William Boyd L`Attente de l`aube

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William Boyd L`Attente de l`aube
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tions et une exceptionnelle vitalité.
Attaqué sur le plan politique, littéraire, intellectuel, moral, physiquement menacé, Rushdie a mené au
cours de ces années de relative réclusion un combat permanent, infatigable. Il a créé un collectif,
Article 19, en faveur de la liberté
d’expression, pour faire pression sur
les politiques. Il a contacté députés,
ministres, chefs d’État, faisant valoir
(à juste titre) que la cause qu’il
incarne est cruciale en démocratie.
Rappelons que les Versets sataniques
sont un beau roman, baroque et complexe, que seuls ceux qui ne l’ont
pas lu peuvent réduire à une insulte.
Comme le jeune Asad, ex-chef de la
société islamique de Coventry, qui,
une dizaine d’années après le début
de la fatwa, confie à Rushdie avoir
changé d’avis :
Carré, Roald Dahl et bien d’autres)
estiment que le « fauteur de trouble »
devrait présenter ses excuses ou du
moins « faire profil bas » pour avoir
« porté atteinte à une grande religion », et d’autre part, ceux qui
comme Rushdie (et Martin Amis,
Harold Pinter, Susan Sontag, Günter
Grass, notamment) estiment qu’est
en jeu un principe fondamental avec
lequel il ne faut en aucun cas transiger. Rushdie ne doute pas du droit
au doute, et il a raison. N’oublions
pas que le traducteur japonais des
Versets sataniques a été assassiné,
son traducteur italien et son éditeur
norvégien grièvement blessés, et que
la récompense offerte pour le meurtre
du romancier a été augmentée de
500 000 dollars en septembre dernier : il faut lire Joseph Anton, parce
que ce témoignage alerte (comme on
est « en alerte ») montre, de façon
concrète et quotidienne, comment ne
pas tolérer l’intolérance. Hargneux
parfois, excellent tacticien, énergique, courageux toujours, Rushdie
nous apprend par l’exemple comment défendre les valeurs auxquelles
nous pensons tenir.
Ève Charrin
Il n’y a pas longtemps, s’écria-t-il,
j’ai lu votre livre et je n’ai pas compris pourquoi on en avait fait toute
une histoire !
Face aux philistins, Rushdie a
toujours refusé de céder. Pour faire
éditer en poche les Versets sataniques,
pour écrire malgré le confinement
(Haroun et la mer des histoires, le
Dernier Soupir du Maure, la Terre
sous ses pieds), surmonter les peurs de
ses éditeurs et publier à nouveau,
acheter une maison, sortir, parler en
public, emprunter les avions de telle
compagnie aérienne… le romancier
s’est battu sur tous les fronts, attentif à tous les détails, soucieux jusqu’à
l’obsession de défendre sa liberté
d’écrire, sa liberté de vivre. Cette
autobiographie de la fatwa est en
réalité la chronique d’une dispute, au
sens ancien du terme. Une dispute
entre ceux qui (comme John Le
William Boyd
L’Attente de l’aube
Paris, Le Seuil, 2012, 412 p., 22 €
Par une magnifique journée de
l’été 1913, Lysander Rief passe
devant l’opéra de Vienne afin de se
rendre à son premier rendez-vous
chez le Dr Bensimon, psychanalyste
anglais installé dans ce qui est
encore la capitale de l’Empire austro148