régression spontanée de grossesse éctopique et fertilité

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régression spontanée de grossesse éctopique et fertilité
LETTRE A L’ÉDITEUR
RÉGRESSION SPONTANÉE DE
GROSSESSE ÉCTOPIQUE ET FERTILITÉ
A PROPOS D’UN CAS OBSERVÉ AU COURS D’UNE CYSTECTOMIE
L. KOUAM(1), J. KAMDOM-MOYO(1), J.L. ESSAME(2)
RÉSUMÉ
Les auteurs rapportent un cas de grossesse éctopique
d’évolution régressive, découverte au cours d’une cystectomie par laparotomie. L’interrogation détaillé de la
patiente montre les difficultés de diagnostic de grossesse
ectopique dans le contexte d’un pays en développement
où les infrastructures médicales sont encore peu développées. En se référant à la littérature, les auteurs indiquent la possibilité de régression de certains cas de grossesse éctopique. Ils insistent sur l’amélioration des
infrastructures médicales au Cameroun, ce qui devrait
permettre d’intégrer l’échographie endovaginale et le
dosage de Bêta HCG dans le diagnostic précoce de la
grossesse éctopique.
Mots clés : grossesse ectopique - Régression spontanée Fertilité
Dans les pays développés, les techniques de dosage immunologique de l’hormone choriogonadotrophique (HCG) et
la réalisation d’échographie combinant la voie abdominale
et vaginale permettent aujourd’hui de diagnostiquer les
grossesses ectopiques à un âge précoce. Ces méthodes de
diagnostic précoce de grossesse ectopique sont actuellement moins pratiquées dans les pays en développement, ce
qui explique qu’un grand nombre de cas de grossesses
ectopiques non diagnostiquées conduisent souvent à des
ruptures tubaires cataclysmiques et autres complications
gravissimes telles que les morts maternelles. Certains cas
de ces grossesses éctopiques non diagnostiquées et n’ayant
pas évolué vers une rupture tubaire pourront évoluer spontanément vers la régression et rester inaperçus. Nous rapportons ici un cas de grossesse éctopique de régression
spontanée observé au cours d’une cystectomie.
OBSERVATION
SUMMARY
Spontanous absorption of ectopic pregnancy and
fertility : A case report observed by cystectomy
The authors report a case of a spontaneous absorbed
ectopic pre g n a n c y, that was later decovered during
cystectomy by laparotomy. The detailed history of the
patient shows the difficulties in the diagnosis of ectopic
pregnancy by poorly equiped medical infrastructures in
the context of developing country. By referring to the
l i t e r a t u re the authors point out the possibility of
spontaneous absorption in some cases of ectopic pregn a n c y. They insist that the amelioration of medical
infrastructures in Cameroon should allow the use of the
endovaginal ultrasonography combined with the
measurement of HCG for the early diagnosis of ectopic
pregnancy.
Key words : Ectopic pregnancy - Spontaneous absorption
Fertility.
Madame B, 21 ans, Gravida II, para I, mariée depuis 3 ans.
Le 20/03/91 la patiente se présente dans notre service de
consultations gynécologiques à cause de légères douleurs
pelviennes observées depuis une semaine. A l’interrogatoire on note que la patiente a eu ses premières règles à 13
ans, suivies de cycles réguliers de 28 jours. Les dernières
règles datent du 12/03/91. La patiente n’a pas eu ses règles
en janvier et en février 1991. En fin février 1991 elle avait
consulté dans notre service de consultations externes à cause de métrorragies et de légères douleurs pelviennes.
L’examen gynécologique avait montré un utérus augmenté
de taille et les annexes libres. L’échographe du service de
radiologie n’étant pas fonctionnel, un examen échographique devait être fait en externe, mais la patiente ne s’était
plus présentée dans le service. Dans les antécédents obstétricaux on note un accouchement spontané en 1990. Poids
de naissance : 3800 g, Apgar : 5/6. L’enfant est décédé une
heure après l’accouchement.
(1) Service de Gynécologie-Obstétrique du CHU de Yaoundé (Cameroun)
(2) Service d’Anatomo-Pathologie du CHU de Yaoundé (Cameroun)
Médecine d'Afrique Noire : 1997, 44 (4)
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Examen initial
- État général normal, TA : 13/8, température à 37,6°C,
- Abdomen souple, non ballonné,
Fosses lombaires souples et indolores,
A l’examen au spéculum, on note des leucorrhées abondantes, le col a un aspect infectieux,
Au toucher vaginal, on palpe au niveau des annexes
droites une masse solide, difficile à dissocier de l’utérus.
Les annexes gauches et le cul-de-sac de Douglas sont
libres. Une échographie de contrôle est prescrite pour évaluer l’état des annexes droites. L’examen échographique
montre qu’il existe une masse annexielle kystique droite,
de 10 cm de diamètre, hyperéchogène et comparable à un
noyau fibromateux intramural. Au cours d’un entretien
avec le couple, l’accord sera acquis pour une cystectomie.
Bilan pré-opératoire
Groupe sanguin : B, Rhésus : positif, Hb : 11,5g%, Ht :
35%,
L’intervention chirurgicale sera réalisée le 10/04/91.
Constatations per-opératoires
- Utérus de taille normale,
- Kyste noirâtre de la taille d’une petite orange au niveau
de la corne utérine droite,
- Trompe droite avec un pavillon normal,
- Annexes gauches sans anomalie.
Au niveau de l’ovaire droit, une excision cunéiforme après
l’extirpation du kyste séreux a permis de conserver une
partie de l’ovaire droit dont le tissu présentait macroscopiquement un aspect sain.
Après la cystectomie, l’excision de la tumeur noirâtre au
niveau de la corne utérine droite a été réalisée. L’ouverture
de cette tumeur a montré la présence d’une substance
nécrotique noire mélangée à un tissu semblable au trophoplaste. Le diagnostic d’une grossesse éctopique chronique
a été évoqué. Devant l’état de la partie ampullaire et du
pavillon de la trompe droite ne présentant aucune anomalie, nous avons décidé de réaliser au cours de l’intervention
une réimplantation tubo-utérine. La durée du séjour hospitalier était de 8 jours.
Résultats de l’examen anatomo-pathologique du kyste ovarien et de la tumeur : kyste ovarien séreux sans signe de
malignité. Grossesse cornuale arrêtée et enkystée.
Médecine d'Afrique Noire : 1997, 44 (4)
L. KOUAM, J. KAMDOM-MOYO, J.L. ESSAME
Suite du suivi de la patiente
Le 25/04/93, presque 2 ans après l’intervention chirurgicale, la patiente se présente dans notre service de consultations prénatales. L’examen obstétrical montre un utérus
gravidique de 12 SA. L’examen échographique réalisé
quelques jours plus tard précise qu’il s’agit d’une grossesse
monofoetale, d’évolution normale correspondant à 12 SA,
en accord avec la DDR. Les consultations prénatales précédentes étaient normales. A la 37 SA, l’évaluation clinique
du bassin et l’examen échographique n’ont montré aucune
disproportion foeto-pelvienne. La patiente a été accouchée
le 30/11/93 d’un garçon de 3480g par voie basse.
DISCUSSION
Notre observation issue d’une découverte fortuite au cours
d’une cystectomie illustre l’éventualité de régression spontanée de la grossesse ectopique. Cette possibilité de régression spontanée de grossesse ectopique semble être liée à
l’activité trophoblastique moins importante. Dans notre cas
la patiente venait d’avoir ses règles après 8 semaines
d’aménorrhée, ce qui nous a fait penser qu’il s’agissait
d’un épisode d’aménorrhée secondaire. Notre impression
était dès lors limitée sur le kyste ovarien.
L’ultrasonographie occupe actuellement une place centrale
dans le diagnostic de la grossesse éctopique. Les critères
échographiques de ce diagnostic ont été établis par
KABAYASHI et Coll. (1). Il s’agit de reconnaître à l’aide de
l’échographie une augmentation de la taille de l’utérus, une
échostructure intra-utérine diffuse sans présence d’embryon, une masse annexielle à contours irréguliers. En se
servant de ces critères KABAYASHI et Coll. (1) ont pu diagnostiquer les grossesses éctopiques dans 3/4 des cas avec
un taux de faux positifs dans 28% des cas. Il faut noter que
la méthode échographique utilisée par ces auteurs étaient
encore abdominale. Plus tard en 1981 M U L L E R e t
LENCHT (2) ont estimé que le diagnostic échographique de
la grossesse ectopique était possible dans 99% des cas à
condition d’utiliser des appareils performants. L’échographie transvaginale permet aujourd’hui de diagnostiquer la
grossesse ectopique dans plus de 90% des cas (3). L’avantage de cette méthode réside dans la possibilité d’introduction de la sonde au contact des organes à explorer que sont
l’utérus et les annexes, ce qui permet de reconnaître toute
grossesse intra-utérine après une durée d’aménorrhée de
34 jours lorsque le sac ovulaire atteint un diamètre de 2 mm
et le taux de Bêta HCG une valeur comprise entre 500 et
RÉGRESSION SPONTANÉE…
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1000 mu/ml. KADAR (4) a émis l’hypothèse qu’à un taux
de Bêta HCG de 6500 mu/ml doit correspondre à une grossesse intra-utérine de 5 à 6 SA. L’auteur conclut qu’un taux
de Bêta HCG supérieur à 1000/mu/ml sans présence d’un
sac ovulaire intra-utérine constitue un fort argument de
présomption en faveur d’une grossesse ectopique. La combinaison de ces deux méthodes diagnostiques permet
aujourd’hui de reconnaître les grossesses éctopiques à un
âge ultra-pécoce dans la plupart des cas (3, 5, 6, 7). Elle a
relégué la ponction du Douglas et la coelioscopie diagnostique au second plan. Ce diagnostic ultraprécoce permet
d’éviter les complications telles que les ruptures tubaires
cataclysmiques et les morts maternelles et de développer
une stratégie chirurgicale conservatrice permettant de favoriser la fertilité. Au Cameroun, les infrastructures médicales encore peu développées ne permettent pas de réaliser à
grande échelle ces méthodes de diagnostic ultraprécocce de
la grossesse ectopique.
La régression spontanée de grossesse ectopique a été
observée la première fois en 1995 par LUND (8) dans 57%
des cas chez 119 patientes hospitalisées sur une longue
période. Selon certains auteurs cette éventualité de régression spontanée de certains cas de grossesse ectopique doit
faire inscrire l’abstention thérapeutique dans un arbre décisionnel des traitements de la grossesse ectopique. Cette
attitude d’abstention thérapeutique doit être proposée lorsque le taux initial d’HCG est inférieur à 1000 mu/ml suivi
d’une régression 48 heures plus tard (9). Plusieurs auteurs
ont rapporté en cas d’abstention thérapeutique devant des
grossesses ectopiques à faibles taux d’HCG, des taux de
régression spontanée variant entre 60 et 100% (10-17).
Notre observation peut s’inscrire dans les cas de grossesses
ectopiques à faible taux d’HCG évoluant spontanément
vers la régression. Les légères douleurs pelviennes que la
patiente a eues correspondent au tableau clinique souvent
asymptomatique des grossesses éctopiques régressives (9).
Dans notre observation nous avons réalisé la réimplantation tubaire sitôt après la cystectomie à cause de la localisation cornuale de la grossesse ectopique et aussi du fait que
la trompe restante ne présentait macroscopiquement aucun
signe d’infection. Le choix de la méthode thérapeu-tique
entre la chirurgie radicale et la méthode conservatrice en cas
de la GEU a été diversement discuté au cours des dernières
années. Une tendance soutenue par les constatations
cliniques se dessine actuellement pour la conservation tubaire. Parmi ces constatations on peut rete-nir celles de
LEMOINE et Coll. (17) qui ont noté que 30 fois sur 34 la 2è
grossesse extra-utérine s’est développée sur la trompe
restante après la salpingectomie, ce qui selon les auteurs doit
inciter à élargir les indications du traitement chirurgical
conservateur lorsque les conditions le permettent. Nous
estimons que le choix de la méthode thérapeutique entre la
chirurgie radicale et conservatrice en cas de grossesse ectopique doit dépendre essentiellement des facteurs tels que
l’état tubaire, l’âge et la parité de la patiente.
CONCLUSION
Cette observation suggère l’attention qui doit être portée
chez les patientes présentant un épisode d’aménorrhée sans
signes cliniques évocateurs de grossesse ectopique. Elle
illustre d’une part la possibilité de régression spontanée de
grossesse ectopique et d’autre part les difficultés de la pratique médicale dans le contexte d’un pays en développement. L’amélioration des infrastructures sanitaires au
Cameroun devraient permettre d’intégrer d’une façon systématique l’échographie endo-vaginale et le dosage immunologique de l’hormone choriogonadotrophique (HCG)
dans le diagnostic précoce de la grossesse ectopique.
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