UHSA de Lyon : la psychiatrie sans urgences

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UHSA de Lyon : la psychiatrie sans urgences
© Flore Giraud
UHSA Simone Veil, Lyon
UHSA de Lyon :
la psychiatrie sans urgences
Quatre ans après son ouverture, focus sur l’Unité hospitalière spécialement
aménagée (UHSA) de Lyon. Destinée aux personnes détenues atteintes de
pathologies psychiatriques lourdes ou en crise, l’unité ne répond pas à
l’ensemble des besoins d’accueil (en particulier les urgences), mais assure
une qualité de prise en charge supérieure à celle réservée aux détenus en
psychiatrie ordinaire.
O
est la première issue d’un plan de construction qui en
prévoyait dix-huit sur le territoire. Aujourd’hui, sept
UHSA fonctionnent et le ministère de la Justice annonce l’ouverture de huit autres à partir de 2015. Situées au sein d’un
hôpital psychiatrique, les UHSA sont des structures de soins
hybrides entre prison et hôpital, l’administration pénitentiaire
restant chargée de la sécurité extérieure des locaux et d’intervenir en cas d’incident. La plupart des règles régissant la vie
en détention s’y appliquent, auxquelles s’ajoutent celles de
l’hôpital, telle l’interdiction de fumer à l’intérieur.
hospitalisation de jour comme de nuit. Les UHSA ont aussi été créées pour palier aux déficiences du secteur hospitalier dans la prise en charge des personnes détenues : outre le
manque de lits et les hospitalisations écourtées, les patients
y sont, comme le relève le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT), « presque systématiquement mis en
chambre d’isolement pendant toute la durée de leur hospitalisation, généralement sous contention complète pendant
les premières 48 heures, voire pendant tout leur séjour ». Une
mesure dictée « par des considérations de sécurité et non par
leur état clinique » 1.
A la différence des Services médico-psychologiques régionaux (SMPR) implantés dans certaines prisons, ces unités
peuvent admettre des patients sans leur consentement, ainsi
qu’assurer un programme de soins et d’activités complet avec
1 Rapport relatif à la visite effectuée en France du 28 novembre au 10 décembre 2010 par le Comité européen pour la prévention de la torture et
des peines ou traitements inhumains ou dégradants, 19 avril 2012.
UVERTE EN MAI 2010, L’UHSA
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SIMONE VEIL
DE LYON
ZOOM
Un recours excessif au personnel pénitentiaire
Des régimes… différenciés
Dans les UHSA, l’administration pénitentiaire assure la « sécurité périmétrique », à savoir le contrôle des entrées et sorties,
les fouilles des locaux et des personnes, les transferts, l’ouverture électronique des portes d’accès aux unités ou aux cours
de promenade… Les personnels pénitentiaires sont aussi
chargés du parloir pour les visites des familles, des rencontres
avec les aumôniers de prison, du courrier… comme dans un
établissement pénitentiaire ordinaire. Ils ne peuvent intervenir au sein des unités de soins qu’à la demande du personnel
soignant, équipé d’un système d’appel.
L’UHSA de Lyon est organisée en trois unités de vingt lits,
ayant chacune un régime spécifique. L’unité C « d’accueil et
de soins intensifs » est destinée à la gestion des crises et des
« malades psychiatriques difficiles » et/ou ayant « des troubles
importants du comportement » 2. Son régime est particulièrement contraignant : chambres d’isolement, contention, portes
des cellules fermées et impossibilité de circuler sans personnel soignant… Dans l’unité B de « soins individualisés », destinée aux « épisodes aigus » ou aux « personnes nécessitant
une protection », le régime de détention est quasiment le
même. Ces deux unités, situées au premier étage, partagent
une même cour de promenade au rez-de-chaussée, compliquant les mouvements. Elles disposent aussi d’une cour dite
« exutoire » située sur les toits, de « conception relativement
oppressante » selon le CPT. Un surveillant la décrit : d’environ « cinq mètres sur huit, quatre murs en béton, avec un grillage qui sert de plafond à une hauteur d’environ 3,50 m avec
du concertina ». Un soignant ajoute : « Ça ressemble vraiment
à une cour de quartier disciplinaire, on en n’est pas fiers ». A
noter toutefois : « contrairement à une cour de QD, c’est propre,
c’est un hôpital, on nettoie tous les jours ! »
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Or, après sa visite à l’UHSA de Lyon, fin 2010, le CPT faisait état
de « démonstrations de force » de la part des surveillants pénitentiaires à l’occasion de leurs interventions en zone de soins.
Le Comité soulignait aussi que le personnel de surveillance
était fréquemment appelé pour des situations ne nécessitant
pas son intervention. Les demandes de « prêt de main forte »
sont en effet restées très élevées à l’UHSA jusqu’en 2012, avant
de s’infléchir en 2013. Le CPT recommandait que les alertes
soient « déclenchées de manière exceptionnelle » lorsque le
personnel soignant « n’est pas en mesure de faire face à une
situation à risque ». Or, un responsable explique aujourd’hui
que « les soignants continuent de faire appel à l’AP dans des Dans l’unité A de « soins collectifs », située au rez-de-chaussituations où ils ne sont pas plus dépassés que d’habitude ». De sée, le régime de détention est plus souple : les patients
l’avis d’un surveillant, « cinq fois sur six, c’est considéré comme peuvent circuler à certaines heures de la journée au sein de
une fausse alerte ». Il précise que les interventions les plus fré- l’unité et du patio (cour de promenade), les portes des cellules
quentes concernent des détenus ayant « récupéré du tabac,
alors qu’ils n’ont pas de droit de fumer dans les chambres, et 2 Protocole de fonctionnement UHSA, Centre hospitalier Le Vinatier, anqui refusent de le rendre ». Autre cas de figure : les détenus planexe 6, 9 déc. 2010.
cés en cellule d’isolement ont des
systèmes de contention « toute
la journée », sauf à certains cré- Le Comité européen pour la prévention de la torture critique la présence de barreaux aux fenêtres
neaux « d’environ deux heures par
jour ». Lorsque le personnel soignant veut remettre les moyens
de contention, certains détenus
« ne veulent pas », ce qui entraîne
le recours aux surveillants. Des
personnels pénitentiaires qui ne
reçoivent aucune formation axée
sur le relationnel en milieu psychiatrique : « nous nous basons
sur la formation faite par les ERIS
[Equipes régionales d’intervention
et de sécurité] dans le cadre de la
formation initiale, fondée principalement sur des techniques d’intervention ». Différence notable
avec les établissements pénitentiaires, les surveillants de l’UHSA
de Lyon sont armés : pistolet automatique 9 mm à la ceinture, bâton
télescopique et menottes !
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Différence avec les établissements pénitentiaires, les surveillants de l’UHSA sont armés
n’étant pas fermées en continu. L’unité A est destinée aux personnes présentant « des pathologies de longue évolution » et
à la « préparation de la sortie (resocialisation/réhabilitation/
réintégration du milieu pénitentiaire) ». Si le fonctionnement
des unités de l’UHSA s’est globalement assoupli, devenant
« moins sectaire que sur le protocole » selon un soignant, cela
n’a pas été le cas au sein de l’unité C, semble-t-il en raison
d’un refus de l’administration pénitentiaire. Un responsable
confie : « Je souhaite que ça fonctionne comme un hôpital,
c’est-à-dire les portes ouvertes. C’est déjà beaucoup le cas à
l’unité A, il faut un peu plus de temps pour les unités B et C ».
En fonction du profil du patient-détenu, son affectation dans
une unité ou une autre est décidée par un médecin de l’UHSA. Néanmoins, la plupart des arrivants sont dans un premier
temps placés à l’unité C, au régime de détention le plus strict,
avant éventuellement d’en changer. Un retour en unité C ou
B reste également possible à tout moment. En 2013, la durée
moyenne de séjour dans les deux unités les plus sécurisées
était de 43 jours, et de 91,5 en unité A.
Un programme d’activités étoffé
A l’issue de sa visite, le CPT faisait état de conditions de séjour
« excellentes » dans les chambres, caractérisées par « l’espace », la « lumière » et l’« aération ». Chacune est dotée d’une
salle de bains, d’un poste de télévision et d’un panneau mural
personnalisable pour afficher des photos. Le CPT se montrait
néanmoins critique sur la présence de barreaux aux fenêtres,
s’interrogeant sur le message envoyé par ce dispositif. Il est
rejoint par un soignant interviewé par l’OIP, qui estime que
« c’est vraiment resté de la prison, ça ». Le catalogue de cantine
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est pour sa part bien plus restreint qu’en détention : il est limité aux denrées non périssables, les patients ne disposant pas
de réfrigérateur en cellule.
Depuis l’ouverture de l’UHSA, le programme d’activités s’est
étoffé, corrigeant les premiers constats du CPT. Ce dernier
pointait des espaces « quasiment inutilisés » et une activité
qui se limitait « le plus clair du temps à regarder la télévision
ou converser pendant les horaires d’ouvertures des portes ».
Depuis, l’Unité s’est dotée d’un panel d’activités plus conséquent, comportant notamment des ateliers cuisine, relaxation, vidéothèque, des groupes de parole, d’art-thérapie, d’ergothérapie, et des activités sportives, que pratiquent la majorité des patients. Deux demi-journées de sport sont prévues
pour chaque unité en groupe ou en individuel. Elles s’effectuent sur le plateau sportif de 300 m2, comportant selon un
surveillant « un terrain synthétique de dix mètres sur quatre, un
panier de basket, une table de ping-pong… ». Certaines activités sont communes aux différentes unités et peuvent rassembler des femmes, hommes et personnes mineures, à la différence du principe de séparation en vigueur en établissement
pénitentiaire. En 2013, l’UHSA a accueilli 88 % d’hommes,
10 % de femmes et 2 % de mineurs.
Défaillance dans l’accueil des urgences
Initialement, l’UHSA avait été présentée comme « la solution miracle aux hospitalisations des détenus », rappelle une
psychiatre intervenant dans une prison de la région. En réalité, l’UHSA de Lyon ne répond pas aux demandes d’hospitalisation d’urgence, alors qu’elle est en principe tenue
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L’UHSA de Lyon, sous la surveillance de l’administration pénitentiaire
de s’organiser pour les garantir « 24 heures sur 24 et 7 jours
sur 7 3 ». La procédure d’admission s’avère trop lourde : avis
médicaux, décisions administratives et temps de transport
rendent les délais d’attente incompatibles avec une situation
d’urgence. Entre la réception de « l’accord médico-administratif » et la date d’entrée effective, le délai d’attente moyen
était de 11 jours en 2013, avec un pic s’élevant à 56 jours si
la demande est effectuée au mois d’août. Du côté de l’UHSA,
on estime qu’il y a là un malentendu. Pour ses responsables,
il ne fait aucun doute qu’elle n’est pas « faite pour ça. On ne
répond jamais aux urgences ». Le bilan d’activité 2013 de celle
de Lyon affiche ainsi un taux d’hospitalisation en urgence
de… 0 %. Un malentendu relevé il y a deux ans par un député dans une question au gouvernement, qui vient de lui donner une réponse. Alain Bocquet déplorait que cette pratique
dérogatoire de renvoi des urgences par les UHSA aboutisse
à ce que les « situations de crise les plus difficiles » continuent
d’être prises en charge « avec de grandes difficultés » par la
psychiatrie générale et les « situations les plus simples par un
service adapté (UHSA) ». Et la garde des Sceaux de répondre
que « les UHSA en service doivent pouvoir accueillir les hospitalisations programmées, tout comme les urgences », les centres
hospitaliers ne venant qu’en « renfort des UHSA lorsque ces
dernières se trouvent dans l’incapacité matérielle d’accueillir les
personnes détenues » 4.
Tel n’est pas le cas en Rhône-Alpes : en trois ans d’exercice,
une psychiatre exerçant en établissement pénitentiaire
explique n’avoir jamais pu faire entrer un patient en urgence
à l’UHSA de Lyon et ce, malgré sa demande systématique.
Une soignante en SMPR indique dans le même sens : « lorsque
je demande une hospitalisation à l’UHSA, je suis quasiment
sûre qu’il n’y aura pas de place avant trois semaines ». Or, pour
nombre de soignants, l’intérêt de l’UHSA résidait principalement dans cette promesse de répondre aux urgences les
3 Circulaire du 18 mars 2011 sur le fonctionnement et l’ouverture des
UHSA ; Protocole de fonctionnement UHSA, Centre hospitalier Le Vinatier,
article 2.1, 9 déc. 2010.
4 Réponse du gouvernement à une question d’Alain Bocquet, député du
Nord, Journal officiel, 24 juin 2014.
plus graves, pour lesquelles le SMPR
n’était pas suffisant et pour compenser les insuffisances du milieu hospitalier. « Je ne vois pas l’intérêt d’une
structure hospitalière où il n’y a pas
d’urgence. Quand on demande une admission en UHSA, c’est en
général qu’il y a un risque suicidaire, donc on ne va pas attendre
qu’il y ait une place », déplore une psychiatre en maison d’arrêt. Les urgences continuent donc d’être adressées aux hôpitaux de proximité, où les patients détenus sont « plus enfermés qu’à la prison », déplore une infirmière psy.
Le pourquoi des UHSA reste en suspend
Au-delà des urgences, le nombre de refus faute de places disponibles a doublé entre 2011 et 2013, passant de 40 à 80.
L’UHSA de Lyon couvre en effet un territoire qui s’étend audelà de la direction interrégionale pénitentiaire, intégrant en
partie celles de Dijon et de Strasbourg. Au total, 22 établissements pénitentiaires relèvent de son ressort. A cela s’ajoute
un nombre d’admissions en baisse, dû à l’allongement des
durées de séjours. Dès lors, 85 % des admissions proviennent
des établissements les plus proches (ceux de la région RhôneAlpes). Les personnes détenues dans des prisons plus éloignées continuent d’être envoyées en hôpital de secteur, avec
une prise en charge le plus souvent inadaptée et des allersretours répétés entre prison et hôpital. Certaines se retrouvent
maintenues en détention alors que leur état de santé nécessiterait une hospitalisation : « on a des patients qui sont psy,
on les gère en détention, comme on peut », déplore une psychiatre en maison centrale. Un membre de l’Association des
secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire (ASPMP) commente cette situation : « soit c’est une mauvaise information
qui aboutit à envoyer des urgences, soit l’UHSA oublie ce pourquoi elle est là, c’est-à-dire répondre assez vite à des situations
qui ne sont plus jouables dans la prison ». C’est ainsi que la
question du rôle des UHSA continue de se poser. Si elles ne
permettent pas d’éviter durablement le maintien en prison
de personnes ayant de graves troubles psychiatriques, ni de
remédier aux défaillances de la prise en charge des détenus
en milieu hospitalier, se confirme une crainte exprimée dès
leur ouverture : celle de voir se créer un dispositif participant
à banaliser l’entrée et le maintien dans le circuit pénitentiaire
de malades mentaux de plus en plus nombreux.
Clara Grisot, OIP Rhône-Alpes
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