La révolte touareg au Mali et l`impérialisme dans l`Afrique de nos

Transcription

La révolte touareg au Mali et l`impérialisme dans l`Afrique de nos
La révolte touareg au Mali et l’impérialisme dans l’Afrique de nos jours
La révolte touareg et l’intervention militaire de la France ont révélé la manière dont la
démocratie électorale et l’apparence de la stabilité politique au Mali ont occulté l’oppression
et intensifié l’exploitation capitaliste mondiale * écrit Hibist W. Kassa
En avril 2012, le gouvernement malien a été renversé par un coup d’état. L’armée venait de
subir des défaites militaires significatives face aux combattants des rebelles touareg et les
soldats ont attribué ces défaites au gouvernement pour avoir mis peu de ressource à leur
disposition. Une confrontation avec les dirigeants politiques a aboutit curieusement à un
renversement rapide du gouvernement élu dirigé par le Président Amadou Toumani Touré.
Jusqu’à ce moment, le Mali était un pays modèle de démocratie stable et d’économie
soutenue et libéralisée en Afrique.
Le début des années 90 était l’ère de la transition vers la démocratie en Afrique marquée par
des émeutes et des protestations menées par des mouvements qui sont nés en réaction aux
graves conséquences des politiques néolibérales de l’ajustement structurel préconisées par le
FMI dans les années 80. Au Mali, ces émeutes ont abouti au renversement du dictateur de
longue date de lors, le Général Moussa Traoré. La mobilisation à la base était assez
importante et avait atteint les zones rurales. Ainsi, après la transition vers la démocratie, les
producteurs de coton ont revendiqué des changements profonds au niveau de la production et
de la commercialisation du coton. Le coton est un principal produit agricole d’exportation. En
1995, un accord de paix a été même signé avec les rebelles touaregs.
Malgré ces premiers signes de progrès les défis qui confrontaient la société malienne étaient
à peine abordés. Les politiques économiques néolibérales et l’accroissement de l’inégalité
économique et sociale qui ont ruiné le pays se sont poursuivis sans relâche, ce qui a abouti à
l’accumulation des richesses aux mains d’une couche restreinte de la société. Les services
sociaux qui étaient déjà limités ont été laissés à l’abandon en raison de la réduction des
dépenses publiques au profit du paiement des dettes. Les conditions de vie se sont détériorées
avec l’impact des crises économiques, alimentaires et climatiques dans le monde.
A l’instar de la plupart des pays africains, la majorité des Maliens sont de petits exploitants
dans le secteur agricole. Les Touaregs (qui sont pour la plupart des éleveurs nomades) et les
autres communautés agricoles sont très vulnérables aux changements climatiques et à
l’accès aux terres arables. Compte tenu du changement climatique, les conditions de vie
dans la région sahélienne de l’Afrique de l’Ouest ont été marquées par des sécheresses
graves et même des famines. Les conflits entre les communautés sédentaires et les nomades
au sujet des terres fertiles rares et de l’eau s’intensifient en Afrique de l’Ouest et s’étendent
vers sud dans les pays comme le Ghana et le Nigeria.
Les Touaregs et les communautés agricoles sédentaires doivent aussi faire face au
déplacement forcé pour laisser la place à l’agriculture commerciale. A cet effet, la Banque
mondiale et le Fonds Monétaire International sont accusés d’avoir imposé les politiques
néolibérales qui ont permis la suppression des réglementations au profit des investisseurs
étrangers tout en entrainant des coûts sociaux considérables. Quelques entreprises ont aussi
bénéficié au détriment de la majorité des Maliens. Un rapport d’Oakland Institute des Etats
Unis indique qu’à la fin de 2010, 22 investisseurs agricoles avaient déjà ou négociaient des
baux au titre de 544 577 hectares. Les investisseurs sont notamment Lonhro Agriculture (une
filiale de Lonhro PLc basé à Londres), Malibya (appartenant au gouvernement libyen), et
Huicoma, une société appartenant au milliardaire malien Alou Tomota. La Libye et Tomota
ont conclu chacun un marché couvrant 100 000 hectares qui aurait donné lieu à des
expropriations et des pertes de moyens de subsistance. Il n’y avait pas de plan de
réinstallation des communautés touchées. Tomota est associé à la Société Financière
Internationale et l’Agence Française de Développement.
C’est dans ce contexte que l’on peut comprendre la révolte touareg. En 2009, un
soulèvement des rebelles touaregs a été réprimé avec succès par le gouvernement malien et
600 rebelles ont remis leurs armes dans le cadre d’un processus de paix. Les forces
islamistes qui étaient également présents dans le pays ont été déroutées par l’armée
malienne. Toutefois, en 2011 la situation a rapidement changé suite au renversement du
dictateur libyen, Mouammar Kadhafi, par les forces rebelles avec l’appui militaire important
de l’Europe et des Etats-Unis.
Le régime de Kadhafi avait joué un rôle important dans l’appui aux activités des groupes
rebelles et dans les processus de paix. C’est surtout le cas en Afrique de l’Ouest. Les
groupes rebelles touareg avaient des refuges en Libye et servaient de mercenaires pour le
régime libyen. Après la chute de Kadhafi, les rebelles se sont déplacés vers le sud et se sont
installés au Mali où ils ont formés le Mouvement National pour la Libération de l’Azawad
(MNLA).
Lorsque le gouvernement malien fut renversé en avril. 2011, les rebelles touaregs sous la
direction du MNLA ont conquis de nouveaux territoires au nord et ont proclamé
l’indépendance du Nord Mali. Les éléments islamistes affiliés à Al Qaeda, Ansar Dine (les
Défenseurs de la foi) ont également combattu en marge du MNLA. A l’époque, le MNLA ne
mettait pas l’accent sur la prise de la capitale. Deux divisions de l’armée malienne composées
essentiellement de Touaregs ont fait défection et ont rejoint les rebelles.
Cependant après la déclaration de l’indépendance, les islamistes ont rompu l’alliance avec les
rebelles touaregs. Ces derniers constituent essentiellement une force laïque et ont donc une
orientation et programme différents de ceux des islamistes. Ansar Dine a commencé à exiger
que les civils pratiquent une version puritaine de l’Islam, et imposait des sanctions extrêmes.
Depuis lors les cas de tueries, de mutilation, de viol et de destruction des sites religieux et
historiques dominent les nouvelles au Mali.
Avant l’intervention de la France les atrocités commises par les forces maliennes contre les
populations civiles n’étaient pas largement diffusées. En septembre dernier, les forces
maliennes ont tué 16 religieux musulmans qui voyageaient pour participer à une conférence.
Les efforts du MNLA visant à s’écarter des islamistes ont été également minimisés. Très peu
d’attention est accordée à la manière dont Al-Qaeda au Maghreb Islamique (AQMI) a
soutenu un autre groupe islamiste pour combattre le MNLA. Il y a des affirmations que le
gouvernement du Mali a profité de la présence des islamistes pour affaiblir la cause des
rebelles touaregs. Quoiqu’il en soit, le Mali a bénéficié d’une aide militaire importante des
Etats-Unis en raison de sa position « stratégique » dans « la guerre contre le terrorisme » qui
a l’a placé en position de force vis-à-vis les rebelles touaregs.
Lorsque les militants ont pris la ville de Konna située à 40 km de la capitale, la France a
profité de cette évolution pour lancer une intervention militaire d’envergure en la qualifiant
de lutte contre les « terroristes islamistes ». Par contre, le mois dernier, le Président François
Hollande a refusé d’apporter un appui militaire au gouvernement de la République
Centrafricaine lorsque les rebelles avançaient sur la capitale. M. Hollande prétendait que ces
interventions françaises en Afrique étaient révolues. Ces propos sont évidemment loin de la
vérité. Par ailleurs, des troupes françaises sont basées en permanence en RCA.
La prétention suivant laquelle l’intervention de la France vise à combattre les terroristes
islamiques et soutenue par les pays occidentaux et africains est trop simplifiée et détourne
l’attention de la répression de la révolte touareg.
Les prétentions humanitaires des pays occidentaux sont également très douteuses. En
décembre, 200 000 personnes auraient été déplacées. Actuellement, le nombre de personnes
déplacées internes aurait atteint 230 000 personnes. Environ 260 000 personnes ont quitté le
pays, selon le Centre de Suivi des Déplacements Internes. Il est peu probable que la situation
au Mali s’améliore prochainement. L’ONU s’attend à ce que 700 000 personnes soient
déplacées dans les prochains mois. S’il y a une leçon à tirer des guerres en Afghanistan, en
Iraq et en Libye, c’est les interventions militaires externes entrainent beaucoup plus de pertes
de vie et de personnes déplacées.
Pourquoi assistons-nous à ce phénomène ? Il y a une concurrence accrue entre les sociétés et
leur pays pour l’accès et le contrôle des ressources naturelles à bon prix en Afrique. En
particulier, en cette période de crise économique mondiale, la France ne peut que profiter en
utilisant sa force militaire pour mettre en relief sa position en tant qu’une puissance militaire
principale dans le monde. L’émergence de la Chine comme une puissance économique
mondiale avec des intérêts majeurs dans les ressources de l’Afrique augmente davantage les
enjeux. C’est vraiment une nouvelle course à l’Afrique.
L’Afrique de l’Ouest est particulièrement important à cet égard, avec le pétrole, au Nigeria,
au Ghana, et en Côte qui fait de la sous-région une zone stratégique à contrôler. La France
dépend aussi énormément de l’uranium des mines du Niger pour alimenter ces installations
nucléaires. L’uranium, l’or, le pétrole et le gaz se trouvent dans les zones occupées par les
Touaregs. L’exploitation minière détruit l’environnement et les moyens de subsistances des
communautés locales en Afrique. La situation est le même pour les Touaregs qui sont des
pastoralistes nomades et dépendent de l’accès aux terres pour le pâturage et l’eau.
Le Président Hollande bénéficie également de l’intervention grâce à la consolidation de son
soutien interne face à une vague croissante d'islamophobie et de racisme en pleine crise
économique en France. La montée en puissance du parti de l’extrême droite, le Front
National, dans les années récentes démontre la réalité de cette menace. Les grèves en Europe,
surtout en Grèce en Espagne et en France ont prouvé la résistance grandissante à l’austérité.
Le racisme joue un rôle important dans la division des populations et détourne l’attention de
la crise économique. En conséquence, tout comme son prédécesseur, Sarkozy, Hollande
continue de déporter les Roms. Jusque là « la guerre contre le terrorisme » au Mali a permis
d’améliorer sa popularité en France en tant que leader « fort ». Néanmoins, ce n’est
l’Occident seulement qui a de l’intérêt dans l’intervention militaire au Mali.
Quelques gouvernements africains, en particulier, ceux du Niger et du Tchad font face aux
rebellions similaires par les groupes touaregs. Les Touaregs sont présents dans les pays tels
que le Niger, le Tchad, le Burkina, l’Algérie et la Libye.
En
janvier 2011, le Niger a essayé d’apaiser le mécontentement en offrant quelques postes aux
Touaregs dans le gouvernement. Le Nigeria s’occupe déjà du groupe islamique intégriste
Boko Haram et les séparatistes de Biafra. Au total, les pays ouest africains ont promis
d’envoyer une troupe de 3000 hommes avec le Nigeria et le Tchad promettant respectivement
1 200 et 2000 éléments.
Il n’est pas impossible que l’intervention externe par les gouvernements ouest africains et
occidentaux contribue à l’escalade du conflit au delà du Mali, Même le Ghana qui n’est pas
directement au conflit et n’a envoyé que 120 hommes est en état d’alerte maximum , selon
son coordinateur de la sécurité nationale.
Des interventions militaires similaires en Somalie par l’Ethiopie et le Kenya à la demande
des Etats-Unis à entrainé l’escalade des conflits et l’oppression dans ces pays. Au Kenya, il y
a eu des attaques à la bombe par des groupes extrémistes basés en Somalie. Il y avait aussi
des crimes motivés par la haine contre les personnes d’origine somalienne à Nairobi. D’
autre part, le gouvernement éthiopien a pris des mesures pour contrôler les musulmans en
imposant une version de l’Islam sanctionné par l’Etat dans le cadre de « sa guerre contre le
terrorisme ». Le gouvernement a également incarcéré des critiques, notamment les
journalistes et les militants politiques accusés de terrorisme.
La révolte touareg au Mali a souligné le point suivant lequel les problèmes sous-jacents
d’inégalité économique et sociale accrue et l’insécurité doivent être abordées. La pratique de
la démocratie libérale en Afrique, qui s’est focalisée sur la politique électorale avec diverses
factions de la classe dirigeante en concurrence pour le pouvoir, n’a pas inversé la
concentration du pouvoir et de la richesse. En fait, dans de nombreux cas, elle s’est
intensifiée depuis les années 90 surtout avec le déclenchement de la crise économique
mondiale. C’est cette réalité qui confronte de nombreux pays en Afrique.
Dans le cas du Mali, l’intervention de la France et des pays de l’Afrique de l’Ouest ne
permettra pas de relever ces défis. Cette intervention sert les intérêts des sociétés et des
hommes politiques dans les pays occidentaux en retenant la sous région sous leur contrôle.
Les gouvernements ouest africains aussi vont bénéficier de la suppression de révolte touareg
et du rétablissement du statu quo au Mali.
L’intensification de la crise économique et climatique dans les années récentes a aggravé
l’insécurité et les privations à travers le monde, y compris l’Afrique. A cet égard les intérêts
de l’Ouest et du Sud sont les mêmes. Cela peut intensifier l’oppression impérialiste et la
résistance en Afrique.
L’intervention militaire actuelle est défavorable pour les intérêts des travailleurs et des
pauvres au Mali parce qu’elle renforce la mainmise des puissances mêmes qui ont bénéficié
de la libéralisation économique, du remboursement des dettes et de la réduction des dépenses
sociales. A cet égard les intérêts de l’Ouest et du Sud sont les mêmes. Au sein du Mali, la
classe dirigeante a beaucoup bénéficié du statu quo. Les mouvements et les militants sociaux
doivent reconnaître ce phénomène et le remettre en cause dans le cadre général de la lutte
contre le néolibéralisme et l’impérialisme en Afrique aujourd’hui.
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* Hibist Kassa est ancienne étudiante de l’Institut Régional Africaine de Formation de
Development Alternatives with Women in a New Era (DAWN) et ancienne stagiaire auprès
de NETRIGHT. Elle écrit également pour International Political Forum