Synergie formation et recherche dans la formation initiale
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Synergie formation et recherche dans la formation initiale
Synergie formation et recherche dans la formation initiale des PLP tertiaires à l’IUFM d’Aix-Marseille Nicole Lebatteux UMR ADEF – IUFM d’Aix-Marseille – Université de Provence – INRP Le nouveau cahier des charges de la formation des maîtres rappelle l’aspect central d’une formation universitaire en alternance, notamment parce que : « Des savoirs théoriques déconnectés de la pratique sont inefficaces dans une formation professionnelle et, symétriquement, les situations rencontrées sur le terrain par les professeurs stagiaires ne sont pleinement formatrices que si elles sont analysées à l’aide d’outils conceptuels et des apports de la recherche. » (MEN, 2007, p.3). Pour les futurs enseignants de lycée professionnel un stage en entreprise, centré sur les relations école-entreprise, est maintenu et ses objectifs rappelés. Il s’agit de : « Connaître le milieu professionnel », « construire des situations d’apprentissage », « organiser, gérer et exploiter les stages des élèves ». La question de la distance à l’entreprise se pose alors dans le cadre de la formation initiale de ces professeurs spécifiques qui doivent prendre en charge la formation à l’entreprise dans leurs enseignements et la relation à l’entreprise des élèves dans la gestion de l’alternance tout en assurant une mission de socialisation et d’insertion (Lebatteux, 2005(a)). À l’IUFM d’Aix-Marseille, le système de relation à l’entreprise, essentiellement le stage, inscrit dans un dispositif de formation a été étudié comme révélateur de la construction en acte de la professionnalité de cette population de nouveaux enseignants. Il s’agit de prendre en compte leur processus de traitement des savoirs et des compétences visés dans les différents environnements de leur formation initiale : le stage en responsabilité, élément d’intégration dans le métier, le stage en entreprise, élément d’acculturation-distanciation spécifique à la voie professionnelle, les enseignements à l’IUFM, éléments d’articulation des apports didactiques, théoriques et pédagogiques. Ce dispositif, en constant renouvellement en termes d’éléments de formation et de cohérence interne, vise à amorcer le processus de structuration du « genre professionnel » des stagiaires. Une étude (Legardez, Lebatteux et Froment, 2003) menée sur une promotion de professeurs stagiaires de lycée professionnel tertiaire a étudié les effets du dispositif de relation à l’entreprise (Lebatteux, 2005(b)) comme un des analyseurs de la structuration de leur genre professionnel. La « structuration » est ici entendue comme le processus qui vise un positionnement réflexif (Schön, 1996) par la mise en cohérence des éléments issus d’un dispositif de formation, en particulier par la construction de leurs relations aux différents savoirs (Legardez, 2004) et de leur distance à la fois aux références scolaires et aux références professionnelles. Nous présenterons des éléments du contexte de l’enseignement professionnel tertiaire et du dispositif de formation avant de donner quelques résultats sur le processus de structuration à l’œuvre. IUFM Nord-Pas de Calais Qu’est-ce qu’une formation professionnelle universitaire des enseignants ? – 2009 (169-178) Tome 2 169 N. LEBATTEUX La formation universitaire des maîtres de l’enseignement professionnel L’enseignement d’un métier : une problématique de transposition spécifique au sein du système éducatif L’entreprise occupe une place importante dans la formation des professeurs de l’enseignement professionnel en IUFM notamment par le fait que l’enseignant s’appuie largement sur des références empruntées à l’entreprise (savoirs, méthodes, outils…) pour construire son enseignement à partir des prescriptions des référentiels ; et, qu’il doit en assurer la cohérence avec les stages en entreprise des élèves à la fois dans la perspective de l’obtention du diplôme et dans le cadre plus large de sa mission d’insertion professionnelle d’élèves « en difficulté » scolaire et d’insertion (Raulin, 2006). On se situe bien dans la logique de la « transposition didactique interne » (Chevallard, 2001, p.19) qui fait passer des savoirs d’un « genre » à un autre et dont le projet est de « prendre en compte non seulement les savoirs en jeu, mais les objets, les instruments, les problèmes et les tâches, les contextes et les rôles sociaux… » (Martinand, 2001, p.19). Cependant, « La référence à des pratiques pose la question de leur modélisation pour les faire entrer dans l’école… pour être enseignables les pratiques doivent être formalisées, puis décontextualisées et désynchrétisées. » (Ginestié, 1999, pp. 100-102) ce qui pose la question d’une construction (individuelle et collective) de distances à la référence. Un dispositif d’individualisation-socialisation qui vise la construction d’une pratique réflexive Le dispositif global de formation vise la construction d’une pratique réflexive en initiant une démarche autonome pour chaque stagiaire et en organisant les conditions d’une démarche collective par une dynamique des échanges. C’est le rôle du GFP (Groupe de Formation Professionnelle) de mettre en cohérence les éléments de la formation par la socialisation au sein du groupe tout en assurant la personnalisation des parcours. Pour notre propos, nous retiendrons quelques aspects de ce dispositif centrés sur le stage en entreprise. Pour le futur enseignant de l’enseignement professionnel tertiaire, le stage en entreprise est essentiellement un stage d’observation, donc de distanciation. Cette distanciation est consubstantielle à la double position de stagiaire et d’enseignant qui doit « transposer » des savoirs de l’entreprise dans la classe et gérer l’alternance des élèves. Il doit ainsi envisager comment, en situation didactique et en situation d’exercice professionnel, l’élève s’approprie des savoirs pour en extraire ses propres connaissances. Il va donc dans l’entreprise pour « faire » et « se regarder faire » (première distanciation), envisager le « faire » des élèves lors des stages (deuxième distanciation) et extraire des informations, outils et supports pour son enseignement (troisième distanciation). Dans les premières semaines du parcours de formation, la question de la place centrale Il s’agit de « savoirs experts » (Johsua, 1996), de « pratiques de référence » (Martinand, 2001) et de « pratiques socio-techniques » (Lebeaume, 2001) ainsi que des savoirs issus du champ de la gestion, de l’économie et du droit. Les référentiels prescrivent des listes de compétences et de savoirs associés relatives à des fonctions de l’entreprise spécifiques à chaque diplôme. Le GFP regroupe les stagiaires issus d’un même concours, il est animé par un formateur disciplinaire référent, le tuteur. 170 IUFM Nord-Pas de Calais Synergie formation et recherche dans la formation initiale des PLP tertiaires à l’IUFM d’Aix-Marseille de l’entreprise est introduite à partir de l’approche des différents référentiels (CAP, BEP et baccalauréats professionnels) et de la gestion des périodes de formation en entreprise des élèves (PFE) -préparation, suivi, évaluation et exploitation- en même temps que le stagiaire prend une classe en responsabilité et qu’il est interpellé par ces questions dans sa pratique. Chacun est alors invité à conduire une réflexion destinée à identifier les besoins et les attentes de « son » stage. Un entretien individuel avec le tuteur du GFP permet ensuite d’en déterminer les objectifs et se conclut par la rédaction d’un contrat pédagogique. Cette démarche vise à rendre le stagiaire acteur de sa formation en initiant un « projet ». Parallèlement, les attentes de l’Institut en termes de validation de la relation à l’entreprise sont précisées. Il s’agit de construire une situation d’enseignement transposée d’une situation d’entreprise, qui vise des connaissances et des compétences professionnelles explicitées, et de conduire une réflexion critique à partir d’un ensemble de questionnements. Lors de la soutenance, le stagiaire doit, notamment, présenter les questions qu’il s’est posées pour générer le processus de construction de la situation présentée et justifier les démarches mises en œuvre à chaque étape. Durant l’entretien, au delà des éclaircissements demandés, les questions du jury peuvent porter sur : l’analyse des écarts entre le contenu de la formation scolaire et la réalité de l’entreprise (les référentiels, mais aussi les objectifs institutionnels des stages des élèves en termes de compétences et d’attitudes professionnelles), la qualité formatrice de l’entreprise (cette entreprise lieu de stage ?), la mise en relation de l’évaluation des personnels avec l’employabilité des élèves (d’autres gestes de l’enseignant ?)… Ces attentes sont mises en relation avec les enseignements qui permettront d’y apporter des éléments de réponses, dont certains sont issus de résultats de recherches finalisées par la formation, par exemple : la construction d’une situation d’entreprise pour la classe (quelles finalités, quelles questions, quelles étapes ?) ; l’utilisation critique d’un manuel (mise en relation des objectifs, des contenus et des savoirs en jeu, formulation des questions…) ; les connaissances préalables des élèves (quels appuis et quels obstacles aux apprentissages ?)… Des résultats d’une étude qui interroge l’efficacité du dispositif La recherche de référence (Legardez, Lebatteux et Froment, 2003) s’est centrée sur deux questions principales : comment le système de relation à l’entreprise, inséré dans un dispositif global, peut-il contribuer à participer à la construction du genre professionnel de chaque stagiaires alors que leurs caractéristiques de départ sont hétérogènes, notamment par leurs expériences de l’entreprise ; et, comment ce dispositif de « personnalisation » – individualisation et socialisation – contribue-t-il à cette construction dans le cadre de l’alternance élargie IUFM-établissement scolaire-entreprise ? Pour illustrer notre propos, nous présenterons le contexte de cette étude et quelques résultats qui révèlent le processus de structuration en cours. Pour la fluidité de notre propos, nous employons indifféremment stage et PFE. Cependant, les stages constituent des temps d’observation pour les élèves alors que les PFE sont évaluées et la note participe fortement à l’obtention du diplôme. Notamment sur la didactique de l’Economie-Gestion et sur l’enseignement d’objets scolaires vivant dans des niveaux et des filières différents. IUFM Nord-Pas de Calais 171 N. LEBATTEUX Cadre théorique, population et méthodologie Le modèle utilisé porte sur l’interrelation entre les pratiques d’entreprise, les références institutionnelles et le dispositif de formation. Il permet de regarder, à partir des « variations dans la construction de distances », le processus de structuration du genre professionnel des stagiaires, entendu comme : « l’ensemble du système de construction de distances à l’œuvre dans les situations de formation ; à la fois un fonctionnement différentiel d’un ensemble de processus en actes et les résultats de ces processus à chaque moment de la formation pour chaque professeur stagiaire et pour le groupe en formation. » (id., p.71). L’analyse distingue trois catégories de constructions de distances à l’entreprise : une construction individuelle, l’« acculturation » propre à chaque stagiaire en fonction de son cursus préalable, une construction collective dans le cadre d’une « mission » commune aux enseignants de lycées professionnels et une construction de distances aux différents savoirs pour les convertir en savoirs scolaires à enseigner, essentiellement la mise en perspective des pratiques professionnelles et la mise à l’épreuve des savoirs scolaires. L’objet de la recherche étant de rendre compte des changements qui s’opèrent durant l’année de formation initiale, il était nécessaire d’intervenir à des moments stratégiques du dispositif avec des outils adaptés. En fonction de la problématique, deux types de prélèvements d’informations ont été réalisés. D’une part, par questionnaires sur la population entière (trente-sept stagiaires des filières comptabilité, secrétariat et vente de la promotion 20012002), dès le début de la formation alors que les stagiaires savent seulement qu’un stage en entreprise est inscrit dans leur parcours, et quelques semaines après le stage. D’autre part, dans une perspective longitudinale, par entretiens avant et après le stage avec des stagiaires de la filière vente ciblés en fonction de caractéristiques de départ hétérogènes, notamment leur expérience préalable -de l’entreprise et/ou de l’enseignement- et leur attitude vis-à-vis du stage en entreprise d’un enseignant. Nous avons recherché des indices sur les « variations dans la construction de distances » dans le discours des stagiaires à partir d’un ensemble d’indicateurs de structuration tels que : la construction de relations et la mise en ordre d’un système de relations, la formulation d’un nouveau questionnement et la formulation nouvelle d’un questionnement… Nous présenterons d’abord quelques résultats caractéristiques de l’évolution du groupe et ensuite des analyses menées à partir du discours de deux stagiaires à des moments différents du dispositif. Le processus de structuration à l’œuvre pour la promotion de stagiaires Une attente positive du stage en entreprise inscrit dans le parcours de formation initiale La plupart des stagiaires (trente quatre) font état d’une expérience préalable de l’entreprise d’une durée variable, de quelques semaines à dix ans et plus, et ils sont sept à envisager d’acquérir une première expérience ou des expériences complémentaires lors de leur stage. Malgré ces caractéristiques, l’enquête à priori révèle une attitude favorable au stage en entreprise. En effet, vingt-six stagiaires en attendent une incidence positive sur l’exercice de leur métier. Par exemple : sur le plan individuel : « Acquérir une meilleure connaissance de l’entreprise. », « Me familiariser avec différents services que je ne connais qu’en théorie. » ; sur le plan pédagogique : « Ce stage peut me permettre d’alimenter mes 172 IUFM Nord-Pas de Calais Synergie formation et recherche dans la formation initiale des PLP tertiaires à l’IUFM d’Aix-Marseille cours en exemples concrets. », « M’inspirer de situations professionnelles pour construire des situations professionnelles pour mes élèves » ; et, sur le plan des missions : « Mieux négocier de futurs stages ou emplois pour mes élèves. », « Obtenir des informations sur les attentes et les besoins des entreprises en matière de recrutement. ». Les autres font part d’une attitude plus réservée : « A l’heure actuelle, je ne vois pas d’incidence positive ou négative sur le métier d’enseignant que je découvre, alors qu’à priori je connais la situation d’un professionnel de mon domaine. » ou encore « utilitariste » : « il me servira à préparer le rapport de stage car j’ai déjà travaillé dans différentes entreprises et services. ». On relève que tous les éléments de la mission d’un enseignant de lycée professionnel sont déjà présents dans ces réponses, cependant la référence à l’entreprise n’est pas questionnée et il n’est pas fait état d’une distance à construire. En effet, l’approche est essentiellement concrète et il s’agit assez souvent de « coller » à des « situations réelles » ou aux « attentes » de l’entreprise dans la perspective de la « vie active » des élèves. Ces réponses, qui pourraient surprendre pour des stagiaires en début de formation, peuvent s’expliquer par les caractéristiques même du concours qu’ils viennent de réussir dont une épreuve d’admission, qui bénéficie du plus fort coefficient, consiste à présenter une situation d’entreprise pour la classe. Pour la préparer, les étudiants réalisent un stage d’observation en établissement -qui constitue une modalité de préprofessionnalisation- et la plupart sont ainsi déjà « imprégnés » du contexte de l’enseignement professionnel. Une construction de distances à différents niveaux En rapprochant l’analyse des réponses aux questionnaires administrés à l’ensemble de la promotion et les différents entretiens, il ressort que le stage est résolument orienté vers une « observation-participante » parce que : « L’enseignant ne doit pas être seulement un acteur ni seulement un observateur ». Cette position est assez souvent résumée par l’expression « regard de l’enseignant ». Elle vise l’atteinte des objectifs fixés par l’Institut et prioritairement l’identification et l’analyse de situations professionnelles. Le processus de structuration se révèle à plusieurs niveaux, nous en présenterons deux. Des liens établis entre situation professionnelle et traitement didactique Les spécialistes de l’ergonomie du travail (Clot, 1999) font remarquer que dans les situations de travail les hommes se regardent faire et peuvent parler sur leur activité, ce qui parait nécessaire mais pas suffisant pour initier une démarche réflexive (Saint-Arnaud, 2001). Un des objectifs fixés pour le stage est de mettre en œuvre un processus de transposition des savoirs et pratiques issus de l’entreprise dans la classe qui nécessite une démarche en plusieurs étapes : repérer des activités pertinentes en lien avec les référentiels, puiser dans les pratiques observées et les ressources internes à l’entreprise les éléments nécessaires, exploiter ces éléments en vue de réaliser le processus de transposition, élaborer une « étude de cas » qui mobilise les élèves par une situation-problème pour les amener à construire des savoirs. Les éléments recueillis révèlent que tous les stagiaires ont construit des liens entre les situations observées et leur traitement didactique potentiel ou réalisé. L’exemple suivant pourrait être généralisé à l’ensemble de la promotion : « Tout ce que j’ai fait, j’avais dans l’esprit que je pouvais le retranscrire dans ma classe. ». Dans certains cas les enseignements ont été réalisés : « Je me suis servie de documents de chez Carrefour [la bible], de la marche à suivre pour traiter une réclamation et donc du mode opératoire de Carrefour, en mettant les élèves en situation professionnelle. », et des modalités de la transposition sont exprimées : « Je pense qu’il faut consulter leur bible pour avoir en tête leur façon de faire, IUFM Nord-Pas de Calais 173 N. LEBATTEUX ensuite aller voir comment ils font, observer la situation du début à la fin et ensuite faire un retour sur la théorie. ». On relève qu’il ne s’agit plus seulement d’amener la réalité de l’entreprise dans la classe mais aussi de la mettre en relation avec les savoirs en jeu dans l’action. Cette mise en relation, ou en tout cas son expression, est nouvelle. En effet, au début de la formation les stagiaires parlent souvent de leur « transposition » mais ils ont des difficultés à en proposer une définition. A la question ouverte posée dans le questionnaire au groupe entier après le stage la majorité des définitions se rejoignent, par exemple : transposer, c’est : « Modifier en enrichissant, simplifiant, une situation réelle en l’adaptant à notre référentiel et à ce que nous voulons apporter comme compétences et connaissances associées à notre classe. ». Les verbes utilisés pour le dire sont : transformer, modifier, simplifier, adapter, emprunter, utiliser, élaborer… Il s’agit bien d’une construction de distance au réel de l’entreprise même si après le processus cette distance peut-être, cette fois volontairement, quasi nulle. Des distances entre pratiques d’entreprise et prescriptions des référentiels Durant leur stage, les stagiaires observent les pratiques de l’entreprise en les rapprochant des activités prescrites dans les référentiels ce qui leur permet à la fois de les discriminer : « En fait par peur d’observer des choses inutiles, on n’avait pas beaucoup de temps, on a fait sans cesse ce lien. » et de les confronter aux savoirs et compétences prescrits ce qui les amène à plusieurs constats. D’abord l’obsolescence des référentiels : « Il y a des choses qui sont demandées dans le référentiel mais qui ne sont plus faites dans le milieu professionnel… par exemple le calcul d’un linéaire, c’est totalement informatisé en grande surface alors qu’on le fait calculer à nos élèves en leur disant qu’on va le faire en milieu professionnel. », surtout lorsque ce savoir est évalué dans les sujets d’examens : « Je me suis bien rendue compte que cette démarche n’était pas utilisée en entreprise, et pourtant en bac pro vente elle est demandée, et si on regarde les huit dernières années, c’est bien tombé quatre fois au bac… », ou qu’il est trop éloigné de la réalité : « Des choses déconnectées il y en a, par exemple en analyse des ventes… on a des calculs avec les points extrêmes, la méthode de Mayeur… quelle que soit l’entreprise avec laquelle vous discutez, ils ne l’appliqueront jamais, il y a trop de facteurs qui entrent en jeu. ». Tous ces constats -qui constituent des constructions de distances- sont autant de formulations nouvelles, en termes de liens et de questions, qui interrogent la pertinence des savoirs prescrits en fonction de la finalité de l’enseignement professionnel. Ils font l’objet de débats au sein du groupe de stagiaires lors des GFP qui leur permettent de se positionner. Chacun devra alors construire « sa bonne distance » aux référentiels. Par exemple : « Donc, je pense que même s’il y a des différences sur certains points, il faut savoir quand même montrer aux élèves que même si le référentiel dit des choses qui ne sont pas appliquées dans le monde professionnel, il faut quand même les savoirs et savoir comment s’est appliqué dans le monde professionnel. ». Des études de cas Pour montrer les distances individuelles qui se construisent aux différents moments de la formation nous présenterons le « cas » de deux stagiaires dont les caractéristiques de départ sont différentes aussi bien en matière de parcours préalable que d’attentes. L’obsolescence des savoirs prescrits nous semble constituer une question cruciale pour la voie professionnelle alors qu’elle n’est que relative pour certaines disciplines de l’enseignement général. 174 IUFM Nord-Pas de Calais Synergie formation et recherche dans la formation initiale des PLP tertiaires à l’IUFM d’Aix-Marseille Christiane : un regard nouveau sur l’entreprise Christiane possède une expérience de six ans en entreprise et dans le questionnaire de départ (début septembre) elle trouve peu d’intérêt à : « un retour en entreprise si peu de temps après l’avoir quittée. ». Pour elle, le stage est inutile car il ne peut rien lui apporter dans son enseignement. Lors de l’entretien avant le stage (mi octobre) sa position a évolué. Elle a choisi de réaliser un stage dans deux entreprises différentes : France Télécom, entreprise où elle a travaillé : « une semaine ou dix jours pour récupérer la nouvelle documentation car toute la doc que j’ai est déjà obsolète, surtout ADSL. », pour réaliser son dossier de stage sur ce thème mais aussi pour y puiser d’autres informations : « C’est vrai qu’en étant dans l’entreprise, j’ai toute l’info… par exemple les argumentaires clients… pour travailler la différence entre caractéristiques et avantages clients… ». Puis une autre entreprise : « Dans un domaine que je connaissais très mal, la concession… pour moi, cela représentait une lacune. En effet, je viens d’aborder les formes de commerce avec les élèves, la concession j’ai du mal à en parler car je ne connais que ce qu’il y a dans les livres. ». Elle explique ce revirement d’attitude par la présentation des attentes de l’Institut : « Par rapport à ce que j’avais dit dans le questionnaire… on me faisait retourner en entreprise pour un stage d’observation qui est plutôt une initiation pour ceux qui n’ont jamais travaillé… Et après coup on nous a fait la présentation sur ce qu’on devait prendre, la transposition didactique et sur ce qu’on attendait de nous. ». Et elle exprime son nouveau positionnement : « Avec l’œil tout neuf, un mois et demi, du prof stagiaire je commence à acquérir d’autres réflexes. Avant, je voyais tout sous l’angle commercial et maintenant je commence à entrevoir sous l’angle pédagogique, et, avec cet œil là, je vois les infos d’une autre manière… ». Pour Christiane ce sont bien les éléments du dispositif -les attentes de l’Institut et la formation articulées à la prise en charge d’une classe en responsabilité- qui ont initié, dans les premiers mois de la formation, des mises en relation entre pratiques d’entreprise et situations d’enseignement avec une formulation nouvelle des questions. Akim : des mises en liens Pour Akim, sans expérience préalable dans son domaine d’enseignement, l’intérêt du stage est la découverte et l’approfondissement du contexte de l’entreprise pour son acculturation. Suite à l’entretien avec le tuteur, il a lui aussi choisi de faire un stage dans deux entreprises pour « balayer » le maximum d’éléments en relation avec les différents domaines de la vente et il a négocié « un stage de travail » : « J’ai choisi Vidéo Futur pour regarder un petit commerce, surtout la franchise parce que je ne connaissais pas… je veux illustrer mes connaissances par un exemple précis… par contre en grande distribution je n’y connais strictement rien sorti du cadre théorique… pour avoir une vision de tout… que fait chacun ?... essayer de glaner des infos telles que leur gamme de produits… s’ils font de la formation, comment ils recrutent. ». Sa préoccupation immédiate reste cependant la validation et le choix d’un thème pour « sa transposition » dont il détaille les possibilités : « Soit l’entretien d’achat-vente, soit la gestion du linéaire… je peux le faire sur 6 à 8 heures, je dois tenir compte de l’exposé que je dois rendre et après je dois le soutenir. ». Avant le stage, le questionnement d’Akim est très proche des attentes de l’Institut et ce sont le cahier des charges du stage et les contraintes de la validation qui paraissent l’amener à formuler des préoccupations qui peuvent être à l’origine d’un début de réflexion sur la transposition. Les élèves apparaissent de façon plus lointaine pour ce qu’on pourrait appeler la « motivation » : « j’avais pensé à Leroy Merlin, mais je me suis dit que par rapport aux élèves, je pense que ce serait plus intéressant pour eux par rapport au produit. A choisir IUFM Nord-Pas de Calais 175 N. LEBATTEUX entre les vis et les Baskets… ». Après le stage, le discours d’Akim révèle un ensemble de constructions de distances à l’œuvre. On relève, par exemple, une observation de la pratique médiatisée par le référentiel lorsqu’il décrit ses activités à partir des termes génériques de la prescription (en gras dans le texte) « La politique promotionnelle : le matin, vérifier rayon par rayon. Si des produits étaient soldés on sortait les étiquettes, on sortait un balisage promotionnel… ». Selon nous, l’utilisation du vocabulaire de l’enseignement pour décrire des activités de travail constitue explicitement le repérage de savoirs professionnels en devenir de savoirs scolaires. Des liens se construisent entre la réalité des pratiques de l’entreprise et les référentiels et génèrent des questions : « [Chez Décathlon] le chef de rayon ne passe pas les commandes… elles sont simplement déclenchées par les ventes effectuées… Au lycée, on demande aux élèves de constituer des fiches-produit, là-bas elles sont fournies… Cette réalité me semble difficile à faire passer aux élèves. Peut-on leur dire qu’il y a des exigences du programme qui ne vont pas avec les réalités du métier ? ». Une posture nouvelle se dessine lorsqu’il exprime de nouvelles questions en relation avec la mission d’enseignant de lycée professionnel chargé de former un élève capable de s’insérer dans la vie professionnelle : « Je n’avais pas cette vision des choses avant mon stage, je pensais qu’il suffisait de suivre le référentiel… Je ne faisais pas le lien entre ce que j’allais enseigner et ce que l’élève pourra appliquer en stage et dans sa vie future professionnelle. Maintenant le lien à faire sur certains thèmes, ce que je ne maîtrise pas encore, je me demande comment le faire passer… » Au travers de ces quelques extraits on perçoit un changement dans la finalité professionnelle d’Akim, il donne un sens nouveau à son action et à sa fonction. C’est tout le lien entre l’enseignement de l’entreprise en milieu scolaire et les pratiques des élèves en entreprises qui est questionné en même temps que la préoccupation de leur insertion professionnelle apparaît. A ce moment ce ne sont pas seulement ses questions mais surtout les réserves qu’il formule sur sa capacité à les prendre en charge qui constituent autant d’indices d’un processus de construction du genre professionnel « débutant réflexif ». Conclusion Si les résultats de cette étude ne peuvent pas être généralisés, il nous semble que c’est l’articulation entre la responsabilité du professeur dans le stage en établissement, le stage en entreprise et les formations à l’IUFM pilotés dans une perspective de réflexivité qui paraissent générer un processus de structuration. Pendant leur stage en entreprise, les stagiaires construisent un système de relations et anticipent la distance qu’ils auront à gérer entre les pratiques professionnelles de leurs élèves en stage et les savoirs scolaires qui font l’objet de l’enseignement. Ces relations sont fonction des caractéristiques de chaque stagiaire mais elles se rejoignent sur la mission de l’enseignant de lycée professionnel. Les questions formulées et certaines réponses déjà apportées montrent que ces futurs enseignants possèdent les outils nécessaires pour identifier les différentes dimensions de leur métier ce qui peut faire présager qu’ils sauront évoluer dans ce métier spécifique. Cet exemple de synergie entre formation professionnelle initiale d’enseignants de lycée professionnel tertiaire et recherche tend à montrer ce que peut être une formation universitaire 176 IUFM Nord-Pas de Calais Synergie formation et recherche dans la formation initiale des PLP tertiaires à l’IUFM d’Aix-Marseille des maîtres qui s’appuie sur des recherches finalisées pour se renouveler afin de contribuer à la réussite des élèves. Il pourrait être discuté en relation avec d’autres travaux, notamment ceux menés sur des publics similaires (Jellab, 2006). Bibliographie CHEVALLARD Y. (2001) La transposition didactique, du savoir savant au savoir enseigné. Grenoble, La Pensée Sauvage. CLOT Y. 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