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« Attention-Deficit Hyperactivity Disorder » (ADHD) et trouble bipolaire (TBP) chez l’adulte F. SLAMA (1) L’hyperactivité avec déficit attentionnel (ADHD) a d’abord été décrite chez l’enfant : ce trouble concernerait 3 à 5 % des enfants d’âge scolaire. C’est l’institutrice qui provoque la première consultation, plus souvent que les parents. Le trouble concerne davantage les garçons que les filles avec un sex ratio compris entre 6 et 9. Dans le système DSM IV, pour poser le diagnostic, il faut pouvoir identifier des symptômes liés à un déficit de l’attention et/ou des symptômes liés à une hyperactivité et une impulsivité. Les troubles de l’attention chez l’enfant sont ainsi caractérisés : – ne parvient pas à prêter attention aux détails, fait des étourderies ; – a souvent du mal à soutenir son attention au travail ou dans les jeux ; – semble ne pas écouter quand on lui parle personnellement ; – ne se conforme pas aux consignes et ne parvient pas à mener à terme ses devoirs, tâches domestiques ou obligations professionnelles ; – a du mal à organiser ses travaux ou activités ; – fait à contrecœur les tâches qui nécessitent un effort mental soutenu ; – perd les objets nécessaires à son travail et à ses activités ; – se laisse facilement distraire ; – oublis fréquents dans la vie quotidienne. Pour ce qui est des symptômes de l’hyperactivité-impulsivité, c’est un enfant qui : – remue souvent mains et pieds, se tortille sur son siège ; – se lève quand il est supposé rester assis ; – court, grimpe dans situations inappropriées ; – a du mal à se tenir tranquille dans les jeux et les activités de loisir (sentiment d’impatience motrice chez l’adulte) ; – est souvent « sur la brèche » ; – parle souvent trop ; – laisse échapper la réponse à question pas encore entièrement posée ; – a du mal à attendre son tour ; – interrompt souvent les autres ou impose sa présence. Pour poser le diagnostic d’ADHD, les symptômes de troubles attentionnels et/ou d’hyperactivité-impulsivité sont requis, mais il faut également que les troubles aient débuté avant l’âge de 7 ans. De plus, les troubles doivent persister au moins 6 mois et entraîner une altération cliniquement significative du fonctionnement dans au moins deux domaines : à l’école, à la maison ou au travail. La classification internationale ICD-10 ne permet de poser le diagnostic que si les troubles attentionnels et l’hyperactivité-impulsivité sont tous les deux présents. Elle justifie cette restriction par le fait que si l’on se contente des symptômes liés aux troubles de l’attention on risque d’inclure à tort des enfants rêveurs. La classification française des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent (CFTMEA) ne reconnaît pas ce trouble comme un trouble à part entière mais l’identifie plus comme un symptôme trans-nosographique secondaire d’une entité nosologique pédopsychiatrique. L’ADHD persiste à l’âge adulte : chez 2/3 des enfants hyperactifs. Il n’existe pas d’ADHD de novo chez l’adulte, c’est donc une persistance d’un ADHD de l’enfant qu’on observe chez l’adulte, habituellement avec un tarissement de l’hyperactivité au détriment du trouble de l’attention. L’hyperactivité diminue sans doute grâce à des phénomènes d’adaptation et ce sont les troubles de l’attention qui sont au premier plan. Les symptômes chez l’adulte sont moins spécifiques que chez l’enfant. À tel point que le DSM IV autorise pour l’adulte un tableau moins complet que pour l’enfant et on parle alors de « rémission partielle ». La prévalence du trouble chez l’adulte est estimée à environ 4,5 % (3, 4). (1) Hôpital Chenevier, Créteil. S 30 L’Encéphale, 2006 ; 32 : 30-2, cahier 2 L’Encéphale, 2006 ; 32 : 30-2, cahier 2 « Attention-Deficit Hyperactivity Disorder » (ADHD) et trouble bipolaire (TBP) chez l’adulte Les symptômes de l’ADHD chez l’adulte sont : Déficit de l’attention : – difficulté de concentration, – difficulté pour organiser, planifier, – oublis, distractibilité. Hyperactivité-impulsivité : – accidents de la route, – sentiment d’impatience motrice, – changements intempestifs de travail, – absence de stabilité socio-affective, – consommation de substance. Les comorbidités sont fréquentes : abus de substance, troubles anxieux, épisode dépressif majeur et troubles bipolaires. En 2000, Faraone a étudié la validité du diagnostic d’ADHD chez l’adulte (3). Il retient plusieurs arguments en faveur de la validité du diagnostic : cliniques, épidémiologiques, pharmacologiques, génétiques, neuropsychologiques (tableau I). Des données épidémiologiques permettent d’éclairer les liens entre troubles bipolaires et ADHD (8) : 20 % environ des adultes souffrant d’ADHD souffriraient également de trouble bipolaire, notamment de type II ; parmi les bipolaires, 20 % auraient un ADHD. Il existe donc un lien bidirectionnel entre bipolarité et ADHD. L’ADHD est dans 96 % des cas « mixte » lorsque comorbide d’un trouble bipolaire, c’est-à-dire avec autant d’hyperavtivité/impulsivité que de troubles de l’attention alors qu’il est mixte dans uniquement 59 % des ADHD non comorbides. De plus, l’ADHD comorbide d’un trouble bipolaire a plus de symptômes d’ADHD en valeur absolue. 65 % des patients comorbides ont eu un diagnostic de trouble bipolaire à début précoce. L’étude de Sachs en 2000 a étudié 56 adultes souffrant de trouble bipolaire et comparé l’âge de début du trouble bipolaire en fonction de l’existence ou non d’un antécédent d’ADHD dans l’enfance (5) : l’âge du premier épisode thymique est plus bas chez les patients bipolaires avec antécédent d’ADHD dans l’enfance comparativement aux bipolaires sans antécédents d’ADHD. Les auteurs suggèrent qu’il faut considérer un enfant ADHD parent d’un patient bipolaire comme un enfant à haut risque de développer un trouble bipolaire. Une méta-analyse a montré que les enfants de patients bipolaires ont une prévalence significativement augmentée d’ADHD. L’inverse est également retrouvé : une plus forte prévalence du trouble bipolaire chez les apparentés d’enfant souffrant d’ADHD, même si les résultats sont moins statistiquement significatifs. Sur le plan clinique, les points communs brouillent notre diagnostic : l’irritabilité, l’hyperactivité, la logorrhée, l’inattention, l’impulsivité, la labilité émotionnelle. Les déficits neuropsychologiques que l’on retrouve chez les ADHD sont également chez les bipolaires : déficit attentionnel, troubles de l’apprentissage, de la mémoire de travail, des fonctions exécutives. Enfin, il existe des comorbidités communes pour l’ADHD ou le trouble bipolaire : troubles anxieux, troubles des conduites, dépression, troubles de l’apprentissage. Sur le plan clinique, il existe donc un recouvrement de la symptomatologie entre ADHD chez l’adulte et trouble bipolaire. TABLEAU I. — Résumé des arguments pour la validité du trouble Déficit de l’Attention/Hyperactivité (ADHD). D’après Faraone et al. (3). Domaine Symptômes de l’ADHD Comorbidités psychiatriques Répercussion fonctionnelle Score Commentaires ++ Existence chez l’adulte des mêmes symptômes d’inattention, d’impulsivité et d’hyperactivité mais l’hyperactivité peut diminuer avec l’âge. + Les abus de substance sont plus fréquents chez l’adulte. ++ Les adultes souffrant d’ADHD ont un retentissement fonctionnel de leur trouble dans de nombreux domaines Sex ratio + La prédominance masculine de l’ADHD est moins évidente chez l’adulte que chez l’enfant Antécédents familiaux d’ADHD + ADHD semble plus familial quand il existe un adulte souffrant d’ADHD dans la famille ++ Les traitements avec une efficacité documentée dans l’ADHD de l’enfant sont aussi efficaces chez l’adulte + Le gène du récepteur dopaminergique D4 a été impliqué à la fois chez l’enfant ADHD et chez l’adulte ADHD ++ Les enfants et les adultes ADHD ont une altération de la vigilance, de l’inhibition motrice, des fonctions exécutives et de la mémoire verbale Réponse pharmacologique Étude génétique moléculaire Neuropsychologie Neuro-imagerie ? Pas assez de données comparables entre l’enfant et l’adulte Cours évolutif ? La définition de la persistance de l’ADHD à l’âge adulte varie de 4 à 80 % en fonction de la définition de la persistance S 31 F. Slama Par contre plusieurs éléments cliniques distinguent l’ADHD et le trouble bipolaire. En premier lieu, le sex ratio avec une nette prédominance masculine dans l’ADHD alors qu’il est équivalent à 1 dans le trouble bipolaire. Deuxièmement, l’évolution dans le temps n’est pas la même : le trouble bipolaire évolue par cycles, avec une tendance naturelle à l’accélération des cycles, ce que l’on ne retrouve pas dans l’ADHD. Enfin, trois symptômes sont spécifiques du trouble bipolaire et permettent de différencier les deux troubles en cas d’hésitation diagnostique : l’élation de l’humeur, les caractéristiques psychotiques et la désinhibition sexuelle. Les traitements de l’ADHD non comorbide chez l’adulte sont en premier lieu les psychostimulants, comme pour l’enfant. La posologie est de 1 mg/kg/jour soit une posologie un peu supérieure à celle de l’enfant (0,3 à 0,8 mg/ kg/jour). Les études qui en évaluent l’efficacité thérapeutique ont des résultats assez disparates. On a longtemps pensé que la réponse thérapeutique était inférieure chez l’adulte par rapport à l’enfant mais une étude récente montre qu’elle est comparable (78 % de réponses chez l’adulte pour 70 % chez l’enfant et 4 % pour le placebo chez l’adulte) (2). Plusieurs traitements pharmacologiques non psychostimulants sont également utilisés pour traiter l’ADHD de l’adulte. Ce sont la désipramine (à la dose de 200 mg avec une réponse thérapeutique dans 68 % des cas) (7), la tomoxetine non encore commercialisée en France (6) et le bupropion dont une étude en ouvert a montré l’intérêt (10). Concernant le traitement de la comorbidité trouble bipolaire/ADHD, il existe peu de travaux (1). Le premier point important concerne la mise en garde quant à l’utilisation des psychostimulants qui peuvent alors déclencher un état maniaque et favoriser l’émergence de caractéristiques psychotiques. Les études réalisées chez l’enfant rapportent une moins bonne efficacité des psychostimulants en cas de comorbidité. S 32 L’Encéphale, 2006 ; 32 : 30-2, cahier 2 Dans ce contexte, le bupropion semble une molécule intéressante puisque, aux USA, il est le premier traitement de la dépression bipolaire dans la mesure où il induirait moins de virages maniaques et a une efficacité dans l’ADHD. Une étude a été menée en ouvert avec des résultats qui semblent intéressants mettant en évidence une nette diminution des symptômes de l’ADHD ainsi qu’une nette amélioration thymique (9). Références 1. BIEDERMAN J, MICK E et al. Systematic chart review of the pharmacologic treatment of comorbid attention deficit hyperactivity disorder in youth with bipolar disorder. J Child Adolesc Psychopharmacol 1999 ; 9 (4) : 247-56. 2. FARAONE SV, BIEDERMAN J et al. Attention-deficit hyperactivity disorder with bipolar disorder : a familial subtype ? J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 1997 ; 36 (10) : 1378-87 ; discussion 1387-90. 3. FARAONE SV, BIEDERMAN J et al. Attention-deficit/hyperactivity disorder in adults : an overview. Biol Psychiatry 2000 ; 48 (1) : 9-20. 4. MONTANO B. Diagnosis and treatment of ADHD in adults in primary care. J Clin Psychiatry 2004 ; 65 (Suppl 3) : 18-21. 5. SACHS GS, BALDASSANO CF et al. Comorbidity of attention deficit hyperactivity disorder with early- and late-onset bipolar disorder. Am J Psychiatry 2000 ; 157 (3) : 466-8. 6. SPENCER T, BIEDERMAN J et al. Effectiveness and tolerability of tomoxetine in adults with attention deficit hyperactivity disorder. Am J Psychiatry 1998 ; 155 (5) : 693-5. 7. WILENS TE, BIEDERMAN J et al. Six-week, double-blind, placebocontrolled study of desipramine for adult attention deficit hyperactivity disorder. Am J Psychiatry 1996 ; 153 (9) : 1147-53. 8. WILENS TE, J. BIEDERMAN J et al. Can adults with attention-deficit/ hyperactivity disorder be distinguished from those with comorbid bipolar disorder ? Findings from a sample of clinically referred adults. Biol Psychiatry 2003 ; 54 (1) : 1-8. 9. WILENS TE, PRINCE JB et al. An open trial of bupropion for the treatment of adults with attention-deficit/hyperactivity disorder and bipolar disorder. Biol Psychiatry 2003 ; 54 (1) : 9-16. 10. WILENS TE, Spencer TJ et al. A controlled clinical trial of bupropion for attention deficit hyperactivity disorder in adults. Am J Psychiatry 2001 ; 158(2) : 282-8.