Un monde étrange Hybridation dans l`Art nouveau et le Symbolisme

Transcription

Un monde étrange Hybridation dans l`Art nouveau et le Symbolisme
Un monde étrange
Hybridation dans l’Art nouveau
et le Symbolisme
A strange world
Hybridisation in Art Nouveau
and Symbolism
1
Préface
p. 4
Note d’intention
p. 8
Introduction
p. 12
Photographies de Vincent Munier
p. 16
Avant-propos
p. 24
Études de cas
p. 27
Bibliographie
p. 139
Colophon
p. 142
Rudi Vervoort, Ministre-Président du Gouvernement
de la Région de Bruxelles-Capitale en charge des Monuments et Sites
Teresa-M. Sala, Teresa-M. Sala, professeur d’histoire de l’art à l’Universitat
de Barcelona. Commissaire de l’exposition « Natures de l’Art nouveau »
Hélène Guéné, professeur émérite d’histoire de l’art contemporain à
l’Université Lumière, Lyon 2
Preface
p. 6
The Aim Behind the Project
p. 10
Introduction
p. 14
Photographs by Vincent Munier
p. 18
Foreword
p. 24
Case studies
p. 27
Bibliography
p. 139
Colophon
p. 142
Rudi Vervoort, Minister-Président of the Government
of the Brussels-Capital Region
Teresa-M. Sala, Professor of Art History at the Universitat de Barcelona. Curator of the exhibition “The Nature of Art Nouveau”
Hélène Guéné, Professor Emerita of Contemporary Art History at the
Université Lumière, Lyon 2
Le Réseau européen de l’Art nouveau (RANN), fondé en 1998, est un ambitieux
projet initié par la Région de Bruxelles-Capitale. Il rassemble aujourd’hui 23
villes européennes qui protègent, étudient et valorisent un patrimoine majeur.
Organisée dans le cadre du 4ème programme Art nouveau et écologie du Réseau,
l’exposition itinérante « Natures de l’Art nouveau » à laquelle est consacré ce
catalogue offre, grâce à une iconographie riche et variée, un regard original sur
l’étroite relation qui lie l’Art nouveau à la Nature.
Elle s’inscrit dans l’engouement sans cesse croissant pour l’Art nouveau, courant
qui a révolutionné l’architecture et le design dans l’histoire européenne et qui
bénéficie aujourd’hui d’une reconnaissance européenne et internationale ! Ceci
me tient d’autant plus à cœur que Bruxelles fut le berceau de l’Art nouveau,
tout comme elle fut l’un des piliers de la construction européenne.
L’Art nouveau marque une rupture dans l’histoire de l’art européen. Rompant
avec le vocabulaire architectural du XIXe siècle, il incarne tout à la fois une fascination pour la nature dont nous sommes issus et une foi dans l’avenir, la science
et la technique. Exaltant la première, il n’a cependant vu le jour que grâce aux
matériaux que l’industrie, soutenue par l’innovation technologique, pouvait
désormais produire en masse. Il porte en lui cette dualité.
Modernité mais aussi volonté d’esthétique, de raffinement, de perfection du
travail artisanal ont ainsi animé une pléiade d’artistes à travers l’Europe. Victor
Horta ou Paul Hankar à Bruxelles, Hector Guimard à Paris, Antoni Gaudí à Barcelone, Charles Rennie Mackintosh à Glasgow, Josef Hoffmann en Autriche, … Tous
ont œuvré, en s’inspirant de Dame Nature à l’embellissement de nos décors et
plus largement à celui de nos villes.
Soucieux de promouvoir les valeurs culturelles et la dimension européenne
de ce patrimoine si proche de nous, je vous souhaite une visite des plus « naturelles » et « enrichissantes » !
Rudi Vervoort, Ministre-Président du Gouvernement
de la Région de Bruxelles-Capitale en charge des Monuments et Sites
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Founded in 1998, the European Réseau Art Nouveau Network (RANN) is an ambitious
project initiated by the Brussels-Capital Region. Today it comprises 23 European cities,
all committed to protecting, studying and raising awareness of a remarkable heritage.
This catalogue accompanies the travelling exhibition entitled “The Nature of Art
Nouveau”, which forms part of the Réseau’s fourth programme, Art Nouveau and
Ecology. With its rich and varied iconography, the exhibition offers a unique insight
into the close connections between Art Nouveau and nature.
The exhibition has been organised at a time when enthusiasm for Art Nouveau continues to increase. The style had brought about a revolution in the history of European architecture and design - it is now enjoying a renaissance in Europe and beyond! I find this particularly gratifying as Brussels was the birthplace of Art Nouveau
and also played a key role in the creation of the European Union.
Art Nouveau constitutes a watershed in the history of European art. Breaking away
from the architectural vocabulary of the 19th century, it reflected both a fascination
with nature, our source of life, and a faith in the future, in science and technology.
Whilst it celebrated the former, the movement owed its existence to the materials
that could now be mass-produced through industrial processes supported by technical innovation. This duality is one of Art Nouveau’s inherent characteristics.
Artists throughout Europe were inspired by the concept of modernity, but this was
accompanied by a desire to produce aesthetically pleasing creations, displaying refinement and perfect craftsmanship. Victor Horta and Paul Hankar in Brussels, Hector
Guimard in Paris, Antoni Gaudí in Barcelona, Charles Rennie Mackintosh in Glasgow
and Josef Hoffmann in Austria all took their inspiration from Mother Nature as they
applied themselves to creating beautiful interior designs and, on a broader scale, to
enhancing our cities.
I am keen to raise awareness of the cultural significance and European dimension
of this heritage, with which we are so closely connected. In this spirit, I wish you a
“naturally” enjoyable and enriching visit!
Rudi Vervoort, Minister-President of the Government of the Brussels-Capital Region
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Note d’intention
« Il se produit une immense tristesse de penser que
la nature parle tandis que le genre humain ne l’écoute pas »
Victor Hugo
La nature, ainsi évoquée dans le passé, explique le présent et renvoie aux origines de notre situation présente.
Alors que les poètes romantiques reconnaissaient dans la
nature un espace où la totalité pouvait être intégrée dans
la multiplicité de ses connexions intimes, les perspectives
actuelles sont fort menaçantes.
Physis pour les Grecs et natura pour les Latins sont des
mots qui renvoient aux phénomènes du monde physique, au cours des choses, au mouvement de la vie en
général. C’est pourquoi l’architecte Antoni Gaudí a dit
qu’être original, c’est revenir aux origines, c’est-à-dire, à
la nature. Les métamorphoses créatives de l’Art nouveau
-mouvement paneuropéen d’une grande diversité - se
basent sur l’étude et l’observation des formes naturelles,
ce qui donne la possibilité aux créateurs de formuler un
langage libéré de l’historicisme. Ainsi, analyser la relation
de l’Art nouveau avec la nature nous renvoie à l’origine
même de la création.
Les créateurs de l’Art nouveau évoquent et interprètent
les symboles du temple de la nature, expression poétique d’un concept de la nature saisie comme une unité. On
trouve celle-ci formulée de manière prémonitoire dans
la pensée esthétique de Charles Baudelaire qui, dans son
sonnet Correspondances, permet au lecteur de percevoir
une image de la nature palpitante de vie car le monde
naturel est compris comme un seul organisme. Le lan-
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gage des correspondances suggère le mystère que les
poètes et les artistes savent reconnaître : « nos racines se
trouvent au fond des bois, entre les mousses, autour des
sources », disait Émile Gallé. De fait, voilà le rêve créateur
de l’époque propice à l’émergence de différentes interprétations des Natures de l’Art nouveau qui affirment les
particularités de chaque créateur et de chaque lieu.
L’œil de l’époque
Les façons dont on observe le monde aux différentes
époques ont initié un processus qui entraîne la formation d’un champ de vision commun. À la fin du XIXe siècle, les expériences visuelles s’étaient élargies grâce aux
nouveaux instruments d’optique, comme l’appareil photo
ou le microscope, qui permettaient de découvrir des éléments de la nature jusqu’alors invisibles à l’œil nu. Bientôt, des dictionnaires ou des albums rassemblent plantes
et animaux publiés sous forme de planches. Ces ouvrages
bénéficièrent d’une importante diffusion et constituèrent
de nouveaux répertoires ornementaux utiles aux artistesdécorateurs. L’influence du Japon fut un autre facteur de
renouvellement artistique, où l’étude précise de la faune
et de la flore développe un nouveau sens de l’observation
et de l’interprétation de la nature. Aussi, la représentation
graphique d’images de la nature servit de modèle aux artistes de l’Art nouveau.
L’atelier de la nature
L’atelier est l’espace physique ou mental où a lieu le processus de création. Il existe une série de préoccupations
communes aux créateurs qui sont relatives à la théorisation et l’expérimentation: les possibilités de la ligne,
l’application des ornements et des structures, les mo-
dèles formels et symboliques, la connaissance des métiers, des matières et des processus techniques ainsi que
l’imagination qui transforme, fusionne et réinterprète les
formes naturelles et culturelles. L’ouverture sur un monde nouveau inspiré par la nature suppose une analyse qui
permet d’extraire des solutions logiques et structurelles,
qui sont à la base d’une méthode propre à concevoir un
bâtiment ou un objet de petite taille. Ainsi, les racines de
l’architecture organique se trouvent dans le grand livre
qu’est la nature.
La création de paysages artificiels
Un paysage est un fragment de nature qui se transforme
en métaphore dans les réalisations de l’Art nouveau. Les
principes vitaux qui portent les sens à jouir des natures artificielles, recomposées à partir des œuvres choisies pour
l’exposition, sont les quatre éléments (la terre, l’eau, le feu
et l’air). Le flux continu de l’existence est représenté symboliquement par la puissance de germination de la nature au printemps, moment où débute le cycle des saisons.
À l’époque de l’Art nouveau, l’utilisation des nouvelles
énergies et l’apparition de l’électricité changent les modes de production et la conception du temps. L’industrie
transforme la physionomie des paysages, la nature est
représentée de manière idéalisée pour symboliser le progrès. Les paysages de l’Art nouveau sont des jardins où
l’intervention de l’homme a modifié la nature pour créer
un spectacle stimulant dans lequel « les sons, les parfums
et les couleurs se répondent ».
Teresa-M. Sala
Professeur d’histoire de l’art à l’Universitat de Barcelona.
Commissaire de l’exposition « Natures de l’Art nouveau »
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The Aim Behind the Project
“It is immensely saddening to think that nature
speaks and mankind does not listen”
Victor Hugo
Through this reference, made in a former era, Nature
elucidates the present and reflects the origins of our situation today. Whereas the Romantic poets recognised in
nature a world whose totality could be integrated into its
profusion of intimate connections, our modern attitude
gives great cause for concern.
The Greek word physis and the Latin natura are terms that
refer to phenomena in the physical world, to the natural
course of things, and to the rhythm of life in general. As
the architect Antoni Gaudí put it: “to be original involves
revisiting our origins”, in other words, nature. The creative
metamorphoses brought about by Art Nouveau –a richly
diverse Pan-European movement - are based on the
study and observation of natural forms, which enabled
its creators to formulate a language free from historical
precedent. In this way, by analysing the relationship between Art Nouveau and nature, we are returning to the
very origins of creation.
Art Nouveau creators evoked and interpreted the symbols of “Nature’s temple”, a poetic expression describing
nature grasped as a totality. In prophetic fashion, Charles
Baudelaire gave aesthetic voice to this notion; his sonnet
Correspondances presents the reader with the image of
nature, conceived as a single organism, pulsating with
life. The language used evokes its mystery, recognised
by poets and artists, and expressed here by Émile Gallé :
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Natures de l’Art nouveau
“Our roots are in the heart of the forest, among the mosses, on the banks of the streams”. In this way, the creative dream that emerged during this period gave rise to
different interpretations of the diverse “natures” of Art
Nouveau, highlighting the individuality of each artist and
se location.
produit une immense tristesse de penser
of“Il
each
la nature parle tandis que le genre humain ne
The
EyeHugo)
of an Era
Victor
Different periods have observed the world in their own
ways, thereby generating a process that has brought
about the creation of common visual fields. In the late
19th century, the scope of visual experience had been
broadened through the invention of new optical instruments such as the camera and the microscope. These
had brought to light elements of the natural world previously invisible to the naked eye ; this soon led to the
publication of dictionaries and albums illustrated with
plates depicting plants and animals. These books enjoyed a wide circulation and provided useful new decorative repertoires for artist-designers. An additional source
of artistic regeneration was the influence of Japan, where
the meticulous study of flora and fauna inspired a new
approach to observing and interpreting nature. Pictorial
representations of nature also served as models for Art
Nouveau artists.
Nature’s Studio
Here, the term “studio” denotes the physical or intellectual space where the creative process develops. A series
of preoccupations relating to theory and experimentation
has commonly engaged creative minds: the possibilities
afforded by line, the treatment of decoration and structures, the models to be used for form and symbolism, to-
gether with knowledge of crafts, materials and technical
processes. Imagination also plays its part, transforming,
merging and re-interpreting natural and cultural forms.
The discovery of a new world inspired by nature necessitated an analysis from which logical, structural soluquetions could be obtained. These constitute the basis of a
method
to the design of a building or a small
l’écoute
pasapplicable
”
object. We see organic architecture, therefore, rooted in
the vast book of nature.
The Creation of Artificial Landscapes
A landscape is a fragment of the natural world transformed into a metaphor through Art Nouveau creations. The
four vital elements (earth, water, fire and air) stimulate
our sensory pleasure in the artificial landscapes, re-composed using works selected for the exhibition as a basis.
The continual flow of life is symbolically represented by
the powerful germinating force of nature in spring, when
the cycle of the seasons begins. During the Art Nouveau
period, the use of new forms of energy and the advent
of electricity changed production methods and altered
our conception of time. Industry transformed the physiognomy of landscapes, with nature being depicted in
an idealised manner to symbolise progress. Art Nouveau
landscapes are gardens, where human intervention has
reconfigured the natural world to create a spectacle that
stimulates our senses, and where we find “commingled
perfumes, sounds and hues”.
Teresa Sala
Professor of Art History at the Universitat de Barcelona. Curator of
the exhibition “The Nature of Art Nouveau”
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Introduction
Jusque dans les années 1880, des compositions décoratives, surtout destinées aux besoins des manufactures, empruntaient au répertoire ornemental du passé. Au lendemain de la première Exposition Universelle de Londres de
1851, furent ainsi publiés en trois langues des ouvrages
accumulant la production artistique de l’humanité depuis
l’origine des temps (Owen Jones, 1855 ; Auguste Racinet,
1869...). Dans cet historicisme « encyclopédique », chacun
puisait à sa guise, qu’il respecte le motif à la lettre ou qu’il
l’interprète.
Mais l’époque réclamait une esthétique nouvelle, dégagée du rapport à l’histoire. L’observation de la flore
ou de la faune offrait une alternative riche de possibilités. L’étude documentaire d’un Gérard van Spaendonck
puis d’un Pierre-Joseph Redouté recherchait la précision
« anatomique », un genre qui devait beaucoup à l’esprit
des Lumières et qui fut vite supplanté par la photographie.
De la soif de changement qui caractérise l’Art nouveau
viendra un autre regard, celui posé sur les études scientifiques de l’anatomie et de l’organographie de la plante
comme celles de E. Le Maout, en 1846 et de P. Duchartre
en 1877, renvoyant au débat les théories opposées de G.
Cuvier, de J.B. de Lamark puis de Ch. Darwin). Dès lors, on
comprend qu’une vision organiciste qui mettait l’accent
sur la nature comprise comme un tout, observée chez
Pierre-Victor Galland, Emile Gallé et Antoni Gaudí, ait pu
naître.
En élargissant considérablement les points de vue, les
éléments constitutifs de la plante (tissus cellulaires, ra-
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cines, tiges, feuilles, fleurs, bourgeons, inflorescences,
ramifications, etc.) associés aux règles de la composition
décorative, devenaient source d’interprétation à l’infini.
Photographies en vue rapprochée et observations au microscope appartiennent aussi à ce monde que concrétisent les publications de Karl Blossfeldt et d’Ernst Haeckel
– puis, dans sa mouvance, celles d’Henri Sullivan ou de
René Binet.
Á ces nouvelles postures s’ajoutait la découverte des
arts orientaux, en particulier ceux du Japon dont les objets furent présentés dans les Expositions universelles
- à Londres dès 1862... Pour un occidental, se révélait
l’étonnante efficacité plastique des estampes : des compositions asymétriques, des formes synthétiques et stylisées, des graphismes à la liberté contrôlée, des couleurs
étonnantes, souvent en aplat, créant rythme et espace
jusqu’à l’abstraction... Ces leçons plastiques combinées
à l’usage inédit de matériaux et à de nouvelles sources
d’inspiration exprimaient parfaitement l’esprit créatif du
moment. Tous les arts visuels en seront tributaires – y
compris l’architecture et les arts décoratifs, qu’il s’agisse
des meubles, des textiles, de la porcelaine, de la verrerie, du vitrail, de la ferronnerie, des bijoux, etc... En témoignent nombre de publications, la plupart du temps
à but pédagogique quand elles ne sont pas au service
du monde commercial (F. S. Meyer, 1889 ; A.E.V. Lilley et
W. Midgley, 1895 ; Eugène Grasset, 1896 ; Walter Crane, 1900…) Quant au goût formel de la ligne pour ellemême, il émerge particulièrement dans le monde de
l’architecture en flattant simultanément la géométrie
orthogonale (P. Hankar, O. Wagner, C.R. Mackintosh…) et
curviligne (V. Horta, H. Guimard, H. Van de Velde…). Cette dichotomie n’est pas contradictoire. Au contraire, elle
montre combien les registres ne sont pas clos : de la nature réelle (ou réinventée par une imagination fantasmatique), leur ouverture à l’univers dans son entier s’étend
depuis les animaux les plus insignifiants – les insectes ou
le monde aquatique – jusqu’à des bêtes extraordinaires :
dragon, chimère, centaure… On ne peut expliquer autrement l’engouement pour un symbolisme inspiré par les
textes sacrés et la métaphysique. Issu du monde pictural,
il touche aussi bien le corps idéalisé de la femme, le cycle
des saisons, les éléments naturels des paysages inventés
ou bien réels (comme ceux bouleversés par l’industrie).
Dès avant la Grande Guerre, l’intérêt se déplaça vers les
cultures extra-européennes ou primitives venues d’Afrique
ou d’Océanie. On en vantait la vie simple et libre au sein
de la nature, sorte d’Eden à la Gauguin - à l’inverse des
sociétés européennes sophistiquées du siècle finissant.
Parce qu’elles ignoraient les canons de l’art académique,
ces peuplades primitives véhiculaient un exotisme que
l’on jugea authentique, expressif... Il n’y avait pas loin du
primitivisme au régionalisme. Tous deux partagent un fort
goût pour l’expressivité. Miroir de la culture nordique, le
pavillon de la Finlande, à l’Exposition Universelle de Paris
en 1900, remporta un franc succès. La nouveauté y prenait un caractère universel : s’associaient modestie et fraîcheur, passé et présent, nation et culture au service d’un
idéal poétique. C.R. Mackintosh en Écosse et L. Domenech
i Montaner en Catalogne puiseront aux mêmes sources.
Outre les volumétries complexes des toitures à la manière
des Arts and Crafts anglais, d’autres artistes retiendront
des éléments de l’architecture vernaculaire comme la
demi-croupe ou le pignon - détails parfaitement ordinaires dont le caractère rural devenait signifiant (L. Bonnier
à Ambleteuse, C. Voysey à Oxshott, J.M. Olbrich à Darmstadt, H. Sauvage à Nancy, C. L’Eplattenier à la Chaux-deFonds, etc.). En se distinguant d’une culture dominante
que l’on souhaitait voir effacée, le « régionalisme », véhiculait des archétypes propres à tous les hommes et à tous
les temps.
Quand le « mouvement nouveau de l’Art décoratif »
(comme on le désignait à l’époque) gagna toute l’Europe
et plus loin encore, naquit de la nature comme source
d’inspiration primordiale, un vocable décoratif à la fantaisie sans limite. Dans les années 1890, mais pour un temps
seulement, l’ornementation dont cette inspiration découlait faisait corps symbiotiquement avec son support
et son environnement. Une nouvelle exigence allait
s’imposer dès la première Exposition des arts décoratifs
modernes de Turin en 1902, à laquelle participaient tous
les pays où l’Art nouveau s’était développé : elle réclamait le contrôle de la volubilité décorative, qui fut le talon d’Achille de l’Art nouveau. Le modernisme, tel qu’il se
déclinera après 1900, imposera simplification des formes
et purification du langage.
Hélène Guéné
Professeur émérite d’histoire de l’art contemporain à l’Université
Lumière, Lyon 2
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Introduction
Prior to the 1880s, decorative compositions, which were
mainly intended to meet the needs of factory production,
drew on the ornamental repertoire of the past. In this way,
books detailing mankind’s artistic output from the dawn
of time were published in three languages following the
Great Exhibition held in London in 1851, examples being
Owen Jones in 1855 and Auguste Racinet in 1869. This
“encyclopaedic” historical panorama provided inspiration
for all, and designs might be faithfully replicated or given
an original interpretation.
However, the period called for a new aesthetic principle
free from historical tradition, and the observation of flora
and fauna offered an alternative rich in possibilities. The
accurate studies of Gérard van Spaendonck and later those
of Pierre-Joseph Redouté reflected a quest for “anatomical” precision, an approach which owed much to the spirit
of the Enlightenment and was to be rapidly supplanted by
photography.
The thirst for change which characterises Art Nouveau
introduced another perspective in the focus on scientific studies of the anatomy and organography of plants.
Examples include the works by Emmanuel Le Maout
(1846) and Pierre Duchartre (1877), which reflected the
debate over the conflicting theories of Georges Cuvier,
Jean-Baptiste de Lamark and later, of Charles Darwin. This
enables us to understand the emergence of organicist vision, which emphasised the concept of nature as a single
entity, as perceived by Pierre-Victor Galland, Emile Gallé
and Antoni Gaudí.
Used in conjunction with the rules of decorative composi-
14
tion, the constituent elements of plants (cell tissue, roots,
stems, leaves, flowers, buds, blossoms, branches and so
on) greatly broadened artistic perspectives, becoming
a source of interpretation offering endless possibilities.
Magnified photographs and observations through a microscope also form part of this world, brought to life in the
publications of Karl Blossfeldt and Ernst Haeckel, which in
turn influenced those of Henry Sullivan and René Binet.
These new approaches were accompanied by the discovery of Oriental arts, in particular those of Japan; Japanese objects were shown at the World Exhibitions, the
first occasion being in London in 1862. Westerners were
astonished by the remarkable quality of plasticity displayed by the prints, with their asymmetrical compositions,
synthetic, stylised forms, the controlled freedom of their
draughtsmanship and their breathtaking colours, often
flat tints, which created an impression of rhythm and
space verging on abstraction. These lessons in plasticity,
combined with novel ways of using materials and with
fresh sources of inspiration, perfectly expressed the creative spirit of the time. The influences extended to all the
visual arts, including architecture and the decorative arts,
and applied to objects such as furniture, textiles, porcelain, glassware, stained glass, ironwork, jewellery and
so forth. This is reflected by a number of publications,
mostly intended for educational or commercial purposes.
Examples include works by F. S. Meyer, 1889; A.E.V. Lilley
and W. Midgley, 1895; Eugène Grasset, 1896 and Walter
Crane, 1900. Appreciation of line for its own sake became
particularly apparent in the world of architecture, where orthogonal geometry (Paul Hankar, Otto Wagner and
Charles Rennie Mackintosh) and curvilinear forms (Victor
Horta, Hector Guimard and Henry Van de Velde) were
equally favoured. This dichotomy is far from contradictory.
Indeed, it demonstrates the lack of boundaries between
categories; originating from nature itself (or nature as reinvented by a fantastical imagination), they encompassed
the entire universe, from the most insignificant creatures
–insects or aquatic life-forms– to mythological beasts
such as dragons, chimeras and centaurs. This must surely
explain the enormous enthusiasm for symbolism inspired
by sacred texts and the realm of metaphysics. Generated
by the pictorial world, it was used for the idealised depiction of the female body, the cycle of the seasons and the
natural elements of landscapes both invented and real,
such as those defaced by industry.
Before the First World War, interest had shifted beyond
Europe’s borders to indigenous cultures originating from
Africa and Oceania. There was praise for the freedom
and simplicity of life spent in the heart of nature, seen as
comparable to a Garden of Eden reminiscent of Gaugin’s
paintings - the antithesis of the sophisticated societies of
late 19 th century Europe. Unaware of the canons of academic art, these native tribes conveyed a notion of exoticism
seen as authentic and expressive – and from Primitivism
to Regionalism there was but a small step. Both movements shared a strong predilection for expressivity. The
Finnish pavillion, a reflection of Nordic culture, met with
resounding success at the Paris World Exhibition of 1900.
Its novelty took on a universal character, as it combined
modesty and freshness, past and present, and nation and
culture in the service of a poetic ideal. Charles Rennie
Mackintosh in Scotland and Lluís Domènech i Montaner in
Catalonia were to draw inspiration from the same sources.
In addition to the complex volumetry of roof-structures
characteristic of the English Arts and Crafts movement,
other artists were to retain elements of vernacular architecture such as the half-hip or the gable, quite ordinary
details whose rural character was becoming an important
feature (for example Louis Bonnier at Ambleteuse, Charles Voysey at Oxshott, Joseph Maria Olbrich at Darmstadt,
Henri Sauvage at Nancy and Charles L’Eplattenier at La
Chaux-de-Fonds, among others). Setting itself apart from
a dominant culture which it hoped to see eclipsed, the
« Regionalist » movement provided archetypes suitable
for all humankind and all eras.
The “new decorative arts movement” (as it was known at
the time) spread throughout Europe and beyond; taking
nature as its primal source of inspiration, it generated a
decorative vocabulary offering boundless imaginative
possibilities. For just a short time during the 1890s, the
ornamentation created from this source of inspiration was
perfectly at one with its medium and its environment. A
new requirement was to be imposed following the first
International Exhibition of Modern Decorative Arts held in
Turin in 1902, in which all the countries where Art Nouveau
had developed participated. It called for restraint with regard to decorative excess, which was Art Nouveau’s Achilles’ heel. As Modernism developed after 1900, it brought
about a simplification of form and a purity of language
Hélène Guéné
Professor Emerita of Contemporary Art History at the Université
Lumière, Lyon 2.
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Vincent Munier
Originaire de Lorraine, le photographe français Vincent Munier est un fervent défenseur de la nature. Suivant les traces
de son père, Michel Munier, lui-même photographe animalier, il s’inspire également de photographes japonais comme
Michio Hoshino et américains comme Jim Brandenburg.
Ses images, qui rappellent subtilement les estampes japonaises, célèbrent la beauté de la nature mais également sa
fragilité, sensibilisant ainsi les lecteurs aux dangers qui la
guettent. Lauréat à trois reprises du BBC Wildlife Photographer of the Year Award et cité parmi les photographes
de légende de la société Nikon Corporation au Japon, il est
aujourd’hui considéré comme l’un des photographes professionnels les plus talentueux de sa génération et multiplie
les collaborations avec de prestigieux magazines français
et internationaux tels que National Geographic World, BBC
Wildlife Magazine, Terre Sauvage ou Geo.
Photo © Vincent Munier
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Vincent Munier
A native of Lorraine, the French photographer Vincent Munier is passionate about protecting nature. Following in the
footseps of his father Michel Munier (also a wildlife photographer), he draws inspiration from both Japanese and
American photographers such as Michio Hoshino and Jim
Brandenburg.
His images, subtly reminiscent of Japanese prints, celebrate
the fragility as well as the beauty of nature, alerting readers to the dangers that threaten it. A three-time winner of
the BBC Wildlife Photographer of the Year Award and listed
in the ranks of legendary photographers compiled by the
Japanese-based Nikon Corporation, he is considered to be
one of the most talented professional photographers of his
generation. He has collaborated on several occasions with
prestigious French and international magazines such as National Geographic World, BBC Wildlife Magazine, Terre Sauvage and Geo.
Photo © Vincent Munier
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Photo © Vincent Munier
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Photo © Vincent Munier
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« Le monde de l’art n’est pas celui de l’immortalité,
c’est celui de la métamorphose. »
“The world of art is not a world of immortality
but of metamorphosis.”
André Malraux
En puisant leur inspiration dans la nature, les artistes de
l’Art nouveau n’ont pas figé celle-ci, mais l’ont stylisée et
sublimée par la maîtrise des techniques artisanales et la
richesse des matériaux, dépeignant tour à tour sa variété, sa majesté, ses secrets que seul le microscope pouvait
dévoiler ou encore sa permanente renaissance.
Cette idée de transformation évoquée dans l’exposition
« Natures de l’Art nouveau » est abordée dans cet ouvrage
sous ses multiples aspects, à travers les cycles de la vie,
du temps et des saisons et les créatures chimériques nées
des vagabondages de l’imagination que l’on retrouve
dans l’architecture, le mobilier et le répertoire décoratif
Art nouveau de quatorze villes européennes.
In taking their inspiration from nature, Art Nouveau artists did not reproduce it as a frozen mirror-image; instead
they stylised and enhanced it through their mastery of
artisanal techniques and the richness of their materials,
depicting its variety, its majesty, its secrets - revealed only
through the microscope - and its continual regeneration.
This publication explores the many and varied aspects
of that concept of transformation, which is presented in
the exhibition “The Nature of Art Nouveau” through life
cycles, the weather, the seasons and extraordinary creatures born of fanciful imagination. These are to be found
in the architecture, furniture and decorative repertoire of
Art Nouveau in fourteen European cities.
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Le Jugendstil norvégien ou l’émergence d’une nouvelle
architecture nationale
Au tournant du siècle, les Norvégiens souhaitent insuffler un caractère national à leur architecture, c’est
pourquoi l’Art nouveau s’est directement inspiré de
l’architecture médiévale et du style « dragon ».
La ville côtière d’Alesund, principalement constituée
de maisons en bois, brûla entièrement en 1904. Pour
la reconstruire, on se tourna vers les nouvelles technologies et un style moderne.
De nouveaux édifices en brique furent dotés de murs
creux pour s’adapter à l’humidité élevée et aux fortes précipitations en permettant un séchage plus
rapide. De nombreux bâtiments disposent de clapets
d’aération sur les façades et les conduits d’air respectent l’alignement des poutres de soutènement pour
une bonne ventilation des appartements.
Durant tout le XIXe siècle, la théorie des miasmes
soutenait que les maladies étaient provoquées par
un air contaminé. Les arguments du début du XXe
siècle en faveur de systèmes de ventilation sont
donc techniques et sanitaires.
À Alesund, les motifs ornementaux de l’Art nouveau
sont souvent issus de la mer, comme les nœuds
marins ou la vague, mais de nombreux édifices ont
reçu une décoration composée de fruits, de fleurs et
d’insectes. Un des architectes les plus significatifs de
Alesund
ce mouvement fut Hagbarth Schytte-Berg (18601944), qui utilisa des motifs issus des églises en bois
norvégiennes, des légendes et des contes aussi bien
pour des villas que pour des bâtiments commerciaux.
Son chef-d’œuvre, la Pharmacie du Cygne (1907),
possède un toit d’ardoises, des tours d’angle et une
façade faite de mœllons bruts. À l’intérieur, on trouve
nombre de serpents en émail guilloché s’inspirant
de ceux des églises médiévales en bois. Le serpent
est considéré comme un symbole d’éternité et de
fertilité, un symbole phallique également, que seuls
les démons peuvent anéantir. Dans la pharmacie, on
trouve aussi beaucoup de chouettes évoquant la sagesse. Les vitraux de la cage d’escalier sont décorés
de fleurs et de paysages côtiers. Le granit brut des
pierres de la façade, solide et résistant, peut être interprété comme un élément national.
(p. 26) Hagbart Schytte-Berg, façade de la Pharmacie du Cygne
(Alesund 1907). Photo: Jugendstilsenteret.
(p. 29) Hagbart Schytte-Berg, Pharmacie du Cygne, détail d’une
porte en bois sculpté (Alesund 1907).
Photo: Jugendstilsenteret.
27
The Norwegian Jugendstil or the emergence of a new
national architecture
At the turn of the century, Norwegians were keen to
infuse their buildings with national character, which
explains the roles of Medieval architecture and the
“dragon” style as direct sources of inspiration for Art
Nouveau.
noteworthy exponents of this trend was the architect Hagbarth Schytte-Berg (1860-1944), who used
motifs sourced from Norwegian wooden churches,
legends and stories for private villas as well as commercial buildings.
The coastal town of Alesund, which mainly comprised houses made of wood, burnt to the ground in
1904. Its reconstruction was based on the adoption
of new technology and a modern style.
His masterpiece, the Swan Pharmacy Building (1907),
has a slate roof, corner towers and a façade made
of untreated rubblestone. The interior contains a
number of serpents in guilloche enamel inspired by
those in the medieval wooden churches. The serpent
denotes eternity and fertility and is also a phallic
symbol, which can only be destroyed by demons.
The interior of the Pharmacy also contains several
owls, suggestive of wisdom. The stained glass in the
stairwell is decorated with a design of flowers and
coastal landscapes. The untreated granite on the
façade, solid and resistant, may be construed as a
national feature.
New brick buildings were given hollow walls to
enable them to adapt to higher humidity levels
and heavy rain, facilitating a speedier drying process.
Several buildings featured ventilation flaps on their
façades and the air conduits followed the alignments
of the support beams, ensuring that the apartments
were well ventilated.
The miasma theory, according to which diseases
were caused by contaminated air, persisted throughout the 19th century. The early 20th century arguments in favour of ventilation systems were therefore based on technical and sanitary considerations.
Ornamental Art Nouveau motifs in Alesund are often inspired by the sea, such as knots and waves, but
many buildings were given decorative designs composed of fruits, flowers and insects. One of the most
28
(p. 26) Hagbart Schytte-Berg, façade of the Swan Pharmacy
(Alesund 1907). Photo: Jugendstilsenteret.
Alesund
(p. 29) Hagbart Schytte-Berg, Swan Pharmacy, detail of a carved
wooden door (Alesund 1907).
Photo: Jugendstilsenteret.
29
30
Le sombre mirage de Theodor Kittelsen
Peintre et concepteur de mobilier, Theodor Kittelsen
(1857-1914) s’investissait dans la littérature, la publicité et l’illustration. La cœxistence de l’Homme avec
la nature était le fil conducteur de toute son œuvre
et de sa vie personnelle.
Les métamorphoses étaient sa raison d’être. Ainsi, la
montagne avec ses sommets, ses gorges et ses forêts
devenait le grand troll Montagne ; un rocher sur la
rive se changeait en Draugen, un vieil homme sans
tête au corps couvert d’algues. Si quelqu’un venait
à sombrer en mer, Draugen hurlait. Kittelsen emporta aussi bien les adultes que les enfants norvégiens dans un monde fantastique de contes de fées,
devenant ainsi l’un des artistes norvégiens les plus
appréciés.
L’illustration Mirage, qui date de 1888, a été réalisée
pour son livre Depuis Lofoten. De 1887 à 1889, Kittelsen vécut aux Lofoten, un archipel du nord de la
Norvège dont le rude climat et la nature devinrent
une source d’inspiration pour le reste de ses jours.
Mirage est décliné dans différentes tonalités de gris.
Au premier plan se trouve la mer sombre. Alors que
le soleil de minuit rentre dans l’océan, il semble
qu’un nouveau soleil elliptique s’élève par-dessus.
Le phénomène sous ces latitudes crée de singulières
Alesund
illusions d’optique. Des créatures indistinctes ressemblant à des sommets montagneux émergent de
l’océan. L’apparent brouillard crée une tension entre
le réel et l’irréel, pareille à un mirage. Kittelsen écrivit lui-même : « Il semble que les sommets montent
et descendent. (…) Les châteaux et la Tour de Babel
sortent de terre et s’écroulent comme la plus misérable et rustique des cabanes. »
Le ciel confère un côté dramatique à la scène. Une
nuée d’oiseaux noirs volant vers des régions plus
chaudes s’y déploie jusque sous l’horizon. La composition paraît équilibrée mais, quand le spectateur
l’examine avec attention, il se passe quelque chose.
Des nuages, surgit un ange avec un masque noir. À
l’aide d’une faucille, celui-ci divise la masse des oiseaux et de là naît le chaos. On peut presque entendre leur cri d’effroi.
La scène a pour référence le Livre de la Révélation,
et apparaît comme un portrait dramatique de la vie
humaine. La juste colère de Dieu, et l’homme minuscule dans une nature majestueuse.
(p. 30) Theodor Kittelsen, Mirage (1888), illustration de son ouvrage
Fra Lofoten, dessin au lavis, crayon et plume, 27,5 x 47 cm.
Photo : Jugendstilsenteret.
(p. 33) Theodor Kittelsen, détail de l’illustration Mirage
31
The sombre mirage of Theodor Kittelsen
A painter and furniture designer, Theodor Kittelsen
(1857-1914) devoted himself to literature, publicity images and illustration. Man’s co-existence with
nature formed the central theme of his work and
personal life.
Metamorphosis was his abiding passion. In this way,
mountains with their peaks, gorges and forests became the great Mountain Troll; a rock on the river-bank
was transformed into a headless old man known as
Draugen, whose body was covered with algae and
who would howl in the event of someone drowning
at sea. Kittelsen transported Norwegian adults and
children alike into a fantastical, fairy-tale world, becoming one of Norway’s most popular artists.
The illustration entitled Mirage, which dates from
1888, was created for his book Lofoten. From 1887
to 1889 Kittelsen lived in Lofoten, an archipelago in
northern Norway; its natural environment and harsh
climate remained a source of inspiration for him to
the end of his days.
Mirage is executed in different tones of grey. The
sombre sea lies in the foreground, and as the midnight sun dips back into the ocean, a new, elliptical
sun appears to rise above it; the phenomenon creates
unique optical illusions in these latitudes. Indistinct
32
creatures resembling mountain peaks emerge from
the ocean and an apparent fog creates a tension
between the real and the unreal, akin to a mirage.
Kittelsen himself wrote: “summits seem to rise and
descend (…) Castles and the Tower of Babel are born
of the earth and collapse just like the most wretched
and rustic of huts.”
The sky imparts a dramatic aspect to the scene.
Spreading over it, a flock of black birds flying to warmer regions extends below the horizon. Although
the composition appears balanced, on closer scrutiny
the spectator becomes aware of something happening. An angel wearing a black mask is looming out
of the clouds. Using a sickle, this figure cuts through
the mass of birds, thereby generating chaos. Their
terrified screeches are almost audible.
The scene is based on the Book of Revelations and
presents a dramatic portrayal of human existence
– the righteous wrath of God, with man dwarfed by
the majesty of nature.
Alesund
(p. 30) Theodor Kittelsen, Mirage (1888), illustration from his book Fra
Lofoten, pen, pencil and wash, 27.5 x 47 cm. Photo: Jugendstilsenteret.
(p. 33) Theodor Kittelsen, detail of the illustrationn Mirage
33
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La maison Belmonte, un hymne à la nature devenu Musée
La demeure de Mário Belmonte Pessoa fut édifiée
entre 1907 et 1909. À l’heure actuelle, elle sert de
cadre au Musée Art nouveau de la ville d’Aveiro. Le
bâtiment attira d’emblée l’attention quand il fut
construit et des articles furent publiés dans la presse de l’époque, vantant sa beauté et sa modernité.
Aujourd’hui encore, il stimule l’imagination des
visiteurs qui, très souvent, avouent qu’ils seraient
très heureux d’y vivre. En fait, on peut penser que
l’objectif de cette maison était véritablement le bonheur et le bien-être de ses habitants. Plusieurs éléments contribuèrent à atteindre ce but : les couleurs
claires de l’intérieur, les carrelages aux motifs floraux
et animaliers qui embellissent le premier étage, les
fenêtres cintrées qui laissent abondamment entrer
la lumière, le patio avec son sol en pierre au travail
foisonnant...
De nos jours encore, le sentiment éprouvé est celui
de l’harmonie avec la nature. Au premier regard, la
prépondérance d’une décoration mettant en scène
animaux et plantes apparaît comme une évidence
tant au niveau de la façade avant que de la façade
arrière, une emphase caractéristique de l’Art nouveau
local qui semble être au service de l’ostentation sociale de la réussite économique. Toutefois, la présence de motifs naturels ne sert pas uniquement
Aveiro
de décoration ; elle exprime aussi le souhait de reproduire un jardin en pleine ville dans une période
d’industrialisation et de construction intenses, grâce
à l’exubérance des façades certes, mais également
grâce à l’atmosphère plus contenue de l’intérieur de
l’édifice. Si un jardin pouvait être transformé, voire
métamorphosé, en maison, c’est cet aspect qu’il aurait !
(p. 38) Francisco Silva Rocha, façade de l’ancienne résidence Mário Pessoa, actuel Musée Art nouveau d’Aveiro
(Aveiro 1907-1909)
© Municipalité d’Aveiro, photo : Gustavo Ramos
(p. 41) Francisco Silva Rocha, détail de la façade de l’ancienne
résidence Mário Pessoa, actuel Musée Art nouveau d’Aveiro
(Aveiro 1907-1909)
© Municipalité d’Aveiro, photo : Gustavo Ramos
35
The Belmonte house, a hymn to nature transformed into a Museum
Built from 1907 to 1909, the home formerly owned
by Mário Belmonte Pessoa now houses the city of
Aveiro’s Art Nouveau museum. The building attracted attention from the outset, inspiring articles
in the contemporary press extolling its beauty and
modernity. It still arouses enthusiasm among today’s
visitors, many of whom admit they would be only
too happy to make it their home. The house certainly
appears to have been designed with the comfort and
well-being of its inhabitants foremost in mind. Several features help to achieve this purpose: the light
colours in the interior, the tiling with its floral and
animal motifs adorning the first storey, the arched
windows enabling light to flood in, and the patio
with its richly worked stone floor.
The impression of harmony with nature still remains
today. At first sight, the dominance of decoration
featuring animals and plants on both the front and
rear façades seems reflect an extravagance characteristic of the local Art Nouveau, which appeared to
serve as a vehicle for social ostentation and economic success. However, the nature-themed motifs
fulfill more than a purely decorative aim; they reflect
the desire to recreate a garden in the very heart of
the city during a period of intensive industrialisation
and construction. This is certainly achieved through
36
the exuberantly adorned façades, but also through
the more restrained atmosphere in the interior of
the building. If a garden could be transformed, or
even metamorphosed, into a house, it would look
exactly like this!
(p. 38) Francisco Silva Rocha, façade of the former home of Mário Pessoa,
now the Aveiro Art Nouveau Museum(Aveiro 1907-1909)
© Municipality of Aveiro, photo : Gustavo Ramos
Aveiro
(p. 41) Francisco Silva Rocha, detail of the façade of the former home of Mário Pessoa, now the Aveiro Art Nouveau Museum (Aveiro 1907-
1909) © Municipality of Aveiro, photo : Gustavo Ramos
37
38
Le dernier espoir d’Artur Pratt
Dans la ville d’Aveiro, le style Art nouveau apparaît
dans la conception de plusieurs tombes du cimetière
central. La plus connue est sans doute le mausolée
réalisé pour la famille Barbosa de Magalhães. Conçu
par Ernesto Korrodi, il adopte les mêmes lignes et le
même type de décoration profuse qui caractérisent
les maisons Art nouveau de l’époque. Dans ce cas, la
demeure des vivants ne semble pas très différente
de celle des morts, excepté peut-être au niveau des
fenêtres qui, dans le cas du mausolée, se résument
à d’étroites fentes alors que les architectes ont opté
dans les maisons ordinaires pour de vastes baies vitrées, propices à faire entrer la lumière naturelle.
Dans ce même cimetière central, il faut également
signaler une crypte Art nouveau très particulière qui
véhicule un message très différent. La tombe n’est
pas une maison pour le corps mais l’expression finale
de l’âme. Cette crypte qui fut bâtie en 1914 appartient à la famille de l’artiste Artur Pratt et possède
un remarquable groupe sculpté en bronze baptisé
l’Ultimo Alento, ou le « dernier espoir » par l’artiste
lui-même. La statue en bronze figure la Mort vêtue d’une ample cape plissée, la tête couverte par
un capuchon qui ne cache pas tout à fait le crâne.
En fait, le spectateur l’imagine, le perçoit davantage qu’il ne le voit réellement. Le corps de la jeune
Aveiro
femme, très sensuel, clairement visible à travers le
tissu très fin, presque transparent, de la robe, exprime à la fois l’abandon à la mort et l’espoir symbolisé
par une main posée sur la poitrine. Sur d’anciennes
représentations, on peut voir que la Mort tient dans
la main un sablier symbolisant la fin du temps passé
chez les vivants. La jeune femme porte une torche
qui peut aussi bien signifier la lumière éternelle que
la disparition de la lumière et l’entrée dans les ténèbres.
(p. 38) Artur Pratt, Le Dernier Espoir, groupe sculpté en bronze (Aveiro 1914)
© Municipalité d’Aveiro, photo : Gustavo Ramos
(p. 41) Artur Pratt, Le Dernier Espoir, détail du groupe sculpté en bronze (Aveiro 1914) © Municipalité d’Aveiro, photo : Gustavo Ramos
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The Last Hope, by Artur Pratt
The Art Nouveau style appears in the design of several tombs in the main cemetery of the city of Aveiro.
The most famous of these is probably the mausoleum created for the Barbosa de Magalhães family.
Designed by Ernesto Korrodi, it displays the same lines and the same type of abundant decoration characterising Art Nouveau houses from that period. In
this instance, the abode of the living does not appear
to differ greatly from that of the deceased, except
perhaps for the windows; in the case of the mausoleum, these are reduced to narrow slits, whereas
architects endowed ordinary houses with vast bay
windows to let in plenty of natural light.
The main cemetery also contains a noteworthy and
completely unique Art Nouveau crypt, which conveys
a very different message. This tomb is not primarily
a resting place for the body, but represents the final
expression of the soul. Built in 1914, the crypt belongs to the family of the artist Artur Pratt, and includes a remarkable group sculpted in bronze made
by the artist himself and entitled Ultimo Alento, or
« last hope ». The bronze statue represents Death,
clad in a voluminous, pleated cloak, his head covered by a hood that does not entirely conceal his skull.
This is in fact imagined by the spectator, who senses
it rather than seeing it. The highly sensual body of
40
the young woman is clearly visible through the very
thin, almost transparent material of her dress, and
although it expresses a yielding to death there is also
hope, denoted by her hand placed on her breast. In
early images, Death can be seen holding an hourglass to symbolise the end of time spent among the
living. The young woman carries a torch, which may
represent either eternal light or the disappearance of
light and the entry into darkness.
(p. 38) Artur Pratt, The Last Hope,
group sculpted in bronze (Aveiro 1914)
© Municipality of Aveiro, photo : Gustavo Ramos
Aveiro
(p. 41) Artur Pratt, The Last Hope,
detail of group sculpted in bronze (Aveiro 1914)
© Municipality of Aveiro, photo : Gustavo Ramos
41
42
Les Enfants papillons
Friedrich Wilhelm Kleukens (1878-1956) apprit l’art
du dessin dans la fabrique d’argenterie “Wilkens &
Son” et à l’École des arts appliqués de Berlin (Kunstgewerbeschule). Avec des amis, il fonda un atelier
artisanal à Berlin-Steglitz et se spécialisa très vite
dans le graphisme et la typographie, devenant professeur à l’Académie d’arts graphiques (Akademie für
Graphische Künste) de Leipzig. Il intégra en 1906 la
colonie d’artistes de Darmstadt sous le patronage
du Grand-Duc Ernst Ludwig de Hesse et du Rhin.
Avec son frère Christian Heinrich Kleukens, il fonda
la Ernst-Ludwig-Presse en 1907 à la demande du
souverain. Dans ce cadre, ils réalisèrent des éditions
de très haute qualité, imaginant polices, initiales et
illustrations. Friedrich Wilhelm Kleukens était avant
tout un typographe et a su développer de nouveaux
concepts, devenant célèbre pour ses annonces humoristiques et ses illustrations animalières qui
avaient un grand succès. Également peintre, il fut
à l’origine de remarquables compositions à Darmstadt.
À Bad Nauheim, il conçut la peinture plafonnante
de la maison de bains n°2 mais aussi, pour le même
bâtiment, les attrayants couples de paons des grandes fenêtres. Cependant, les cinq peintures à l’huile
figurant des enfants dotés d’ailes de papillon et de
libellule, symbolisant les saisons, sont uniques. Nous
ignorons quand elles furent exécutées et pourquoi
ces thèmes furent choisis car ils ne sont évoqués
nulle part ailleurs dans son œuvre. Elles s’inspirent
probablement de cette attirance pour les personnages hybrides qui apparaissent dans de nombreuses
œuvres d’art de l’époque. Pensons notamment aux
sculptures ou aux bijoux présentant des femmesinsectes en vogue chez Lalique ou Wolfers.
Sur le document en page 42, on peut voir une jeune
fille avec des ailes de papillon, tenant un bouquet
de fleurs. En page 45, un garçon occupe le centre
d’une guirlande florale circulaire soutenue par deux
pélicans. Sur une carte postale envoyée à un ami,
il a appelé ces peintures « Mes enfants ailés ». Les
cinq compositions qui montrent un sujet similaire
traité différemment ont été placées dans le salon du
théâtre Art nouveau de Bad Nauheim.
(p. 42) Friedrich Wilhelm Kleukens, Les Enfants papillons
(c. 1910), peinture à l’huile, 1,20 x 1,75 m
© Photo : Hiltrud Hölzinger
Bad Nauheim
(p. 45) Friedrich Wilhelm Kleukens, Les Enfants papillons
(c. 1910), peinture à l’huile, 1,20 x 1,75 m
© Photo : Hiltrud Hölzinger
43
The Butterfly Children
Friedrich Wilhelm Kleukens (1878-1956) learnt the
art of drawing in the silverware manufactory “Wilkens & Son” and at the school of Applied Arts in
Berlin (Kunstgewerbeschule). Together with a group
of friends, he established an artisans’ studio at Berlin-Steglitz; he very soon specialised in graphics and
typography, becoming a teacher at the Academy
of Graphic Arts (Akademie für Graphische Künste)
in Leipzig. In 1906 he joined the Darmstadt Artists’
Colony, which was under the patronage of Ernst Ludwig, Grand Duke of Hesse and by Rhine. In 1907, at
the sovereign’s behest, he and his brother Christian
Heinrich Kleukens founded the Ernst Ludwig Presse,
for which he produced editions of great quality, creating fonts, initials and illustrations. Primarily a typographer, Friedrich Wilhelm Kleukens developed new
designs and achieved fame for his humorous advertising images and illustrations of animals, which met
with great success. He was also a painter, and created
remarkable compositions at Darmstadt.
At Bad Nauheim he designed not only the paintings
on the ceilings of bath-house n°2, but also the attractive pairs of peacocks decorating the large windows
of the same building. However, the five oil paintings
depicting children with butterfly and dragonfly
wings, symbolising the seasons, are unique. We do
44
not know when they were painted or why these themes were chosen, but they do not appear anywhere
else in his body of work. They were probably inspired
by the penchant for those hybrid figures that appear
in several artistic creations during this period, prominent examples being the sculptures and jewellery
featuring the “insect-women” favoured by Lalique
and Wolfers.
A young girl with butterfly wings holding a bouquet
of flowers is depicted on page 42 of this catalogue.
On page 45 there is an image showing a young boy
in the centre of a garland of flowers supported by
two pelicans. On a postcard to a friend, Kleukens
referred to these paintings as “My winged children”.
The five compositions which show a similar subject
given a different treatment have been placed in the
lounge at Bad Nauheim’s Art Nouveau theatre.
Bad Nauheim
(p. 42) Friedrich Wilhelm Kleukens, Butterfly Children (c. 1910), oil
painting, 1.20 x 1.75 m © Photo : Hiltrud Hölzinger
(p. 45) Friedrich Wilhelm Kleukens, Butterfly Children (c. 1910), oil
painting, 1.20 x 1.75 m © Photo : Hiltrud Hölzinger
45
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Les centaures-gardiens des sources du Sprudelhof
Heinrich Jobst (1874-1943) étudia la sculpture à l’Académie
des beaux-arts de Munich et travailla ensuite comme professeur à l’École des arts décoratifs, également à Munich.
En 1906, il devint l’un des membres de la colonie d’artistes
de Darmstadt œuvrant sous le patronage du Grand-Duc
Ernst-Ludwig de Hesse et du Rhin.
À Bad Nauheim, il fut à l’origine de la plupart des sculptures du Sprudelhof. Les imposants bassins destinés à accueillir l’eau thermale, au centre de la cour du complexe,
furent construits en 1911 et constituent assurément sa
contribution la plus significative. Deux volées de marches
mènent, à droite comme à gauche, à deux larges bassins
aux sources écumantes. Deux centaures-gardiens, l’un femelle, l’autre mâle, terminent les parapets de ces mêmes
bassins. Leurs bustes, d’aspect humain, se prolongent en
pattes de cheval et en queue d’animal marin. Leurs têtes
supportent des corbeilles remplies de fruits. Ces figures
qui se font face reçoivent les visiteurs avec calme et dignité. Sculptées dans le calcaire coquillier, elles peuvent être
considérées comme les symboles de l’harmonie existant
entre l’homme et la nature, de la richesse de la flore et de
la faune combinée au mystère des éléments qui comptait
parmi les idéaux des protagonistes de l’Art nouveau. La figure féminine tient une rose à la main, un autre symbole
très prisé par les artistes du mouvement.
de Bad Nauheim. De nos jours, les visiteurs continuent à
apprécier le Sprudelhof, ses eaux jaillissantes et son complexe thermal, le plus vaste d’Europe, placé sous la garde
de ces deux sculptures fantastiques.
(p. 46) Heinrich Jobst, Vue générale des bassins gardés par
les centaures de pierre sculptés (Bad Nauheim 1911)
© Photo : Hiltrud Hölzinger
Bad Nauheim
Les centaures gardent l’un des lieux les plus importants du
Sprudelhof, les sources curatives venues des profondeurs,
qui apportèrent une renommée internationale à la ville
(p. 49) Heinrich Jobst, Le centaure femelle (Bad Nauheim 1911)
© Photo : Hiltrud Hölzinger
47
The centaurs guarding the Sprudelhof springs
Heinrich Jobst (1874-1943) studied sculpture at the Munich Academy of Fine Arts and later taught at the School
of Decorative Arts, also in Munich. In 1906 he became a
member of the Darmstadt Artists’ Colony, whose patron
was Ernst Ludwig, Grand Duke of Hesse and by Rhine.
continues to attract visitors today; its gushing waters and
spa complex, the largest in Europe, are secure under the
guard of these two extraordinary sculptures.
Jobst was responsible for most of the sculptures in the
Sprudelhof spa complex at Bad Nauheim. The imposing
basins in the centre of the courtyard, designed to contain
the thermal water, were built in 1911 and are certainly his
most significant contribution. Two flights of steps to the
right and left lead up to two wide basins with foaming
spring water. Two guardian-centaurs, one female, the
other male, form each end of the parapets around the basins. Their upper bodies are human in appearance, extending into horses’ hooves and sea-creatures’ tails. On their
heads are baskets filled with fruit. These figures are placed opposite each other and receive visitors with a calm
and dignified demeanour. Sculpted in shell limestone,
they may be seen as symbols of the harmony between
man and nature and of the abundance of flora and fauna
which, combined with the mystery of the elements, formed one of the ideals that inspired Art Nouveau creators.
The female figure holds a rose, another symbol beloved
by artists within the movement.
The centaurs guard the healing springs whose sources lie
deep within the ground; these count among the most important areas in the Sprudelhof and have brought international renown to the city of Bad Nauheim. The Sprudelhof
48
Bad Nauheim
(p. 46) Heinrich Jobst, General view of the basins guarded by the sculpted stone centaurs (Bad Nauheim 1911) © Photo : Hiltrud Hölzinger
(p. 49) Heinrich Jobst, The female centaur (Bad Nauheim 1911)
© Photo : Hiltrud Hölzinger
49
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Les mûriers blancs de la Casa Antònia Burés
Le paysage urbain barcelonais changea progressivement de physionomie durant l’époque du Modernisme, avec ses façades ornementales singulières qui
transformèrent les constructions en autant de joyaux. Dans le quartier Dreta de l’Eixample, les arbres
de la Casa Antònia Burés s’enracinent dans le sol de
la rue d’Ausiàs Marc, tout en flanquant la porte principale où se trouve un blason portant les initiales de
la propriétaire Antònia Burés. Celle-ci épousa Llogari
Torrents, membre d’une famille de Manresa qui se
consacrait à l’industrie textile. En 1903, il commanda
sa maison de Barcelone à l’architecte Juli Batllevell
i Arús (1864-1928), de Sabadell, qui fut disciple de
Lluís Domènech i Montaner et collaborateur d’Antoni
Gaudí.
Pour ce qui est des arbres qui décorent l’extérieur du
bâtiment, certains auteurs ont affirmé qu’il s’agissait
de pins (faisant allusion au constructeur Enric Pi),
mais ce sont bien des mûriers blancs comme l’a
toujours soutenu la famille Burés, ce qui n’a rien
d’étrange car au XVIIIe siècle, la soie faisait vivre la
moitié de la ville de Manresa. L’amidon de la feuille de mûrier était l’aliment du ver à soie qui, suivant le cycle vital de métamorphose des chenilles en
chrysalides, brise le cocon lorsque le papillon éclôt
grâce à une sécrétion acide qui sépare les fils de soie.
Barcelone
Les piliers de pierre en forme de mûriers de la Casa
Burés délimitent et créent une hiérarchie entre les
zones d’accès. Ils indiquent les axes des tribunes de
l’étage principal et organisent les plans du premier
niveau constructif. L’élément de soutien et le linteau se transforment en tronc et en feuilles, motif
végétal où l’on découvre, respectivement à droite et
à gauche, un oiseau et un écureuil. L’arbre est toujours le symbole de vie, lié au cycle des saisons et de
l’existence, un des symboles essentiels de différentes
traditions avec trois niveaux de signification: les racines (l’origine), le tronc (terre-substance) et la cime
(air-ciel). Ici, la présence de deux arbres frères, celui
de la vérité et celui de la vie (références à « l’être » et
au « connaître ») inquiète et soulève des questions.
(p. 50) Juli Batllevell i Arús, Un des deux arbres qui décorent la façade de
la Casa Antònia Burés, 46 rue d’Ausiàs Marc (Barcelone 1903-1906),
photo : Xavier Bolao © IMPUQV
(p. 53) Juli Batllevell i Arús, Un des deux arbres qui décorent la façade de
la Casa Antònia Burés, 46 rue d’Ausiàs Marc (Barcelone 1903-1906),
détail, photo : Xavier Bolao © IMPUQV
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The white mulberry trees of the Casa Antònia Burés
The physiognomy of Barcelona’s urban landscape
gradually changed during the Moderniste period,
with its remarkable ornamental façades that transformed buildings into jewels. The trees forming part
of the Casa Antònia Burés, situated in the Dreta de
l’Eixample district, rise from their roots in the Carrer
d’Ausiàs Marc to flank the main door, which bears a
shield with the initials of the owner, Antònia Burés.
She was the wife of Llogari Torrents, who belonged
to a family from Manresa involved in the textile industry. In 1903, he commissioned Juli Batllevell i
Arús (1864-1928) to design his home in Barcelona.
The architect, who originated from Sabadell, was a
disciple of Lluís Domènech i Montaner and collaborated with Antoni Gaudí.
Although some authors have maintained that the
trees decorating the exterior of the building are pines (an allusion to the master builder Enric Pi), they
are actually white mulberry trees, as has always
been asserted by the Burés family. This is not surprising, given that in the 18th century half the population of the town of Manresa made a living from
silk. Starch from the mulberry leaf provided food for
silkworms; these follow the life cycle of catepillars,
which change into chrysalises and break open their
cocoons when the butterfly hatches by means of an
52
acid secretion that separates the silk threads. The
pillars formed by the stone mulberry trees of the
Casa Burés establish a boundary, creating a hierarchy
among points of access. They are placed in line with
the balcony on the main storey and structure the
layout of the ground floor. The supporting element
and the lintel have been transformed into the plant
motifs of tree trunks and leaves; a bird and a squirrel
may be found on the right and left hand tree respectively. The tree remains the symbol of life, linked
to the cycle of the seasons and of existence. One of
the essential symbols shared by various traditions,
it contains three levels of meaning: roots (origins),
trunk (earth-matter) and summit (air-sky). Here, the
presence of two brother-trees, those of truth and life
(references to “being” and “knowing“) raises questions and provides food for thought.
(p. 50) Juli Batllevell i Arús, One of the two trees decorating the façade
of the Casa Antònia Burés, 46 Carrer d’Ausiàs Marc
(Barcelona 1903-1906), photo : Xavier Bolao © IMPUQV
Barcelona
(p. 53) Juli Batllevell i Arús, Detail of one of the two trees decorating the façade of the Casa Antònia Burés, 46 Carrer d’Ausiàs Marc
(Barcelonea 1903-1906), photo : Xavier Bolao © IMPUQV
53
54
Liliana, le papillon-âme
Liliana est le chef-d’œuvre d’Apel·les Mestres (Barcelone, 1854-1936), écrivain, dessinateur, musicien,
jardinier et collectionneur. Achevé en 1906, le poème fut imprimé en 1907 par Oliva de Vilanova dans
une édition de bibliophile. C’est un poème à la forme libre, synthèse dans laquelle Mestres médite de
manière poétique sur la relation entre l’homme
et la nature. Dans le prologue, le poète regrette le
paradis perdu, la nature primordiale où la forêt est
une sorte de cathédrale sacrée. C’est là que vivent
trois gnomes immortels Flok, Mik et Puk, qui en sont
les gardiens. Comme une révélation, dans le gouffre
des naïades, apparaît une belle femme mystérieuse
surgie « du fonds des eaux les plus profondes » qui
s’appelle Liliana. Elle naît là où la vie est engendrée
et elle incarne le pouvoir transformateur de l’amour
et de la beauté qui, en un beau matin d’avril, habille son corps d’une tunique de pétales de lin dont
Mik lui a fait cadeau. Et, après avoir contemplé son
image dans l’eau transparente, elle s’embellit encore grâce aux ailes radieuses d’un papillon que Flok
a capturé. Ainsi, elle s’enveloppe de l’innocence et
de la majesté du lin, qui se conjugue avec les ailes
déployées de la représentation de la psyché, mot
qui en grec veut dire âme et aussi papillon. Dans
l’Antiquité, le papillon-âme pouvait préfigurer la
mort, la résurrection et le salut qui deviennent ceux
du poète-artiste.
Barcelone
À la différence d’autres naïades, Liliana n’est pas méchante mais innocente, d’une beauté pure qui charme les gnomes qui en oublient leurs obligations
envers la nature. Pendant ce temps, Fleur de lin, le
sylphe venu de la plaine, l’enlève sur ses ailes. Les
gnomes, lorsqu’ils s’en rendent compte, sont abattus
et ne réagissent pas jusqu’au moment où, aidés par
les abeilles (représentant le peuple), ils boutent hors
de la forêt un braconnier qui s’y trouvait. Dans la dernière strophe du livre, Liliana meurt pendant l’hiver
tandis qu’une jonquille fleurit en son souvenir. Et,
en silence, les esprits qui gardent la nature, revenus
dans le bois où tout est vivant, écrivent la chronique
des faits dans le livre de la forêt.
(p. 54) Apel·les Mestres, Révélation, Illustration du livre Liliana (1905),
dessin à la plume et à l’encre de chine, 32,4x22 cm,
collection privée
(p. 57) Apel·les Mestres, L’Intrus, Illustration du livre Liliana (1905),
dessin à la plume et à l’encre de chine, 32,4x22 cm,
collection privée
55
Liliana, the butterfly-soul
Liliana is the masterpiece written and illustrated by
Apel·les Mestres (Barcelona, 1854-1936), a writer,
illustrator, musician, gardener and collector. Completed in 1906, the poem was published in a collectors’ edition in 1907 by Oliva de Vilanova. This
free-form poem presents a far-reaching panorama
in which Mestres meditates in lyrical manner on the
relationship between man and nature. In the prologue, the poet expresses regret for paradise lost, the
primordial world of nature where the forest may be
compared to a sacred cathedral. Here live its guardians, three immortal gnomes, Flok, Mik and Puk. A
beautiful, mysterious woman named Liliana appears
in the water-nymphs’ chasm, emerging like a revelation « from the fathomless depths of the waters
». Born at the source of life itself, she embodies the
transformational power of love and beauty, and is
clothed in this way in a tunic of flax-flower petals,
a gift from Mik on a lovely April morning. After she
has gazed at her image in the transparent water, her
beauty is enhanced by the radiant wings of a butterfly captured by Flok. She is therefore swathed in the
purity and majesty of linen, coupled with the outspread wings that represent the psyche, a word meaning both soul and butterfly in Greek. In Antiquity,
the butterfly-soul could be a presage of the death,
resurrection and salvation that await the poet-artist.
56
Unlike other water-nymphs, Liliana is not mischevious but innocent; her pure beauty captivates the
gnomes and causes them to forget their duties
towards nature. During this time, she is borne away
on the wings of Flor-de-Lli, the sylph of the plains.
Distraught at this discovery, the gnomes remain inactive until, helped by bees (representing humankind),
they drive a poacher whom they discover out of the
forest. In the final strophe of the work, Liliana dies
during the winter, and a daffodil flowers in her memory. The spirits guarding nature, having returned to
the wood where life is flourishing, silently write the
chronicle of events in the book of the forest.
Barcelona
(p. 54) Apel·les Mestres, Revelation, IIllustration from the book Liliana (1905), drawing in pen and Indian ink, 32,4x22 cm, private collection
(p. 57) Apel·les Mestres, The Intruder, Illustration from the book Liliana (1905), drawing in pen and Indian ink, 32,4x22 cm, private collection
57
58
Civilisation et barbarie
L’étonnant porte-documents en ivoire, argent et
onyx de style Art nouveau baptisé « Civilisation et
barbarie » fut conçu par Philippe Wolfers (1858-1929)
en 1897. Cet objet prestigieux fut offert à Edmond
van Eetvelde, secrétaire d’État de l’État indépendant
du Congo, lors d’une fête donnée en son honneur
au Cinquantenaire. Pas moins de 800 invités furent
conviés au banquet organisé à cette occasion. Ce sont
les industriels coloniaux belges, séduits par l’art de
Wolfers présenté durant l’Exposition internationale
de Bruxelles de 1897, qui furent à la base de cette
commande très particulière. Une souscription permit
de récolter les 3 000 francs belges de l’époque nécessaires pour acquérir le porte-documents.
D’une haute qualité d’exécution, cette œuvre d’art
peut être considérée comme le couronnement
de l’initiative prise par les autorités pour introduire l’ivoire congolais sur la scène artistique belge.
La défense d’éléphant, présentant une fleur de lys
sculptée, sert de boîtier à un parchemin qui résume
l’histoire du Congo. Narratif et romantique à la fois,
le porte-documents véhicule également un langage allégorique que l’on peut décrypter comme suit :
le cygne symbolise la race européenne et la civilisation mais aussi le progrès généré par elles tandis
que le dragon qui apparaît sous la forme d’un ser-
Bruxelles
pent avec des ailes de chauve-souris symboliserait
les Africains et l’ignorance, la cruauté, la barbarie et
l’obscurantisme. Stylistiquement, ce dragon s’inspire
du « Calvaire » du sculpteur Henri Boncquet (18681908) mais on perçoit également l’influence prégnante du sculpteur Isidore De Rudder (1855-1943)
qui travailla pour Wolfers à cette époque. Techniquement, l’artiste a adapté la patine de l’argent au
caractère symbolique des figures présentes, et ce
pour en accentuer l’expressivité. Ainsi, l’argent du
cygne est traité de façon plus lumineuse alors que
celui du dragon est recouvert d’une patine sombre.
Le porte-documents est la propriété de la Fondation
Roi Baudouin. De nos jours, il est exposé en dépôt
aux Musées royaux d’Art et d’Histoire.
(p. 58) Philippe Wolfers, Civilisation et barbarie (1897),
Coll. Fondation Roi Baudouin © Hugues Dubois
(p. 61) Philippe Wolfers, Civilisation et barbarie (1897), détail
Coll. Fondation Roi Baudouin © Hugues Dubois
59
Civilisation and Barbarism
The remarkable Art Nouveau style document-holder in ivory, silver and onyx known as « Civilisation
and Barbarism » was designed by Philippe Wolfers
(1858-1929) in 1897. The prestigious object was presented to Edmond van Eetvelde, Secretary of State
for the Independent State of Congo, at a celebration
held in his honour at the Parc du Cinquantenaire. No
fewer than 800 guests were invited to the banquet
organised for this occasion. The Belgian colonial industrialists were responsible for this highly original
commission, having been captivated by Wolfers’ art
when it was exhibited at the Brussels World Exhibition in 1897. Through a subscription, they were able
to raise the 3 000 Belgian francs then needed to
acquire the document-holder.
This admirably crafted work of art may be seen as
the crowning achievement of the authoritites’ initiative to introduce Congolese ivory onto the Belgian
artistic scene. The elephant’s tusk, which is carved
with a lily-flower, serves as a container for a parchment summarising the history of the Congo. Both
narrative and Romantic in character, the documentholder also conveys an allegorical language, which
may be deciphered as follows: the swan symbolises
the European peoples, their civilisation and the progress they have achieved, whereas the dragon, por-
60
trayed as a serpent with the wings of a bat, could
represent Africans, ignorance, cruelty, barbarism and
obscurantism. Although the style of the dragon was
inspired by « Calvary », the work of the sculptor Henri Boncquet (1868-1908), the important influence of
Isidore De Rudder (1855-1943), a sculptor working for
Wolfers at that time, is also apparent. The artist used
the technique of adapting the silver patina according
to the symbolic significance of the figures in order to
accentuate their expressivity. The silver swan is therefore given a more luminous hue, while the dragon
is covered with a sombre patina. The document-case
is the property of the King Baudouin Foundation and
is now included among the collections at the Musées royaux d’Art et d’Histoire.
Brussels
(p. 58) Philippe Wolfers, Civilisation and Barbarism (1897), King Baudouin Foundation Coll. © Hugues Dubois
(p. 61) Philippe Wolfers, Detail of Civilisation and Barbarism (1897), King Baudouin Foundation Coll. © Hugues Dubois
61
62
Quand le Congo inspire Victor Horta
Lorsque Horta crée l’hôtel Tassel (1893), il accomplit
sa recherche d’un style nouveau basé sur des combinaisons d’arabesques qui exaltent les qualités de
souplesse du fer et les complexités de modelage
qu’offre la fonte. Il se refuse à transcrire littéralement
les formes de la nature et aurait lancé, selon la Revue
des Arts Décoratifs en 1899, cette phrase restée célèbre : « Ce n’est pas la fleur, moi, que j’aime à prendre
comme élément de décor : c’est la tige. »
Pourtant animaux et fleurs ne sont pas absents de
ses compositions. Dans la salle à manger de l’hôtel
van Eetvelde (av. Palmerston n° 4 à Bruxelles, 1897),
construit pour le secrétaire de l’Etat indépendant
du Congo, la flore et la faune de la colonie africaine
sont présentes à peine identifiables dans les vitraux
et les peintures murales. Dans les angles, au-dessus
du lambris, on discerne un profil d’éléphant pourvu
de deux défenses très reconnaissables sur un fond de
végétation aux frondes entrelacées, un motif repris
dans la menuiserie d’acajou. Au-dessus du buffet
et encadrant la cheminée sont peintes de souples
tiges portant des fleurs-papillons (des orchidées ?)
que l’on retrouve dans les vitraux. L’une d’elles porte
une étoile en son centre, motif qui symbolise l’Etat
indépendant du Congo. Horta maîtrise à la perfection la création d’un univers qui suggère la nature
Bruxelles
sans pastiche, où les formes se font écho, leur dessin
se complétant sans respecter la frontière des matériaux, tous animés d’une vie frémissante.
(p. 62) Victor Horta, salle à manger de l’Hôtel van Eetvelde
© Photo Bastin & Evrard – Sofam (p. 65) Victor Horta, salle à manger de l’Hôtel van Eetvelde
© Photo Bastin & Evrard – Sofam 63
When the Congo inspired Victor Horta
In creating the Hôtel Tassel (1893) Horta achieved
his quest for a new style based on combinations of
arabesque lines, which celebrate the supple qualities
of iron and the possibilities for complex moulding
afforded by smelting. He shunned the literal representation of natural forms, and in 1899, acccording
to the Revue des Arts Décoratifs, made the statement
which is still famous today: “I discard the flower as a
decorative element; but I keep the stalk.”
His compositions do contain animals and flowers,
however. The dining room in the Hôtel van Eetvelde, (n° 4 av. Palmerston, Brussels), built in 1897 for
the Secretary of State of the Independent State of
Congo, includes images of the flora and fauna of
the African colony, barely identifiable in the stained
glass windows and mural paintings. The outline of
an elephant with clearly recognisable tusks may be
seen above the panelling in the corner, against a
background of vegetation with inter-twining fronds.
This motif also occurs in the mahogany fittings. Above the sideboard and framing the fireplace, there are
paintings of supple stalks bearing butterfly-flowers
(possibly orchids) which may also be found on the
stained glass. One has a star in its centre, a motif
symbolising the Independent State of Congo. Hor-
64
ta perfected the art of creating a world that evoked
nature with no hint of pastiche, where forms recur,
designs complement each other regardless of their
different material, and everything pulsates with life.
Brussels
(p. 62) Victor Horta, dining room in the van Eetvelde Mansion
© Photo Bastin & Evrard – Sofam (p. 65) Victor Horta, dining room in the the van Eetvelde Mansion
© Photo Bastin & Evrard – Sofam 65
66
La Maison Millar & Lang, emblème du Glasgow Style
L’ancien siège de l’éditeur Millar & Lang à Glasgow
renferme ce qui peut être considéré comme le plus
saisissant intérieur Art nouveau d’Écosse. Les silhouettes ondoyantes des sirènes, des nymphes marines et des dragons y content les histoires du passé.
Une palette de couleurs délicates avec des motifs
tirés de la nature et de la mythologie ainsi qu’une
parenté évidente avec l’avant-garde européenne
et le Stile Liberty, le Jugendstil et le Sezessionstil
peuvent définir le Glasgow Style, l’Art nouveau tel
qu’il fut baptisé ici.
Alors que son plus célèbre représentant n’est autre
que Charles Rennie Mackintosh, on peut trouver, à
travers toute la ville, nombre d’intérieurs et de façades
appartenant à ce style mais dues à d’autres artistes.
L’immeuble de Millar and Lang, conçu en 1902 par
D.B. Dobson de Gordon & Dobson, est un très bel
exemple du Glasgow Style présentant un remarquable décor extérieur. Alors que le tuyau d’évacuation
affecte la forme d’un dragon et que l’entrée présente une élégante architrave courbée, une jolie sirène
supporte l’oriel de la façade. Minerve, quant à elle,
apparaît, perchée sur le toit en déesse des arts.
Glasgow
À l’intérieur, des vitraux à l’effet dramatique, dessinés par W.G. Morton, recréent un univers peuplé de
figures imaginaires allant de Neptune à Mère Nature
elle-même, de déesses à d’énormes baleines. Outre
les vitraux, les carreaux de céramique, les sols et les
murs couverts de mosaïques figurant des nymphes
nues et des sirènes, les éléments en laiton des portes, qu’il s’agisse des poignées ou des plaques de
propreté (différentes pour chaque porte), montrent
toute l’influence de l’Art nouveau avec ses formes
naturelles fortement stylisées. Dans le hall principal, la sculpture en marbre d’un féroce dragon juché, par-dessus les portes du bureau, contrôle les
allées et venues de ses yeux illuminés par la lumière
électrique.
Les histoires racontées au fil de l’intérieur et sur la
façade de l’immeuble évoquent la Naissance de Vénus, le Temps, Noël, la Mère et l’Enfant, la Mort. Ces
thèmes font référence aux cartes postales produites
par Millar and Lang entre 1903 et 1941.
(p. 66) WG Morton, Maison d’édition Millar and Lang: des scènes nautiques décorent un panneau de verre spectaculaire dans le hall principal (Glasgow 1902) © Neale Smith.
(p. 69) WG Morton, Maison d’édition Millar and Lang: les portes intérieures conservent leurs éléments en laiton si étroitement liés au style Art nouveau (Glasgow 1902) © Neale Smith.
67
The Millar & Lang House, an emblem of Glasgow Style
A former art publishers in Glasgow contains what
is often referred to as Scotland’s most striking Art
Nouveau interior, where sinuous figures of mermaids, sea nymphs and dragons recount stories
from the past.
Glasgow style, as Art Nouveau is referred to locally,
is defined by a delicate colour palette with motifs drawn from nature and mythology, and its close
links with the European Avant-Garde, the Liberty
Style, the Jugendstil and the Sezessionstil.
Although its most famous exponent is Charles Rennie Mackintosh, other interiors and façades harnessing the style created by other artists can be found
throughout the city.
The Millar and Lang building, designed in 1902 by
D.B. Dobson of Gordon and Dobson, is a beautiful
example of Glasgow Style with exterior detailing
including a dragon-shaped downpipe, a mermaid
supporting the oriel bay, Minerva goddess of the arts
perched on the roof and the sinuous curved architrave above the doorway.
Inside, dramatic stained glass by W.G. Morton depicts
a diverse collection of natural figures, from Neptune to Mother Nature herself, and from goddesses
68
to enormous whales. In addition to the windows,
the ceramic tiles, the floors and walls covered with
mosaics depicting naked nymphs and mermaids,
the brass door furniture, whether handles or finger plates (different for each door), all show the full
influence of Art Nouveau, with its highly stylised
natural forms. In the main hall, a ferocious dragon
sculpted in marble perches above the office doors,
its eyes illuminated with electric light.
The stories told throughout the interior and on the
façade of the building relate to the Birth of Venus,
Time, Christmas, Mother and Child, and Death, themes reflecting the postcards produced by Millar and
Lang between 1903 and 1941.
(p. 66) WG Morton, Millar and Lang publishing house: nautical scenes decorate a dramatic glass panel in the main hallway (Glasgow 1902) © Neale Smith.
Glasgow
(p. 69) WG Morton, Millar and Lang publishing house: the interior doors still feature the brass elements so closely associated with the Art Nouveau styl (Glasgow 1902) © Neale Smith
69
70
Les aquarelles symbolistes de la Spook School
Bien qu’il soit surtout connu comme architecte et
décorateur novateurs, la carrière initiale de Charles
Rennie Mackintosh fut pourtant dominée par son
travail raffiné d’artiste illustrateur. Il avait fréquenté
les cours du soir de la Glasgow School of Art dans les
années 1880, un établissement pour lequel il allait
concevoir un nouveau bâtiment qui serait considéré
comme une sorte de testament artistique.
Toutefois, au début des années 1890, il collabore
avec une vingtaine d’amis et de collègues artistes
(qui incluait son épouse Margaret Macdonald et sa
belle-sœur Frances) à la réalisation de quatre magazines pour étudiants (1893-96). Ceux-ci regorgeaient
d’aquarelles, d’esquisses au crayon, d’illustrations à
la plume et à l’encre, de photographies et de photogravures enrichies de poèmes et de textes littéraires
reflétant le ressenti des artistes sur la vie, l’amour, la
fantaisie et même la mort.
Les dessins les plus frappants de ces magazines
étaient ceux de Mackintosh et des sœurs Macdonald.
Ils soulignaient leur fascination grandissante pour le
symbolisme, créant des sujets de plus en plus étranges mais tirés de la nature, une nature très loin de
celle qu’on enseignait à l’école, où la copie fidèle
des animaux, des humains et des plantes incarnait
l’approche classique de l’enseignement d’alors.
Glasgow
Au lieu de cela, des œuvres telles que L’Arbre de
l’effort personnel, L’Etang ou Les Choux dans un
potager dépeignent des figures fantomatiques, des
plantes stylisées, souvent situées dans un paysage
inconnu, des dessins abstraits qui valurent à leurs
auteurs le sobriquet de Spook School.
Plus tard, Mackintosh revint aux formes naturelles
abstraites dans son travail comme décorateur
« tridimensionnel », créateur de pièces de mobilier,
d’objets en verre et en métal décorés de plantes, de
fleurs et d’animaux stylisés.
En 1902, pour un exposé public intitulé Seemliness
(Bienséance), Mackintosh évoqua l’importance de la
nature pour tous les artistes en remarquant : « L’art
est la fleur – La vie, la feuille verte. Laissez les artistes s’efforcer de faire de cette fleur une belle chose
vivante... des fleurs joliment colorées – des fleurs qui
croissent à partir et au-dessus de la feuille verte. »
(p. 70) Frances Macdonald, Un étang, (Glasgow 1894)
Crayon et aquarelle sur papier, Collection: Glasgow School of Art
(p. 73) Charles Rennie Mackintosh, L’Arbre de l’Effort personnel, (Glasgow 1895)
Crayon et aquarelle sur papier, Collection: Glasgow School of Art
71
The Symbolist watercolours of « the Spook School »
Although he is chiefly known as an innovative architect and designer, the early career of Charles Rennie
Mackintosh was characterised by his refined work
as an artist and illustrator. During the 1880s he had
attended evening classes at the Glasgow School of
Art, for which he was to design a new building that
would be seen as something of an artistic legacy.
In the early 1890s, however, he produced student
magazines in collaboration with about 20 artist
friends and colleagues, including his wife Margaret
Macdonald and his sister-in-law Frances. These publications, which ran from 1893 to 1896, abounded
in watercolours, pencil sketches, pen and ink illustrations, photographs and photo engravings enhanced
by poems and literary texts reflecting the artists’ feelings on life, love, fantasy and even death.
The most striking drawings in the magazine were
those by Mackintosh and the Macdonald sisters,
which highlighted their growing fascination with
symbolism. The themes they created grew ever
stranger; although all were drawn from nature, this
was far removed from the nature they had studied at
school, where the requisite life-like depiction of animals, humans and plants characterised the classical
approach to teaching at that time.
72
Instead, works such as The Tree of Personal Effort, The
Pond or Cabbages in an Orchard show phantom-like
figures and stylised plants, often set in an unknown
landscape, abstract works that earned their artists
the sobriquet « Spook School ».
Later, Mackintosh returned to natural abstract forms
in his « three-dimensional » decorative work, creating furniture and objects in glass and metal adorned with stylised plants, flowers and animals.
At a public exhibition entitled « Seemliness » held in
1902, Mackintosh spoke of the importance of nature
for all artists, remarking:
« Art is the flower. Life is the green leaf. Let every artist strive to make his flower a beautiful living thing
[…] beautifully coloured flowers –flowers that grow
from but above the green leaf. »
Glasgow
(p. 70) Frances Macdonald, A Pond, (Glasgow 1894)
Pencil and watercolour on paper: the Glasgow School of Art Collection
(p. 73) Charles Rennie Mackintosh, The Tree of Personal Effort, (Glasgow 1895)
Pencil and watercolour on paper: the Glasgow School of Art Collection
73
74
La Masia L’Ampurdá, une retraite fleurie
La Masia L’Ampurdá (1919) répond à la typologie des
maisons de plaisance ou résidences secondaires qui,
depuis la fin du XIXe siècle, apparaissaient dans les
nouvelles urbanisations du sud de La Havane. De
même, le vocable masia, utilisé en Catalogne pour
désigner les grandes métairies campagnardes, renforce cette idée. D’ailleurs, sa conception ne renie
pas cette région d’Europe dont elle tire ses références, ayant été construite par l’un des plus prestigieux
maîtres d´œuvre catalan venu à La Havane, Mario Rotllant i Folcará. La masia havanaise est une résidence
de deux étages édifiée en brique avec une conception
architecturale imaginative et une décoration soignée.
On observe une structure asymétrique présentant de
grands contrastes de volumes, avec entrées, sorties,
surfaces convexes, parapets échelonnés, cassés et
droits. Les portes et fenêtres semblent composer une
gamme très variée de formes aux lignes courbes. La
maison possède de larges terrasses aux deux étages
et un jardin qui a dû donner du charme à cet immeuble où la nature est omniprésente.
d´entrée ornées de fleurs ondulent comme de fines
branches tandis que la surface brute des murs ressemble à de la roche. De tous les types, les fleurs ont
envahi les bordures en céramique vernissée, embellissant intérieurs comme extérieurs. On les retrouve
dans les vitraux avec des paons, sur les cadrans solaires, les chapiteaux, les fontaines en céramique
comme sur les rosaces et les moulures en plâtre des
plafonds de chaque pièce. Les coquillages marins ornant les plinthes intérieures en céramique semblent
avoir été d’autres éléments de prédilection pour le
parti décoratif. La masia dispose de quatre cadrans
solaires, sur la tour et sur la porte arrière, qui sont
comme un clin d´œil au passé, rappelant l´étroite
relation qui, par l´observation, existait avec la nature et ses composantes fondamentales. Depuis 1949,
ses troisièmes propriétaires, la famille González Lines, l’ont convertie en une école privée. Nationalisée
en 1960, elle porte ensuite le nom d´école primaire
Andrés González Lines.
À l’époque, la demeure apparaît comme une structure spontanée qui, située au-dessus du quartier
Sevillano, s’intègre de façon cohérente dans son environnement suburbain. Comme tant d’œuvres de
ce style, L’Ampurdá respire l’Art nouveau. Ses grilles
(p. 74) Mario Rotllant i Folcarà et Ignacio Vega Ramonteau,
Masia L´Ampurdá, maison du catalan Joaquim Barceló
(La Havane 1918-1919) © Archives Nationales de Cuba
La Havane
(p. 77) Mario Rotllant i Folcarà et Ignacio Vega Ramonteau,
Masia L´Ampurdá, maison du catalan Joaquim Barceló
(La Havane 1918-1919) © Archives Nationales de Cuba
75
La Masia L’Ampurdá : a flowery haven
La Masia L’Ampurdá (1919) reflects the style of the
retirement homes or secondary residences which
appeared in the new city developments in the
southern part of Havana at the end of the 19th century. This image is further reinforced by the Catalan
meaning of the term masia, which denotes a large
country farmstead. Its design does indeed reflect that
region of Europe from where it draws its references,
as it was constructed by Mario Rotllant i Folcará, one
of the most prestigious Catalan architects to come
to Havana. The masia in Havana is a two storey brick
residence displaying an imaginative architectural design and carefully executed decoration. Asymmetrical in structure, the building presents great contrasts
in volume, its entrances, exits and surfaces being
convex and its regularly spaced parapets straight
and unconnected. The doors and windows seem to
form a highly varied composition of curvilinear shapes. Each of the two floors has a wide veranda and
there is a garden, which certainly made an attractive
addition to this building where nature’s presence is
everywhere to be seen.
In its day, the house appeared as a spontaneous
structure, blending harmoniously into its suburban
environment north of the Sevillano district. Like so
many creations of similar appearance, L’Ampurdá is
76
infused with the Art Nouveau style. At its entrance,
railings decorated with flowers undulate like slender
branches, while the untreated surfaces of the walls
resemble rock. Flowers of all kinds have invaded the
glazed ceramic borders, embellishing inside and outside alike. They are also to be found, together with
peacocks, on the stained glass windows, the sundials, capitals and ceramic fountains, as well as on
the rosettes and plaster mouldings on the ceilings
of each room. The sea-shells decorating the ceramic skirting boards in the interior seem to have been
another favoured ornamental element. The masia
has four sundials, located on the tower and the back
entrance; in a nod to the past, they recall the close
relationship between nature and its fundamental
components, brought to light through observation.
Its third owners, the González Lines family, converted
it into a private school in 1949. Nationalised in 1960, it
became the Andrés González Lines primary school.
(p. 74) Mario Rotllant i Folcarà and Ignacio Vega Ramonteau,
Masia L´Ampurdá, home of Joaquim Barceló, from Catalonia
(Havana 1918-1919) © National Archives of Cuba
Havana
(p. 77) Mario Rotllant i Folcarà and Ignacio Vega Ramonteau,
Masia L´Ampurdá, home of Joaquim Barceló, from Catalonia
(Havana 1918-1919) © National Archives of Cuba
77
78
Les Jardins de La Tropical ou l’Art nouveau façon nature
Les Jardins de La Tropical sont un bel exemple
d´intégration réussie de la nature dans l´Art nouveau.
Le dessin des salons de danse, très coquet avec ses
formes végétales, fusionne avec l´espace naturel environnant, connu auparavant comme la Vallée de San
Geronimo, au bord du fleuve Almendares. Inauguré
en 1904 comme parc récréatif, le bâtiment possédait
à ses débuts trois salons de réunion et de bal imaginés par le maître d´œuvre catalan Ramon Magriñá, sur
commande des propriétaires de la fabrique de bière
La Tropical. Ces structures furent réalisées en béton
armé, faisant de ce jardin la première œuvre architecturale Art nouveau documentée de l´île et une œuvre
pionnière pour l´utilisation de ce matériau dans la capitale havanaise.
Dans ce parc, le ciment s’est converti en un matériau de sculpture recréant aussi bien les gros troncs
d´arbres séculaires, les rochers que les branches les
plus fines. La texture rude et la couleur grise du matériau ont été laissées apparentes afin d’atteindre une
intégration majeure avec les plantes qui entourent les
salons. Le dessin paysager inclut des plantes grimpantes sur les colonnes et les toits des salons dans
une danse végétale brisant la frontière entre nature
et artifice. Le maître d´œuvre de La Tropical était responsable tant du projet architectural et des éléments
décoratifs que de l´aménagement du parc paysager.
La Havane
Après sa construction, il y vécut quelques années,
continuant à l´agrandir et à l´embellir tout en gardant
l’inspiration végétale première. Sa passion pour le jardinage l´avait amené à administrer des commerces de
fleurs ; « Jardin La Tropical » en 1918, et « Magriñá » en
1924, tous deux dans la vieille ville de La Havane. Il fut
aussi membre de la Society of American Florist and
Ornamental Horticulturist, et de la Florist´s Telegraph Delivery. Cet artiste aujourd´hui inconnu a joué au
Créateur avec le ciment dans les jardins de La Tropical,
improvisant accidents naturels, paysages, chemins,
éléments végétaux et animaux avec une maestria
remarquable et un sens du détail extrême. De façon
modeste et admirative, son œuvre fait référence à la
vie et à la nature, sentiment exprimé dans la strophe
d´un poème de Ramón Magriñá consacré à un quenetier centenaire des Jardins de La Tropical : « Là-bas nous avons admiré
La grandeur de la mère nature
La petitesse de la créature
Blessée de vanité. »
(p. 78) Ramón Magriñá, Salon Rêverie aux Jardins de La Tropical
(La Havane 1904) © Archives nationales de Cuba
(p. 81) Ramón Magriñá, Salon Rêverie aux Jardins de La Tropical, détail
(La Havane 1904) © Archives nationales de Cuba
79
The gardens of “La Tropical”, or Art Nouveau goes
back to nature
The gardens of La Tropical provide a fine example
of how nature could be successfully integrated into
Art Nouveau. The dance floors, with their very stylish
design of plant-forms, blend in with the surrounding
natural space, which was formerly known as the San
Geronimo Valley and is situated on the banks of the
Almendares river. Inaugurated in 1904 as part of a recreation park, the building originally contained three
rooms for assemblies and balls designed by the Catalan architect Ramon Magriñá at the request of the
owners of the La Tropical beer factory. These structures were built of reinforced concrete, making this the
island’s first documented example of Art Nouveau
architecture and featuring the pioneering use of this
material in the Cuban capital.
The cement used in this park has been transformed
into a sculpting material, re-creating rocks, the thick
trunks of ancient trees and the slenderest of branches
alike. The rough texture and the grey colour of the
material have been left visible so that it merges perfectly with the plants surrounding the halls. Climbing
plants on the pillars and roofs of the halls are included
in the natural décor, the greenery forming a graceful
configuration that breaks the barrier between nature
and artifice. The architect responsible for La Tropical
designed the building and the decorative elements as
well as the layout of the landscaped park. He lived
80
there for a few years after its construction, continuing
to enlarge and enhance it, with natural vegetation remaining as the focus of his vision. With his passion for
gardening, he ran the floristry businesses “Jardín La
Tropical” in 1918, and “Magriñá” in 1924, both located
in the old city of Havana. He was also a member of the
Society of American Florists and Ornamental Horticulturists, and of the Florists´ Telegraph Delivery. This
now forgotten artist took the role of Creator in the
La Tropical Garden, using cement to contrive natural
occurrences, landscapes, pathways and elements
of flora and fauna with remarkable mastery and an
exceptional sense of detail. Ramón Magriñá’s work
forms a modest, admiring reference to life and nature, a sentiment expressed in the lines of his poem
dedicated to a century-old Spanish Lime tree in the
Gardens of La Tropical :
« There, we admired
The grandeur of Mother Nature
The insignificance of mortals
Wounded in their pride »
Havana
(p. 78) Ramón Magriñá, El Salon de los Sueños at the Jardínes de La Tropical (Havana 1904) © National Archives of Cuba
(p. 81) Ramón Magriñá, A sky with starfishes (Havana, 1904),
photo: Yaneli Leal del Ojo de la Cruz
81
82
Les bijoux naturalistes d’Eric Ehrström
La joaillerie a joué un rôle important dans la carrière
d’Ehrström. Grâce à lui, le bijou finnois s’est libéré de
la tradition et connut une renaissance influencée
par les idéaux de l’Art nouveau. L’artiste dessina des
fibules, des broches, des colliers, des épingles, des
ornements pour cheveux, des bracelets, des bagues,
des boucles d’oreilles, des épingles à chapeaux. Vers
1906, Ehrström introduisit l’émail dans la conception
de petits objets, le combinant ensuite avec le cuivre
et l’argent. Il eut même l’opportunité de dessiner
une couronne pour le roi de Finlande car le pays, indépendant depuis 1917, oscillait encore entre le choix
d’une monarchie et d’une république.
Ehrström fut professeur à l’École centrale des arts
appliqués enseignant la ciselure et l’embossage.
Enseignant charismatique, il était toujours entouré
d’un groupe d’étudiants enthousiastes, impatients
de produire, comme leur mentor, des objets différents tant au niveau du style que de la technique.
Ehrström partageait ainsi ses connaissances en tant
qu’enseignant mais aussi à travers une publication
sur l’Art et l’Artisanat qui parut en 1924.
L’art du métal et du bijou illustre son intérêt et sa
connaissance de la faune et de la flore finnoises. La
façon dont il étudia la nature équivaut aux Scien-
Helsinki
ces naturelles. L’idée était de révéler les secrets de
la nature et d’étudier la structure des plantes. Les
nouvelles inventions du XIXe siècle, comme le microscope, permettaient de percer le secret de ces
mêmes végétaux. Les découvertes ont progressivement été diffusées via les journaux et les livres qui,
pour l’occasion, étaient enrichis d’illustrations de la
faune et de la flore. À l’époque, la science et le nationalisme étaient très étroitement liés. L’amour de
la nature était considéré comme une vertu morale
et nationale et la science donna à l’artisanat et au
langage décoratif une valeur ajoutée.
Ehrström a étudié le phénomène naturel avec son
propre microscope. Il décryptait aussi bien les ailes
de la libellule que la finesse d’une toile d’araignée.
Les différentes pierres symbolisent les éléments naturels, comme l’héliotrope suggère la mousse et la
pierre de lune, les gouttes de rosée. Sa connaissance
et l’intérêt qu’il éprouve pour les phénomènes naturels constituent les bases de son travail artistique.
(p. 82) Eric O.W. Ehrström, bouteille et boîtes en cuivre avec
couvercle émaillé (1906), photo : Rauno Träskelin 2013,
Helsinki Design museum
(p. 85) Eric O.W. Ehrström, bouteille en cuivre, détail (1906),
photo : Rauno Träskelin 2013, Helsinki Design museum
83
Eric Ehrström’s naturalistic jewellery
Jewellery played an important part in Ehrström’s
career. Through him, Finnish jewellery was freed
from tradition and enjoyed a renaissance influenced
by Art Nouveau ideals. The artist designed fibulae,
brooches, necklaces, pins, hair ornaments, bracelets,
rings, earrings and hatpins. Ehrström introduced
enamel into his designs of small objects in about
1906, later combining it with copper and silver. He
even had the opportunity to design a crown for the
King of Finland as the country, which had been independent from 1917, was hesitating between the
choice of a monarchy or republic.
Ehrström taught the techniques of chasing and
embossing at the Central School of Applied Arts. A
charismatic teacher, he was always surrounded by
groups of enthusiastic students eager to produce
objects that were original in both style and technique, like those of their mentor. Ehrström therefore
shared his knowledge through teaching, but he also
published a work on Art and the Crafts, which came
out in 1924.
The art of metalwork and jewellery-making demonstrated his knowledge of Finnish flora and fauna. He
studied nature in the manner of a natural scientist,
with a view to revealing its secrets and examining
84
plant structures. New inventions of the 19th century,
such as the microscope, brought the mysteries of
the plant world to light, and the discoveries were
gradually circulated through periodicals and books
adorned with illustrations of flora and fauna to mark
the occasion. At that time, science and nationalism
were very closely linked. The love of nature was seen
as a moral and national virtue, and science enhanced
the value of arts, crafts and decorative language.
Ehrström studied natural phenomena with his own
microscope, analysing dragonfly wings and delicate
cobwebs alike. He used different stones to symbolise
natural elements, with the bloodstone and moonstone, for example, representing moss and dewdrops
respectively. His knowledge and his interest in natural phenomena formed the basis of his artistic work.
Helsinki
(p. 82) Eric O.W. Ehrström, A copper bottle and boxes with enamelled lids (1906), photo : Rauno Träskelin 2013, Helsinki Design museum
(p. 85) Eric O.W. Ehrström, detail of a copper bottle with enamelled lids (1906), photo : Rauno Träskelin 2013, Helsinki Design museum
85
86
L’immeuble Pohjola, quand l’architecture rencontre
la mythologie
La compagnie d’assurance incendie Pohjola fut créée en
1891 et baptisée d’après un lieu tiré de la mythologie finnoise, cité dans le Kalevala, le grand poème épique national. À cette époque, le Pohjola désigne une sorte de grand
Nord et le choix de ce terme suscita la confiance des gens du
pays. Au printemps 1899, la compagnie organisa un concours
pour moderniser les façades de son siège avec comme contrainte l’utilisation du granit ou de toute autre pierre finnoise.
Quand le bâtiment fut terminé, son côté massif et sa décoration
extravagante furent l’objet d’une vive attention : ce qui n’était
qu’une modeste entreprise aboutit à l’une des réussites majeures du bureau d’architectes Gesellius, Lindgren et Saarinen.
Une façade en pierre naturelle dotée d’une décoration basée
sur un thème national constituait un exemple inédit. Les architectes Gesellius-Saarinen-Lindgren ont employé le même
vocabulaire ornemental que pour la construction de leur pavillon à l’Exposition universelle de Paris : des plantes et des
animaux issus de la faune et de la flore finnoises.
De part et d’autre de la porte centrale, deux mascarons grimaçants supportent un cartel accueillant l’un Pohjola et
l’autre Kullervo. De ces cartels fusent deux colonnes en troncs
de pins dont la frondaison soutient des ours eux-mêmes surmontés d’un autre ours armé d’une torche. Ce dernier est le
symbole de la compagnie, ce portail peut donc apparaître
comme une sorte de publicité.
Helsinki
L’ornementation de la Maison Pohjola découlerait du Kalevala
et les pommes de pin et les écureuils évoquent le mouvement nationaliste finlandais. Comme la nouvelle architecture
européenne emploie aussi la nature organique en ornementation, le décor de la Maison Pohjola est à la fois moderne et
nationaliste.
L’entrée principale montre un portail en stéatite richement
ornementé. La porte décorée d’un oiseau de cuivre en relief
est précédée d’une allée d’accès extérieure. Elle fut conçue
par Eric O.W. Ehrström, maître finlandais des arts appliqués
du début du XXe siècle.
Le trio Gesellius-Lindgren-Saarinen s’intéressa d’emblée à ses
talents graphiques et manuels. Les portes en bronze constituent son travail monumental le plus significatif mais sa production a constamment oscillé entre les grandes pièces décoratives et les petits objets en métal, à la fois ornementaux et
utilitaires, montrant parfois l’usage de pierres.
(p. 86) Gesellius, Lindgren et Saarinen, façade et entrée principale de la Maison Pohjola, (Helsinki 1899), photo: Helsinki City Museum 2012
(p. 89) Eric O.W. Ehrström, entrée principale de la Maison Pohjola,
décor en cuivre, (Helsinki 1899), photo: Helsinki City Museum 2012
87
The Pohjola building - when architecture meets mythology
Established in 1891, the Pohjola fire insurance company was
named after a location in Finnish mythology which appears
in the Kalevala, the great epic national poem. At that time,
Pohjola conveyed the idea of a far north, and the chosen
name inspired the Finnish nation with confidence. In the
spring of 1899 the company launched a competition to modernise the façades of its headquarters, the material being
restricted to granite or any other stone native to Finland.
When the building was completed, its solid appearance and
extravagant decoration aroused lively interest: a modest undertaking had resulted in one of the greatest successes achieved by the architects Gesellius, Lindgren and Saarinen.
The instance of a natural stone façade displaying decoration
based on a national theme was unprecedented. The architects
Gesellius, Lindgren and Saarinen used the same ornamental
vocabulary as for their pavillion at the Paris World Exhibition:
examples of native Finnish species of flora and fauna.
Two grimacing mascarons on either side of the main door
support a plaque, one bearing the name Pohjola, the other
Kullervo. Two columns in the form of pine-tree trunks rise up
from the plaques; their foliage serves as a support for figures
of bears, which are themselves surmounted by another bear
holding a torch. Since the latter was the company symbol,
this doorway may appear to serve a promotional purpose.
The ornamental features on the Pohjola Building originate
88
from the Kalevala, the pine-cones and squirrels recalling
the Finnish nationalist movement. As the new European architecture also featured the use of organic natural forms as
adornment, the ornamentation on the Pohjola Building is
both modern and nationalist.
The main entrance features a richly decorated soapstone portal. A pathway leads up to the door, which is embellished with
copper birds portrayed in relief. It was designed by Eric O.W.
Ehrström, a Finnish master of the applied arts in the early 20th
century.
Gesellius, Lindgren and Saarinen had been interested in his
talents in the graphic and manual arts from the outset. The
bronze doors are his most important monumental work, but
his output constantly oscillated between large decorative pieces and small objects crafted in metal, both ornamental and
utilitarian, some of which featured the use of gemstones.
(p. 86) Gesellius, Lindgren et Saarinen, façade and main entrance of the Pohjola Building, (Helsinki 1899), photo: Helsinki City Museum 2012
Helsinki
(p. 89) Eric O.W. Ehrström, main entrance of the Pohjola Building, with copper décor, (Helsinki 1899), photo: Helsinki City Museum 2012
89
90
L’âme transcendée selon Charles l’Eplattenier
La métamorphose de l’être physique qui devient
être spirituel… Dans le feu magmatique de la terre,
l’âme se détache de la matière et prend son envol
vers la Lumière. La vie est un instant, la mort une
éternité. L’œuvre l’explique, l’artiste magnifie cette
transformation inéluctable.
À la suite des Lumières, le romantisme s’émancipe
des dogmes chrétiens. Dans ce contexte spiritualiste, la crémation, rite antique interdit en Occident
par Charlemagne, apparaît comme un moyen de
libérer l’âme de sa chrysalide charnelle. Répondant également à des préoccupations hygiénistes,
l’incinération devient dans la seconde moitié du XIXe
siècle une solution pragmatique à l’encombrement
des cimetières urbains.
Les promoteurs du mouvement crématiste, en marge de la société conservatrice, se retrouvent souvent
liés aux avant-gardes artistiques. Ce n’est donc pas
un hasard si le concept artistico-symbolique du Crématoire de La Chaux-de-Fonds est confié à Charles
L’Eplattenier et à ses élèves de l’École d’art, eux qui
sont les fers de lance enthousiastes du style « sapin ».
gère, La Purification, œuvre due à L’Eplattenier en
personne, occupe une place essentielle. Surmontant
l’unique porte d’accès à la salle de cérémonie, elle
donne la clé de la symbolique de l’instant. Au cœur
des obsèques, le cercueil descend par un savant système dans le sous-sol où se trouve le four crématoire. La purification par le feu se déroule sous les
pieds de l’assistance, l’âme s’élevant vers le firmament par deux canaux de fumée qui enveloppent
latéralement l’espace. Ce mouvement se retrouve
dans la cambrure des corps évanescents, s’élevant
vers cette lumière si pudiquement évoquée. Les tons
froids mettent une distance infinie entre le feu libérateur et la chaleur de l’éternité. La composition joue
ainsi de la dualité, dans sa symétrie, dans les couples
hommes-femmes, dans les couleurs. L’œuvre se
veut mouvement, évocation d’une transformation :
la purification de l’âme.
(p. 90) Charles L’Eplattenier, crématoire de La Chaux-de-Fonds,
La Purification (La Chaux-de-Fonds 1912),
peinture murale à l’huile sur un enduit de plâtre (8,87 m / 2,02 m)
© Ville de La Chaux-de-Fonds, A. Henchoz
La Chaux-de-fonds
Dans ce véritable Gesamtkunstwerk, au sens wagnérien, qu’est le Crématoire de la Métropole horlo-
(p. 93) Charles L’Eplattenier, crématoire de La Chaux-de-Fonds,
La Purification, détail, (La Chaux-de-Fonds 1912),
peinture murale à l’huile sur un enduit de plâtre (8,87 m / 2,02 m)
© Ville de La Chaux-de-Fonds, A. Henchoz
91
The transcendent soul as conceived by Charles l’Eplattenier
Metamorphosis from the physical to the spiritual
being…the soul detaches itself from the material
world in the earth’s magmatic fire, winging its way
towards the Light. Life lasts but a moment, death an
eternity. This inescapable transformation has been
interpreted and idealised by the artist.
Romanticism freed itself of Christian dogma in the
wake of the Enlightenment. Within this spiritualistic
context the ancient rite of cremation, forbidden in the
West by Charlemagne, appears as a means of liberating the soul from its human chrysallis. As well as
responding to hygiene-related concerns, incineration
became a practical solution to overcrowding in urban
cemeteries in the latter half of the 20th century.
The supporters of the cremation movement were in
the margins of conservative society and often found
themselves linked to members of the artistic avantgarde. It is therefore no coincidence that the artistic,
symbolic design of the Crematorium at La Chauxde-Fonds was entrusted to Charles L’Eplattenier and
his students at the School of Art, all enthusiastic
champions of the “Pine Tree Style”.
(p. 90) Charles L’Eplattenier, crematorium at La Chaux-de-Fonds,
Purification (La Chaux-de-Fonds 1912), mural painting in oil
on plaster (8.87 m / 2.02 m) © Ville de La Chaux-de-Fonds,
A. Henchoz
La Chaux-de-fonds
The Crematorium of the Swiss city and watchmaking centre is a true Gesamtkunstwerk in the
Wagnerian sense, where Purification, a work by
92
L’Eplattenier himself, occupies a place of honour. In
its position above the only door leading into the main
chamber of ceremonies, it provides the key to the symbolic significance of the moment: marking the crucial
point of the funeral ceremony, the coffin is lowered
by means of a clever mechanism to the underground
crematorium oven. The process of purification by
fire takes place under the feet of those present, as
souls rise towards the firmament borne on two columns of smoke extending laterally outwards into
the sky. This movement is mirrored by the curve of
the evanescent bodies as they ascend towards the
very discreetly depicted light. The cold tones indicate an infinite distance between the liberating fire
and the warmth of eternity. In this way, the composition plays on the concept of duality, through its
symmetry, its male-female couples, and its colours.
The work was intended to express movement and
transformation: the purification of the soul.
(p. 93) Charles L’Eplattenier, crematorium at La Chaux-de-Fonds,
Purification (La Chaux-de-Fonds 1912), detail of the mural
painting in oil on plaster (8.87 m / 2.02 m) © Ville de La Chauxde-Fonds, A. Henchoz
93
94
La villa Fallet, porte-drapeau du style «sapin»
Charles L’Eplattenier aimait emmener ses élèves
dans la nature observer la faune, la flore, les paysages sobres des hautes vallées du Jura. Apôtre de l’Art
nouveau en Suisse, il ne cessa sa vie durant d’être
fasciné par une nature sauvage, rude, mais aux reflets saisonniers si riches. Professeur à l’École d’art de
La Chaux-de-Fonds, il n’hésitait jamais à chausser ses
gros souliers, à s’équiper lourdement, et, accompagné
de ses jeunes disciples, à arpenter les pâturages, les
forêts, s’essoufflant sur les crêtes, flirtant avec le
vide des gorges, s’abritant dans les combes. À mille
mètres d’altitude, rares sont les feuillus. Les conifères, et plus particulièrement les sapins, règnent en
maître absolu. Pas étonnant donc que l’Art nouveau
local ait pris l’appellation de style « sapin ».
De fait, les paysages varient au fil des jours, passant
des verts tendres printaniers aux nuances saturées
de l’été avant de céder aux rouges et aux ocres de
l’automne bientôt effacés par l’immaculée blancheur de la neige. Toutefois, les conifères semblent
immuables dans leur robe d’un vert profond. Alors
que tout change sans cesse, les sapins sont comme
suspendus dans un espace temps figé.
L’Eplattenier et à ses élèves du Cours supérieur d’art
et de décoration la construction d’une villa sur les
hauteurs de La Chaux-de-Fonds, il ne s’imagine sans
doute pas que ce sera un véritable manifeste du style
« sapin ». Selon certains, Charles-Edouard Jeanneret
(le futur Le Corbusier) s’essaie ici à l’architecture pour
la première fois. Comme lui, ses camarades trouvent
un terrain idéal pour mettre leur créativité au service
d’une œuvre complexe. Si la composition du pignon
de cette villa est particulièrement élaborée, le décor qui l’orne est d’une richesse surprenante. Empruntant au sgraffite, les élèves élaborent dans une
forme épurée, stylisée et géométrique, une forêt à
l’automne. Les tons chauds, ocres, dominent mais
observez les triangles pers rythmer l’harmonie de ce
paysage... Ce sont bien des sapins au vert éternel !
(p. 94) Œuvre collective des élèves du Cours supérieur de L’École d’art de
La Chaux-de-Fonds sous la direction de Charles L’Eplattenier et René Chapallaz, Villa Fallet (La Chaux-de-Fonds 1906) © Ville de La Chaux-de-Fonds, A. Henchoz
La Chaux-de-fonds
Lorsque Louis Fallet (1879-1956), patron d’une entreprise active dans l’horlogerie, confie à Charles
(p. 97) Œuvre collective des élèves du Cours supérieur de L’École d’art de La Chaux-de-Fonds sous la direction de Charles L’Eplattenier et René Chapallaz, Villa Fallet détail de la façade (La Chaux-de-Fonds 1906)
© Ville de La Chaux-de-Fonds, A. Henchoz
95
The Villa Fallet, flagship of the “Pine Tree” style
Charles L’Eplattenier liked to take his students into
the countryside to observe the fauna, flora and
austere landscapes in the high valleys of the Jura.
A champion of Swiss Art Nouveau, he had a lifelong
fascination with the natural environment - untamed, rugged, and yet so rich with seasonal tints.
A teacher at the Art School in La Chaux-de-Fonds,
he was always ready to put on his sturdy shoes and,
heavily equipped, stride through the pastures and
forests with his young disciples, standing breathless
on mountain ridges, dicing with danger on the brink
of gorges, taking shelter in the valleys. At an altitude
of one thousand metres, deciduous trees are rare.
Conifers, pine trees in particular, reign supreme, so it
comes as no surprise to learn that the local form of
Art Nouveau was known as the “Pine Tree” style.
The landscapes do indeed vary as the days pass.
The soft greens of spring turn into the resplendent
tones of summer before giving way to the reds and
ochres of autumn, which are soon enshrouded in
immaculately white snow. The conifers, however,
appear immutable in their deep green robes. While everything is constantly changing, the pine trees
seem suspended in a fixed time and space.
(p. 94) Collaborative work by the students of the Cours supérieur at
the School of Art, La Chaux-de-Fonds, under the supervision of
Char les L’Eplattenier and René Chapallaz, Villa Fallet (La Chaux
de-Fonds 1906) © City of La Chaux-de-Fonds, A. Henchoz
(p. 97) Collaborative work by the students of the Cours supérieur at the School of Art, La Chaux-de-Fonds, under the supervision of Charles L’Eplattenier and René Chapallaz, Villa Fallet, detail of the façade (La Chaux-de-Fonds 1906) © Ville de La Chaux-de-Fonds,
A. Henchoz
La Chaux-de-fonds
When Louis Fallet (1879-1956), the head of a clockmaking business, commissioned Charles L’Eplattenier
96
and his students at the Cours supérieur d’art et de
décoration to build him a villa high above La Chauxde-Fonds, he probably had no idea that it would
turn out to be a true emblem of the “Pine Tree”
style. Charles-Edouard Jeanneret (later known as
Le Corbusier) is said to have carried out his first architectural work here. His colleagues also found this
the perfect opportunity to put their creativity at the
service of a complex project. The composition of the
gable on the villa is particularly elaborate and the
decoration adorning it surprisingly rich. Borrowing
from the sgraffito technique, the students created
an autumnal forest displaying a pared-down, stylised and geometric form. Warm, ochre tones predominate, yet the blue-green triangles rhythmically
punctuating this harmonious landscape are none
other than those eternally verdant pines!
97
98
La villa Langer, vision aboutie du style Sécession
Architecte, décorateur et urbaniste, Jože Plečnik
(1872-1957) est né dans une famille d’ébénistes de
Ljubljana. Il devait reprendre l’entreprise familiale et, afin de le former, son père l’envoya à l’Ecole
des métiers de Graz, en Autriche. À la mort de ce
dernier, en 1894, Jože Plečnik intégra l’atelier de
Wagner à l’Académie des beaux-arts de Vienne et
en devint l’un des plus brillants élèves. En 1900, il
se lança dans une carrière d’architecte dans cette
même ville. Étroitement lié au mouvement de la
Sécession, il rejoignit l’Association Sécession l’année
suivante. Il collabora à de nombreux projets au sein
de ce groupe, surtout après 1905, quand sa position
se renforça suite au départ de Klimt. Il participa aux
expositions du mouvement en tant qu’architecte et
décorateur, mais aussi comme organisateur et concepteur de plusieurs expositions.
La résidence de l’architecte Karl Langer (1900-1901)
fut la première commande qu’il reçut. Les fondations de la Villa existant déjà, Plečnik dut se concentrer sur le projet de la façade. Il y exprime sa
volonté de s’affranchir de l’influence de Wagner et
d’explorer de nouveaux moyens d’expression. En introduisant un mouvement ondulatoire dans la façade grâce au balcon d’angle et aux bow windows, qui
Ljubljana
reflètent l’organisation et l’importance des espaces
intérieurs de la villa, il s’inspirait ouvertement du
style Art nouveau en vogue à cette période en France et en Belgique. La représentation d’une tête d’oie
sculptée, qui sort littéralement de la façade, apparaît
comme un clin d’œil manifeste à l’hippocampe en
métal de la façade du Castel Béranger à Paris (Hector
Guimard, 1895-1898) que Plečnik avait visité l’année
précédente. Le dessin de la tête d’oie illustre la grande maîtrise graphique de l’artiste qui influença plusieurs générations d’architectes slovènes. Un tapis
floral composé de roses habille la façade. Ces roses
rappellent l’œuvre de Charles Rennie Mackintosh et
des artistes de Glasgow qui exposèrent à Vienne lors
de la huitième édition de la Sécession en 1900, mais
ce motif était déjà populaire dans les illustrations du
magazine Ver Sacrum. La villa Langer est l’œuvre de
style Sécession la plus importante de la carrière de
Plečnik.
(p. 98) Jože Plečnik, Villa Langer, façade à rue (Vienne 1900-1901) © Photo: Damjan Prelovšek
(p. 101) Jože Plečnik, détail de la tête d’oie en haut-relief se détachant
de la façade (Vienne 1900-1901) © Photo : Damjan Prelovšek
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The Villa Langer, a fulfillment of Secessionist vision
An architect, designer and city planner, Jože Plečnik
(1872-1957) was born into a family of cabinet-makers
from Ljubljana. He was expected to go into the family
business and his father sent him to train at the vocational school at Graz in Austria. Following his father’s
death in 1894, Jože Plečnik entered Wagner’s school
of architecture at the Academy of Fine Arts in Vienna, becoming one of its most outstanding students.
In 1900, he launched his career as an architect in the
same city. He had close ties with the Secessionist
movement and joined the Secessionist Association
in the following year. He was involved in a number
of projects within this group, especially after 1905,
when his status was consolidated by Klimt’s departure. In his capacity as an architect and designer he
participated in exhibitions given by the movement,
but on several of these occasions he also took on an
organisational and creative role.
The home of the architect Karl Langer (built from
1900-1901) was his first commission. As the Villa
already had foundations, Plečnik was to concentrate
on the project for the façade. His work there indicated his desire to break free from Wagner’s influence
and explore new modes of expression. The corner
balcony and bow windows introduce an undulatory
100
movement into the façade, reflecting the layout
and size of the villa’s rooms and clearly showing his
predilection for the Art Nouveau style fashionable in
France and Belgium during this period. The sculpted goose’s head literally emerging from the façade
appears to be an obvious nod to the metal seahorse
on the façade of the Castel Béranger in Paris (Hector
Guimard, 1895-1898), which Plečnik had seen during
his visit the previous year. A master of the graphic
arts, as demonstrated by the design of the goose’s
head, he influenced several generations of Slovene
architects. A floral covering of roses decorates the
façade. These reflect the work of Charles Rennie
Mackintosh and the Glasgow school, whose art was
presented in Vienna at the Secession’s eighth exhibition in 1900. The motif was already popular, however, having appeared in illustrations in the magazine
Ver Sacrum. The Villa Langer is the most important
example of the Secession style in Plečnik’s career.
(p. 98) Jože Plečnik, Villa Langer, front façade (Vienna 1900-1901) © Photo: Damjan Prelovšek
Ljubljana
(p. 101) Jože Plečnik, detail of the head of a goose in high relief emerging from the façade (Vienna 1900-1901) © Photo : Damjan Prelovšek
101
102
Les poésies de Dragotin Kette, chef-d’œuvre
de la bibliophilie slovène (1907)
Vers 1900, l’édition était l’un des secteurs les plus dynamiques de l’époque Art nouveau. Les ouvrages offraient
des réalisations abouties mariant beaux-arts et poésie.
Jamais auparavant, autant de livres pour bibliophiles
n’avaient été publiés. Une attention particulière était
accordée à la couverture, à la reliure, aux ex-libris, aux
frontispices et aux illustrations. Grâce à l’éditeur Lavoslav
Schwentner, la qualité du livre slovène atteignit un très
haut niveau. Certains lui donnèrent même le surnom
d’˝éditeur de la Cour du modernisme slovène˝ à cause
de son soutien inconditionnel aux jeunes auteurs modernistes comme Ivan Cankar, Oton Župančič, Josip Murn
Aleksandrov et Dragotin Kette. Il accordait une attention
toute spéciale à la forme et à l’aspect de ses publications, faisant appel à de nombreux jeunes artistes qui
avaient étudié à Vienne à l’apogée du mouvement de
la Sécession. Ceux-ci introduisirent ainsi l’iconographie
de ce nouveau courant inspiré par la nature, le folklore
et la mythologie qu’ils combinaient à des formes stylisées et à cette dynamique ligne ondulante typique de
la Sécession.
L’un des premiers livres slovènes qui allie poésie et interprétations artistiques pour créer un tout harmonieux,
une œuvre d’art totale, est l’ouvrage de poésie de Dragotin Kette (1876-1899). Pour sa seconde édition en 1907,
Oton Gaspari a créé cinq pleines pages d’illustrations et
neuf vignettes dans le style Sécession typique.
Ljubljana
L’illustration du frontispice de Poésies, marquée par
une composition géométrique en forme de croix,
montre une jeune femme avec une fleur dans les
cheveux portant une longue robe transparente sur
le montant transversal gauche. Sur le droit, la Mort
a revêtu une tenue noire. Leurs mains qui se rencontrent jouent d’une harpe dessinée sur le montant
vertical de la croix, au milieu de la page.
La page de titre de Sonnets présente une femme ailée,
élégante et de haute taille, tenant dans sa main droite
une guirlande avec le titre « Sonnets ». En bas, sur la
gauche, on aperçoit la silhouette d’un couple formé par
un poète et par la mort dotée d’une faux et d’un sablier.
Les deux images expriment très clairement l’esprit de
cette période qui souleva les questions de l’existence
et de la non-existence, de la vie et de la mort, d’Eros
et de Thanatos, autant de thèmes qui tourmentaient
le jeune poète sensible.
(p. 102) Makso Gaspari, Frontispice de Poésies, (Ljubljana 1907), encre, papier, 38,1x 25,7 cm © Narodna galerija [Galerie nationale], inv. št. NG G 1118
(p. 105) Makso Gaspari, Frontispice de Sonnets, (Ljubljana 1907), encre, papier, 38,1 x 25,7 cm © Narodna galerija [Galerie nationale], inv. št. NG G 1119
103
The poems of Dragotin Kette, a treasure among
Slovene collectors’ editions (1907)
Publishing was one of the most dynamic sectors of
the Art Nouveau movement around the year 1900.
The books presented a complete work in themselves,
marrying the fine arts with poetry. Never before had so
many collectors’ editions been published. Particular attention was paid to the covers, the binding, bookplates,
frontispiece and illustrations. The publisher Lavoslav
Schwentner was responsible for raising the quality of
Slovene books to a very high standard. Some even gave
him the nickname « Slovene Modernism’s court publisher » on account of his unfailing support for young
Modernist authors like Ivan Cankar, Oton Župančič, Josip
Murn Aleksandrov and Dragotin Kette. He paid special
attention to the form and appearance of his publications,
commissioning several young artists who had studied in
Vienna at the height of the Secession movement. They
introduced the iconography of that new trend, which
drew its inspiration from nature, folklore and mythology, combining it with stylised forms and the dynamic,
undulating line typical of the Secession style.
One of the first books in Slovenia combining poetry with
pictorial interpretations to create a harmonious, integral
work of art was the volume of poems by Dragotin Kette
(1876-1899). For the second edition, published in 1907,
Oton Gaspari created five full pages illustrations and
nine vignettes in the typical Secession style.
104
The illustration for the frontispiece of Poems takes the
form of a geometric composition in the shape of a cross;
a young woman with a flower in her hair and wearing a
long, transparent dress is portrayed on the left arm of
the cross, with Death, clad in black, on the right. Their
hands meet as they play a harp depicted on the vertical
post of the cross, in the centre of the page.
The title page of Sonnets shows a tall, elegant winged
woman holding a garland in her hand bearing the name
« Sonnets ». Below, on the left hand side, is a silhouette
showing a poet accompanied by Death, who is carrying
a scythe and an hour-glass.
The two images very clearly express the spirit of that
period, which was preoccupied by questions of existence and non-existence, life and death, Eros and Thanatos,
all themes which tormented the sensitive young poet.
(p. 102) Makso Gaspari, Title page of Poems , (Ljubljana 1907), ink, paper, 38.1x 25.7 cm © Narodna galerija [National Gallery], inv. št. NG G 1118
Ljubljana
(p. 105) Makso Gaspari, Title page of Sonnets , (1907), ink, paper, 38.1x 25.7 cm © Narodna galerija [National Gallery], inv. št. NG G 1119
105
106
Un meuble végétal: le guéridon aux nénuphars de Majorelle
L’ébéniste, décorateur et ferronnier d’art nancéien,
Louis Majorelle, présente en 1900 à l’Exposition universelle de Paris un tout nouvel ensemble de mobilier de bureau (fauteuil, bureau et bibliothèque) basé
sur des lignes organiques et dynamiques inspirées
du nénuphar jaune. Cette même inspiration le guide deux ans plus tard lorsqu’il compose ce guéridon
en bois précieux orné de bronzes dorés. Sans pour
autant délaisser la sculpture sur bois et les décors
de marqueterie florale présents sur une large partie
de sa production, Majorelle apporte, dans la série de
meubles aux nénuphars, sa propre réflexion sur le
mobilier moderne construit et orné d’après la nature. C’est en effet le nénuphar jaune – ses feuilles, ses
fleurs, ses tiges, mais aussi son modèle de croissance
– qui inspire à Majorelle l’architecture et le décor de
ce meuble végétal. Si le travail d’ébénisterie confirme l’appartenance de ce guéridon au registre et aux
formes Art nouveau, ce sont les éléments en bronze
qui lui donnent sa dimension naturaliste et symbolique. Le nénuphar prend racine à la base des pieds
en bronze : son rhizome, émergeant du sol, forme le
renflement central à partir duquel partent les longues tiges, tandis que ses fins rhizoïdes enveloppent
les flancs et l’arrière du pied. Des feuilles recroquevillées terminent le décor de la base. Les tiges, qui
épousent la courbe du bois, semblent porter le pla-
Nancy
teau supérieur dont la forme trilobée et les rebords
incurvés rappellent les feuilles de nénuphar. Quant à
la fleur, elle s’épanouit dans la partie haute du meuble, posée sur les larges feuilles au centre de chaque
lobe du plateau.
Œuvrant tout autant comme ébéniste que comme
bronzier, Majorelle crée un style nouveau qu’il développe par la suite dans ses ensembles de chambre à
coucher aux nénuphars et de bureau aux orchidées
dont le style unique et identifiable le différencie nettement des recherches de ses confrères nancéiens,
parmi lesquels Émile Gallé et Eugène Vallin.
(p. 106) Louis Majorelle, guéridon aux nénuphars (1902),
amarante, placage de bois
serpent, bronze doré et ciselé
90,5 x 96 x 96 cm
© Musée de l’École de Nancy, photo Claude Philippot
(p. 109) Louis Majorelle, guéridon aux nénuphars (1902), détail, amarante, placage de bois
serpent, bronze doré et ciselé
90,5 x 96 x 96 cm
© Musée de l’École de Nancy, photo Claude Philippot
107
Furniture as vegetation: Majorelle’s waterlily pedestal table
At the 1900 Paris World Exhibition, the cabinet-maker,
designer and wrought-iron craftsman Louis Majorelle
presented an entirely new set of office furniture (an
armchair, desk and bookcase) based on organic, vigorous lines inspired by the yellow water-lily. That
same influence was his guide two years later, when
he created this pedestal table made of precious
wood ornamented with gilded bronze. While he
did not abandon the wood carving and ornamental
floral marquetry that features in much of his work,
Majorelle’s series of pieces based on the theme of
the water lily reflects his personal vision of modern
furnishings inspired by nature in their construction
and decoration. It was in fact the yellow water lily
that provided Majorelle with his ideas for the structure and ornamentation of this plant-like furniture –
not simply for its leaves, flowers and stalks, but also
for its mode of development. Although the characteristic register and forms of Art Nouveau are evident
in the cabinetwork, it is the table’s bronze elements
that endow it with a naturalistic and symbolic dimension. The water lily takes root at the base of the
bronze feet: its rhizome emanates from the ground
to form the central tier from which the long stems
emerge, while its slender rhizoids envelop the sides
and backs of the table’s feet. Withered leaves complete the ornamentation on the lower section. The
108
stems are moulded to the curve of the wood and
appear to support the upper tier, the trilobate forms
and curved edges of which suggest water lily leaves.
The flower itself appears in bloom on the upper section of the furniture, set on wide leaves in the centre
of each lobe forming the tier.
Both through his work as a cabinet-maker and as
a bronze craftsman, Majorelle created a new style,
which he subsequently developed in his sets of bedroom furniture inspired by water lilies and his office
ensembles based on orchid designs. Their unique,
recognisable style sets him clearly apart from his
colleagues within the Ecole de Nancy, among them
Émile Gallé and Eugène Vallin.
(p. 106) Louis Majorelle, water lily pedestal table (1902), amaranth, snakewood inlay, carved and gilded bronze, 90.5 x 96 x 96 cm
© Musée de l’Ecole de Nancy, photo Claude Philippot
(p. 109)
Nancy
Louis Majorelle, water lily pedestal table (1902), detail,
amaranth, snakewood inlay, carved and gilded bronze,
90.5 x 96 x 96 cm © Musée de l’Ecole de Nancy, photo Claude Philippot
109
110
La coupe Roses de France d’Emile Gallé
À la fin du XIXe siècle, Nancy devint l’une des capitales de l’horticulture grâce aux talents conjugués
de Victor Lemoine, de Félix Crousse et de leurs confrères. Ces derniers avaient conçu, par hybridation, de
nouvelles variétés végétales qui suscitèrent l’intérêt
des artistes pour la nature et pour la flore en particulier. Ce contexte favorisera la création, en 1877, de la
Société centrale d’horticulture de Nancy, à l’origine de
la commande de cette importante coupe offerte, en
1901, à Léon Simon, son premier président honoraire.
Issu d’une ancienne famille de jardiniers messins, ce
pépiniériste était un spécialiste des roses. Ce n’est donc
pas un hasard si cette fleur a été choisie comme unique sujet de décor de la coupe. En plus de son aspect
décoratif, c’est également pour sa valeur allégorique
et symbolique qu’elle a été retenue : l’une des variétés représentées est la rosa gallica devenue, à cette
époque, un symbole de la ville de Metz et de son lien
avec la France. Selon une tradition locale, cette fleur
ne pousserait que sur le mont Saint-Quentin. Du haut
de ce belvédère qui domine la cité, elle se moquerait de la nouvelle frontière imposée par l’Allemagne,
suite à la guerre franco-prussienne de 1870.
Nancy
Réalisée en deux parties, la coupe propose des tonalités délicates imitant celles des roses qu’Émile Gallé
a rehaussées d’inclusions de poudre, d’applications
et de motifs en marqueterie de verre. En fait, il emploie souvent les fleurs pour exprimer des idées.
Outre l’allusion à la situation politique liée à
l’annexion allemande de 1870, cette pièce évoque
aussi les différents « âges de la vie » puisque les
roses, gravées ou en application, sont représentées
à différents stades de floraison : en bouton, à peine écloses, épanouies ou commençant à se faner.
L’artiste n’hésite pas à figurer les étapes successives
de la croissance, depuis l’éclosion jusqu’à la décrépitude des végétaux. Ainsi, la rose ornant le vaisseau,
motif central de cette coupe, est-elle en train de se
flétrir. Ses pétales commencent à se détacher. Certains volent déjà au vent. On peut ainsi constater
que la nature en majesté, dans toute sa plénitude,
n’est pas la seule à inspirer Gallé. Il s’intéresse également aux plantes qui présentent des anomalies, qui
sont malades ou en pleine dégénérescence, autant
d’étapes qui rappellent la brièveté et la fragilité de
la vie.
(p. 110) Émile Gallé, Coupe Simon ou Roses de France (Nancy 1901)
Cristal, H. 44,7 ; D. 31 cm © Musée de l’École de Nancy, photo :
Gilbert Mangin
(p. 111) Émile Gallé, Coupe Simon ou Roses de France, détail (Nancy 1901)
cristal, H. 44,7 ; D. 31 cm © Musée de l’École de Nancy, photo :
Gilbert Mangin
111
Emile Gallé’s rose bowl
Nancy became a centre of horticulture in the late
19th century, thanks to the combined talents of Victor
Lemoine, Félix Crousse and their colleagues. The new
plant species created by Lemoine and Crousse through
hybridisation kindled artists’ interest in nature, particularly flora. These circumstances favoured the establishment of the Société centrale d’horticulture de
Nancy in 1877. This was the source of the commission
for this impressive bowl, which was presented to its
first honorary president Léon Simon in 1901.
yering and motifs in glass marquetry to produce their
raised effect. He often expressed his ideas through
flowers. Besides the allusion to the political situation relating to the German annexation of 1870, this
piece also recalls the different « ages of life » since
the roses, engraved or applied, are shown at different
stages in their flowering: as buds, just opening, in full
bloom and starting to fade. The artist did not shrink
from depicting different stages in the growth of plant
life, from their flowering to their death. In this way,
the rose which forms the central motif decorating
the bowl is beginning to wilt. Its petals are starting to
detach themselves, with some already floating in the
wind. It is clear that Gallé was not inspired by nature
only when in the fullness of its majesty. He was also
interested in plants that presented anomalies, which
were diseased or completely degenerating, all the
stages that recall the brevity and fragility of life.
This nurseryman, born into an ancient family of gardeners from Metz, was a rose specialist, so it is no
coincidence that the flower was chosen as the sole
motif adorning the bowl. It was selected as much for
its symbolic and allegorical value as for its decorative
appearance: one of the varieties represented is the
rosa gallica, which at that time had become a symbol
of the town of Metz and of its link with France. According to local tradition, this flower would only grow
on the Mont Saint-Quentin. From this vantage-point
dominating the city, it would cock a snook at the new
frontier imposed by Germany after the Franco-Prussian war of 1870.
(p. 110) Émile Gallé, Coupe Simon or Roses de France (Nancy 1901)
Cristal, H. 44.7 ; D. 31 cm © Musée de l’Ecole de Nancy, photo :
Gilbert Mangin
Created in two sections, the bowl’s delicate tones
echo those of the roses; Émile Gallé used powder, la-
(p. 111) Émile Gallé, Coupe Simon or Roses de France, detail (Nancy 1901)
Cristal, H. 44.7 ; D. 31 cm © Musée de l’Ecole de Nancy, photo :
Gilbert Mangin
112
Nancy
113
114
Alessandro Mazzucotelli et la légèreté du fer
« Car la matière d’un art n’est pas une donnée fixe,
acquise pour toujours: dès ses débuts, elle est transformation et nouveauté, puisque l’art, comme une
opération chimique, élabore, mais elle continue à se
métamorphoser » (H. Focillon)
Considéré comme un maître de la ferronnerie,
Alessandro Mazzucotelli (1865-1938) participe à
l’expérience Liberty grâce à ses inventions formelles,
riches et raffinées et collabore avec les plus importants architectes lombards, notamment G. Sommaruga et A. Campanini, en réalisant les ferronneries
décoratives de leurs bâtiments. Il combine éléments
floraux, zoomorphes et structures abstraites pour
créer des formes ayant la logique et la caractéristique spatiale de modèles architecturaux.
Les travaux de Mazzucotelli se caractérisent par le
lien étroit entre l’ingénuité de l’artiste et la dextérité de l’artisan, offrant ainsi à l’immense collection
de plantes et d’animaux représentés une sensibilité
plastique rare. Le sujet acquiert donc une grande
puissance expressive, animée par la composition de
pleins et de vides, par les irrégularités et les symétries offrant des contrastes saisissants entre l’espace
au sens strict et le monde naturel : chaque élément
de la composition prend vie, après un travail précis
de la forge, produisant des formes fluides, libres et
dynamiques.
Après les premières grandes réalisations comme le
bâtiment de la nouvelle Bourse de Milan, la villa
Ottolini à Busto Arsizio, les villas Fabbro et Antonini à
Trévise, ses recherches évoluent vers une stylisation
progressive dans la période tardive de l’Art nouveau.
Son œuvre comporte des thèmes inspirés du monde
végétal, mais également de l’animal, dont la représentation évolue avec le temps, passant d’un effet
de simplification formelle à un effet d’immédiateté
considérablement expressive.
La perception de la relation étroite entre le fer et
l’architecture ne vient que plus tard, lorsque Mazzucotelli donne une dimension architecturale à ses travaux,
comme dans le cas emblématique des lampadaires
de la Piazza Duomo à Milan, conçus en lien étroit avec
le paysage urbain et les clochers des églises.
Regione Lombardia
(p. 114) Alfredo Campanini, Casa Campanini (Milan 1906)
© Alessandro Morelli
(p. 117) Alessandro Mazzucotelli, détail de ferronnerie de la porte d’entrée de la Casa Campanini (Milan 1906) © Alessandro Morelli
115
Alessandro Mazzucotelli and the airy qualities of iron
“For the material from which a piece of art is formed
is not a set feature, established for all time. From its
inception, it can become transformed and renewed,
as artistic creation is like a chemical process: it elaborates matter while continuing to achieve metamorphosis”. (H. Focillon)
Considered to be a master iron-worker, Alessandro
Mazzucotelli (1865-1938) contributed to the Liberty
Style with his rich and refined innovations of form.
He collaborated with the most renowned architects
in Lombardy, most notably Giuseppe Sommaruga
and Alfredo Campanini, by producing the decorative
wrought iron elements on their buildings. Combining floral, zoomorphic and abstract structures, he
created forms reflecting the spatial logic and character of architectural models.
Mazzucotelli’s work typically displays a close link
between the ingenuity of the artist and the dexterity of the craftsman, endowing the immense collection of plants and animals represented there with a
rare quality of plasticity. In this way, the subject is invested with considerable expressive power, which is
enlivened by the composition with its full and empty spaces, its irregularities and symmetries offering
striking contrasts between space in the strict sense
116
and the natural world. Each element of the composition comes to life through the precision of the
ironwork, which produces fluid, free and dynamic
forms.
After his first major projects, such as the new Stock
Exchange in Milan, the villa Ottolini at Busto Arsizio and the Fabbro and Antonini villas at Treviso, his
explorations resulted in the gradual development
of more stylised forms during the late Art Nouveau
period. His work includes themes inspired by vegetation and the animal kingdom alike, his portrayals
evolving over time from a simplification of form to a
highly expressive impression of immediacy.
The close relationship between iron and architecture only becomes evident at a later date, when Mazzucotelli gave his work an architectural dimension.
This is the case with the emblematic street lamps
in Milan’s Piazza Duomo, designed to create a close
link with with the urban landscape and the church
bell towers.
Regione Lombardia
(p. 114) Alfredo Campanini, Casa Campanini (Milan 1906)
© Alessandro Morelli
(p. 117) Alessandro Mazzucotelli, detail of the wrought iron gate of Casa Campanini (Milan 1906) © Alessandro Morelli
117
118
De l’objet sans vie à l’objet d’art
En 1901, Giuseppe Sommaruga (1867-1917) construisit le Palazzo Castiglioni, et trois ans plus tard,
Alfredo Campanini (1873-1926) construisait sa propre
maison dans la rue Bellini. Ces deux constructions
sont deux des plus célèbres bâtiments Art nouveau
de Milan pour lesquelles les architectes ont fait face
aux défis de la technologie et des nouveaux matériaux. Dans le travail des deux architectes, la recherche de la cohérence entre la fonction et la forme selon de nouvelles règles s’accomplit à travers
l’utilisation de matériaux tels que le verre, le fer et
le ciment qui, en tentant d’imiter la nature, gagnent
une importante valeur plastique.
Le fer, le verre et le béton sont disponibles grâce au
développement des productions de masse et, au XIXe
siècle, ils s’imposeront aux artisans et fabricants les
plus motivés qui rechercheront leur utilisation artistique. Dans les travaux de Sommaruga, Campanini
et d’autres artistes du Liberty lombard, le matériau
subit un processus de métamorphose, se libérant de
son état brut et de sa condition mécanique, pour devenir hautement expressif.
Se démarquant des expériences sur le fer en Europe du Nord tout en se rapprochant des techniques
employées par le Modernisme catalan, les architec-
tes lombards choisissent le béton pour sa faculté de
donner vie à la fois à des formes strictement géométriques et à des formes plastiques libres.
Dans le Palazzo Castiglioni et la maison Campanini, de multiples facettes du ciment sont exploitées
par les deux architectes : la structure, la texture, le
matériau décoratif et sculptural. Combinées suivant
des formes à la fois géométriques et organiques,
celles-ci s’associent à des matériaux historiquement
nobles, provoquant ainsi les anciennes figures néoclassiques, tout en contribuant à donner à la ville
une nouvelle dimension, en équilibre entre tradition
et innovation. Probablement pour le plaisir sensuel
de jouer avec le matériau, quel qu’il soit.
(p. 118) Alessandro Mazzucotelli, verrière et lampes en fer forgé
© Alessandro Morelli
Regione Lombardia
(p. 121) Alessandro Mazzucotelli, détail de verrière en fer forgé
© Alessandro Morelli
119
From lifeless object to objet d’art
Giuseppe Sommaruga (1867-1917) built the Palazzo Castiglioni in 1901, and three years later Alfredo
Campanini (1873-1926) built his own house in the
Via Bellini. The architects undertook the challenges
presented by technology and new materials to create these constructions, which are two of the most
famous Art Nouveau buildings in Milan. In the work
of both architects, the quest to achieve coherence
between form and function in accordance with new
principles was fulfilled through materials such as
glass, iron and cement; these gained a significant
quality of plasticity in the endeavour to imitate nature.
The development of mass production ensured the
availability of iron, glass and concrete. These were
essential materials for the most ambitious 19th
century craftsmen and manufacturers, who sought
to put them to artistic use. In the work of Sommaruga, Campanini and other Liberty Style artists
of Lombardy, the material underwent a process of
metamorphosis as it was freed from its untreated
state and mechanical properties, becoming highly
expressive.
With the Palazzo Castiglioni and the Campanini
house, the two architects made use of many different aspects of cement: its structure, texture and
qualities as a decorative and sculptural material.
These combine to produce forms which are both
geometric and organic; used in conjunction with
material that has noble, historic connotations, they
challenge ancient neo-Classical figures, while playing their part in giving the city a new dimension balancing tradition with innovation. Manipulating the
material, whatever it might be, was surely a pleasurable experience for the senses.
(p. 118) Alessandro Mazzucotelli, window and wrought iron lamps
© Alessandro Morelli
Regione Lombardia
The Lombard architects were not associated with
the experimental use of iron as practised in Nor-
120
thern Europe, instead using techniques similar to
those of Catalan Modernisme. They chose concrete
for its ability to breathe life into purely geometric
shapes and free, plastic art forms alike.
(p. 121) Alessandro Mazzucotelli, detail of a wrought iron window © Alessandro Morelli
121
122
Le masque de la femme mystérieuse
La résidence située au numéro 8 de la rue Smilšu,
à Riga, fut construite en 1902 d’après le projet des
architectes Heinrich Scheel (1829-1909) et Friedrich
Scheefel (1865-1913). Scheel fit ses études à SaintPétersbourg où il obtint le titre d’académicien. Une
trentaine d’immeubles en pierre furent construits
à Riga d’après ses projets. Scheefel suivit un cursus
en Allemagne, puis travailla dans le bureau de Heinrich Scheel avant de devenir indépendant. Il est à
l’origine de la construction d’environ 35 immeubles
résidentiels et publics.
De style Art nouveau éclectique et décoratif, l’immeuble de la rue Smilšu appartenait à I. Bobrov. Ses
façades donnant sur deux rues sont rehaussées de
balcons aux splendides ferronneries et d’un décor
ornemental à la symbolique affirmée réalisé par les
sculpteurs Sigismund Otto et Osvalds Vasils. Ainsi, les
deux personnages de femmes tenant dans leurs bras
une couronne évoquent la beauté et l’harmonie.
D’une étrange beauté, le mascaron expressif figurant
une tête féminine agrémente le portail d’entrée et
symbolise le Temps. Alors que les traits paisibles et
les yeux fermés font allusion à la nuit, des étoiles qui
suggèrent l’ordre cosmique parsèment la chevelure
bouclée. Le visage masculin en demi-lune situé au-
Riga
dessus du mascaron représente quant à lui la force
masculine. En effet, contrairement au folklore des
autres peuples européens, la Lune, dans le folklore letton, est plutôt liée à la vigueur de l’homme.
D’ailleurs, les chansons populaires lettones honorent
la double nature de la Lune (nom masculin en langue lettone) – tantôt jeune, tantôt vieille. Pourtant,
l’astre nocturne est bel et bien le symbole du secret féminin et de la création. Les cheveux cachant
la Lune sont parcourus d’un ruban décoratif timbré
du signe d’Auseklis, l’étoile du matin qui, pour les
Lettons, symbolise l’éveil, l’aube et le jour nouveau.
Il faut souligner que de nombreux bâtiments de
style Art nouveau à Riga conservent des sculptures
dont le décor fait référence à la mythologie et au folklore letton.
(p. 122) H.Scheel, F.Scheffel, 8 rue Smilšu, façade de l’immeuble à appartements (Riga 1906), Riga Art Nouveau Centre, photo: R. Salcevics
(p. 125) H.Scheel, F.Scheffel, 8 rue Smilšu, le mascaron sur la façade de l’immeuble à appartements (Riga 1902), Riga Art Nouveau Centre,
photo: R.Salcevics
123
The mask of the mysterious female
The residential building situated at number 8 Smilšu
iela, Riga, was constructed in 1902 from plans created by the architects Heinrich Scheel (1829-1909)
and Friedrich Scheefel (1865-1913). Scheel studied
at Saint Petersburg, where he achieved the status
of academician. Around thirty stone buildings were
constructed in Riga based on his designs. Scheefel
pursued his university studies in Germany and afterwards worked in Heinrich Scheel’s practice before
becoming independent. He was responsible for the
construction of around 35 residential and public
buildings.
The building in Smilšu iela, which was owned by I.
Bobrov, is an example of the eclectic decorative Art
Nouveau style. Its front façades are enhanced by balconies displaying splendid wrought ironwork and
distinctly symbolic ornamentation created by the
sculptors Sigismund Otto and Osvalds Vasils. In this
way, the two female figures holding a garland aloft
suggest beauty and harmony, while the strangely
lovely, expressive mascaron in the form of a female head that adorns the main entrance symbolises
Time. Her tranquil features and closed eyes form an
allusion to the night, and the stars strewn among the
curls of her hair suggest the order of the cosmos. The
124
half-moon masculine face placed above the mascaron represents male strength. In contrast to the folklore of other European nations, in Latvia the Moon
is in fact more associated with male vigour. Latvian
folk songs honour the dual nature of the moon (a
masculine noun in Latvian) – now young, now old.
The evening star, on the other hand, unquestionably
symbolises the mystery of woman and creation. The
hair concealing the Moon is threaded with a decorative ribbon bearing the sign of Auseklis, the morning star, which for Latvians symbolises awakening,
the dawn and the new day. It is important to note
that several Art Nouveau style buildings in Riga carry
decorative sculptures referring to Latvian mythology
and folklore.
(p. 122) H.Scheel, F.Scheffel, 8 rue Smilšu, Apartment house with shops (Riga 1902), Riga Art Nouveau Centre, photo: R.Salcevics
Riga
(p. 125) H.Scheel, F.Scheffel, 8 rue Smilšu, the mascaron of a woman on the façade of the apartment house (Riga 1902), Riga Art Nouveau Centre, photo: R.Salcevics
125
126
L’immeuble aux sphinx
L’un des derniers immeubles Art nouveau éclectique
et décoratif construit à Riga est la résidence de V.
Boguslavski, située au numéro 2a de la rue Alberta.
Il fut érigé en 1906 d’après les plans de l’ingénieur
en bâtiment Mikhaïl Eizenstein (1867-1921) qui débuta sa carrière d’architecte dans cette même ville.
Près de vingt immeubles résidentiels en pierre y
furent d’ailleurs édifiés d’après ses projets. Notons
que celui de la rue Alberta abrita un temps le grand
philosophe britannique Isaiah Berlin qui y passa son
enfance, entre 1909 et 1915.
Les façades de l’immeuble ont été dotées d’un décor
composé de motifs géométriques et d’ornements
stylisés. De part et d’autre du portail et des halls
d’entrée, deux femmes sculptées brandissent des
torches. Tandis qu’une frise décorative verticale en
carreaux rouges vernis accentue la partie centrale
de la façade, l’attique dont les ouvertures pareilles
à des fenêtres ouvertes laissent apparaître le ciel,
attire indubitablement toute l’attention. Couronné
de mascarons et de motifs géométriques, il apporte
à la façade expressivité et dynamisme. Les sculptures de sphinx situées devant l’immeuble constituent
elles aussi une autre particularité de l’ensemble. Le
sculpteur, probablement Vasaks, les a toutes deux
Riga
conçues comme des œuvres indépendantes, présentées sur de petits socles-podiums individuels. Une
poitrine idéale et des ailes aux lignes élégantes complètent le corps gracieux des sphinx à pattes de lion
dont la tête monumentale et les visages aux traits
mystérieux ne manquent pas d’interpeller les passants. Cet être mythique – mi - homme, mi - animal
– symbolise les quatre éléments : la terre, l’air, l’eau
et le feu. Si l’Égypte ancienne fit du sphinx le symbole
du pouvoir, de la justice et du soleil, il évoque davantage la sagesse et la fertilité dans la Grèce antique.
Les sphinx de la rue Alberta font plutôt référence à
cette dernière et posent des questions sans réponse
sur le mystère de la fertilité. Cette utilisation décorative du sphinx apparaî comme l’exemple le plus réussi
dans l’architecture Art nouveau de Riga. Aujourd’hui
encore, ces figures légendaires montent la garde de cette demeure, invitant les passants à deviner leurs secrets.
(p. 126) Mikhail Eisenstein, façade de l’immeuble à appartements
(Riga 1906), Riga Art Nouveau Centre, photo: R.Salcevics
(p. 129) Mikhail Eisenstein, les sphinx devant l’immeuble à appartements (Riga 1906), Riga Art Nouveau Centre, photo: R.Salcevics
127
The sphinx building
One of the last eclectic and decorative Art Nouveau
buildings to be constructed in Riga was the home
of V. Boguslavski, at number 2a, Alberta iela. It was
erected in 1906 from plans drawn up by the civil engineer Mikhail Eisenstein (1867-1921), who began his
career as an architect in Riga. Almost twenty stone
residential buildings were constructed there from
his designs. A notable resident of Alberta iela was
the great British philosopher Isaiah Berlin, who spent
part of his childhood there, between 1909 and 1915.
The building’s façades were given a decoration composed of geometric patterns and stylised ornamental elements. On either side of the doorway and entrance halls,
two sculpted female figures brandish torches. A decorative vertical frieze in polished red tiling accentuates
the upper section, yet it is unquestionably the very top
of the edifice that draws all eyes, with its window-like
apertures open to the sky. Surmounted by mascarons
and geometric patterns, it brings expressivity and dynamism to the façade. The sculptures of sphinxes placed
in front of the building are an additional distinctive feature of the construction. The sculptor, probably Vasaks,
conceived them both as independent works, setting
them on small, individual pedestals. Perfect breasts
and wings with elegant lines complete the graceful bo-
128
dies of the sphinxes, which have lion’s paws. Their monumental heads and mysterious facial features never
fail to attract the attention of passers-by. This mythical
creature – half-man, half-animal – symbolises the four
elements : earth, air, water and fire. In ancient Egypt the
sphinx was the symbol of power, justice and the sun,
but to the ancient Greeks it had stronger associations
with wisdom and fertility. The sphinxes in Alberta iela
refer more to the latter interpretation, suggesting unanswered questions on the mystery of fertility. This use of
the sphinx as a decorative feature is the most successful
example in Riga’s Art Nouveau architecture. These
legendary figures still mount guard outside the residence today, inviting passers-by to guess their secrets.
Riga
(p. 126) Mikhail Eisenstein, Façade of apartment house (Riga 1906)
Riga Art Nouveau Centre, photo: R.Salcevics
(p. 129) Mikhail Eisenstein, The sphinxes in front of the apartment house
(Riga 1906), Riga Art Nouveau Centre, photo: R.Salcevics
129
130
Le décor à la rose à l’époque moderniste
Les arts appliqués modernistes comportent de nombreux éléments naturels et symboliques qui ont été
transformés, voire métamorphosés, puis intégrés à
l’architecture. Parmi ceux-ci, la rose est, à n’en point
douter, le motif végétal le plus représenté dans les
bâtiments de cette époque à Terrassa.
Cette fleur, très présente dans la culture occidentale qui en fait un usage décoratif et médicinal, jouit
d’une symbolique particulièrement forte. En Catalogne, on l’associe au jour de la Sant Jordi, quand les
hommes offrent une rose rouge à l’élue de leur cœur,
et de manière plus générale à l’amour, à la beauté et
à d’autres sentiments en fonction de sa couleur. Si
l’on sait que les senteurs florales et les parfums revêtent une importance majeure à cette époque, elle
définit merveilleusement le Modernisme catalan en
unissant l’aspect olfactif à l’iconographie et au vocabulaire décoratif.
Les différences de représentation semblent être liées
au matériau employé. Ainsi, le motif de la rose apparaît plus réaliste dans la pierre ou le métal, devenant
plus abstrait dans la céramique, les vitraux et le trencadís, un type de mosaïque créé à partir d’éclats de
carreaux de céramique. Généralement, la tige et les
feuilles sont dessinées de façon similaire. Par contre,
Terrassa
la fleur elle-même varie à l’infini. Il est vrai aussi que
la création artistique est un autre élément à prendre
en compte.
La grille du jardin de la Casa Alegre de l’architecte
Joaquim de Sagrera, les chapiteaux en pierre et les
ornements en plâtre du Théâtre principal comme
les peintures de guirlandes de roses de la confiserie
Vídua Carné de le peintre Joaquim Vancells offrent
les représentations les plus réalistes tandis que les
dallages en mosaïque du Théâtre principal, la lampe
de la Casa Barata comme les vitraux de la confiserie
Vídua Carné montrent une abstraction métamorphique du motif original. Enfin, elle apparaît fortement
stylisée dans les balustrades en céramique et mosaïque de la Casa Alegre.
(p. 130) Salvador Soteras i Taberner, ancien Banc de Terrassa.
Terrassa, Museu de Terrassa, photo: Domènec Ferran
(p. 134) Melcior Vinyals, Casa Alegre de Sagrera.
Terrassa, 1911, Museu de Terrassa, photo: Marta de Juan
131
The rose decoration of the Moderniste period
Moderniste applied arts include a number of natural
and symbolic elements which have been transformed, even metamorphosed, and then integrated
into architectural constructions. Among these, the
rose is certainly the most frequently represented
plant motif on buildings in Terrassa dating from this
period.
This flower features prominently in western culture,
where it has been used for decorative and medicinal
purposes alike, and it carries particularly strong symbolic connotations. In Catalonia, it is associated with
Sant Jordi’s day, when men give a red rose to their
chosen inamorata. In a broader sense, it is linked to
love, beauty and other sentiments according to its
colour. Given that floral fragrances and perfumes
were greatly favoured during this period, the rose
was the ideal emblem for Catalan Modernisme,
combining the aromatic aspect with iconography
and decorative vocabulary.
The different ways in which the rose is represented
seem to be linked to the material that is used. In this
way, the rose motif appears more realistic in stone
or metal, becoming more abstract when represented in ceramics, stained glass and trencadís, a type
of mosaic created with fragments of ceramic tiles.
132
Although the stem and leaves are generally depicted
in a similar fashion, the flower itself is the subject of
infinite variations, artistic creativity being an additional contributory factor.
The most realistic representations may be found on
the garden railings of the Casa Alegre, created by
the architect Joaquim de Sagrera, the stone capitals
and plaster ornamentation on the Teatre Principal,
and the paintings of rose garlands on the Vídua
Carné confectionary shop, designed by the painter
Joaquim Vancells. By contrast, in the mosaic paving
at the Teatre Principal, the lamp at the Casa Barata
and the stained glass windows of the Vídua Carné
confectionary shop, the original motif has metamorphosed into an abstract shape. And finally, it appears
in a highly stylised form in the ceramic and mosaic
balustrades of the Casa Alegre.
Terrassa
(p. 130) Salvador Soteras i Taberner, old Banc de Terrassa.
Terrassa, Museu de Terrassa, photo: Domènec Ferran
(p. 134) Melcior Vinyals, Casa Alegre de Sagrera.
Terrassa, 1911, Museu de Terrassa, photo: Marta de Juan
133
134
Les toitures aériennes de Lluís Muncunill
Lluís Muncunill, l’architecte le plus prolifique du patrimoine industriel et moderniste de Terrassa, considérait l’architecture comme un reflet de la création. Les édifices étaient pour lui des organismes
vivants combinant harmonieusement la structure et
l’esthétique. C’est selon ce concept de la théorie organique qu’il a conçu la plupart de ses édifices modernistes. Ce mariage de l’architecture et de la nature
comme éléments structurels et esthétiques a généré
la recréation de lignes sinueuses et ondoyantes, ce
que nous pourrions définir comme une « nature ondulée ». Muncunill a progressivement épuré cette esthétique jusqu’à la simplicité la plus extrême quant à
l’ornementation des édifices. Cette ligne ondulante
résulte d’une conception libre et abstraite des modèles directement inspirés de la nature et constitue
son langage moderniste le plus représentatif.
La récupération de la tradition catalane de la construction en brique, aussi bien pour les toitures que
pour les murs, constitue un autre élément important de son œuvre. En effet, le Modernisme catalan
en général et Muncunill, dans le cas particulier de
Terrassa, ont revisité et amélioré le couvrement en
brique plate, dit «à la catalane», autant au niveau du
système constructif qu’au niveau des lignes et des
formes s’inspirant de la nature, en démultipliant les
Terrassa
possibilités d’expression ou d’abstraction.
Il aboutit à une voûte légère, de construction économique et rapide, qui peut s’adapter à toutes les
formes capricieuses grâce à une simple structure en
bois. De plus, elle peut couvrir de grandes surfaces,
ce qui la rendit idéale pour les bâtiments d’industrie
textile de Terrassa. Ainsi, des nefs ont été construites avec des voûtes à génératrice, des voûtes à génératrice et directrice en demi-cercle formant des
travées, comme dans l’édifice de la Société générale
d’électricité, dans l’usine Font Batallé et à l’Electra,
et des voûtes à directrice sinueuse et génératrice en
demi-cercle, beaucoup plus complexes, comme on
peut le voir au Vapor Aymerich, Amat i Jover.
(p. 134) Lluís Muncunill, Vapor Aymerich, Amat i Jover.
Terrassa, 1907-1909, photo: Teresa Llordés
(p. 137) Lluís Muncunill, Vapor Aymerich, Amat i Jover, détail.
Terrassa, 1907-1909., photo: Teresa Llordés
135
The aerial roofs of Lluís Muncunill
Lluís Muncunill, the most prolific architect of
Terrassa’s industrial and Moderniste heritage, saw
architecture as a reflection of creation. Buildings to
him were living organisms harmoniously combining
structure and aesthetics. Most of his plans for Moderniste constructions were based on this concept
of organic theory. This marriage of architecture and
nature as both structural and aesthetic elements resulted in the sinuous, flowing lines that recreated a
“natural world” of undulating forms. With regard to
the decorative features of his buildings, Muncunill
gradually pared down this aesthetic to the utmost
simplicity. Originating from a free, abstract conception of forms directly inspired by nature, this undulating line is the most representative example of his
Moderniste language.
Another important element in his work was the revival of the Catalan tradition of building both roofs
and walls in brick. Indeed, Catalan Modernisme and
Muncunill, in the particular case of Terrassa, revisited and improved the system known as the “Catalan
style”, involving a covering of flat bricks. Used both
for constructional purposes and for creating the lines
and forms inspired by nature, this technique afforded considerable opportunities for expressivity or
abstraction.
136
The gentle arch produced in this way is economical
and quick to construct, adapting itself to all manner
of imaginative forms by means of a simple wooden structure. Moreover, it can cover large surfaces,
which made it ideal for the buildings connected with
Terrassa’s textile industry. A series of vaults constructed along a generatrix line comprised the central
section, with vaults following semi-circular generatrix and directrix lines forming bays. This system was
used for the Societat General d’Electricitat building,
and the Font i Batallé and Electra factories. A much
more complex arrangement, featuring vaults with a
sinuous directrix and semi-circular generatrix, may
be seen in the Vapor Aymerich, Amat i Jover.
(p. 134) Lluís Muncunill, Vapor Aymerich, Amat i Jover
Terrassa, 1907-1909, photo: Teresa Llordés
Terrassa
(p. 137) Lluís Muncunill, Detail of the Vapor Aymerich, Amat i Jover. Terrassa, 1907-1909., photo: Teresa Llordés
137
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Le Réseau Art Nouveau Network souhaite remercier tout
particulièrement les personnes et les institutions qui ont contribué
à la réalisation de cet ouvrage :
The Réseau Art Nouveau Network would like to extend particular
thanks to the following individuals and institutions for their
contributions to this publication:
Commissaire de l’exposition / Exhibition Curator
Teresa-M. Sala, Universitat de Barcelona
Conception graphique / Graphic Design
Fargas-Garau S.L.
Coordinateur du projet / Project Coordination
Bruxelles-Brussel:
Philippe Thiéry, directeur de la Direction administrative et
financière (AATL), Ministère de la Région de Bruxelles-Capitale,
coordinateur du projet Art nouveau & écologie
Manoëlle Wasseige, Relations extérieures de la Région de
Bruxelles-Capitale, coordinateur faisant fonction du projet Art
nouveau & écologie
Remerciements à / Our thanks to
Nathalie Bourdon
Yves Cabuy, MRBC
Augusta Dörr
Elisabeth Horth
Pascale Ingelaere
Cabinet du Ministre-Président
Ålesund – Jugendstilsenteret
Partenaires / Partners: Nils Anker & IngvilGrimstad
Remerciements à / Our thanks to :
Jugendstilsenteret
The descendants of goldsmith Gustav Gaudernack
The Foundation Kjell Holm
The County of Møre og Romsdal
The Municipality of Ålesund
The Norwegian Ministry of Culture
Photos: Jugendstilsenteret
Aveiro – Câmara Municipal de Aveiro
Partenaires / Partners:
Ana Gomez & Andreia Lourenço
142
Photos: Gustavo Ramos
Bad Nauheim – Jugendstilverein
Partenaires / Partners:
Gisela Christiansen & Andreas Hilge
Photos: Hiltrud Hölzinger
Barcelone - IMPUQV
Partenaires / Partners :
Xavier Olivella Echevarne, Lluis Bosch Pascual
& Inma Pascual Esteve
Remerciements à / Our thanks to
Teresa-M. Sala
Bruxelles-Brussel – Direction des Monuments
et des Sites de la Région de Bruxelles-Capitale Directie Monumenten en Landschappen van het
Brussels Hoofdstedelijk Gewest
Partenaire / Partners:
Guy Condé-Reis
Remerciements à / Our thanks to
Adriaenssens Werner, MRAH
Philippe Charlier, Centre de documentation AATL-MRBC
Julie Coppens, Centre de documentation AATL-MRBC
Astrid Fobelets, Fondation Roi Baudouin
Murielle Gosselin, AATL
Ode Goossens, Direction des Monuments et Sites
Sam Plompen, Direction des Monuments et Sites
Photos : Carpentier Isabelle, Fondation Roi Baudouin
Les Musées royaux d’Art et d’Histoire
Bruxelles-Brussel – Musée Horta - Hortamuseum
Partenaire / Partner: Françoise Aubry
Remerciements à / Our thanks to
Figaz, Bruxelles
Photos: Evrard et Bastin
Glasgow – Mackintosh Heritage Group
Partenaires / Partners:
Helen Kendrick - Peter Trowles
Remerciements à / Our thanks to
Ian Elder, The Lighthouse
Helsinki – Helsingin kaupunginmuseo
Partenaire / Partner : Sari Saresto
Remerciements à / Our thanks to
Gösta Serlachiuksen taidesäätiö, Mänttä
Suvi Leukumaavaara, Helsinki
Photos: Design Museum, Helsinki + copyrights of the photo
Helsinki City Museum + copyrights of the photos
La Chaux-de-Fonds – Ville de La Chaux-de-Fonds
Partenaires / Partners:
Anouk Hellmann & Jean-Daniel Jeanneret
Photos : Aline Henchoz
La Habana – Oficina del Historiador
Partenaires / Partners : Claudia Castillo & Orlando Inclan Castaneda
Remerciements à / Our thanks to
Kenia Díaz Santos, Oficina del Historiador de La Habana
Nelys García Blanco, Oficina del Historiador de La Habana
Eusebio Leal Spengler, Oficina del Historiador de La Habana
Yanelis Leal del Ojo, Oficina del Historiador de La Habana
Marina Ogier, Ambassade de Belgique à Cuba
Ljubljana – UIRS
Partenaire / Partner: Breda Mihelic
Photos: Damjan Prelovšek (images villa Langer)
Galerie nationale de Slovénie, dir. Barbara Jaki (images Gaspari)
Nancy – Ville de Nancy
Partenaires / Partners : Musée de l’Ecole de Nancy et Villa Majorelle,
Jérôme Perrin & Valérie Thomas
Remerciements à / Our thanks to
L’équipe du musée de l’Ecole de Nancy, Véronique Baudoüin,
Damien Boyer, Felipe Domingues, Emmanuelle Guiotat, Hélène
Maherault, Jean-Yves Nancey, Blandine Otter, François Parmantier,
Dominique Wilmet, Marie Ostrowski, le Service des Publics des
Musées de Nancy, et les guides conférenciers, Roselyne Bouvier,
Historienne de l’Art, Francine Roze, Conservateur en Chef, Lisa
Laborie, Conservateur et l’équipe du Musée Lorrain
Les descendants d’Emile Gallé (Pour les visuels des plaques
photographiques qui ont été données en 2012 par les descendants)
Regione Lombardia - D.G. Istruzione, formazione e cultura
Partenaire / Partner : Giuseppe Speranza & Maurizio Monoli
Remerciements à / Our thanks to
Maria Rabita
Rīga – Rīgas pašvaldības kultūras iestāžu apvienība
Partenaires / Partners:
Zanda Kergalve, Iveta Sproge & AgritaTipane
Remerciements à / Our thanks to
Dr. arch. Jānis Krastiņš
Terrassa – Museu de Terrassa
Partenaires / Partners : Domènec Ferran i Gómez & Marta
De Juan i Castella
Remerciements à / Our thanks to
Institut Industrial de Terrassa
Centre de Documentació i Museu Tèxtil de Terrassa
Rafel Comes i Ezequiel
Photos: Montserrat Fontich, Quico Ortega
Comité éditorial / Editorial Committee :
Anne-Lise Alleaume, Françoise Aubry, Guy Condé-Reis, Breda
Mihelic, Jérôme Perrin, Anne-Sophie Riffaud-Buffat, Valérie Thomas,
Manoëlle Wasseige.
Rédacteurs / Editors:
Nils Anker, Françoise Aubry, Aurélie Autenne, Gisela Christiansen,
Hélène Guéné, Ingvil Grimstad, Jean-Daniel Jeanneret, Helen
Kendrick, Yaneli Leal del Ojo de la Cruz , Andreia Lourenço, Breda
Mihelic, Jérôme Perrin, Sonia Pistidda, Anne-Sophie Riffaud-Buffat,
Teresa-M. Sala, Saresto Sari, Valérie Thomas, Agrita Tipane, Peter
Trowles, Christophe Vachaudez, Domènec Ferran i Gómez
Cette publication a été éditée à l’occasion de l’exposition « Natures de l’Art
nouveau » dans le cadre du projet européen Art nouveau & écologie soutenu
par le programme Culture 2007-2013 de l’Union européenne.
This project has been funded with support from the European Commission.
This publication reflects the views only of the author, and the Commission
cannot be held responsible for any use which may be made of the information
contained therein.
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Colophon (En)