale en vertu d’un acte de kafala, dont un
tribunal de grande instance a reconnu qu’il produit tous ses effets
en France, précisant toutefois que cette délégation d’autorité
parentale ne confère, par elle-même, aucun droit à obtenir un
visa d’entrée en France pour l’enfant concerné 15. Dans certaines décisions, le juge administratif affirme que la kafala ne
9. Rép. min. n° 3811 : JO Sénat 21 août 2008, p. 1698 ; D. 2008 p. 2223, obs.
V. Avena-Robert.
10. CA Paris, 23 nov. 2006 :JurisData n° 2006-327069.
11. CA Paris, 28 juin 2006, RG n° CT0183.
12. CA Paris, 16 févr. 2006 : Lexbase n° A3757DNH
13. Dans le même sens, CA Versailles, 27 nov. 2003 : JurisData n° 2003-236727
qui affirme « Que le recueil légal kafala n’instaure aucun lien de filiation
entre l’adoptant et l’adopté, même si les enfants recueillis peuvent prendre
le nom des titulaires du recueil légal ; qu’il s’apparente à un transfert de
l’autorité parentale et n’équivaut pas à une adoption simple »
14. CE, 28 déc. 2007, n° 303956 : JurisData n° 2007-073011. – CE, 28 déc.
2007, n° 304202 : JurisData n° 2007-073002. – CE, 9 nov. 2007, n° 279743.
– CE, 7 mars 2007, n° 285679 : JurisData n° 2007-071609. – CE, 7 mars
2007, n° 288637 : JurisData n° 2007-071611. – CE, 24 janv. 2007,
n° 290066. – CE, 29 nov. 2006, n° 266156.
15. CE, 9 nov. 2007, n° 296173 : JurisData n° 2007-072704. – CE, 8 oct. 2007,
n° 297787 : JurisData n° 2007-072517. – CE, 13 déc. 2006, n° 282674 :
JurisData n° 2006-071239.
43
Dossier
s’apparentant qu’à une délégation de l’autorité parentale sans
création de lien de filiation, le refus de visa ne saurait porter une
atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie familiale
de l’enfant et de l’adulte concernés 16, surtout lorsque l’intérêt
supérieur de l’enfant semble davantage aller dans le sens du
maintien de l’enfant dans son pays d’origine 17.
15 - À l’inverse, dans certaines décisions, c’est la qualification
de la kafala en délégation d’autorité parentale qui permet au juge
administratif d’octroyer certains droits. Il en va ainsi notamment
dans l’arrêt du Conseil d’État du 30 juin 2003 qui a admis qu’un
grand père qui s’était vu confier sa petite fille par une kafala
pouvait agir au nom de celle-ci notamment pour contester un
refus de visa d’entrée en France 18. Cette décision précise que le
tribunal de grande instance d’Oujda (Maroc) ayant confié, par
un acte de kafala, la jeune Sabrina Y à son grand-père, M. O. par
un jugement définitif du 15 février 1999 et que le tribunal de
grande instance de Melun ayant accordé l’exequatur à cet acte
de kafala, en indiquant qu’il valait délégation de l’autorité parentale, l’exercice de l’autorité parentale sur sa petite-fille mineure
a été confié par un juge judiciaire français à M. O.
16 - De même, dans un arrêt du 26 septembre 2008 19, le
Conseil d’État constate que M. et Mme A, de nationalité française,
ont été désignés par une ordonnance en date du 9 avril 2006 du
président du tribunal d’Akbou comme « titulaires du droit de
recueil légal » de leur neveu Nassim A et qu’ils sont devenus titulaires par délégation de l’autorité parentale sur cet enfant qui,
sous réserve de motifs d’ordre public, a vocation à vivre auprès
d’eux.
17 - La cour administrative d’appel de Bordeaux affirme également dans une décision du 10 juin 2008 20, que « sous réserve
d’éventuels motifs d’ordre public, l’intérêt de l’enfant est, en principe, de vivre auprès de la personne qui a reçu du juge la délégation de l’autorité parentale », laquelle résultait en l’espèce
d’un jugement de kafala qui avait placé l’enfant « sous l’autorité
parentale de ses grands-parents ». Cette décision fait toutefois
jouer un effet négatif à la kafala puisque celle-ci justifie que les
enfants, confiés à leurs grands-parents, ne rejoignent pas leurs
parents en France. Il en va de même dans l’affaire jugée par une
décision du même jour, dans laquelle la cour administrative
d’appel de Bordeaux 21 refuse à un homme le droit de rester en
France auprès de ses enfants et de ses parents, au motif qu’il a
confié ses enfants à ses propres parents par une kafala et « que
le requérant, auquel il appartient d’entreprendre auprès des autorités algériennes compétentes les démarches requises pour
mettre un terme à la délégation d’autorité parentale qu’il avait
consentie à ses parents, n’exerce pas l’autorité parentale sur ses
deux enfants et n’établit pas subvenir à leurs besoins ».
B. - L’incidence de la qualification
18 - La qualification de la kafala comme délégation de l’autorité parentale par un juge qui n’est pas le juge de l’autorité parentale, mérite d’être précisée. Il est en effet indispensable de rappe16. CE, 18 août 2006, n° 295330. – CE, 27 juin 2008, Fatima A., n° 291561 :
JurisData n° 2008-073781, selon lequel l’acte de kafala à la différence de
l’adoption, ne crée aucun lien de filiation et s’apparente à un simple transfert de l’autorité parentale. – Dans le même sens, CE, 28 août 2008,
n° 317757 : JurisData n° 2008-074179 qui refuse également en référé
d’annuler le refus de visa opposé à l’enfant, au motif que « Considérant que
la délégation de l’autorité parentale décidée par les autorités judiciaires
marocaines, qui n’a pas été rendue exécutoire en France, n’implique pas par
elle-même la délivrance du visa sollicité ». – CE, 18 juin 2008, n° 286445.
17. CE, 17 juin 2005, n° 265483 : JurisData n° 2005-068687.
18. CE, 30 juin 2003, n° 227844 : JurisData n° 2003-065698.
19. CE, 26 sept. 2008, n° 320016 : JurisData n° 2008-074299.
20. CAA Bordeaux, 10 juin 2008, n° 07BX02056, inédit.
21. CAA Bordeaux, 10 juin 2008, n° 07BX02520, inédit.
44
DROIT DE LA FAMILLE - REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - JANVIER 2009
ler que la qualification de délégation de l’autorité parentale ne
vaut que pour la kafala judiciaire, et non pour la kafala notariée,
et que le rapprochement avec la figure de la délégation est
imprécis puisqu’il ne dit pas de quel type de délégation il s’agit.
19 - Toutes les décisions qui procèdent à une assimilation entre
kafala et délégation de l’autorité parentale mentionnent le jugement algérien ou marocain qui a prononcé la kafala et le plus
souvent le jugement d’exequatur qui a reconnu l’effet de ce
dernier en France. Une décision de la cour administrative de
Marseille du 20 mars 2007 22 refuse même de faire produire effet
à la kafala en l’absence de jugement d’exequatur au motif que
dans la mesure où il implique des actes d’exécution matérielle,
l’acte d’un tribunal étranger relatif à la garde d’un enfant doit être
revêtu de l’exequatur pour produire ses effets en France. Il en
résulte que l’assimilation de la kafala à une délégation d’autorité parentale est limitée aux hypothèses dans lesquelles le juge
étranger est intervenu. Cette exigence correspond à la nature
même de la délégation de l’autorité parentale des articles 377 et
suivants du Code civil. L’autorité parentale et son exercice ne
peuvent être laissés à la disposition des parents et quelle que soit
la personne qui en prend l’initiative – parents de l’enfant ou
personne l’ayant recueilli –, elles ne peuvent résulter que d’une
décision judiciaire. Les conventions relatives à l’exercice de
l’autorité parentale sont certes admises en droit français par
l’article 373-2-7 du Code civil, mais seulement dans le cadre des
rapports des parents entre eux et non pas avec un tiers. Elles sont
par ailleurs et de toute façon soumises à l’homologation du juge
et ne concernent de surcroît que les modalités d’exercice de
l’autorité parentale et non l’exercice lui-même.
20 - A contrario, une kafala qui n’aurait fait l’objet que d’un
acte privé ne pourrait être directement assimilée en France à une
délégation de l’autorité parentale. Le kafil n’aurait alors d’autre
choix que de solliciter en France du juge aux affaires familiales,
le prononcé de cette délégation 23. La kafala n’est alors prise en
compte qu’en tant que situation de fait impliquant une prise en
charge de l’enfant par celui qui sollicite la délégation. Il n’est pas
certain qu’elle suffise en elle-même à établir le désintérêt manifeste des parents ou leur incapacité à exercer l’autorité parentale,
conditions exigées par l’article 377 du Code civil. Sans doute
serait-il préférable que les parents, s’ils existent et s’ils le peuvent,
sollicitent eux-mêmes la délégation d’autorité parentale. Si
l’enfant est abandonné ou sans filiation, la délégation de l’autorité parentale paraît peu adaptée dans la mesure où on voit mal
comment pourrait être déléguée une autorité parentale qui
n’existe pas... Il serait alors plus opportun de se tourner vers la
tutelle. On comprend cependant la préférence dont la délégation de l’autorité parentale fait l’objet en raison de sa plus grande
simplicité et de la plus grande rapidité avec laquelle elle peut être
prononcée.
21 - Le prononcé d’une délégation de l’autorité parentale en
France comporte l’avantage de fournir au kafil une preuve de son
lien avec l’enfant et des pouvoirs qui en découlent. Il est certainement de nature à faciliter ses rapports, concernant l’enfant,
avec les tiers plus susceptibles de se représenter une délégation
d’autorité parentale qu’une kafala. Cet argument en faveur du
prononcé d’une délégation de l’autorité parentale en France est
d’ailleurs valable pour les kafala judiciaires. Le Conseil d’État a
d’ailleurs affirmé, de manière étonnante, dans une décision du
27 mai 2005 24 que « si la décision résultant d’une procédure de
kafala laisse aux autorités consulaires, saisies d’une demande de
22. CAA Marseille, 20 mars 2007, n° 05MA02647, inédit.
23. Pour deux exemples d’une telle hypothèse : CE, 29 févr. 2008, n° 290871
: JurisData n° 2008-073240. – CE, 27 mai 2005, n° 280612 : JurisData
n° 2005-068567.
24. Préc.
DROIT DE LA FAMILLE - REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - JANVIER 2009
visa, une large marge d’appréciation de l’intérêt de l’enfant, il en
va différemment lorsqu’une telle demande s’appuie sur la décision définitive d’une juridiction française qui confie à un ressortissant français, avec l’autorité de la chose jugée, la délégation
de l’autorité parentale sur un enfant dans les conditions définies
par les articles 376 à 377-1 du Code civil ; dans ce cas en effet,
et sous réserve d’éventuels motifs d’ordre public, l’intérêt de
l’enfant est en principe de vivre auprès de la personne qui a reçu
du juge la délégation de l’autorité parentale ». Cette décision
isolée concerne une situation particulière puisque le tribunal de
grande instance de Bordeaux, tout en refusant de prononcer une
adoption simple à partir de la kafala marocaine, avait prononcé
une délégation de l’autorité parentale fondée sur les textes du
Code civil français.
22 - Lorsque c’est le juge français de l’autorité parentale qui
transforme la kafala en délégation d’autorité parentale, ou plus
exactement qui crée une délégation d’autorité parentale à partir
de la situation de fait découlant de la kafala, il précise forcément
de quelle délégation d’autorité parentale il s’agit, ce qui n’est pas
le cas du juge qui assimile kafala et délégation de l’autorité
parentale de manière incidente. Le droit français connaît en effet
désormais trois types de délégations de l’autorité parentale : la
délégation forcée, la délégation consentie et, depuis 2002, la
délégation-partage 25. Définie par le droit algérien comme un
engagement unilatéral du kafil, la nature de la kafala dépend en
réalité des différentes situations dans lesquelles elle peut être
utilisée.
23 - Lorsque le juge aux affaires familiales est saisi d’une
demande de délégation d’autorité parentale par une personne
qui a recueilli un enfant dans le cadre d’une kafala, il semble que
seule la délégation forcée est susceptible d’être prononcée, sauf
à ce que les parents se joignent à la procédure, ce qui est peu
probable. Il paraît toutefois difficile pour le juge de satisfaire cette
demande si les parents de l’enfant ne se désintéressent pas de lui
ou ne sont pas dans l’incapacité d’exercer l’autorité parentale,
à moins que cette incapacité soit déduite du seul éloignement
géographique.
24 - Lorsqu’il s’agit de savoir à quelle délégation de l’autorité
parentale correspond un jugement de kafala, il faut, semble-t-il,
distinguer selon que la kafala a été consentie par le ou les parents
de l’enfant – on doit alors considérer qu’il s’agit d’une délégation volontaire de l’autorité parentale – ou qu’elle concerne un
enfant abandonné – on pourrait alors l’assimiler à une délégation forcée de l’autorité parentale. Dans cette dernière hypothèse, l’assimilation de la kafala à une délégation forcée de
l’autorité parentale n’est toutefois pas satisfaisante car la kafala
repose tout de même sur un consentement émanant de l’autorité publique ayant pris en charge l’enfant. On en revient à l’idée
que, dans ce cas-là, la qualification de délégation d’autorité
parentale ne correspond pas vraiment à la situation juridique
créée dans le pays d’origine.
25 - Lorsque la kafala a été consentie par un parent de l’enfant,
on peut se demander s’il ne s’agit pas d’un simple partage de
l’autorité parentale « pour les besoins de l’éducation de
l’enfant », selon l’article 377-1, alinéa 2, du Code civil. Cette
qualification impliquerait que le parent n’ait pas voulu renoncer
à ses droits parentaux sur l’enfant. On pourrait considérer qu’il
en est notamment ainsi lorsque des parents confient leur enfant
à un membre de sa famille pour qu’il le prenne en charge en
France. Outre les inconvénients que la qualification de délégation partage pourrait avoir quant aux pouvoirs du kafil relativement à la personne de l’enfant 26, il semble que celle-ci ne
25. P. Bonfils et A. Gouttenoire, op. cit., n° 517 et s.
26. V. infra.
Dossier
corresponde pas à l’esprit même de la kafala qui paraît impliquer
une renonciation au moins temporaire des parents à leurs droits
sur l’enfant ; c’est d’ailleurs ainsi que la kafala est perçue par
certaines juges administratifs pour qui le parent qui a consenti
une kafala n’exerce plus l’autorité parentale 27. Il apparaît dès
lors que la kafala doit plutôt être assimilée à une délégation de
l’autorité parentale stricto sensu, consentie ou forcée, cette
dernière distinction comportant en réalité peu d’enjeux pour ce
qui est des effets de la délégation.
2. Tentative d’équivalence aux résultats
imparfaits
26 - Si l’on admet de dépasser l’incertitude des fondements
retenus, pour ne s’attacher qu’aux effets du recours à la délégation parentale, dans une recherche purement pragmatique d’un
équivalent à la kafala, les résultats ne paraissent pas pour autant
satisfaisants. Les imperfections du recours à la délégation d’autorité parentale s’expliquent en effet par le caractère boiteux d’un
tel équivalent. On s’aperçoit ainsi que la délégation d’autorité
parentale ne répond que très partiellement aux besoins, faute de
produire des effets suffisants sinon comparables au lien de filiation (A). Par ailleurs, en faisant produire au lien de kafala les effets
de la délégation parentale, on occulte l’institution étrangère et
ses effets propres alors même que la délégation conduit à une
situation précaire (B).
A. - Les effets incomplets de la délégation de
l’autorité parentale
27 - La délégation de l’autorité parentale, instrument palliatif,
laisse subsister un goût d’inachevé. Certes le kafil pourra par ce
biais, non plus se limiter aux actes usuels mais accomplir tous
les actes relatifs à l’éducation et à la surveillance de l’enfant
comme le font les père et mère. Il pourra représenter l’enfant en
cas de besoin et notamment dans les démarches d’obtention
d’un titre de séjour en France 28. Il reste que les pleins effets de
la délégation demeurent subordonnés à l’existence d’un jugement prononçant une délégation totale de l’autorité parentale (C.
civ., art. 377-1). Une délégation partielle de l’autorité parentale,
prenant en considération par exemple l’existence des parents
d’origine, s’avérerait largement infructueuse et non adaptée aux
besoins suscités par la relation entre un kafil et son makful résidants sur le territoire français.
28 - En l’absence d’une telle concurrence et donc en cas de
délégation totale de l’autorité parentale, la technique ne saurait
constituer qu’un palliatif temporaire. Très rapidement en effet,
les insuffisances apparaîtront faute pour la délégation d’autorité
parentale de produire les effets de la filiation (alors que le droit
algérien fait sereinement cohabiter kafala et filiation).
29 - Il convient de rappeler que dans de nombreuses hypothèses, la kafala est utilisée ab initio par un couple de français qui
souhaitent, sans succès, adopter et qui ramène un enfant algérien sur le territoire français. La kafala instrumentalisée a dès lors
tôt fait d’être oubliée. Pourtant le rattachement à ce ou ces Français demeure limité, faute tant que l’enfant n’a pas acquis la
nationalité française, de pouvoir procéder à l’adoption (pourtant
interdite par le pays d’origine). Le rattachement de l’enfant par
la kafala, ne s’effectue en effet qu’au profit d’une personne et non
27. CAA Bordeaux, 10 juin 2008, préc.
28. V. CE, 30 juin 2003, préc., qui admet que le grand-père qui s’était vu confié
sa petite-fille par une kafala, pouvait agir au nom de celle-ci, notamment
pour contester un refus de visa d’entrée en France.
45
Dossier
du couple 29. De la même façon, la délégation de l’autorité
parentale n’intervient qu’au profit d’un délégataire et non là
encore, de deux personnes même unies par le mariage. Aussi,
une seule personne pourra prendre en charge réellement l’enfant
d’un point de vue juridique, l’autre devant se contenter d’un
pouvoir de fait. En cas de divorce ou de séparation du couple
recueillant, le seul délégataire (si tant est que la délégation soit
maintenue par le juge) poursuivra l’éducation et la surveillance
de l’enfant et l’on est alors conduit à s’interroger sur le maintien
du lien entre l’enfant et l’autre conjoint. C’est ainsi que dans un
arrêt en date du 30 juin 2005, la cour d’appel de Douai a refusé
que « le juge qui prononce le divorce de deux époux statue sur
les mesures relatives à un enfant n’ayant avec ceux-ci aucun lien
de filiation » et réformé la décision qui constatait l’exercice
conjoint de l’autorité parentale 30. La situation ne se serait pas
présentée si jamais les deux parents qui ont recueilli l’enfant
avaient exercé en commun l’autorité parentale avant leur séparation.
30 - C’est encore à cette absence de lien de filiation que l’on
se heurtera à la disparition de l’exercice par le délégataire de
l’autorité parentale. Que cette disparition provienne d’une décision du juge, de la volonté du délégataire 31 de son décès ou bien
de la majorité de l’enfant, les difficultés naissent de la précarité
et du caractère temporaire du lien issu de la délégation d’autorité parentale. Les effets similaires à ceux du lien de filiation ne
pourront se produire. L’obligation d’entretien qui se maintient
après la majorité ne saurait ainsi exister, de la même façon aucun
droit de succession ab intestat ne peut être revendiqué ni au
profit du makful ni à celui du kafil 32.
31 - Au-delà des rapports entre le kafil et le makful, entre le
délégataire d’autorité parentale et l’enfant, les insuffisances de
la délégation se font aussi ressentir dans les rapports avec les
tiers. C’est ainsi que l’on ne pourra en cas de dommages causés
par l’enfant à un tiers, utiliser la responsabilité des parents du fait
de leurs enfants prévue par l’article 1384, alinéa 4, du Code civil
qui exige l’existence d’un lien de filiation avec l’enfant 33. En cas
de mariage du makful avant sa majorité, le délégataire ne saurait
non plus pouvoir donner son consentement. De la même façon,
l’adoption du makful par un autre que le kafil ne pourrait intervenir, faute d’un pouvoir de consentir du kafil.
32 - Sans même établir de façon exhaustive, une liste de toutes
les insuffisances de la délégation de l’autorité parentale, on ne
peut que prendre acte du vide juridique que la délégation ne
parvient à combler que très partiellement 34. C’est parce que
notre système juridique ne connaît que la filiation et son corollaire, l’autorité parentale, que les substituts à l’exercice de l’autorité parentale par les parents ne permettent pas d’atteindre les
pleins effets du lien de filiation. Seule en réalité l’ouverture d’une
tutelle permet une réelle substitution aux pouvoirs des parents 35.
33 - Malgré ces manques, il est possible d’avancer l’argument
selon lequel, on créé au profit de l’enfant, grâce à la délégation,
une sécurité juridique en donnant un titre qui rend tout de même
la situation plus claire vis-à-vis des tiers (un titre qui permet de
29. V. en ce sens étude 3, M. Boulenouar.
30. CA Douai, 30 juin 2005, n° ct 0032, publié par le service de documentation
de la Cour de cassation.
31. V. sur cette possibilité, CA Versailles, 25 juin 1998 : BICC 1er mars 1999,
n° 266.
32. V. en ce sens supra étude 6, M. Wendling et C. Duval-Véron.
33. Il serait éventuellement envisageable de recourir à l’article 1384, alinéa 1er,
afin de rendre responsable le délégataire sans que toutefois cette solution soit
véritablement satisfaisante dès lors que la délégation est en réalité conçu
pour des hypothèses de simple suppléance des parents et non de substitution à ceux-ci.
34. V. sur les effets sociaux, supra étude 5, M. Badel et O. Pujolar.
35. Sur ce point, V. supra étude 10, J.-M. Plazy.
46
DROIT DE LA FAMILLE - REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - JANVIER 2009
donner une date certaine au recueil de l’enfant notamment en
vue d’obtenir la nationalité française, passé un délai de cinq ans).
La solution pourrait alors satisfaire pour un temps. Pourtant, on
en vient alors à un autre résultat tout aussi imparfait, en oubliant
les effets de la kafala d’origine.
B. - Les effets oubliés de la kafala
34 - La kafala serait-elle abrogée par désuétude au fur et à
mesure que la situation juridique créée en Algérie perd son
élément d’extranéité du fait de la vie sur le territoire français du
kafil et du makful ? La question se pose avec d’autant plus
d’acuité que les effets de la kafala, tels que prévus par le droit
algérien différent de ceux de la délégation de l’autorité parentale. Le régime juridique de l’institution algérienne risque alors
de venir perturber celui de la délégation d’autorité parentale.
Devant cette divergence, il est possible soit de cumuler les effets
des deux institutions, soit d’oublier les effets spécifiques de la
kafala au profit de ceux de la seule délégation d’autorité parentale, sous prétexte que l’enfant réside en France. Il convient
toutefois de ne pas occulter certains intérêts de la kafala, comme
celui de la transmission du nom du kafil au makful. Il ne faut pas
non plus négliger le fait que la kafala conduit à une situation dont
la précarité tient à son caractère révocable.
35 - Il faut en effet rappeler 36 que la kafala permet au kafil de
donner son nom au makful 37. L’apparence de filiation est ainsi
admise ce qui correspondrait en droit français aux premiers
éléments constitutifs d’une possession d’état. Pour autant, cet
effet spécifique de l’institution étrangère ne trouve pas d’équivalent dans le droit français. La délégation de l’autorité parentale, même totale, n’emporte pas de possibilité pour le délégataire de transmettre son nom, seul l’établissement du lien de
filiation peut y conduire. Aussi les juges français semblent admettre que le changement de nom du makful découlant de l’acte de
kafala perdure, la situation acquise à l’étranger n’étant pas remise
en cause. Ils s’opposent toutefois, ce qui semble logique, à ce
que de ce changement de nom, on puisse déduire un quelconque lien de filiation entre le kafil et son makful 38. Si ce maintien
d’un effet de la kafala paraît satisfaisant, il en va tout autrement
lorsqu’il s’agit d’admettre le caractère révocable du lien unissant
le kafil et le makful.
36 - Le droit algérien prévoit en effet que le kafil peut à tout
moment révoquer la kafala et donc mettre fin au lien qui l’unit
à l’enfant recueilli. Cette révocabilité ad nutum conduit à une
précarité préjudiciable à l’enfant dès lors qu’aucune décision
judiciaire n’est requise et que la seule volonté du recueillant suffit
à détruire le lien établi. Reste alors à savoir si l’on conçoit la délégation d’autorité parentale comme indéfectiblement liée à l’existence de la kafala ou non. Si l’on admet que la délégation d’autorité parentale n’était que la traduction en France de la kafala, il
semble difficile de maintenir cette délégation après la disparition
de la kafala. Pour autant, il n’est pas possible de mettre fin à la
délégation d’autorité parentale par la seule manifestation unilatérale de volonté du délégataire (C. civ., art. 377-2 qui prévoit
que « la délégation pourra, dans tous les cas prendre fin ou être
transférée par un nouveau jugement, s’il est justifié de circonstances nouvelles »). La solution serait alors d’admettre la pérennité de la délégation malgré la révocation de la kafala en invoquant la limite de l’ordre public à l’admission des effets de
l’institution étrangère. L’opportunité d’un tel maintien peut toute36. V. supra étude 3, préc.
37. V. CA Douai, 30 juin 2005, préc., n° ct 0032. Dans cette affaire, le recueil
de l’enfant avait été établi par acte notarié et par la suite une ordonnance du
Président du tribunal d’Oran avait déclaré que l’enfant porterait désormais
le nom patronymique du recueillant.
38. V. par exemple, CA Paris, 1re ch., sect. C., 29 sept. 2005, n° ? ? ? ?.
Dossier
DROIT DE LA FAMILLE - REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - JANVIER 2009
fois sembler douteuse. On imagine difficilement en effet que l’on
puisse imposer concrètement au délégataire la prise en charge
d’un enfant dont il n’entend plus assurer l’éducation et l’entretien.
37 - On retrouve une difficulté similaire avec la possibilité
prévue par le droit algérien, pour les parents biologiques de
demander à reprendre l’enfant donné en kafala 39. Le lien de
filiation étant maintenu à leur égard, on conçoit mal qu’une telle
demande puisse être jugée irrecevable. Les parents biologiques
doivent-ils alors saisir le juge français aux affaires familiales afin
de mettre fin à la délégation de l’autorité parentale ou bien
doit-on considérer que la révocation de la kafala par les parents
emporte révocation de la délégation d’autorité parentale ?
Sachant que la réponse n’existe pas d’un point de strictement
juridique, on aura tendance à faire de l’intérêt de l’enfant le
critère de détermination de la solution. Pour autant, il paraît difficile de considérer in abstracto que l’intérêt de l’enfant est de
retrouver ses parents par le sang qui veulent reprendre la vie
commune avec lui ou bien de demeurer au foyer affectif constitué par le recueillant.
38 - Au final, on se trouve bien confronté à la délicate conciliation des effets de l’institution étrangère avec ceux du palliatif français. En réduisant la kafala à une situation de fait, on oublie
trop rapidement les effets de l’institution étrangère. En habillant
39. V. étude 3, préc.
juridiquement la situation de fait d’une délégation de l’exercice
de l’autorité parentale pour pallier les angoisses du vide juridique, on risque de nier l’existence même de la kafala à l’origine
pourtant du lien établi.
39 - Il est donc nécessaire d’avouer que le besoin de qualification ne reçoit pas avec la délégation d’autorité parentale de
réponse satisfaisante ni d’un point de vue juridique, ni et c’est
bien évidemment le pire, d’un point de vue de l’intérêt de
l’enfant. On se heurte ici aux limites de la réception par le droit
français d’institutions étrangères dont les particularités semblent
vouloir être niées faute d’être comprises, alors qu’il serait tout à
fait possible de recevoir l’institution de la kafala avec ces effets
propres sans chercher à lui donner une qualification francofrançaise 40. C’est donc la rigidité du lien qui unit en France
parenté et parentalité qui conduit à ignorer les distinctions peutêtre plus subtiles du droit algérien 41. ê
Mots-Clés : Kafala - Filiation - Autorité parentale
40. M. Farge, Dr. famille 2008, comm. 133, obs. ss Cass. 1re civ., 9 juill. 2008 :
« Reste une dernière interrogation : en présence d’une institution étrangère
équivalente à aucune des nôtres ne serait-il pas préférable de la reconnaître pour elle-même et de la soumettre à sa loi d’origine ? ».
41. Sur la distinction entre parenté et parentalité qui dépasse largement le cadre
de ces propos, V. Mariage-Conjugalité, Parenté-Parentalité, colloque Lyon
2008, H. Fulchiron (ss. dir.) : actes à paraître.
47
Dossier
10
DROIT DE LA FAMILLE - REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - JANVIER 2009
Une recherche d’équivalent : la tutelle
Jean-Marie PLAZY,
maître de conférences à l’université Montesquieu-Bordeaux IV, CERFAP
1 - Avec un peu d’imagination, pourrait-on lire sous la plume
d’un Loysel nouveau « Prendre en charge l’entretien, l’éducation
et la protection d’un enfant mineur, au même titre que le ferait
un père pour son fils, c’est tutelle il me semble ». En effet, une
réponse ministérielle, en date du 21 août dernier 1, n’hésite pas
à préciser que pour les enfants abandonnés, sans filiation connue
ou orphelins, « la kafala peut être assimilée en France à une
tutelle » 2.
Comme il a été rappelé par Mme le garde des Sceaux, « la kafala
est une forme de protection de l’enfant, qui permet son éducation et sa prise en charge matérielle durant sa minorité, par une
famille musulmane. La kafala ne créant pas de lien de filiation,
elle ne peut en aucun cas être assimilée à une adoption en
France. Le droit de la plupart des pays musulmans interdit
d’ailleurs formellement cette institution. Toutefois, comme toute
décision relative à l’état des personnes, la kafala, lorsqu’elle est
judiciaire, a vocation à être reconnue de plein droit sur le territoire français, sans formalité particulière, et permet donc à
l’enfant de bénéficier d’un statut de protection » 3. Se fondant en
particulier sur la sourate 33/verset 5 du Coran 4, la plupart des
pays de droit musulman excluent l’adoption d’un enfant. Pour
autant l’Islam n’ignore pas la nécessaire protection des orphelins ou enfants sans famille et a introduit la notion de « recueil
légal » dite kafala. La kafala peut être définie comme l’engagement par le titulaire de ce droit kafil d’assurer bénévolement
l’entretien, l’éducation et la protection d’un enfant mineur
makfoul, au même titre que le ferait un père pour son fils, sans
créer un quelconque lien de filiation.
La prise en charge de l’enfant ne pouvant être assimilée à une
adoption, notre droit s’interroge sur les rapprochements que l’on
pourrait entrevoir entre la kafala et des institutions françaises
connues comme la délégation de l’autorité parentale ou la
tutelle. Cette relative complexité juridique conduisant à de
nombreuses difficultés 5, il s’avère nécessaire de trouver des
équivalents à cette institution étrangère et le rapprochement
opéré par la ministre entre kafala et tutelle comblerait les errements passés.
2 - Le besoin de qualification serait enfin satisfait : la kafala
serait assimilée à la tutelle pour les enfants dépourvus de filiation connue, abandonnés ou orphelins. S’il est toujours possible
de laisser une place à l’imaginaire dans le droit, cette proposition nous semble devoir être fortement nuancée. D’abord parce
que la jurisprudence française n’a jamais franchi le pas de l’assimilation. Ensuite, parce que l’assimilation laisserait supposer que
les pays musulmans ne connaîtraient pas la tutelle « à la franRép. min. n° 3811 : JO déb. Sénat, 21 août 2008, p. 2008.
Dalloz 2008, Actualités, circulaire à venir pour la kafala, p.
Ibid.
« Appelez-les du nom de leurs pères : c’est plus équitable devant Allah. Mais
si vous ne connaissez pas leurs pères, alors considérez-les comme vos frères
en religion ou vos alliés. Nul blâme sur vous pour ce que vous faites par
erreur, mais (vous serez blâmés pour) ce que vos cœurs font délibérément.
Allah, cependant, est Pardonneur et Miséricordieux ».
5. Rép. min. n° 02225 : JO Sénat, 30 avr. 2008, p. 1824. – Rép. min. n° 00078 :
JO Sénat, 30 août 2007, p. 1545.
1.
2.
3.
4.
48
çaise ». Or tel n’est manifestement pas le cas. Si l’on prend
l’exemple de la législation algérienne, on découvre un chapitre
deuxième du Code de la famille consacré à la représentation
légale et un chapitre II intitulé De la tutelle. Ainsi les articles 87
et suivants prévoient que le père est tuteur de ses enfants
mineurs. Qu’à son décès, l’exercice de la tutelle revient à la mère
de plein droit. Que le tuteur est tenu de gérer les biens de son
pupille au mieux de l’intérêt de celui-ci. Suivent ensuite des
dispositions relatives à la gestion des biens et un chapitre consacré à la tutelle testamentaire.
3 - La coexistence de la kafala et de la tutelle au sein même du
Code algérien de la famille amène à conclure qu’il y a sans doute
une assimilation possible entre la tutelle française et la tutelle
algérienne. En revanche force est de constater que demeure
nettement distinguées la tutelle et la kafala : alors que le droit
algérien opère la distinction, notre droit parviendrait-il à opérer
l’assimilation ? On peut singulièrement en douter et se dire que
l’assimilation est hasardeuse et conduira au mieux à des difficultés, au pire à une confrontation d’institutions.
1. L’assimilation entre Kafala et tutelle
4 - Assimiler conduit ici interpréter la kafala comme une tutelle,
le kafil pouvant être comparé à un tuteur et le makfoul à un
pupille. Rappelons-nous brièvement de la définition de la kafala :
elle peut être définie comme l’engagement par le titulaire de ce
droit, le kafil d’assurer bénévolement l’entretien, l’éducation et
la protection d’un enfant mineur, le makfoul, au même titre que
le ferait un père pour son fils, sans créer un quelconque lien de
filiation. Peut-on dès lors y voir une forme de tutelle ? On est
frappé par le rapprochement que l’on pourrait faire avec la tutelle
officieuse du Code civil originaire mais là s’arrête sans doute le
rapprochement.
A. - Une assimilation possible : la tutelle officieuse
5 - Insérée dans le Code civil de 1804, et reprise dans la loi du
24 juillet 1889 destinée aux enfants maltraités ou moralement
abandonnés, la tutelle officieuse 6 s’entend d’un acte juridique
par lequel une personne s’oblige à nourrir et à élever gratuitement un mineur, à administrer sa personne et ses biens et à le
mettre en état de gagner sa vie. On est surpris de la proximité de
cette définition et celle retenue, pour la kafala, par l’article 116
du Code de la famille algérien : le recueil légal est l’engagement
de prendre bénévolement en charge l’entretien, l’éducation et
la protection d’un enfant mineur, au même titre que le ferait un
père pour son fils.
6 - D’autres rapprochements sont d’ailleurs particulièrement
saisissants. Cette tutelle intervient, du moins dans le Code civil
originaire, comme un palliatif à l’interdiction de la tutelle des
6. Pour une étude complète, M. Vidal, RHD. 2006, p. 437.
Dossier
DROIT DE LA FAMILLE - REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - JANVIER 2009
mineurs 7. L’adoption étant réservée, jusqu’en 1939, aux seuls
majeurs, la tutelle officieuse était la seule technique permettant
de prendre en charge le mineur dans l’attente de pareille adoption 8. Alors que dans la tutelle officieuse, le juge de paix est
conduit à dresser procès-verbal des consentements du tuteur et
des parents de l’enfant ; le recueil légal est accordé devant le juge
ou le notaire. Les dispositions des articles 365 et suivants
prévoient que l’administration des biens, comme de la personne
du mineur, passe au tuteur officieux et qu’il est interdit à ce
dernier d’imputer les dépenses d’éducation sur les revenus du
pupille. La comparaison avec la kafala est saisissante : le kafil,
au même titre qu’un père, se voit conférer la tutelle légale de
l’enfant recueilli. Le kafil est donc tuteur légal avec toutes les
obligations qui pèsent sur le tuteur et les prérogatives qui en
découlent. De même qu’il a l’obligation d’administrer les biens
de l’enfant.
Si le rapprochement entre les deux formes de protection est
intéressant, il risque pourtant d’être purement théorique tant le
recours à la tutelle officieuse est demeurée rarissime 9. Les deux
lois de protection de l’enfance du 24 juillet 1889 et 27 juin 1904
ne réussiront pas à lui trouver une place et la loi du 19 juin 1923
autorisant l’adoption du mineur signe une mort déjà annoncée.
7 - L’assimilation semble évidemment possible entre kafala et
tutelle officieuse. Toutefois deux objections s’opposent au
rapprochement : d’abord la tutelle officieuse n’a eu succès fort
limité ; ensuite elle a disparu au profit de nouvelles règles pour
lesquelles l’assimilation peut poser difficultés, l’adoption en
particulier.
B. - Une assimilation audacieuse : la tutelle de
droit positif
8 - Le recours à la tutelle officieuse étant manifestement proscrit, il n’y a d’autre choix que de recourir à la tutelle de droit positif, telle que régie par la loi du 14 décembre 1964 10. Une remarque préliminaire s’impose toutefois. Les droits musulmans, à
l’instar du droit algérien, distingue kafala et tutelle. Le kafil se voit
confier la tutelle légale, ce qui conduit à une juxtaposition entre
la kafala et la tutelle légale : en un mot la kafala n’est pas la tutelle
légale mais intègre la tutelle légale. Comment pourrait-on dès
lors opérer une assimilation alors que le droit musulman opère
une dissociation entre les deux institutions.
Le rapprochement n’en pose pas moins de multiples interrogations quant à l’exercice, sur le sol français, de la kafala. Alors que
la réponse ministérielle du 21 août prévoit l’assimilation pour
plusieurs catégories d’enfants : « abandonnés, sans filiation
connue ou orphelins », force est de constater que la tutelle des
mineurs peut se décliner de diverses façons. Si tous peuvent faire
l’objet d’une kafala, la forme de tutelle susceptible d’être mise
en place est différente : tutelle des mineurs avec conseil de
famille pour les orphelins dont les parents étaient connus ou
tutelle d’État qui se décline en tutelle privée, rare, exercée par un
notaire ou un directeur d’établissement pour la jeunesse ou
tutelle publique.
7. Les conditions de l’adoption sont, en 1804, particulièrement strictes : l’adoptant doit être âgé de plus de cinquante ans, ne pas avoir de descendance légitime, avoir fourni à l’adopté, qui doit être majeur (art. 346), des secours et
des soins interrompus pendant six ans au moins. J.-P. Levy et A. Castaldo,
Histoire du droit civil : Dalloz 2002, n° 140.
8. J. Hauser, RTD civ. 2008, p. 470. – La tutelle officieuse constitue une phase
transitoire que rappelle le Titre VIII du code 1804 intitulé Adoption et tutelle
officieuse.
9. A. Duranton, Cours de droit français suivant le Code civil, t. 3 : Nève18251842, n° 344.
10. On remarquera que la loi du 5 mars 2007 ne revient que très ponctuellement
sur la loi de 1964, en particulier sur la disparition de la tutelle des ascendants.
9 - Ensuite, et surtout, l’assimilation conduit à s’interroger sur
le type de protection accordée au makful. Dans la tutelle avec
conseil de famille ou d’État, il y a toujours un contrôle de la part
de l’autorité judiciaire pour les actes les plus graves. Assimiler
tutelle et kafala est intéressant pour les actes d’administration, les
actes usuels puisque le kafil agit seul. Mais qu’en est-il pour les
actes de disposition ou les actes non usuels ? Dans notre conception de la tutelle, on retrouve nécessairement l’intervention de
l’autorité judiciaire. En un mot, l’assimilation règle le sort des
actes les moins problématiques mais pose une réelle difficulté
pour les autres. Contrairement à la kafala qui reconnaît au kafil
une liberté de gestion de la personne du mineur et des biens, la
tutelle ne se conçoit qu’avec un contrôle des organes tutélaires.
L’assimilation, dès lors qu’on la préconise, semble possible sur
un seul article de notre code, l’article 450, qui dispose que le
tuteur prend soin de la personne du mineur. Mais c’est un leurre,
car l’article 450 n’a de sens que remis dans son contexte, celui
du contrôle de l’action du tuteur. L’assimilation entre kafala et
tutelle demeure purement théorique en ce qu’elle ignore la
philosophie de chacune des institutions. Faudra-t-il demander
une autorisation judiciaire toutes les fois où le kafil entend faire
un acte de disposition ; dans l’affirmative, un conseil de famille
s’imposera-t-il ? Autant d’interrogations que l’assimilation ne
qu’imposer.
10 - Doit-on dès lors avoir une vision plus étroite de la tutelle
et l’assimiler à une administration légale ? Si tel devait être le cas,
diverses interrogations nouvelles ne manqueraient pas de se
poser. Il ne pourrait y avoir de place à la jouissance légale, tant
la kafala opère une distinction entre les patrimoines du makful
et du kafil. Quelle devrait être la place accordée au conjoint du
kafil ? Enfin, comme en matière de tutelle, la gestion des biens
continuera de poser des questions identiques.
L’assimilation qui se voulait source de simplification risque, en
réalité, apporter plus d’interrogations que de réponses et laisse
à penser que l’assimilation n’est pas adéquate. Le rapprochement
entre les deux institutions conduit davantage à une confrontation
qu’à une assimilation.
2. La confrontation entre kafala et
tutelle
11 - Malgré les propos de la garde des Sceaux, toute idée
d’assimilation, de transposition, nous semble devoir être bannie
tant les deux institutions obéissent à des règles différentes. En
pratique, rapprocher les deux modes de protection reviendrait
à faire prévaloir, sur le territoire français, la tutelle parce qu’elle
est connue et pratiquée. Mais opérer de la sorte conduit non pas
à assimiler à substituer.
A. - La tutelle substituée
12 - En droit algérien, tutelle et kafala co-existent sans que l’une
ne prenne la place de l’autre même si le kafil devient tuteur légal.
Il s’agit de deux institutions proches mais différentes. C’est ainsi
que sont nettement distinguées la tutelle testamentaire et la
kafala. L’article 92 prévoit ainsi que l’enfant mineur peut être
placé sous l’administration d’un tuteur testamentaire pour le cas
où l’enfant serait orphelin de mère ou que cette dernière soit
atteinte d’incapacité. La tutelle est soumise à l’autorisation du
juge et le tuteur testamentaire a les mêmes pouvoirs d’administration que le tuteur légal 11. L’assimilation, telle que souhaitée,
11. Le droit marocain connaît la même organisation. L’article 83 de la
Moudawana (C. statut personnel et successions) consacre la filiation légitime et à l’instar de l’Algérie, les enfants abandonnés sont pris en charge par
49
Dossier
ne peut être envisagée que par la mise en œuvre d’une véritable
organisation tutélaire à l’instar de ce qui existe en droit musulman moderne. On constate dès lors que notre droit tend à
confondre deux modes de protection des mineurs que les divers
droits musulmans s’efforcent de distinguer. Alors que la tutelle
se caractérise avant tout comme une organisation, la kafala est
entendue comme une mission de protection élémentaire. Si le
tuteur est doté d’une mission, c’est une mission encadrée, obéissant à un régime précis.
13 - Le seul point commun entre les deux institutions, c’est la
protection de la personne de l’enfant et cette finalité explique
sans doute l’assimilation. La convention des Nations Unies du
20 novembre 1989 relative aux droits de l’enfant énonce ainsi
que tout enfant privé de son milieu familial a droit à la protection de l’État, tout en précisant que chaque État peut adopter une
protection conforme à sa législation nationale et que l’origine
ethnique, religieuse, culturelle et linguistique de l’enfant doit être
prise en compte. Ainsi, à côté de l’adoption, l’article 20 de la
convention reconnaît, comme moyen de protection, le placement dans une famille, la kafala de droit islamique ou, en cas de
nécessité, le placement dans une institution.
De cette finalité commune découlent d’inévitables conséquences comparables. Comme pour la tutelle, la kafala de l’enfant
abandonné consiste en la prise en charge de sa protection, son
éducation et son entretien. Elle ne donne pas lieu à la filiation
entre la personne à laquelle est confiée la kafala et l’enfant,
sachant que le tribunal ne déclare un enfant comme étant abandonné que s’il rentre dans l’une des catégories prévues par la loi
presque identiques à nos causes de placement sous tutelle.
Toutefois, la kafala des enfants abandonnés n’est accordée qu’à
des personnes ou organismes limités : des époux musulmans
ayant atteint la majorité légale, moralement et socialement aptes
à assurer la kafala de l’enfant, disposant de moyens matériels
suffisants pour subvenir à ses besoins, n’étant pas atteints de
maladies contagieuses ou les rendant incapables d’assumer leur
responsabilité. Ils doivent n’avoir pas fait l’objet, conjointement
ou séparément, de condamnation pour infraction portant atteinte
à la morale, ou commise à l’encontre des enfants. Ils ne doivent
pas être opposés à l’enfant dont ils demandent la kafala, ou à ses
parents par un contentieux soumis à la justice, ou par un différend impliquant des craintes pour l’intérêt de l’enfant ; la femme
musulmane remplissant les conditions sus-évoquées ; les institutions publiques chargées de la protection de l’enfance reconnues d’utilité publique, aptes à assurer la protection des enfants
et à les élever conformément à l’islam.
Hormis les spécificités liées à la culture musulmane, on
retrouve des dispositions semblables, quant à leur fin, au droit
des établissements qui exercent sur eux l’autorité parentale et sont sous le
contrôle très strict, lorsqu’une kafala a été accordée, par les juges des tutelles. Depuis 1993, l’abandon des enfants est légalisé. Ils sont recueillis à l’intérieur d’orphelinats. La kafala est prononcée par la voie judiciaire depuis la
loi du 13 juin 2002 (Dahir n° 02-172 portant promulgation de la loi n° 1501 relative à la prise en charge [kafala] des enfants abandonnés).
50
DROIT DE LA FAMILLE - REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - JANVIER 2009
français de la tutelle : trouver le meilleur protecteur possible à
l’enfant.
14 - Les points de convergence sont également présents quant
aux effets de la kafala. La personne assurant la kafala est chargée
de l’entretien de l’enfant pris en charge, de sa garde, sa protection, jusqu’à sa majorité légale (dix-huit ans). Si l’enfant pris en
charge est de sexe féminin, son entretien se poursuit jusqu’à son
mariage ou jusqu’à ce qu’elle puisse subvenir elle-même à ses
besoins. Si l’enfant pris en charge est handicapé ou incapable de
subvenir à ses besoins, l’obligation d’entretien se poursuit. La
personne qui assure la kafala bénéficie des indemnités et allocations sociales allouées aux parents pour leurs enfants. Le kafil
est civilement responsable des actes de l’enfant pris en charge.
Comme pour la tutelle, la protection cesse lorsque l’enfant pris
en charge atteint l’âge de la majorité légale ; en cas de décès de
l’enfant soumis à la kafala ; de décès des deux époux assurant la
kafala, ou la perte de leur capacité ; de décès de la femme assurant la kafala, ou la perte de sa capacité.
Ces points de convergences ne sauraient masquer combien
notre système tutélaire semble bien mal armé pour accueillir la
kafala. La kafala se caractérise par la simplicité, la tutelle par la
rigueur.
Si l’on veut réellement assimiler, il convient sans doute de
simplifier notre tutelle et l’on perçoit dès lors l’influence que
pourrait avoir la kafala sur l’évolution de la tutelle des mineurs.
B. - La tutelle rénovée
15 - C’est sans doute le propre du droit comparé que de
permettre une évolution du droit national. Si donc on veut
traduire, en droit français, l’institution de la kafala, il conviendrait
de simplifier la tutelle des mineurs et s’orienter vers une tutelle
sans conseil de famille. La proposition a de quoi surprendre
s’agissant de la tutelle des mineurs qui connaît impérativement,
contrairement à la tutelle des majeurs, un conseil de famille.
L’assimilation réapparaîtrait possible dès lors que notre droit
abandonnerait toute référence au conseil de famille et conduirait à envisager, comme pour les majeurs, une tutelle sous forme
d’administration légale. On peut toutefois douter d’une telle
évolution tant le conseil de famille est ancré dans la conception
française de la tutelle des mineurs, en particulier de la tutelle
familiale.
16 - Toutefois, dès lors que l’on envisage une tutelle sans
conseil de famille, l’assimilation entre kafala et tutelle nous
semble redevenir possible. Mais c’est au prix, manifestement,
d’une sérieuse entorse à la conception française de la tutelle des
mineurs. Assimilation n’est pas raison, en particulier en droit
comparé, dans la mesure où l’on est face à des ordres juridiques
différents. La traduction peut être imparfaite et il se pose alors
plus de questions que de réponses données. Intellectuellement
intéressant cela devient vite pratiquement paralysant et force est
alors de constater que comme en linguistique, il y a toujours une
partie non susceptible de traduction. Attention donc aux faux
amis. ê
Mots-Clés : Kafala - Tutelle
Dossier
DROIT DE LA FAMILLE - REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - JANVIER 2009
11
L’imagination juridique française
Jean HAUSER,
professeur à l’université Montesquieu – Bordeaux IV, directeur du
CERFAP
1 - En juin – juillet 2008 la kafala a eu les honneurs, une fois
de plus, des deux hautes juridictions françaises 1 puisque le
Conseil d’État s’est prononcé le 27 juin 2008 2 et la Cour de
cassation le 9 juillet 2008 3. En même temps était annoncée une
circulaire ministérielle qui prétendait assimiler la kafala à la
tutelle 4, assimilation risquée qui mériterait à tout le moins un
peu de réflexion.
Le titre de la communication, l’imagination juridique, n’est pas
rassurant. Chacun sait que l’imagination est la folle du logis... et
qu’elle n’est guère reçue chez les juristes 5.
Ce n’est pourtant pas la première fois que le droit français doit
accueillir une institution qui lui est totalement étrangère et qu’il
ne peut ranger dans ses cases traditionnelles. C’est évidemment
traumatisant et le juriste bien formé a la même réaction que le
zoologiste qui découvre un animal impossible à classer dans ses
catégories habituelles. Ainsi va le droit comparé, jamais vraiment
guéri de cet étonnement qu’on trouve dans les Lettres persanes :
comment peut-on être persan ?
Les plus anciens d’entre nous auront à l’esprit les problèmes
posés jadis par l’admission du divorce par simple déclaration
venue des Îles Vierges (avec un temps de séjour minimum, ce qui
permettait de remplir les hôtels), et d’autres paradis, et son
contingent de la jet-society, problème réglé puisque nous
sommes presque, ce n’est qu’une question de temps, par la grâce
présidentielle et ministérielle, plus proches d’un divorce par
simple déclaration que ne l’était jadis celui de ces États précurseurs... Plus près de nous le statut international du pacte civil de
solidarité, hermaphrodite juridique, mi-contrat, mi-institution
malgré les affirmations du législateur, nous pose les mêmes
problèmes 6.
Il convient donc d’emblée de calmer le jeu : le droit français
sait accueillir les institutions ou techniques étrangères.
2 - Tout est possible et notre droit a même accueilli récemment
la fiducie au grand dam des partisans de sa théorie du patrimoine
(C.civ., art. 2001). Certes la fiducie n’est pas la kafala ou l’adoption mais est-ce si éloigné mutatis mutandis : le fiduciaire qui
reçoit du constituant un bien, lequel bien reste isolé dans son
patrimoine et sur lequel il n’a que des droits limités, bien qu’il
s’engage à gérer dans l’intérêt d’un bénéficiaire... ? Le lien entre
la théorie du patrimoine et la personne en droit français est-il
méthodologiquement si différent du lien établi entre la parenté
et l’autorité avec les mêmes blocages possibles ? Un enfant en
fiducie, un enfant en trust... Les hommes et les choses ont une
fâcheuse tendance à se rapprocher en notre temps : l’enfant à
temps partiel avec la résidence alternée (comme les studios de
RTD civ.2008, n° 4, à paraître.
AJF 2008, p. 342, obs. Chénedé ; D.2008, p. 223.
Dr. famille 2008, comm. 133, note M. Farge ; D.2008, p. 2144.
AJF 2008, p. 315
Carbonnier dit de Bonnecase, son maître, qu’il avait de l’imagination et
ajoute que c’est une qualité peu répandue chez les juristes
6. Sur quoi, M. Revillard in Etudes offertes à J.Rubellin-Devichi : Litec 2002,
p. 581 et Defrénois 2005, p. 461. – G. Kessler, Les partenariats enregistrés
en droit international privé, préf. P. Lagarde : LGDJ 2004.
1.
2.
3.
4.
5.
vacances ?), l’enfant prêté, l’enfant acquis avec un contrat de
mère porteuse bientôt ( ?), l’enfant conventionnel des procréations assistées... 7, l’enfant en nue-propriété, en usufruit ! Il est
donc vrai, et ceci nous amène directement à notre sujet, que
l’accueil de la fiducie, type même de construction inconnue en
droit français ouvre la porte à d’autres hardiesses techniques.
3 - Mais y avait-il même matière à discuter ? Au fond, dans un
système juridique où bientôt toutes les figures familiales concevables seront autorisées, est-il encore temps, dans un scrupule
tardif et quelque peu hypocrite, voire nationaliste, de faire des
manières dans l’accueil d’institutions étrangères ? Retiendra-t-on
l’argument de la malléabilité de la kafala, difficile à définir dans
son principe comme dans ses conséquences, difficulté aggravée
par la richesse et la variété du droit musulman ? Ce serait bien
imprudent à l’heure où le droit français se vautre avec délectation dans des concepts comme la dignité ou l’intérêt supérieur
de l’enfant et prétend en tirer d’importantes conséquences juridiques. Nous sommes au temps des notions molles où l’équité
des Parlements tend à remplacer les codes au risque d’un explosif déficit démocratique.
Aussi bien il ne semble pas que la question ait vraiment été
celle du principe de l’accueil. Il est acquis. Par contre, et c’est
une partie de l’intérêt de ces discussions, ce sont les conséquences de l’accueil qui peuvent conduire à envisager des moyens
différents.
On mesure bien ici que le choix est maintenant devant nous :
– ou bien, au nom de concepts très généraux plus sociologiques que juridiques, on estime que tout vaut tout et que le fait se
suffit à lui-même et il n’y a plus alors à s’inquiéter de conséquences juridiques, la famille n’a plus de rôle social, elle n’est qu’une
structure hédoniste accueillant en fait tous ceux qui le veulent
et ce sans conséquences juridiques particulières ;
– ou bien on estime que subsiste un choix de société, que tout
n’est pas équivalent à tout et qu’on ne peut attacher de conséquences juridiques qu’à des choix juridiques internes et internationaux justifiés.
4 - De ce point de vue on pourrait dire qu’au moins provisoirement un certain clivage – technique et non fondamental – est
apparu entre, d’un côté, le droit public (brevitatis causa) et le
droit social et, de l’autre, le droit civil et son voisin le droit international privé. Pour les premiers le principe de l’accueil conduit
à d’importantes conséquences mais à des conséquences individuelles, pour les seconds le principe de l’accueil conduit à
l’insertion dans un système collectif qu’est la famille où chaque
chose a sa place dans l’espace et le temps. Il s’agit alors de reconnaître une situation pour la classer dans l’ordonnancement juridique 8.
7. J. Hauser, L’enfant conventionnel : D. 1996, chron. p. 183.
8. Sur cette méthode de la reconnaissance des situations, V. ainsi à propos des
partenariats, P. Lagarde, La convention de la CIEC sur la reconnaissance des
partenariats enregistrés in Lebendiges Familienrecht : Festschrift für Rainer
Frank, 2008, p.125.
51
Dossier
1. Un accueil individuel
5 - Si l’on simplifie le point de vue du droit public ou du droit
social, c’est par rapport à l’enfant concerné que se produisent,
pour l’essentiel, les conséquences. Il ne saurait être question de
les minimiser. Le maintien du mineur sur le territoire français
peut engager parfois jusqu’à sa survie, son droit à certaines prestations sociales n’est pas moins souvent vital pour lui. Mais les
conséquences de la qualification sont immédiatement visibles,
elles lui donnent des droits ciblés (ou ne les lui donnent pas) mais
ne l’introduisent pas dans un statut global qui s’étend dans
l’espace et dans le temps. Aussi bien sa situation pourra à tout
moment être revue.
A. - Les impératifs du droit public
6 - Pour le droit public ce sera pour l’essentiel la question du
maintien de l’enfant sur le territoire français et sa position sur
l’échiquier familial ne sera considérée que par rapport au droit
individuel qu’on veut bien lui donner, le droit d’entrée, le droit
d’y rester. Il nous semble que l’arrêt du Conseil d’État précité du
27 juin 2008 traduit bien ce point de vue. Tout en rappelant que
l’acte de kafala n’est pas une adoption et s’apparente à un simple
transfert de l’autorité parentale il en déduit que cet acte
« n’emporte aucun droit particulier à l’accès de l’enfant sur le
territoire français » et la CIDE, appelée à la rescousse, n’a pas
plus convaincu la haute juridiction 9. La Cour de cassation ne dit
pas autre chose.
7 - De ce que la kafala serait une tutelle selon le ministère de
la justice on ne tirera pas d’autres analyses : être le tuteur d’un
enfant ne le fait pas entrer dans votre famille sauf si vous êtes déjà
en relation familiale avec lui. Si l’on accordait au maklouf les
pouvoirs d’un tuteur on dépasserait de beaucoup la nature de
l’institution. Le rédacteur du projet ministériel d’assimilation
a-t-il mesuré que le tuteur d’un enfant mineur le représente de
façon très large dans tous les actes de la vie civile (C. civ.,
art. 408) et remplace donc ses parents, conséquence totalement
étrangère à la kafala ? L’analyse reste délibérément extrafamiliale même si l’existence d’une kafala est susceptible d’entrer
dans le faisceau d’indices qui est parfois exigé dans le droit des
étrangers. La vision reste nettement individuelle.
B. - Les impératifs du droit social
8 - Le droit social ne dit rien d’autre qui se soucie essentiellement, c’est son rôle, de la situation matérielle de l’enfant sous
kafala. On ne demande pas au droit social de prendre position
sur l’insertion familiale de l’enfant mais d’assurer son présent. Il
y a belle lurette que le droit social utilise des rattachements de
fait sans les catégoriser dans les classements du droit civil.
Concubins non mariés, enfants sans filiation, conjoints de mariages étrangers au droit français ont depuis longtemps glané des
droits sociaux sans qu’on prétende en tirer des conséquences
autres que matérielles 10 Depuis longtemps, dans ce cadre, les
spécialistes font état de certaines notions de fait 11.
Dans ces deux parties du droit le débat sur la nature juridique
de la kafala est, au fond, moins important qu’ailleurs, la seule
discussion est celle de savoir quelle est l’intensité des droits
9. Le droit de l’enfant à être entendu n’impose pas à l’autorité concernée de
suivre son avis.
10. On notera, par exemple, que les allocations familiales sont versées à ceux
qui ont la charge effective de l’enfant (CSS, art. L.513-1) et que la charge
fiscale profite à ceux qui élèvent en fait cet enfant (CGI, art. 196).
11. V. ainsi, A. Benoît, Recueil d’enfant et droit aux prestations familiales : Dr.
famille 1999, p. 49. – adde, I. Corpart, Le parrainage d’enfant : accueil
éducatif ou alternative à l’adoption ? : RD sanit. soc. 2001, p. 592. La kafala
est toutefois plus qu’un parrainage.
52
DROIT DE LA FAMILLE - REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - JANVIER 2009
qu’elle crée pour en tirer, ou refuser d’en tirer, des conséquences individuelles sur la situation concrète de l’enfant.
Il n’en est pas de même en droit civil ou en droit international
privé.
2. Un accueil institutionnel
9 - L’opération de qualification d’une situation demeure, pour
les deux branches du droit, une opération indispensable. On
pourrait y voir le reflet d’un certain archaïsme, d’une nostalgie
d’un droit familial « administré » qui n’aurait plus de sens au
temps de la mondialisation des concepts et de l’externalisation
des techniques. Une telle vision serait cependant inexacte. En
dehors même du fait que la période de la crise monétaire et
économique ne plaide guère pour le laisser faire, laisser passer,
l’opération de qualification en droit civil ou en droit international privé est une étape inévitable car ces branches du droit sont
en charge du lien entre l’individuel et le collectif familial et que
cette insertion dans un système ne peut se faire au coup par
coup. Une chose est d’apprécier un lien pour lui faire produire
une conséquence individuelle, autre chose est de l’apprécier
pour entraîner l’application des articles 310-1 à 405 du Code
civil, soit plus de cent articles et encore en comptant au plus
juste. On n’échappera donc pas à la nécessité de déterminer
d’abord ce que la kafala n’est pas, pour ensuite se demander ce
qu’elle est. La position du droit musulman qui insiste nettement
sur l’absence de droits successoraux ab intestat traduit bien les
limites du procédé. Certes, dans une période très pédocentrique,
il n’est pas de bon ton de se soucier du statut successoral de
l’enfant ou de ses droits et devoirs alimentaires, seulement le rôle
du droit de la filiation n’est pas uniquement de procurer l’autorité parentale mais aussi de faire entrer l’enfant dans une famille
et nombre d’actions d’état sont intentées alors que se profile une
succession 12. Ce n’est pas être matérialiste ou avoir le cœur sec
mais tout simplement observer la réalité : la filiation a une
dimension temporelle qui ne se résume pas à la minorité.
A. - Ce que la kafala n’est pas
1° Une adoption
10 - Il paraît maintenant acquis que la kafala n’est certainement
pas une adoption 13. L’histoire même de l’adoption n’invitait pas
à l’assimilation. Il faut rappeler que les pays catholiques ont été
pendant longtemps défavorables à l’adoption, alors pourtant que
Rome leur avait transmis une sérieuse tendance en sa faveur. La
tradition était donc contradictoire 14. L’hostilité reposait sur les
conséquences éventuelles de l’adoption : « Dieu seul fait des
héritiers, l’homme non », ce qui, on le remarquera en passant,
nous ramène à la question successorale. Pour autant subsistaient
des équivalents nombreux mais peu visibles qui correspondaient
aux modes de vie en commun dans une société peu soucieuse
de « principes » et plus de concret. Le droit de succéder n’y était
pas en question et on accueillait parfois l’enfant en fait, sans se
poser la question de son statut juridique. C’est le Code civil qui,
soucieux de catégories et d’un contrôle familial qui les suppose,
va vitrifier ces situations en y réintroduisant la dimension successorale. L’adoption du Code civil n’est qu’un droit de choisir ses
héritiers quand on n’en a pas et l’on sait que seul Bonaparte en
fut partisan, Malleville et Tronchet s’y étant vigoureusement
12. Sur l’indivisibilité de ces aspects, J. Hauser, Le temps en droit de la filiation
in Festschrift für Rainer Frank, préc., p. 211.
13. V. encore, CA Lyon, 23 oct. 2007 : RTD civ. 2008, p. 470, obs. J. Hauser.
14. J.-Ph. Lévy et A. Castaldo notent très justement (Histoire du droit civil : Dalloz
2002, n° 138) : « en matière d’adoption, le Code civil n’a pu s’appuyer sur
de solides précédents ».
Dossier
DROIT DE LA FAMILLE - REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - JANVIER 2009
opposés. La création postérieure de la légitimation adoptive puis
de l’adoption plénière ne changera rien au problème de base :
l’adoption conduit à un lien de filiation nouveau, concurrent ou
remplaçant, ce que ne crée pas la kafala qui ne peut modifier la
filiation.
L’assimilation avec l’adoption plénière n’est pas concevable
puisque celle-ci efface complètement les effets de la première
filiation et la remplace par la seconde, conséquence qui n’est
d’ailleurs pas sans provoquer des questions à notre époque où
l’on porte au pinacle le droit à une filiation et le droit de connaître ses origines.
11 - L’hésitation se fait jour avec l’adoption simple qui laisse
subsister le lien de filiation avec la famille par le sang. Mais la
réponse ne peut aussi qu’être négative quand on se tourne vers
les conséquences car on y retrouve le droit de succéder qui
apparaît alors comme le noyau dur de la filiation : les droits traditionnels pré-freudiens y sont attachés et les suivants en gardent
des traces... Encore remarquera-t-on en passant que le législateur du Code civil a eu quelque remords et a organisé un droit
de retour dont les fondements mériteraient d’être creusés 15.Si
même l’on élimine cet aspect, souvent négligé – à tort – en notre
temps, les conséquences quant à l’autorité parentale sont incompatibles avec la kafala. Le transfert de principe de la totalité de
l’autorité parentale à l’adoptant, sous la seule exception de
l’adoption par le conjoint du parent par le sang, n’est pas recevable dans la kafala. Il n’est pas sans intérêt de remarquer que ce
transfert général fait l’objet de vives controverses actuelles quand
l’adoptant n’est pas un « conjoint », adoptant concubin de sexe
différent du parent ou de même sexe. On peut se demander si la
revendication bruyante de ces faux « parents » ne trouverait pas
son écho dans la création indirecte d’une kafala à la française et
il n’est pas sans intérêt de constater que la Cour de cassation française, prise entre deux feux, a trouvé dans la simple délégation
d’autorité parentale une réponse au problème. Si l’on voulait
bien, hors des déclarations ministérielles subalternes destinées
aux médias, réfléchir concrètement au statut de ces « faux
parents » (conjoint d’un second mariage, concubins, personnes
vivant avec ou élevant l’enfant), on ouvrirait sans doute sereinement le dossier d’une révision de la délégation d’autorité parentale. Les couples homosexuels pourraient avoir la vertu de poser
les vrais problèmes... Serait-on, au final, si loin d’une sorte de
kafala ? Il n’est de plus pas certain que le droit de l’adoption
lui-même ne se ressente pas de ce désir moderne de moduler les
pouvoirs sur les enfants. On sait que le partage de l’autorité dans
l’adoption simple est revendiqué en dehors du couple marié où
il n’est possible que dans le cas de l’adoption de l’enfant du
conjoint 16, on sait aussi que les conséquences de l’adoption
simple sur le nom sont de plus en plus contestées par la revendication d’un choix que la loi refuse le plus souvent 17, tous
signes d’un désir d’ouverture des formes d’adoption à une forme
d’autonomie de la volonté qui les a, jusqu’ici, curieusement
épargnées. L’assouplissement des critères d’attribution de l’exercice de l’autorité parentale, l’admission plus large de certains
démembrements, dans la droite ligne de la distinction déjà
admise en droit moderne entre la titularité et l’exercice, pourraient répondre à bien des problèmes à condition qu’on veuille
bien les prendre par la réflexion sur la technique juridique et pas
15. On remarquera qu’aucune des réformes successorales ne l’a remis en cause.
16. Le droit du concubin sur l’enfant reste délicat à établir quand on raisonne en
termes d’autorité parentale mais la Cour européenne des droits de l’homme
(CEDH, 13 déc. 2007, Emonet et al. c/ Suisse : RTD civ. 2008, p. 255, obs.
J.-P. Marguenaud et p. 272, obs. J. Hauser) ne l’entend pas de cette oreille.
La difficulté peut conduire au refus pur et simple de l’adoption, la délégation de réversion n’étant pas retenue par la Cour de cassation (V. obs. J. Hauser in RTD civ. 2007, p. 325 et in RTD civ. 2008, p. 288).
17. V. en dernier lieu obs. J. Hauser in RTD civ. 2006, p. 277 et 735.
par le petit bout du droit des groupes de pression médiatiques.
La kafala pourrait y trouver sa place.
2° Un moyen de prononcer l’adoption
12 - La kafala n’est pas non plus le chemin indirect de l’adoption. L’arrêt de la première chambre civile du 9 juillet 2008 18
condamne le raisonnement qui consistait à faire de la kafala un
moyen de contournement, parmi d’autres, de la règle selon
laquelle la loi applicable à l’adoption est la loi personnelle de
l’enfant. La prétention de l’arrêt d’appel de voir dans le consentement à la kafala un consentement à l’adoption est condamnée.
Bien entendu on va retrouver l’argument de l’intérêt de
l’enfant 19 alors qu’il avait été manifestement abandonné en
Algérie mais enfin que gagnera-t-on à mépriser la loi nationale
en prétendant, de façon assez impérialiste, mieux apprécier que
d’autres l’intérêt de l’enfant sans avouer qu’il s’agit, au fond, de
procurer des enfants à adopter aux pays développés qui ne les
fabriquent plus eux-mêmes... ? Faut-il dynamiter tout le droit
international privé, y compris le droit conventionnel, au nom de
l’intérêt de l’enfant qui recouvre souvent les intérêts nationaux,
provoquant ainsi le retour à la période antérieure à la naissance
du droit international privé. Ceux qui lucidement ont tiré la
sonnette d’alarme quand s’est posée la question de l’applicabilité directe de la CIDE en notant qu’elle pourrait bien conduire
à un dépérissement du droit international conventionnel pourraient avoir raison : tuer un droit précis et équilibré, à coup de
conventions vagues qui renvoient chacun à son interprétation
nationale égoïste ? L’enfer est pavé de bonnes intentions.
3° Une tutelle
13 - Au risque de peiner le ministère de la justice français on
ajoutera que la kafala ne paraît pas non plus être une tutelle, au
sens où on l’entend aujourd’hui en droit français. Si l’on voulait
à tout prix y faire rentrer la kafala il faudrait d’abord admettre que
ce ne serait qu’une tutelle à la personne et puis la tutelle sur un
mineur, si elle est de plein exercice, entraîne des droits équivalents à l’autorité parentale, celle-ci ne subsistant que si, selon la
Cour de cassation, la tutelle ouverte ne porte que sur les biens.
Tout ceci ne convient pas et, dernier coup de grâce, on n’ouvre
une tutelle que quand le ou les parents ne sont pas en état d’exercer l’autorité parentale, or si cette condition est sans doute
remplie dans certaines kafalas, elle ne paraît pas être une condition sine qua non, certaines kafalas provisoires répondant plus
à une opportunité qu’à une incapacité des parents à exercer
l’autorité parentale que, d’ailleurs, ils ne délèguent pas vraiment.
La piste est fermée.
B. - Ce qu’est (peut-être) la kafala
14 - Il est vrai que la délégation d’autorité parentale se présente
comme une réponse approximative à la question. Mais elle va
trop loin parce qu’elle est trop normative : on délègue des
« droits » parce qu’on ne sait faire que cela mais s’agit-il vraiment
ici de déléguer des droits ?
On sait que le Code civil de 1804 connut la tutelle officieuse
qui se rapproche sans doute de la kafala mais qu’elle fut supprimée en 1923 faute d’utilisateur 20. Certes le droit n’a pas vocation à régir toutes les infinies variétés des relations interpersonnelles mais, à côté des relations estampillées, est-il inconcevable
d’appeler de nos vœux une aire de créativité qui serait à la limite
du droit des personnes et du droit des conventions ? Deux pistes
18. Dr. famille 2008, comm. 36, note M. Farge.
19. V. obs. M. Farge, préc.
20. Sur quoi, M. Vidal, Une tentative législative infructueuse, la tutelle officieuse
(1804-1923) : RHD 2006, p. 437.
53
Dossier
pourraient être suivies, en droit des personnes mais aussi en droit
des obligations.
1° Les actes courants
15 - En droit des personnes la figure juridique d’une simple
remise d’un enfant à un tiers n’est pas inconnue. Si l’on suit le
Code civil, l’article 58 évoque, à propos du tiers qui déclare un
enfant, l’éventualité selon laquelle il accepterait de « s’en charger » sans préciser de quoi il s’agit. L’article 373-3 évoque le cas
où ni le père, ni la mère n’ont l’autorité parentale au décès de
l’un d’eux et confie alors au juge le soin de « désigner la
personne à laquelle l’enfant est provisoirement confié ». L’article 373-4 précise que, lorsque l’enfant est confié à un tiers, les
parents conservent l’exercice de l’autorité parentale mais « la
personne à qui l’enfant a été confié accomplit tous les actes relatifs à sa surveillance et à son éducation ». L’article 373-2-5 ne
s’embarrasse pas de catégories juridiques pour mentionner
l’enfant majeur dont le parent « assume à titre principal la
charge » qui peut exiger de l’autre une « contribution à son
entretien et à son éducation ». On notera, dans ce dernier cas,
qu’il ne peut être question d’autorité parentale puisqu’on est en
présence d’un majeur. Alors, posons la question, quels sont donc
les droits qu’exercent ces tiers de confiance ? Et si nos difficultés à accueillir la kafala venaient de l’insuffisance de théorisation
sur la notion d’actes courants, d’actes usuels 21 ou encore la
notion de charge ou d’entretien ou même d’éducation ?
Risquons l’hypothèse qu’il y aurait lieu d’aménager un lien
spécifique pour toutes sortes de tiers (par exemple le beauparent) qui n’aurait pas de rapport juridique avec l’autorité
parentale mais reposerait sur un pouvoir de fait. Étudiant dans
le détail ces degrés, Mme Delfosse-Cicile propose ainsi de
donner au tiers auquel est confié l’enfant certaines prérogatives
mais exclut tout transfert de droits parentaux ce qui la conduit
naturellement à approfondir la notion d’actes usuels 22. Le
pouvoir de fait n’est pas inconnu en droit et notamment dans la
responsabilité du fait d’autrui 23. Enfin on remarquera que le
recours à une déclaration devant le juge ne gênera guère le
juriste français du XXIe siècle, lequel a vu se multiplier les déclarations et convention homologuées par le juge aux affaires familiales, notamment en matière d’autorité parentale, voire des
déclarations pures et simples devant le greffier en chef du tribunal de grande instance 24.
2° Les conventions
16 - Après tout sait-on vraiment ce qu’était le contrat de « nourrice » du XIXe siècle et celui de nos jours : certes nourrir un
enfant ou l’allaiter s’il est très jeune, mais aussi en prendre soin,
etc. Peut-on se satisfaire de la qualification en contrat d’entreprise ou de louage d’ouvrage alors que l’on est en présence d’un
enfant mais la multiplication des modèles conventionnels dans
l’aide à la personne 25 pourrait conduire à isoler une figure
contractuelle à l’intérieur de la catégorie plus large des contrats
21. C’est la « gestion du quotidien » écrit M. L. Gareil, L’exercice de l’autorité
parentale, préf. L. Leveneur, t. 413 : LGDJ 2004, not. n° 545 et s.
22. M.-L. Delfosse-Cicile, Le lien parental, préf. F. Terré : LGDJ 2003, spéc.
p. 239.
23. Il y aurait quelque intérêt à se rapprocher de la responsabilité générale du
fait d’autrui et de la détermination du responsable avec la théorie de l’autorité de fait.
24. V. ainsi, par exemple, C.civ., art. 372 in fine.
25. Il va bien falloir qu’on s’interroge sur ces nouvelles structures contractuelles.
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DROIT DE LA FAMILLE - REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - JANVIER 2009
d’entreprise 26 ? L’originalité vient tout de même de ce qu’un
contrat d’entreprise est en principe à titre onéreux et synallagmatique ; or ici on est en présence d’un contrat unilatéral et sans
doute à titre gratuit. Si l’on doit creuser la piste contractuelle il
faudra approfondir cette question : est-il concevable qu’une
rémunération soit prévue en faveur du kafaliste, auquel cas on
pourra trouver asile en droit des obligations ? Sinon on entre dans
cet océan mal connu du droit qui est celui des engagements sans
contrepartie, des engagements moraux ou d’honneur. Et si la
kafala, comme l’obligation naturelle, l’engagement d’honneur 27
ou l’enrichissement sans cause était un de ces points de passage
de la morale vers le droit, un de ces « services d’ami » ?
Faudrait-il inventer un nouveau mot et, sur le modèle de l’affrèrement du droit ancien 28 inventer « l’apparentement » qui éviterait de faire référence à une institution connue ? Quant aux
conséquences, on pourrait aussi songer à la figure du bail à nourriture que pratique encore la France profonde car il s’agit bien
là de loger, de soigner et de nourrir mais c’est de nouveau une
approximation parce que le bail à nourriture se greffe en général sur une opération plus large à titre onéreux (une vente) ou à
titre gratuit (une donation) et que la kafala, portant sur un mineur,
possède une dimension éducative que ne comporte évidemment
pas le bail à nourriture. Si l’on veut s’aventurer sur la voie d’un
acte juridique unilatéral ou conventionnel, il faudra que le droit
musulman nous fournisse un état plus précis des conditions de
formation généralement retenues et du régime juridique qui
s’ensuit. Il n’est pas certain que les choses y soient aussi avancées.
L’assimilation à la délégation d’autorité parentale est sans doute
encore trop puisqu’il s’agit plus de transmettre des fonctions
matérielles que des droits légaux au sens classique du terme. On
se trouve en réalité plus près du fait conventionnel que du transfert légal, et si la kafala était une simple convention de soin qu’on
s’obstine à faire rentrer dans des cadres d’ordre public ?
Mais, si on l’admet, il faut alors bannir toute conséquence
directe sur les secteurs tels que le droit d’entrer ou de se maintenir en France. La revendication de conséquences nationales
qu’on veut lier à des institutions étrangères conduit à brouiller
les cartes et à introduire une suspicion généralisée. Le respect des
techniques étrangères repose sur leur analyse rigoureuse et
exclut leur assimilation calculée à des institutions nationales qui
n’ont pas de rapport. En forçant le lien on provoque des réactions
en sens inverse qui condamnent par avance tout traitement
raisonnable et conduisent à jeter un voile de suspicion sur des
situations qui, elles, sont justiciables d’une assimilation. Le droit
compassionnel moderne ne règle que quelques cas individuels
visibles et médiatiques au prix d’un désordre conceptuel qui
compromet les droits du plus grand nombre et jette la suspicion
sur la majorité. Le droit musulman a des titres à faire valoir à
condition qu’on analyse rigoureusement ces titres.
Dans ce domaine, l’à peu près, parfois savamment entretenu,
est l’ennemi d’une reconnaissance lucide et raisonnable des
différences et des droits de chacun, même si cet à-peu-près se
dissimule souvent sous le manteau des droits de l’Homme qu’il
compromet plus qu’il ne promeut. ê
Mots-Clés : Adoption - Kafala - Définition
26. On hésiterait d’ailleurs entre le louage d’ouvrage et le mandat.
27. La piste, déjà explorée (B. Oppetit, L’engagement d’honneur : D. 1979,
chron. p. 107. – B. Beignier, L’honneur et le droit, préf. J. Foyer : Bibl. dr.
privé, t. 234 ; LGDJ 1995, spéc. p.527) mériterait d’être réexaminée quant
à la kafala, en parallèle avec la notion d’obligation naturelle, ce qui correspondrait assez bien à la source religieuse de la technique.
28. J.-Ph. Lévy et A. Castaldo, Histoire du droit civil : Dalloz 2002, n° 139.
Dossier
DROIT DE LA FAMILLE - REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - JANVIER 2009
12
La réception par le système juridique
algérien de l’imagination juridique
française
Malika BOULENOUAR AZZEMOU,
professeur à l’université d’Oran
1 - La réception par le système juridique algérien de l’imagination juridique française soulève a priori deux questions :
– tout d’abord comment une institution de droit algérien relevant à la fois du droit positif et du sacré telle que la kafala est
perçue par l’imagination juridique française ;
– ensuite comment le système juridique algérien reçoit cet
imaginaire français.
Pour la première question les diverses communications présentées lors de ce colloque ont montré les difficultés pour le droit
français d’assimiler l’institution de kafala ainsi que les différentes pistes pour tenter de résoudre le problème de la qualification.
Quant à la deuxième question, il nous parait utile avant de
tenter d’y répondre, de commencer par rappeler que pour des
raisons historiques liées à la colonisation, le système juridique
algérien se présente comme un système hybride. Tandis que la
quasi-totalité du droit algérien est régie par des règles qui sont
largement inspirées des droits modernes et plus particulièrement
du droit français, tout ce qui relève de la famille et d’une manière
plus large tout le statut personnel est directement inspiré du droit
musulman 1.
2 - Pour cette raison, le système juridique algérien ne peut être
en accord qu’avec une représentation juridique qui respecte la
philosophie sur laquelle se fonde sa réglementation familiale en
d’autres termes une représentation qui respecte les principes du
droit musulman. Le système juridique algérien reste en l’état
actuel fermé à toute construction qui contrarie son substrat en
matière familiale.
Plus précisément, pour l’institution qui retient notre attention,
en l’occurrence la kafala, l’idée fondamentale est qu’elle ne doit
en aucun cas être utilisée comme un moyen de détourner le principe de l’interdiction de l’adoption prôné par le droit musulman
pour lui faire produire les mêmes effets. Certes la kafala a été
imaginée pour combler le vide juridique découlant du principe
de l’interdiction de l’adoption mais elle n’en est pas moins une
institution répondant à des impératifs religieux et a été instituée
dans le respect de l’architecture du droit musulman. Le droit
musulman et à travers lui le droit algérien ne connaît que la filiation légitime et refuse la filiation adoptive. Assimiler la kafala à
l’adoption plénière ou même simple ne répond pas à la finalité
de la kafala qui est de prendre en charge un enfant sur un plan
affectif et social 2 sans que cela n’interfère sur la filiation. Et
même si les efforts d’une partie de la doctrine et de la jurisprudence française pour faire produire à la kafala les effets d’une
1. Même si de nombreuses règles de droit moderne ont été intégrées dans la
législation familiale algérienne en particulier depuis la codification de 1984
et de la réforme du Code de la famille du 27 février 2005.
2. V. supra étude 2, Tareq Oubrou.
adoption au sens du droit français procèdent de nobles desseins 3
ils heurtent de plein fouet le système juridique algérien et
conduisent à une impasse. On aboutit en effet à une situation
boiteuse 4, le droit français autorisant un raisonnement qui sera
réfuté par le système algérien.
3 - Mais alors à partir de quel moment la réception par le
système juridique algérien de la représentation française sera-telle envisageable ? Une réponse simple s’impose : à partir du
moment où le droit français approchera la kafala sans bouleverser son économie générale et sans toucher à ses fondements ni
à ses objectifs.
Les efforts de la doctrine française sont intéressants à cet égard.
La délégation d’autorité parentale 5, la tutelle officieuse 6 si elle
renaissait de ses cendres pour l’occasion pourraient constituer
des pistes à saisir.
À ce sujet il est intéressant de signaler que lors de la réforme du
Code civil algérien 7, le législateur a introduit de nouveaux articles concernant la kafala et l’adoption dans le registre des dispositions du droit international privé. Notons au passage que le
législateur algérien a pour la première fois évoqué le concept
d’adoption sans référence au principe de sa prohibition en précisant qu’elle serait soumise aux mêmes règles que la kafala.
Concernant ces nouvelles dispositions, le Code civil tel que
modifié en 2005 prévoit que les conditions de validité de la
kafala sont régies simultanément par la loi du kafil et la loi du
makful tandis que les effets de la kafala sont soumis au droit
national du kafil 8. Ce qui pourrait signifier que le droit algérien
accepterait les effets prévus par un système juridique étranger à
condition que la validité de la kafala soit appréciée selon la loi
algérienne. Cela ne résout pas la question de la qualification car
avant de faire produire des effets à la kafala il faut bien entendu
d’abord la qualifier. Tout dépendra de l’interprétation de ces
nouvelles dispositions issues de la réforme de 2005. Tel que
rédigé, l’article 13 ter du Code civil ne permet pas d’aller outre
3. À savoir protéger l’intérêt de l’enfant ou plus exactement une certaine idée
de son intérêt.
4. M.-C. Foblets, J.-Y.Carlier, Le code marocain de la famille, incidences au
regard du droit international privé en Europe : Bruylant 2005.
5. C. Neirinck, Enfance « Adoption internationale » consentement à l’adoption ». Kafala : RD sanit. soc 2006, p.1101.
6. M. Vidal, Une tentative législative infructueuse : la tutelle officieuse (18041923) ; Rev. hist. droit 84, 3 juill.-sept. 2006.
7. L. 2005-10, 20 juin 2005 modifiant et complétant l’ordonnance portant Code
civil du 26 sept. 1975.
8. C. civ. algérien, art. 13 ter : « la validité du recueil légal (kafala) est soumise
simultanément à la loi nationale du titulaire eut droit de recueil (kafil) et à
celle de l’enfant recueilli (makfoul) au moment de son établissement. Les
effets du recueil légal (kafala) sont soumis à la loi nationale du titulaire du
droit de recueil (kafil).
L’adoption est soumise aux mêmes dispositions ».
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Dossier
la réglementation de la kafala telle que posée dans le code algérien de la famille.
Figurant dans la loi portant Code de la famille, la réglementation de la kafala vise nous l’avons dit plus haut à empêcher toute
confusion avec l’adoption ou son introduction sous une forme
déguisée. La réglementation de la kafala se doit en toute logique
de se conformer à l’esprit du droit musulman ; ce dernier étant
construit sur la seule filiation légitime ne reconnait pas la filiation adoptive. Il n’y a donc aucune surprise à ce que le système
juridique algérien n’accepte que ce qui est en harmonie avec ses
référents et ses fondements juridiques.
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DROIT DE LA FAMILLE - REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - JANVIER 2009
Aussi et en l’état actuel du droit aussi bien algérien que français, et devant la complexité et l’importance des questions soulevées, il est permis de se demander si le recours à la technique
contractuelle prônée par certains est à même de constituer une
piste pour aplanir les difficultés et permettre enfin à la kafala de
remplir sa fonction. ê
Mots-Clés : Kafala - Réception en droit français

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