Distribution automobile et distribution sélective
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Distribution automobile et distribution sélective
Commentaires CONTRATS - CONCURRENCE - CONSOMMATION - REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - JUIN 2011 commissionnaire-affilié – À propos de l’arrêt Chattawak 2 : JCP E 2010, 1860). Sans doute pourrait-on affiner l’analyse avec M. Dissaux et affirmer que l’agent dispose d’un fonds et d’une clientèle civils mais cela reste très différent de la situation d’un revendeur ou même d’un commissionnaire. On peut s’interroger légitimement sur l’avenir de la commission-affiliation (M.-J. LoyerLemercier, Quel avenir pour le contrat de commission-affiliation ? : JCP E 2011, 1218). En se situant dans le droit fil de la jurisprudence de la Cour de cassation, la cour d’appel de Pau apporte un élément de réponse important car les faits étaient certainement moins équivoques que ceux qui donnent lieu à l’affaire Chattawak. La décision des juges palois semble pouvoir rassurer les plus inquiets. Est-elle pour autant tout à fait convaincante ? Le doute est permis car le fonctionnement de la commission-affiliation, appelée ici commission partenariat, est pour le moins ambigu (V. N. Mathey note sous Cass. com., 29 juin 2010, préc.). La qualification de mandat, à défaut d’agence commerciale, voire de mandat d’intérêt commun pourrait être sérieusement envisagée, si l’on veut bien aller au-delà de l’analyse un peu formelle des clauses du contrat. La prise de position de la cour d’appel tend toutefois à conforter la jurisprudence de la Cour de cassation et, par conséquent, à éloigner le risque de requalification. Validité. – Le commissionnaire contestait, en outre, la validité du contrat. Toutefois, pour la cour d’appel, le contrat n’était pas nul en raison de l’absence d’information précontractuelle du commissionnaire. Autrement dit, non seulement le document précontractuel d’information remis au distributeur était conforme aux exigences posées par le Code de commerce (C. com., art. L. 330-1) mais, surtout, aucun vice du consentement n’a été caractérisé. Il s’agit là d’une application orthodoxe d’une jurisprudence constante. Il est étonnant de voir encore les plaideurs s’attarder sur ce genre de considération. Résiliation. – En revanche, la résiliation du contrat aux torts du commettant a été accueillie par les magistrats de la cour d’appel. Dès lors qu’il a accumulé du retard dans les paiements du commissionnaire et, surtout qu’il ne lui a fourni aucune assistance ni aucune information sur les promotions, le fournisseur a manqué à ses obligations contractuelles. Ce point n’appelle pas de longues observations. Il faut toutefois relever que la résiliation est prononcée en particulier en tenant compte de l’absence d’assistance fournie au commissionnaire. Cette obligation ne découle pas en réalité du contrat de commission mais du partenariat. Elle illustre bien la nature ambiguë de la commission-affiliation ou partenariat. En effet, il s’agit en réalité d’une variante de la franchise ; ce qui explique l’importance d’autant plus grande de l’assistance que le savoir-faire y est réduit (sur l’assistance dans le contrat de franchise, V. Ph. le Tourneau, Franchisage. Franchisage dans le domaine des services. Le franchiseur et le franchisé : J.-Cl. Contrats-Distribution, Fasc. 1050, n° 123 s. – V. par ex. CA Paris, 5 juill. 2006 : D. 2007, p. 1917, obs. D. Ferrier). En l’espèce, l’assistance consistait en particulier en des visites mensuelles du point de vente, que le commettant n’aurait pas effectuées. Évaluation du préjudice. – Il restait alors à procéder à l’évaluation du préjudice du commissionnaire. Il est évalué à la perte des fruits espérés de l’activité jusqu’au terme du contrat. Pour la cour comme pour le tribunal qui s’était prononcé en première instance, il ne s’agit toutefois que d’une projection du chiffre d’affaires supposé et espéré. La cour rappelle à cette occasion que le préjudice ne peut être que la perte d’une marge bénéficiaire dégagée et non du chiffre d’affaires. Prenant en compte que le chiffre d’affaires ayant été l’année précédente de 66 000 euros et que la marge brute correspond à 50 % de cette somme augmenté de la valeur non amortie des investissements réalisés par le commissionnaire depuis trois ans, les dommages-intérêts ont été fixés à 50 000 euros. On relèvera en passant l’intégration des investissements non amortis, sans autre précision, dans le préjudice réparé. Nicolas MATHEY 42 Mots-Clés : Commission-Affiliation - Partenariat - Qualification Préjudice JurisClasseur : Contrats-Distribution, Fasc. 1050 DISTRIBUTION AUTOMOBILE 141 Distribution automobile et distribution sélective quantitative Le constructeur automobile doit-il se justifier quand il limite le nombre de distributeurs dans un contrat de distribution sélective ? La Cour de cassation renvoie à la Cour de justice l’interprétation de la notion de « critères définis » au sens de l’article 1, f du règlement d’exemption n° 1400/2002 s’agissant d’une distribution sélective quantitative. Cass. com., 29 mars 2011, n° 10-12.734, FS-P+B, Sté Auto 24 c/ Sté Jaguar Land Rover France : JurisData n° 2011-004938 NOTE : En matière automobile, le règlement automobile 1400/ 202 autorise les fabricants et importateurs exclusifs à limiter le nombre de leurs distributeurs agréés (art. 1er, g). On parle alors de distribution sélective quantitative. La question posée par le présent arrêt est de savoir si la distribution sélective quantitative est soumise aux mêmes exigences que la distribution sélective qualitative. Plus précisément, il s’agit de savoir si le fournisseur doit ou non justifier des critères de sélection quantitative. Dans la distribution sélective qualitative, le Règlement n° 1400/2002 prévoit en son point 1, h que des critères purement qualitatifs doivent être « requis par la nature des biens ou des services contractuels, établis uniformément pour tous les distributeurs ou réparateurs souhaitant adhérer au système de distribution, et appliqués d’une manière non discriminatoire et ne limitant pas directement le nombre de distributeurs ou de réparateurs ». Pour simplifier, les critères de sélection qualitatifs doivent être justifiés par la nature du produit ou du service (de haute technicité ou de luxe), et appliqués sans discrimination. Le point 1, g du Règlement relatif à la sélection quantitative est moins précis : la distribution sélective quantitative se définit comme un système de distribution sélective dans lequel le fournisseur applique, pour sélectionner les distributeurs et les réparateurs, des critères qui limitent directement le nombre de ceuxci. Rien n’est précisé sur la nature des critères de limitation. La définition de la distribution sélective, énoncée au point 1, f est également peu précise puisqu’il est simplement précisé que les critères de sélection (qualitative ou quantitative) doivent être « définis ». En l’espèce, l’arrêt d’appel avait admis qu’il appartient au seul fournisseur, libre de déterminer sa stratégie de développement, de décider de l’opportunité de la dimension de son réseau et du maillage géographique souhaitable en exerçant sa liberté propre d’opérateur économique. Aucun texte national ou communautaire n’impose au concédant de justifier des raisons économiques ou autres à l’origine de l’établissement de la liste des implantations de ses distributeurs (CA Paris, 2 déc. 2009 : Contrats, conc. consom. 2010, comm. 91 et nos obs). En raison de l’incertitude sur la question de savoir si le concédant est ou non tenu de justifier une limitation du nombre de distributeurs, la haute Cour saisit pour interprétation la Cour de justice en posant la question suivante : Que faut-il entendre par les termes de « critères définis » figurant à l’article 1er, point 1, f du règlement d’exemption n° 1400/2002 s’agissant d’une distribution sélective quantitative ? La portée de la question est limitée. Avec le Règlement 1400/2002, tout distributeur sélectif peut ouvrir un nouveau point de vente, sans recourir à une autorisation du constructeur. Tout distributeur a une faculté d’« essaimage » (qui disparaît avec le nouveau régime qui assujettit la vente de véhicules au Règlement 330 du 20 avril 2010, lequel subordonne l’ouverture d’un point de vente à autorisation). Sous l’empire du Règlement 1400, la question est circonscrite à la question de savoir si le constructeur doit se justifier quand il limite le nombre de distributeurs. Il est deux conceptions : l’une favorable au constructeur automobile et l’autre favorable au distributeur. Dans la première thèse, CONTRATS - CONCURRENCE - CONSOMMATION - REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - JUIN 2011 le concédant, seul, détermine sa stratégie de développement, décide de l’opportunité de la dimension de son réseau et du maillage géographique souhaitable, au nom de la liberté d’exercice de l’activité économique. Il n’a pas à justifier la limitation quantitative de ses distributeurs. La distribution sélective quantitative se distingue nettement de la distribution sélective qualitative qui exige des critères « justifiés par la « nature des biens ou des services contractuels ». Aucune semblable exigence ne pèse sur l’établissement des critères quantitatifs dès lors qu’ils sont suffisamment « définis » et « établis uniformément pour tous les distributeurs ou réparateurs souhaitant adhérer au système de distribution ». Cette limitation du nombre de distributeurs relève d’une appréciation unilatérale du fournisseur. Il suffit que le nombre de points de vente fixé par le fournisseur soit précis et objectif. En l’espèce, la société Land Rover avait décidé qu’il n’y aurait pas de point de vente à Périgueux. Quelques arrêts, approuvés par une fraction de la doctrine et la Commission d’examen des pratiques commerciales, retiennent cette analyse. En l’espèce, l’arrêt d’appel avait admis qu’il appartient au seul fournisseur, libre de déterminer sa stratégie de développement, de décider de l’opportunité de la dimension de son réseau et du maillage géographique souhaitable en exerçant sa liberté propre d’opérateur économique (V. nos obs. ss CA Paris, 2 déc. 2009, préc.). Un auteur, dont l’analyse a été entérinée par la Commission d’examen des pratiques commerciales le 3 octobre 2007 souligne la spécificité de la sélection quantitative. Pour Me Max Vogue, les critères quantitatifs ont une nature distincte de celle des critères qualitatifs qui justifient un régime distinct. Les critères quantitatifs « sont définis à partir d’éléments d’ordre économique que le fournisseur n’a généralement pas les moyens de maîtriser au même titre que les critères qualitatifs de sélection. En outre, à la différence des critères qualitatifs, les critères quantitatifs de sélection ne peuvent être fixés de manière uniforme pour l’ensemble d’un marché national, mais doivent être déterminés en fonction des caractéristiques propres aux zones géographiques d’implantation de chaque distributeur. De plus, ils doivent évoluer dans le temps en fonction de l’évolution d’éléments indépendants de la volonté du fournisseur comme la position de la concurrence ou le pouvoir d’achat des consommateurs. Il s’ensuit que ces critères, par définition différenciés et variables dans l’espace et dans le temps, ne peuvent être toujours identiques dans l’ensemble des contrats du réseau et doivent pouvoir évoluer à l’intérieur même de chaque contrat ». En conséquence, pour cet auteur, « un critère de sélection des membres d’un réseau sélectif quantitatif peut tout à fait reposer sur le principe de l’intuitu personae sans pour autant contrevenir au règlement (CE) n° 1400/2002. Il n’est dès lors pas dans l’esprit dudit règlement d’exiger qu’ils explicitent leurs critères quantitatifs leur permettant de fixer directement le nombre de leurs distributeurs ». Il est une autre thèse, plus favorable au distributeur, défendue par une fraction de la doctrine et des décisions de justice. À la différence de Me Vogue, le Professeur Ph. le Tourneau affirme que les fabricants et fournisseurs doivent « indiquer concrètement pour quelles raisons (quels objectifs de production par exemple, quels risques de dépérissement, quelles zones de chalandise, etc.) la limitation du nombre des revendeurs leur paraît indispensable, dans une perspective de progrès économique dont le consommateur doit tirer profit » (Ph. le Tourneau, Les contrats de concession : Litec 2010, 2e éd., n° 109, traitant de la distribution sélective). Et un certain nombre d’arrêts du fond cités par l’auteur vont en ce sens (V. Ph le Tourneau, op. cit., note 162 sous n° 109). La Cour de cassation subordonne la licéité de la distribution sélective à des critères objectifs, précis et économiquement justifiés. Ainsi, dans une décision remarquée, la haute Cour a-t-elle approuvé une cour Commentaires d’appel qui avait relevé que le constructeur automobile avait « choisi comme critère quantitatif un seul point de vente par aire urbaine de 500 000 habitants et que ce critère est défini de manière précise, les aires urbaines étant constituées d’un pôle urbain et d’une couronne périphérique, chacun des concepts de la définition correspondant à une réalité géographique et économique... la cour d’appel a pu en déduire que le critère retenu est objectif et précis, correspondant à une zone de chalandise... » (Cass. com., 28 juin 2005, n° 04-15.279, Garage Gremeau c/ Daimler Chrysler France : JurisData n° 2005-029187 ; Bull. civ. 2005, IV, no 139 ; Contrats, conc. consom. 2005, comm. 191 et nos obs. ; JCP E 2005, 2001, note M. Chagny ; D. 2005, p. 2226, obs. R. Bertin ; RDLC 2006, p. 433, note M. Béhar-Touchais).On précise que devant la Cour de renvoi, l’arrêt de la Cour de cassation avait fait l’objet de réserves de la Commission européenne dans le cadre de la procédure d’amicus curiae fondée sur l’article 15 du Règlement 1/2003 du 16 décembre 2002 (CA Paris, 7 juin 2007 : Gaz. Pal. 2008, p. 423 et les obs. de la Commission). Mais la Cour de cassation avait maintenu sa jurisprudence, dans une autre affaire, malgré les réserves de la Commission (V. Cass. com., 6 mars 2007 : Bull. civ. 2007, IV, n° 76 qui ajoute une condition tenant en une application uniforme de ces critères). Le juge doit donc vérifier l’existence, l’objectivité et l’application non discriminatoire des critères. Pour autant, l’arrêt rendu le 28 juin 2005 ne va pas jusqu’à conférer au juge le pouvoir d’apprécier l’opportunité des critères de sélection. Quelle analyse retenir : celle de Me Vogue, confortée par l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 2 décembre 2009, ou celle du Professeur le Tourneau, confortée par des arrêts du fond et de la Cour de cassation ? En réalité, ce n’est pas en termes de choix entre la protection des intérêts du fabricant ou ceux du distributeur que le débat doit être résolu car le Règlement d’exemption n° 1400 mêle arguments juridiques et raisonnement économique. Or, l’analyse économique se désintéresse des aspects de redistribution et de justice contractuelle et de toute logique de protection d’un contractant. La véritable question est de savoir quelle est l’analyse le plus efficiente économiquement ? Celle qui préconise une liberté d’organisation et se contente d’une détermination objective du nombre de distributeurs, sans que cette détermination doive être justifiée par le constructeur ou la thèse qui préconise au contraire que des motifs justifiant cette limitation soient précisés par le constructeur ? À notre sens, il est légitime qu’une limitation de concurrence, en l’espèce une limitation quantitative des distributeurs, soit économiquement justifiée. Cet argument ne repose pas sur un souci de protection d’une catégorie d’opérateurs économiques. Et l’analyse juridique reprend son emprise. Il appartient à celui qui se prévaut d’une restriction de concurrence de la justifier. En résumé, le constructeur doit justifier économiquement une sélection du nombre de distributeurs, de même qu’il doit justifier la limitation qualitative par la nature des produits et services. Cette solution se rattache à l’analyse contemporaine. Aucune restriction de concurrence n’est prohibée per se dès lors qu’elle peut être justifiée économiquement par des gains d’efficience. Certes, il est important d’affirmer la liberté économique de tout opérateur d’organiser son réseau de distribution comme il l’entend et par exemple d’interdire à ses distributeurs de revendre en ligne. Mais cette liberté n’est pas absolue. Elle doit être éconoMarie MALAURIE-VIGNAL miquement justifiée. Mots-Clés : Distribution automobile - Distribution sélective - Numerus clausus - Restriction quantitative JurisClasseur : Commercial, Fasc. 319 43