actuassurance – la revue numerique en droit des assurances

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actuassurance – la revue numerique en droit des assurances
ACTUASSURANCE – LA REVUE NUMERIQUE EN DROIT DES ASSURANCES
Publication n° 24 JANV-FEV 2012
Cass. 1ère civ., 17 nov. 2011, n° 10-23.093
Assurance vie
Avances – Clauses ambiguës – Interprétation dans le sens le plus favorable au
consommateur (oui)
Obs : encourt la cassation l’arrêt qui, en présence de la clause ambiguë d’un contrat
d'assurance vie organisant le régime des avances, ne retient pas l’interprétation la plus
favorable au consommateur.
L’article L. 133-2 du Code de la consommation qui dispose que « les clauses des contrats
proposés par les professionnels aux consommateurs ou aux non-professionnels s’interprètent,
en cas de doute, dans le sens le plus favorable au consommateur ou au non-professionnel » a
reçu sa pleine force normative pour la première fois en droit des assurances. Il a ainsi été
mobilisé au visa de plusieurs décisions de la Cour de cassation depuis l’arrêt fondateur de
2003 (Cass. 1re civ., 21 janv. 2003, n° 00-13342, RGDA 2003, p. 442, note J. Kullmann). Il est
vrai qu’il offre aux souscripteurs confrontés à des polices ou des clauses qui n’ont pas
toujours le mérite de la clarté un soutien puissant : contrairement aux directives
d’interprétation du Code civil qui ne peuvent fonder une censure par le juge du droit, ce texte
peut venir soutenir une cassation. Il est ainsi particulièrement précieux chaque fois que la
clause litigieuse ne fait pas l’objet, à l’instar des clauses stipulant une exclusion de garantie,
d’un régime juridique protecteur du souscripteur (on sait ainsi qu’une clause d’exclusion
nécessitant une interprétation pour sa mise en œuvre n’est pas formelle et limitée au sens de
l’article L. 113-1 du Code des assurances et doit, par suite, être réputée non écrite : Cass. 2ième
civ., 22 mai 2001, n° 99-10849, Resp. civ. et assur. 2001, n° 241, chron. 17 par H. Groutel, D.
2001, p. 2778, note B. Beignier).
En l’espèce, c’est la clause d’un contrat d'assurance vie organisant la possibilité d’obtenir une
avance qui était en jeu. Sa rédaction était la suivante : « Le contractant peut demander une
avance. Celle-ci ne pourra excéder 60 % de la valeur acquise par le contrat ni être inférieure
à 20 000 francs.
Le montant de l’avance ne s’impute pas sur l’épargne acquise qui continuera à être valorisée
conformément au paragraphe 11 “Attribution des bénéfices”. Le montant de l’épargne
acquise par le contrat, nette du montant de l’avance, ne pourra être inférieur à 50 000 francs
le jour où l’avance sera consentie. L’avance portera intérêt au taux du TME (taux moyen
mensuel des emprunts d’Etat à long terme) majoré de 0,6 point. En cas de non
remboursement de l’avance le jour du rachat total ou du décès de l’assuré, les sommes dues
viendront en diminution de la valeur du capital exigible. Le contrat sera résilié si le montant
de l’avance (principal et intérêts) à rembourser devient égal ou supérieur à l’épargne
acquise du contrat..... ».
Le souscripteur avait utilisé à plusieurs reprises cette prérogative que lui offrait le contrat, qui
s’analyse en une possibilité de souscrire un prêt à intérêt dans des conditions préétablies par la
police. Prétendant une nouvelle fois en bénéficier, il se heurtait toutefois à un refus partiel de
l’assureur qui en limitait en effet le montant en s’appuyant sur la clause ci-dessus reproduite,
et en particulier sur le plafonnement de l’avance à 60% de la valeur acquise du contrat. Plus
précisément, tenant compte des intérêts dus au titre de l’avance sollicitée, il estimait la
demande excessive.
Ayant manifestement besoin de liquidités, le souscripteur se voyait alors contraint d’exercer
un rachat partiel du contrat et prétendait subir un préjudice de ce fait, dont il demandait
réparation à l’assureur.
Par un arrêt confirmatif, une cour d’appel le déboutait. Elle se livrait pour cela à une lecture
de la clause dont il ressortait, selon elle, que le montant des avances prises en compte pour le
calcul du plafonnement était nécessairement constitué du principal et des intérêts, par
référence à la dernière partie de la clause qui stipule que « le contrat sera résilié si le montant
de l’avance (principal et intérêts) à rembourser devient égal ou supérieur à l’épargne
acquise du contrat ». En d’autres termes, la responsabilité de l’assureur ne pouvait être
engagée faute d’inexécution contractuelle. Surtout, bien que la clause ne soit pas présentée et
rédigée de façon claire et compréhensible, comme l’exige l’article L. 133-2 du Code de la
consommation, la Cour estimait que sa signification était évidente, par rapprochement de ses
différents alinéas. De sorte elle faisait une interprétation relevant de la méthode préconisée
par l’article 1161 du Code civil, selon lequel « Toutes les clauses des conventions
s’interprètent les unes par les autres, en donnant à chacune le sens qui résulte de l’acte
entier ».
Saisie par un pourvoi formé par le souscripteur, la première Chambre civile de la Cour de
cassation casse l’arrêt déféré au visa de l’article L. 133-2 du Code de la consommation.
Estimant en effet que deux lectures de la clause étaient possibles, elle en compare les
avantages respectifs pour le consommateur d’assurance et ne peut que constater que la Cour
d’appel n’a pas retenu l’interprétation la plus favorable à celui-ci, ce qu’impose le texte. La
cassation est donc entièrement justifiée et l’on ne peut que se réjouir de l’invitation faite aux
assureurs d’apporter un soin tout particulier à la rédaction des clauses, fussent-elles
consacrées à des mécanismes particulièrement techniques.
M. Robineau
L’arrêt :
Sur le moyen unique :
Vu l’article L. 133-2 du code de la consommation ;
Attendu que les clauses des contrats proposés par les professionnels aux consommateurs ou
aux non-professionnels s’interprètent, en cas de doute, dans le sens le plus favorable au
consommateur ou au non-professionnel ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que Mme X... a souscrit le 13 mars 1997 auprès de la
compagnie d’assurance Fédération continentale aux droits de laquelle se trouve la société
Generali vie, (la compagnie), un contrat d’assurance sur la vie à versement libre d’un montant
de 914 694 euros qui prévoyait en son article 13 :
”Le contractant peut demander une avance.
Celle-ci ne pourra excéder 60 % de la valeur acquise par le contrat ni être inférieure à 20 000
francs.
Le montant de l’avance ne s’impute pas sur l’épargne acquise qui continuera à être valorisée
conformément au paragraphe 11 “Attribution des bénéfices”.
Le montant de l’épargne acquise par le contrat, nette du montant de l’avance, ne pourra être
inférieur à 50 000 francs le jour où l’avance sera consentie.
L’avance portera intérêt au taux du TME (taux moyen mensuel des emprunts d’Etat à long
terme) majoré de 0,6 point.
En cas de non remboursement de l’avance le jour du rachat total ou du décès de l’assuré, les
sommes dues viendront en diminution de la valeur du capital exigible. Le contrat sera résilié
si le montant de l’avance (principal et intérêts) à rembourser devient égal ou supérieur à
l’épargne acquise du contrat.....” ;
qu’après avoir exercé cette faculté à plusieurs reprises pour un montant total d’avances de 450
000 euros, Mme X... a souhaité bénéficier d’une nouvelle avance de 140 000 euros qui a été
limitée par la compagnie à la somme de 77 641,59 euros eu égard au montant total déjà versé
y compris les intérêts ; que se disant contrainte de racheter partiellement son contrat et
contestant la prise en compte des intérêts dans le calcul du pourcentage autorisé des avances,
Mme X... a assigné la compagnie en indemnisation de son préjudice ;
Attendu que pour débouter Mme X... de ses demandes, l’arrêt confirmatif attaqué retient que
la rédaction de l’article 13 du contrat ne satisfait pas aux vœux du législateur dès lors que,
dans son premier alinéa déterminant le montant de l’avance, il prévoit seulement comme
limite de celle-ci qu’elle ne doit pas dépasser 60 % de la valeur acquise par le contrat et ne
comporte aucune référence à la prise en compte des intérêts, mais que la réponse ne fait aucun
doute dans la mesure où la stipulation claire de l‘avant dernier alinéa de l’article 13 selon
lequel : “le contrat sera résilié si le montant de l’avance (principal et intérêts) à rembourser
devient égal ou supérieur à l’épargne acquise du contrat”, commandait à l’assureur, la
résiliation du contrat n’étant pas demandée, de limiter l’avance en tenant compte des intérêts ;
Qu’en statuant ainsi alors qu’elle avait constaté que l’alinéa 2 de l’article 13 relatif au plafond
des avances pouvant être accordées à hauteur de 60 % de la valeur acquise par le contrat, ne
précisait pas leur mode de calcul et que la disposition mentionnant le montant de l’avance en
principal et intérêts, concernait uniquement l’hypothèse où ce montant devenant supérieur à la
valeur acquise du contrat, celui-ci devait être résilié, de sorte que la clause précitée pouvait
aussi être interprétée en ce sens que le montant des avances accordées ne pouvait dépasser
60% en principal et que le contrat devait être résilié lorsque le montant des avances
représentait 100 % en principal et intérêts de la valeur acquise du contrat ;
D’où il suit qu’en donnant à ladite clause un sens qui n’était pas le sens le plus favorable à
Mme X..., la cour d’appel a violé, par refus d’application, le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 15 juin 2010, entre les
parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état
où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel
de Paris, autrement composée ;