L`hypocrisie de l`intervention militaire française au Mali

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L`hypocrisie de l`intervention militaire française au Mali
L'hypocrisie de l'intervention militaire française au Mali
Invité par la filière diplomatie de l'ENS, M. Fabius, ministre des Affaires étrangères, viendra mardi à l'ENS
faire une conférence. À cette occasion nous tenons à protester contre la guerre impérialiste que la France mène au
Mali et que M. Fabius est en train de diriger.
Depuis maintenant plusieurs semaines les média nous abreuvent de propagande et l' « union nationale » est de
rigueur, d'une grande partie de la gauche jusqu'à l'extrême droite. Quelques voix s'élèvent doucement contre cette
guerre à deux millions d'euros par jour, pour dénoncer le fait qu’elle ait débuté sans que le parlement ne soit mis au
courant, l’absence de vote à ce sujet, ou encore l’extrême isolement de la France dans ce conflit. Le gouvernement
français tente donc de donner un vernis légal à cette intervention en répondant à l'appel du président malien qui n'a
pourtant pas été élu, car son gouvernement est issu d'un coup d'état. Même la résolution de l'ONU n°2085 ne parle pas
d'une intervention militaire française mais uniquement d'une intervention militaire africaine. L'accord de coopération
militaire entre le Mali et la France est encore plus clair. L'article 2 stipule que les militaires français « ne peuvent, en
aucun cas, prendre part à la préparation et l'exécution d'opérations de guerre, de maintien ou de rétablissement de
l'ordre ou de la légalité » et l’article 12 « exclut toute possibilité de stationnement d’unités constituées des forces
armées françaises sur le territoire malien ». Mais quelle que soit la légalité internationale, il s'agit en réalité d'une
guerre néocoloniale destinée à défendre les intérêts géopolitiques et économiques de la France.
En premier lieu nous ne devons pas oublier la grande part de responsabilité de la France dans la situation
au Mali, ce qui rend son intervention complètement illégitime. Il suffit de regarder une carte pour s'apercevoir que
les frontières absurdes du Mali ont été tirées à la règle par la France, ancienne puissance coloniale, sans se soucier de
l'implantation réelle des populations. Après la colonisation, la Françafrique a pris le relais et les gouvernements français
ont sans cesse soutenu les gouvernements corrompus du Mali. Des politiques libérales ont été imposées et des plans
d'ajustement structurel, liés à la dette malienne dont la France tire profit, ont désagrégé la société, la privant de ses
services publics, de ses industries et de ses entreprises de services. L'État s'est délité au point de quasiment disparaître
dans le nord du Mali.
Plus récemment, l’intervention militaire française en Libye n’a pas consisté à livrer gracieusement des armes à
la révolution légitime du peuple libyen. La France est intervenue militairement en tant que puissance extérieure pour
rappeler au futur pouvoir toute sa dépendance, et espérer autant de gestes en retour, notamment sur le marché pétrolier.
Il a dépossédé par là même la révolution libyenne de la possibilité de s’approprier politiquement le contrôle des régions
prises militairement. Ainsi, la région du Sahel a été brutalement déstabilisée et a libéré un afflux de combattants
surarmés dans leur pays d’origine, notamment au Mali.
Enfin, l’État français n’a pas vu d’un bon œil la destitution en mars 2012 du régime corrompu d’Amadou
Toumani Touré, par une mutinerie militaire qui s’est transformée en coup d’État. Dès lors, la France n’a eu de cesse de
priver l’armée malienne de ses propres appuis logistiques. La Cédéao, dirigée par Alassane Ouattara, qui doit beaucoup
à la France pour son accession au pouvoir en Côte-d’Ivoire en 2011, a ainsi décidé d’un embargo, l’été dernier, sur des
armes pourtant destinées aux militaires maliens, en bloquant des blindés, des munitions, des armes lourdes dans les
ports de Dakar au Sénégal, et de Conakry en Guinée. Se défendre seul devient nécessairement plus compliqué.
Initialement l’opération militaire française a été lancée pour bloquer une colonne d’une dizaine de véhicules de
djihadistes vers le sud. L’objectif a évolué, puisqu’il s’agit désormais d’éradiquer le terrorisme au Mali. Mais qui sont
ces groupes qui ont tenté de prendre le pouvoir au Nord-Mali ? Le Point répondait à la question en titrant « Mali, nos
ennemis islamistes », mais la réalité est plus complexe. Ces dernières années, des groupes armés se sont organisés dans
cette région : des Touaregs, dépités d'être méprisés, déplacés, spoliés, et des groupes plus ou moins islamistes, certains
issus des anciens GIA qui ont semé la terreur en Algérie, d'autres contrôlés par Kadhafi, et autonomisés suite à la mort
de ce dernier. Depuis, les mouvements Touaregs laïques et progressistes ont été marginalisés, en particulier par la
montée en force du groupe salafiste Ansar Dine. Puissant et lourdement armé, ce dernier s'est allié à AQMI (Al Qaeda
au Maghreb Islamique).
Il y a peu, des négociations avaient encore lieu avec Alger pour tenter de trouver des solutions politiques à la
crise. François Hollande, lors d’un point presse, le 15 janvier dernier, a déclaré : « Qu’allons-nous faire des terroristes ?
Les détruire ! ». Cette déclaration choc, violente, et guerrière est accompagnée par ailleurs d'une recrudescence du
discours du choc des civilisations. La guerre risque au contraire de renforcer voire radicaliser les groupes
extrémistes. La prise d'otage du centre gazier In Amenas qui est sans doute l’une des premières tragédies de cette
guerre est là pour en témoigner.
Le risque d'enlisement comme en Afghanistan est grand. Pour Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense,
l'objectif est la « reconquête totale » du Mali. Mais qui est légitime pour reprendre le pays après cette reconquête ? Le
gouvernement actuel issu d'un coup d'État ? La démocratie n'a jamais pu être imposée par une guerre. Les différentes
interventions militaires étrangères de ce type, qui se sont succédées ces 20 dernières années, en Irak, Afghanistan,
Somalie, Libye, ont débouché sur une situation politique ingérable, chaotique, et le plus souvent sur une guerre civile
doublée d’une catastrophe humanitaire. La menace d'une telle crise se précise au Mali. Les fermetures des frontières
empêchent la circulation des denrées alimentaires et bloquent le carburant nécessaire à l’alimentation en eau potable
dans les villes.
Enfin dans cette région où les différentes communautés restent divisées, les risques de règlements de compte
et de vengeances peuvent engager un cycle de violence, dont les Touaregs et les Arabes seraient les principales
victimes. Certaines ONG dénoncent déjà des exactions commises au Mali. Human Rights Watch (HRW) s'est inquiétée
des témoignages sur des"meurtres et des disparitions à titre de représailles" imputés aux forces armées maliennes, et
demandé l'envoi d'observateurs internationaux. Amnesty International affirme que des soldats maliens se sont rendus
coupables de "graves atteintes aux droits de l'homme" lors de la contre-offensive engagée le 11 janvier avec le soutien
des forces françaises et évoque notamment des exécutions extrajudiciaires. A Paris, le porte parole de l'état major
admet: "comme vous, nous avons constaté des actions de vengeance dans certains localités".
L’une des principales justifications de cette guerre est de défendre les populations locales face aux islamistes
qui imposent la charia et sèment la terreur au Nord-Mali. Mais jusqu'ici les guerres qui prétendaient stopper, voire
« détruire » le terrorisme, n’ont fait que renforcer bien souvent la position des plus déterminés, des plus extrémistes, et
des plus radicaux des terroristes.
De plus, ces raisons humanitaires semblent bien hypocrites. Le fait que plusieurs dictateurs africains
envoient leurs troupes au Mali tout en bafouant allègrement les droits de l'homme chez eux ne choque personne. La
France, qui jusqu'ici s'intéressait aux Malien-ne-s surtout pour les expulser, se sent soudain investie de la mission de
sauver le peuple malien, de défendre les droits de l'homme, des femmes et de lutter contre l'obscurantisme religieux. Et
c'est aux Émirats arabes unis, où la législation s’applique selon la « charia », et fait encourir la lapidation pour adultère,
blasphème ou homosexualité, que François Hollande a fait le point sur cette guerre lors d'une conférence de presse. À
cette occasion Arnaud Montebourg a rappelé à juste titre que la France entretient « de très bons rapports avec des pays
qui ne respectent pas les droits de l'homme ». L'enjeu économique l'emporte en effet sur les droits de l'homme. Au
Émirats le CAC 40 a ainsi pu passer de juteux contrats et le groupe Dassault a pu vendre soixante Rafales au meilleur
prix. Plus ironiquement encore, le Canard enchaîné révélait que « notre ami du Qatar finance les islamistes du Mali » !
Mais nous n'en sommes plus à une contradiction près quand il s'agit d'intérêts économiques.
Aux Émirats arabes unis, comme au Mali, la France suit inexorablement sa mission : assurer les affaires
de la France. Le Sahel n’est pas qu’un désert, il est le confluent géostratégique de nombreux échanges, licites comme
illicites. Il est aussi la porte d’entrée frontalière fragile qui donne accès à des zones que la France tient à sécuriser, en
premier lieu les mines d’uranium qu’exploite Areva, fleuron français de l’industrie nucléaire, au Niger. Les enjeux sont
importants car Areva vient de mettre la main sur le gisement d’Imouraren, l’un des plus grands du monde. L'extraction
d'uranium au Niger, qui représente environ les deux tiers des besoins français, est stratégique pour Areva, tant pour
l'alimentation des centrales nucléaires françaises que pour la vente de cette matière à ses clients étrangers. Pour preuve
Le Point affirme que Paris va envoyer des forces spéciales protéger les principaux sites d'exploitation d'uranium
d’Areva au Niger.
L'enjeu est aussi géopolitique. En effet, la politique interventionniste de la France permet de conforter
son pré carré africain et ainsi de maintenir sa stature de puissance mondiale, avec là aussi des retombées
économiques importantes pour les capitalistes. La reconstruction de la Côte d’Ivoire est une aubaine pour les
entreprises françaises. Quant à la Libye, il est déjà acquis que la France pourra faire main basse sur une partie de son
pétrole. C’est peut-être le général de division Desportes, ancien directeur du CID (Collège interarmées de défense) qui
résume le mieux la situation : "Nous ne pouvons pas espérer conserver nos modes de vie et notre prospérité si nous
n'allons pas à l'extérieur du territoire national participer à la stabilisation et au règlement des crises…".
Pour discuter de toutes ces questions nous essaierons d'organiser dans les semaines qui viennent un débat public
à l'ENS en présence de Malien-ne-s afin d’échanger avec eux/elles sur cette intervention militaire et les options pour
résoudre le conflit.
SUD étudiant ENS (Solidaires étudiant-e-s – Syndicats de luttes)
NPA ENS