au commencement etaient les touaregs

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au commencement etaient les touaregs
Article de Pierre PRIER
Le Figaro
AU COMMENCEMENT ETAIENT LES TOUAREGS ...
D'origine berbère, les Touaregs sont vus comme des musulmans modérés.
Répartis dans cinq pays, ils sont entre 1.5 et 3.5 millions.
Ce peuple d’origine berbère, présent au Mali, au Niger et au Burkina
Faso, n’a jamais admis la domination noire consacrée par la décolonisation. Au
printemps 2012, l’offensive de son aile laïque au nord du Mali a précipité
l’ascension des islamistes.
Les nobles ont un caractère fier, des manières solennelles, la démarche
lente. Leur stature est généralement haute, leurs membres maigres... leur teint
blanc, mais plus ou moins basané par le soleil... » En 1863, l’explorateur Henri
Duveyrier décrit ainsi les Touaregs, ce peuple étrange dont les vêtements, de
loin, « leur donnent l’allure de fantômes noirs... » C’est le début d’une
fascination qui dure encore. Les Touaregs se prêtent au mythe. D’origine
berbère, ils sont vus comme musulmans mais modérément, peut-être
anciennement chrétiens comme le montreraient la persistance du motif de la
croix dans leurs bijoux et le bât de leurs chameaux. Ils vivent de rien sous les
étoiles, ou bien de rapines, sont adeptes de la parité homme-femme, ils aiment
la France et possèdent une écriture dont ils se servent avec parcimonie, et dont
Henri Duveyrier veut croire qu’elle vient des hiéroglyphes de l’Égypte
ancienne...
Tout cela est parfois vrai, ou à moitié, ou pas du tout, mais qu’importe.
Longtemps, les Touaregs n’ont pas écrit leur histoire. « Ce sont toujours les
étrangers qui l’écrivent, dit l’historienne Anne Saint Girons (*). Sans doute
parce que ce qui fonde un peuple, c’est le mythe. Et parce que la cosmogonie
dynamique des Touaregs s’accommode mieux du mouvement perpétuel qui
refonde l’histoire à chaque répétition du conteur. »
L'enseignement du tamachek
Cette attitude est en train de changer avec la multiplication des blogs et
des sites Internet édités par ceux qui préfèrent s’appeler les Kel Tamachek, «
ceux qui parlent tamachek ». Il s’agit d’une langue commune, avec des
variantes, à un peuple réparti en cinq pays, principalement le Mali et le Niger,
ainsi que la Libye, l’Algérie et le Burkina Faso. Même leur nombre est incertain
: 1,5 million en tout, si l’on en croit les statistiques officielles des différents
pays. Non, 3,5 millions, dont 85 % au Mali et au Niger, disent des sources
touaregs citées par Anne Saint Girons. Ils viennent probablement de Libye, et il
est difficile de fixer leur arrivée dans les régions sahariennes. Le voyageur
Henri Duveyrier a l’œil exercé. Il décrit, au XIXe siècle, une société à nulle
autre pareille qui l’enchante par ses raffinements. Le chef, l’amenokal, gouverne
par consensus et après de multiples consultations. Ce sont les hommes qui sont
voilés d’un turban indigo qui déteint sur leur visage, leur valant le surnom d’«
hommes bleus. » Et ce sont les femmes qui découvrent leur visage. La
monogamie règne. Les femmes nobles ne travaillent pas. Elles savent lire et
écrire, détiennent la richesse et surtout transmettent le nom et le statut. Le fils
d’un noble et d’une roturière n’est pas noble, tandis que le fils d’une aristocrate
et d’un roturier sera noble. Les femmes s’adonnent à la broderie, et à la
musique. Le soir, elles chantent et jouent du violon local, donnant « des
concerts en plein air auxquels les hommes assistent en silence. »
L’explorateur, qui écrit il y a cent cinquante ans, évite les clichés souvent
partagés aujourd’hui. Le comportement réservé n’est pas l’apanage de tous les
Touaregs, seulement celui des nobles. Les tributaires portent le même vêtement
mais se distinguent par leur côté décontracté. Ils peuvent rire et plaisanter. La
société est fortement hiérarchisée, mais complexe. Les redevances dues par les
tribus « vassales » consistent en lait, en animaux, vaches, moutons ou chèvres,
sont versées de plein gré. D’ailleurs, comme ils peuvent travailler ou
commercer, les tributaires sont parfois plus riches que les aristocrates. Les esclaves noirs fournissent le travail.
Que reste-t-il aujourd’hui de ces traditions ? Les Touaregs ont pris de
plein fouet les indépendances, les sécheresses et la modernité. En 1960, c’est
pour eux la catastrophe. La France a tracé des frontières à grands coups de
crayon, dans le sens vertical. Les tribus touaregs se retrouvent enclavées dans
plusieurs pays qui sont gouvernés par les Noirs du Sud, qui forment le personnel
politique. Même si les deux côtés s’en défendent, la mémoire de l’esclavage n’a
pas disparu. Les nomades se retrouvent dirigés par des gouverneurs venus
d’ailleurs. Une autre raison leur barre le chemin des responsabilités. Ils n’ont
pratiquement parmi eux aucun cadre. « Notre peuple n’avait pas accepté l’école
des Français », reconnaît Moussa ag As- sarid, écrivain (**) et porte-parole en
Europe du Mouvement national de libération de l’Azawad, la formation
indépendantiste des Touaregs maliens « laïques ». Les histoires abondent
d’enlèvements d’enfants dans les campements par les autorités coloniales, pour
les mener à l’école d’où ils s’évadaient aussitôt.
« La religion était en cause, mais aussi la volonté d’adhérer à un mode de vie.
Nos ancêtres ne voyaient pas l’intérêt de l’école », ajoute Moussa ag Assarid.
Résultat : 80 à 90 % des Touaregs sont encore analphabètes, dit l’écrivain. Les
écoles publiques, où l’on est censé enseigner dans la langue maternelle
majoritaire localement pendant les trois premières années, manquent de
professeurs qualifiés en ta- machek. Avec l’aide d’amis français, Moussa créé
récemment trois internats dans le nord du Mali, des écoles « ouvertes sur le
monde » où l’on enseigne le tamachek et la culture touareg, l’histoire et la poésie, le français. Elles sont provisoirement fermées à cause de la guerre. D’autres
initiatives existent au Niger, portées par l’État.
Les indépendances ont engendré presque aussitôt une série de révoltes.
D'accords de paix rompus en représailles, elles ont abouti, au Mali, au conflit
d’aujourd’hui. Écartés des processus de décision, les Touaregs maliens se sont
soulevés dès 1963. Répressions et représailles ont aggravé le sousdéveloppement. Les sécheresses successives ont achevé le travail. « La grande
sécheresse de 1973 a été un choc immense pour les Touaregs, rappelle Moussa
ag Assarid. Nous avons perdu jusqu’à 90 % de notre cheptel. Les nomades ont
reflué vers les villes. L’État n’est pas venu à notre secours. Les aides versées
par la communauté internationale ont souvent été détournées. »
Une société fortement hiérarchisée
Onze ans après, une nouvelle sécheresse contrarie les tentatives de retour au
nomadisme. Aujourd’hui, dit l’écrivain, 70 % des Touaregs sont encore
nomades. Mais ils se déplacent sur des parcours plus restreints. Nombre d’entre
eux se sédentarisent, habitent en ville, où ils exercent tous les métiers, de
commerçants à gardiens en passant par journaliste, et possèdent des troupeaux
qu’ils font garder par des bergers. Mais « le nomadisme se meurt », reconnaît
l’écrivain, miné par l'insécurité et par la modernité. « Les tourbillons de la
mondialisation ont aussi soufflé dans le désert. Beaucoup de jeunes veulent
vivre comme dans l’univers de la consommation et d’Internet. » La femme reste
le pilier de la société, mais là aussi la vie moderne et l’importance croissante de
la religion mettent à mal les traditions.
Les hiérarchies ont été bousculées. Les chefs, supplantés par des gouverneurs
envoyés par les pouvoirs centraux, ont perdu de leurs pouvoirs. Les défaites ont
poussé des jeunes à émigrer vers la Libye et à s’enrôler en masse dans les
légions de Kadhafi. Ils ont inventé un nouveau personnage, un Touareg
débraillé, portant un petit turban à la place du voile traditionnel. Ils se sont
appelés « Ishumar », un mot dérivé de « chômeur », une sorte d’accès à la
modernité par la dérision.
Les chefs avaient toujours compté sur les Français. Ils leur avaient fait la
guerre et l’avaient perdue. D’où leur incompréhension quand la France « donna
le tambour aux Noirs. » Chez les nomades, le tambour traditionnel est le
symbole du commandement. Qu’on puisse désigner un vainqueur sans combat
les dépassait. Des dizaines de chefs coutumiers de la boucle du Niger ont
envoyé une supplique à « Sa Majesté Monsieur le président de la République
française », dans laquelle ils demandaient d’être « séparés politiquement et
administrativement et le plus tôt possible » des futurs États noirs.
Désirs d'autodétermination
Ils voulaient être inclus dans un Sahara français. En 1995, à la fin d’une
des révoltes des Touaregs du Niger, on entendait encore des leaders faire
référence à l’OCRS (Organisation commune des régions sahariennes), projet
éphémère d’un État touareg concocté à Paris - puis oublié. Aujourd’hui, le rêve
a été mis entre parenthèses, les soulèvements sont nationaux, mais les
indépendantistes veulent toujours mettre la France de leur côté. Un chapitre
nouveau des relations complexes entre la France et les hommes bleus est peutêtre en train de s’écrire. Le MNLA entend profiter de la déroute des islamistes,
touaregs ou arabes, et compte sur la France pour appuyer ses désirs
d’autodétermination auprès du gouvernement malien « C’est en 1960 que nous
avons vraiment été colonisés », dit Moussa ag Assarid, le porte-parole du
MNLA. Il a été ravi d’entendre jeudi le ministre français de la Défense, JeanYves Le Drian, prononcer le nom du nord du Mali en tamachek, 1’ « Azawad ».
(’) Anne Saint Girons, « Les Rébellions touarègues »,, Ibis Press
(**) Moussa Ag Assarid et Nathalie Valera Gil « Y a pas que du sable dans le
désert », Presses de la Renaissance

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