Muret : les familles enfermées dehors

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Muret : les familles enfermées dehors
Observatoire international des Prisons
Muret : les familles enfermées dehors
Le choc carcéral n’est pas réservé qu’aux personnes détenues. La prison bouleverse
aussi la vie de leurs proches. C’est l’incarcération invisible. Au centre de détention de
Muret (31), « les parloirs sont des “cellules” d’environ 1,20 mètres sur 1,50 » décrit
Ingrid* qui vient rendre visite à son fils, chaque week-end, depuis Carcassonne.
Un univers hostile pour maintenir des liens familiaux.
Le centre de détention de Muret, mis en service
en 1966, se situe à un peu plus de 20 kilomètres au sud de Toulouse. Son accès est « catastrophique » d’après Marie, compagne d’un détenu incarcéré à l’établissement depuis octobre
2013. Il est l’un des 556 condamnés écroués à
Muret, tous pour des peines supérieures à deux
ans. Marie a dû déménager de Nice, à toute
vitesse, pour se rapprocher de son conjoint.
Elle n’est pas la seule à avoir pris cette décision.
Pour beaucoup, l’incarcération d’un proche a
entraîné un changement important dans la vie
quotidienne, comme par exemple celui du lieu
de résidence. Patricia a laissé l’Aveyron pour
Muret, ainsi que Véronique qui a quitté l’Ariège
et son emploi, sans en avoir retrouvé depuis.
Première épreuve : parvenir à la prison
Bien que véhiculée, Marie continue de pester
contre « les transports en communs quasi inexistants » et regrette qu’aucune solution n’ait
encore été trouvée. Elle habite désormais à 20
minutes en voiture de l’établissement mais reste
« scandalisée » qu’il n’y ait « qu’un seul bus »
(la ligne 58) et que celui-ci « ne passe pratiquement pas devant la prison le week-end ». Beaucoup rappellent d’ailleurs que c’est le week-end
que les gens sont le plus nombreux aux parloirs.
Ils sont ouverts le samedi et le dimanche de 8h15
à 11h45 puis de 13h15 à 17h45. Les familles
peuvent en obtenir au maximum un par demijournée, soit quatre sur l’ensemble du week-end.
En revanche, en semaine, les parloirs sont ouverts uniquement le mercredi et le vendredi soir
entre 17h15 et 18h45. « La personne détenue
doit choisir un de ces deux jours » pour recevoir
des visites, mentionne le règlement intérieur.
Reste qu’en semaine, la plupart des proches travaillent et les enfants sont à l’école. C’est le cas de
Aicha qui vient voir son compagnon le samedi,
car elle travaille le reste de la semaine dans un
établissement scolaire et ne peut se libérer aux
horaires de visite. Le dimanche, ce sont ses parents qui « prennent le relais ».
Le centre de détention de Muret
(*) Pour préserver l’anonymat des témoins, les prénoms ont été modifiés.
Quand le bus ne dessert pas l’arrêt le week-end,
les familles doivent s’arrêter à la maison d’arrêt
de Seysses et continuer à pieds jusqu’au centre
de détention de Muret. Cela représente près de
deux kilomètres, le long de la départementale
12, un itinéraire non aménagé pour les piétons.
« Il faut imaginer que les familles sont chargées
: vêtements, chaussures, et parfois enfant(s)»
précise Ingrid. Même galère au retour: « Il
faut marcher au bord de la route, sans trottoir,
sans sécurité, et sans éclairage, pendant une
bonne demi heure pour arriver à un arrêt qui
est desservi seulement toutes les heures. Autant vous dire que les mères avec des enfants
risquent leur vie chaque week-end ! » reprend
Marie. Pour ceux qui viennent en train, le trajet qui les sépare de la gare de Muret est long
de trois kilomètres, « environ dix euros en
taxi » d’après la maison d’accueil des familles,
l’association Roqueclaire.
qui la prive de prix attractifs, car les parloirs ne
peuvent pas se prendre plus de deux semaines
à l'avance. « Et encore, quand on réussit à réserver! » complète un visiteur.
Les bornes de réservation mises en place en
2009 dysfonctionnent. « C’est à la borne que
l’on peine, elle marche une fois sur deux. Il faut
s’armer de patience, c’est un cauchemar ! » précise Marie. Et de déplorer « tous les 15 jours,
rebelote ».
Autre solution, opter pour la réservation via la
ligne téléphonique dédiée, créée en 2007, mais
c'est « long et fastidieux » souligne Ingrid. Elle
dit rappeler sans discontinuer pendant les trois
heures d'ouverture de la ligne, « ce qui est fatigant et démoralisant ». « C'est la croix et la bannière » ajoute Aicha parce que « tout le monde
appelle au même moment » étant donné que
la ligne n'est ouverte que quatre jours par semaine (de 16h à 19h). « Par téléphone, c’est rare
d’avoir quelqu’un, donc les familles sont à bout.
Dans les deux cas, c’est un calvaire ! » conclutelle.
Toujours plus de dépenses
Observatoire international des Prisons
Chambre mise à disposition des familles par
l’association Rocqueclaire
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Celle-ci vient d’ailleurs en aide aux familles dès
que possible. Jeanne qui habite Marseille, arrive
à Toulouse après quatre heures de train, et reprend un autre train pour Portet-sur-Garonne
où des membres de Roqueclaire l’attendent afin
de la conduire au centre de détention.
Elle loge également à la maison d’accueil des
familles, ce qui lui permet de pouvoir réserver
un parloir le dimanche également, avant de
repartir. Tout comme Laura jeune maman qui
se rend à Muret en train depuis Chambéry.
Le coût de 180 euros que représentent ces 14
heures de trajet, ne lui permet cependant pas
de venir tous les week-end.
Résever un parloir : « le calvaire »
Laura regrette également de ne pas pouvoir
anticiper sa réservation de billets de train, ce
Pour beaucoup, se rendre à Muret constitue
un investissement financier important. Odile,
sa sœur, sa mère, son frère et sa belle sœur viennent depuis Nîmes une fois par mois depuis
deux ans. Leur trajet en voiture dure 3h30 et
leur coûte près de 150 euros. Pour Ingrid, qui
vient chaque samedi et chaque dimanche, , la
facture monte à 250 euros par mois. « J’ai même
dû changer de voiture, elle m’a lâchée... » explique-t-elle.
Faute de se voir, téléphone et courrier représentent également un budget conséquent pour les
proches. En effet, il n’est pas permis aux détenus de recevoir des appels téléphoniques de
l’extérieur. Ils doivent accéder, aux horaires
prévus, aux cabines téléphoniques dont le coût
des communications est exorbitant. « La cabine
téléphonique c’est très cher, alors on s’écrit autant que l’on peut » confie Marie. Ingrid nous
indique que le coût du téléphone représente
entre 100 et 150 euros par mois pour son fils:
« Les détenus n’ont même pas droit à un forfait comme nous à l’extérieur, ils payent plein
pot ». La prison se distingue par un véritable
retard sur les prix des communications téléphoniques, encore facturées à l’unité quand, à
l’extérieur, l’ensemble des opérateurs proposent
des forfaits. Elle regrette que les familles ne puissent pas appeler elles-mêmes, puisque les appels vers les fixes sont le plus souvent illimités...
une règle qui ne vaut pas pour la prison !
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Des détenus nourris et blanchis par
leur famille
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La détention a un coût pour les détenus et
donc pour leurs proches. La prison fournit le
minimum. La location du frigo, de la télévision
et les cantines représentent un coût mensuel
élevé. Pour Ingrid, dont le fils gagne 240 euros par mois environ, « il ne reste plus grand
chose» après avoir enlevé ces dépenses. Odile
et sa famille envoient chaque mois 200 euros à
leur proche incarcéré.
Depuis qu’il ne travaille plus aux ateliers, ils effectuent ce virement tous les mois pour lui permettre de subvenir à ses dépenses. Une autre
famille nîmoise envoie tous les mois la même
somme depuis que leur fils ne travaille plus en
détention. Ils s’occupent également de lui apporter des vêtements chauds, car leur fils se
plaint souvent d’avoir froid.
Dès 2011, la direction reconnaît dans son rapport d’activité que « l’établissement a maintenant 45 ans et n’a pas fait l’objet de travaux
de rénovation. L’isolation le chauffage sont
aujourd’hui défaillants et leur réfection doit
faire l’objet d’un marché d’étude en 2012. »
Pourtant, le rapport d’activités de 2013 rappelle que le problème persiste, mentionnant
d’ailleurs le remplacement des installations de
chauffage comme « opération de grande envergure pour les années à venir ».
Mais l’an dernier encore, l’OIP recevait de nouvelles plaintes sur le sujet et saisissait les autorités. Les détenus en étaient réduits à utiliser
leurs plaques électriques à des fins de chauffage provoquant des disjonctions et même un
départ d’incendie, si bien que la direction avait
restreint l’alimentation électrique des plaques
de cuisson. Elles ne pouvaient ainsi pas être
utilisées une grande partie de la journée et de
la nuit.
Des parloirs « pitoyables », « lugubres »
et « oppressants »
Au problème de chauffage en détention
s’ajoutent les conditions d’entretien des parloirs
que tous s’accordent à dénoncer. Le manque
d’hygiène est source d’inquiétude pour nombre
de visiteurs. « Ils sont tellement sales que nous
venons avec nos lingettes » raconte Marie. Elle
évoque également un épisode qui l’a marquée :
« Un détenu a bloqué les parloirs et
exigé qu’on lui amène une serpillière
et tout le nécessaire pour nettoyer, car
c’était tout simplement immonde ! »
Elle insiste également sur l’état du mobilier
désastreux et même dangereux. Elle raconte
qu’une visiteuse a été blessée à la cheville lorsque « la tablette qui fait office de table » s’est
effondrée sur elle. Pourtant, les parloirs datent
de 2007. Et même s’il ne s’agit plus d’une salle
commune, les familles regrettent que les parloirs ne soient pas insonorisés.
« Tout le monde entend tout ce que les
autres disent, c’est bruyant et bien sûr
pas du tout intime, même s’ils autorisent parfois à mettre un foulard sur la
petite vitre de la porte du parloir »
Le centre de détention de Muret fait en effet
partie des nombreuses prisons (162 sur 190)
qui ne sont toujours pas dotées de parloirs
familiaux permettant les visites à l’abri du regard d’autrui et dans des conditions respectant
l’intimité.
Des unités de vie familiales1 (UVF) pas
encore construites
En 2011, l’établissement estimait dans son rapport d’activités que le secteur le secteur des
visites des familles était « à repenser dans sa
totalité ». En 1966, il n’avait pas la même importance, ni la même réglementation, et n’est
plus en conformité ni avec la sécurité ni avec le
régime des visites.
A nouveau, début 2013, la direction mentionnait les doléances des détenus qui demandaient
« qu’un effort soit réalisé en matière de prise en
charge des familles, car celle-ci n’est pas satisfaisante. »
1 Ces unités permettent aux personnes détenues de recevoir leurs proches
pour une durée comprise entre 6 et 72 heures, dans des petits appartements
à l’abri du regard d’autrui. De telles conditions de visites, à fortiori pour des
condamnés à des moyennes ou longues peines, apparaissent essentielles à
la préservation des liens familiaux et au maintien d’une sexualité interdite
dans les parloirs ordinaires.
Pourtant, en 2013 rien n’a été fait et la construction de nouveaux locaux de parloirs figure aussi parmi les « opérations de grande envergure
des années à venir ».
Marie et les autres s’impatientent. D’autant
que les UVF, également annoncées, se font
aussi attendre. Alors que la loi prévoit depuis
2009 la généralisation des parloirs familiaux
préservant l’intimité, le projet ne cesse d’être
repoussé à Muret.
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Une unité de vie familiale
En 2013, la direction mentionnait qu’un « programme a été réalisé pour l’étude de parloirs
individuels, parloirs familiaux et construction
d’UVF ». Un appel d’offre a été lancé pour la
construction sur 18 mois de cinq UVF, quatre
parloirs familiaux et la réfection des locaux des
parloirs individuels, portés à 45 contre 39 actuellement. Les travaux, dont le coût est évalué
à 4,8 millions d’euros, devraient commencer en
mai 2015 et déjà les familles redoutent que le
chantier complique encore leur accès aux parloirs.
Jeanne a connu les UVF lorsque son compagnon était incarcéré à Arles. Elle et son conjoint
y avaient droit quatre fois dans le mois pendant trois heures à chaque fois. Pour elle, ne
plus avoir accès à ces espaces de visite est très
difficile. Laura, dont le bébé est né pendant la
détention de son conjoint, regrette également
l’absence d’UVF qui leur permettrait « d’avoir
une vie de famille tous les trois ».
Une journée pour une heure
Faute de meilleurs dispositifs de visite, la durée
d’un parloir est d’une heure à Muret. Or, pour
consacrer un temps si court à la rencontre, les
proches passent un temps très long à la ren-
dre possible : temps de trajet - aller et retour
- d’attente et de contrôle. Les familles arrivent
souvent en avance pour pallier les imprévus
et ne pas rater le créneau horaire réservé, sous
peine de se voir refuser l’accès au parloir. Marie
raconte combien de fois les proches attendent
« dehors, sous la pluie avant l’ouverture de la
porte ». Au point que pour une heure de visite à peine, certains sont obligés de prévoir la
journée entière.
Le week-end, ceux qui bénéficient de deux
parloirs (le matin et l’après-midi), patientent à
nouveau entre les visites à la maison d’accueil
des familles ou devant la prison. Véronique
attend dans sa voiture en mangeant un sandwich, regrettant de ne pouvoir accéder au parloir sur l’heure du déjeuner. Dans tous les cas,
seul un distributeur de boissons et de sandwichs est à disposition, mais aucune nourriture de l’extérieur ne peut entrer, pas même
une bouteille d’eau. Laura explique que parfois
les surveillants n’acceptent pas qu’elle garde la
bouteille d’eau pour le biberon de son fils, « il
faut que je la jette et en achète une à l’intérieur
où elles sont très chères ».
En effet, seules les entrées de linge sont autorisées, après demande écrite préalable de la personne détenue. Marie, elle, ne rentre pas chez
elle, « c’est trop juste et trop cher de faire l’allerretour entre les deux parloirs ».
Des contrôles « à la tête du client »
Dernière étape avant de retrouver leur proche:
les dispositifs de contrôle, qui confinent parfois
à l’absurde. C’est « à la tête du client » s’énerve
Marie. Certains surveillants seraient même
«odieux, colériques, irrespectueux » envers les
visiteurs. Son conjoint s’est souvent plaint que
les visiteurs soient laissés dehors sous la pluie,
ou forcés de se déshabiller « alors qu’ils ne sonnent pas au portique. » C’est humiliant. « Mais
le pire c’est de ne pas être appelée à l’heure et
se voir décréter que nous sommes en retard ».
Dans ces cas là, l’entrée est alors arbitrairement
refusée. Jusqu’à la semaine suivante...
Delphine Payen-Fourment,
Coordinatrice OIP Sud-Ouest
Contact : 06.50.87.43.69
[email protected]
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Crédits photo : p.1 Bertrand Desprez (Vu) / DR. p.2 Association Rocqueclaire. p.4 Thierry Pasquet (Signatures)