Le Requiem de Fauré - Les Amis de la musique française
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Le Requiem de Fauré - Les Amis de la musique française
Le Requiem de Fauré par Louis Aubert Il avait neigé à l’aube grise de ce jour de janvier. J’allais par les routes désolées et immaculées encore vers la ville engourdie et surprise. Un radoucissement prudent en cours de journée nous libéra des contraintes des chemins hostiles, boueux ou verglacés d’incertains retours. C’était donc décidé, je restais sur Périgueux pour aller entendre le concert de La Portée Ouverte. Mais avant, voici de la liberté pour rendre visite à mon amie Jeannine. Cette amitié à deux – où la réciprocité est vraie – réchauffe même lorsque tout semble sombre. Ce n’était pas le cas ce jour-là. Nos tristesses avaient comme fondu avec les draperies satinées de la neige. Jeannine me rendait les corrections effectuées sur le travail rédactionnel de Lionel dont elle se plut à faire l’éloge. Remarquable, dit-elle ! Ai-je d’ailleurs de meilleurs amis que ces deux-là : fidèles, attentifs, profondément généreux ? Dans le texte de Lionel sur Roger Calmel, une phrase avait interrogé Jeannine : « Enfin, c’est dans une belle densité contrapuntique que le In Paradisum conclut, dans un apaisement enfin atteint et une confiance retrouvée. » Jeannine aime et écoute la musique. Son oreille habituée au « paradis-ium » du In Paradisum entendu dans le Requiem de Fauré, elle s’en était allée vérifier sur le 33 tours qu’elle possède l’orthographe latine de ce paradis. Le disque posé sur la table à proximité des pages corrigées attira mon intérêt. Il n’était pas d’aujourd’hui. Un disque Erato à couverture rouge ! Effectivement, cette version dirigée par Louis Frémaux fut enregistrée en 1962, j’avais 15 ans ! Alors que j’expliquais à Jeannine que Louis Aubert, ce musicien omniprésent dans notre association, était l’élève de Fauré, mes yeux tombèrent avec éblouissement sur la signature du texte de la pochette : Louis Aubert de l’Institut !!! Quel accord inattendu et pourtant parfaitement naturel ! Les documents laissés par le maître sont peu abondants – Ludovic ne me contredira pas – aussi est-ce un vrai bonheur de trouver un texte signé de lui. Vous prendrez votre version préférée de ce chef-d’œuvre de Fauré pour lire les lignes qui suivent, sous la plume d’un artiste que nous vénérons. « En 1865, Gabriel Fauré, né à Pamiers, le 12 mai 1845, quittait l'École Niedermeyer, où il avait obtenu les prix de piano, d'orgue, d'harmonie et de 1 composition. Il emportait dans son léger bagage quelques œuvres vocales, notamment le Cantique de Racine, d'une inspiration délicate et profonde, et qui laissait prévoir la personnalité du musicien de Pénélope. D'autres compositions vocales suivirent cette première manifestation : les Djinns, le Ruisseau, la Naissance de Vénus, les chœurs de Caligula, ainsi que plusieurs œuvres religieuses ; une Messe Brève pour voix de femmes et orgue, un Tantum ergo, un Ave Maria, un Tu es Petrus. Dès sa sortie de l'École Niedermeyer, il fut nommé organiste à l'église SaintSauveur de Rennes, puis organiste-accompagnateur à Notre-Dame de Clignancourt à Paris, organiste à Saint-Honoré d'Eylau, puis organiste de la maîtrise de Saint-Sulpice ; enfin, au mois d'avril de 1877, Maître de Chapelle à la Madeleine. Malgré ses occupations absorbantes dans ces églises, il ne cessait d'enrichir le domaine musical de la musique de chambre. En 1875, il nous révélait la beauté de sa première Sonate pour piano et violon, puis ses deux Quatuors pour violon, alto, violoncelle et piano, sa Ballade pour piano et orchestre, présentée à Liszt par l'entremise de son maître et ami, Camille Saint-Saëns. Le grand créateur du Poème Symphonique accueillit l'ouvrage avec une sympathie marquée. C'est en 1886, peu après la mort de son père que Gabriel Fauré écrivit sa Messe de Requiem, que l'on peut considérer non seulement comme un des sommets de sa production, mais comme l’œuvre maîtresse de la Musique Religieuse Française. Deux ans plus tard, en 1888, la première audition en fut donnée en l'église de la Madeleine, sous la direction du Compositeur. Et ce n'est pas sans émotion que je me rappelle avoir eu l'insigne honneur, quelques mois plus tard — j'avais alors 12 ans — d'être parmi les interprètes de l'œuvre, en ma qualité de soprano solo de la Maîtrise. Cette première version, particulièrement impressionnante, ne comportait qu'un dispositif instrumental assez réduit ; altos, violoncelles, contrebasses, un violon solo, une harpe, l'orgue et trois trombones. La version actuelle comprenant une formation symphonique plus étendue, ne fut transcrite par son auteur que vers 1899. « Entre deux deuils, écrivit un jour Philippe Fauré-Frémiet, fils aîné du compositeur, Gabriel Fauré écrit sa Messe de Requiem. Sans doute, le luceat eis est tout naturellement murmuré en faveur de ceux qui l'ont bercé, et qu'à son tour, il voudrait pouvoir bercer dans l'au-delà mystérieux. » Ce Requiem affecte la forme d'un cheminement. Vladimir Jankélévitch considère « qu'il parcourt en quelque sorte toute la semaine des Sept Ténèbres ». Il se divise, d'ailleurs, en sept parties. L'Introït et le Kyrie, précédés d'une Introduction pour l'ensemble vocal, et dont le thème sera réentendu plusieurs fois dans le courant de l'œuvre, nous conduisent à un Offertoire expressif et très développé. L'imploration 0 Domine, amorcée par les alti et les ténors, puis reprise par les alti et les basses, s'élève chaque fois d'un ton, pour être ensuite traitée en « canon » à la tierce. Après la transition de l'Hostias, le thème de l'O Domine est repris en « imitation » par les différentes voix. Dans le Sanctus règne la tendre atmosphère fauréenne, axée sur une modalité antique. L'émouvant et expressif appel du Pie Jesu précède les trois invocations successives du doux Agnus Dei. Puis nous retrouvons le Requiem aeternam de l'Introït, qui sera suivi du Libéra me, clamé par le baryton solo et où s'insinue le verset : Tremens factus sum ego, confié à l'ensemble vocal. L'In paradisum de conclusion est une des plus parfaites traductions sonores de l'envol d'une âme. On a pu dire de ce Requiem, d'une remarquable densité de forme et de fond, qu'il évoquait la pureté et la candeur des peintures de Fra Angelico. Bien qu'écrit par un musicien peu croyant, le Requiem de Gabriel Fauré n'en transporte pas moins l'auditeur 2 dans un monde de piété émue. Cette musique est empreinte d'une gravité paisible. Le Dies irae y passe comme un épisode indispensable, mais on ne trouve dans le Requiem fauréen aucun effet grandiloquent ou macabre. Des musicologues notoires, d'Écoles différentes, tels que Vladimir Jankélévitch et Émile Vuillermoz, se sont accordés pour reconnaître l'exceptionnelle beauté du Requiem fauréen. « II verse en nous ce vaste et tendre apaisement, qui est le prélude à la paix » a dit de l'ouvrage Vladimir Jankélévitch, tandis qu'Émile Vuillermoz voyait en lui « une œuvre absolument unique en son genre ». Et il ajoutait : « Le grand mérite philosophique de cet admirable adieu à la vie réside dans sa sensibilité et sa modestie. Fauré a su regarder la mort en face, en prenant le recul nécessaire pour assigner à notre dernier soupir la modeste place qu'il doit occuper dans l'impitoyable harmonie de l'univers. Pour cet enregistrement, la direction de l'ouvrage a été confiée à Louis Frémaux qui connaît à fond l'œuvre fauréenne. Avec sa conscience de grand chef, il a consacré plusieurs mois à l'étude et à la mise au point de cette réalisation. » Merci douce providence. Jean Alain Joubert 29 janvier 2005 Révision juillet 2016 Avec une pensée toute spéciale pour notre chère amie Jeannine Lasserre qui disparaissait en février 2014 3