Revue Mensuelle - La Transalpine

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Revue Mensuelle - La Transalpine
AssemblÉe nAtionAle
La liaison ferroviaire Lyon-Turin à la
Par Antoine de Font-Réaulx
Le député Michel Destot et le sénateur Michel Bouvard avaient été chargés par le Premier
ministre d’une mission temporaire sur le financement de la liaison ferroviaire Lyon-Turin. Dans
leur rapport, les deux élus proposent un financement qui mobilise trois ressources : un
financement européen, une taxation additionnelle, l’eurovignette, et un financement d’Etat.
Compte-rendu d’audition.
L
a liaison ferroviaire Lyon Turin ? « Un
dossier dont l’intérêt économique n’a
d’égale que la complexité financière »
résume avec le sourire le président de la
Commission des Finances Gilles Carrez
(LR, Val-de-Marne) en ouvrant la séance
d’audition des deux rapporteurs. La liaison
ferroviaire Lyon-Turin ? Un projet majeur
« essentiel pour la France, pour l’Italie et
pour l’Europe » enchaîne Michel Destot
(SRC, Isère). Pour mémoire, ce projet a
pour principale visée le report modal, et
plus précisément le report de la route et
de l’air vers le transport ferroviaire des
voyageurs comme du fret. « L’objectif est de
ramener la répartition du trafic de 90%
pour la route et 10% pour le rail à respectivement 45 et 55%, ce qui représenterait
une économie d’émissions de gaz à effet de
serre de plus d’un million de tonnes par an,
c’est considérable » précise le parlementaire
en mission. C’est aussi un projet majeur du
point de vue économique. Rappelant que
l’Italie est le deuxième partenaire économique et commercial de la France en
Europe, les rapporteurs soulignent habilement la manière dont le tunnel sous la
Manche a stimulé l’économie du RoyaumeUni mais également le Nord de la France
et la Belgique. Un bel enthousiasme pour-
tant pas forcément partagé par l’ensemble
des parlementaires. « Pourquoi un tel tunnel ? » se demande même Michèle Bonneton (Ecologiste, Isère), peu convaincue par l’argumentation développée par les
deux Michel. « N’aurait-il pas fallu donner
la priorité à d’autres lignes plus nécessaires que ce projet pharaonique ? » enchérit un Yannick Favennec (UDI, Mayenne)
circonspect.
Poursuivi sous quatre présidences, de
François Mitterrand à François Hollande,
le projet est entré cette année dans une
phase décisive. Le sommet franco-italien
de février dernier a notamment permis
Entretien avec Hubert du Mesnil, Président de Tunnel Euralpin Lyon Turin SAS (TELT)
“Ce qui justifie l’urgence de cette liaison et constitue
Le projet est en bonne voie mais
pourtant de nombreuses questions
subsistent. La première est celle
de l’intérêt et de la nécessité d’un
tel ouvrage. Est-il à ce point prioritaire ? Quels gains réels doit-on
attendre d’un tel projet ?
Le Lyon-Turin est bien plus qu’une nouvelle ligne ferroviaire : c’est un ouvrage
indispensable pour la mise en œuvre de
la politique européenne des transports.
Rappelons tout d’abord que cette liaison
est considérée comme un élément majeur
de cette politique depuis plus de vingt
ans par l’UE, et ce pour une raison simple
: sa localisation géographique, chaînon
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manquant entre les réseaux de l’Ouest et
les réseaux de l’Est de l’Europe. La ligne
Lyon-Turin est le maillon central indispensable du corridor ferroviaire méditerranéen, qui concerne 18% de la population européenne, 200Md€ d’échanges
commerciaux et 17% du PIB de l’Union
européenne. Cette modernisation des
transports, porteuse à la fois de croissance et de cohésion territoriale, profitera notamment à la France, qui se trouvera de fait au centre des flux
économiques et non pas en périphérie.
Ce nouvel ouvrage participe de l’équilibre
territorial de l’ensemble de l’Europe. Mais
si le projet est nécessaire pour l’Europe
et la France, je dirais qu’il est également
prioritaire pour les régions alpines. En
effet, ce qui justifie l’urgence de cette liaison et constitue son intérêt stratégique
majeur, c’est le report modal. À l’heure
actuelle, 85% du trafic dans les Alpes du
Nord franco-italiennes a lieu par voie
routière, ce qui implique des nuisances
environnementales considérables. Pourquoi ? Simplement parce que la ligne
ferroviaire existante, coûteuse, avec son
tunnel ancien (1871) et sous-dimensionné
ainsi que ses pentes entraînant des surcoûts d’exploitation de l’ordre de 40%,
encourage le report vers la route. La
nouvelle ligne transfrontalière, qui transfèrera un million de poids lourds vers le
rail, constituera donc une alternative
nouvelle économique et environnementale majeure. Les résidents ont donc tout
à y gagner.
Plusieurs parlementaires se sont
également inquiétés de son financement, certains redoutant qu’il ait
été sous-estimé tandis que d’autres
trouvent le mode de financement «
incertain, voire improbable ». Pouvez-vous les rassurer ?
L’essentiel des discussions parlementaires autour de la liaison ferroviaire
porte en effet sur la question du financement. J’en suis conscient, et je le comprends : ces interrogations sont évidemment liées au contexte budgétaire
que nous connaissons. Cependant, les
inquiétudes me semblent globalement
AssemblÉe nAtionAle
recherche de son financement
d’engager la réalisation de la première
étape du tunnel transfrontalier de 57
km entre Saint-Jean-de-Maurienne, en
France et Suse, en Italie mais aussi la
création d’un promoteur franco-italien, la société TELT (Tunnel euralpin
Lyon-Turin). Enfin, en juillet, « l’Union
européenne s’est engagée à financer
le projet à hauteur de 40%, et pour
près d’un milliard d’euros s’agissant de
la première tranche2016-2020 » se félicite Michel Destot.
Un engagement financier de
l’Europe
Le coût du projet - on ne parle ici
que de la section transfrontalière de
la ligne, longue de 57 km - a été évalué à 8,5 milliards d’euros (40% financés par l’UE, 35% pour l’Italie et 25%
pour la France). Plus de 12 kilomètres
de tunnels dits techniques ont déjà
son intérêt stratégique majeur, c’est le report modal”
infondées. Malgré l’ampleur de
l’ouvrage, il faut garder à l’esprit que la
France ne participe à son financement
qu’à hauteur de 25%, le reste étant
financé par l’Italie (environ 35%) et par
l’Union Européenne (40%). Il me semble
important d’insister sur ce point : si
l’Union européenne se montre exigeante
quant à l’assainissement budgétaire des
Etats, elle voit également le Lyon-Turin
comme un ouvrage prioritaire pour le
dynamisme du continent, et participe
donc activement à sa réalisation. La
France ne devra engager que 220 millions d’euros annuels. La Suisse n’a dû
compter que sur ses ressources propres
pour financer ses infrastructures ferroviaires, qui comptent notamment le tunnel de base du Saint-Gothard, d’une
dimension et d’un coût comparable au
tunnel de base de la liaison Lyon-Turin.
Les gouvernements français et italien
ont confirmé l’engagement des travaux
définitifs de la future section transfrontalière. Une confiance renouvelée lors de
la visite d’Alain Vidalies, Secrétaire d’Etat
chargé des transports, et Graziano Del-
rio, Ministre des Transports italien, sur
les chantiers français et italien du LyonTurin. Je ne suis donc pas inquiet à ce
propos.
Avec le principe proposé de l’Eurovignette, se pose la question de
l’acceptabilité d’une augmentation
des tarifs de péages par une profession déjà sous tension et alors
même que l’idée d’un recours à la
tarification de la route a été mise à
rude épreuve avec l’écotaxe poidslourds. Que doit-on en penser ?
Des propositions intéressantes ont été formulées pour dégager les ressources nécessaires au financement du Lyon-Turin. En
juillet dernier, Michel Destot, député PS de
l’Isère et Michel Bouvard, sénateur LR de
Savoie ont remis un rapport sur les sources
de financement pour les travaux de la
section transfrontalière de la nouvelle liaison Lyon-Turin. Ils se sont prononcés en
faveur d’un mode de financement mixte
incluant une majoration des péages pour
les poids lourds sur le réseau autoroutier
concédé en zone de montagne. Les deux
parlementaires ont pris en considération
la question de la répercussion et de
l’acceptabilité de l’eurovignette lorsqu’ils
ont publié ce rapport, et notamment le
niveau et la progressivité de ce surpéage.
Ce dispositif, conforme à la directive européenne « eurovignette », permettrait de «
dégager une recette nette de 40 millions
d’euros par an », sur une durée pouvant
aller jusqu’à soixante ans.
Si le dispositif final n’a pas encore été fixé,
c’est justement parce que cette décision
doit être prise dans le cadre du débat démocratique, débat qui, j’en suis sûr, permettra
l’expression des arguments que vous évoquez. La question fondamentale, comme je
l’ai souligné, est celle de l’importance des
initiatives promouvant le report modal, qui
devient plus que jamais nécessaire tant en
France qu’en Europe. Il me semble naturel,
pour financer de telles initiatives, de choisir un dispositif qui entre en cohérence
avec cet objectif. Cela étant dit, la détermination des modalités d’un tel financement
revient évidemment aux responsables politiques, en qui j’ai pleinement confiance. n
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été réalisés, pour 1,5 milliard d’euros,
dont 50% payés par l’Europe, 25% par la
France et 25% par l’Italie. Au terme de la
mission, les co-rapporteurs concluent à
un financement mixte basé sur des crédits publics et l’application de l’eurovignette, auquel il faut ajouter le financement européen. Sur les 8,5 milliards, une
fois retranché le financement apporté
par l’UE de 40%, la part française se
chiffre à 2,2 milliards. Une somme qui
doit d’étaler sur une dizaine d’années, six
à sept ans pour le percement du tunnel
et deux ans pour l’équipement. « L’effort
peut être ainsi réparti entre douze exercices budgétaires, ce qui représente
quelque 200 millions par an en
moyenne » détaille Michel Bouvard (LR,
Savoie) qui trouve finalement cette
somme « tout à fait abordable au regard
des autres investissements ».
La mise en œuvre de
l’eurovignette alpine
Après s’être assurés auprès de la Commission européenne de la faisabilité de la
mise en œuvre de l’eurovignette alpine,
les deux rapporteurs ont misé sur ce
mode de financement qui avait été utilisé
en Autriche pour le tunnel de Lötchberg
et du Brenner. Pour ce type d’ouvrages,
l’Union européenne autorise les Etats à
percevoir une recette majorée sur les
tronçons permettant l’accès aux ouvrages
de franchissement et sur les ouvrages de
franchissement existants. La majoration
tarifaire peut aller jusqu’à 25% des tarifs
en vigueur. En France ce dispositif peut
être appliqué dans l’ensemble de la zone
montagneuse. Forts de ces éléments, les
élus ont analysé « les recettes susceptibles
d’être
dégagées
grâce
à
l’eurovignette alpine » qui à leurs yeux
présente de réels avantages. Le premier
est qu’elle peut être modulable dans le
temps et permet ainsi de ne pas atteindre
le seuil de 25% d’office mais de moduler
des hausses progressives. Elle est ensuite
modulable dans l’espace : il est possible
de ne pas adopter la même politique tarifaire sur tous les tronçons, de manière à
tenir compte du niveau dont on part.
Enfin, l’eurovignette n’est pas nécessairement appliquée de la même manière
dans les deux Etats, chaque Etat peut
choisir son propre mode de financement,
avec l’aval de l’autre partie. Au final, les
rapporteurs ont choisi de privilégier une
modulation dans le temps de la hausse
tarifaire qui atteindrait 10% dans les Alpes
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Se pose ensuite la question de l’ingénierie financière du projet. Prenant soin de
rappeler que la Commission européenne
ne permet la perception de l’eurovignette
que si le produit est entièrement affecté à
la réalisation de l’ouvrage pour lequel la
des dépôts, qui accorde, par le biais de son
fonds d’épargne, des prêts destinés à financer des infrastructures « vertes », déjà mobilisés pour la mise en service de tramways
mais aussi de sections de lignes nouvelles
; « c’est d’une décision de l’État que dépend
la possibilité de recours à cette formule
bien connue » complète l’élu. Avec l’eurovignette, « nous avons là une recette nouvelle, sécurisée au niveau européen, qu’il
appartient au Gouvernement et au Parlement de créer ; sur ce fondement, il est possible d’élaborer une ingénierie finançant
une part significative de l’ouvrage – sans
doute 30 à 40% au moins –, ce qui laisse
à la charge des finances publiques une
somme plus raisonnable et qui paraît
acceptable, le besoin de financement ne
dépassant pas 200 millions d’euros par
an » concluent les co-rapporteurs. Un
montage qui laisse songeurs plusieurs
élus. Yannick Favennec met en garde
contre l’instauration d’un surpéage pendant
recette a été autorisée - « ce qui nous met
à l’abri de toute tentative de prédation au
profit d’autres ouvrages ou de dispersion
budgétaire » -, les rapporteurs expliquent
que « la recette ainsi fléchée peut être affectée à l’opérateur chargé de la réalisation
du tunnel, c’est-à-dire ici la société TELT ».
Elle servira ensuite de support à un montage d’ingénierie financière susceptible de
faire intervenir deux acteurs, la BEI et la
Caisse des dépôts. Pour la Banque européenne d’investissement (BEI), laquelle
contribue au financement de tous les projets d’infrastructures européennes ; son
apport allant aux deux États, « la part dont
nous pourrions bénéficier dépendrait des
droits de tirage de l’Italie qu’il nous faudrait négocier avec la partie italienne »
précise Michel Bouvard. Quant à la Caisse
cinquante ans qui va impliquer de prolonger d’autant la durée des concessions
d’autoroutes, « alors que ce modèle a été
constamment remis en cause ces derniers
temps. Le financement est donc plus
qu’incertain : improbable ». Guillaume
Chevrollier (LR, Mayenne) juge que le
coût « sous-estimé » de ce projet en fait « une
épée de Damoclès pour les générations
futures ». « Il faudra bien payer la note s’il
est mené à bien » assène le député. Laurent Furst (LR, Bas-Rhin) n’y va pas non
plus de main morte : « On développe pour
financer ces projets une ingénierie presque
aussi complexe que l’ingénierie technique
qui permet de les réaliser : n’est-ce pas la
marque d’un pays qui va mal financièrement ? Ne sommes-nous pas arrivés au
bout du système ? » n
du Nord et 15% sur le littoral méditerranéen. « Nous n’utilisons pas à plein la possibilité offerte par l’UE d’une hausse de
25%, expliquent les élus, pour permettre
à la puissance publique de se réserver le
moment venu des marges de financement
des voies d’accès ». Ils ont également souhaité par ce biais « éviter un effet de
repoussoir pour les transporteurs : « Il
nous faut veiller à l’acceptabilité de l’évolution tarifaire, en France comme en Italie ». S’agissant du produit des recettes
nettes attendues, les rapporteurs l’estiment à 40 millions d’euros.
Quelle ingénierie financière ?