Transcription Odyssée Nounours (pdf 512 ko)

Transcription

Transcription Odyssée Nounours (pdf 512 ko)
Nounours, un film de Benoît Legrand
Transcription des rushes de tournage.
En gras, les passages ou thématiques utilisés lors du tournage.
Nounours
J’aimerais bien savoir pourquoi tu te fais appeler Nounours…
Alors ça c’est la rue, j’ai fait un an et demi de rue et je suis arrivé là bas, bon ben un peu
brute épaisse, et puis voilà on m’a surnommé Nounours, on m’a appelé comme ça.
C’est les autres qui m’ont appelé comme ça. Moi j’ai pas demandé à ce qu’on m’appelle
comme ça, einh, j’ai pas choisi. Au début en fait c’était, euh, t’avais euh, cochon de lait, avec
une pomme rouge dans la bouche et un bâton dans le cul,pour dire clairement les choses, et
puis j’ai préféré quand même qu’on m’appelle Nounours, donc voilà je me suis laissé appeler
Nounours ! Voilà. Et puis c’est venu comme ça ça s’est installé sans que moi je le décide sans
que l’autre ne le décide non plus, einh.
Oui mais… comment tu l’expliques par exemple… t’es pas très poilu…
Ben euh… C’était plutôt dans mon comportement ! Nerveux, tendre, casseur ! Un peu tout ça
quoi, un ours, quoi.
Ah ! Ca vient de l’ours d’abord quand même
Ouais, ouais, ben un peu ça… l’ours, et le nounours ! Donc la peluche, et l’animal. Parce
qu’autant je pouvais me comporter comme l’animal, comme un animal, autant je pouvais me
comporter comme une peluche, être gentil, aimable, serviable, autant si on me casse les
couilles je casse la tête et puis voilà, j’en parle plus, voilà quoi (il sourit) … Nounours.
Et t’avais quel âge quand on t’a donné ce surnom ?
Je venais juste d’avoir 18 ans, je venais d’arriver à la rue. Pile poil après la Dass (Ah ouais)
tout de suite derrière, pas de contrat jeune major, mis à la porte tout de suite quoi.
II.
Jeunesse de Nounours (vite fait)
Ben là chuis sur un projet de travail, donc, donc euh piston dans, euh… comment ça s’appelle
la manutention là…intérim… mon copain il est ( ?) pour monter des scènes… enfin bref, quoi,
faire du montage démontage… Tout ça pour arriver sur ma formation cascadeur, quiest à
Paris, donc qui coûte 3500 euros, donc j’aimerai vraiment réaliser ce projet concrètement
quoi, après je suis sorti quand même de 5 ans de curatelle, jeudi 30 novembre j’étais jugé
pour ne plus être sous curatelle donc, c’était la fin, donc ce qui était très dur à vivre pour
moi, sachant que j’avais perdu mes parents je n’avais pas besoin de ça, quoi , ça ne m’a pas
aidé, c’est plus un handicap qu’une aide, et puis ben chuis chez moi j’ai une copine, je vis
comme tout le monde, j’ai une petite vie, je roule en quad, voilà quoi.
Donc par exemple là t’habite à Villeurbanne, si j’ai bien compris, et t’as retapé ton appart…
J’habite dans un studio en fait. C’est un truc assez sympa, c’est renfermé de la route, c’est
assez loin, c’est un immeuble sur un étage, que des studios pareils que moi, donc voilà, ouais
c’est assez sympa, bon après c’est pas aux normes mais c’est sympa.
Et t’as refait quoi alors ?
Ben moi en fait j’ai mis une mezzanine dedans, un lit, donc, assez joli avec un bureau en
dessous qu’on m’a donné, avec des canapés qu’on m’a donné, un frigo qu’on m’a donné, et
moi ces derniers temps je me suis acheté une cuisinière, une machine à laver et une télé. Voilà
les seuls trucs que je me suis acheté. Donc ça va, si je suis bien aménagé, ça va, je suis bien
chez moi, quoi. Pour ma petite vie à moi, je me trouve bien, je me trouve euh… Ca va je suis
bien calé. Mais plus que ce d’autres auraient à mon âge, sachant qu’ils pourraient avoir une
famille ou quoi que ce soit, je me sens… au niveau du matériel, je suis comblé, j’ai rien à
envier à personne au niveau du matériel.
J’ai pas de famille, j’ai pas tout ça donc je le jette où mon argent, je le jette dans le matériel
quoi. C’est une espèce de réconfort, c’est ça en fait, c’est un réconfort en fait. On peut pas
aller voir ses parents aller leur payer un truc, on peut pas inviter sa famille son cousin sa
tante au restaurant, on peut pas faire des cadeaux de Noël y’a personne à en faire, donc
voilà on fait quoi ben on s’achète on s’achète on prévoit sa petite vie à soit, j’ai mes amis oui
certes mais ça reste quand même des amis… tu vois, ma copine ouais, là par contre je donne
à cent pour cent, j’ai mille euros, je le met, c’est pas un problème, après, aller offrir des
cadeaux à mille euros à mes amis, ben l’amitié c’est ça aussi.. L’amitié c’est sur le temps.
Moi j’ai changé de foyer tous les un an, j’ai jamais eu d’ami dans mon enfance, j’ai jamais
eu de contact vraiment franc, vraiment des liens serrés où on vit longtemps ensemble, ça
chez moi ça a pas existé. Après mes dix huit ans, ça a existé. Mais avant, pff, jamais.
Jamais j’ai eu plus de relation plus d’un an et demi avec quelqu’un. Donc euh… voilà.
Et même maintenant tu ne revois pas…
Les gens de la dass, ah nan nan nan nan, les éducateurs tout ça j’en vois plus, c’est fini,
des relations on en a pas. Si, j’en croise dans la rue, on en parle, on en souffre encore
quand on en parle d’ailleurs, parce que ça se sent quoi, on a mal vécu ça quoi, mais
autrement nan on a pas envie de… enfin on remettrait ça quoi, on remettrait le couvert
quoi. C’est comme si on se re-retrouvait, même si c’était chez moi on se re-retrouverait
ensemble et ça nous rappelerait trop de mauvais souvenirs pour qu’on puisse… euh… aboutir
à quelque chose de sincère et de franc, ou qu’on arrive à se démerder dans la vie
correctement quoi en fait. On aurait trop c’te haine qui est présente en nous, mais on s’en
sert pour se battre dans la vie de tous les jours. Mais si on se retrouve ensemble on va s’en
servir pour détruire ce qu’il y a autour de nous et qui nous à fait du mal en fait, je pense
que c’est plus dans ce sens là… qu’on ferait parce que on a vécu la même chose on a le
même mal en nous et on a les mêmes personnes à... voilà on a la même haine envers les
mêmes personnes. En même temps on a de l’amour aussi pour certaines personnes quoi, y’a
des éducateurs ils étaient francs avec nous, sincères, y z’étaient pas là pour faire de
l’éducation ou pour ramasser de l’argent, ils étaient là juste pour nous aider, pour nous
comprendre, pour nous aimer, c’est très rare, on en trouve un sur cent, voilà, donc ça aussi
c’est vrai, bon eux on a pas la chance de les revoir parce que voilà, la vie elle est comme ça,
on passe dans le foyer, on part, voilà, mais on les oublie pas, ils restent là quoi (il désigne son
cœur) on va dire c’est eux qui nous on construit par miette, voilà c’est ce peu de personnes
qui nous ont donné leurs miettes, tu les prends, ils ont vu ce qu’il y avait de bon en nous, nous
on a vu ce qu’il y avait de bon en eux, voilà, on a pris chacun nos petits morceaux puis on a
fait notre vie, pépère.
Et puis la plupart du temps c’est des mecs qui sortent du quartier. Moi les bons éducateurs
que j’ai rencontré c’était des mecs de Vaulx-en-Velin, donc voilà. Un mec qui a fait n’importe
quoi de sa vie, qui a fait de la prison même, donc, et qui vient aider les jeunes parce qu’il a
vécu donc il peut les comprendre, par rapport à son vécu… le mec qui arrive d’une famille,
enfin d’une classe sociale, assez…euh riche, quoi, on va dire, voilà, il va moins comprendre,
parce qu’il a pas ce vécu. Il a pas ce ressenti au fond de lui-même (il désigne son cœur)
quand il y était en fait,il peut pas réellement comprendre ce que c’est en fait. Il peut le voir,
on peut dire qu’il voit, et qu’il comprend ce qu’il voit, mais il le vit pas !
Et puis la plupart de ces gens là ils vous le remettent en travers de la tête, einh, moi chuis
payé 7500 francs pour te garder, voilà, tant que je touche mon argent tout va bien. Tu peux
bien faire ce que tu veux en gros.
C’est dans quelles proportions, t’a connu combien d’éducateurs, comme ça, à vue de nez ?
A vue de nez, comme ça, allez une cinquantaine.
Et combien il y en a qui t’ont donné des miettes ?
Pff… trois ! Ouais quand je dis un sur cent chuis assez juste, einh, ça va.
III.
Le chien de Nounours
Vu que les flics étaient pas venus, ben je me suis cassé, j’allais pas attendre dix ans einh, en
fait j’arrivais avec mon pote et tout et en fait il y avait déjà les flics devant. J’leur dit bon ben
voilà y’a le garage et tout, ils me font Monsieur Joly c’est vous, oui, oui, tac tac, et j’avais
mon chien avec moi. Mon chien est un Bull-terrier. Un Bull-Terrier dans la loi, y’a pas de
muselière y’a rien. Mais d’apparence ça ressemble à un staff, à un pitt, ça ressemble à un bon
molosse. Le mec a pris peur et la bonne femme, enfin sa collègue, me dit, votre chien, s’il est
pas muselé c’est deux cartouches. Donc j’appelle pour un garage parce que je me suis fait
cambrioler on m parle de mettre deux balles dans la tête de mon chien. Quand même !
Donc après moi, je me laisse pas parler comme ça, j’essaye de… de discuter ! je lui ai
expliqué que dans la loi mon chien est un bull-terrier, que dans sa loi à elle, parce que c’est
elle qui la dirige sa loi, c’est elle qui l’applique quoi, dans sa loi mon chien doit marcher
avec une laisse et avec un collier, sans muselière, y’a pas d’obligation,voilà, et son collègue
me dit que s’il me recroise dans la rue sa muselière avec mon chien, il va m’allonger des
amendes tout le temps. Donc moi je lui ai répondu simplement, sans méchanceté, einh ! que
moi je respectais la loi et que comme dans la loi mon chien ne devait pas être considéré
comme dangereux et ne devait pas porter du muselière je ne payerai pas l’amende. Voilà. Ca
s’est terminé comme ça, on a arrêté de trop en parler.
Mais juste à propos de ce chien tu l’as eu quand tu étais sdf ?
Alors nan ça c’est un chien que j’ai acheté 500 euros donc. En fait j’habitais le totem 74
cours de la République, à Villeurbanne et en fait mes voisins c’étaient euh des gitans, donc, et
bon ben on s’est connu le premier jour les chiens ils faisaient du bruit et tout euh… enfin
j’avais un autre chien avec une autre copine, enfin, une ex-copine, donc, et euh en gros on
faisait du bruit dans l’apart il est venu il a défoncé la porte j’ai pris la batte de base ball il a
comprit qu’on était deux bonhommes, voilà, il a compris que de toute façon ça allait faire que
du feu, et euh et puis voilà ! Le lendemain c’était un peu froid, on s’est serré la main, il s’est
excusé je me suis excusé parce qu’on s’était trouvé con tous les deux, c’était un
comportement… enfin c’était rien quoi, une embrouille à deux balles, et puis à partir de là
j’ai fait cul et chemise avec eux. J’venais boire le café chez eux, j’discutais avec leur fille
j’faisais du scoot avec leur fils, dès que j’avais besoin d’un coup de main ils étaient là, dès
que eux, pareil, moi j’étais là aussi. Et, euh, en fait son fils avait un chien, Nitro, donc, et il
faisait de la sécurité avec à la Part-Dieu. Ce qu’il y a c’est qu’il devait déménager et il se
voyait pas ni le donner à quelqu’un, ni le vendre. Donc moi, déjà j’avais un bon rapport avec
les chiens et puis ce chien quand je le voyais c’était le kiff. Le chien jouait avec moi tout le
temps, il était tout le temps collé contre moi, c’était vraiment, ouais, voilà, mon chien quoi,
comme si c’était mon chien. Voilà, déjà, parce que à l’époque c’était pas le mien. Et euh t
puis euh ouais il m’a ppelé une semaine avant qu’il parte et il m’a dit écoute moi j’ai besoin
d’argent parce que je déménage à Marseille avec ma femme, j’ai pas encore trouvé de travail
donc l’argent j’ai bien compris qu’il en avait besoin, et puis j’avais un chapi de collection à
l’époque
Un quoi ?
Un chapi de collection, j’sais pas si tu vois, ben en fait c’est les petites motos 50cm cube, sans
vitesse, c’est vraiment tout bas avec de gros pneus en fait.
Ah c’est le truc si tu roules avec sans écarter les jambes tu te vautres ?
Nan, nan, c’est vachement large et c’est bas,c’est tout petit ça ressemble à une petite Harley
en fait, les petits feux ronds les petits clignotants, les bavettes, c’est chromé et tout. Ouas
c’était sympa ! Et euh il m’a proposé que je lui donne mon chapi contre le chien. Donc lui
il avait besoin d’argent et je savais qu’il pouvait e tirer beaucoup plus d’argent parce que
c’était un chapi de collection donc il valait 1200 euros et par l’amour du chien bon ben je
l’ai pris, tout de suite ! Et en fait ce qu’il s’est passé c’est que j’était en guerre avec mon ex,
en pleine séparation, elle a fait euthanasier mon premier chien qui s’appelait Yoy, qui était
un berger bosseron de huit ans, donc, par haine envers moi, quoi, même que le chien soit
dangereux ou quoi que ce soit, et puis après quand j’ai acheté Nitro, elle m’a dit c’est soit
moi, soit le chien, et moi, bon comme j’ai dit tout à l’heure, bon j’me recite mais j’disais
chuis à cent pour cent dans la haine mais à cent pour cent dans l’amour donc moi quand
ma femme m’a dit ça moi je voyais mon avenir avec elle, j’ai lâché le chien tout de suite.
Voilà. Je l’ai ramené dans son ancienne famille sans demander ni mon argent ni quoi que
ce soit.
Alors ce qui s’est passé c’est qu’on avait déjà fait les papiers, la carte pour le vétérinaire
c’était déjà à mon nom, pendant un an je l’ai pas eu ce chien. Et un jour la SPA m’appelle sur
mon portable, « venez chercher votre bull-terrier ». Ben, moi chuis allé à la SPA, je me posais
des question : « bull-terrier ? » J’avais pas eu de bull-terrier depuis un an, c’était un peu fou
quoi. J’vais là-bas et tout, bon ben ils me disent que il y a Nitro qui est là, que le chien est à
mon nom, que ça fait une semaine qu’il est là et tout, et puis bon ben j’avais bien envie de
faire les choses en fait, je leur ai bien expliqué ce qu’il s’était passé avant et j’ai repris mon
chien pour 40 euros et je suis reparti de la SPA avec mon petit toutou. Voilà. Un an de
séparation pour se retrouver. Mais c’est une belle histoire, einh ! j’trouve, moi franchement
ce chien, chuis pas près de le laisser tomber, pour qu’on me le redonne un an après que je
l’ai acheté !Pff ! Voilà quoi.
IV.
Le garage de Nounours
Ben par rapport au garage il n’y a pas d’empreintes, on m’a volé pour plus de deux mille
euros de matériel, donc j’ai un peu mal aux fesses, surtout la vie de mon pote en fait parce
que c’état toutes ses affaires, quoi, il venait d’être mis à la rue, quoi, je l’ai aidé et il se fait
voler sa télé, sa vie, quoi, ses papiers, aussi, donc voilà et puis l’assurance veut pas me
rembourser quoi, bon ben tout dans les fesses, quoi, clairement dit…
Pourquoi elle veut pas rembourser l’assurance ?
Parce que le verrou a pas été assez fracturé en gros, y’a pas de trace de grosse effraction
donc forcément on peut pas, on peut pas, on peut pas, on peut pas me rembourser sachant
qu’il y a pas de grosse trace d’effraction. En gros si j’m’étais cassé ma serrure moi tout seul
je me serai fait rembourser quoi… si quelqu’un mécoute…
Nan mais sérieusement c’est ça einh, c’est carrément ça j’me trouve con quand l’assurance
m’a dit ça j’me suis dit j’aurai du prendre ma masse et aller péter le serrou…le verrou de
mon garae et aller faire constater après ! J’aurai été remboursé ! Deux mille euros c’est pas
rien. J’avais un VTT tout neuf que j’avais acheté 500 euros, j’m’en suis même pas servi, je
l’ai déjà plus entre les mains et je suis sûr de pas le retrouver einh ! Ca c’est sûr, alors là je
connais bien…
Donc tu t’es fait piquer pour 2000 euros. La dedans y’a quoi y’a le VTT…
Y’a le VTT, un casque de bécane, un bon casque, un casque Shark à 250 euros, , c’est pas
rien quand même, et puis il y a tout le matériel de mon pote, y’avait un clavier, enfin un
synthé professionnel, donc qui vaut pas, il vaut pas 2000 euros, il vaut plus, mais vu qu mon
pote est franc il l’a payé que 500 euros il l’a dit mais ça valait beaucoup d’argent… Une télé
et un magnétoscope, un ampli, un lecteur cassette, un lecteur cd, une télé, un lecteur divix,
y’avait quoi encoire, y’avait…pff… je pourrai pas tout te citer parce que voilà quand
t’entrepose dans un garage tu te rappelle pas de tout tout tout ce que t’as mais voilà y’a
beaucoup de matos qui est parti. Toutes mes enceintes, parce que mes voisins m’ont interdit
de mettre la musique chez moi trop trop fort j’ai enlevé euh…J’avais un boomer, deux fois
150, on me l’a enlevé, j’avais deux petites baffles qui traînaient par ci par là qui ont un pu
de watt on me les a volé aussi parce que j’ai du les enlever, et vu que moi j’ai que trente
mètres carrés je vais pas entreposer toutes mes affaires chez moi non plus, donc voilà. (tire
une drôle de tête)
C’est toujours pas clair pour moi pourquoi c’est toi qui dois payer les affaires de ton pote…
Mais parce que moi je suis honnête et que lui il l’est pas ! Simplement ! Et peut être que plus
tard je réfléchirai sur euh comme j’tai dit des amis on en a pas… Faut voir sur le temps, c’est
le temps qui te dit les choses en fait, puis le vécu aussi, il y a des faits qui se passent dans une
vie, donc par rapport à ces faits tu vois comment la personne elle réagit avec toi et à partir de
là ben tu sais placer ton amitié correctement parce que tu vois comment il réagit… Par
exemple là c’est pas vraiment un ami parce qu’apparemment c’est moi qui l’ait aidé parce
qu’il était dans la merde et je me retrouve en train de le rembourser donc euh… j’vois pas
comment on peut appeler ça un ami, avant ouais, avant ce fait p’tet qu’il y avait plus
d’amitié, maintenant j’vois le vrai côté de la personne, tu vois, le temps dit les choses comme
je dis…voilà quoi. C’est vrai que c’est un peu chaud de se retrouver, en même temps
j’aimerais pas me faire prendre mes affaires sachant que j’ai plus rien déjà, j’ai plus
d’appart j’suis à la rue, y m’reste plus que ça, ça va peut être me servir pour manger si j’y
vend miette par miette, enfin voilà je le comprend aussi, je me met à sa place… Après c’est
vrai que quand tu aides et que tu te retrouves endetté parce que tu as aidé, et qu’en plus tu
t’es fait cambrioler, bon, c’est un peu dur à digérer. Mais je prends sur moi ! La vie elle est
dure, j’men cache pas, j’le sais d’avance, enfin je le sais depuis bien longtemps, donc et
puis ben j’avance comme ça, c’est comme si j’avais un dos d’âne ,j’arrive en voiture
j’freine j’le passe, sauf que dans la vie c’est un peu plus long… On y arrive toujours petit à
petit einh !
(peut être une bonne introduction)
V.
L’école
Tu fais de la dyslexie ?
Ouais
Mais la dyslexie c’est quand tu lis
Nan mais dans ma bouche moi j’en fait. Ca veut dire que je vais te dire un mot, j’vais penser
un autre mot.
Ah bon ?
Ouais, y’a des moments j’fais ça ouais, mais sans m’en rendre compte, hein ! Des fois mes
potes, mais comment ils se foutent de ma gueule, mais un truc de fou..
Ah parce que tu dois dire des trucs énormes…
Nan mais parce que j’essaye de trouver un mot qui est plus français que ce que j’connais,
que j’ai déjà entendu, et puis en fait je le place mal…tu vois il a rien à faire dans ce
contexte là. Tu vois ce que je veux dire… J’saurai pas attends te prendre un exemple…
Ouais trouve moi un exemple parce que je sens qu’on va bien rire…
Un exemple euh.. je sais pas…Comment on pourrait… pff… j’sais pas…Bah en gros
pfou… Un gros mot français que j’connais mal et que j’sais pas me servir…Ben y’en a
plein mais… Tous d’ailleurs. Ouais mais j’pourrai pas te donner d’exemple là sur le vif je
sais pas j’arrive pas, ça vient pas.
Ca d’accord mais enfin ça laisse presque entendre que toi dans ta vie de tous les jours tu ne
parles pas le français…
Mais j’ai pas été à l’école ! Moi la Dass, moi en sixième, en fin de sixième einh ! moi
j’cassais la tête à tout le monde. C’est norml j’venais de perdre mon père. Donc voilà un
gamin de dix ans il peut as se faire insulter, son père, dans la cour de récréation, en classe,
enfin j’étais blindé de médicaments quand même il faut le dire. J’me rappelle encore du
traitement c’était 32 gouttes d’eunolyptil, pourtant j’avais que dix ans. J’dormais en cours,
donc j’pouvais rien faire, quoi ! Résultat j’cassais tout et j’faisais pas d’cours, j’dormais,
donc voilà, et après ma sixième j’ai pas eu la chance… qu’on me redonne ma chance à
l’école, quoi ! Avec un peu de temps… Moi on m’a enlevé de la scolarité. On m’a retiré,
voilà. Résultat je le paye maintenant, quoi, j’ai pas de diplôme, si moi avec moi-même
prend pas mes burnes en gros, hein ! et que j’me prend un stylo et que j’essaye d’écrire,
parce que c’est comme ça que j’peux écire maintenant, hein ! c’es comme ça que je sais
faire, c’est pas l’école, l’école j’vais te dire en sixième, après, elle t’oublies hein ! C’est moi
je me suis acheté des livres de vacances, scolaires, des trucs comme ça à faire, des
mathématiques, des trucs, voilà, parce que j’avais envie de me tester, de savoir qui j’étais,
ce que j’étais capable de faire, et à la Dass on va pas vous dire euh… tiens tu vas aller à
l’école… non non non non non non, voilà. Moi à partir de 11 ans j’étais plus à l’école. J’ai
pas eu c’te chance là parce que pour moi c’est une chance, de pouvoir aller à l’école.
Ouais ouais, chuis assez d’accord avec ça…
Parce qu’autrement ben on traîne dehors et puis on a un casier judiciaire et puis on fait
n’importe quoi de sa vie. Et on se plante. Et de toute façon, au bout d’un moment on ouvre
les yeux, de toutes les manières, si on est vraiment humain au fond de soi-même, quoi,
voilà, si on est pas fou, si on est pas malade, si on est normalement constitué dans sa tête il
y a un moment on s’en rend compte de ses erreurs, ça me fait même chier quoi, la preuve
quoi, on m’a cambriolé mon garage… Combien de fois j’ai cambriolé des garages, ben
suffit de vivre pour comprendre ben là j’ai vécu, j’comprends, avant j’braquais des garages,
j’l’avais pas vécu on me braquait rien à moi, c’est mi qui braquais, donc j’pouvais pas
comprendre, tout simplement, hein ! C’est ça hein ! Faut vivre pour savoir. Voilà. Avant
j’volais des VTT, j’me suis fait voler mon vélo, ça fait mal (fait doublon avec le
j’braquais des garages), tu payes, tu te déchires, ça fait mal.
La on peut dire que tu ne feras plus ni de VTT ni de garage…
Du VTT j’en referai !!! Mais le garage c’est clair que je vais l’abandonner le garage.
Faut dire aussi que j’volais pas par envie de voler, ou par envie de casser, ou par envie
d’enquiquiner les gens, quoi (air d’un môme) c’était l’envie d’un petit jeune qui a
envie d’être comme tout le monde, de ressembler à tout le monde quoi, qu’a envie d’être là
et de pas se sentir différent en fait. Parce qu’on me l’a tellement montré, on me ‘a tellement
fait ressentir, qu’en fin de compte, même avec un lacoste et des air max t’es différent,
malgré que tout le monde soit sappé pareil t’est différent. Toi t’a pas de famille, t’est le seul
qui va rester le week end dans le foyer, parce que les autres ils ont tous une famille, donc
voilà, ils ont des parents, voilà, y s’en vont. Voilà. Et toi t’es là t’es tout seul.
Et moi j’volais parce qu’à la Dass ben déjà d’une c’est très dur de concevoir ça, parce que,
à on âge, hein ! ben quand on sait qu’à Ste Foix les Lyon y’a un foyer qui s’appelle
Bergame, en fait le contrat de Bergame avec la Dass, c’est de placer un jeune qui est sorti
du chemin de la société, qui est plus là quoi, qui est vraiment très très loin, qui fait vraiment
n’impore quoi de sa vie et qui est capable de tout, en six mois, de le remettre dans les rangs
de la société et, enfin, de le remettre dans un foyer, et que ce mec il ait un avenir, qu’il ait
envie d’une formation, tout ça. Mais quand vous savez que ces gens, déjà la plupart des
mecs c’est des mecs de quartier, donc les éducateurs, donc autant y’en a qui ont de la
valeur autant y’en a qui en ont pas, einh ! Voilà ! Autant y’en a qui sont bien autant y’en a
qui font mal leur travail ! C’est y’a des cons de partout, hein ! Y’a des gens bien de partout
aussi. En gros ces gens là, comme c’était dans un cadre « on va le remettre droit dans son
chemin, c’était des droites, des bagarres avec les éducateurs, il tapaient les filles, on a vu un
jour Mohammed K. qui a tapé une balayette à une fille du foyer elle s’est tapé la tête contre le
mur elle s’est retrouvé avec une…comment ça s’appelle déjà là une minerve, quoi. Elle a
porté plainte et le directeur a dit que l’éducateur l’avait pas frappée, elle est tombée toute
seule ! C’est passé comme ça ! Et maintenant quand je vois les flics de Lyon 5e, que je leur en
reparle, ils me disent à ouais, Mohammed K. il tape les jeunes, maintenant eux ils s’en
rendent compte, parce que moi plusieurs fois quand je les ai croisés je leur disais, einh !
Mohammed K. il tape les jeunes, il tape les jeunes.
Et ils sont payés 15000 francs par mois pour me garder, pendant 6 mois, moi la tête de turc
de ce pays, quoi en gros, (ici l’aspect révolté prend de loin le dessus.
Ne pas reprendre le contact avec les flics qui relève du même
ordre), moi qui vais donner de l’argent, quoi, en fait. Ma présence c’est de l’argent.
Mon enfance c’est de l’argent. J’suis pas, enfin, j’étais pas un enfant, quoi en fait. J’étais
de l’argent. J’étais 7500 francs dans les autres foyers, à côté parce que c’était des foyers
qui valaient rien donc on peut pas les payer plus que ça, c’est des foyers de merde, et des
foyers il y a que des jeunes qui valent rien, en gros, et il y a des foyers de luxe où tu iras
jamais, moi je sais que j’ai vu des jeunes ils sortaient des foyers ils avaient 100 euros par
mois, dans la poche quoi. Moi, j’avais dix balles. Et pourtant on paye les foyers pour que
t’aies de l’argent, pour que t’aies des vêtements par exemple, ben vêtements kiloshop au
kilo ! Et puis quand tu sors dehors t’as honte d’être habillé comme t’es parce que t’es
jeune, déjà que t’as rien, t’as pas de famille, t’as pas d’amour, enfin t’as pas d’équilibre, en
fait, t’as pas l’équilibre d’une famille, de tout ce qui va autour, pour pouvoir te dire au pire
que les vêtements, c’est illusoires, donc tu te rabats comme je disais tout à l’heure
(attention à ça) sur du matériel, et encore aujourd’hui j’en suis là, donc j’allais
voler par rapport à ça, nécessité, donc du Lacoste, des Air Max, un vélo parce que quand tu
vois tout le monde faire du vélo et que t’es vingt cinq dans le foyer ils vont pas payer vingt
cinq vélos pour vingt cinq jeunes donc c’est clair que tu l’auras pas ton vélo. Ton scooter tu
peux l’oublier aussi. Et pourtant tout ça tu vois à côté de chez toi. Et si t’en as envie, tu
peux pas y avoir.
Si ça peut te rassurer un tout petit peu moi je crevais d’envie d’avoir un scooter et j’en ai
jamais eu non plus…
Moi c’est aussi parce que j’ai eu l’audace d’aller me servir !
Ouais c’est clair
Voilà ! Moi c’est clair que je les ai pas attendus, mais après voilà j’ai payé, quoi, j’ai payé.
J’suis passé treize fois en pénal, j’ai fait quand même du Vinatier, j’ai été trois ans suivi
par le Vinatier six mois attaché sur un litdans une chambre d’isolement avec camisole
chimique pendant trois ans, j’ai pesé cent trente kilos, c’était des anxiolitiques et tout ah
ouais ouais ouais ouais mais j’peux te montrer encore des trucs regarde… Les vergetures
là, les vergétures tout ça j’étais comme une femme enceinte j’ai explosé. Ma peau elle a fait
brrrr… Et il a fallu que je sorte de la rue pour oublier ce traitement, pour oublier ce
Vinatier, résultat j’ai jamais revu de médecin, j’suis très bien, on m’a jamais enfermé ou
quoi que ce soit !
VI.
Pavillon H
Et en gros je vais t’expliquer comment ça s’est passé donc euh j’étais dans une faille
d’accueil ça se passait vraiment mal, voilà, j’ai voulu partir, à pied, donc fuguer, c’est ce
qu’on appelle une fugue, einh, j’étais mineur donc j’avais quinze ans et en fait chuis parti
j’ai cassé la porte du garage. Voilà, j’ai fait sauté le verrou et tout, mais quelque chose de
correct einh. Ils ont pas apprécié et en fait ils avaient un fils qui était un peu grrrr… !
comme ça quoi, il a pas apprécié non plus. Donc il est venu me chercher cent mètres plus
loin que la maison quand j’étais en train de partir et il était plus vieux que moi, j’savais
qu’il faisait du karaté. J’étais sûr de moi mais j’avais un peu peur quand même, normal.
(un peu prétentieux). Et il arrive vers moi, il arrive en voiture, et vu qu’c’est la
campagne, moi ch’fait quoi, bon ben j’coupe par un champ, voilà, j’me dit il va pas me
suivre avec sa 4elle dans le champ. Il me suis pied, il arrive vers moi, il me met une
balayette. Je suis tombé à côt d’une pierre. J’me suis levé, j’ai pris la pierre je lui ai cassé
sur la tête. Donc je lui ai mis sept points de suture sur le crâne. Donc voilà, rien que là.
Pour un truc à deux balles einh ! Ca a commencé comme ça, ça s’est fini comme ça. Donc
après bon ben ça appelle les pompiers, la famille d’accueil ne voulait plus de mois,
immédiatement, dans les cinq secondes qui suivaient j’étais plus là bas, einh, c’était pas
possible autrement. Même pas on va essayer de comprendre pourquoi j’ai été là, même si
c’est grave, j’veux dire si on essaye pas de comprendre le jeune pourquoi il en arrive là il va
toujours recommencer sans jamais en fait comprendre lui-même quoi. Enfin c’est ce que
j’en pense einh ! Si on sait faire que critiquer critiquer critiquer critiquer le jeune il va pas
comprendre. Enfin moi je comprenais pas à l’époque. Donc j’ai vu mon assistante sociale,
Madame Chaudagne…
Ne donne pas de nom ce n’est pas la peine
OK donc mon assistante sociale de la Dass que j’ai au téléphone donc et qui me dit écoute
Christophe on va te mettre… on va appeler un taxi ambulance et tu vas aller en service
pédiatrie, donc, pour euh ben le temps qu’in trouve une place dans un foyer. Parce qu’en
fait voilà j’ai fait tellement de foyers que après c’était une habitude, les foyers ne
m’acceptaient pas, il fallait presque deux voire trois mois pour qu’on m’accepte dans un
foyer, pour en trouver un quoi, donc j’allais en service pédiatrie à l’hôpital.
Ce qui était normal pour moi ce qui est pas normal pour n’importe quel jeune à l’heure
actuel déjà qu’en j’en parle là maintenant ça me fait bizarre.
Mais moi ça me fait bizarre de t’en entendre parler aussi, ne t’inquiète pas.
J’attends le taxi ambulance donc, dans cette famille d’accueil, j’monte dans le taxi
ambulance, sans violence, sans faire de force ni rien,de mon plein gré quoi j’partais tant
pis bon ben voilà j’pars. Et on m’emmène à Grange Blanche, qui est donc le grand hôpital
central de Lyon, Pavillon H, service suicide, psychiatrie, en fin en fait hardcore, quoi. Moi
j’savais pas. J’suis rentré un peu innocent dans l’hôpital et j’ai vu des médecins qui m’ont
attrapé donc, qui m’ont dit écoute on va te mettre dans un box, tu vas attendre un petit peu,
on arrive dans le box, j’vois déjà qu’il y a pas de meuble, y’a rien, j’trouve ça un peu
bizarre quand même, j’suis vachement loin du couloir d’entrée, j’commençais à me méfier,
le mec il me dit déshabille toi. J’le regarde, j’lui fait attendez : j’ai pas besoin de me
déshabiller ! Il m’fait si !si ! Laisse moi tes vêtements et tout. J’lui fait à ce moment là est
ce que je peux garder mes cigarettes, si j’ouvre la fenêtre est ce que je peux fumer ? Pas de
problème, fume, mais déshabille toi. Donc je me retrouve dans un box. Le mec y prend mes
affaires et c’est pas, au moment où il ferme la porte, il me deux tours de clé ! Alors déjà rie
que là vous savez pas l’angoisse au fond de moi-même deux tours de clé sur la porte déjà là
t’es enfermé, t’es enfermé ! T’arrive de ton plein gré, tu fais pas de vague, rien,t’es gentil,
t’es calme t’est posé, bon t’as fait un acte mais voilà c’est un acte pas contrôlé sur un
moment de nerf quoi, une impulsion hein ? Une impulsion par une provocation je tiens à le
signaler, quand même parce que j’ai jamais tapé sur quelqu’un sans qu’il y est vraiment
une provocation ou même un coup porté sur moi, et à partir de là bon ben j’attends. Je
patiente, je fume des clopes, j’ai attendu cinq heures, cinq heures sans voir personne. Donc
déjà j’étais très très très très très énervé. J’étais déjà en comportement animal. Voilà. Une
fois que je suis très très énervé j’ai un comportement animal. Je suis capable de traverser
des murs, des portes, je suis un animal. J’deviens un bestiau. Je peux plus me contrôler,
c’est plus fort que moi, wouf, je fonce. J’réfléchis plus. Voilà. Faut que je sauve ma peau et
woum ! J’suis comme ça. Donc je frappe à la porte, je vois des médecins, par rapport au
petit carré, j’suis comme ça (il fait le petit carré), j’suis comme ça là, et j’vois des médecins
passer, passer, et ils me disent 5 minutes, 5 minutes… J’ai attendu encore une heure parce
que je comptais, dans ma tête, hein ! les minutes, hein ! J’étais obligé j’avais pas de
montre ! Fallait bien que je me règle dans les heures, quoi, savoir depuis combien de temps
ça faisait que j’étais là ! Et puis au bout d’un moment bon ben ça répondait plus alors j’me
suis mis vers la fenêtre et j’ai commencé à prendre de l’élan, de plus en plus, et à défoncer
la porte ! C’est des portes d’hôpital psychiatrique ça se défonce pas comme ça, voilà, et ils
sont arrivés avec six golgoths, un lit, des lianes pour m’attacher, et une seringue. Alors moi
c’était vraiment la première fois quoi donc j’ai eu très peur de ce contact là donc ça m’a
pfuit… voilà je suis redescendu d’un coup là ! C’était plus l’animal. J’ai ressenti le besoin
de me protéger, encore, plus ! Donc de faire le sens inverse que j’ai fait. De me calmer et de
leur montrer que ça ne servait à rien d’aller à ce niveau là. Et en fin de compte bon ben ils
ont rien voulu comprendre. J’me suis mis dans un angle par terre, de la salle, donc, du box,
ils sont arrivés, je leur ai dit c’est bon je me calme et tout je veux pas être attaché, j’veux
pas que vous me mettiez ce produit dans les fesses quoi, et euh ben ils en avaient rien à
foutre. Ils m’ont attrapé, à six, ils m’ont écarté les jambes, tac tac, ils m’ont posé sur le lit,
ils m’ont attaché, donc attaché déjà ça… voilà y’a pas de mot pour dire ce que ça peut être
quoi et euh ils m’ont fait une injection j’pourrais pas citer le médicament et je me suis
endormi mais cash au cash, hein ! Je veux dire ça a pas mis trois secondes. Voilà. J’me
suis réveillé bon ben dans une chambre d’isolement. Voilà. Deux portes euh… enfin une
porte, un petit couloir une autre porte, attaché sur un lit, donc, j’avais un scratch là, un
scratch là, un scratch là et un aimant là. J’me rappellerai, je me rappelle bien parce qu’en
fait si vous voulez c’est des scratchs, en fait c’était trois bandes l’une sur l’autre en scratch,
donc j’ai pu y attraper avec mes dents, une fois que j’avais détaché une j’ai détaché l’autre,
j’ai détaché le pied, et y avait l’aimant qu j’ai pas pu détacher. Je suis resté une semaine
attaché sur le lit, attaché au pied. Avec mon poste, à écouter Skyrock, parce qu’ils me
laissaient faire quand même, ils entendaient rien à mon avis parce que je mettais la
musique à fond mais ça devait être vachement insonorisé leur truc ils ne devaient rien
entendre. Et en fait mon lit était comme ça, en fait y’avait la porte de la salle de bain pile
poil en face, si je la rabattais ça cachait la vue, sur la petite fenêtre où ils pouvaient me
voir, y’avait une aération dans la salle de bain. En fait ce que je faisais c’est quoi ? J’me
roulais mes clopes, j’avais du tabac à rouler en fait au fond de mon sac pour pas que les
éducateurs y trouvent, ou bref, et en fait je m’allumais mes clopes, je fumais, avec la
ventilation de la salle de bain ça s’aérait, une porte pour me cacher, tout le temps le pied
tiré, voilà quoi. Un peu à la Mc Giver. Et puis après bon ben j’suis resté une semaine là-bas
dedans donc sans sortir hein ! Attaché toujours dans le même lit avec les mêmes vêtements,
sans me laver, faut dire ce qui est quoi, hein, juste quand j’avais envie d’aller aux toilettes
on me laissait y aller vite fait quoi tu vois, surveillé et tout, c'est-à-dire on te regarde, chier,
quoi, en gros, quoi, un peu… on te rabaisse ! Et puis une semaine après y’a ma tutrice quoi
en gros qui est venue, donc, voilà, qui est venue me chercher, qui m’a dit écoute on sort, on
va aller au Vinatier. Alors j’lui fais… J’suis déjà à l’hôpital qu’est ce que j’ai besoin
d’aller au Vinatier ! Moi j’aimais bien comprendre les gens ! En fait j’vivais tout le temps
en gros, j’écoutais les autres, j’essayais et a dernier moment, ça me plaisait pas, pfiou !
Tchao ! Mais fallait que j’aille voir. Fallait pas que je trompe moi en fait. J’aimais pas être
dans l’erreur, donc j’la suis. Voilà. J’suis libre on fait cent mètres, ca fait une semaine que
je suis attaché, je fais cent mètres avec elle j’essaye pas de me sauver. J’rentre au Vinatier.
Parce qu’il y a vraiment cent mètres à faire, c’est à côté.
Le pavillon H et …
En fait t’as le pavillon H, bon p’tet pas 100 mètres, t’as pt’tet un bon p’tit kilomètre mais
c’est vraiment assez proche, j’aurais voulu me sauver je me serais sauver et on aurait plus
entendu parler de ça.
VII.
Vinatier
Et euh donc eh ben on attend on attend on attend on attend et arriv vers neuf heures du
soir donc on prend un rendez-vous, sachant que je suis arrivé en début d’après-midi ça
devait être deux heures. Donc j’ai attendu toute la journée dans la salle d’attente et le
psychiatre me reçoit, donc je pars en rendez vous seul à seul avec lui. Onc je pars, il me
demande mes angoisses, pourquoi je suis enervé, tac tac, ben je lui explique, moi j’ai perdu
mes parents, tac tac, je me sens pas trè peu mal dans ma peau je me sens un peu seul parce
que j’ai pas ma famille, j’ai pas spécialement d’amis, je suis pas spécialement aimé par les
gens du foyer et moi j’avais besoin de beaucoup d’amour comme n’importe quel enfant on
a besoin d’amour, voilà, et j’parle avec lui et il m’analyse, quoi, il me pose plusieurs
questions pour voir si je suis vraiment dangereux dehors ou pas et il me parle de cet acte de
violence donc que j’ai fait sur le fils de la famille d’accueil qui est un fait très grave, quoi,
c’était grave, et il me demande pourquoi ? Je lui dis écoutez moi y a un monsieur de 25 ans
qui vient et qui me tape une balayette dans un champ j’ai eu peur j’ai fait quoi ? J’ai voulu
me défendre, j’ai pris le seul défense que j’avais c’était de prendre une pierre, par réflexze
j’ai tapé avec ! Pour m’défendre. Et puis là on sort du bureau donc, on retourne à la salle
d’attente et là d’un coup d’un seul le psychiatre regarde, enfin moi déjà j’arrive avec le
sourire parce que en sortant du bureau il me fait « t’as rien à foutre ici » donc déjà rien
que là la fierté, mais vous imaginez même pas, moi qui arrêtais pas de crier au monde
entier que je suis normal, le psychiatre du Vinatier c'est-à-dire le truc… chez les fous, quoi,
hein ! Pour dire clairement, le fou, chez les fous le psychiatre il veut pas de moi donc je
suis pas fou ! Ca me rassure, je suis libéré, je reprend confiance en moi, enfin d’un coup
t’sais j’éclaire quoi, j’me dis « ah c’te semaine que j’ai passée j’en repasserai plus d’autre,
j’suis pas fou ». Et là on arrive dans la salle d’attente donc et on va voir ma tutrice et tout et
devant moi il lui dit bon ben écoutez euh… C’jeune homme certes il a des problèmes de
nerf il est nerveux, c’est clair, il faudra gérer ça, il y a pas besoin de l’enfermer pour ça
non plus, il est pas fou, donc il se contrôle, après des fois c’est juste par rapport à des
situations où il arrive pas à se controler ; ou à gérer ses émotions non plus, doc il va aller
un peu trop loin, mais c’est pas dans des faits trop trop graves non plus. Et là on entend ma
tutrice légale alors là jamais j’avais entendu ça de ma vie, quoi, le truc le plus dégueulasse
d’ailleurs j’crois que j’ai entendu de ma vie, c’est : « Mais ce jeune homme on a plus de
place pour lui en foyer, c’est neuf heures du soir, qu’est ce que je vais en foutre ? Je vais
quand même pas le ramener chez moi. » Alors là, enfant ou pas, mais on entend ça, alors là
on s’dit qu’on a de la valeur pour personne. J’veux dire autant être tout seul dans la rue
c’est pareil. On comprend pas à ce moment là pourquoi ces gens là ils sont payés pour faire
leur travail lorsqu’ils le font pas.
T’avais quel âge à ce moment là ?
J’devais avoir euh… Vinatier ouais j’devais commencer mes 15 ans, voilà.
Donc par rapport à ça le psychiatre répond qu’il peut pas me garder, que c’est pas possible,
que de toute façon ici c’est pas un hôtel ni un foyer ni quoi que ce soit, là ça part sur « est
ce que vous pouvez nous le garder deux trois jours, histoire qu’on puisse trouver une
place ». Mais pas enfermé, hein ! Ni attaché ni rien dans une chambre. Ce qui s’est passé.
Alors arrivez à comprendre, vous sortez de Grange Blanche, ça fait une semaine que vous
êtes enfermé vous dites rien, vous vous plaignez pas. Vous êtes là vous vivez comme tout le
monde, mais vous êtes enfermé attaché quand même, vous êtes un enfant, c’est quand
même grave, et là vous sortez, vous faites confiance, vous avez cent mètres à faire vous
auriez pu partir, enfin moi j’aurais pu partir, j’aurais pu fuguer… à ce moment je faisais
ce que je veux, c’est pas ma tutrice qui aurait pu me retenir et j’pars pleine confiance et je
me retrouve enfermé au Vinatier, sans être attaché, mais dans une chambre au Vinatier
quoi, là ou j’avais rien à foutre quoi là où c’était pas ma place.
Première journée, très difficile, mais vraiment très très difficile, j’ai pris beaucoup sur moi,
j’étais beaucoup seul parce que je déprimais, j’me disais que tout le monde s’en foutais de
moi, personne s’intéressais à moi, je valais rien ! J’étais rien, voilà. On pouvait faire ce
qu’on voulait de moi, ou pouvait me mettre là là là là j’étais un pion. Voilà. Jeu d’échecs
j’suis un pion. Voilà on me déplace comme on veut, on fait ce qu’on veut de moi. Voilà.
Alors… Donc j’disais je prend sur moi tac tac, c’était très dur et le deuxième jour je
commencçais déjà à réfléchir, à me monter des plans ! A essayer de voir comment partir,
quelle porte peut s’ouvrir, bref, et j’me rend vite compte que c’est pas la prison mais c’est
l’hôpital psychiatrique donc c’est tout comme : c’est surveillé, les portes sont fermées, voilà
si y’a personne qui ouvre la porte avec sa clé tu pourras pas passer. Voilà, donc je trouve
pas d’astuce à m’enfuir quoi. Et donc j’me dis que peut être le seul moyen qu’il y a c’est de
sortir avec des docteurs dehors, leur demander gentiment de m’accompagner à fumer une
clope, et en fait si vous voulez y’a le Vinatier le centre de l’Huma il est là, et en fait un peu
plus loin cent mètres plus loin y’a un rond point et y’a le bus qui passe, donc le 28 donc
autant y va… enfin bref, le 28 et en gros j’me dis que c’est p’tet une solution, je sors,
j’attends que le bus y tape… y finit le rond point pour s’arrêter à l’arrêt de bus j’me met à
courir et puis… voilà on va essayer. Donc je me monte ce projet là. Donc euh ce projet… Je
vais voir euh… En fait j’ai guetté le service, le changement de service donc je savais très
bien que entre midi et quatorze heures les nouvelles personnes qui étaient là elles venaient
de chez eux, elles avaient bien mangé, elles s’étaient bien reposées elles étaient pas
fatiguées. C’était pas ceux qui avaient fait le service de la nuit qui pouvaient me dire « nan,
écoute, on est crevés ce que j’aurai pu comprendre aussi donc je me dis eux ils arrivent ils
sont frais, tac tac, ils viennent juste de commencer à travailler, logiquement ils vont pas me
dire non pour aller fumer une clope dehors. J’y vais et tout, ils m’disent à nan nan y’a pas
possible tu vas pas aller fumer ta clope dehors on a pas le temps de s’occuper de toi.
J’prends ma clpe et je vais la fumer dans la salle télé. Voilà. Et la, je commence à ruminer.
Et c’est là où c’est mauvais pour moi quand je commence à ruminer je vais aller trop loin.
Et je suis allé trop loin. Le troisième jour, j’ai tapé le bordel, y’a trois médecins qui sont
arrivés avec des gens, donc, pour m’attacher et là j’ai pris une table et j’ai tapé dans la tête
des médecins. Et là, c’est six mois attaché sur un lit, camisole chimique, trois ans suivi par
le vinatier. Voilà. Et la moindre petite connerie que j’faisais au foyer, on appelait les
pompiers, on appelait les flics, un médecin pour faire une ordonnance pour que je sois
interné au Vinatier, et on me chopait, on m’enfermait. C’était la facilité. C'est-à-dire que
les éducateurs… quelque soit hein ! j’avais plus rien le droit faire. C’était euh ah ouais ?
Tu veux faire comme ça ? Attends on appelle le Vinatier. Vous voyez ? Moyen de pression !
Pour tout ! Tout ce que je faisais, le moindre petit truc, j’avais plus le droit de répondre, en
gros. J’avais plus le droit de rien faire. J’étais serré. Vu que moi c’était pas dans mon
naturel de fermer ma gueule, j’continuais tout le temps à l’ouvrir donc tout le temps aller
au Vinatier. Voilà. Jusqu'à ce que ça explose, quoi. Bon, j’ai fait deux trois belles
conneries entre temps. Par rapport à ça, c’était des faits par rapport à ce qu’on m’a donné
hein ! C’est pas moi qui ai choisi, hein ? Moi j’ai fait avec ce qu’on m’a donné sur le
moment. Donc après, ben j’ai déliré, voilà. Et j’ai eu quand même 100mg de Fuanksol qui
est un neuroleptique, un neuroleptique ou un anxioleptique ? Je sais même plus…
Oh moi je ne saurais pas te dire…
Je crois que c’est un anxio… Je suis pas sûr… bref, qui développe à forte dose sur quelqu’un
de très très jeune, sur la longue durée qui peut développer un cancer, en général la plupart des
médecins ils veulent pas s’en servir justement parce que ça peut développer des cancers, on
est d’accord, donc déjà on a utilisé un produit chez moi qui peut développer un cancer plus
tard, donc voilà je suis pas spécialement ravi d’apprendre ça aussi et puis y’ eu un psychiatre
en fait à Montbrison que j’ai toujours aimé, en fait c’est un nain, voilà, et qui est reconnu en
fait comme psychiatre professionnel, et qui est même demandé sur des enquêtes aux tribunaux
en fait, pour expertiser en fait, qui est quelqu’un de très reconnu par rapport à cette société. Et
quand il m’a eu dans son bureau et qu’il a vu que j’étais à 100 mg de Fianksol, vous savez ce
qu’il m’a répondu ? C’est pas possible. C’est impossible que sur un gamin de ton… de mon
âge on ai pu mettre autant de produit dans mon corps une fois par semaine, parce que c’est
quand même une injection une fois par semaine, donc toutes les semaines une piqûre dans les
fesses, et que, en fait c’est pas possible, c’est irréalisable quoi. En fait ce qu’on m’a donné
c’est la dose pour un mec de 20 ans. Voilà pourquoi j’ai grossi autant en fait. Voilà quoi. Ce
qu’on m’a donné ce n’était pas adapté pour moi, pas pour mon âge, ni pour ma maladie en
plus… Parce que j’ai été reconnu nerveux dépressif, si il y avait une maladie qui a été
reconnue c’était ça. Mais ce produit était pas adapté pour euh ce niveau là quoi ! C’était
vraiment une camisole chimique, quoi ! C’était une camisole chimique ce qu’on m’a donné.
Résultat du jour au lendemain, avec ce psychiatre, pour dire les choses clairement, parce que,
c’est un fait hein ! Il m’a mis 20mg de Fuanksol ; c’était la dose normale pour un gamin de
mon âge. Voilà. Et entre temps j’ai eu des effets secondaires… donc qui sont toute la
réplique… Ce produit si vous voulez il développe des effets secondaires, et en fait ça… ça…
comment dire ? On a exactement les mêmes symptômes qu’une crise d’épilepsie, voilà. Ce
produit avec ses effets secondaires il développe une crise… Dès que vous avez un peu de
stress un peu d’angoisse vous bougez un peu trop bing ! vous faites une crise comme une
crise d’épilepsie. C’est pas une crise d’épilepsie mais c’est tous les symptômes ; les nerfs qui
se bloquent, la machoire, vous vous mordez la langue la joue, voilà. J’ai été au Vinatier
plusieurs fois en leur demandant si c’était pas leurs médicaments ils m’ont jamais répondu,
ils ont jamais dit que c’était leurs médicaments, il a fallu que j’demande, j’avais un ami qui
est pompier, qui était pompier donc euh je lui ai demandé de venir me chercher un jour
dans une cabine où j’ai senti venir la crise. C’était trois mois après, einh, parce qu’on m’a
quand même laissé trois mois en faisant des crises fréquemment hein, sans se soucier de ce
que c’était ou quoi que ce soit, j’veux dire des fois j’tombais (il mime une crise) grrrr…
comme ça et tout, enfin c’est grave pour moi je vois quelqu’un faire ça je lui saute dessus
j’essaye de l’aider, eux limite au bout d’un moment ils me mettaient un gat de toilette dans
la bouche histoire que je me bouffe pas la langue et tout, et puis on s’en battait les couilles
il fait sa crise on le ramène dans sa chambre, on le laisse. Voilà.
Et là t’avais quinze ans encore ?
Ouais ouais exactement, c’était le début du traitement, voilà quoi. Et puis après mon ami
est venu me chercher donc j’étais dans une cabine publique téléphonique à St Rambert, en
train de faire une crise, hein, quand même, il faut le dire, je suis un jeune de foyer, j’ai
quinze ans et demi à peu près là, vu que j’ai fait six mois attachés, je fais des crises, enfin
voilà, je suis seul, je suis dans une cabine téléphonique ça fait trois mois que ça dure on
s’en soucie pas, voilà quoi je fais des crises, c’est dangereux, ça peut être dangereux pour
moi, voilà si je fais ça au milieu de la route je me fais renverser, ça peut arriver, je peux
tomber dans les escaliers, mon ami vient me chercher et il me ramène… à Grange Blanche,
dans un autre pavillon. Et là je tombe sur un médecin qui me dit « écoutez moi je sais très
bien ce que c’est, votre traitement il y a des effets secondaires, il faut que vous preniez du
Lepticure qui est un contre effets secondaire de ce produit. Donc voilà, à forte dose hein !
Parce que ça a des effets secondaires que sur forte dose, donc voilà. Donc à partir de là
donc j’ai arrêté les crises, par rapport au médicament, ce qui a duré jusqu’à mes dix huit
ans, on m’a mis du médicament. Toutes les semaines pendant trois ans donc on peut
compter, une piqûre dans les fesses. Voilà.
VIII.
La maman de Nounous
A mon avis pour qu’on comprenne bien si c’est chronologique ce serait quand même plus
simple donc si tu dis quand j’avais deux ans et demi ma mère s’est suicidée et ensuite
J’cite pas la manière ou…
Mais tu dis ce que tu veux. Ce qui te semble important… Toi ça semble t’avoir beaucoup
marqué le fait que c’ait été avec un pistolet eh bien
Ben c’est normal j’pense… Ca marquerait un peu tout le monde… C’est pas personne qui
se tire une balle dans la tête, c’est vraiment un geste… wouh ! Tu dois avoir beaucoup de
souffrance, tu dois avoir beaucoup de haine, tu dois plus être maître de toi-même… Ah la
fois j’essaye de la comprendre, c’est hardcore ! Après je sais qu’elle a fait huit ans
d’hôpital psychiatrique donc vu que je sais ce que sais… Et je sais ce que sais six mois
attaché sur un lit un an enfermé quoi tu vois ! Après le reste bon moi j’étais libre j’ai fait
que des passages, j’savais que j’allais sortir mais… huit ans, ça doit être huit ans d’enfer,
pas huit ans de paradis… Donc voilà ça je sais.
Enfin bref. Parce que vois pas trop le départ comment je pourrais parler de ma mère,
simplement tu vois, parler du départ, de la mort…
Qu’est ce que tu sais de ta mère… enfin… commence par ça ! une fois que t’auras dit ça et
qu’on en arrivera au moment où elle disparaît de ta vie eh ben tu passes…
Mais moi je connais rien, j’étais bébé. Moi y a personne qui m’a parlé de a mère,
clairement dit, j’en sais rien, qui elle était, son nom, son nom de famille, enfin si je sais
qu’elle s’appelle Fabienne mais… Son nom de famille je l’ai au cimetière mais J’sais pas
j’ai jamais vraiment regardé en fait… Ca fait peur ! Y a des trucs qui m’font peur, normal,
tu connais pas, tu sais pas ce qui y a derrière, si c’est pour que les gens ils aillent critiquer
salir comme on l’a fait un peu avec mon père, tu vois j’crois que ça vaut pas trop l’intêret
que j’aille chercher, tu vois, sachant que dans mon cœur maintenant ils sont beaux, j’sais
pas pour moi ils sont... Ils vivent ! Ils vivent à travers moi en fait. Voilà ! Ce qu’ils ont pas
pu vivre là parce qu’ils sont morts, c’est moi je leur fais croquer la vie. Avec moi. Je les ai
avec moi, je les trimballe. Nan mais c’est ça hien ! Le cimetière pour moi ça a pas grande
importance, ça a de l’importance pour quoi, parce que c’est le lieu où soit-disant mes
parents sont enterrés, mais autrement il y a plus rien dans la tombe, je creuse y’a plus…
pff ! presque plus que de la terre tu vois, voilà je sais très bien ce qu’il en est quoi. Juste,
voilà à la base c’est chrétien, je suis pas chrétien donc je peux pas… j’peux pas dire que le
cimetière ouais à moi ça m’aide à me recueillir ou j’sais pas quoi c’est pas vrai… Si je veux
me recueillir je me recueilli dans mon cœur dans mes souvenirs et… j’me recueilli
correctement quoi, je ferme les yeux je me mets des images de mon père en train de sourire,
volà, là je me recueilli, là je vis. C’est vivant, tu vois ?
Bon, alors on va commencer avec ma mère.
Ouais, je crois que là t’as déjà bien commencé…
Ouais, ben ben comment j’ai appris la mort de ma mère, en fait, simplement, voilà, ben
j’étais en famille d’accueil, j’avais euh… six ans, je crois, donc j’ai une sœur donc mon
père il nous a récupéré pour un week end parce qu’il avait une permission pour nous
prendre en week end, parce qu’il fallait qu’il demande à un juge des enfants pour pouvoir
nous récupérer en fait le week end, parce qu’il avait pas de papier, ça voulait dire qu’il
pouvait pas, et en gros ben il nous emmène au parc de Paris, donc je sais pas si tu connais,
c’est vers Mermoz, Lyon, c’est à côté en fait, c’et un parc, un petit parc naturel, et en gros il
nous emmène là-bas, il nous fait asseoir sur le banc et puis euh bon en gros ce qu’il nous
avait dit pendant des années quoi, quand on était bébés pour nous protéger c’est que notre
mère avait fait un grand voyage, qu’elle était partie en train et qu’elle allait revenir. Et ce
jour là je sais pas bon ben il a eu un déclic, une révélation, bon ben il fallait arrêter de
mentir et ce jour là il nous a dit comme ça : ben votre mère elle est pas partie en voyage,
elle reviendra pas, votre mère elle est là bas en haut dans le ciel, elle vous regarde, elle est
fière de vous, mais elle est plus là, elle est partie. Voilà. Elle fait partie des étoiles. J’m’en
rappellerai toujours, parce que c’était beau quand même. C’était pas euh… woin ! tu vois ?
Puis après avec les années j’ai su que ma mère s’était tiré une balle dans la tête à Vaulxen-Velin Mas du Taureau, donc…
C’est quoi, Vaulx en Velin quoi ?
Mas du Taureau c’est un quartier, c’est un quartier à Lyon.
Elle habitait là bas.
Mon père c’était une très très basse classe sociale à l’époque, c’était des gens qui avaient
pas une thune, quoi, mon père et ma mère c’était des pauvres quoi en gros, clairement dit,
c’était pas des gens… Rothschild, quoi ! Donc et… J’ai su avec les années que ma mère
s’était tiré une balle dans la tête avec le magnum de mon père en fait, et dans mes souvenirs
ce qui me touchera toujours c’est que le jour où elle s’est tiré une balle dans la tête je
comprend pas, j’ai pas de point pour me dire, j’ai plus mon père pour qu’il me dise si c’est
encres lui qu’elle a fait ça ou si elle l’a fait elle avec ses problèmes personnels, mais en fait
mon père s’était inscrit dans la police, parce que en fait c’était tout le début, lui y cherchait
du travail, il voulait de l’argent pour sa famille… deux bébés, une femme, t’habites dans un
quartier pourri… Tu veux donner à manger à ta famille… Il était près à faire n’importe
quoi. Quand je dis n’importe quoi c’était n’importe quoi. N’importe quel travail il aurait
fait pour nourrir sa famille. Et il avait décidé de s’inscrire dans la police. Il avait passé le
concours, et il l’avait réussi. Le jour en fait où ma mère s’est tiré une balle dans la tête il
était parti en fait pour se faire mesurer, parce qu’en fait il manquait plus que la taille dans
son dossier pour être accepté ou pas en fait. Quand il est revenu bon ben ma mère était
allongée sur le lit de sa chambre, à ce qu’on m’a dit parce que j’ai pas vu, donc, et elle
s’était tiré une balle dans la tête, donc, avec le pistolet de mon père. Donc suite à ça mon
père a perdu ma garde, la garde de ma sœur et on a été placé en fait à côté de l’aéroport,
Lyon St-Exupéry, c’est ça ouais, St Ex, et donc j’ai été placé dans une famille d’accueil à
mes trois ans. Donc j’étais encore bébé, moi, ma sœur était un peu plus vieille donc elle
comprenait un peu mieux les choses et c’te famille d’accueil en fait, enfin à mon regret,
hein ! Parce que j’ai que des regrets… Je vais plus les voir, je les aime pas, je les ai jamais
aimé d’ailleurs, j’les remercie de m’avoir donné à manger, enfin voilà, le minimum pour
moi quoi et ces gens là en fait c’était une famille d’accueil qui a eu 9 enfants dont huit fils
et une fille. Quand on est arrivés donc ils étaient tous adultes. Et leur fille déjà habitait plus
là bas. Ils ont eu ma sœur, c’était une princesse. Moi j’étais le mec, j’étais la mule à l’école,
j’étais celui là à qui on tire les oreilles pour qu’il fasse ses devoirs, ma sœur passe sa
communion on lui offre une chaîne, une gourmette on m’offre une petite voiture en
plastique majorette. Voilà. Toujours mis de côté, à l’écart, différent, « t’es différent, t’es
différent », tout le temps, tout le temps cette image de différence, depuis ma plus tendre
enfance, tout le temps cette image de différence, mis à l’écart, on a toujours vraiment voulu
me porter c’t image que voilà : toi, t’es à côté. Donc j’ai grandi là bas, j’ai fait vite fait ma
scolarité, donc euh j’étais un peu un idiot, c’est clair que j’étais pas fort à l’école, c’était
vraiment pas mon truc quoi l’école, enfin déjà depuis que je suis tout petit quoi j’ai passé
mon CP, mon CE1, tout le reste c’était, en fait à la fin de l’année, on me donnait une
feuille et si tous les exercices je les réussissait j’avais 10 sur 10 je passais dans l’autre
classe. Voilà comment j’ai passé presque toutes mes classes. Faut le dire, c’est vraiment
quelque chose d’énorme quand même. C’était même pas on cherchait à faire voir que
j’avais du savoir, c’était histoire de dire que je passe dans l’autre classe. Voilà. « Allez 10
sur 10, au moins tu passes. On se cassera plus la tête avec toi ». En gros c’est ça. Pour moi
c’est cette image que j’en ai maintenant.
Moi j’ai jamais réussi à croire qu’il y a des gamins… bon il y en a qui ont vraiment de grosses
difficultés mais je pense qu’il y en a quand même très peu qui sont irrécupérables et je ne
peux pas croire que… ne serait ce qu’à voir comment tu t’exprimes aujourd’hui, à l’époque
c’était au-delà de tes capacités d’arriver à huit plus huit et du coup comment t’expliques
que… enfin t’avais aucun intérêt pour la chose ?
C’que j’pense c’est que ben justement d’être traité tout le temps mis à l’écart, tout le temps
d’être traité d’âne, t’es un idiot, tu fais tes devoirs t’es un idiot t’y arriveras jamais, tu te
modes à l’image que te donnent les autres… C’est eux qui te construisent, c’est pas toi, toit
tu prends les miettes d’exemple qui t’intéressent en face de toi. Tu vas avoir un braqueur de
banques si tu vis avec lui tu vas avoir envie de braquer des banques, même si t’es un bébé,
parce que tu l’as vu, parce que t’es fier… C’est ta fierté, c’est ton image, c’est la seule
image qu’on t’a collé devant les yeux, voilà, et je pense par rapport à ça étant enfant j’me
suis modelé par rapport à tout ce que j’entendais autour de moi et puis p’tit à petit ben je
suis devenu ça, quoi. Voilà quoi, simplement. Enfin je pense, sachant qu’en plus y’avait ma
sœur à côté, qui elle avait tout. Elle était pas critiquée. C’était une princesse, quoi, c’était,
y’avait pas mieux qu’elle sur c’te terre quoi en gros. C’était vraiment du à vivre quoi t’es…
très très dur. C’est ta sœur, elle a le même vécu que toi, elle a la même vie, elle a eu les
mêmes parents, très très très très dur à vivre, quoi. A concevoir aussi.
Moi j’ai eu un peu ce problème aussi, entre nous…
IX.
Le papa de Nounours
Et donc ouais à ma sortie de famille d’accueil quand mon père m’a repris à ma grande
surprise j’avais vu chez mon père à la clinique des Tonkins, donc ben joli appart par cntre
c’est vrai qu’on avait quand même un F5, c’est sympa, avec un balcon et tout, nan mais
c’est sympa ! C’est grand, il y a de l’espace, t’habites dans un quartier mais t’as quand
même un truc assez espacé quoi. Et donc j’arrive et mon père me présente : Une belle-mère
qui s’appelle Chantal, déjà rien que là y’avait un truc qui passait pas.
Avec le prénom ou quoi ?
Ah nan, depuis que j’étais en famille d’accueil il a déjà remplacé ma mère vous vous
rendez compte pour le gamin ? Enfin pour moi c’était traumatisant. Déjà que j’ai pas eu
ma mère, il m’a pas eu moi et toi tu te prend quelqu’un d’autre dans ta vie.
Bon, il en avait jamais parlé avec toi mais je suppose qu’aujourd’hui…
Ah nan mais il en avait jamais parlé quoi. Il a fallu qu’il me reprenne dans sa vue pour me
parler qu’il avait une nouvelle femme, quoi. Et la deuxième grande surprise c’est que
j’avais un demi frère qui s’appelait exactement pareil que moi donc j’étais Christophe 2 il
était Christophe 1 et là c’était vraiment le calvaire, c’était invivable, c’était maisj’y croyais
même pas j’avais envie de repartir dans ma famille d’accueil en fait. J’avais pas envie de
vivre chez mon père. Voilà, quoi. Donc je suis arrivé à l’école Lacanal à l’école Lacanal à
la clinique des Tonkins, donc c’était juste en bas de mon immeuble c’était le seul point que
j’aimais bien. Donc j’me levais à huit heures moins cinq et à huit heures j’étais à l’école,
j’étais sûr de pas être en retard.
(même en envisageant une construction parcours
scolaire/racaille/HP/parents, veiller au paradigme du nom :
changement d’identité plus tard, présentation de Nounours au
début et ici, Christophe 2)
On faisait de l’escalade aussi c’était sympa, déjà j’suis à fond d’sport donc déjà tout petit
j’étais super content de faire de l’escalade, j’étais le premier à monter tout en haut du mur,
j’étais motivé quand même parce que je venais de retrouver mon père donc j’avais appris
le… en fait je revenais fort en cours. J’revenais fort en cours. J’revenais fort en cours en
gros quoi. J’reprenais confiance en moi, mon père était pas tout le temps en train de me
rabaisser donc j’étais super fort en anglais, j’avais que des huit, que des bonnes notes en
fait… voilà quoi. Comme quoi on va dire que le vécu, quand on mode un enfant, quoi
qu’on lui dise il va faire à peu près ce qu’on lui dit, le tracé derrière il va y être quoi. Et
donc on a vécu trois mauvaises années, mais alors trois très très mauvaises années, où les
conflits entre ma belle mère, ma sœur et moi étaient… en permanence, c’était tout le temps
tout le temps tout le temps, euh c’était une femme très très pervers, très méchante, euh tout
par derrière rien par devant, aucune franchise, que d’l’hypocrisie, qui nous a dit des trucs
pour nous blesser mais qui nous a détruit, comme, ben comme pas possible quoi, donc pour
citer deux trois exemples parce que je vais pas en faire une polémique d’état, quand on
rangeait pas notre chambre ce qui est normal classique pour des gamins quoi, ça prenait
des photos, ça les mettais en cadre, et dès qu’il y avait des invités on l’accrochait dans
l’entrée. Voilà. Pour montrer comme on était des crados. Voilà. Déjà rien que là. Après ça
incitait mon père qui était un très très violent, qui était quelqu’un de très très très violent,
mais quelque chose d’impressionant. Je l’ai vu casser une bouteille dans sa main à
s’énerver. La bouteille, explosée, j’ai jamais revu ça. Une grosse bouteille de vin, wouf !
T’sais comme si c’était un truc en plastique, wouf, ah ouais explosée la bouteille. Ah ouais
quelqu’un d’impressionant. Et qui a incité mon père donc à prendre un martinet, comme si
j’étais un chien quoi en gros, pour dresser ses enfants. Et troisième exemple elle a parlé
comme quoi et ça je saurai jamais la vérité parce que il y a que mon père qui aurait pu le
savoir, et puis d’ailleurs mon père ce jour là, enfin je pense qu’il y avait une partie de vérité
à travers ses mots à ma belle mère bon après même si je m’en cache, en gros elle a sorti un
papier qui justifie comme quoi ma mère c’était vraiment une pute, quoi, une prostituée.
Voilà. Qu’elle se prostituait, quoi. Là mon père je l’ai jamais vu autant énervé il a tout
défoncé dans l’appart. Même les murs. Tout était cassé, les fenêtres, les meubles, les lits,
tout, tout.
Et toi tu étais où à ce moment là ?
Ah on était là on était en train de manger, on était à table, on s’est embrouillé, c’est parti
comme ça d’une petite embrouille à deux balles comme ça se passe dans les familles en
général et puis elle pour se venger… toute façon ta femme c’était une parce qu’en fait en
gros mon père l’a reis à sa place, on était ses enfants quoi, falait pas non plus trop nous
détruire non plus quoi, il nous a jamais eu, c’était les enfants de son ancienne femme, voilà
il protège ! Et à partir de là bon ben, là à partir de c’te phrase mon père il voulait plus faire
sa vie avec elle. Et il avait fait une grosse erreur c’est d’avoir tout mis à son nom. Machine
à laver, lit, tout, tout, l’appart, ce qui fait qu’elle nous a mis à la rue, qu’on est partis en
BX, c’est tout ce que mon père avait, un matelas, une BX et ses deux enfants. Et on est
partis de clinique des Tonkins en lui laissant l’appart. Madame ça faisait six ans qu’elle
travaillait pas qu’elle créchait sur le dos de mon père et donc on a déménagé, on atterrit à,
parce que quand on travaille à la Courlie on vous loue des apparts spéciaux en fait la
Courlie achte des apparts qu’ils louent à leurs employés donc on a trouvé un semblant
d’appart à … c’était boulevard des Etats-Unis, donc c’est à Lyon toujours pareil, dans Lyon
8e. Donc quartier, toujours pareil, premier jour je faisais du skate dehors il a fallu que j’me
tape contre les petits jeunes du quartier parce qu’autrement je me faisais chourer mon
skate, quartier quoi, vraiment le truc… voilà.
Après t’as été accepté ? Une fois que t’avais cassé la tête à…
Ouais t’es accepté parce que t’es violent tout le temps, parce que le seul repect que t’as dans
le quartier c’est de montrer que t’as les plus grosses don à partir de là si tu te dégonfles une
fois c’est fini ils vont tous te sauter dessus, c’est comme ça, que ça se passe. Que t’es gamin
ou pas, j’ai planté un mec euh… un exemple, un pote à moi Bilel donc du quartier
boulevard des Etats-Unis quand j’étais petit, il demande un ballon Nike à un pote à lui, en
fait à un des grands frères, à un des potes de son grand frère en fait. Le mec gentiment il
lui prête son ballon Nike, on l’a crevé. On est des enfants, voilà. Ils arrivent à trois ils
veulent nous casser la tête, je suis monté chez moi, j’ai pris un couteau, juste au moment où
il a avancé sa main je lui ai planté le couteau dans la main…J’étais qu’un gamin, j’devais
avoir quoi… neuf ans et demi ? Heureusement mon père a rien fait derrière parce que le
mec il est venu sonner à ma porte, moi je suis parti en courant, j’ai jeté le cran d’arrêt dans
la poubelle, un réflexe de défense mais pas une volonté. C’était pas une volonté de ma part
de le planter quoi j’y suis pas allé en me disant « je vais le planter ». Il a poussé la main
prrr je l’ai planté. Et donc je suis parti en courant chez moi et tout j’entends ding dong,
j’fait aïe merde mon père il va me tuer, comme ça. Et il venait de rentrer du travail. Et mon
père, donc vu que déjà il a une vue pas trop bonne quoi avant, c’était pas une super vie,
donc il buvait, il s’était mis à boire en fait donc il sortait du travail il se posait devant la télé,
la bouteille de whisky, les glaçons et hop ! Whisky. Voila. Et moi j’m’étais enfermé dans
ma chambre. Donc j’avais un lit superposé, une armoire ça bloquait la porte, voilà. Parce
qu je savais très bien que mon père allait venir me défoncer de toutes les manières et
j’entends ouais ! Vot’ fils gnnn gnnn gnnn… Mon père qui claque la porte qui en a rien à
foutre des autres, direct, Christophe ! J’ai vu la porte, poussée, l’armoire explosée entre le
lit superposé et la porte, mais explosée ! Il l’a explosée l’armoire, y’avait plus rien. Il est
passé et tout et j’avais un bâton d’Olivier en fait dans ma chambre, je sais pas si tu connais
l’olivier, tu connais l’olivier ? L’arbre. Ben j’avais une branche d’olivier c’est un bois très
très costaud tu peux taper avec avant que ça casse, voilà et j’avais ça entre mes bras. En
fait il a poussé le lit, il m’a vu avec mon bâton et là je me suis levé, j’ai encore la cicatrice
là, quand je me rase la tête je l’ai le trou, je me suis levé, il a pris le bâton BING, je suis
retombé. Voilà comment ça se réglait les problèmes avec mon père. Après il est parti boire
son whisky, tranquillement il y avait plus de problème. J’l’ai vu assi ma sœur qui lui parlait
mal il a pris la barre d’aspirateur et puis il l’a tabasée ! Voilà. Et puis après allez euh 4 ou
5 mois, parce qu’on était quand même heureux on avait notre père pour nous tout seuls,
c’était quand même quelque chose de… enfin c’est con, on avait rien, on s’faisait taper sur
la gueule on avait pas un jouet on pouvait pas aller au cinéma, on avait rien quoi. C’est
clair, on pouvait rien faire. Enfin des jeunes normal. On avait pas de rollers, enfin si moi
j’avais un skate mais voilà, on avait pas de chaîne hi-fi, on avait pas de console, on avait
pas de télé, la télé c’était pour mon père c’était dans le salon et quand il voulait qu’on la
regarde, s’il avait quelque chose à mater tu vas das ta chambre tu fermes ta gueule, quoi,
c’était cash et cinq mois après donc il a eu des problèmes avec la justice, que je ne citerai
pas, hein, je suis clair, je dis pas pourquoi il a été en prison, mais il a été jugé donc mis en
détention provisoire, donc le onze juin… enfin nan en fait il a été en… en garde à vue ça
devait être le 8 juin 1995 donc il a fait une garde à vue jusqu’à… où on nous a interrogés
moi et ma sœur en étant mineurs, hein, je le précise hein quand même, on a, on a, on a été
au commissariat, donc on a vu notre père assis sur une chaise, la gueule complètement
éclatée, les cheveux ébouriffés enfin les yeux vides quoi, comme un mec qui a fait de la
garde à vue depuis 48 heures quoi, tout ça en nous ramenant en voiture de police parce que
quand on est gamin on nous fait « oh tu monteras dans la voiture qui fait pim pom » et puis
toi t’es comme un con tu fais « ouais moi je vais monter dans la voiture qui fait pim pom »
tu vois, et donc après ben j’ai été placé vite fait chez ma tante, histoire de dire de faire le
vide pour mon père quoi, pour qu’on lui enlève pas ses enfants encore une deuxième fois
quoi, parce que c’était vite fait, je veux dire les juges ils auraient très bien pu nous mettre
encore en foyer juste au moment où mon père était en garde à vue quoi en fait. Et ce qui
s’est passé c’est qu’on a appris sa détention provisioire parce que manque de preuves dans
le dossier hein, on sait tous pour quoi c’est fait une détention provisoire c’est qu’il y a pas
de preuves dans le dossier. Pas de preuve contre l’accusation, vu que c’est une accusation
assez grave, et qu’il faut du temps pour trouver des preuves, vu que la personne peut
nettoyer les preuves il faut pas qu’elle soit dehors, on est d’accord ? Voilà. C’est dans ce
sens là qu’ils l’ont vu. J’dis bien il y avait pas de preuves contre mon père quand même.
C’est déjà un fait important parce qe moi la justice ils ont jamais voulu me dire
correctement si mon père était coupable ou pas. Sachant qu’il est enterré. Pour moi ça
compte, pour eux ça compte pas.
Et euh donc eh ben le 11 juin 1995 il est mis en détention provisoire donc à St Joseph, St Jo
St Joseph qui est donc la prison de Lyon, donc, il a été mis en détention provisoire,
plusieurs amis à moi ont fait de la détention provisoire qui me disent que dans une
détention provisoire la première nuit tu es tout seul, il n’y a pas de lits superposés, tu n’as
pas de draps, tu as un matelas sans draps, y’a pas de draps housse, y’a pas de coussins, y’a
pas de quoi en fait tout ce qui va t’apporter , tout ce avec quoi tu peux t’apporter la mort y
t’est enlevé. Tu peux pas te tuer en gros. Tu peux pas, c’est irréalisable, vraiment c’est tu
peux pas. A moins de te taper la tête au moins dix ans contre les murs tu peux pas. Le 11
juin 1995 mon père il sort les deux pieds devant de la prison, ça veut dire le lendemain et
soit disant il s’est pendu à un lit superposé dans sa cellule de détention provisoire. Voilà.
Voilà la mort de mon père, ou ce qu’on m’en a dit. Voilà.
Qui te l’a annoncée ?
Moi en premier temps en gros c’est hardcore en plus, les flics sont venus à l’école, m’ont
convoqué dans le bureau du directeur en disant « écoute ta tante et ton éducateur ils vont
venir te chercher ton père il est mort ». J’en ai pas plus su que ça. Un quart d’heure après
t’as ma tante et mon éducateur qui arrivent. Voilà. Et eux bon ben ils me ramènent à la
maison, ils prennent soin que je sois assis, et là je me rappelle je suis chez ma tante, y’a ma
tante et mon éducateur en face de moi, nous on était tous les deux avec ma sœur en train de
chialer, on en peut plus, on sent on sent qu’y a quelque chose de mauvais. Moi déjà on m’a
dit « mort » donc je peux pas dire que j’ai compris sur le moment, moi je me doutais pas
que mon père était mort, voilà toute façon quand on est enfant on a pas envie d’y penser à
ça. Mais je me doutais bien qu’il s’était passé quelque chose de grave ! On sentait, on
chialait comme plus pouvoir. Et là ma tante elle me regarde et tout elle me fait écoutez
votre père il s’est suicidé en prison. Là je me suis levé, je me suis tourné, dans le salon ça
fait un couloir, une porte à gauche et une fenêtre. Je suis parti en courant, j’ai ouvert la
fenêtre, j’ai sauté, 4e étage, à Mermoz, et l’éducateur m’a attrapé par un pied.
J’ai vraiment eu de la chance, l’éducateur il st arrivé, mais pile poil derrière moi, quoi. A
cinq secondes près, il avait ça de moins sur le temps, c’était fini hein, je sautais la tête en
avant. Donc il m’a récupéré tout ça, donc ils m’ont donné des calmants, tac tac, histoire de
voir ce que ça donnait quoi, j’me suis reposé, le lendemain on m’a demandé si j’avais envie
d’aller à l’école j’ai dit oui, parce que à l’époque j’avais une petite copine, enfin entre
guillemets hein, voilà, une copine d’école comme la plupart des mecs ont, elle s’appelait
Chloé, j’men rappelle encore, et euh nan sérieux, j’m’en rappelle bien !
Ah ouais j’imagine…
Puis bon ben ses parents me connaissaient, quand mon père était vivant on habitait pas très
loin, on était dans la même école autant elle venait chez moi que moi je venais chez elle, donc
nos parents étaient en accord tout ça, et ce soir là en fait je sors de l’école, et j’étais
vachement joyeux, einh, fait pas dire, faut pas voir le gamin malheureux qui va à l’école qui
pleure, nan je sais pas comment j’ai fait, j’ai pris sur moi, j’en sais rien. Enfin voilà j’ai
réussi à passer une journée d’école après la mort de mon père normalement, quoi, j’peux pas
citer comment je l’ai fait mais je l’ai fait. Et donc je demande à ma tante en fait parce que ma
tante venait me chercher à la fin des cours, j’demande à ma tante si je peux aller chez Chloé.
Chloé elle habite mais vraiment, tu sais elle a pas besoin de m’y emmener, elle habite en
bas de l’école. C’est simple je lui demande pas de m’y emmener rien du tout je lui dit laisse
moi une heure kà et tu viens me chercher après. Et là elle est stricte, elle me dit carrément,
non, tu n’y vas pas. Tu rentres à la maison, un oint c’est tout, c’est comme ça, et là moi qui
venait de perdre mon père je suis retombé dans mon truc noir tu vois j’ai commencé à
repenser à tout ça, à être seul, les gens y m’prennent la tête ils veulent jamais que je fasse
quelque chose, voilà, donc ça fait ressortir, et j’arrive chez elle, je m’assois sur le fauteuil, j
la regarde droit dans les yeux, y’a son fils qui arrive donc mon cousin, et je les regarde
droit dans les yeux et je leur dit « je vais vous brûler, vous allez rien comprendre, je vais
vous brûler, vous avez beau être adultes, je vais vous cramer. Et là je vois mon cousin partir
sans réponse, même pas une tarte dans la gueule ou quoi que ce soit, j’vais te dire j’étais un
gamin c’est simple, j’veux dire moi je vois un gamin qui me fait ça une petite crise une
bone tarte dans la gueule, on en parle plus hein !
T’avais quel âge alors à ce moment là ?
Là j’avais ben c’était 1995 j’devais avoir 10 ans et demi.
T’es né en 85 ?
83. J’ai 23 ans. Et vu que je suis né le 11 septembre c’était juste avant mon anniversaire.
Ca te faisait 12 ans alors.
11. Nan, 10 ans et demi. 1995… 10 ans et demi. Nan ? 11 ? Onze ans. Nan peut être, peut être
que je me trompe dans l’âge einh…
83 à 95 ça fait douze ans. T’étais sur le point d’avoir douze ans.
Oui je rentrais en 6e en plus, c’est vrai nan t’as raison. T’as raison (…) nan c’est moi qui me
trompe dans l’âge, enfin à un an près.
Bref et qu’est ce que je disais là ? Intervention de Chabert d’Hières.
Voilà. Mon cousin il va dans la pièce à côté en fait, donc je le vois partir, ma tante qui me
parle pas qui réagit pas, ma sœur qui était en train de chialer comme j’sais pas quoi comme
une madeleine, elle avait vraiment eu peur quoi, et là j’entends ding dong et je vois sept
pompiers six flics « alors il est où ce gamin, on vient le chercher ! ». Voilà. Je suis parti avec
les flics, les pompiers, à l’hôpital Grange-Blanche, service pédiatrie, pour la première fois de
ma vie, j’ai atterri en service pédiatrie, voilà, parce que après ça a pas arrêté einh, comme je
te l’avais déjà expliqué avant, donc et ben voilà j’me fais embarquer par les flics les
pompiers, a famille m’abandonne, je viens de perdre mon père, tout ça parce que je dis trois
mots de travers, qui valaient rien, quoi, les mots d’un gamin blessé quoi, qui a mal, voilà, et
bon depuis ce jour là bon ben plus de famille. Foyer d’urgence juste après la pédiatrie, donc
Bron, c’est la cité des enfants, voilà c’est un foyer d’urgence, y a autant des bébés que des
gens de dix ans, que des gens de quatre, tout les enfants de n’importe quel âge ils sont mis làbas. Il y a un hôpital à l’intérieur, y’a tout ce qui faut enfin voilà.
X.
La petite femme de Nounours
Moi je me dis tous les jours ils me regardent et ils sont fiers de moi. Ils voient comment je
‘en prend plein la gueule et comment je reste fort mais… Et puis des fois je me le dis aussi,
ça va, je suis quand même… nan mais quand même, des fois je me dis t’as pris des claques
dans la gueule quand tu vois tes potes pourquoi ils se plaignent… Franchement tu te dis
mais franchement tu t’en sors bien quoi, t’es là, t’es dur… Ca va, t’y arrives dans ta vie…
Quand ils insultent leur mère par exemple, je leur dis t’sais… Attends c’est elle qui t’as
porté pendant neuf mois, t’as le droit de reprocher des choses, c’est un être humain, donc…
on fait tous des erreurs, l’erreur elle est humaine. Mais voilà faut pas insulter sa mère, je
trouve ça carrément déplacé, moi ça par contre c’est déplacé quoi le respect de sa mère, de
son père, de ses parents quoi. C’est eux qui t’ont nourris, élevé, compris, conçu… enfin
sans eux t’est rien, t’es pas au monde, ils t’ont choisi, c’est eux qui t’ont amené, voilà. Ta
branche de la vie, ton départ de la vie c’est tes parents. Sans parler de fric, sans parler de
matériel, sans parler de rien c’est tes parents. Pour moi c’est ça. Et par rapport à ça il faut
vachement respecter, faut leur apporter vachement de respect j’pense. Ils le valent. Surtout
qu’on en chie dans ce monde de dingue. Quand on voit nous sans enfants ce qu’on arrive à
faire de notre vie… Tu vois ce que je veux dire, on peut se dire qu’avec des enfants ça peut
être très très compliqué quand même hein ! Tu vois par exemple t’as un enfant tu te fais
cambrioler ton garage c’est plus pareil quoi.
(Ah ben c’est sûr il va falloir commencer avec ça qui est au
dessus, continuer brièvement avec le paragraphe ci-dessous.
Continuer peut être tout de suite par « mais je n’ai pas été à
l’école »)
Tu vois ce que je veux dire ? T’as un enfant. Point. Tu t’en bats les couilles de ton garage.
C’est psss. T’as ton gamin, quoi occupe toit de ton gamin au lieu de t’occuper de tes
affaires. En gros c’est ça quoi tu donnes ta vie pour lui quoi en gros. Tu vas tout donner
pour que ses chances dans la vie elles soient là.
Et toi tu es près à ça ?
A avoir un enfant ? Nan, je pense qu’il faut se construire d’abord, tu vois, se construire, être
sûr de soi, avoir de l’argent, avoir un métier, vivre sa vie pour soi aussi, savoir justement la
sacrifier, enfin même pas ! justement ne pas la sacrifier pour ton enfant, ça veut dire tu
donnes la vie à ton enfant, tu l’as voulu ça a été réfléchi, tu vas lui en faire aucun reproche
parce que moi j’en vois hein ! J’ai des copains qui ont vingt ans, qui ont fait un gamin, quoi.
Pour moi, c’est une erreur, tu vois, t’es pas construit, t’as pas une thune, t’as pas de travail
fixe, t’as envie de t’amuser encore, voilà quand je le vois ramener sa gamine tu vois dans un
spectacle, un concert plein air, tu vois elle a six moi sa gamine… moi je me vois pas comme
ça avec mon enfant. J’le conçois pas quoi. C’est clair ! Un enfant ça n’a rien à faire dans une
soirée. La soirée je la fait pendant que je suis jeune pendant que j’ai envie de vivre, c’est ma
vie. Voilà.
Pour chaque âge y’a quelque chose dans ta vie où tu concrétises donc t’es jeune, au début
c’est l’école, après tu te construit… tu te cherches, ta personnalité, ce que tu vaux, ce que
tu seras jamais capable de faire en fait, t’apprend à te connaître, t’apprend tout ! Autant
dans le bien que dans le mal. C’est de l’autocritique en permanence en fait. Il faut y
arriver, c’est un travail sur soi-même et ça c’est vers les 18 ans, enfin pour moi ça a été
comme ça… Et puis après t’évolue sur autre chose, qu’est ce qu j’aimerai faire comme
futur métier dans ma vie… Qu’est ce qui me plairait ? Qu’est ce qui me donnerait le
sourire ? Est-ce que j’ai vraiment envie de ça ? Est-ce que je m’en sens capable ? Il y a
plein de questions, quoi, qui font en sorte que tu te construise avec le temps. Un enfant c’est
exactement pareil, mais ça vient après tout ça. Voilà. Et à partir de là je pense que tu peux
bien éduquer ton enfant.
Déjà financièrement, j’pense que tu vas être vachement plus stable parce que t’as pas
beaucoup de problèmes, les problèmes font en sorte que t’apportes des problèmes à ton
enfant, si t’es plein de problèmes, tu vas jamais réussir à l’élever correctement, ben c’est
l’attention n’est pas bonne… enfin tu vois ce que je veux dire ? C’est toujours pareil, si t’es
calé, si t’as un métier, si t’es sûr de toi, voilà…
Voilà, après y’a la femme de sa vie aussi avec qui le concevoir donc c’est vraiment… un
partage entre deux personnes où il faut que ce soit une histoire qui soit vraiment sain, il
faut que ce soit quelque chose de sain, pour moi faire un enfant à une femme il faut
vraiment que mon rapport avec elle soit sain, c’est à dire que voilà j’accepte ses défauts, ses
qualités, je les aime, voilà, c’est un tout, je l’aime comme elle est, j’ai pas envie de l’aimer à
mon image, voilà, ce que la plupart des gens ils comprennent pas dans l’amour, aimer ça
veut pas dire ouais j’veux qu’tu changes de couleur de cheveux ou je sais pas quoi, si
t’aimes vraiment la personne en face de toi tu l’aimes comme elle est et justement tu veux
pas qu’elle change. Au pire tu veux qu’elle évolue, normal mais tu veux pas qu’elle change.
Ca c’est la pureté de l’amour. Style on s’engueule, tu t’engueule pas… parce que t’aimes ta
femme, et tu vas essayer de comprendre, t’as pas envie de Wallah clac clac clac clac casser.
Nan… communication. Nan ça fait un an que je suis avec me petite femme, enfin on a
réussi parce qu’on est deux, à construire un couple en fait à la base j’ai mis du dialogue
quoi. On a instauré ce dialogue quoi. On s’est tout dit sur le départ résultat ça fait un an
que je suis avec elle, on s’est jamais engueulés, on s’est jamais quitté sous les nerfs, séparés
style ouais j’me casse ! Tu vois ?
Ouais très bien…
Euh pff… les reproches y’en a pas, au pire y’a des explications mais il y a aucun reproche,
c’est des choses comme ça et puis tu ressens qu’il y a de l’amour quoi, c’est… Voilà c’est
sain. Une relation saine. Dialogue, contact et… de l’amour, vraiment.
Si j’ai besoin d’argent, elle va me donner 20 euros, elle va me les donner, elle va pas me
rabâcher pendant dix ans qu’elle m’a donné 20 euros, donc qu’elle me les a prêté, qu’il faut
que je lui rende, moi c’est pareil… Si elle me dis passe moi ça… Je lui donne ! Je lui en parle
pas… Voilà c’est que de l’argent, c’est le vice de la société pour moi l’argent donc… c’est
exactement ça. Si on pouvait s’échanger chacun un autre truc « tiens tu me donnes une salade
je te donne des carottes ! ». Ce serait 100 fois plus convivial.
Et c’est une question que je voulais te poser… Est-ce que tu dirais que tu as voulu t’en sortir
pour les femmes ?
Pour les femmes ? Nan nan j’pense, ben c’est une révélation en fait. C’est que en fait ça j’en
ai pas parlé à mes dix huit ans j’ai fait un an et demi de rue juste après la dass donc j’ai fait
une bonne année de rue bien hardcore quoi, bien bien hardcore, j’suis arrivé à mes 18 ans en
fait, à mes dix huit ans à la dass, à nos 18 ans à la dass en fait quand on sort de la dass on
nous propose ce qui est un contrat jeune major. En fait le contrat tient à ce que tu prends une
place dans un foyer jeune major et que eux ils sont là encore pendant deux trois années à te
prendre la tête parce qu’ils t’aident pas en fait ils t’enterrent, donc à te prendre la tête pour
moi c’est ça hein, donc je l’ai pas signé, parce que je voulais avancer, et puis je savais que
j’allais avoir un suivi psychiatrique derrière encore avec eux alors que si j’étais libre, j’étais
libre. J’avais personne derrière pour dire ouais, enfin mon père est pas là pour dire ouais le
médecin fait vite le mettre à l’hôpital, y’a personne qui peut le faire pour moi, ça, ce qui était
un atout pour moi d’être à la rue après. J’savais qu’on pouvait pas me rattraper derrière làdessus, quoi, sur ce sujet là donc si j’étais à la rue on m’oubliait au Vinatier. En gros c’était
ça, quoi.
Et puis j’étais libre, j’avais jamais été libre en fait. A la dass t’es pas libre, si tu pars, t’es en
fugue donc t’as les gendarmes. C’est toujours pareil. Et donc j’ai fait un an et demi de rue.
J’ai fait tout ce qu’il y avait à faire dans la rue, la drogue, les soirées, les teufs, la manche,
cracher du feu, jongler, faire des spectacles, dormir sous les ponts, dormir dehors au mois de
novembre, ouvrir des squats ! Parce que faut dormir au chaud au bout d’un moment t’en as
marre de dormir dehors donc tu vas dormir au chaud. Après ouvrir un squat moi j’ai jamais
ramené du monde avec moi. Ca veut dire j’ouvrais un appart,et moi je prenais soin de
l’appart. J’remettais l’eau, j’remettais l’électricité et quand les flics ils venaient contrôler ils
voyaient que j’étais avec un animal et que c’était propre, donc on venait pas me casser les
couilles. Et que j’étais seul aussi. La solitude la propreté les flics ils te disent rien. Parce que
t’es sdf mais t’as du respect, parce que franchement la plupart des squats les mecs c’est des
gros camelards, parce qu’il faut dire ce qui est c’est des canés, et les mecs ils cassent tout,
donc ils ont pas de respect ! Si tu respecte pas ce que tu prend déjà on va pas te respecter à
ton tour. C’est clair. On va te renvoyer exactement la même image que t’envoies. Surtout que
tu détruit des bien que les gens se sont fait chier à acheter pendant des années. Donc euh…
Bref.
Et puis j’en étais où.
La révélation.
La révélation. Ah ouais ben en fait en sortant de la rue déjà j’ai eu un appart, un premier
appart que je payais en fait au black, donc déjà j’étais chez moi. Quand t’es dehors, t’as
rien. Donc tu peux pas dire que t’es sûr de toi t’as rien. Tu t’es rien prouvé à toi-même en
gros. A part cracher du feu, quand il pleuvait pas hein ! Ou jongler !Ou chanter ! Ou faire
n’importe quoi parce que je voulais donner quelque chose pour qu’on me donne je voulais
pas leur prendre leur argent en fait, j’voulais pas que ce soit de la pitié. Voilà, la pitié je la
voulais pas. Voilà parce que je sais très bien ce que sais les gens quand ils te voyent au bout
d’un troittoir, il a pas envie de te la donner, son bail, c’est son argent il travaille avec, c’est
de la pitié, c’est de la pitié, et ils savent très bien que le mec il va manger, bien sûr il va
manger, c’est un être humain, mais en partie il va se droguer, c’est cash enfin il faut pas se
voiler la face la rue c’est comme ça. Soit boire soit se droguer enfin l’alcool c’est de la
drogue hein… c’est la drogue de l’état. Ouais donc ma force ça a été ce premier appart
donc je me suis prouvé déjà que j’avais réussi à acquérir quelque chose, rien que déjà on se
dit je suis chez moi c’est plus du tout pareil ! Après je me suis mis à l’épreuve ça veut dire
comment je vais aménager mon appart, parce que quand j’ai aménagé dans mon appart
j’avais quoi j’avais une couette je dormais par terre ! Avec mon chien, voilà, j’avais pas de
télé, pas de meuble, pas de chaise… Donc il a fallu que je trouve tout ça. Et sachant que
j’étais sous curatelle,moi j’avais toujours dit à mon curateur et à la juge que moi jamais
j’donnerai l’argent de ma sueur, jamais je leur donnerai. Jamais. Jamais j’donnerai cinq à
six pour cent de mon revenu parce qu’on veut soit disant m’aider. Parce que j’avais quand
même pas mal d’argent sur mon compte en héritage et que j’ai fait un an et demi de rue !
Parce que j’étais sous curatelle. Mais j’avais de l’argent ! Ce qui était insensé pour moi
hein ! Voilà quoi. Quand on a beaucoup d’argent on a un héritage qu’on est placé sous
curatelle mais on veut pas vous donner votre argent qu’on est SDF c’est encore plus dur
d’être SDF et de ne pas avoir d’argent. C’est qu’on a tout pour s’en sortir mais on vous le
donne pas, c’est à vous on vous interdit de l’avoir, c’est quand même grave, ça c’est grave.
Enfin voilà moi c’était pas possible et donc euh c’t’ appart, et donc après j’ai trouvé du
travail au black. Vu que je voulais pas donner mon argent c’était le seul moyen de
travailler donc j’ai trouvé quoi ? Pour me meubler j’ai réfléchi à faire quoi ? Des
déménagements, sachant que dans les déménagements, la plupart des gens, ils jettent leurs
trucs. Ou, au lieu de me payer, ils me payent avec leurs meubles. Donc, télévision ! Canapé,
lit deux places, frigo, congélateur, tout ce qu’il me faut pour aménager mon appart, j’y ai
eu comme ça, par la sueur de mon front. Sans voler, sans escroquer, voilà.
Après, j’ai mal tourné, parce que j’sais pas je peux pas dire en fait pourquoi j’ai mal
tourné, j’ai eu un petit tournant noir, j’ai eu toute c’te haine qui est remontée d’un coup,
d’avoir emménagé dans mon appart, d’avoir eu c’t’appart, j’avais tellement réussi que ‘en
ai oublié ma réussite et je me suis replongé dans ma haine en fait. Et là je me suis mis
grave à délirer, c’est que je suis retourné voir tout le monde dans la rue, et que je me suis
mis à dealer. Extasy, cocaïne, tout. Tout ce qu’on peut trouver dans le commerce, en gros.
Tout en gros. J’avais tout mais en gros et j’ai commencé à beaucoup beaucoup dealer, à
vivre de ça, voilà, et à en prendre aussi beaucoup, ce que je regrette aussi maintenant, et
j’avais une copine et tout et je devenais complètement fou, j’tapais sur la gueule à
n’importe qui à n’importe quel moment pour rien, parce que la drogue ça rend fou, ça
t’aide à oublier tes problèmes mais pas à la régler, voilà,
et donc j’ai profité de ça, je me suis quand même fait plaisir à travers ça c’est que j’avais
j’avais jamais eu de scooter et que mon premier scooter j’la payé quand même10000 balles,
quoi, 1500 euros, et j’ai payé quand 1390 euros d’assurance en tous risques, donc quand
j’passais vers les flics j’étais content… Hé le scoot, il était payé, voilà j’avais l’assurance,
donc j’dealais, alors forcément, j’habitais à deux cent mètres du commissariat j’habitais
place Valmy, rue Marietton, vraiment il y a Intermarché derrière y’a le commissariat.
Voilà. Moi je dealais là.
Jusqu’au jour où malheureusment, en fait on me faisait des crédits, sur toute la
marchandise que j’acquérais, je payais pas avant, je payais qu’après. Donc j’avais un délai
pour payer. Ces gens là c’est calibre, c’est du gros, on parle plus d’une barre, ou d’un
gramme, ou d’un trip, ou d’une micropointe. On parle plus de ça, on parle de gens qui sont
illégal dans leurs actes ils auront pas peur d’être encore plus illégal. Donc par rapport à ça
il faut se protéger aussi derrière, il fat garder des arrières. Et moi en fait j’ai eu un bon ami
à moi qui était bien dans la merde, qui sortait de prison de Suisse, qui était tombé là bas
pour pas grand-chose, et qui est revenu en France. Et en fait j’ai un ami à moi de Suisse
qui lui a prêté son appart, parce qu’en fait il vivait à Lyon et en Suisse, j’vais pas dire
pourquoi, et en gros Rachid, mon ami donc, s’est mis à dealer avec moi. Moi gentiment
j’grattais tout, je e faisais presque 10000 balles par moi, quand, même, ça le fait hein !
J’me suis dit si on est deux, vu que mon dealer il me fait beaucoup confiance, on va
pouvoir faire le double de travail, donc faire 15000 francs chacun. Et mon ami, mon soidisant ami, un jour, a pris un sac à dos, et s’est barré pas avec de l’argent ! Avec la drogue.
Puisuq’il voulait se droguer. Et à partir de là, la pente glissante.
XI.
Rachid
Et d’ailleurs t’as pas fini cette histoire…
Si, si…
Nan, nan…
Ah ouais ben Rachid, euh... mon pote on va éviter de citer des noms. Mon pote s’est barré
avec son sac à dos, avec toute la drogue. Donc moi je suis allé voir mon dealer, je lui ai dit,
que c’est pas moi qui ai pris sa cane, et il connaissait mon pote donc il savait très bien que
de tout façon c’était… enfin moi il m’avait dit qu’il le sentait mal, moi j’ai eu de la
confiance aveugle en gros, lui il l’avait déjà grillé un peu avant, on va dire qu’il mettait un
peu trop son nez dans la poudre, qu’à partir de là les gens faut se méfier, parce que tu
tuerais ta mère pour de la coke si t’es en manque, c’est clair, tu pourrais faire n’importe
quoi. T’es manipulé par la drogue, voilà. Et donc je vais voir mon dealer et je lui dit écoute,
on va le chercher, on va fouiller. On a fait les dealers. On est descendu à Seiches chez un
de ses potes, on défoncé la porte, on a retourné l’appart, on l’a prévenu que si l’autre il
venait chez lui, on l’égorgeait, cash, c’était cash hein ! Comme ça il est pas chez lui,
comme ça il peut plus crécher lui comme ça l’autre il a trop peur qu’on revienne, tu
comprends ce que je veux dire, histoire que l’autre on le retrouve plus vite, qu’il soit dehors
quoi et euh en fait ce qui s’est passé ma meilleure amie de l’époque elle était sortie avec lui
derrière mon dos, sans me le dire, et euh moi c’était ma meilleure amie, j’ai pas pensé chez
elle, et elle venait chez moi écouter ce que je disais avec mon dealer, pour pouvoir le répéter
à mon pote. Et nous on avait pour projet pour récupérer notre argent une cave désinfectée,
prendre son passeport, d’accord, le mec il était Rmiste, prendre son RMI tous les moi,
d’accord, lui donner à manger et des bouquins pendant six sept mois. Sans le frapper sans
violence ni rien, mais la trique. Voilà, une fois par mois tu viens avec nous à la poste on
vient prendre ton rmi avec toi, on prend ton argent tu retournes dans la cave. On s’est
monté ce plan là, on avait la cave, enfin on avait tout, tous les moyens nécessaires de le
cacher, de prendre son argent, enfin bref, on avait tout mis en place. On le trouvait pas,
parce qu’on fouillait de partout hein ! On a cassé j’sais pas combien de portes et on a
défoncé je sais pas combien de têtes hein ! C’était vraiment, mais on est arrivé à Seiches
c’était une rafale, y’avait pas de on arrive on parle. On arrive on casse on parle. Voilà.
C’était c’te manière là. Et donc ma meilleure amie dit à Rachid qu’on veut lui voler son
passeport tout ça, l’autre il se sauve ! Plus jamais revu. Enfin, je sais où il est ! Mais, on l’a
plus jamais revu. Mais je sais où il habite, maintenant, à l’heure actuelle, en 2006.
Et euh donc ben mon dealer avec le temps donc y’a deux mois qui se passent il me dit
Nounours va falloir pense à me rembourser ! Moi j’suis là… t’rembourser c’que l’autre il
m’a enculé, t’sais tu m’a pris pour ta salope ! Hé moi je suis pas la pute des autres moi !
Moi je me fais enculer toi tu veux m’engraisser derrière ! Même si il avait raison, bref, il
connaît les règles du business, je les connais aussi mais voilà tu vois, et ce qui s’est passé,
un soir je rentre chez moi, en scooter, tac tac, je rentre chez moi, je mets ma clé, j’ouvre ma
porte, pas d’effraction hein ! Rien ! Ca veut dire qu’ils sont rentré avec ma clé, qu’ils ont
réussi à faire un double de ma clé sans que je m’en rende compte, quand même, faut être
fort. Mais j’te dis ils étaient viscéral ces gens là. J’rentre chez moi plus de lecteur dvd, plus
de télé, plus de chaîne hi-fi, plus de vtt plus de canapé plus de frigo plus de machine à
laver, mon calibre avec une balle sur la table. C’était cash le message était bien grand
hein ! Si tu nous rend pas l’argent on va te niquer, on va te tirer dessus. Alors j’ai fait quoi
j’ai pris mon calibre, un sac et mon chien, j’suis allé quand même au quartier histoire de
bien montrer que j’avais des couilles et pour pas… tu sais me faire piétiner tu vois pour
montrer que j’étais encore là… J’étais voir tous les s’rab à mon dealer je leur ai bien
craché dessus ils ont pas voulu venir j’étais calibré j’avais une masse dans la main, voilà ils
ont pas voulu me sauter dessus mais j’ai bien dit « t’as vu faites gaffe parce que moi t’as vu
je suis pas dans l’embrouille vous me connaissez bien c’est pas bien comment vous faîtes,
tu vois ? Faut pas me mettre à la place d’un voleur je suis pas un voleur. Donc là je pars 74
rue de la république au Totem, chez mon ex.
J’en parlais tout à l’heure pour l’histoire des chiens tout ça.
Et donc à partir de là j’oublie la cocaïne, j’oublie l’extasy, j’me mets à fond de sport, donc
VTT VTT VTT VTT neuf heures par jour, en arrêtant la cane hein ! Parce que c’était très dur
d’arrêter la cane, j’avais des spasmes toutes les nuits, j’dormais sous somnifères parce
qu’autrement tu peux pas, je fumais beaucoup de shit, je fumais quand même cent grammes
de shit par mois, c’est quand même pas mal, hein ! Tout ça en douille, ça veut dire sans me
rouler un seul pet, j’sais pas si tu vois ce que c’est une douille…
Ouais ouais je vois bien ce que c’est
T’as pu voir la dernière fois…
J’ai pas attendu ça pour savoir.
Bon ben en six mois je me suis arrêté j’étais sportif à fond, j’étais vraiment là dedans et là
ben encore une fois j’me suis senti capable de faire plein de choses et donc après l’histoire de
mon ex, voilà. La solitude en fait. Je me suis retrouvé tout seul dans un appart, tout seul Sans
rien, ça veut dire sans argent, sans être un dealer, sans être plus personne en fait j’avais plus
rien, je suis retourné dans un appart il était vide hein ! encore une fois. J’aménage c’est vide.
Donc je recommence mon schmilblick, alors c’te fois j’ai pas été travailer au black. Enfin si,
vite fait je l’ai fait deux fois. Mais j’ai tout revendu, c’était pour mettre de l’argent dans la
poche en gros. On m’a donné un canapé, on m’a donné une télé, enfin on m’a tout donné,
c’était tout vieux, tout abîmé mais on m’a tout donné. J’étais bien content, j’ai beaucoup
déprimé par rapport à ce que ça faisait quatre ans que j’étais avec c’te meuf donc une
séparation et puis c’était vraiment la guerre elle a fait piquer mon chien, elle s’est fait
avorter, au bout de deux mois et demi de grossesse sans me le dire, ça veut dire au bout de
deux mois et demi de grossesse elle m’a dit je vais me faire avorter, après on va plus pouvoir
le faire je suis enceinte, voilà comment elle l’a fait… Elle s’est fait escroquer, elle m’a
demandé si c’était pas moi qui lui avait volé, c’est quand même décevant, quand on aime
quelqu’un, que t’as confiance en elle, que t’as changé, voilà sachant que c’est elle qui a prêté
sa carte bleue à un de ses potes, c’est la mieux placée pour savoir qui c’est qui l’a volée, elle
m’a quand même insulté de voleur… et puis donc j’ai déprimé je me suis mis à boire,
beaucoup, six bouteilles par jour, Kronembourg, Despé, à me traîner dans la rue, à me
traîner par terre à faire la loque ! Et puis ben petit à petit j’ai repris confiance en moi, j’ai
avancé, j’ai rencontré encore une autre femme, je me suis planté encore avec, je me suis bien
cassé la gueule, ça a duré un an, j’étais bien avec elle c’était blessant, elle habitait chez moi
elle m’a bien croqué, je travaillais au black chez elle parce qu’elle tenait un salon de
toilettage, je travaillais au black chez elle elle m’a bien gratté en gros quoi, elle m’a bien
utilisé on va dire, je pense c’était ça c’t’histoire, et puis après j’étais tout seul, encore une
fois et là tout seul j’avais envie de faire quelque chose de ma vie. Et c’est là où je dis que à
chaque âge il y a un moment où il faut se poser les bonnes questions. Ben là je me suis
retrouvé tout seul chez moi et j’ai réfléchi.
Vas y pélo, soit t’es là tu vas crever, tu vas rien faire de ta vie. Tu vas te plaindre ?
Pourquoi tu vas te plaindre ? Parce que toi tu veux rien faire de ta vie ? Parce que toi tu
bouges pas ton cul. Parce que toi t’as pas d’idées, t’as pas d’ambition, t’as pas de force.
Voilà. Si j’ai une vie pourrie ce sera pour ça ! Voilà, bien sûr que si ! La base de tout c’est
toi-même. Si tu veux, tu peux ! Tu vas pas y arriver à 100% tout ce que t’entreprends, on va
t’aider sur ton chemin, mais si t’es pas… Un exemple… T’arrives pour un travail : « ouais
bonjour ouais j’viens ouais motivé ouais sept heures de travail ouais ». Voilà, le patron il a
pas envie de te prendre. T’arrives tu dis « écoutez moi j’ai vraiment envie de travailler dans
votre entreprise, j’ai faim j’ai besoin de travailler, j’ai besoin de manger, j’ai besoin d’un
salaire, c’est déjà différent, déjà il y a une motivation… C’est toujours pareil, il faut donner
de soi-même pour recevoir. A partir de là j’ai beaucoup réfléchi donc sur ce que je voulais
faire, donc mes projets, professionnels, sentimentals, enfin le tout, un tout.
Et j’ai compris aussi que ma famille donc, j’étais blessé aussi à l’intérieur on va dire, c’est
pour ça qe je marchais pas droit. Et j’ai compris aussi que ma famille je leur en voulais
parce qu’ils m’avaient abandonné après la mort de mon père. C’était un double
traumatisme. Le jour où j’ai compris ça et que j’ai su que je voulais faire cascadeur
professionnel dans ma vie et que c’était le chemin où je voulais aller et que je ferais tout
pour aller dans ce sens là et pas un autre, si va falloir que j’aille travailler pour mettre de
l’argent de côté, bien sûr que je vais aller travailler en boîte d’intérim, je vais faire de la
merde comme tout le monde, je vais m’en sortir pour aller vivre mon rêve, voilà. Monter
projet par projet. Petit à petit les choses les unes après les autres. Mais réussir chaque
chose. Chaque petite chose les réussir et en attaquer une autre après derrière. Et à partir de
là ben je sais pas quand j’ai trouvé toutes ces idées de ma vie, que je voulais faire cascadeur
professionnel, que mon couple je le voudrais comme ça et pas autrement parce qu’avant
j’étais aussi sentimentalement… J’ai pas eu de parents, j’ai pas eu d’amour, donc il a fallu
que je connaisse l’amour c’était quoi, voilà à la base moi je suis arrivé dans la rue j’étais
sans sentiments. J’étais quelqu’un qui avait pas de sentiments. J’ savais ce que c’est dire, je
sais pas je disais je t’aime ça avait pas de valeur, c’était le mot, voilà quoi, il y avait pas de
ressenti à l’intérieur de moi-même quoi, c’était vide, c’était un mot sur du vide.
La tu touches vraiment un point, quelque chose que moi je connais pas, la vie sans sentiments,
je connais pas. La il y a vraimen quelque chose que tu peux me faire dévouvir… Est-ce que tu
crois que tu pourrais me raconter comment ça s’est développé en toi, t’y as déjà pensé
comment ça s’est construit à l’intérieur ?
Bien sûr ! Moi depuis que j’ai 20 ans je suis plus Christophe Joly qui a grandi à la dass, je
suis plus c’te personne là, je suis Nounours, c’est clair, en même temps c’est ça c’est un
changement d’identité, c’que j’étais avant c’est ce qu’on a construit, donc la personne
insensible tout ça c’est ce qu’on a construit au foyer, et le Nounours c’est celui là à ses dix
huit ans qui a ouvert les yeux autour du monde, qui est seul, qui a compris par lui-même
comment se passait la vie, qui a choisit d’être bon ou mauvais, c'est-à-dire que quand
j’étais mauvais je l’avais choisi aussi, quand j’dealais que j’étais mauvais je l’ai choisi,
c’est moi qui allait vers ce sens là. Et petit à petit j’apprenais à connaître d’autres gens,
donc à m’ouvrir aux autre parce qu’aussi à mes dix huit ans, parler, faire une soirée, avec
quelqu’un, à part les rats du quartier et les mecs qui allaient braquer avec moi… pfou !
Franchement sincèrement je voyais pas trop. Franchement, voilà quoi. Et on avait jamais
de femme dans notre groupe, six rats, six mecs qui ont des têtes comme ça (il mime) qui
sont tous comme ça prêts à taper sur tout ce qui bouge t’accroche pas une meuf en ville,
j’vais te dire c’est cash hein ! A part celles qui ont rien dans la tête (il se marre) enfin voilà.
Ou celles qui recherchent le rat. Qui aiment le comportement. Parce qu’il y a des femmes
qui aiment ça aussi, hein ! Y’a des femmes qui aiment que… moi je suis tombé sur des
femmes qui étaient fières de moi parce que je dealais. Bon ben qu’est ce que tu veux
savoir ? J’ai jamais compris pourquoi mais enfin voilà quoi ! Elles sortaient avec moi
parce que je dealais.
Parce que t’étais un dur !
J’étais sur la place, j’tenais le marché de la drogue, j’étais là, j’m’imposais, j’ dealais,
j’avais pas peur, je faisais ça propre parce que je me suis jamais fait enterré pour du deal
par exemple, je le dis clairement moi je me suis jamais fait chopper pour du deal. Voilà, j’ai
eu c’te chance aussi d’être malin de niquer le système à ce niveau là, j’étais transparent,
j’étais un fantôme, j’étais un fantôme il y a eu une perquisition chez moi ils ont jamais rien
trouvé.
Voilà quoi, j’ai vraiment mis ça carré, j’ai structuré avant de le faire on va dire. Voilà, j’ai
fait comme en mathématiques. T’as une division ? Pour trouver le résultat on est d’accord ?
Ben il y a un système bon ben le système tu peux très bien le détourner le système mais après
il y a la manière de le faire. Voilà ben j’ai trouvé c’te manière comment faire pour passer à
travers le système ! Résultat ben quatre ans je suis passé à travers le système.
Quatre ans à dealer être un gros sans être connu. Enfin y’a eu des doutes. Mais il y a
jamais eu de certitude. Et pour en revenir à ce personnage vide donc moi j’te dis c’est
carrément ça quoi ben toutes ces claques que tu te prends pendant des années en foyer à
changer de foyer à aller à droite à gauche tout ce que tu prends là, ici là t là bas, tout ce
que tu fais entre temps, donc tout ce que t’entreprends, donc rien, que de la merde, voler,
dealer, casser, crier, brûler, voilà quoi. Tout ça ben à mes dix huit ans c’était plus moi.
Voilà. C’était… J’ai appris à vivre… A apprendre la vie quoi. A apprendre, tout
simplement avec moi-même. Et à apprendre presque que les bons côtés hein ! Et puis je suis
tombé sur des bonnes personnes aussi, il faut pas dire, j’veux dire je suis tombé sur des gens
qui valaient le coup parce qu’autrement ben je serais resté avec mon équipe on va dire parce
qu’on était une équipe, mon équipe je serais resté avec ben j’aurai pas c’te vie que j’aurai
aujourd’hui, c’est clair il faut être logique quoi. Dis moi tes amis je te dirai qui tu es !
Sincèrement c’est vrai !
J’veux dire tes amis ils vont aller voler tu vas être plus incité à voler que à ne pas le faire !
Ouais ouais
C’est une réalité. Tu fumes du shit la plupart de tes potes vont fumer du shit.
Ouais ouais bien sûr.
C’est une influence de groupe. Voilà.
Y’a de très grands bouquins où ils disent la même chose que toi.
Et puis moi à mes dix huit ans je me suis oublié, enfin j’ai oublié celui là qui était de la
dass, c’était dur ! Au début comme je disais moi la rue moi j’ai eu ma place hein ! J’étais
un caïd ! C’est tout ! Moi le premier qui me cassait les couilles je lui démontais la tronche
c’était fini on en parlait plus ! J’me sauvais les flics ils avaient même pas le temps de
m’attraper. Parce que je savais que si je lui cassais la tête il fallait que je me sauve dans les
cinq secondes autrement j’ai les flics sur le cul. J’atterris en garde à vue. Devant les
caméras hein je cassais la tête aux gens. Et puis alors je te dis sans pitié c’était vraiment
euh… Sans pitié hein ! Y’a pas si longtemps que ça, deux ans en arrière le dernier que j’ai
choppé c’était à grand coup de casque dans la gueule ! Je lui ai ouvert le crâne hein ! Je
lui en ai pas mis douze de coups hein ! Je lui en ai mis un il est tombé hein ! Voilà.
Pourtant, je me suis retenu pendant une demi-heure. A lui dire écoute moi j’ai pas envie de
te taper je suis trop sûr de moi je vais t’enterrer. Cherche pas. (Il mime woin woin woin
woin). Ben bing ! Puis quand j’suis venu il a senti que j’allais lui foutre le coup de casque
parce qu’il me disait non pas de coup de casque. Voilà ! Mais il l’a lu dans mes yeux que…
J’suis pas quelqu’un, je vais pas parler, je vais pas m’amuser à faire du bla-bla pour pas le
faire en gros quoi. Si je te dis fais gaffe j’vais t’attraper je vais t’étouffer je vais t’attraper je
vais t’étouffer. C’est cash, enfin en tout cas quand je suis énervé je suis comme ça. Je suis
pas du genre à parler pour rien dire. Voilà. Donc j’ai eu ma place dans la rue. J’étais un
caïd. J’étais un caïd, quoi. J’étais celui-là où personne le respecte, tout le monde a peur,
voilà qui c’était Nounours.
Mais en même temps j’étais seul, j’avais pas d’arrière, voilà donc c’était mon seul moyen
de me protéger. J’aimais pas cette idée qu’on se faisait de moi mais je savais que derrière
ça me protégeais. Donc à partir de là… Et jamais j’ai fait jouer mes relations de mon
enfance, ça veut dire ceux là avec qui j’ai fait des cambriolages, des braquages à main
armée ou j’sais pas quoi tu vois, enfin toutes les conneries que j’ai pu faire, jamais j’ai pris
un téléphone j’ai appelé parce que j’avais un problème. Moi t’es trois ? Tu veux me faire la
boulette ? Pas de problème. Soit je vais tomber et il y en a un qui va venir à l’hôpital on va
se retrouver là-bas et on verra celui qui va en sortir vivant, c’est cash hein ! A la haneni
moi j’y vais hein ! Soit je vais vous tomber tous les trois ce qui est déjà arrivé. J’vais te dire
y en a qui ont déjà fait les golgoths je vais te dire quand j’awane j’awane, j’rigole pas.
Et après des fois je me suis fait casser aussi, parce que l’expérience fait que, tu fais le dur,
tu tombes toujours sur plus dur que toi. Voilà, elle est comme ça la vie. T’as beau être le ls
gros caïd, y’en auras toujours un plus gros que toi à côté. Voilà ! Après, faut savoir
s’arrêter dans les bons moments. Moi je me suis fait casser la tête deux trois fois, j’me suis
fait poinçonner une fois, et voilà, après c’était fini. Après j’en ai cassé… ça c’est sûr…
hum j’peux aller faire pipi s’te plaît ?
Mais je t’en prie…
XII.
Benoît
Dans la vie, c’est 50/50 tant que ça touche au cœur, on est d’accord ? Quelque soit ton
malheur ! Quelque soit ton malheur ! Quelque soit ta vie, ta famille, quoi que ce soit. 50, 50
tant que ça touche au cœur. Ca veut dire ce qui te tiens à toi. Ce que t’as cher à toi, tu vois ce
que tu as dans ton cœur. Si on y touche tu vas avoir aussi mal que mon histoire, que l’histoire
de n’importe qui derrière. C’est ce qui te touches au cœur ! C’est 50/50. Y’a pas d’histoire
plus dramatique, pire ou quoi que ce soit. Parce que à ce compte là je pourrais dire « t’as pas
vécu mon histoire ! ». Mais j’ai pas vécu ton malheur à ce compte là je peux pas le
comprendre ! T’as bien eu des malheurs, t’en a eu, tout le monde a ses malheurs, tu
comprends c’que je veux te dire, c’est 50/50, voilà c’est, toi ton histoire si ça se trouve voilà
t’as eu un truc dans ton cœur, qui t’as fait mal qui t’as blessé, pour moi si ça se trouve ça va
pas valoir une miette, tu vois ce que je veux dire, si on m’en parle j’vais dire à ouais, nin nin,
mais en fait si j’en parle avec toi seul à seul, et que tu te confies, j’vais voir que c’est quelque
chose qui est beaucoup plus profond, en fait, qui est là quoi, ça te blesse, et qui est de la
même valeur en fait que de la mort de mon père, que la mort de ma mère, parce que je suis
blessé, tu comprends. C’est une douleur, c’est c’te douleur. La douleur est différente, elle a
pas le même degré. Mais c’est une douleur quand même. Elle te tient, c’est ton cœur, c’est
ta douleur ta souffrance ton problème. Voilà, ça c’est 50/50, tout le monde. Enfin voilà,
tout le monde a des problèmes, j’en suis persuadé. C’est pour ça que moi j’dis moi mon
histoire ele est pas pire que ceux des autres, moi j’demande pas de pitié. En gros c’est ça la
pitié j’en veux pas. La compassion… ouais ! Compatir avec moi. J’crois que c’est ça c’est
comme ça qu’on dit. Compassion. Voilà. J’ai fini.
Toutes les choses qui m’ont touché elles seront dans le film, parce qu’il y en a eu, là je peux
te le dire, le film sera monté.
Ouais mais p’tet un jour t’auras envie carrément de te montrer c'est-à-dire là pour l’instant
on te voit pas.
Mais si on me voit.
On voit pas ton visage t’es d’accord. Si ça se trouve un jour t’auras envie de montrer ta
gueule sur la caméra tu sais sur la bande, tu vois, et de dire t’sais ce qui t’as vraiment, à quel
moment t’sais par exemple… Ben voilà tu veux quelque chose de vivant ? Eh ben par exemple
style t’es assis sur la chaise eh ben à quel moment de mon histoire ça t’a fait le plus vibrer tu
vois ? Tu t’es senti le plus mal tu vois… Ca t’a bouffé.
C’est exactement ça. Mon travail c’est pas de construire une histoire avec les morceaux
hardcore ou trash comme tu dis là ce que je vais faire maintenant c’est que le film racontera
çà, raconteras j’ai regardé Nounours pendant trois heures me raconter son histoire et tout ce
qu’on va voir dans le film c’est ce qui m’aura touché. Mon travail en fait c’est de montrer ce
qui m’a touché.
Sans jamais te montrer ta gueule sur la caméra…
Eh ben d’une part j’te détrompe j’ai tourné hier soir un truc où je préparais l’appart, on
verra ma gueule mais aussi là j’te parle en connaisseur et je te demande de me croire sur
parole si tu veux, quand tu filmes et que tu choisis ce qu’il va rester dans le film, en fait si tu
veux on me verra autant que toi. Parce que toi t’as parlé de ton histoire personnelle et moi,
j’ai choisi c’qu’on va en garder, c'est-à-dire que je donne mon point de vue, je donne ma
façon de voir ton histoire, et du coup…
Ah ouais c’est vrai t’as raison… le calage vidéo, comment tu mets en forme
Le fait que tu viennes chez moi, que ce soit pas sur un banc public, enfin je sais pas c’est toute
une série de… Enfin si un jour ça t’arrives de voir beaucoup de films ce sera beaucoup plus
évident pour toi, mais j’t’assures… Je le ferais pas en fait, si c’était du journalisme je ne le
ferai pas.
Ah ouais mais de toute façon le journalisme à partir de là on parle fric. Tu vois ce que je veux
dire ?
C’aurait été un journaliste Benoît je lui aurais demandé de la caillasse cash. Je lui aurai
dit fais moi signer un contrat tu vas publier ma gueule, tu vas… tu captes ce que je veux
dire ? Mon histoire si j’ai envie demain elle vat de l’argent. Si c’est un journaliste donc…
elle vaut de l’argent. Je le sais qu’il va me gratter dessus, tu vois ce que je veux dire… Tu
sais du point de vue où ça part pas… Même si derrière tu te fais du fric sur ma gueule j’te
l’ai dis aussi s’il faut te signer une décharge comme quoi moi je veux pas une pine de thune
parce que toi tu t’en fais sur ma gueule j’te la signerai ! J’te le dis aujourd’hui, j’te le dirai
demain, j’te le dirai dans un mois j’le penserai encore dans deux ans. Tu vois ce que j’veux
dire ? Quand je dis quelque chose je pèse mes mots. J’les ai réfléchi. Je les dit pas pour les
dire pour faire plaisir aux autres.

Documents pareils