Dialogue social : une culture à développer
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Dialogue social : une culture à développer
© Mat Jacob/Tendance Floue dOssier Dialogue social : une culture à développer L e social ne se réduit pas au conflit. Encore moins aux « luttes » militantes menées le plus souvent aux marges du monde du travail. Le social, en France, c’est d’abord et avant tout une activité conventionnelle foisonnante, avec des dizaines de milliers de textes rédigés chaque année, signés le plus souvent par l’ensemble des organisations syndicales. Accords d’entreprise, conventions collectives dans les branches, accords interprofessionnels, les trois principaux niveaux de négociation traitent d’enjeux très différents, des horaires de la cantine aux règles d’indemnisation du chômage. Ils mobilisent des acteurs qui, pour être identifiés par les mêmes sigles, raisonnent également de façon très différente. Rien de commun entre la CGT « politique » qui s’oppose depuis 1958 à tous les accords UNEDIC et les sections CGT d’entreprise qui signent de leur côté 80 % des accords d’entreprise. Rien de commun entre le MEDEF « de combat » incarné par son président Pierre Gattaz et la diversité des entreprises, certaines paternalistes, d’autres résolument indifférentes au bienêtre de leurs salariés, d’autres enfin qui cultivent depuis des décennies une tradition d’échanges entre la direction et les représentants du personnel. Cette diversité des acteurs, présente dans tous les pays du monde, est encore accrue en France par deux phénomènes. Le premier est l’existence de cinq confédérations syndicales représentatives au niveau national (CGT, CFDT, CGT-FO, CFE-CGC, CFTC), auxquelles s’ajoutent en fonction des branches et des entreprises une demi-douzaine d’organisations présentes nationalement et des dizaines de syndicats « maison ». Le deuxième phénomène est l’éclatement toujours plus spectaculaire du monde du travail. À cet égard les différences opposent moins le privé et le public, comme on se plaît à le croire, que les petites et les grandes structures. Dans les grandes, ne serait-ce que du fait des contraintes réglementaires, on discute, on négocie, et même par gros temps il y a toujours du « grain à moudre ». Les salariés des petites structures sont beaucoup plus mal lotis, pour toutes sortes de raisons. Tout d’abord, la taille de ces structures les exonère souvent de l’obligation de négocier, et faute de compétence des deux côtés (absence de DRH, sections syndicales embryonnaires ou inexistantes) le dialogue social peine à s’y développer. Ensuite, économiquement ces petites structures sont souvent placées à la périphérie des grandes, en position de sous-traitance ou sur des segments moins intéressants de la chaîne de valeur. Enfin, nombre d’entre elles appartiennent au secteur des services, traditionnellement moins armé syndicalement que le monde industriel. Ces trois derniers traits ne sont pas sans évoquer un monde qui nous est familier, l’économie sociale et solidaire et plus particulièrement le monde associatif. Prédominance des petites structures, fragilité économique, appartenance fréquente au secteur des services, l’ESS n’a pas, a priori, tous les atouts en main pour faire référence en matière de dialogue social. Ses objectifs et les valeurs portées par ses dirigeants font d’elle, incontestablement, un modèle en devenir. Certaines conventions collectives du secteur ont longtemps fait référence. Mais dans la pratique conventionnelle et la qualité du dialogue social, beaucoup reste à faire. Cela tient en partie à la nature de l’activité, autant pour des salariés qui sont, plus qu’ailleurs, engagés dans leur métier, que pour des dirigeants qui n’assument pas toujours pleinement leur statut d’employeur. Cela tient aussi, paradoxalement, au fonctionnement institutionnel d’un secteur qui a fait de la délibération démocratique le fondement de sa gouvernance. L’attention portée à cette délibération ne doit pas occulter l’importance du dialogue avec les salariés, corollaire nécessaire du vaste mouvement de professionnalisation entamé il y a plusieurs décennies. Le développement d’une culture du dialogue social est pour le monde associatif l’un des grands enjeux des années à venir. Cette culture se jouera d’abord dans les pratiques. Mais il n’est pas inutile de lui donner quelques références. C’est le sens du présent dossier. ●●Richard Robert dans ce dossier ●●À savoir - Brève histoire du dialogue social à la française ●●Analyse - Les trois espaces de la négociation collective ; par Annette Jobert ●●Enjeux - Repenser le dialogue social ; par Guy Groux - Interview de Bernadette Ségol : « Et l’échelle européenne ? » ●●Focus - Interview d’Alain Cordesse : « Unifier le syndicalisme employeurs dans l’économie sociale » - Interview de Robert Baron : « Nous avons un dialogue social de qualité dans l’ESS » - Animation, du militantisme d’hier à la professionnalisation d’aujourd’hui Rédacteurs en chef du dossier : Ariane Ioannides et Richard Robert Les idées en mouvement le mensuel de la Ligue de l’enseignement n° 221 SEPTEMBRE-OCTOBRE 2014 9. dOssier À Savoir Brève histoire du dialogue social à la française Des corporations au syndicalisme moderne, le monde du travail a connu différents modes de régulation. En France, l’État est partie prenante de l’essor du dialogue social, et au regard de nos voisins européens il conserve une place centrale. L charte établit quelques principes dont le plus fameux, l’indépendance des organisations syndicales par rapport aux organisations politiques, ne sera guère respecté. .10 Les idées en mouvement le mensuel de la Ligue de l’enseignement © Meyer/Tendance Floue es historiens font souvent de la loi Le Chapelier de 1791 une date cardinale dans l’histoire sociale française. Soucieuse de faire disparaître les multiples organisations qui régissaient la vie économique, l’Assemblée nationale met officiellement fin aux corporations : la loi, désormais, est unique et s’applique à tous de la même façon. En réalité, ce moment est moins décisif qu’on ne le croit généralement. Tout d’abord parce que les corporations ont eu vite fait de renaître de leurs cendres, et qu’aujour d’hui encore un certain nombre de professions réglementées (des coiffeurs aux médecins) conser vent une large autonomie dans la définition des qualifications, d’un éventuel numerus clausus, des tarifs. Ensuite parce que la loi de 1791 ne fait qu’anticiper un mouvement qui emporte l’ensemble du monde du travail avec la révolution industrielle. Le syndicalisme moderne, défini comme représentant les intérêts non plus d’un métier (employeurs et salariés compris) mais des seuls salariés, émerge progressivement au XIXe siècle. Ses fonctions sont alors variées, de l’animation des luttes sociales (grèves, caisses de secours mutuel) à l’organisation des travailleurs d’un secteur (tarif syndical, placement des ouvriers via une bourse du travail, dans certains cas contrôle des embauches). Les organisations syndicales sont souvent aux frontières de la légalité (elles ne sont reconnues officiellement qu’en 1884). Surtout actives dans les secteurs les plus durs du monde industriel (mines, textile, métallurgie), elles sont parties prenantes du « mouvement ouvrier » et à ce titre très politisées. La fin du XIXe siècle voit un mouvement de fédéralisation, avec l’émergence d’organisations nationales et notamment de la Confédération générale du travail (CGT) créée en 1895. Lors de son congrès d’Amiens, en 1906, une Le tournant des deux guerres La Première Guerre mondiale est un tournant qui voit les pouvoirs publics, jusque-là très méfiants vis-à-vis du syndicalisme, changer d’optique. La concrétisation du risque révolutionnaire en Russie n’y est pas indifférente, mais c’est aussi un souci de modernisation du pays qui motive les premières tentatives d’organiser le « paritarisme », c’est-à-dire une discussion du Capital et du Travail. Les exemples de l’Allemagne et du Royaume-Uni, aux industries plus avancées, servent de modèle. L’idée est simple : plutôt que d’approfondir la lutte des classes comme le souhaitent les marxistes, il faut discuter et négocier. Mais pour négocier, il faut être deux ! C’est donc sur initiative gouvernementale qu’est créée en 1919 la Confédération générale de la production française, ancêtre du MEDEF. Après 1945, l’émergence de l’État-providence à la française (assurance maladie, assurance vieillesse, branche famille) s’inscrit naturellement dans ce cadre paritaire. Des comités d’entreprise sont créés en 1945, qui dès l’année suivante donnent aux représentants des salariés un droit de regard sur la gestion (obligation de consulter le CE en matière de gestion et de marche de l’entreprise, communication des documents remis aux actionnaires, assistance d’un expert-comptable). L’économie d’après-guerre valorise aussi l’organisation par branches professionnelles (près d’un millier), dans lesquelles sont signées des conventions collectives renouvelées régulièrement. Les principaux objets de négociation sont les salaires et dans une moindre mesure le temps de travail. Dans les grandes entreprises « sociales », comme Renault, des « avantages sociaux » sont également négociés, touchant à des sujets variés comme les vacances. La CGT est dans un premier temps l’acteur essentiel de ce système, à parité avec le Conseil national du patronat français (CNPF). La scission en 1948 de la CGT-FO (anticommuniste) et la montée en puissance de la CFTC vont changer la donne, d’autant qu’à la création de l’Unédic en 1958 la CGT ne signe pas le texte : c’est la CGT-FO qui présidera l’organisme en alternance avec le CNPF. En 1964, la CFTC (Confédération française des travailleurs chrétiens) se déconfessionnalise et devient CFDT (Confédération française démocratique du travail). Une partie de l’organisation refuse cette évolution et une « CFTC maintenue » apparaît. Un arrêté de 1966 fige ce paysage en stipulant la présomption « irréfragable » de représentativité des cinq syndicats d’audience nationale (CGT, CGT-FO, CFTC, CFDT, CGE-CGC). D’autres syndicats apparaîtront entre-temps (SUD, l’UNSA), mais jusqu’à la réforme du 20 août 2008, au niveau des branches et des entreprises (mais pas au niveau interprofessionnel), les représentants de ces syndicats ont le pouvoir de négocier avec le patronat – même si leur représentativité réelle est très faible. Ainsi se dessinent les principales caractéristiques du dialogue social à la française : des partenaires sociaux divisés, à la représentativité n° 221 discutable, théoriquement dotés d’un grand pouvoir aussi bien au sein des entreprises que dans la gestion du modèle social. Concurrence et forte politisation La division syndicale favorise un certain pluralisme, mais nourrit aussi une concurrence qui a pour revers une forte politisation : le syndicalisme français, plus que ses homologues européens, est contaminé par la politique dans ce qu’elle a de moins constructif : raidissement idéologique, envolée rhétorique au détriment des actes, jeux d’appareils au détriment de la stratégie, oubli, parfois, du bien commun. Nul doute que ces postures sont favorisées par les tactiques et stratégies d’un patronat qui à tendance à voir dans le syndicalisme une source de nuisance et n’hésite pas à jouer sur la division pour faire prévaloir ses intérêts. Au total, la division favorise une culture de défiance et de postures politiciennes, qui n’est pas propice à la tenue d’un dialogue social de qualité. Autre travers de ce modèle, l’ins titutionnalisation a pour revers une certaine fragilité. Tout d’abord, tous les salariés bénéficient des accords signés, qu’ils soient ou non syndiqués. Cela favorise des comportements relevant de ce que l’économiste Mancur Olson appelait le « passager clandestin ». Par opposition, dans les pays scandinaves être syndiqué ouvre des droits sup plémentaires à l’assurance chômage, par exemple, ou en matière SEPTEMBRE-OCTOBRE 2014 de reclassement. En France, le déclin du nombre d’adhérents, passé de 5 millions en 1945 à moins de 2 millions aujourd’hui, s’explique en partie par la relativement faible utilité d’être syndiqué. De ce fait, les organisations tendent à se concentrer sur leur appareil militant, au lieu de se tourner vers les adhérents. Une loi de 2008 a tenté de corriger les principaux défauts de ce modèle. Une de ses dispositions est de mettre fin à la fameuse « présomption irréfragable de représentativité », et donc d’ouvrir le jeu. Autre disposition, auparavant un accord d’entreprise était valable s’il était signé par une organisation syndicale représentative. Ce qui a généré des comportements de passager clandestin parmi les organisations, tentées de critiquer des accords qu’elles n’avaient pas besoin de signer puisqu’il suffisait qu’une autre s’engage. Le Parlement a mis fin à cette logique, en permettant à une majorité d’opposants de dénoncer un texte. La loi de 2008 pourrait permettre une simplification du paysage, avec deux ou trois grandes organisations au lieu de cinq. On peut espérer que les acteurs issus de ce mouvement de consolidation seront moins soumis à la tentation de la chaise vide, et que la culture de défiance qui marque le dialogue social à la française, au profit d’une culture de confiance et de responsabilité. ●●Richard Robert dOssier Analyse Les trois espaces de la négociation collective À travers une étude des trois niveaux principaux de négociation, Annette Jobert 1 met en évidence des dynamiques contrastées : affaiblissement de la branche, renforcement de l’interprofessionnel, suprématie de l’entreprise. E n France, comme dans la plupart des pays industrialisés, la négociation collective est née au XIXe et s’est institutionnalisée progressivement au cours du XXe siècle. Stimulée par son encadrement juridique, par l’action de l’État et les mobilisations des salariés (comme à la Libération, en mai 1968, en 1995 ou plus récemment en 2003 et en 2010), la négociation collective s’est depuis un demi-siècle considérablement développée et transformée. À la négociation dans le cadre des branches professionnelles, se sont ajoutés d’autres niveaux de négociation : l’interprofessionnel et l’entreprise. Dans le même temps, aux thèmes traditionnels que sont le salaire et le temps de travail, venaient s’agréger d’autres sujets comme l’emploi, les restructurations, l’égalité professionnelle, la lutte contre les discriminations et le harcèlement, etc. L’affaiblissement de la négociation de branche La négociation de branche reste le pivot de la régulation contractuelle (c’est-à-dire issue d’accords collectifs conclus entre les organisations syndicales et patronales) car c’est à ce niveau que sont négociées les conventions collectives du secteur privé (par exemple celles de la métallurgie, du bâtiment, de la pharmacie, de la grande distribution, etc.). Définissant les conditions d’emploi, de rémunérations (salaires minima par niveaux de qualification, primes) et de protection sociale des salariés, la convention collective, dès lors qu’elle a fait l’objet d’un arrêté d’extension pris par le ministère du Travail, s’applique à toutes les entreprises de la branche. 97 % des salariés du secteur privé ainsi sont couverts par des conventions collectives. Mais depuis une quinzaine d’années, la régulation de branche fait l’objet d’un feu nourri de la part du patronat. Elle imposerait aux entreprises des règles uniformes au mépris de leur diversité et, par accroissement du coût du travail, elle entraverait leur compétitivité dans un environnement de plus en plus problématique. D’où la tendance à l’affaiblissement de cette négociation évoluant vers un rituel creux. C’est spécialement vrai de la négociation salariale qui fixe les minima par niveau de qualification. Elle régresse fortement alors qu’elle se situait au cœur d’une activité con ventionnelle ayant pour fonction d’égaliser les conditions de la con currence entre firmes sur un marché. La négociation interprofessionnelle, décisive pour les réformes Deuxième espace de négociation, celui de la négociation interprofessionnelle dont sont parties prenantes les cinq confédérations syndicales représentatives au plan national et les trois confédérations patronales. Elle a pour objectif d’énoncer des règles, des principes et des orientations relatifs aux grands dispositifs sociaux comme l’assurance chômage, les retraites complémentaires, la formation professionnelle, l’emploi, la pénibilité, etc. Généralement repris dans des lois, les accords interprofessionnels donnent aussi souvent lieu à des négociations de branche pour en préciser le con tenu. Ils sont parfois destinés à met tre en œuvre, dans l’espace national, des accords conclus au niveau européen (comme ceux sur le télétravail ou le stress au travail). Ils résultent aussi pour partie d’initiatives de l’État qui entend ainsi faire partager la responsabilité des réformes aux acteurs du monde du travail. Il y est contraint, du reste, par la loi du 31 janvier 2007 qui impose au gouvernement d’engager une concertation préalable avec les organisations représentatives lorsqu’il envisage une réforme portant sur le travail, l’emploi et la formation professionnelle. Par les domaines abordés qui s’inscrivent souvent dans le champ des politiques publiques, par son impact social, la négociation interprofessionnelle a donc une dimension politique évidente. Elle informe sur les stratégies des acteurs et leur recomposition, les positions doctrinaires, l’état du jeu social. Quatre accords récents illus trent l’importance de ces négociations : l’accord de 2008 sur la représentativité des organisations syndicales, ceux de 2013 sur la sécurisation de l’emploi et sur la formation professionnelle, la nouvelle convention d’assurance chômage de 2014. Les négociations suscitent de nombreux débats, faisant apparaître de profonds clivages entre les syndicats. La décentralisation de la négociation vers l’entreprise La loi de 1982 qui impose aux entreprises ayant au moins un délégué syndical une négociation annuelle obligatoire sur les salaires et l’organisation du temps de travail marque le début de l’essor de la négociation d’entreprise. Sa progression continue s’est accompagnée d’une diversification. Aux thèmes traditionnels (salaires et primes, temps de travail, prévoyance, droit syndical, instances représentatives du personnel) sont venus s’ajouter d’autres thèmes comme l’épargne salariale, des questions extrêmement diverses relatives à l’emploi et aux conditions de travail, aux restructurations, à l’égalité professionnelle, aux luttes contre les discriminations, au harcèlement. Si les salaires et le temps de travail restent dominants, la part des autres thè mes tend à augmenter, en raison notamment des incitations et obligations à négocier imposées par le législateur. Ainsi la loi de 2003 impose aux entreprises d’au moins 300 salariés une négociation triennale « portant sur les modalités d’information et de consultation du comité d’entreprise, sur la stratégie d’entreprise et ses effets prévisibles sur l’emploi ainsi que sur les salaires ». Cette négociation Les idées en mouvement porte aussi sur la mise en place d’un dispositif de Gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) ainsi que sur les conditions de maintien dans l’emploi des salariés âgés. Pour relancer la négociation d’entreprise sur des thèmes sensibles comme les licenciements économiques et les restructurations, fortement encadrés par la législation, la loi donne aussi aux entreprises la possibilité de négocier des accords de méthode pouvant déroger à certaines règles légales. On peut également mentionner les incitations fiscales pour négocier les questions d’égalité professionnelle ou d’emploi des seniors qui ont beaucoup progressé ces dernières années. Les nouvelles règles de 2008 font dépendre la représentativité des syndicats de leur implantation effective mesurée par les résultats qu’ils obtiennent aux élections professionnelles. Cela tend à accroître la légitimité de la négociation d’entreprise. Cette dernière connaît une sérieuse limite : les salariés des très petites entreprises y échappent encore largement faute d’une présence syndicale. La négociation collective occupe une place majeure et reconnue dans le système français de relations professionnelles. Les accords sont là, la capacité des ac- le mensuel de la Ligue de l’enseignement n° 221 teurs à innover et à inventer de nouvelles règles aussi. L’enjeu majeur est désormais celui de l’efficacité des accords (notamment interprofessionnels et d’entreprise) et de leur capacité à avoir prise sur le changement : comment leur donner une réelle portée pour l’en treprise et pour les salariés, y compris ceux qui ont des statuts précaires ? Quelle dynamique peuvent-ils créer qui soit à la fois bénéfique pour l’entreprise con frontée à des transformations continues et pour les salariés dont l’emploi et les trajectoires professionnelles doivent être garantis ? C’est là le défi majeur auquel doit faire face la négociation singulièrement en temps de crise. ●●Annette Jobert 1. Annette Jobert est directrice de recherche au CNRS, IDHES/École normale supérieure de Cachan. Elle a notamment codirigé avec Antoine Bevort, Michel Lallement et Arnaud Mias un Dictionnaire du travail (Presses Universitaires de France, 2012). SEPTEMBRE-OCTOBRE 2014 11. dOssier Enjeux Repenser le dialogue social La période actuelle est marquée par de fortes évolutions du dialogue social. Certaines sont initiées par le politique tandis que d’autres se situent à des niveaux de plus en plus locaux. L’ensemble de ces évolutions traduit une transformation de notre modèle social. Transformation inachevée, explique Guy Groux 1, pour qui « nous sommes au milieu du gué ». avait, de fait, une importance historique. Dans un pays longtemps marqué par l’intervention de l’État sur la négociation collective, elle constitue une véritable « révolution institutionnelle » car elle institue une autonomie accrue de la négociation face au législateur. Elle donne ainsi lieu à un nouvel ordre social. On a pu parler d’un « ordre social négocié », voire d’« action publique négociée ». © Olivier Culmann/Tendance Floue D ès la campagne présidentielle, François Hollande avait montré un réel volontarisme dans le domaine du dialogue social, allant jusqu’à proposer d’en faire un droit constitutionnel, au même titre que le droit de grève, par exemple. Dès le début de son quinquennat, le dialogue social était affiché comme l’une des missions essentielles du ministère du Travail aux côtés de l’emploi et de la formation professionnelle. L’intitulé du ministère faisant explicitement mention du dialogue social était un signe politique et symbolique à la fois significatif et inédit. L’essor de la négociation d’entreprise Au niveau gouvernemental, les conférences sociales réunissant le Premier ministre, certains ministres et les partenaires sociaux furent mises en place dès 2012 et connaissent depuis une périodicité au moins annuelle. Il ne s’agit pas là de « grand’messe », mais plutôt d’une concertation au sommet afin de définir un agenda de négociations pour les mois à venir. Enfin, par diverses injonctions, les pouvoirs publics incitent les entreprises à prendre en charge par la négociation telle ou telle question comme les « emplois jeunes », les discriminations ou d’autres thèmes. Ces initiatives s’inscrivent dans une évolution des rapports entre la négociation collective et le législateur. En janvier 2007, l’adoption d’une loi autorise les partenaires sociaux à signer des accords interprofessionnels en vue de trans former le droit du travail. Dès 2008, elle donne lieu à des accords, suivis par des votes au Parlement, qui modifièrent des textes juridiques d’importance comme la validation des accords dans l’entreprise, les critères de représentativité des syndicats, l’extension des droits à la formation professionnelle pour les salariés des petites entreprises, ou encore les liens entre sécurisation de l’emploi et compétitivité. La loi de 2007 fut soutenue par les principaux candidats de l’élection présidentielle, de François Bayrou à Ségolène Royal. Elle Ces évolutions récentes du dia logue social ne se firent pas sans paradoxes. Alors que les initiatives du pouvoir politique se situaient à un niveau centralisé, on allait assister à un dialogue social de plus en plus disséminé, à une démocratie sociale de plus en plus éclatée. En effet, la période est marquée non seulement par l’essor de la négociation d’entreprise mais aussi par une autonomie de celle-ci face à la branche. En fait, de plus en plus de thèmes négociés ne peuvent l’être de façon efficace qu’au niveau de l’entreprise ou en rapport direct à la production. C’est le cas de la Gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC), de la compétitivité et de son lien aux emplois existants, de la mobilité, de la polyvalence des organisations du travail, des risques psycho-sociaux, des discriminations, etc. Concrètement, trois aspects montrent bien l’affirmation de plus en plus massive de la négociation d’entreprise. En premier lieu, la progression quantitative et exponentielle du nombre des accords locaux. En 1978, Jean-Daniel Reynaud – l’un des plus grands spécialistes des relations professionnelles en France – jugeait que la négociation d’entreprise était rare et constituait une exception face à la négociation de branche. Depuis, les choses se sont considérablement modifiées grâce notamment aux lois Auroux (1982) sur l’obligation annuelle de négocier dans les entreprises. Dans les années 20002010, 35 000 à 40 000 accords d’entreprise sont signés en moyenne annuelle. .12 Les idées en mouvement le mensuel de la Ligue de l’enseignement une révolution institutionnelle En second lieu, on assiste à la multiplication d’accords dérogatoires, autorisés dès les années 1980 par les lois Auroux puis con fortés par les divers dispositifs juridiques mis en place au milieu des années 2000 par François Fillon comme ministre du Travail puis comme Premier ministre. Enfin, jouent des critères plus qualitatifs qui se situent au niveau du contenu des accords. Parce qu’elle s’applique à des thèmes très mouvants ou flous comme la compétitivité, l’emploi et les compétences, la mobilité, les flexibilités négociées, les discriminations, le stress, la négociation d’entreprise fait souvent preuve d’innovation. Les accords les plus innovants ne proviennent plus, comme ce fut longtemps le cas, du niveau national ou de la négociation de branche, mais des accords d’entreprise, surtout ceux conclus dans les grands groupes. Vers de nouveaux référentiels ? Ainsi, la montée des accords d’entreprise n’est pas seulement due à l’existence de stratégies patronales visant à privilégier des rapports de force locaux. Elle est due aussi – voire surtout ? – à une redéfinition des enjeux de la négociation et des rapports entre les différents niveaux où elle s’exerce. On assiste ainsi depuis quelques années à une recompo- n° 221 sition poussée du dialogue social et plus largement de la démocratie sociale. De l’après-1945 aux années 1990-2000, le dialogue social se définissait surtout au niveau national, comme l’attestait alors l’influence des accords interprofessionnels ou des accords de branche sur les négociations d’entreprise. Aujourd’hui, les référents qui se dé finissent au niveau national ne sont plus toujours en mesure d’influer de façon satisfaisante sur un dialogue social qui se détermine de plus en plus en fonction d’enjeux directement liés à la production et sous une forme locale. Mieux, dans de nombreux cas, du fait de leurs aspects innovants, les accords des grands groupes deviennent de véritables référentiels pour un grand nombre d’entreprises alors que le niveau de la branche est à leurs yeux, de plus en plus déprécié. Au total, la négociation collective dans son ensemble s’est autonomisée par rapport au législateur. Cette évolution se situe dans le droit fil de la loi de janvier 2007 et des différents accords interprofessionnels signés dans ce cadre. Mais elle reflète aussi un mouvement de fond relevant d’un contexte plus général, qui voit au niveau des entreprises la négociation s’exercer de façon plus autonome, voire se constituer comme un référentiel de plus en plus conséquent. SEPTEMBRE-OCTOBRE 2014 Ces changements sont significatifs. Ils attestent l’évolution de notre économie et incidemment du modèle social qui permet de la réguler. On pourrait dire, à cet égard, que nous sommes au milieu du gué, et que ces évolutions obli gent à réviser certains aspects d’importance. La tendance à la pri mauté de la négociation d’entreprise, en particulier, devrait con duire à repenser les fonctions de certaines instances représentatives du personnel (comme le comité d’entreprise ou le CHSCT) et à revaloriser le rôle des délégués du personnel, ces représentants des salariés toujours plus en contact avec les conditions concrètes de la production et le « ressenti » des travailleurs à la base, face au produit. Elle devrait aussi conduire à rechercher plus activement de nouvelles articulations entre la négociation collective et le travail législatif. C’est aujourd’hui un enjeu crucial. ●●Guy Groux 1. Guy Groux est chercheur au Centre d’étude de la vie politique française (Sciences Po). Il a publié de nombreuses études sur le syndicalisme et l’action collective. Parmi ses livres, La Grève (Presses de Sciences Po, 2008). dOssier Et l’échelle européenne ? Né avec le Traité de Rome, le dialogue social européen a pris son essor dans les années 1980 et constitue aujourd’hui l’un des éléments d’un « modèle social européen » encore inachevé. Qui en sont les acteurs et comment fonctionne-t-il ? Le point avec Bernadette Ségol, secrétaire générale de la Confédération européenne des syndicats 1. Les Idées en mouvement : Comment s’organise le dialogue social au niveau européen ? Bernadette Ségol : Partons du niveau interprofessionnel, celui qui traite de sujets touchant l’ensemble des salariés quels que soient les secteurs dans lesquels ils travaillent. Les partenaires sociaux reconnus au niveau interprofessionnel sont la Confédération européenne des syndicats, côté salariés, et trois organisations patronales : Business Europe, qui comprend des organisations comme le Medef, l’Union européenne de l’artisanat et des petites et moyennes entreprises (UEAPME) qui représente essentiellement les PME et dont est membre la CGPME française, et la Confédération européenne des entreprises publiques (CEEP), dont est membre, par exemple, EDF. Ces partenaires sociaux sont parties prenantes du travail d’élaboration des normes mené au niveau européen. L’article 154 du Traité européen précise que la Commission a pour tâche de promouvoir la consultation des partenaires sociaux au niveau de l’Union « et prend toute mesure utile pour faciliter leur dialogue en veillant à un soutien équilibré des parties ». En outre, cet article oblige formellement la Commission à consulter les partenaires sociaux sur les initiatives sociales. Encore faut-il que la Commission prenne des initiatives en matière sociale… et à cet égard il faut bien dire que cela n’a guère été le cas de la Commission Barroso, si l’on excepte le travail mené sur l’emploi des jeunes et l’encadrement du régime des stages. Au début des années 2000, au contraire, des initiatives très intéressantes avaient été prises pour harmoniser au niveau européen les textes sur le temps partiel, le congé parental, les CDD. Ces dernières années, le travail a donc plutôt été mené sur une base volontaire, à l’initiative des partenaires sociaux. L’interprofessionnel ne constitue qu’un volet de l’activité conventionnelle. Que se passe-t-il aux autres niveaux ? Il existe parallèlement, depuis 1998, une trentaine de plateformes sectorielles dans des secteurs aussi divers que les services, les transports, les administrations publiques, mais aussi le football, la pêche, ou l’électricité. Certaines de ces plateformes sont très actives et leurs accords peuvent faire référence : je pense par exemple à l’accord européen des partenaires sociaux de l’agriculture sur les troubles musculo-squelettiques, qui a été regardé de près par d’autres secteurs confrontés au même problème. Ces plateformes ont pour particularité d’intégrer des acteurs nationaux. Elles contribuent à confronter les approches entre pays, elles permettent aux acteurs d’un secteur donné de se parler, de s’entendre sur certains principes, certaines règles. Du point de vue de la Commission, cela permet d’harmoniser les conditions de la concurrence. C’est important, car même au sein de l’Europe la tentation du dumping social existe. L’enjeu pour nous est d’abord et avant tout de faire progresser les droits de tous les travailleurs. Il faudrait enfin citer l’existence du comité d’entreprise européen, qui con cerne les entreprises de dimension européenne (celles qui emploient plus de 1 000 travailleurs dans les pays membres de l’UE et 150 travailleurs ou plus dans au moins deux États-membres). Mais le comité d’entreprise européen ne négocie pas. Il est informé sur les questions qui concernent tout le groupe ou des établissements présents dans au moins deux pays, et il est également habilité à émettre un avis. Il peut par ailleurs travailler avec les organisations syndicales nationales qui négocient, au sein d’un groupe présent dans plusieurs pays de l’UE, un accord-cadre européen. Revenons à l’interprofessionnel et à la Confédération européenne des syndicats. Les textes que vous signez au niveau européen s’appliquent-ils automatiquement au niveau national ? Non, bien sûr, et la mise en œuvre des accords interprofessionnels n’est pas toujours évidente. Tout d’abord ces textes n’ont pas en eux-mêmes de valeur con traignante. Ils peuvent acquérir une valeur normative plus forte en étant transposés dans une directive. Mais les Étatsmembres conservent une large part de souveraineté en la matière et ils peuvent bloquer ou retarder la transposition d’une directive. Or vous comprenez que ces ac- Les idées en mouvement cords n’ont de sens et de pertinence que si tous les pays ou presque les appliquent. On tombe ici sur une limite du modèle social européen : il ne peut y avoir de dialogue social valable et intéressant au niveau européen que si c’est aussi le cas dans les pays membres. « Il ne peut y avoir de dialogue social valable et intéressant au niveau européen que si c’est aussi le cas dans les pays membres. » La question s’est posée récemment dans certains pays affaiblis par la crise et par la Troïka. Je ne pense pas seulement à la Grèce, mais aussi à la Pologne, un pays qui ne se porte pas mal économiquement. Nos syndicats ont quitté les négociations qui devaient permettre de transposer les accords sur le stress car ils ont compris que ce n’était pas sérieux : leurs homologues patronaux n’avaient pas vraiment l’intention de s’attaquer au sujet, et se contentaient de faire acte de présence. Ailleurs, ce sont les gouvernements qui n’étaient pas favorables à la transposition de cet accord. Or on ne parvient à rien sans un soutien politique et matériel des gouvernements. La situation est différente en Belgique, par exemple, où vous avez un syndicalisme fort et où l’existence d’un Conseil national du travail peut offrir un recours. D’une façon générale, le dialogue social est plus compliqué aujourd’hui qu’au début des années 2000, quand on avait créé le CE européen ou signé les accords sur le télétravail en 2002 ou le stress en 2004. La clé de tout, tant au niveau européen qu’au niveau national, c’est d’avoir un bon partenaire employeur. Il y a des pays où c’est le cas, et cela explique en grande partie leurs succès économiques : je pense à l’Allemagne, aux pays nordiques… Il semble difficile de faire avancer tout le monde au même rythme… Assurément, et on se heurte ici à des différences historiques et culturelles qu’on ne peut pas effacer d’un revers de main. Je ne pense d’ailleurs pas qu’il soit souhaitable de les harmoniser : la richesse de l’Europe, c’est aussi sa diversité, y compris celle de ses modèles sociaux. En revanche, il me paraît essentiel de faire en sorte que les participants comprennent mieux l’autre culture. À cet égard nous observons de réels progrès, notamment grâce aux CE européens qui sont des lieux de confrontation et d’échange. C’est dans ces lieux « invisibles » que le modèle social européen, pas à pas, se construit. L’activité de la CES et de ses homologues patronaux n’est pas déconnectée de cette construction « décentralisée ». Mais au niveau européen on est dans le fondamental, pas dans les détails. Ce que nous négocions, c’est ce qui permet de trouver un terrain d’entente. Et croyez-moi, ce n’est pas rien ! ●●Propos recueillis par Richard Robert 1. La Confédération européenne des syndicats est la principale organisation syndicale européenne. Réunissant 85 organisations nationales qui représentent ensemble plus de 60 millions d’adhérents, elle compte notamment parmi ses membres la CFDT, la CFTC, la CGT, la CGT-FO, la FSU et l’UNSA. le mensuel de la Ligue de l’enseignement n° 221 SEPTEMBRE-OCTOBRE 2014 13. dOssier Focus « Unifier le syndicalisme employeurs dans l’économie sociale » L’Usgeres, devenue l’Udes (Union des employeurs de l’économie sociale et solidaire) en 2013, a fêté cette année ses 20 ans. L’occasion pour Alain Cordesse 1, son président depuis 2005 et vice-président de la Ligue de l’enseignement, de revenir sur l’histoire de la structuration des employeurs de l’ESS et de l’UDES, une organisation reconnue comme multiprofessionnelle au niveau national depuis la loi du 5 mars 2014. Alain Cordesse : L’Usgeres a formulé sa première demande officielle de représentativité en 2009 à Xavier Bertrand et François Fillon, alors ministre du Travail et Premier ministre. La demande a été déboutée par le Conseil d’État en 2012 après une requête en contentieux demandant que nous soyons reconnus au même niveau que la FNSEA (agriculteurs) et l’UNAPL (professions libérales). Depuis, avec le changement de gouvernement, nous avons été invités à participer aux conférences sociales de 2012, 2013 et 2014. Un représentant de l’UDES siège en qualité de personnalité qualifiée au conseil d’orientation pour l’emploi depuis début 2013. sultés par les organisations interprofessionelles en amont et avant la signature des ANI (Accords nationaux interprofessionnels), d’accéder au financement du paritarisme et d’intégrer la CNNC (Commission nationale de la négociation collective). « Fallait-il affirmer clairement le terme “patronal” ? Nous avons eu de vrais échanges sur ce sujet sans jamais renier nos spécificités et nos valeurs. » Vous avez toujours souhaité que l’UDES soit reconnue en tant que partenaire social à part entière. Comment cette quête a-t-elle été perçue ? femmes et les hommes dans l’économie sociale et solidaire. Dès sa création, l’Usgeres avait vocation à réunir l’ensemble des employeurs, quels que soient leurs regroupements, se reconnaissant dans l’économie sociale… Oui, nous voulions réunir audelà du collège employeurs d’Uniformation et présenter un front uni vis-à-vis des organisations syndicales de salariés, en particulier dans le domaine de la formation professionnelle continue. En 2004, l’Union, qui comptait alors 21 membres, s’est dotée d’une réelle capacité de négociation d’accords collectifs de travail pour le compte et sur mandat express de ses membres. Débute alors un travail de fond sur la formation professionnelle, en lien avec l’UNIFED (qui représente la branche professionnelle du secteur sanitaire, médico-social et social) et le GEMA (Groupement des entreprises mutuelles d’assurance). Le premier accord est signé le 22 septembre 2006. C’est l’accord sur la formation professionnelle tout au long de la vie dans l’économie sociale, qui, outre une disposition visant à aligner les taux de la formation professionnelle sur 1,60 % de la masse salariale brute selon la taille de l’entreprise, avait pour objectif de définir un champ de négociation propre à l’économie sociale et solidaire, qualifié d’abord de champ interpro fessionnel. Cet accord sera étendu en août 2010 après un maelström juridique et contentieux en Conseil d’État sur le champ de l’accord et sa qualification d’accord interprofessionnel. Finalement, l’Usgeres aura mis quatre ans pour qu’un champ multiprofessionnel de l’économie sociale et solidaire soit reconnu par la direction générale du travail, ce qui constitue une avancée importante dans la reconnaissance de la fonction em- Lors de la conférence de l’Usgeres en octobre 2012, nous avons réuni dans le cadre d’une même table ronde – ce qui était une première – le MEDEF, la CGPME, l’UPA, la FNSEA et l’UNAPL. Le 30 janvier dernier, nous avons signé avec ces cinq organisations un protocole d’accord sur l’organisation du dialogue social et la représentativité des organisations patronales. La loi du 5 mars 2014 a repris en grande partie les contenus de ce protocole en définissant un niveau de représentativité multiprofessionnel à côté du niveau interprofessionnel, dans lequel l’UDES aura toute sa place, à côté de la FNSEA et de l’UNAPL. Cette évolution majeure nous permettra de siéger au CNEFOP (Conseil national de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelles) et dans les CREFOP et d’être con Nous avons eu des débats identitaires en amont et même après les élections prudhommales de 2008 qui, chacun le sait, ont été un vrai succès pour les employeurs du secteur dans le cadre de l’Association des employeurs de l’économie sociale (AEES). Avec plus de 19 % des voix toutes sections confondues et 35 % là où nous avions des candidats, l’AEES s’est imposée comme la deuxième force après l’Union des employeurs. Fallait-il alors affirmer clairement le terme « patronal » ? Nous avons eu de vrais échanges sur ce sujet sans jamais renier nos spécificités et nos valeurs, comme en témoigne le travail que nous avons réalisé sur la responsabilité sociale des employeurs de l’ESS et les déclinaisons qui s’en sont suivies en ter mes d’outillage de la fonction employeurs. Cette année, l’UDES vient de finaliser une déclaration commune paritaire sur le dialogue social territorial et envisage d’ouvrir la négociation en fin d’année d’un accord sur l’égalité entre les .14 Les idées en mouvement le mensuel de la Ligue de l’enseignement Vous avez récemment signé un protocole d’accord avec les cinq organisations patronales ? n° 221 © Benoît Debuisser Les Idées en mouvement : L’UDES est aujourd’hui partie prenante du dialogue social. Comment expliquer cette évolution ? ployeur dans le secteur, l’Usgeres puis l’UDES, négociant avec les cinq confédérations syndicales de salariés. En parallèle, la négociation d’accord multiprofessionnel s’est poursuivie avec en 2010, un accord sur la prévention des risques psychosociaux dont le stress au travail ; en 2011, trois accords sur les parcours d’évolution professionnelle, sur la formation des dirigeants bénévoles et les parcours d’évolution professionnelle et sur l’égalité et la prévention des discriminations et en 2014, la signature d’un accord sur l’insertion professionnelle et l’emploi des jeunes. Qu’est-ce qui a motivé la création de l’UDES ? C’est la volonté commune d’unifier le syndicalisme employeurs dans l’économie sociale. L’Union a travaillé à la redéfini tion de ses contours, en lien avec le SYNEAS (Syndicat des employeurs associatifs de l’action sociale et médico-sociale) qui a été le premier membre de l’UNIFED à souhaiter rejoindre la dynamique commune. Depuis, la FEGAPEI (Fédération nationale des associations gestionnaires au service des personnes handicapées) et la Croix-Rouge ont décidé de nous rejoindre. L’UDES a donc réussi à fédérer les anciens membres de l’Usgeres et la majorité des membres de l’UNIFED dans une structure com mune, qui regroupe à présent 26 membres, 70 000 entreprises qui emploient plus d’un million de SEPTEMBRE-OCTOBRE 2014 salariés, soit un salarié sur deux de l’économie sociale et solidaire. Il n’y a qu’une seule organisation, dans l’économie sociale et solidaire, qui réunit à la fois associations, coopératives et mutuelles autour de la fonction employeur. Ces trois composantes agissent de concert dans l’intérêt général. À l’avenir, de nouveaux adhérents viendront probablement s’agréger à cet élan. Le militantisme patronal aura sans doute changé de visage. Le paysage des branches professionnelles évoluera également et les acteurs du dialogue social seront probablement moins nombreux qu’aujourd’hui. Mais je suis fier du travail collectif réalisé ainsi que des résultats obtenus. ●●Propos recueillis par Ariane Ioannides 1. Alain Cordesse est militant associatif, syndical et politique depuis 1966. Élu local pendant 19 ans, longtemps délégué général de la Ligue de l’enseignement du Val-de-Marne, il a été le président fondateur du CNEA (Conseil national des employeurs associatifs). Il est, entre autres, vice-président du CSESS (Conseil supérieur de l’économie sociale et solidaire), vice-président du CEGES (Conseil des entreprises et employeurs gestionnaires dans l’économie sociale), membre du CNEE (Conseil national éducation économie) et personnalité associée au CESE (Conseil économique, social et environnemental). dOssier « Nous avons un dialogue social de qualité dans l’ESS » Robert Baron est président d’Uniformation, principal organisme paritaire collecteur agréé (OPCA) de l’économie sociale et solidaire. Militant à la Ligue de l’enseignement, animateur, employeur associatif pendant 30 ans, ancien secrétaire général de l’UNODESC (Union nationale des organismes de développement social, sportif et culturel), il aborde les spécificités du dialogue social dans l’ESS. Robert Baron : Dès les années 80, nous avons eu le souhait de travailler à la structuration des employeurs dans le domaine de l’éducation populaire et de la jeunesse, secteur qui n’était malheureusement pas bien pris en compte, voire était délaissé. Dans l’entreprise, dans la branche et plus largement au-delà de l’interbranche, si l’on souhaite un véritable dialogue, il faut que chacun joue son rôle. La confusion entre le dirigeant et le salarié n’est pas saine et on ne peut pas créer de dialogue avec un employeur qui s’assume à contrecœur. Il a fallu trouver un certain nombre de réponses : conventions collectives, contrats de travail adaptés, classification des salaires, formation, protection sociale… Existe-t-il une spécificité du syndicalisme employeur dans l’économie sociale et solidaire ? Il en existe principalement trois. La première, c’est d’être au sein de l’économie sociale et solidaire d’abord un mouvement d’idées et ensuite une entreprise. Le secteur marchand est avant tout une entreprise se posant la question de son développement et de ses résultats économiques. La deuxième spécificité est liée à notre construction. À la Ligue de l’enseignement, faire accepter l’idée aux dirigeants de fédérations d’être patrons n’a pas été facile. La plupart, étaient avant tout militants de l’organisation et engagés au niveau de la vie démocratique et sociale. Il y a là un côté un peu schizophrénique mais c’est notre réalité, qui est très vraie à la Ligue et dans les autres mouvements laïques et plus largement au sein de l’économie sociale et solidaire. Enfin, la troisième particularité est que les syndicats sont convaincus de la pertinence de nos organisations et que nous développons des projets acceptables contribuant au mieux-être des citoyens. C’est un regard politique plutôt favorable ; leur attente n’en est que plus forte. Si des points de blocage persistent tels les salaires ou les classifications, nos points de vue peuvent converger sur certains aspects comme la protection sociale ou la formation professionnelle. Quel regard portent sur vous les organisations patronales ? Il a évolué, surtout depuis 2002 avec notre percée aux élections prudhommales. Avant, associatifs, mutualistes, coopératifs n’étions pas considérés comme de véritables employeurs. On nous disait : « Ce n’est pas votre argent personnel que vous mettez sur la table, c’est le produit de l’impôt. » Tout le discours que l’on entendait sur « vous croulez sous l’argent public » s’estompe progressivement. Mais si le regard a évolué, c’est aussi parce que nous avons démontré que nos propositions étaient constructives et responsables. « Nous avons cette capacité à trouver des réponses à l’atypisme de nos situations. » Comment qualifier notre dialogue social ? Je dirais qu’il est de qualité. Pour parler de la convention collective de l’animation, par exemple, nous avons près de 150 avenants modificatifs au texte initial. Nous avons cette capacité à trouver des réponses © Uniformation Les Idées en mouvement : Quand la Ligue a-t-elle passé le cap du syndicalisme employeur ? à l’atypisme de nos situations, notamment autour du périscolaire, de l’enseignement de la musique ou du déroulement de carrière des salariés. Dans le secteur du tourisme social et familial, le dialogue social est plus contraint en raison de la proximité d’autres secteurs tels l’hôtellerie et la restauration ou les espaces de loisirs. Il existe près de 700 conventions collectives dans notre pays, la moitié de ces secteurs professionnels signent très peu d’accord chaque année. Les partenaires sociaux de l’ESS se situent plutôt dans le camp d’un dialogue social dynamique et constructif. Enfin la représentativité de l’UDES au niveau multiprofessionnel constitue un atout supplémentaire pour chacune des branches professionnelles de l’économie sociale et solidaire. ●●Propos recueillis par Ariane Ioannides Animation, du militantisme d’hier à la professionnalisation d’aujourd’hui À l’occasion des 20 ans de la convention de l’animation en 2008, les partenaires sociaux ont témoigné 1 sur les étapes qui ont rythmé la création puis les évolutions de leur secteur. C’ est à la fin des années 1960 que la professionnalisation des métiers de l’animation va prendre son essor. Elle naît de la convergence de deux volontés : celle du ministère du Travail de généraliser la couverture conventionnelle des salariés, dans le secteur associatif comme dans d’autres. Celle des responsables associatifs – dirigeants comme représentants des salariés – pour lesquels l’existence de nombreux accords collectifs dans les grandes associations soulignait encore plus vivement leur absence dans la myriade de petites associations qui composent le secteur. Dans un premier temps, les responsables associatifs sont confrontés à une apparente « opposition » militants-professionnels. Si ce cheminement perdure encore un peu, l’entrée dans cette filière est moins liée à l’action militante, comme elle l’était au départ. Le 28 juin 1988, l’animation – dite socioculturelle à l’époque – signait donc sa première convention collective. L’animation devenait une « branche professionnelle », avec son « champ d’activités », ses « partenaires sociaux », ses « accords et avenants ». Les idées en mouvement 150 000 salariés, 14 000 entreprises associatives La branche animation couvre environ 150 000 salariés, répartis dans 14 000 entreprises associatives, dont les domaines d’activités sont pour l’essentiel les activités culturelles et les activités scolaires et périscolaires. Les salariés qui travaillent dans ce secteur sont majoritairement sur des postes d’animation et de développement. le mensuel de la Ligue de l’enseignement n° 221 À travers les confrontations et les négociations qui ont marqué leurs relations, les partenaires sociaux de l’animation (dont Robert Baron et Alain Cordesse) retracent cette histoire telle qu’ils l’ont vécue. Certaines questions nourrissent d’ailleurs encore aujourd’hui les réflexions des organisations syndicales de salariés et celles des représentants d’employeurs. ●●A.I 1. Petite histoire de la branche de l’animation, les partenaires sociaux racontent, éditions Branche professionnelle de l’animation, décembre 2008. SEPTEMBRE-OCTOBRE 2014 15.