Pour une approche pédagogique de l`enseignement des langues

Transcription

Pour une approche pédagogique de l`enseignement des langues
Gerald Schlemminger
Université de Paris XI
In : Nouveaux Cahiers d'Allemand, déc. 1994, n° 4, pp. 361 - 376.
Pour une approche pédagogique
de l'enseignement des langues
Je propose deux parties : dans la première, le lecteur prendra connaissance
d’une transcription des propos essentiels d’une heure de cours d'allemand.
Dans la deuxième, je commenterai mon approche pédagogique et
analyserai certains aspects de ce cours.
Présentation du cours
(transcription partielle)
J’enseigne - en 1991/92 - dans un grand lycée de ville (3600 élèves), classe
de seconde, allemand première langue, de 37 élèves à raison de 3 heures
par semaine (chaque heure dans une salle de cours différente) ; le niveau
d’allemand est hétérogène.
Au planning établi avec la classe pour les deux semaines à venir, la
cinquième heure du cours comporte le programme suivant :
- Discussion sur le thème "Sind meine beruflichen Zukunftsaussichten
gut?" qui fait suite à la leçon "Kurt Schlesinger - Wie ich Schriftsteller
geworden bin"1.
1
Lors du Salon du Livre de la ville, nous avons pu inviter un écrivain allemand
dans notre cours d'allemand. Nous avons discuté de son livre dont nous avions lu
des extraits en classe. Suite à la visite, la classe a fait un journal résumant la
rencontre avec l'écrivain.
2
- Présentation et choix de textes personnels.
- Choix d’une nouvelle leçon.
- Critiques / félicitations.
Une heure de cours :
vendredi, 15 novembre, 13h30 - 14h25
Je revens du déjeuner, quelques élèves attendent, j’ouvre la porte. Des
élèves s’approchent du bureau.
Un élève1 :
Pouvez-vous me corriger ce texte, s'il vous plaît ?
Professeur :
Je le corrigerai lorsque j’aurai lu la correction de l’un de
vos anciens textes.
Un autre élève : Est-ce que le compte rendu de la discussion est considéré
comme un texte personnel ?
Un 3e élève :
Voici mon nouveau texte et une correction.
Professeur :
Geben Sie es bitte dem Sekretär2 ! Écrivez la correction
directement dans le cahier d’allemand, vous n’aurez pas
besoin de la recopier.
Un autre élève : J’ai fait une nouvelle leçon, la liste de vocabulaire est là.
Professeur :
Geben Sie es bitte dem Sekretär. Proposez-la aujourd’hui
au choix de leçons, si vous voulez.
Le cours commence
La sonnerie retentit. Tous les élèves sont dans la classe. Je commence le
cours :
Professeur :
Es ist halb zwei. Die Deutschstunde beginnt. Guten Tag.
Ich heiße Sie wieder herzlich willkommen. Es steht heute
auf dem Programm: Diskussion über die beruflichen
1
2
Nous reproduisons les paroles la langue dans laquelle elles ont été prononcées.
Voir l'explication de ce rôle dans la partie "Pouvoir et autonomie des élèves".
3
Zukunftsaussichten, Auswahl eines persönlichen Textes,
Auswahl einer neuen Lektion und positive / negative
Kritik.
Zunächst also die Diskussion. Wir arbeiten 25 Minuten
lang bis um fünf vor drei. Bitte kommen Sie nach vorn.
Wir machen einen Kreis.
Discussion
Les élèves, assis sur les tables et les chaises, forment un demi-cercle autour
du bureau. Je fais attention à ce que tous les élèves se voient et je demande
à certains de mieux s’installer.
Professeur :
Hiermit eröffne ich die Diskussion. Das Thema heißt:
<Sind meine beruflichen Zukunftsaussichten gut?> Wer
möchte das Wort haben?
(Silence.)
Professeur :
Das heißt also, daß sie keine Probleme haben… Sie
werden in drei Jahren, nach Ihrem Abitur, nicht
arbeitslos werden…
(Silence.)
Fabrice lève le doigt. Il utilise quelques structures que nous avons
préparées hier pour la discussion (voir en annexe document n° 1) :
Fabrice :
Meiner
Meinung
nach
sind
meine
berufliche
Zukunftsaussichten gut. Es wird zwar viele junge Leute
auf dem Arbeitsmarkt geben, wenn ich in drei Jahren von
der Schule gehe, aber ich studiere auf einer… - Was
heißt <H.E.C.>?
Professeur :
…dann studiere ich Wirtschaft…
4
Fabrice :
Ich studiere Wirtschaft und ich werde nicht arbeitslos
sein.
Quelques élèves marmonnent qu’ils n’ont pas leur cahier (pour s’aider des
structures). Trois élèves argumentent dans le même sens que Fabrice, de
même qu’un élève assez faible.
Professeur :
"Na, Sie sehen Ihre Zukunft ja sehr positiv. Die
Statistiken sagen aber, daß ca. 25% der Jugendlichen
zwischen 16 und 25 arbeitslos sind, d.h. jeder 4.: 1 - 2 - 3
- 4. Also Sie und dann 1 - 2 - 3 - 4 - Sie.
Sophie :
Ich gehe aus der Schule.
Professeur :
Was meinen Sie? Sie gehen von der Schule? Wann?
Sophie :
Jetzt.
Je signale par un geste que je ne la comprends pas et j’explicite son
discours :
Professeur :
Cela veut dire que vous quitteriez toute de suite l’école si
vous saviez avec certitude que vous serez plus tard au
chômage. Par conséquent, si tout le monde pense comme
vous, nous devrions tous quitter l’école…
D’autres élèves acquiescent.
Professeur :
(répète son intervention en allemand)
Bertrand :
9% den Leute haben ein Diplom arbeitlos nicht sind."
Professeur :
(fait un geste de non-compréhension)
Bertrand répète sa phrase, j’interviens pour l’aider à s’autocorriger : "9%
der Leute, die…" et je lui montre neuf doigts. Les autres élèves
comprennent et corrigent : "Neunzig". Bertrand répète correctement la
phrase.
5
Emmanuel prend la parole. Les déclinaisons s’emmêlent, mais le contenu
de son intervention reste très compréhensible. Je ne corrige rien de ces
propos. Il dit qu'en France, on est suffisamment diplômé, mais la situation
du marché du travail est si mauvaise, qu’on ne trouve pas de place ; c’est
pourquoi il veux aller à l’étranger. C’est pour faire d’autres expériences (Il
demande le mot allemand). Il aura peut-être plus de chances.
D’autres élèves interviennent, pour partager l’opinion de Fabrice, ou
soutenir les arguments d’Emmanuel en utilisant certaines structures
données (voir document n° 1).
Il va être deux heures. Fabrice lève à nouveau le doigt. Je ne lui donne plus
la parole.
Professeur :
Wir kommen jetzt zur Abstimmung: Wer ist der
Meinung, daß seine beruflichen Zunkunftsaussichten gut
sind?" 17 Schüler melden sich. "Wer ist nicht der
Meinung?" 6 Schüler melden sich. "Wer enthält sich der
Stimme?" 8 Schüler melden sich. Endjy sagt auf
Französisch, daß er sich nicht in der Fragestellung
wiederfindet. "Die Diskussion ist hiermit beendet. Die
Schüler gehen bitte wieder an ihren Platz zurück.
Emmanuel dit en français qu’il ne se reconnaît pas dans l’énoncé du vote.
Professeur :
Vielen Dank. Die Diskussion ist hiermit beendet. Die
Schüler gehen bitte wieder an ihren Platz zurück.
Les élèves regagnent leur place.
6
Choix de textes personnels
Professeur :
So, jetzt machen wir die Auswahl eines persönlichen
Textes. Wir arbeiten 15 Minuten lang.
J’explique une fois encore en français le but de cette partie du cours : les
meilleurs textes seront publiés dans notre journal trimestriel.
Professeur :
Wer möchte seinen Text vorlesen? - Ja, Laetitia. Und
wer noch? - Endjy. Ok. Noch jemand? Gut, Endjy,
stehen Sie bitte auf und lesen Sie Ihren Text.
Son texte s’intitule "Teenagerliebe". Il lit la version corrigée (voir en
annexe document n° 2) à voix si basse que je le prie de recommencer à
partir du début. Je lui explique qu’il doit lire lentement et faire une pause
plus longue après chaque point. Il lit à voix haute, mais sans faire de
pauses. Je le prie de recommencer. Je l’interromps à la fin des premières
phrases pour lui signifier la pause.
Le texte de Laetitia est un résumé d’un texte d’auteur "Die erste Zigarette".
La lecture me semble assez compréhensible, mais l’argumentaire de son
texte est si confus que seule une partie des élèves l’a compris.
Professeur :
Wir kommen jetzt zur Abstimmung. Wer ist für den Text
von Laetitia? Und für den von Endjy? - [Je compte les
voix.] Der Text von Endjy ist der ausgewählte Text. Er
wird in die Zeitung kommen.
Quelques élèves se plaignent qu’ils n’ont rien compris à la lecture. Ils
demandent un changement dans la façon de procéder : une liste de
vocabulaire, un résumé en français.
Professeur :
Ja es stimmt, es gibt da ein Problem. Ich schlage vor, daß
wir heute nicht darüber diskutieren. Wir können im
7
nächsten Klassenrat darüber sprechen. Dann sehen wir,
wie wir es besser machen können.
Choix d’une nouvelle leçon
Professeur :
Wir kommen jetzt zur Auswahl der neuen Lektion. Wer
hat ein neues Dossier vorzuschlagen? Sie können eine
kurze Darstellung des Inhalts auf Französisch machen.
Bertrand propose un reportage sur le journal d’un jeune déserteur
allemand, issu de Juma.
Fabrice (assez agressif) : Pourquoi ne fait-on pas un texte du manuel
comme le font les vrais professeurs ?
Ses voisins acquiescent.
Professeur :
Schlagen Sie konkret einen Text aus dem Buch vor. Wir
stimmen dann darüber ab.
Fabrice :
"Im Café".
Professeur :
Können Sie bitte sagen, was in dem Text steht.
Fabrice n'a pas lu le texte.
Fabrice :
Mais nous pourrons apprendre à commander quelque
chose dans un café.
Quelques élèves rient.
Professeur :
Gibt es noch andere Vorschläge? ?
Sonia propose le texte "Die erste Zigarette". Irène propose le texte "Rosa
Weiß" qui parle d’une jeune fille qui découvre qu’elle habite près d’un
camp de concentration pour enfants. Ivanka explique aussi qu’en classe de
8
3e, elle avait déjà étudié des extraits de ce livre, et qu’ils lui avaient bien
plu.
Les élèves autour de Fabrice protestent : Elle connaît déjà le texte et elle
parlera ensuite tout le temps.
Nous passons au vote. Le texte d’Ivanka recueille le plus de voix. Il servira
de base pour la prochaine leçon.
Critiques, félicitations
Professeur :
Wer hat positive oder negative Kritik? - Herr
Schlemminger:
"Ich bedanke mich bei Christine, die die Grammatikregel
für mich noch einmal abgeschrieben hat."
Professeur :
Es ist fünf vor halb zwei. Vielen Dank, die Stunde ist zu
Ende.
Après le cours, quelques élèves me donnent leur cahier à corriger. Je les
envoie au secrétaire. Ivanka me donne son texte et sa liste de vocabulaire à
corriger pour que je puisse préparer la nouvelle leçon. Le secrétaire me
soumet le cahier de texte pour signature. - La classe suivante attend à la
porte.
9
Commentaire
Cette transcription des principaux propos d’une classe d’allemand est une
photographie de quelques instants se situant dans le droit fil des cours du
premier trimestre d’une année scolaire. Pour une meilleure compréhension,
j’énoncerai maintenant les prémisses pédagogiques qui m’ont guidé pour la
mise en place de la structure de ce cours. Il s’agit essentiellement des
concepts de la Pédagogie institutionnelle. Ensuite, j’exposerai mes outils
de gestion des apprentissages et de gestion du groupe-classe, qui font
référence aux techniques Freinet. Enfin, j’expliquerai leur mise en place
dans la classe et je ferai quelques remarques au sujet du cours présenté.
Mes prémisses pédagogiques
Quelques principes me servent de ligne de conduite dans ma réflexion et
action en classe de langue. Au niveau pédagogique, il s’agit de :
-
créer des situations de production
(journal de classe, album,
exposition…) qui font appel à des enquêtes et contacts extérieurs1. Cela
permet d’introduire dans la salle de classe de "l’étranger".
-
créer une situation de communication en langue étrangère la plus
authentique possible : les contacts extérieurs, tels la correspondance écrite,
audio-orale et audiovisuelle, les sorties, le débat, etc., et l’organisation
coopérative de la production amènent des circonstances où l’objet
d’apprentissage devient outil de communication.
-
partir des centres d’intérêt des élèves : l’apprentissage se fait à partir
d’exposés, d'enquêtes et de recherches des élèves et à partir de la
correspondance interscolaire.
1
Cette approche rappelle la pédagogie du travail (cf. G. KERSCHENSTEINER, H.
GAUDIG) et la pédagogie Freinet.
10
-
faire gérer les apprentissages et l’organisation du travail par les élèves.
Au niveau
didactique, cette approche pédagogique signifie que
l’enseignant doit orienter ses actes pédagogiques vers des techniques de
classe qui mettent l’accent sur le travail autonome et individualisé. Même
si les procédés oraux et actifs dominent, ils sont soumis aux nécessités de
la production et adaptés aux besoins d’une pédagogie différenciée.
Au niveau de l’apprentissage linguistique, cela veut dire que :
-
la progression linguistique suit les aléas de la communication, en
l’occurrence les centres d’intérêt choisis, les correspondances reçues…
-
la maîtrise du sens d’un nouveau fait de langue précède la manipulation
et la maîtrise de la structure linguistique.
-
l’emploi correct de la langue est subordonné à son usage individuel1.
C’est donc le déploiement des situations de communication qui induit le
processus de l’apprentissage. La question principale de l’apprentissage est
celle de la communication ; elle est celle du pourquoi parler en langue
étrangère dans la situation de classe, du désir de dire quelque chose de soi.
Une fois que l’élève aura trouvé pour lui une réponse, il saura mettre à son
profit l’apprentissage de cette langue étrangère.
Ces principes restent cependant un doux postulat si l’enseignant ne met pas
en place un cadre approprié pour leur donner vie. Il s’agit d’abord
d’apporter aux élèves des techniques de communication et des outils
d’apprentissage autonome et individualisé qui leur permettent de donner un
sens à leur travail. J’exposerai brièvement ces éléments.
Les techniques Freinet et les outils de gestion des apprentissages
1
Je suis dans ces propos des idées qui sont aussi prônées en psycholinguistique par
le concept d’interlangue.
11
Pour donner un tableau complet des activités de ma classe, je rappelle les
techniques de communication et les outils d’apprentissage dont elle
dispose :
- une correspondance avec une classe de lycée près de DÜSSELDORF,
- la pratique d’enquêtes (par exemple autour de la visite d’un écrivain) et
d’album,
- l’expression libre autour du débat et du texte libre (et plus tard dans
l’année : la vidéo),
- la production d’un journal trimestriel où sont publiés les textes libres et
les enquêtes,
- une "bibliothèque de classe" de livres, manuels et revues allemands
déposés au Centre de documentation et d’information du lycée,
- un fichier autocorrectif de grammaire allemande en travail individuel,
- un fichier de lecture,
- la pratique du plan de travail collectif (un planning bimensuel),
- la pratique du plan de travail mensuel (voir le document n° 3).
L’espace d’expression et d’échange libres ainsi ouvert ne deviendra qu’un
endroit scolaire non-structuré supplémentaire et il ne conduira à un travail
productif que s’il est institutionnalisé par des limites, des lieux et des lois.
12
Les outils de gestion du groupe-classe
Quant aux outils de gestion du groupe-classe, je parlerai essentiellement de
l’institutionnalisation des différents lieux de la classe, tels les lieux de
parole, les regroupements, les fonctions et les rôles.
Ces outils ont pour objet de mieux gérer au niveau individuel et collectif
les apprentissages et de donner à l’individu une plus grande autonomie
dans son travail. Cette autonomie concerne les objectifs de son travail, son
rythme et sa progression. Une organisation coopérative du travail, soit une
plus grande prise en charge du travail par l’individu et le groupe-classe,
permet aussi d’acquérir une plus grande responsabilité envers son propre
processus d’apprentissage. Elle entraîne pareillement une nouvelle
définition de la part prise par le maître. Elle met en jeu les outils suivants1 :
-
les groupements pour une organisation de la classe en sous-groupes
fonctionnels : équipe de production, atelier, groupe de travail…
1
Les outils qui nous permettent de mettre en place un tel lieu coopératif sont
d’ordre pédagogique et proviennent essentiellement du mouvement des réformes
pédagogiques des années vingts. (Voir par exemple les pratiques de classes dans :
F. KARSEN 1923 : Deutsche Versuchsschulen der Gegenwart und ihre Probleme,
Leipzig.) Ces techniques de la dynamique de groupe ont été perfectionnées plus
tard, particulièrement par la psychothérapie institutionnelle et par la psychologie
des groupes.
Pour la psychothérapie institutionnelle voir :
- J. OURY (1976) : Psychiatrie et psychothérapie institutionnelle, Payot, Paris.
- F. TOSQUELLES : (1984) : Education & psychothérapie institutionnelle,
Hiatus, Mantes-la-Ville.
- J. OURY / F. GUATTARI / F. TOSQUELLES : (1985) : Pratique de
l’institutionnel et politique, Matrice, Vignieux.
Pour la psychologie des groupes voir :
- Sur les différents "climats" de groupes d’enfants (démocratie / autoritarisme /
laisser-faire) : K. LEWIN (1958) : Psychologie dynamique, PUF, Paris.
- Sur la sociométrie et les sociogrammes, instruments de gestion de groupe
qu’utilise la Pédagogie institutionnelle, voir : J. L. MORENO (1970) : Fondements
de la sociométrie, PUF, Paris; en particulier livre 1, chapitre IV / livre 2, chapitre
II. Voir aussi : F. OURY / A. VASQUEZ (1982) : Vers une pédagogie
institutionnelle? Ed. Maspéro, Paris, pp. 219 - 232 et pp. 241 - 248.
13
-
une mise en place de fonctions et de rôles : président de séance
("Leiter"), secrétaire ; chef d’équipe / d’atelier ("Verantwortliche/r für die
Tischgruppe"…), responsable du courrier, d’un groupe, de la bibliothèque
de classe, des fichiers…), etc.
-
une définition des lieux et des limites pour les moments collectifs et
individuels de production
et d’apprentissage : les moments de la
découverte des documents, les moments de l’exposé-débat, les temps du
travail individuel / de groupe, etc.
-
le conseil ("Klassenrat"), lieu de décision concernant l’organisation du
travail, lieu de régulation et de médiation, lieu de définition des règles du
groupe-classe ; les propositions deviennent règles de vie et font loi pour
tous,
-
"une reconnaissance de possibilités différentes de chacun : définition
(évolutive) des rôles et des statuts"1.
La mise en place
de quelques outils et techniques
Un lieu de production n’est pas un espace de défoulement. Il n’y a plus de
discipline octroyée par la méthode d’enseignement mais cela ne vaut pas
absence d’encadrement. En effet, une discipline de chantier, nécessaire à
un processus de production, peut s’instaurer.
Par conséquent, ce que j’institue d’abord en début d’année, c’est la
discussion des buts de tout travail en classe de langue. Comment et où
pouvons-nous obtenir des informations, dans quels buts ? A qui nous
adressons-nous ? Comment pouvons-nous rendre publics nos résultats de
travail ? Quelles productions entamons-nous ? Cette première réunion est
1
GENESE DE LA COOPERATIVE (1981) : "Techniques Freinet ? Pédagogie
institutionnelle ? De quoi parlons-nous?" in : Artisans TFPI, 1991, n° 7, p. 19.
14
l’embryon du futur conseil. Au cours de ce conseil, qui a lieu une fois par
mois, la classe discute de l’organisation du travail, des difficultés
rencontrées, d’éventuels conflits, etc. Dans la deuxième moitié de l’année,
quelques élèves commencent à être en mesure de diriger cette réunion en
tant que président du conseil.
Puis, j’instaure le libre choix du sujet de travail : A partir de quel(s)
document(s) travaillons-nous ? Pour quelle durée ? Que voulons-nous
apprendre au niveau du contenu et des structures linguistiques ? La
troisième institution est le "débat" : chaque travail de dossier est suivi
d’une discussion.
A propos du cours
Le débat
La discussion retranscrite plus haut fait suite à une interview à tendance
biographique que les élèves ont effectuée avec un auteur allemand invité
en classe. Le but de cette séance est de converser librement à propos d’un
sujet choisi en rapport avec le dernier dossier. Pour permettre un réel
échange et aussi pour mettre en évidence l’authenticité de ce moment,
j’insiste sur une mise en scène particulière : le cercle. J’évite toute
intervention de correction linguistique, sauf lorsque la compréhension du
propos n’est pas assurée. Il s’agit souvent d’un moment d’échange très
riche qui dépasse de loin le seul "transfert linguistique" des faits de langue
appris. Cela dit, si l’on veut vraiment donner la parole aux élèves, la
discussion, dans sa forme (mots de discours argumentatif, structures
exprimant un avis, etc.), demande une sérieuse préparation.
Au niveau linguistique, cette discussion montre par ailleurs les défauts
habituels d’un groupe peu habitué à une expression libre. N’étant entraîné
15
à donner que des réponses-phrases à des questions de l’enseignant, les
élèves méconnaissent l’impact illocutif (message implicite de l’énoncé) et
perlocutif (ensemble des réactions provoquées) de leurs actes de parole en
langue étrangère. Ils ne réalisent pas non plus, par exemple, que lorsque
l’on ne maîtrise pas complètement un outil linguistique, on ne peut pas
appliquer les mêmes mécanismes d’économie langagière qu’en langue
maternelle. Ils ne se rendent pas compte qu’il faut être plus explicite dans
l’énoncé, voire le surcoder. (Les propos de Sophie illustrent bien ce
phénomène.) De plus, ce manque d’expérience discursive amène les élèves
à vouloir utiliser le procédé de la traduction mentale. Le résultat en est la
tentative, souvent infructueuse, d’une traduction littérale. Dépassant
souvent leurs compétences linguistiques, l’énoncé reste difficile à
comprendre (voir l’exemple de Bertrand). S’y ajoute l’absence de tout
marqueur explicite structurant leur discours.
L’une de nos premières tâches consiste à donner aux élèves ces éléments
structurants du discours (voir le document n° 1). Certains élèves savent
déjà s’en servir (voir l’exemple d’Emmanuel). J’arrête là l’analyse
conversationnelle de la discussion, car cet article n’est pas le lieu de
l’approfondir.
Le choix d’un texte personnel
Passons au moment de l’expression personnelle écrite de l’élève tel qu’il
avait motivé la discussion. A la base de l’écriture, en langue étrangère
aussi, il y a la motivation et le désir de dire quelque chose de soi. L’élève
est incité à écrire quand il peut puiser dans la richesse de la vie de classe et
de ses échanges (correspondance, journal, sortie-enquête, etc.), quand il y a
un lieu de production (le temps de travail individuel permettant l’écriture),
de publication (le journal…)
et des outils stimulant l’écriture (la
16
bibliothèque de classe, un fichier d’incitation à l’écriture guidée, un atelier
d’écriture, etc.). J’ai mis en place ces outils au fur et à mesure au cours de
l’année scolaire.
Un contrat de travail à durée limitée offre à l’élève la possibilité de réaliser
toutes sortes d’écritures (compte rendu, résumé, album, fiche d’écriture,
texte libre…) parmi lesquelles il peut en choisir une ou plusieurs1. Mais ce
lieu d’expression demande aussi des protections. Elles s’énoncent en lois
telles que : "On ne se moque pas de l’autre", etc. Elles concernent le
contenu aussi bien que la forme linguistique du texte. La classe est un lieu
clos. Ce qui est dit et présenté ne sort pas de la classe sauf si l’auteur et
l’enseignant l’autorisent ; l’auteur peut garder l’écrit pour lui sans que la
classe en prenne connaissance, sans qu’il soit publié. Que de telles
protections sont utiles, voire nécessaire, le montre déjà le texte à teneur
très personnelle d’Emmanuel (voir document n° 2). L’élève y raconte ce
qu’il ressent par rapport à son premier échec amoureux.
Mais malgré l’institutionnalisation de ce lieu d’expression, il y a encore
quelques dysfonctionnements. Les élèves-auteurs ne tiennent pas compte
du fait que l’auditoire ne maîtrise pas forcément toutes les structures
linguistiques utilisées. Ils ne sont pas habitués à communiquer leur
production écrite devant un auditoire, etc. La compréhension peut donc
être compromise. Malgré nos conseils - il s’agit du deuxième choix de
textes - il reste des difficultés à surmonter. Je renvoie donc, en tant que
responsable, au prochain conseil de classe pour discuter de ce problème et
améliorer le fonctionnement de ce lieu.
Le fait qu’il n’y ait eu que deux textes me semble être normal. Les élèves
n’osent présenter leurs productions : il faut un certain temps, pour "libérer"
1
Il va de soi que le texte personnel n’est jamais noté.
17
l’écriture du poids scolaire. En effet, elle n’a jamais été valorisée en tant
que telle; elle n’a constitué qu’un objet de correction linguistique.
Le choix d’une nouvelle leçon1
Cet espace de liberté est essentiel à toute pédagogie de travail. Qu’il ne soit
pas toujours facile à remplir, cela apparaît par le "choix d’une nouvelle
leçon" de cette classe de seconde. Quelques élèves sont inquiets, voire
déroutés : une élève, Ivanka, présenterait un texte qu’elle connaît déjà ! Le
savoir ne relève-t-il plus de la seule compétence du professeur ? Si le
professeur refusait de maintenir ce monopole, cela aurait alors comme
conséquence que ce pouvoir puisse être partagé, être assumé par tous.
Alors qu’il est si difficile pour tous, élèves et professeur, de remettre ce
pouvoir en jeu : le monopole perpétue en effet un pouvoir qui n’a pas lieu
d’être. Une organisation coopérative de la classe permet de valoriser les
compétences
de tous et de rendre le savoir un objet socialisé, donc
profitable à tous.
De l’attitude de Fabrice, une certaine agressivité verbale n’est pas
absente, des moments de régression apparaissent même : Fabrice propose
une leçon qui, de par son contenu, relève des premières années
d’apprentissage, en classe de sixième, cinquième. Quelle va être l’attitude
de la classe ? Il n’y a plus d’intervenant extérieur ou de document
provenant des correspondants qui auraient pu éluder cette situation. Que
faisons-nous de notre liberté de choisir nous-mêmes notre objet de travail?
La nouvelle institution tient bon face à ce conflit. Le groupe-classe a
montré une maturité face au choix de son objet de travail. En effet, le texte
élu correspond tout à fait au niveau intellectuel, affectif et linguistique des
1
Nous n’abordons pas ici le problème du manuel. Dans le second cycle, il se pose
moins, car la plupart des enseignants de langue choisissent eux-mêmes les textes
de leçon et travaillent par polycopies.
18
élèves. En tant que professeur, je n’aurais pas pu faire un meilleur choix.
La classe suivra avec grand intérêt le récit émouvant de cette "leçon".
Critiques, félicitations
C’est le lieu où peut s’effectuer un retour immédiat de ce que les élèves (et
le professeur) ont vécu dans l’heure qui vient de s’écouler. Pour les élèves,
il est inhabituel de donner leur avis sur le cours, voire de critiquer certains
aspects de celui-ci. Dans un travail de production coopérative, il me
semble nécessaire d’avoir un tel écho. Il permet à la classe d’extérioriser
son vécu immédiat, de faire remarquer des dysfonctionnements, mais aussi
de relever ce qui a fait plaisir, celui ou celle qui a réussi dans un travail
difficile ou ingrat, dans une fonction délicate. Ce lieu est aussi un
indicateur de l’atmosphère qui règne dans la classe. Malgré un choix de
texte pas trop réussi et quelques remous quant au choix de la nouvelle
leçon, la classe semble être sereine à la fin de l’heure.
Pouvoir et autonomie des élèves
La classe suit une progression vers l’autonomie. Le libre choix me semble
être l’élément essentiel pour tout travail coopératif de production. Je l’ai
instauré dès le premier cours. Il me paraît cependant dangereux de donner
aux élèves d’emblée le pouvoir de présider un moment de classe, ne seraitce que l’exploitation d’un document. Si l’enseignant veut prendre les
élèves au sérieux et leur reconnaître une capacité dans la gestion du
groupe-classe, il faut éviter de leur donner l’illusion de détenir un pouvoir.
L’exercice du pouvoir ne s’improvise pas, sinon cela devient de la
"guignolerie" : "l’élève joue au prof." Le pouvoir s’apprend à travers des
responsabilités, il se manifeste par un certain type de comportement social.
Il y a donc une lente maturation. Cette progression doit être clairement
19
définie et énoncée, si possible dès le début de l’année. Ainsi, un élève peut
présider le choix d’un texte lorsqu’il est - au niveau du comportement
social - capable d’écouter l’autre, de demander la parole. Il peut animer
l’exploitation d’un document lorsqu’il sait respecter une atmosphère de
travail et préparer d’une manière autonome un dossier et lorsqu’il connaît
les mots-clés pour le travail collectif en classe1.
C’est seulement la reconnaissance de telles différences qui permet aux
élèves en difficultés de s’intégrer. Il serait néfaste pour le groupe et la
production de donner à un élève un pouvoir, même limité, pour lequel il
n’ait pas les compétences requises. Dans une classe traditionnelle, seule la
performance scolaire permet à l’élève d’être reconnu. Une production
coopérative, à travers ses multiples tâches, fonctions et responsabilités,
offre de multiples possibilités pour trouver sa place dans le groupe. Le
pouvoir limité et pour un temps donné sur l’ensemble du groupe-classe lors
d’un moment de travail constitue l’ultime stade d’une compétence sociale
accomplie.
Quant à l’exercice du pouvoir, je prends l’exemple du respect des horaires
à l’intérieur du cours. Il permet à l’élève-président, d’abord de mieux
situer les différentes parties du travail et, par la suite, de mieux articuler le
cours. Cette règle discutée et énoncée lui ouvre aussi la possibilité d’une
certaine souplesse dans la gestion du travail. Tant de minutes ont été
prévues pour qu’un certain travail soit réalisé. Les circonstances montrent
parfois qu’il est nécessaire de prolonger, de raccourcir, de reporter, etc. Le
président de séance peut amender cette règle car cela a été instauré. Le
président utilise donc un pouvoir précis et ne peut exercer un pouvoir
personnel. Nous ne sommes plus dans le flou fusionnel avec des rapports
1
Des maître-mots, consignés sur une fiche de travail, des durées de travail fixée à
l’avance, etc. servent alors au président de guide et lui donnent une certaine
assurance et sécurité dans l’exécution de sa fonction.
20
de force directs, mais dans des rapports de travail où les relations sont
médiatisées.
Comme fonctions et tâches, la classe a élu un secrétaire à qui j’ai délégué
les tâches suivantes : remplir le cahier de texte que je contresigne, ramasser
et distribuer les feuilles de travail et les cahiers. En plus, il y a deux
responsables des fichiers de grammaire et deux du courrier pour nos
correspondants; il y a un groupe responsable de la prochaine production du
journal, etc. De plus, chaque groupe de travail a un responsable. Nous nous
réunissons régulièrement pour discuter du fonctionnement des groupes de
travail et de leurs problèmes. Pour le moment, j’assume moi-même la
présidence des différents moments collectifs. Il s’agit tant de l’articulation
de ces lieux (distribution de la parole, délimitation des temps,
avertissement aux gêneurs, etc.) que de l’exploitation linguistique des
documents.
Dans cette classe, c’est seulement au cours du deuxième trimestre que
certains élèves auront acquis le niveau de compétence pour assurer la
présidence de quelques moments de classe. Ils sont alors capables
d’assumer l’exploitation raisonnée d’un document, de distribuer la parole,
de faire respecter une atmosphère de travail, tâches difficiles lorsqu’il
s’agit d’un groupe de 37 élèves. Seulement les deux derniers conseils de
l’année scolaire (à rythme mensuel) seront assurés par un élève.
Les productions de cette année ont été très riches : chaque élève a écrit en
moyenne une vingtaine de textes personnels, dont des poésies; deux
journaux très fournis ont été produits; un film vidéo pour notre classe de
correspondance a vu le jour sous le titre : "Wir machen eine Vidoefilm
oder Wie man es nicht machen sollte". De plus, un certain nombre de
dossiers ont été échangés avec nos correspondants. L’évaluation annuelle a
21
montré que l’année scolaire a été considérée comme studieuse; chacun a pu
s’investir à son niveau et à son rythme. Malgré une classe que je considère
comme relativement faible, il y a eu très peu d’échecs.
Annexes
Document n° 1 : Préparation à la discussion (transparent)
"Sind meine beruflichen Zukunftsaussichten gut?"
7.
Dafür
sein Abitur haben werden
noch jung sein, wenn ich auf den
Arbeitsmarkt komme.
an der Universität studieren können
an einer Eliteschule studieren
können
keine Probleme haben, wenn ich
einen Job suche
flexibel und mobil sein und
irgendwo einen Arbeitplatz finden
jeden Beruf annehmen
8.
eine gute Schulbildung haben
9.
ins Ausland gehen
1.
2.
3.
4.
5.
6.
1.
2.
3.
4.
5.
6.
Dagegen
keine Lehrstelle finden
arbeitslos sein
der Arbeitsmarkt wird überfüllt sein
es wird zu viel junge Leute auf dem
Arbeitsmarkt geben
die Konkurrenz auf dem
Arbeitsmarkt wird groß sein
keine Berufsausbildung haben
7.
nach Paris gehen müssen, um Arbeit
zu finden
8. viele Jahre an der Universität
studieren müssen
9. bei den Eltern wohnen müssen, weil
ich keine Arbeit habe
10. keinen Beruf finden
10. ein Jahr als au-pair-Mädchen
arbeiten können
11. ein Jahr warten, bis ich etwas finde 11. nichts verdienen
12. im Ausland arbeiten
Les corrélatifs "zwar - aber"
•
Meiner Meinung nach sind…
•
Ich werde zwar mein Abitur haben,
wenn ich in drei Jahren von der Schule gehe,
aber ich werde keinen Beruf finden.
•
Deshalb meine ich, daß ich wohl arbeitslos / wohl nicht arbeitslos
sein werde.
Document n° 2
Teenagerliebe
22
Unsere Liebe war so schön, warum hast du mir das angetan? Jetzt bist du
ganz weg und suchst dein Glück. Aber auf den Bildern kann ich immer
deine Augen sehen. Augensagen mehr als Worte.
So, was ist los mit unserem Rendez-vous ?
Ich träume, meine Hände in deinen goldenen Haaren. Es war "heute hier,
morgen dort."
Ich bin allein, und langsam werde ich verrückt. Ich xill bei dir sein, aber
soll ich tun? Manchmal rufst du an, da kann ich nur deine Stimme hören,
aber den Rest stell ich mir vor. Ich stehe vor dem Spiegel, und dann denke
ich, ich bin nur ein Kind. Etwas kommt mir nicht aus den Sinn, immer
diesselbe Frage: "Hast du mich nie geliebt?"
Wenn das Kind größer ist, sagt es, daß das eine Teenagerliebe ist. Aber wer
hat recht?
Also, die Leute können immer über meine Liebe lachen; ich kann dich
nicht vergessen, weil du alles, was mir fehlt, hast; du bist alles, und es ist
wirklich alles. Die Nächte sind kalt, kalt, wie mein Herz ohne dich. Bitte,
komme zurück zu mir!
Emmanuel
Document n° 3
Mein Arbeitsplan Nr.
(Dauer: 4 Wochen)
vom: ________ bis zum: _________ Name: ____________, Klasse: ____
während der Gruppenarbeit / als Hausaufgabe
A 5 Übungen machen
C 1 Dossier erarbeiten
und selbst korrigieren
1. Übung Nr. ____
Titel:
3. Übung Nr. ____
Titel:
zur Auswahl:
1. ein Album erstellen: Text / Bild usw.
auswählen, Vokabelliste schreiben
Titel:
2. eine Kassette hören, Zusammenfassung auf
Französisch schreiben, Vokabelliste machen
Titel:
3. eine Lesekarte bearbeiten
Titel:
4. Übung Nr. ____
Titel:
4. eine Grammatiklektion vorbereiten
Titel:
2. Übung Nr. ____
Titel:
5. Übung Nr. ____
Titel:
Mehrarbeit
Titel:
________________________________
Titel:
________________________________
23
B Texte
2 persönliche Texte schreiben
1. Titel:
2. Titel:
Note des Arbeitsplans
Note der mündlichen
Beteiligung
Arbeitsorganisation
Bemerkungen:
Titel:
________________________________
Titel:
________________________________
Titel:
________________________________
Titel:
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Titel:
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