Les gangs de rue - Forum Belge pour la Prévention et la Sécurité
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Les gangs de rue : premiers éléments d’un état des lieux international Olivier BARCHECHAT Chargé d’études Mai 2006 Les gangs de rue : premiers éléments d’un état des lieux international Mai 2006-05-22 Olivier Barchechat, Chargé d’études au CIPC Dans plusieurs pays, le phénomène des gangs de rue représente une réalité de plus en plus visible et problématique, particulièrement en Amérique du Nord et dans certains pays d’Amérique centrale et du Sud, mais également en Afrique ou en Europe. Cette réalité prend des formes très variées qui ne présentent pas toutes le même degré de gravité, ni ne suscitent le même intérêt ou la même inquiétude de la part des autorités. Le CIPC a voulu rechercher dans quelle mesure les gangs de rue constituent ou non un phénomène mondial en identifiant des points de comparaison entre les pays et régions concernés. Après avoir pris connaissance de certaines définitions et typologies, ainsi que des facteurs de risque, la présente note proposera un instantané de la situation des gangs de rue un peu partout dans le monde : Canada, EtatsUnis, El Salvador, Jamaïque, Brésil, France, Belgique, Angleterre, Afrique du Sud et Nigeria. La deuxième partie donne quelques exemples des types d’analyse utilisés par rapport aux gangs de rue. Dans un dernier temps, nous tenterons de recenser certaines des actions de prévention mises en place pour y répondre. Une mise en garde méthodologique est nécessaire. Les pays susmentionnés ont été sélectionnés dans l’optique de présenter un éventail relativement large de gangs de rue : ils n’ont donc pas vocation à être représentatifs de leurs « voisins » (comme par exemple le El Salvador par rapport au Honduras, au Guatemala et à l’Équateur, même si tous trois sont confrontés aux maras). De même, les descriptions nationales des gangs de rue n’ont pas l’ambition d’être exhaustives. Dernier élément : pour être retenus, les pays ne devaient pas être le théâtre d’une guerre civile ou militaire. 1. AMPLEUR ET FORMES DU PHÉNOMÈNE 1.1 Qu’est-ce qu’un gang ? Une approche internationale peu aisée 1.1.1 Définition des gangs de rue S’il y a bien une question relative aux gangs de rue qui fait consensus, c’est bien celle de l’absence d’une définition commune. Cette observation commande donc une extrême prudence tant pour ce qui concerne les comparaisons internationales qu’au sein d’un même pays. À la question « Qu’est-ce qu’un gang », il n’existe donc pas de réponse facile. Plusieurs définitions ont été proposées. Certaines sont très larges et qualifient parfois de gangs des groupes de jeunes non délinquants : i. Le National Youth Gang Center des États-Unis a proposé la suivante à ses répondants policiers : « A group of youths or young adults in your jurisdiction that you or other responsible persons in your agency or community are willing to identify or classify as a “gang” ». ii. Pour le Federal Bureau of Investigation (FBI), un gang de rue violent est une entreprise criminelle (une entreprise criminelle est une union d’individus engagés dans un modèle (« pattern ») d’activités criminelles qui a une structure organisationnelle et qui fonctionne comme une conspiration criminelle continue, recourant à la violence et n’importe quelle autre activité criminelle pour se maintenir. iii. Selon la définition légale utilisée par la police de Bruxelles dans les années 90, un gang est une organisation qui a l’intention de s’en prendre à une personne ou à un bien. D’autres définitions tentent de mieux cerner le phénomène : i. Dans Hamel et coll. (1997), un gang de rue est « une collectivité de personnes (adolescents, jeunes adultes et adultes) qui a une identité commune, qui interagit en clique ou en grand groupe sur une base régulière et qui fonctionne, à des degrés divers, avec peu d’égard pour l’ordre établi ». 2 ii. Pour le Service de police de la ville de Montréal (SPVM), un gang de rue est « un regroupement plus ou moins structuré d'adolescents ou de jeunes adultes qui privilégie la force de l'intimidation du groupe et la violence pour accomplir des actes criminels, dans le but d'obtenir pouvoir et reconnaissance et/ou de contrôler des sphères d'activités lucratives » (Gang de rue, déc. 2005). iii. Selon le programme Eurogang, « A street gang (or a problematic youth group corresponding to a street gang elsewhere) is any stable, street-oriented youth group whose own identity includes involvement in antisocial activity » (Klein, 2001). La complexité du concept se reflète également dans la diversité des termes utilisés : les pays de langue anglaise parlent de « gangs de rue » (« street gangs ») et « gangs de jeunes » (« youth gangs »), sans que la distinction entre les deux ne soit vraiment établie; en France, on réfère aux « bandes de jeunes » mais aussi aux « regroupements de jeunes »; au El Salvador, le phénomène est celui des « pandillas » (« bandes) et des « maras »; au Nigeria, ce sont des « vigilantes » (« groupes de justiciers »). 1.1.2 Typologie des gangs de rue Plusieurs typologies ont été élaborées relativement aux gangs. Ci-dessous celle de Klein qui est fréquemment utilisée, tandis que celle d’Hamel et coll. (1997) est reproduite en annexe 1 : cette dernière est plus précise mais le lien qui est fait entre le degré d’organisation d’une part et le niveau de criminalité et de violence d’autre part est contestable. Typologie des gangs de rue établie par Malcolm Klein Type de gang Années d’existence Sousgroupes Nombre de membres Âge des membres Territorial Versatilité criminelle Gang traditionnel Plus de 20 ans Oui Plus de 100 20-30 ans Oui Oui Oui Plus de 50 Variable Oui Oui Gang néotraditionnel Moins de 10 ans Gang compressé (« compressed ») Moins de 10 ans Non Moins de 50 Moins de 10 ans Parfois Oui Gang collectif De 10 à 15 ans Non Plus de 50 Plus de 10 ans Parfois Oui Gang spécialisé Moins de 10 ans Non Moins de 50 Moins de 10 ans Oui Non Source : Klein et coll. (éds.) (2001), The Eurogang Paradox. Kluwer Academic Publishers. 1.1.3 Facteurs de risque reliés à l’affiliation à un gang De nombreux facteurs de risque ont été identifiés par la recherche. Le rapport Neither War nor Peace (2005) distingue les facteurs de risque des influences externes : Facteurs de risque Pauvreté Influences externes Pression des parents pour contribuer au revenu familial Manque d’opportunités économiques dû à la sousParenté ou amis membres d’un gang scolarisation et au chômage élevé Marginalisation sociale Problèmes familiaux Manque d’infrastructures pour les loisirs Culture des gangs admirée par les pairs Violence culturellement ancrée comme outils de résolution de problème Absence de personne-ressource (professeur, famille, ami) susceptible d’aider Violence causée par les forces de l’ordre ou les Désœuvrement (beaucoup de temps passé dans les rues) groupes rivaux L’équipe de recherche de Hamel (1997) rapporte les facteurs de risque (annexe 2) recensés par la littérature scientifique, qu’elle a rangés dans quatre catégories (famille, école, pairs et individus). Il ne faut pas perdre de vue que ces facteurs sont presque toujours regroupés chez les (ex) membres de gangs de rue, et leur concentration impose que les réponses apportées soient multisectorielles et non unidimensionnelles. 3 1.2 Exemples de gangs de rue dans le monde 1.2.1 Les gangs de rue nord-américains Au Canada, le nombre de gangs rue est estimé à plus de 400 et le nombre de membres à plus de 7 0001. Longtemps limités aux grandes villes, ils sont de plus en plus visibles dans des milieux semi-urbains, voire ruraux. Près de la moitié de ces derniers ont moins de 18 ans et presque tous sont des garçons (94 %). Cependant, le phénomène ne se manifeste pas de la même façon dans toutes les provinces : celles de l’Ouest sont les plus touchées, tandis que celles des Maritimes (sauf la Nouvelle-Écosse) sont complètement épargnées. En ce qui concerne la composition ethnique, la moyenne nationale (25 % des membres sont Noirs, 22 % Autochtones, 18 % Blancs, 14 % Indiens ou Pakistanais et 12 % Asiatiques) masque de fortes différences entre les provinces. Une proportion non négligeable de gangs de rue (36 %) sont hybrides, c’est-à-dire composés d’au moins groupes raciaux/ethniques. Selon Fredette (2005), moins les gangs sont organisés, plus ils sont hétérogènes au plan racial et vice-versa. Par ailleurs, l’influence des gangs américains est significative chez certains gangs canadiens autant en termes d’organisation que de noms, de signes distinctifs et de tenue vestimentaire. Néanmoins, cette influence n’est pas synonyme d’affiliation ni même de relations. Dans l’ensemble, la grande majorité des gangs de rue canadiens ne sont pas très structurés mais plusieurs gangs néo-traditionnels ayant des liens avec le crime organisé sont actifs dans les principales villes (Montréal, Toronto et Vancouver). Les membres de gangs de jeunes canadiens sont impliqués dans plusieurs activités criminelles dont les voies de fait, le trafic de drogues illicites, les cambriolages et le vandalisme. Même si les gangs de rue existent depuis longtemps aux États-Unis, les 20 dernières années ont été marquées par l’explosion du phénomène et en ont fait l’un des pays qui compte le plus de gangs de rue et de membres. É.-U. (1980) É.-U. (2000) Écart 1980-2000 Canada (2001) Population 226 545 805 281 421 906 24 % 30 007 094 Nombre de gangs de jeunes 2 000 24 500 1125% 434 Nombre de membres de gangs 100 000 772 500 673 % 7 071 Densité/population de 1 000 hab. 0,44 2,75 525 % 0,24 Cet accroissement s’est traduit par une grande complexité de la réalité américaine. Il existe ainsi divers types de gangs que la typologie de Klein permet de distinguer : concernant les gangs de rue traditionnels, la situation varie d’une région à l’autre, mais le sud-ouest (Californie en tête) est particulièrement touché et certains experts ont noté un mouvement migratoire vers l’est (National Alliance of Gang Investigators Associations, 2005); pour ce qui est des gangs moins structurés, cette variation s’observe à l’échelon local. Il en va de même avec la composition démographique des gangs de rue, qui est bipolaire au niveau national : en effet, la moitié des membres sont d’origine latino-américaine et le tiers d’origine afroaméricaine, les Blancs représentant seulement 10 % et les Asiatiques 6 %2. Cependant, la multiethnicité n’est pas rare, y compris dans des gangs établis comme les Crips et les Bloods. Les États-Unis se distinguent des autres pays par la présence dans plusieurs de leurs grandes villes de gangs de rue institutionnalisés (correspondant aux gangs traditionnels de la typologie de Klein) qui se caractérisent notamment par leur stabilité, leur enracinement dans la collectivité locale et leur 1 . Enquête policière canadienne sur les gangs de jeunes de 2002. Elle donne une vue d’ensemble du phénomène dans les collectivités canadiennes, tel qu’il est signalé par les services de police. Le lecteur attentif aura remarqué qu’il ne s’agit pas de gangs de rue. Cet élément est sans conséquence parce que le questionnaire envoyé aux répondants des services de police définit le gang de jeune « comme un groupe d’adolescents ou de jeunes adultes…, âgés de moins de 21 ans, que vous… êtes disposés à identifier ou à classifier comme gang. Nous vous demandons d’exclure [sic] de cette définition les bandes de motards, les groupes haineux ou idéologiques… et les autres bandes réservées aux adultes » (p.5. Les italiques sont de nous). 2 . Site Internet du National Youth Gang Center : le même constat peut être fait que pour l’Enquête policière canadienne, op.cit. Voir note précédente. 4 homogénéité ethnique. À Chicago par exemple, ils sont présents dans les quartiers les plus défavorisés, comme par exemple Roseland3. Le nombre de leurs membres varie de quelques milliers à 20 000 dans le cas des Latin Kings. Leur durabilité s’explique par leur capacité à conserver dans leurs rangs les moins jeunes, diminuant ainsi les risques d’éclatement ou de disparition et à fédérer des gangs plus désorganisés. Généralement parlant, ces gangs ont une direction centralisée qui entretient des liens plus ou moins étroits avec des branches de quartier et des sections dans d’autres villes. Leur organisation complexe (les Black Gangster Disciples ont un conseil d’administration et un président) leur permet de s’adapter aux changements de leur environnement et de résister à la pression policière. En outre, ces gangs de rue jouent un rôle non négligeable dans l’économie, les services et la sécurité au plan local4. 1.2.2 Les maras et les pandillas du El Salvador Au El Salvador, la délinquance générale mais surtout juvénile a fortement augmenté à la fin de la guerre civile. Elle s’est notamment manifestée sous la forme de gangs territoriaux, les maras et les pandillas5, créés par des contrevenants salvadoriens déportés des Etats-Unis (en provenance de Los Angeles surtout). Cela dit, Carranza (2005) avance que leur essor et leur développement, mais plus encore le degré de violence de ces groupes, doivent davantage être placés dans le contexte de la construction culturelle de la violence d’un pays où circulent une multitude d’armes à feu. Si leurs membres sont surtout des jeunes de 15 à 20 ans, ces groupes recrutent dans la tranche d’âge inférieure. Quant au nombre de membres, les données existantes sont imprécises et fluctuent entre 10 et 30 000. Ayant un très fort sentiment d’affiliation, ils mènent des activités liées à l’exercice du pouvoir du contrôle territorial des quartiers et des bidonvilles de plusieurs villes du pays, même s’ils sont surtout concentrés dans les secteurs défavorisés de la capitale. Le recours à la violence est d’autant plus systématique que la plupart des pandilleros possèdent une arme. Théoriquement, les deux maras (Salvatrucha 13 et Barrio 18) ont une structure de commandement bien définie : un chef national responsable du travail d’organisation, des chefs de zone qui dirigent plusieurs cliques et un membre qui répond des activités de sa clique, laquelle contrôlent un territoire restreint et très délimité. C’est au niveau local qu’auraient été créés des unités spécialisées chargées du recrutement, de la protection du territoire, de l’organisation de la criminalité, etc. En réalité, l’organisation et la délinquance des maras et des pandillas sont très variables, tout comme leurs liens avec le crime organisé. 1.2.3 Les factions armées de drogues de Rio de Janeiro (Brésil) Si le trafic de drogues illicites n’est pas nouveau dans les favelas de Rio de Janeiro, il a pris une tout autre ampleur au début des années 80 lorsque la cocaïne a fait son apparition, favorisant la création et la militarisation de factions des stupéfiants (« drug factions ») qui se sont fragmentées et opposées les unes aux autres par la suite. Ces conflits ont conduit au recrutement de membres de plus en plus jeunes et au recours de plus en plus systématique à la violence armée. Il existe aujourd’hui trois grandes factions des stupéfiants (« Comando Vermelho », « Terceiro Comando » et « Amigos dos Amigos ») qui contrôlent le marché de la vente de drogues (cocaïne et marijuana) dans la ville, toutes implantées dans ses favelas. Chacune d’elles forme un réseau d’acteurs indépendants qui se soutiennent et se protègent les uns les autres, et qui se sont dotés d’une structure hiérarchique et armée dont les membres, estimés à 10 000, sont mineurs dans la moitié des cas. À caractère économique surtout, elles sont fortement territoriales et exercent un contrôle quasi politique dans leur secteur. Avec le temps, elles ont mis en place un système de réciprocité forcée qui se traduit à la fois par un soutien mutuel et l’imposition de châtiments en cas de refus de collaboration. Ce système est d’autant plus ancré dans la 3 Dont le taux d’homicide d’environ était de 60 pour 100 000 habitants en 2000 (comparativement à environ 6 pour la moyenne nationale). 4 . Hagedorn (2005). L’auteur identifie trois conditions nécessaires à l’apparition de ces gangs : existence d’un conflit urbain racial, ethnique ou religieux, et pas seulement de classes; dysfonctionnement des contrôles et des services formels, et rareté des opportunités économiques; présence de zones de repli (« defensible spaces »). 5 . Il ne semble pas exister de différence entre les deux, sinon que les maras réfèrent exclusivement à deux gangs – Mara Salvatrucha 13 (MS) et Barrio 18 (18) – et les pandillas (bandes) à tous les autres. 5 réalité sociale qu’il se conjugue à l’absence de l’État. Il en résulte que tous les jeunes des favelas dans lesquelles ces factions sont très présentes, sont à risque d’en joindre les rangs, volontairement de surcroît puisqu’elles y sont une force socio-politique légitime, ce que les interventions policières répressives ne font que conforter. Certains chiffres ne mentent pas : en 2000, le taux de mortalité reliée aux armes à feu des 15-17 ans était supérieur à 500 (pour 100 000 habitants) dans plusieurs favelas, comparativement à environ 120 pour les jeunes noirs de 15-19 ans qui sont (avec les 20-24 ans) pourtant de loin le groupe d’âge le plus touché aux États-Unis. 1.2.4 Les « area gangs » et les « corner gangs » de Kingston (Jamaïque) L’origine de la violence armée organisée se trouve dans la confrontation qui a opposé depuis la fin des années 60 les deux principaux partis politiques, le People’s National Party et le Jamaica Labour Party. Une sorte d’arrangement a été passé entre les politiciens et les « area dons » (leaders de gangs et/ou de quartier) : ces derniers garantissaient les votes aux premiers qui, en échange, faisaient preuve de favoritisme en matière d’emploi et de logement social. Si la violence reliée aux gangs est encore politique de nos jours, elle ne l’est plus de manière exclusive depuis une vingtaine d’années. Avec le temps, les gangs sont devenus de plus en plus indépendants par rapport aux politiques, processus duquel a découlé l’apparition d’un nouveau type d’acteur, les « corner gangs ». Cette indépendance s’expliquerait en grande partie par la perte du monopole des armes à feu des « area dons ». On rencontre donc présentement deux types de gangs de rue à Kingston : • Les « area gangs » imposent leur contrôle à l’échelle de quartiers ou de communautés et, pour la plupart, y sont bien implantés. Leurs activités sont désormais surtout criminelles et prennent la forme d’extorsion, de protection et de trafic de stupéfiants, mais ils semblent également attachés au maintien d’un certain ordre. • Les « corner gangs » sont des groupes plus informels et instables, qui peuvent naître et disparaître très rapidement, y compris sur des territoires aux mains de « area gangs ». De par leur nature, ces gangs ne cherchent pas à assurer l’ordre dans leur communauté. Les deux types de gangs semblent recruter de jeunes membres âgés de 12 à 15 ans mais les données disponibles ne sont pas précises à ce sujet. 1.2.5 Les bandes de jeunes des banlieues urbaines (France) La France n’est pas confrontée à un véritable problème de gangs de rue. Certes, il existe de nombreuses bandes de jeunes dont la majorité ne sont pas structurées même si elles ont parfois des leaders, comme celles que Esterle-Hedibel (2001) a étudiées dans la banlieue parisienne. La plupart de ces bandes proviennent de quartiers défavorisés, sont constituées d’immigrants de deuxième génération, ou plus, qui se sentent rejetés et exclus par la société française6. Depuis une quinzaine d’années cependant, on observe l’apparition de bandes ethniques qui opposent notamment des jeunes originaires de l’Afrique subsaharienne à d’autres d’Afrique du Nord. 1.2.6 Les gangs de rue de Bruxelles (Belgique) Le phénomène semble rare en Belgique mais on trouve quelques gangs territoriaux à Bruxelles. Entre la rareté des études et l’effet amplificateur du traitement médiatique, il est difficile de se faire une idée précise. De plus, la définition légale très large de gang a pour conséquence que n’importe quel groupe de jeunes ou presque peut être considéré comme un gang. Notons une forme particulière de gangs, les « splinter groups » : il s’agit de jeunes qui se regroupent uniquement en vue de commettre certains crimes et se séparent après être passés à l’acte (Vercaigne, dans Covey, 2003). 6 . Voir l’enquête de Bordes-Benayoun et de Tandian (2004) sur les regroupements de jeunes dans la banlieue toulousaine, qui permet de mieux en comprendre la formation et la nature. 6 1.2.7 Les gangs de rue de Manchester (Angleterre) Même si des groupes de jeunes délinquants existent depuis longtemps en Angleterre, ils ont été peu étudiés par les chercheurs. On rencontre trois types de gangs de rue à Manchester, les deux premiers étant fortement territoriaux et correspondant aux gangs néo-traditionnels de la typologie de Klein. Ils ont en commun d’être en rivalité constante avec d’autres gangs, de commettre une grande variété de crimes, d’être influencés par certains gangs américains pour ce qui est de leur tenue vestimentaire et de leurs choix musicaux (connus sous le nom de « gangsta style ») et d’être situés dans des quartiers défavorisés depuis plusieurs décennies. • Ceux des quartiers de la classe ouvrière situés près des centres-villes, comme par exemple le secteur de Salford, sont presque exclusivement blancs, comptent un maximum de 60 membres, ce qui pourrait s’expliquer par la présence du crime organisé et sa tendance à les intégrer, et ont une organisation très peu structurée. • Se sont ajoutés à eux des gangs de rue ethniques dans certains secteurs urbains de Londres, Liverpool et Manchester durant les années 80. Dans son étude sur les Gooch et les Doddington de Manchester, Mares (dans Covey, 2003) indique que, contrairement aux apparences, ces gangs ne seraient pas impliqués dans le trafic de stupéfiants au niveau organisationnel (mais plutôt individuel). Principalement composés d’Afro-caraïbiens, ils ne se seraient pas constitués sur une base ethnique, mais territoriale, reflétant ainsi surtout la composition ethnique locale. En revanche, aucun des deux n’est structuré de façon hiérarchique et n’a de leader formellement identifié, même s’ils comptent autour de 90 membres chacun. Le troisième type est celui des gangs de rue de banlieue, qui sont des exemples de « compressed gangs » de la typologie de Klein. Situés dans des lotissements défavorisés, ils sont l’aboutissement du développement de cliques de jeunes, mais sont enclins à disparaître au bout de 5 à 10 ans. Moins nombreux (entre 20 et 30), leurs membres, presque tous Blancs, sont plus jeunes que ceux des deux autres types de gangs de rue et ont tendance à quitter le groupe lorsqu’ils entrent dans la vingtaine. Versant dans une criminalité moins sérieuse, ces gangs contrôlent un territoire très restreint et n’entretiennent pas de relation avec le crime organisé. 1.2.8 Les gangs de rue criminels de Le Cap (Afrique du Sud) Dans son étude, Leggett (2005) s’est intéressé au cas des gangs de rue7 du district de Manenberg (80 000 habitants), dans le quartier Cape Flats de Le Cap. La population du secteur est principalement composée de mulâtres (« coloured »), détail qui a son importance dans l’histoire du pays8. Le nombre de gangs est inconnu parce qu’il est difficile de distinguer les « vrais » de ceux qui les imitent, sans compter que les territoires qu’ils contrôlent et protègent ne sont pas clairement définis. Selon l’auteur, le concept même de membre est flou parce que plusieurs d’entre eux traversent des crises pendant lesquelles le recrutement régulier est interrompu. Contrairement à la structure organisationnelle hiérarchique et militaire des gangs de prison, celle des gangs de rue a tendance à être informelle, le leadership passant bien plus par le charisme et la personnalité de certains individus que par leur titre. En fait, on observe une variation entre les gangs, voire même en leur propre sein lorsqu’ils sont répartis sur plus d’un secteur. Outre les vols (dont les victimes sont souvent les membres de leur collectivité), ils sont impliqués dans différentes activités criminelles qui varient selon le gang, sauf celles relatives aux drogues, le trafic surtout, qui sont communes à la plupart. Il est intéressant de remarquer que les membres qui n’ont pas la « chance » de participer aux activités touchant aux drogues, sont souvent désœuvrés et se rabattent sur des crimes d’occasion (« opportunistic crimes ») pour lesquels ils disposent d’un soutien organisationnel. En raison de la présence de nombreuses armes à feu, le développement du phénomène des gangs des rues est à la fois une cause et une réponse à la violence locale. 7 . Par exemple les Americans, les Hard Living Kids et les Junky Funky Kids. . En effet, ce groupe de population a bénéficié d’un traitement préférentiel relatif pendant l’Apartheid et une partie se sent désavantagée par le régime démocratique, au détriment des populations « plus noires ». 8 7 1.2.9 Les groupes de justiciers armés et les milices du Nigeria Après la mise en place d’un mode de gouvernement démocratique en 1999, différents groupes de justiciers (« vigilante ») et milices déjà existants sont entrés en action dans certains secteurs du pays. Dans un pays où six habitants sur dix ont moins de 25 ans, il n’est pas surprenant qu’ils aient rallié à eux un grand nombre de jeunes. Deux de ces groupes se distinguent des autres par leur importance (Ibrahim, 2005) : • L’Oodua Peoples Congress (OPC) : Il a pour but de défendre et de promouvoir les intérêts de l’ethnie Yoruba. Présent dans le sud-ouest du pays, ses activités prennent notamment la forme d’agitation politique et d’affrontements interethniques. Sa structure hiérarchique bien définie est dominée par un conseil exécutif national et des conseils au niveau des États. • Les Bakassi Boys : Ce gang a été créé comme groupe d’autodéfense en réaction aux nombreux vols à main armée commis dans le marché de la ville d’Aba. Composé de l’ethnie Igbo et opérationnel dans le sud-est du Nigeria, son organisation est très structurée et ses membres sont formés, armés et rémunérés. Les Bakassi Boys sont connus pour leur justice expéditive et brutale à l’endroit d’individus suspectés de crimes divers. À noter qu’ils ont été officiellement installés à Onitsha par le gouvernement de l’État d’Anambra. 2. EXEMPLES DE MESURES ET DE MÉTHODES D’ANALYSE DU PHÉNOMÈNE 2.1 Analyse policière Peu de sources sont disponibles sur les travaux d’analyse conduits par les différents services de police ou de renseignement. Dans l’ensemble, les analyses policières consistent à recenser le nombre de gangs et de membres de gangs et à identifier leurs secteurs d’activités, que ce soit relativement au territoire sur lequel ils agissent ou aux types de crimes qu’ils commettent. En revanche, à Bruxelles et à Montréal, la police a travaillé à définir la problématique des gangs de rue et à en élaborer une typologie. Celle de la « Cellule Bande Organisée » de la police bruxelloise, opérationnelle pendant les années 90, distingue le gang avec leader, le gang spontané, le gang ghetto et l’organisation criminelle. Dans le cadre du Boston Gun Project, un nouveau type d’analyse a été développé, dont la police de Newark (États-Unis) s’est inspirée : l’analyse de réseau (« network analysis »). Elle consiste à analyser le modèle de relations sociales entre les groupes ou les individus et ainsi à acquérir une compréhension fine des gangs (pas de ses causes) tels qu’ils se manifestent au plan local. Elle a ainsi permis de comprendre pourquoi certains secteurs géographiques étaient le théâtre d’actes de violence causés par les gangs et d’apprendre l’existence d’alliances et de rivalités, autant d’éléments qui peuvent être nécessaires dans le cadre d’une intervention policière. Il a même été possible de définir les relations entre les membres connus de gangs et leurs associés et, par là même, leur fonctionnement interne. Enfin, la présence d’individus à la périphérie de ces groupes a aussi pu être détectée, permettant alors de concevoir des stratégies différentes selon le rôle des uns et des autres. L’analyse de réseau gagne à être intégrée dans une intervention parce qu’elle permet d’observer si les stratégies mises en œuvre ont un effet de désorganisation sur le gang ou si celui-ci s’adapte. 2.2 Analyse scientifique (recherche) Le programme Eurogang est une initiative de scientifiques européens qui, en 2000, ont obtenu un financement de l’Union Européenne pour constituer un réseau de chercheurs consacré à l’étude des gangs de rue et visant à définir des principes pour la prévention et le contrôle de leurs activités. Dès le départ, des experts américains, dont Malcolm Klein ont participé à la démarche, agissant rapidement à titre de consultants. Le réseau Eurogang inscrit ses recherches dans le contexte plus large des groupes de jeunes (entendu qu’il s’agit là d’une manifestation du processus de socialisation durant l’adolescence). Par ailleurs, le réseau soulève un « paradoxe Eurogang » qui comporte deux éléments : le déni de nombreux décideurs et 8 chercheurs européens relativement à l’existence de gangs de rue semblables aux gangs de rue américains, caractérisés par une structure définie, une grande envergure, des codes culturels forts, une solide assise territoriale et une utilisation systématique de la violence; le fait que les gangs américains correspondent rarement, en réalité, à ce stéréotype. Pour analyser localement les gangs de rue, une définition théorique (voir plus haut) et opérationnelle ont été proposées. Celle-ci peut être utilisée de deux façons : indirectement, en posant une série de questions « en entonnoir » à un jeune sur le groupe auquel il appartient; directement, en travaillant avec la typologie de Klein (voir annexe 1). 2.3 Analyse diversifiée 2.3.1 L’Office of Juvenile Justice and Delinquency Prevention (OJJDP) Relevant du ministère fédéral américain de la Justice, l’OJJDP s’est doté d’une stratégie globale pour mieux comprendre le phénomène des gangs et s’y attaquer de manière plus efficace. Elle est constituée de cinq composantes : • Le National Youth Gang Center (NYGC) : qui a pour mission d’aider les décideurs, les praticiens et les chercheurs à réduire l’engagement des jeunes dans des gangs de jeunes et leur participation à des activités criminelles. Pour ce faire, il diffuse de l’information et met à disposition diverses ressources, outils et expertise relativement à l’élaboration et la mise en œuvre de stratégies éprouvées de prévention, d’intervention et de neutralisation ciblant les gangs de jeunes, notamment le Gang Reduction Program de l’OJJDP et la Gang-Free Schools Initiative. Le NYGC dresse également la liste des gangs actifs aux États-Unis • La mise à l’épreuve de son Comprehensive Gang Model dans un certain nombre de sites : ce modèle est articulé autour de cinq éléments : la mobilisation de la collectivité, l’intervention sociale, la prévention via l’offre d’opportunités sociales, l’élimination (des gangs) et les changements et le développement organisationnels d’organismes locaux. • L’évaluation indépendante de ses projets de démonstration • La formation et l’assistance technique relativement aux réponses à l’échelle de la collectivité contre les gangs : un outil de planification stratégique a été élaboré pour aider les collectivités à diagnostiquer et s’attaquer à la problématique de façon intégrée. • L’acquisition et la diffusion de la documentation sur les gangs via le Juvenile Justice Clearinghouse. 2.3.2 Le Centre Jeunesse de Montréal – Institut Universitaire (CJM-IU) La Pratique de pointe Gangs et Délinquance du CJM-IU vise à réduire les méfaits de l’expérience des gangs criminalisés en soutenant les adolescents à différents niveaux d’intégration sociale (personnel, relationnel et familial, productivité et fonctionnalité, et symbolique). Sa stratégie reflète la collaboration entre la gestion, l’intervention et la recherche, comme en font notamment foi ces quatre volets « intervention », « transfert de connaissances », « recherche et enseignement », et « rayonnement et partenariat ». Le volet recherche s’intéresse moins au fonctionnement des gangs qu’aux besoins des intervenants et à ceux des jeunes, ainsi qu’aux processus liés à leur adhésion à un gang. L’idée d’outiller les intervenants en leur transmettant un bagage de connaissances scientifiques procède de la volonté de les amener à faire une analyse plus fine de la réalité des gangs à laquelle ils sont confrontés, analyse qui porterait davantage sur les causes que les symptômes et chercherait à comprendre le rôle et la place des gangs dans la vie des adolescents (Hamel, 2005 et Fredette, 2005). 9 3. EXEMPLES DE TYPES D’ACTIONS EXISTANTES 3.1 Approches non préventives 3.1.1 La politique antigang répressive du El Salvador Trois mois après le Plan Mano Dura, le gouvernement a voté la Ley Antimaras (« loi anti-maras ») en octobre 2003. Créée pour établir un régime temporaire spécial pour s’attaquer aux pandillas, elle a été mise en œuvre pendant six mois : elle faisait de l’appartenance à une pandilla un crime, durcissait les peines (maximum de cinq ans pour un membre et de neuf pour un chef), donnait un statut d’adulte aux jeunes âgés de 12 à 18 ans coupables d’infractions en vertu de cette loi, prévoyait des amendes pour le simple fait de se trouver dans un lieu sans papier d’identification ni justification, et accordait une grande latitude aux services de police. Elle s’est soldée par l’arrestation de plus de 11 000 individus dont la moitié seulement a été accusée de crimes de toutes sortes, les autres étant simplement détenus pour être soupçonnés de faire partie d’une pandilla. Selon Carranza (2005), cette loi a été complètement inefficace, ne serait-ce que parce que la majorité des crimes qu’elle vise étaient déjà pris en charge par le système pénal. Elle a également eu pour conséquence de surcharger l’appareil judiciaire et le système carcéral, sans être en mesure de ralentir les activités des gangs ciblés qui ont montré qu’ils étaient capables de poursuivre leurs activités en prison. Enfin, elle a été à l’origine d’abus contre les personnes, favorisant le recours à la violence par les policiers auprès de la population de certains quartiers. 3.1.2 La stratégie judiciaire du FBI Le FBI a mis en place une stratégie nationale sur les gangs, la Enterprise Theory of Investigation (ETI)9. Visant à identifier, perturber et démanteler les gangs violents dont les activités constituent des entreprises criminelles, elle intègre des théories d’enquête et de poursuite judiciaire « éprouvées » (« effective ») avec le crime organisé traditionnel. L’ETI est présentée comme une stratégie efficace contre le crime organisé mais également les gangs de rue plus structurés (du type traditionnel) actifs dans plusieurs juridictions. Elle comporte deux éléments : • Recours à deux lois criminelles fédérales pour les poursuites judiciaires des membres: la Racketeer Influenced and Corrupt Organizations Act (RICO) et les articles Continuing Criminal Enterprise (CCE) dans le cadre de la Comprehensive Drug Abuse Prevention and Control Act de 1970. • Intégration de la poursuite judiciaire à l’enquête policière pour permettre un travail de collaboration. Le second élément, qui est au cœur de la stratégie, doit permettre de monter un dossier relativement à chacun des secteurs d’activité des gangs : par exemple, l’organisation des gangs fortement impliqués dans le trafic de drogues étant articulée le plus souvent autour de leur transport et de leur distribution, les procureurs seront en capacité de cibler les secteurs en question de façon très spécifique. 3.2 Approches préventives 3.2.1 Le programme scolaire américain G.R.E.A.T Lancé en 1991 par le ministère de l’alcool, du tabac, des armes à feu et des explosifs conjointement avec le service de police de Phoenix, le programme Gang Resistance Education and Training a été étendu à l’échelle nationale deux ans après. Son objectif est de donner des compétences qui autonomisent les jeunes adolescents en les aidant à résister aux pressions des pairs pour se joindre à un gang de rue. Il consiste en une série de 13 leçons donnés par des policiers en uniforme sur 9 semaines, afin de familiariser les élèves de 6ème et 7ème années (et maintenant également ceux de l’élémentaire) aux compétences de résolution de problèmes, à la sensibilité culturelle et aux aspects négatifs de la vie dans les gangs de rue. Suite à une évaluation nationale qui a montré un impact positif sur les comportements des élèves mais décalé dans le 9 . Mcfeely (2001) et Weisel (2002). 10 temps, un important travail a été réalisé pour analyser et améliorer le contenu du programme afin d’y intégrer des éléments mis en lumière par la recherche scientifique. 3.2.2 L’opération Ceasefire (« cessez-le-feu ») de Boston Opérationnelle de 1995 et 1997, cette stratégie de résolution de problèmes est l’initiative du Youth Violence Strike Force du service de police de Boston. Son objectif était de réduire la violence causée par les gangs et les armes à feu, ainsi que la possession illégale d’armes à feu. Orientée sur les jeunes à risque et les contrevenants juvéniles violents, elle comportait deux types de mesures : • Mesures d’élimination : mandats d’arrêt et sentences prolongées pour les récidivistes et application stricte des restrictions probatoires. • Mesures de prévention : campagne de communication de très grande envergure incluant des réunions avec des groupes de la collectivité et des membres de gangs de rue, visant à expliquer que la violence n’est plus tolérée et entraînera systématiquement l’application des mesures précitées mais également à leur offrir différents services, comme par exemple de l’aide à l’emploi. L’évaluation a fait ressortir une baisse du nombre mensuel d’homicides de victimes de 24 ans et moins et la diminution du nombre d’appels pour coups de feu, qui étaient les deux principaux indicateurs retenus. Ces observations, de même que la comparaison avec d’autres villes, laisse croire que l’opération Ceasefire a été efficace. Il est toutefois important de préciser qu’elle n’était qu’une composante parmi d’autres mises en œuvre pour s’attaquer au problème de la violence des gangs. 3.2.3 Le Mesa Gang Intervention Program (MGIP) en Arizona Il s’agit de l’un des sites pilotes dans lesquels le Comprehensive Gang Model de l’OJJDP a été testé. La démarche a donc été élaborée autour des cinq éléments (voir plus haut) de l’approche préconisée par l’agence fédérale. L’évaluation indépendante de l’équipe de Spergel souligne que le succès de l’intervention a reposé en grande partie sur le travail de collaboration entre le service de police de la ville de Mesa, qui était l’organisme responsable, et les services de probation du comté de Maricopa, le district scolaire local, les organismes sociaux de United Way et le conseil municipal. Pour faciliter cette collaboration, ces acteurs ont été regroupés dans les mêmes locaux. Un peu plus de 250 jeunes ont participé au programme et se sont ainsi vu offrir une gamme variée des mesures d’intervention sociale tout en étant soumis à des mesures de contrôle : « counseling » individuel et familial, discussion en groupe, renvoi à des organismes communautaires, mais également surveillance, supervision et arrestation. Au niveau de la mise en œuvre, le MGIP n’a pas suivi le modèle de l’OJJDP à la lettre, ni l’utilisation de travailleurs de proximité auprès des jeunes ni la collaboration avec des organisations communautaires n’ayant été concrétisées. Pour autant, dans l’ensemble, la baisse du taux d’arrestation des jeunes du programme a été 18 % supérieure à celle de jeunes non-participants (groupe de comparaison). Parmi les activités mises en œuvre, les services d’intervention sociale se sont révélés les plus étroitement associés (statistiquement parlant) à des taux réduits d’arrestation, les activités d’élimination étant les moins efficaces. De surcroît, par rapport à trois secteurs de comparaison, le secteur-cible a affiché une diminution du nombre total d’incidents davantage commis par les jeunes 10,4 % supérieure. 3.2.4 Le projet Luta Pela Paz10 de Rio de Janeiro Piloté par l’organisme Viva Rio, ce projet a pour objectif d’offrir aux jeunes à risque des alternatives à la criminalité et au trafic de drogues, grâce au sport, à l’instruction scolaire, au développement de compétences, à l’enseignement d’une culture de paix et à l’accès au marché du travail. Plus généralement, il est une réponse au problème du trafic de drogues qui sévit dans les favelas de Rio, se traduit par un taux d’homicides très élevé et met en scène des factions armées principalement composées de jeunes. Il a été mis en œuvre dans la seule favela où les trois principales factions sont actives, le Complexe de Maré. L’intérêt de cette initiative est de renforcer les facteurs de protection pour faire contrepoids aux facteurs de risque liés à l’affiliation à une faction armée. Les activités ont donc été pensées en fonction de leur 10 . Que l’on peut traduire par « La lutte pour la paix ». 11 capacité à répondre aux facteurs de risque qui concernent les jeunes susceptibles de s’y joindre et ceux pour lesquels le processus d’affiliation a déjà commencé. Selon le concepteur du projet, le sociologue L. Dowdney, l’accès au marché du travail est essentiel -il prend la forme de partenariats avec le secteur privé pour offrir de la formation professionnelle ou de stages rémunérés- mais c’est le caractère intégré de la démarche, c’est-à-dire la participation du jeune à toutes les activités et la capacité de l’équipe en place à s’assurer qu’il puisse bénéficier de tous les services prévus, qui est garante de son succès. 3.2.5 L’initiative Ecotherapy d’Afrique du Sud Lancé par l’ONG National Peace Accord Trust (NPAT), cette intervention de réhabilitation utilise l’environnement pour initier un processus de réflexion sur soi qui doit soutenir les tentatives d’un individu à faire face à ses problèmes. Il s’adresse surtout aux ex-membres de gangs en manque de repères, dont le nombre a beaucoup augmenté depuis la fin de l’Apartheid. Il consiste en une excursion de cinq jours durant laquelle un petit groupe de participants, accompagnés d’un thérapeute, identifie les problèmes personnels des uns et des autres, avant que chacun ne s’isole pendant 24 heures pour y réfléchir et que le groupe n’en fasse l’analyse par la suite. Une autre discussion collective est organisée un ou deux mois plus tard afin de faire le point. En dépit de son apparente simplicité, cette initiative semble avoir obtenu des résultats très encourageants qui s’expliquent sans doute un peu par le profil des participants, c’est-à-dire des personnes qui ressentent le besoin et ont la volonté de donner un nouveau sens à leur vie, après avoir vécu dans la violence (comme agresseur certainement mais parfois aussi comme victime). Une étude d’évaluation faite entre 1996 et 2002 montrerait11 que 80 % de la cohorte de 90 participants qui ont été suivis n’ont pas récidivé en matière de criminalité. 11 . Cette évaluation est citée par plusieurs sources, dont les études de Leggett (2003) et de Standing (2005), mais son titre et le nom de son auteur ne sont pas mentionnés. 12 Annexe 1 Typologie des gangs selon Hamel et coll. (1997) Leadership informel Leadership collégial Leadership hiérarchique NIVEAU DE CRIMINALITÉ Très élevé Peu élevé FAIBLEMENT ORGANISÉS ET PEU STABLES PSEUDO GANGS GROUPES DÉLINQUANTS GANGS DE TERRITOIRE GANGS DE RUE TRÈS ORGANISÉS ET PLUTÔT STABLES GANGS ORGANISATIONS IDÉOLOGIQUES CRIMINELLES Peu élevé Très élevé NIVEAU DE VIOLENCE Niveau 1 Pseudo gangs • • • Ados s’identifiant aux gangs en imitant leurs manières et comportements Groupes éphémères qui ont peu ou pas de contacts avec les gangs de rue Délinquance mineure • Ados préoccupés par statut, prestige et la protection du territoire Peu structurés mais peuvent être stables Délinquance mineure : désordre, flânerie, contre la propriété Niveau de violence peu élevé Niveau 2 • Gangs de territoire • • Niveau 3 Groupes délinquants • • Ados qui commettent beaucoup de crimes mais moins sérieux, persistants ou violents Relativement éphémères, peu stables, peu organisés Niveau 4 • Groupes violents à • visée idéologique • Ados et jeunes adultes engagés dans des activités ayant une fin idéologique Parfois structure de leadership développée et intégrés à des associations d’envergure Crimes sérieux et actes très violents pour défendre les croyances Niveau 5 Gangs de rue Niveau 6 Organisations criminelles • • • Ados et jeunes adultes engagés dans des activités illégales menaçantes et violentes Niveaux d’organisation variables, préoccupés par le contrôle du territoire Formes variées d’activités criminelles dont certaines à des fins économiques • Jeunes adultes et adultes formant des groupes ordonnés et stables avec des activités diversifiées mais toujours à des fins économiques Préoccupés par le contrôle du territoire Violence et intimidation pour promouvoir ou protéger les intérêts économiques • • 13 Annexe 2 Facteurs de risque identifiés dans la littérature scientifique par Hamel et coll. (1997) Famille École Pairs Individus Monoparentalité et bris de liens familiaux Avoir peu d'espoir quant à sa réussite scolaire Entretenir des relations avec des délinquants Faible estime de soi (mais résultats contradictoires) Familles plus nombreuses Avoir peu d'aspirations liées aux études Avoir des amis consommant de la drogue Attitudes pro-gang Faibles stratégies de gestion de la famille Vivre des échecs scolaires Avoir des amis ayant déjà été membres de gang Plus grande tolérance vis-àvis de la déviance Discipline parentale inappropriée Parents ayant peu d'espoir pour leur enfant à l’école Être compétitif Peu d'encadrement et de contrôle des parents Frustrations liées à l'école Posséder une arme Peu d'implication de la famille Être étiqueté négativement par les professeurs Consommation abusive de drogue Peu d'affection dans les relations parents-enfants Pas de modèle positif parmi ses professeurs Avoir un dossier de délinquance (agressivité) Avoir un frère ou une soeur membre d'un gang Vivre de la marginalité Avoir été approché pour faire partie d'un gang Absence de modèles parentaux Être dans une classe où il y a des membres de gangs Appartenir au groupe d'âge le plus visé pour le recrutement (11 à 15 ans) Attitudes pro-violence de la part des parents Être «dans le trouble» à l'école Faire partie d'un groupe ou d'une minorité ethnique Être un immigrant récent 14 Annexe 3 Caractéristiques des différents gangs mentionnés dans la note Structure de commandement Nombre de membres Niveau organisationnel Activités économiques clés Membres rémunérés Gangs de rue institutionnalisés de Chicago Organisation formelle ou structure corporative / Structure horizontale informelle avec branches locales décentralisées Entre 5 000 et 20 000 Local National Drogues Crimes Non Gangs de rue de Manchester Organisation informelle minimale Quelques dizaines Local Crimes Non Bandes de jeunes de banlieue (France) Organisation informelle minimale Quelques dizaines Local Crimes Non Gangs de rue de Bruxelles Organisation informelle minimale Quelques dizaines Local Crimes Non Structure hiérarchique pyramidale Quelques dizaines Local National International Drogues Crimes Non Local Drogues Crimes Protection/Extorsion Commerce licite Oui Local Crimes Non Type de gang Raisons du recours à la violence Pays du Nord Rivalités Territoire Conflits internes Rivalités Territoire Rivalités Territoire Rivalités Territoire Pays du Sud Maras et pandillas du El Salvador Factions armées de Rio de Janeiro Structure hiérarchique pyramidale avec système de classement au niveau local Gangs de rue de Kingston Structure horizontale informelle avec branches locales décentralisées Quelques dizaines Entre 6 000 et 10 000 Gangs de secteur de Kingston Structure horizontale informelle avec branches locales décentralisées Groupe de justiciers du Nigeria : les Bakassi Boys Structure hiérarchique pyramidale avec système de classement Entre 3 000 et 4 000 Régional Milice du Nigeria: OPC Structure hiérarchique pyramidale avec système de classement n.d Régional Local Crimes Protection/Extorsion Favoritisme politique Protection/Extorsion Favoritisme politique Protection/Extorsion Favoritisme politique Crimes n.d Forces de l’ordre Rivalités Territoire Conflits internes Justice sommaire Rivalités Territoire Rivalités Territoire Justice sommaire Oui Justice sommaire Oui Ethnique Territoire Justice sommaire Structure hiérarchique pyramidale avec Drogues système de classement / n.d Local Oui / Non Crimes Structure horizontale informelle avec Commerce licite branches locales décentralisées Source : L. Dowdney (2005). Neither War nor Peace. International comparisons of children and youth in organised armed violence. Viva Rio, Rio de Janeiro. Gangs de rue institutionnalisés de Le Cap Rivalités Territoire Rivalités Territoire Internes 15 Bibliographie commentée : Astwood Strategy Corporation (2004). Résultats de l’Enquête policière canadienne sur les gangs de jeunes de 2002. Ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile du Canada. http://ww2.psepc-sppcc.gc.ca/publications/policing/pdf/gangs_f.pdf Cette première enquête nationale du genre vise à brosser un portrait général du phénomène des gangs de jeune dans les collectivités canadiennes « tel qu’il est signalé par les organismes d’application de la loi ». Bordes-Benayoun, C. et A. Tandian (2004). Rôles et échanges des savoirs dans la formation des groupes juvéniles urbains. Toulouse : Centre d’Anthropologie – EHESS. 247 p. http://i.ville.gouv.fr/divbib/doc/bordes_tandian_grpesjuveniles.pdf Braga, A. A. et D. M. Kennedy (2002). “Reducing Gang Violence in Boston” in W. L. Reed, et S. H. Decker (éds.). Responding to Gangs : Evaluation and Research. U.S. Department of Justice, National Institute of Justice. pp.265-288. www.ncjrs.gov/pdffiles1/nij/190351.pdf Les auteurs présentent l’opération Ceasefire de Boston en mettant l’accent sur les résultats positifs mis en lumière par son évaluation. Carranza, M. (2005). “Detention or death: where the ‘pandillero kids’ of El Salvador are heading” in L. Dowdney, Neither War nor Peace. International comparisons of children and youth in organised armed violence, Viva Rio, Rio de Janeiro. pp.212-231. Covey, H. C. (2003). Street Gangs Throughout the World. Springfield, Charles C. Thomas. 267 p. Bien que publiée en 2003, cette monographie aurait intérêt à être mise à jour parce que les sources utilisées pour décrire la situation dans les différents pays datent dans certains cas. L’utilité de ce survol international est cependant indéniable. Dowdney, L. (2003a). Children of the Drug Trade. A case Study of Children in Organised Armed Violence in Rio de Janeiro. Rio de Janeiro : Viveiros de Castro Editora Ltda. 265 p. www.coav.org.br/publique/media/livroluke_eng.pdf Enquête minutieuse sur les factions armées des stupéfiants des favelas de Rio, incluant les relations qu’elles entretiennent avec la collectivité, le rôle joué par les enfants et les pistes d’action possibles. Dowdney, L. (2003b). Methodology manual.Fight for Peace Project. Viva Rio, Rio de Janeiro. 42 p. www.lutapelapaz.org.br/pdf/Methodology%20Fight%20for%20Peace%20project%202004.pdf Description du projet brésilien Luta Pela Paz qui met en exergue les facteurs de risque auxquels l’initiative s’attaque, ainsi que les facteurs de protection qu’elle vise à renforcer. Dowdney, L. (2005). Neither War nor Peace. International comparisons of children and youth in organised armed violence. Viva Rio, Rio de Janeiro. 347 p. www.coav.org.br/publique/media/NewAll.pdf Excellent rapport qui porte sur le phénomène de la violence armée organisée dans huit villes/pays : Chicago (Etats-Unis), El Salvador et Équateur pour les maras, Medellin (Colombie), Le Cap (Afrique du Sud), Nigeria, Philippines, Kingston (Jamaïque), et Irlande du Nord. Les huit rapports sont précédés d’une analyse comparative axée, entre autres, sur la structure de commandement des gangs, leur processus de recrutement des membres, les relations avec le reste de la collectivité et les stratégies mises en œuvre par les autorités gouvernementales. Esbensen, F. et coll. (2002). “National Evaluation of the Gang Resistance Education and Training (G.R.E.A.T.) Program” in W. L. Reed, et S. H. Decker (éds.). Responding to Gangs : Evaluation and Research. U.S. Department of Justice, National Institute of Justice. pp.139-168. Présentation de l’évaluation nationale du programme scolaire national américain G.R.E.A.T. 16 Fredette, C. et C. Laporte (2005). Gangs et Délinquance : Offre de services 2005-2008. Montréal, Centre Jeunesse de Montréal - Institut Universitaire (CJM-IU). Hagedorn, J. (2005). “Institutionalised Gangs and Violence in Chicago” in L. Dowdney, Neither War nor Peace. International comparisons of children and youth in organised armed violence, Viva Rio, Rio de Janeiro. 316-334. Hamel, S. et Fredette, C. (2005). Le développement de la Pratique de pointe Gangs au Centre jeunesse de Montréal – Institut universitaire. Hamel, J. et coll. (1997). Jeunesse et gangs de rue. Phase I, revue de littérature. Montréal : Service de Police de la Communauté Urbaine de Montréal, IRDS. Ibrahim, M. (2005). “An Empirical Survey of Children and Youth in Organised Armed Violence in Nigeria: Egbesu Boys, OPC and Bakassi Boys as a Case Study” in L. Dowdney, Neither War nor Peace. International comparisons of children and youth in organised armed violence, Viva Rio, Rio de Janeiro. pp.249-262. Jones, D. et coll. (2004). Les gangs de rue : examen des théories et des interventions, et leçons à tirer pour le SCC. Direction de la recherche, Service correctionnel du Canada, Ottawa. 74 p. www.csc-scc.gc.ca/text/rsrch/reports/r161/r161_f.pdf Étude comparative entre les gangs de rue canadiens et américains. L’accent est mis sur la situation dans les établissements carcéraux, mais le traitement de ce qui se passe à l’extérieur des murs est traité séparément. Une section est consacrée aux initiatives existantes qui visent à répondre à cette problématique. Klein, M. W. et coll. (éds.) (2000). The Eurogang Paradox - Street Gangs and Youth Groups in the U.S. and Europe. Pays-Bas : Kluwer Academic Publishers. 356 p. Ouvrage solide qui jette un éclairage sur le phénomène des gangs de rue en Europe, ce qui est déjà rare en soi, même si la qualité des chapitres (par pays) est inégale. Leggett, T. (2005). “Terugskiet (returning fire): Growing up on the street corners of Manenberg, South Africa” in L. Dowdney, Neither War nor Peace. International comparisons of children and youth in organised armed violence, Viva Rio, Rio de Janeiro. pp.296-315. Loor. K. et coll. (2005). “Ecuador’s Pandillas and Naciones – A dreadful reality and a challenging task: from victims to victimisers” in L. Dowdney, Neither War nor Peace. International comparisons of children and youth in organised armed violence, Viva Rio, Rio de Janeiro. pp.198-211. Mcfeely, R. A. (2001). “Enterprise Theory of Investigation” in The FBI Law Enforcement Bulletin. www.highbeam.com/library/docfree.asp?DOCID=1G1:76880861&ctrlInfo=Round20%3AMode20e%3A DocG%3AResult&ao= Miethe, T. D. et R. C. McCorkle (2002). “Evaluating Nevada’s Antigang Legislation and Gang Prosecution Units” in W. L. Reed et S. H. Decker (éds.). Responding to Gangs: Evaluation and Research. U.S. Department of Justice, National Institute of Justice. pp.169-196. Mogensen, M. (2005). “Corner and Area Gangs of inner-city Jamaica” in L. Dowdney, Neither War nor Peace. International comparisons of children and youth in organised armed violence, Viva Rio, Rio de Janeiro. pp.232-248. 17 National Alliance of Gang Investigators Associations (2005). 2005 National Gang Threat Assessment. Washington: Bureau of Justice Assistance.74 p. www.nagia.org/PDFs/2005_national_gang_threat_assessment.pdf Description sommaire des différents gangs américains (incluant les gangs de motard et le crime organisé) et de leurs activités dans les différentes régions du pays. Nations Unies (2006). « South Africa: Walking the long trail to reconciliation » in UN Office for the Coordination of Humanitarian Affairs, vendredi 21 avril. 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