À l`écran, la Révolution française agitcomme un miroir
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À l`écran, la Révolution française agitcomme un miroir
dossier Cinéma & Pouvoirs À l’écran, la Révolution française agit comme un miroir E Par François Devoucoux du Buysson Jean-Jacques Rousseau 2011 La Révolution française a toujours été un thème cinématographique. Depuis La mort de Marat de Georges Hatot (1897), un film muet d’une minute, on compte en effet près de 250 films consacrés à la Révolution française1. Des cinéastes parmi les plus grands s’y sont essayés : Renoir, Lubitsch, Scola, Wajda... Empreinte de violence et de passion, riche en grande figures archétypales, la Révolution française ne pouvait qu’intéresser les cinéastes. Pour autant, le cinéma peut-il vraiment représenter ce que fut la Révolution française et embrasser non seulement sa dimension épique, avec ses journées et ses grands hommes, mais aussi sa dimension sociale et culturelle tout en démêlant ce qui relève du patrimoine national et ce qui touche à l’universel ? 8 / juillet-août 2013 / n°433 ntre 1897 et la fin des années 1920, on dénombre une quarantaine de films muets mettant en scène la Révolution, d’abord sous la forme de tableaux donnant à voir l’action brute, puis à travers des compositions mettant en perspective le processus du changement avec ses ressorts dramatiques. On vit très vite émerger un véritable cinéma d’auteur (André Chénier par André Calmettes, en 1911, l’adaptation par Albert Capellani de Quatrevingt-treize de Victor Hugo, en 1914). Le cinéma français proposa par la suite une lecture enthousiaste de la Révolution avec l’exaltation de l’élan collectif pour la défense nationale qui inspira aussi bien le Napoléon d’Abel Gance, en 1925, que La Marseillaise de Jean Renoir, en 1937. L’originalité du film de Renoir tient à son choix de mettre en scène les gens ordinaires qui firent la Révolution en armes, parti-pris éminemment politique dans le contexte du Front Populaire. Plus qu’une représentation de la Révolution, La Marseillaise est surtout un film qui montre la perception de la Révo lution par une époque, en l’occurrence celle de la France des années 1930. Un renouveau héroïque La production étrangère est majoritairement hostile à la Révolution. En 1919, Madame du Barry d’Ernst Lubitsch (1919) montre une France livrée à une foule assoiffée de sang qui n’est guère mieux lotie sous la Révolution que sous une monarchie dominée par des courtisans corrompus (la trame du film passe d’ailleurs directement de Louis XV à la Révolution pour accentuer cette idée). Le film de Lubitsch sera violemment dénoncé dans la France de l’entre-deux-guerres à la fois en tant que « film allemand » coupable de propagande anti-française et comme film international dans la mesure où, circonstance aggra vante, il reçut un accueil triomphal aux États-Unis. Hollywood ne fut pas en reste avec Les Deux orphelines de David W. Griffith en 1921 puis Le Marquis de SaintEvremond de Jack Conway en 1935. Ainsi, les quelque cinquante films américains traitant de la Révolution française mêlent plusieurs genres – fictions, biopics, repré sentation libertine- mais constituent, de l’avis de l’historien Antoine de Baecque, « un ensemble fortement marqué par une vision noire, tragique, quasi contre-révo lutionnaire 2 ». Perçue aux États-Unis comme une perversion de la Révolution américaine, la Révolution française est pré texte à l’expression des peurs qui assaillent le cinéma hollywoodien : la foule, une sexualité incontrôlable (symbolisée par l’appétit insatiable de la guillotine), la décadence et le communisme. Griffith définira d’ailleurs Les Deux orphelines comme « l’exemple du film de propagande anti-bolchévique ». Hollywood a beaucoup contribué à la diffusion de cet anachronisme qui sous-tend aussi la vision caricaturale d’Anthony Mann dans Le Livre noir, en 1949. En France, le cinéma populaire a puisé dans la Révolution l’inspiration d’un renouveau héroïque, dans la grande tradition des films de cape et d’épée. Les Mariés de l’An II, de Jean-Paul Rappeneau, sorti en 1971, et Chouans !, de Philippe de Broca, en 1988 sont deux exemples de productions destinées au grand public et entrées dans la mémoire collective grâce à de très nombreuses diffusions à la télévision. Les deux films ont de nombreux points communs, notamment une vision décentrée de la Révolution, dont l’action se situe dans l’Ouest et un héros (joué par Belmondo dans le premier cas, par Stéphane Freiss dans le second) qui, de retour d’Amérique, se retrouve plongé malgré lui dans le torrent révolutionnaire et se garde à la fois des nostalgiques de la monarchie absolue et des exagérés de la République. Mais un changement de perspective s’est opéré entre le début des années 1970 et la fin des années 1980 et, tandis que Les Mariés de dossier l’An II reste de bout en bout une comédie, Chouans ! bascule inévitablement dans le drame (« le temps n’est plus à rire », affirme le personnage de proconsul républicain joué par Lambert Wilson). Pour Rappeneau, dont le héros se couvre de gloire avec les armées de la République, le bilan de la Révolution est globalement positif. Pas pour Philippe de Broca, qui renvoie le sien en Amérique tant la France est devenue détestable. Si les films dont l’action se déroule sous la Révolution sont assez nombreux, les films sur la Révolution se comptent, eux, sur les doigts d’une main. Dans La Nuit de Varennes (1982), Ettore Scola, filme un huis-clos réunissant les passagers d’une diligence suivant de peu celle du roi et confronte les points de vue des voyageurs sur la Révolution. La dimension fictionnelle du film est moins problématique sur le plan historique que le caractère stéréo typé des opinions qui sont excessivement conditionnées par la classe sociale de chacun. Scola sous-estime ainsi le rôle moteur que des individus pensant contre leur propre appartenance jouent dans les moments de basculement. Avec Danton (1982), Andrzej Wajda interroge lui aussi le sens même du processus révolutionnaire en situant son action au printemps 1794, moment clé de la Terreur. Esthétiquement, le film est remarquable et comporte des scènes marquantes comme le dîner houleux qui scelle la rupture entre Danton et Robespierre ou la récitation laborieuse d’un jeune garçon débitant péniblement la déclaration des droits de l’homme au chevet de l’Incorruptible. Mais, faute d’avoir su restituer la nature profondément politique du différend entre Danton et Robespierre ainsi que la radicalité d’un contexte qui l’exacerbe jusqu’à la dernière extrémité, le propos du film se réduit finalement au choc de deux tempéraments inconciliables. Le scénariste, Jean-Claude Carrière, balaya les critiques qui pointaient les erreurs historiques dont le film est truffé3 : « Il est évident que le Danton de Wajda n’est pas un film historique. D’ailleurs, il n’y a pas de film historique. Cette expression n’a aucun sens. Un film est toujours d’aujourd’hui, qu’on le veuille ou non4 ». On pourrait en dire autant des deux films que Robert Enrico et Richard T. Heffron ont consacré à la Révolution en 1989. Les deux volets de La Révolution française, Les Années-lumière et Les Années terribles, sont surtout intéressants par ce qu’ils nous disent de la vision de la Révolution qui prévalait à l’occasion du Bicentenaire. Il est significatif qu’il y ait deux films, l’un courant de la réunion des états-généraux à la prise des Tuileries, l’autre allant des massacres de septembre au 9 thermidor. La théorie de Clemenceau (« la Révolution est un bloc »), qui avait coupé court aux controverses sur un hypothétique droit d’inventaire pour faire entrer la Révolution dans son ensemble dans le patrimoine national volait en éclats. Le citoyen spectateur était invité à faire son marché. La prise de la Bastille et les droits de l’homme, oui. La Terreur, non. Et tant pis pour les conquêtes politiques et sociales de la 1ère République : suffrage universel, abolition de l’esclavage, instruction primaire... La Révolution côté cour Le second volet, surtout, pose problème : il donne à voir les débuts de la Ire République, et la Terreur en particulier, du seul point de vue des luttes de pouvoirs qui se jouent à Paris et qui conduisent les uns puis les autres à la guillotine. La guerre de Vendée, l’insurrection fédéraliste, la menace des troupes étrangères, la situation économique catastrophique, les intrigues et la corruption qui inondent la France de faux assignats et mettent en péril l’approvisionnement des soldats, tout ce qui a conduit à cette extrémité que fut la Terreur se trouve escamoté. Entre les années-lumière et les années terribles, le choix est vite fait : on prend 1789 et on laisse 1793. Mais ce choix en est-il un ? Pour répondre, on serait presque tenté de parodier un célèbre dis cours de Robespierre apostrophant les Girondins qui déploraient les débordements du mouvement populaire : « Vouliez-vous une révolution sans révolution ? » En guise de réponse, le cinéma semble s’attacher de nos jours à montrer la Révo lution côté Cour. Dans L’Anglaise et le Duc (2001), Eric Rohmer adopte le point de vue de la fenêtre d’un hôtel particulier numérisé pour porter un regard sévère sur les événements qui troublent la tranquillité d’une aristocrate anglaise. C’est « La Révolution selon l’UDF », enrage le critique Angelo Rinaldi : « Dans une période de l’Histoire, destinée à la fresque par sa démesure même, M. Rohmer découpe de délicates vignettes exprimant la nostalgie d’une société qui était exquise pour un petit nombre5 ». Marie-Antoinette, le biopic de Sofia Coppola (2005) et Les adieux à la Reine de Benoît Jacquot en 2011 sont de la même veine. Dans ces deux films, la Révolution est vue comme une catastrophe extérieure. C’est l’iceberg du Titanic qui signe la fin d’un monde élégant et distingué (point de vue acceptable uniquement si l’on appartient à l’infime frange de la population gravitant autour de Versailles). La Révolution est une péripétie désincarnée, elle ne fait pas partie de l’histoire. Tombeau pour Versailles, ces films semblent surtout avoir pour ambition d’être distingués pour la beauté de leurs costumes (Marie-Antoinette a reçu l’Oscar des meilleurs costumes et Les Adieux à la Reine le César équivalent). Comme le disait Thomas Ostermeier en présentant son adaptation théâtrale de La Mort de Danton de George Buchner au Festival d’Avignon : « nous vivons une époque restauratrice6 ». La Révolution au cinéma est donc une équation qui attend toujours d’être résolue en dépit de nombreuses tentatives. Il ne faut pas désespérer du cinéma français et on annonce depuis plusieurs années un diptyque de Jean-François Richet sur Lafayette. On attend surtout avec im patience le film sur la Terreur de Pierre Schoeller. Le réalisateur de L’Exercice de l’État justifie ainsi son projet : « Faire un film sur la Révolution, c’est revenir au big bang de la création de la République. Il y a quelque chose qui n’est pas réglé dans la République française, des éléments de l’Ancien Régime qui demeurent7 ». La Révolution n’a décidément pas fini de hanter les salles obscures. ■ 1 - Sylvie Dallet, La Révolution française et le cinéma, Éditions des Quatre Vents, 1988. 2 - Antoine de Baecque, Paris vu par Hollywood, Skira-Flammarion, 2012. 3 - Serge Bianchi, Danton au cinéma, in Gavroche, avril-mai 1983. 4 - Le Figaro, 5 janvier 1983. 5 - Le Nouvel Observateur, 6 septembre 2001. 6 - Le Monde, 22 juillet 2001. 7 - Le Figaro, 26 novembre 2011. / juillet-août 2013 / n°433 9