Les chercheurs et post-doctorants étrangers travaillant dans les
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Les chercheurs et post-doctorants étrangers travaillant dans les
Les chercheurs et post-doctorants étrangers travaillant dans les institutions publiques de recherche et les entreprises François Dedieu sous la direction de Christine Musselin, directeur de recherche FNSP/CNRS, Centre de Sociologie des Organisations Octobre 2002 REMERCIEMENTS Cette enquête a été menée dans le cadre d’un appel d’offres lancé par le bureau des Etudes statistiques sur la recherche de la direction de la Programmation et du développement. Nous tenons ici à remercier les membres de ce bureau pour la confiance et pour le soutien qu’ils nous ont portés dans la réalisation de ce travail. Par ailleurs, cette enquête doit énormément aux laboratoires publics et privés qui ont accepté de nous recevoir et à toutes les personnes avec lesquelles François Dedieu a mené des entretiens : qu’elles soient ici expressément remerciées pour le temps et l’attention qu’elles ont bien voulu consacrer à ce travail. 1 Sommaire Introduction Generale ........................................................................... 5 Première partie : la mobilité des chercheurs étrangers dans le secteur public français : le marché et le réseau, deux modèles de circulation des chercheurs .......................................... 9 Introduction ..........................................................................................10 I. Mobilité internationale et carrière .................................................10 1. Le Post-doctorat : une étape obligatoire dans les sciences « exactes » ............................................................................................................. 11 2. La mobilité des doctorants étrangers et des professeurs étrangers statutaires : des raisons personnelles comme motivation prépondérante ............................................................................................................. 14 3. Les professeurs invités : une mobilité de courte durée très appréciée des chercheurs ..................................................................................... 18 II. L’offre des laboratoires – Des logiques d’intégration variables en fonction statut du chercheur étranger .........................................20 1. Les post-doctorants : une main d’œuvre « rentable » et privilégiée pour la chimie et les sciences de la vie................................ 20_Toc24821297 2 Les doctorants étrangers : une main d’œuvre plus rare à l’exception des sciences économiques..................................................................... 23 3 Les professeurs invités : des échanges très prisés par les laboratoires ............................................................................................................. 24 4. Le vécu des chercheurs étrangers en France : un séjour jugé positivement à l’exception des post-doctorants soumis à une forte pression................................................................................................ 26 III. La venue des chercheurs étrangers en France, une mobilité à deux faces : le marché et le réseau ....................................................28 2 1. La mobilité dans le modèle du marché : les « meilleurs » laboratoires attirent les «meilleurs » candidats ....................................................... 28 2. Les doctorants : un marché plus restreint et moins structuré.......... 37 3. Une mobilité inscrite dans le cadre de la construction des réseaux : l’échange de chercheurs comme point d’ancrage à la coopération...... 39 Conclusion partie I : le modèle du marché prépondérant dans la mobilité des chercheurs publics ? ......................................................49 Deuxième Partie : Les chercheurs étrangers dans le secteur privé français : la taille de l’entreprise et les statuts des chercheurs comme éléments structurants des pratiques de mobilité ..............................................................................................51 INTRODUCTION................................................................................52 I. Présentation des entreprises étudiées ............................................52 1. La discipline des sciences de la vie ................................................... 52 2. Le secteur de la Chimie : une place privilégiée pour les ingénieurs. 54 3. Les sciences économiques................................................................. 56 II. Les docteurs et les ingénieurs, les deux catégories de chercheurs rencontrées dans le secteur privé ..................................58 1. Les docteurs : une formation universitaire « spécialisée »............... 58 2. Les ingénieurs : des scientifiques généralistes.................................. 60 3. Les post-doctorants et les doctorants : une faible représentation des étrangers dans le secteur privé ......................................................62 III. Les entreprises françaises face aux recrutement de scientifiques étrangers : 3 logiques d’intégration différenciées....64 1. Les chercheurs étrangers comme substituts des chercheurs français ............................................................................................................. 64 3 2. Les chercheurs étrangers : des concurrents naturels dans la course aux meilleurs........................................................................................ 70 3. Les restructurations et fusions industrielles comme cadre de la mobilité ................................................................................................ 74 4. Les entreprises « fermées » aux scientifiques étrangers : les filières de formation françaises comme recours exclusif...................................... 77 5. Le vécu des chercheurs étrangers : les entreprises françaises trop bureaucratiques ? ................................................................................ 84 6. La mobilité des chercheurs étrangers dans le secteur privé : la prédominance du modèle du marché................................................... 85 Conclusion de Partie II : des logiques de mobilité hétérogènes dans le secteur privé ............................................................................87 Conclusion GENERALE ................................................................89 ANNEXES ......................................................................................93 Bibliographie ..................................................................................102 4 INTRODUCTION GENERALE L’étude empirique qualitative présentée dans ce rapport vise à comprendre et à analyser l’insertion des chercheurs et post doctorants étrangers travaillant dans les institutions publiques de recherche et dans les entreprises. Elle porte notamment : - sur les situations de travail des chercheurs et post doctorants - sur leurs motivations : comment ils ont eu connaissance de cette possibilité de mobilité et pourquoi ils ont présenté leur candidature ? Comment s’inscrit ce séjour dans leur parcours personnel ? Quelles attentes ont-ils ? Quelles sont les difficultés ou au contraire les avantages que leur apporte cette mobilité en France ? - sur les stratégies des entités publiques ou privées qui les accueillent en regardant comment elles gèrent ces populations sur le court terme (quels contrats, quelles rémunérations, mais aussi quel contenu du travail, quelle insertion dans le laboratoire, sur quel type de projet…) et sur le long terme (existence de stratégies particulières visà- vis de ce type de population, insertion de cette pratique d’accueil dans des stratégies plus larges d’échange, de partenariat, d’implantation à l’étranger…) Il ne s’agissait pas d’élaborer un panorama général de l'ensemble des situations existant sur le territoire français mais de recourir à une approche qualitative reposant sur la comparaison de cas a priori différents afin d'identifier les convergences et divergences qui existent entre eux et de repérer des facteurs permettant d'expliquer ces similitudes et ces écarts. 5 Choix des disciplines et échantillon Dans cette perspective, le choix des champs disciplinaires a obéi à un double principe organisateur : premièrement des disciplines où les pratiques de recherche sont différentes, et deuxièmement des disciplines où les possibilités de recrutement de chercheurs ou post doctorants étrangers ne sont pas identiques. Trois disciplines ont été retenues : - Les sciences de la vie parce que beaucoup de travaux récents y voient le lieu d’une recomposition des modes d’organisation et de production de la science (cf. par exemple Gibbons et al, 1994 ou Powell, 1990, 1998 ou Gittelman à paraître, ou encore Owen-Smith et al à paraître) et parce que la concurrence avec l’Amérique du Nord y est forte. - La chimie en tant que secteur scientifique plus traditionnel sur lequel au sein de l’Europe la capacité d’attraction des laboratoires français peut être concurrencée par des pays voisins. - L’économie en tant que discipline relevant des sciences de l’homme et pour laquelle la France dispose d’une bonne réputation internationale. Pour chacune de ces trois disciplines nous avons étudié deux laboratoires privés et deux laboratoires publics. Les critères ambitieux que nous avions fixés pour la sélection des unités à étudier n’ont pu être tous respectés, notamment parce que l’accès aux laboratoires privés a souvent été difficile à obtenir (plusieurs cas de refus sont à dénombrer). Dans chaque entité étudiée, des entretiens ont été réalisés avec les responsables (directeur de laboratoire, responsables d’équipes), des chercheurs ou post-doctorants étrangers, quelques chercheurs ou post-doctorants français travaillant avec eux. Le détail des plus de cent entretiens réalisés est disponible en annexe. Nous souhaitions choisir les laboratoires de manière à ce que : l’un des laboratoires publics ait des relations suivies avec un des laboratoires privés ; l’un des laboratoires emploie beaucoup moins d’étrangers que les trois autres ; les laboratoires publics relèvent d’institutions nationales de recherche différentes (au minimum : CNRS, INSERM et INRA) ; que les laboratoires privés comportent de petites et de grandes entreprises, mais aussi des entreprises « étrangères » et des entreprises « françaises ». 6 Méthodologie L’enquête a été menée à l’aide de la méthodologie d'analyse de l'action organisée développée par Michel Crozier et Erhard Friedberg (Crozier et Friedberg 1977 ; Friedberg 1993). Cette approche repose principalement sur la réalisation d'entretiens semi-directifs, d'une durée de une heure trente à deux heures, qui sont anonymes et ont porté sur les relations entre les chercheurs et post doctorants étrangers et leurs laboratoires d’accueil. Plus précisément, ils visaient à comprendre comment les contacts ont été initiés et comment ils se maintiennent et évoluent. Ces entretiens étaient également centrés sur les caractéristiques des situations particulières dans lesquelles se trouvent ces chercheurs et post-doctorants. Le guide d’entretien utilisé est consultable en annexe de ce rapport. L'exploitation systématique de tous les entretiens réalisés et la confrontation des informations qu'ils contiennent ont permis de reconstituer les interactions, de les hiérarchiser les unes par rapport aux autres, de qualifier leur nature et de découvrir les enjeux qui les sous-tendent. Des monographies ont été rédigées pour chacune des trois disciplines et le présent rapport visent à dégager les points de convergence et de divergence qui ressortent de la comparaison de ces rapports intermédiaires. Organisation du rapport Pour les trois disciplines étudiées, nous avons constaté des différences très fortes entre ce que nous avons observé dans les laboratoires publics d’un côté et ce que nous avons relevé dans les laboratoires privés de l’autre. Ceci explique que ce rapport soit structuré autour de cette opposition public/privé. Ainsi, non seulement les passages d’un secteur à l’autre semblent rares (on reste dans le public si on y a commencé et on reste dans le privé une fois qu’on y a travaillé), mais de plus les modes de recrutement des étrangers, les niveaux de recrutements, les développements de carrière envisagés ou souhaités ne sont pas comparables. La première partie sera donc consacrée aux chercheurs étrangers des laboratoires publics, qui sont prioritairement des post-doctorants pour la biologie et la chimie et des doctorants pour 7 l’économie. Après avoir distingué les différentes opportunités de mobilité qui sont utilisées, nous nous centrerons sur la place de ces chercheurs étrangers dans les laboratoires. Enfin, nous analyserons comment se produit la rencontre entre des laboratoires en quête de postdoctorants et des post-doctorants en quête de laboratoire. La seconde partie porte sur les chercheurs étrangers des laboratoires privés. Nous commencerons par une rapide présentation des entreprises qui ont accepté de nous recevoir avant d’identifier quelques logiques communes entre elles dans le repérage et la gestion de ces personnels. Puis nous nous intéresserons aux deux catégories de chercheurs les plus concernées par ces mobilités, les docteurs et les ingénieurs. Enfin, nous décrirons pourquoi les entreprises font appel à ces chercheurs et comment elles les recrutent. 8 PREMIERE PARTIE LA MOBILITE DES CHERCHEURS ETRANGERS DANS LE SECTEUR PUBLIC FRANÇAIS Le marché et le réseau, deux modèles de circulation des chercheurs 9 INTRODUCTION Dans le secteur public Français, les pratiques de mobilité des chercheurs étrangers divergent en fonction de la catégorie du chercheur : doctorants, post-doctorants, chercheurs statutaires et professeurs invités, ainsi que selon les trois disciplines scientifiques étudiées : les sciences de la vie, la chimie et les sciences économiques. Afin de comprendre les logiques de cette mobilité, nous nous intéresserons, dans une première partie aux raisons qui incitent les chercheur s étrangers à venir en France puis dans une deuxième partie, aux stratégies des laboratoires en vue d’intégrer cette main d’œuvre étrangère dans leurs équipes de recherche. Enfin, dans une troisième partie, nous examinerons par quels moyens l’ « offre » et la « demande » parviennent à se rencontrer. Nous verrons alors que la mobilité dans le secteur public s’inscrit dans deux modèles : le marché et le réseau. I. MOBILITE INTERNATIONALE ET CARRIERE Cette première partie, vise à présenter les différente s catégories de chercheurs sur lesquelles porte l’étude : les post-doctorants, les doctorants, les chercheurs statutaires et enfin les professeurs invités. Nous aurons ici le souci de décrire en fonction de quelles logiques la mobilité internationale intervient dans la gestion de la carrière globale des chercheurs : cette mobilité est-elle une étape incontournable dans la carrière du chercheur ou est-elle guidée plutôt par des choix plus personnels ? 10 1. Le Post-doctorat : une étape obligatoire dans les sciences « exactes » 1.1 Les sciences de la vie et la chimie : Le post-doctorat comme standard professionnel 1.1.1 Une carrière publique dans les sciences de la vie et en chimie passe par un postdoctorat Dans les disciplines des sciences de la vie et de la chimie, le post-doctorat nous a été présenté comme un passage obligatoire avant d’envisager un poste de titulaire. « Si vous ne faîtes pas un post-doctorat, c’est quand même plus difficile d’avoir un poste de titulaire /…/ le post-doctorat ça reste quand même le passage obligé pour avoir un bon CV » Post-doctorant- CNRS En chimie, le post-doctorat s’avère surtout obligatoire pour les futurs candidats aux organismes de recherche publics tels que le CNRS. « En chimie le post-doctorat est obligatoire si vous visez le CNRS » directeur de laboratoireChimie- CNRS « Le post-doctorat est une étape obligatoire en chimie si vous voulez rentrer au CNRS. Même si vous vous voulez rentrer à l’ARC il vaut mieux l’avoir fait, même pour l’industrie on commence à voir qu’ils exigent un post-doctorat à l’étranger pour vérifier comment les gens s’adaptent à certains milieux, pour apprendre d’autres techniques. Du reste c’est important le renouvellement du personnel. Moi je connais des labos qui ont dépéri par un recrutement uniquement interne » directeur de laboratoire - Chimie - CNRS/ Sciences de la vie- institut curie Dans ces deux disciplines, le post-doctorat doit être réalisé à l’étranger afin de mettre à l’épreuve les capacités d’adaptation du chercheur à une nouvelle équipe et à de nouvelles techniques. « C’est toujours bien de bouger, de montrer que tu peux t’adapter à un nouveau pays, c’est important pour un chercheur de montrer qu’il est adaptable et qu’il peut apprendre de nouvelles techniques dans un contexte étranger » Post-doctorant- Sciences de la vie -CNRS Dans notre étude, les post-doctorants constituent donc la catégorie de chercheur la plus mobile puisqu’il n’existe très peu de postes de post-doctorat pour les français. « Là ce sont, c’est vrai, plus des post-doctorants parce que ce sont eux qui viennent taper à notre porte et puis surtout ils sont plus faciles à financer que les post-doctorants français. Pour les Français les possibilités de financement sont extrêmement restreintes, donc à chaque fois sur l’ensemble des post-doctorants que j’ai, la moitié ou les 2/3 sont des étrangers. Lorsque j’ai des Français, c’est toujours particulier parce que la règle c’est de faire son postdoctorat à l’étranger. Là j’en ai un, c’est un poste Pasteur toujours limité dans le temps. Pour un Français c’est une bonne chose de faire son post-doc à l’étranger parce que 1. c’est obligatoire pour la suite de sa carrière et 2. parce que comme ça cela montre qu’ils peuvent s’intégrer dans d’autres équipes, apprendre de nouvelles choses. Pendant longtemps ils allaient beaucoup vers les USA. Maintenant c’est plus vers l’Europe, maintenant 80% des bourses de post-doctorat sont destinées aux étrangers. Sinon pour recruter un Français vous 11 pouvez solliciter les associations comme l’ARC, la ligue contre le cancer mais ça reste tout de même plus restreint » Responsable de groupe Sciences de la vie-INSERM Du point de vue des jeunes chercheurs, le post-doctorat constitue, une étape décisive dans leur carrière. Ils sont contraints de publier les résultats de leurs travaux afin d’envisager un poste de chercheur titulaire. « Le post-doctorat c’est la période délicate et tu as la pression en terme de publications. Moi je suis là pour 3 ans. Si je ne publie rien entre temps c’est foutu pour obtenir un poste de chercheur. Déjà les places sont limitées en France comme au Canada (pays d’origine), alors sans publications ce n’est pas la peine d’essayer » Post-doctorant- Sciences de la vie-INSERM « Ce n’est pas complètement obligatoire le post-doctorat. Mais au niveau apprentissage et formation, c’est mieux si tu veux passer le concours dans l’administration de la recherche. De plus c’est mieux à l’étranger parce que tu as le barrage de la langue et en plus ici à l’INRA qui est réputé tout ceci combine pour un sacré avantage pour ta carrière » post-doctorant étrangerChimie - INRA 1.1.2 Les post-doctorants: Une stratégie de carrière non arrêtée au moment du postdoctorat Au commencement du post-doctorat, ces jeunes chercheurs n’ont pas de stratégie de carrière clairement définie. A ce stade, ils n’ont pas une idée précise de leur avenir dans la recherche. « Quand vous commencez votre post-doctorat, vous ne savez pas exactement quoi faire après, de toute façon moi je raisonnais par étapes : d’abord le post-doctorat et ensuite pour la titularisation c’est plus incertain» Post-doctorant étranger - Sciences de la vie - INSERM Si, pour la plupart des personnes que nous avons rencontrées, les post-doctorants pensaient en premier lieu retourner dans leurs pays d’origine après leur post-doctorat, ce choix peut être amené à évoluer au gré de cette expérience. Ainsi, nombre d’entre eux découvrent des possibilités supplémentaires leur permettant de postuler à un poste de titulaire soit dans les institutions de recherche française (INSERM, CNRS, INRA) ou encore comme maître de conférence à l’université) soit par le réseau de connaissances dont dispose le laboratoire d’accueil. De ce fait, l’étape du post-doctorat est également considérée comme source de possibilités supplémentaires pour envisager une titularisation. « Quand je suis arrivé, je me suis toujours dit que j’allais retourner en Espagne. Mais maintenant je vois qu’en Espagne ce n’est pas facile d’avoir un poste dans la recherche. Maintenant ma femme et moi travaillons ici depuis 3 ans et on n’ est pas contre l’idée de rester ici. Autant faut il qu’il y ait une opportunité. Donc ce qu’on va faire c’est qu’on va demander des deux cotés en Espagne et en France. Pour l’instant je vais demander une autre bourse Marie Curie pour 6 mois ou un an avec l’idée de postuler à l’INSERM et au CNRS et enfin en maître de conf » Post-doctorant- Sciences de la vie INSERM « Je n’ai pas une idée très précise de ce que je veux faire pour l’instant. Je pense rentrer en GB parce qu’il y a plus de possibilités de carrière mais je ne serai pas contre l’idée de rester en France ça dépend des possibilités» » Post-doctorant- Chimie- CNRS 12 1.2 Dans les sciences économiques : le post-doctorat est utilisé comme une période de transition En économie, contrairement aux autres disciplines de « sciences exactes », la chimie et les sciences de la vie, le post-doctorat n’est pas un standard professionnel. Le post-doctorat sert plutôt à combler une période transitoire entr e la fin du doctorat et les concours d’entrée dans les institutions de recherche publiques. Les bourses de post-doctorat présentent en effet, l’avantage d’être souples c’est- à-dire qu’elles pouvent être prolongées ou interrompues en fonction des opportunités jeunes chercheurs. « Les post-doctorats en éco et surtout en France c’est surtout une période de transition parce que les auditions maître de conférence et post-doctorat se font en juin et ils terminent leurs thèses en décembre. En plus ici ils ont une 2ème année de DEA donc ils terminent leurs thèses souvent durant la période de post-doctorat pour ensuite pouvoir candidater aux postes. Le Post-doctorat est souple et renouvelable s’ils échouent à leurs concours » Directeur de laboratoire- économie - CNRS Pour les docteurs en économie, le post-doctorat est donc un moyen d’attendre les concours en finalisant une publication ou même d’achever son doctorat si son financement parvient à son terme de 3 ans . De plus, le post-doctorat ne se déroule pas systématiquement dans un laboratoire à l’étranger. Elles peuvent être attribuées par le laboratoire où le doctorant a réalisé sa thèse. Pourtant, la mobilité des post-doctorants en économie existe mais principalement dans le cadre d’obtention de bourses européennes spécifiques attribuées sous condition d’accueil dans un laboratoire étranger. « Les Français vont tous à l’étranger parce que le financement se fait par la communauté européenne : en général ils vont en grande Bretagne, Belgique, Espagne /…/ Pour faire un post-doctorat il faut essentiellement obtenir des financements de l’union européenne ou de Marie Curie. Mais en terme de post-doctorat on est bien moins organisé que la Belgique et l’Angleterre » Directeur de laboratoire- économie- CNRS Soulignons enfin que, contrairement aux deux autres disciplines étudiées, les post-doctorants en économie ne travaillent pas sur des sujets particuliers attribués par les laboratoires. Ils travaillent plutôt à la rédaction d’articles tirés de leurs thèses ou issus d’ une collaboration avec d’autres chercheurs, qu’ils ajouteront à leurs CV. Les bourses de doctorat sont, dans leur grande majorité accordées pour 3 ans. 13 De ce fait, les post-doctorants constituent une main d’œuvre quantitativement bien moins importante dans cette discipline. « Les post-doctorant on n’en a pas beaucoup, actuellement on en a 4 et encore c’est une année exceptionnelle » Directeur de laboratoire- économie- CNRS 2. La mobilité des doctorants étrangers et des professeurs étrangers statutaires : des raisons personnelles comme motivation prépondérante 2.1 La thèse : une période d’apprentissage, moins propice à la mobilité Les étudiants en thèse constituent, contrairement à leurs aînés post-doctorants, une catégorie de chercheurs très peu mobiles. Dans les laboratoires où nous avons mené notre étude, peu de doctorants de nationalité étrangère intégraient les équipes de recherche à l’exception notable de l’économie que nous détaillerons plus bas. En effet, la thèse est une période d’apprentissage où le jeune chercheur développe pour la première fois un projet de long terme. Pour ce faire, il a besoin de mener ses travaux sous la conduite de chercheurs confirmés qui vont l’orienter dans ses démarches de recherche. Les doctorants ne sont par conséquents pas autonomes dans les laboratoires et nécessitent l’encadrement de chercheurs confirmés. « Un des aspects qui était pour moi le plus important dans la thèse c’est d’être bien encadré. SI tu n’es pas bien suivi, tu vas te planter parce qu’en tant que doctorant tu n’as pas forcément tous les bons réflexes » Doctorant CNRS Du fait de cette nécessité d’apprentissage, les doctorants choisissent, pour la plupart, de rester dans leur laboratoire d’origine afin de bénéficier de l’encadrement de chercheurs qu’ils connaissent et dont ils savent qu’ils pourront leur apporter l’encadrement pédagogique nécessaire. « Moi je suis une exception parce que normalement en Espagne, ma thèse j’aurais dû la faire dans mon laboratoire en Espagne /…/ la thèse c’est pas le post-doctorat, il faut que tu saches exactement où tu vas sur ton sujet. C’est pour cela qu’il vaut mieux rester dans un laboratoire que tu connais bien, comme ça tu choisis mieux avec qui tu peux travailler » DoctorantSciences de la vie - CNRS 14 Du point de vue des doctorants étrangers, deux raisons majeures les motivent à faire une thèse à l’étranger : il s’agit d’une part de raisons personnelles et d’autre part d’une mobilité exercée afin de trouver des conditions de travail plus favorables en France. 2.1.1 Le « challenge » personnel comme moteur de la mobilité Du fait que le doctorat est une période peu propice à la mobilité, les doctorants étrangers choisissent de partir tout d’abord pour des raisons personnelles. A ce titre, les doctorants, ont souligné l’importance du « challenge personnel » que représente le fait de vivre dans un pays étranger et qui constitue un élément déterminant dans leur choix. « A la fin de mon DEA je ne savais pas quoi faire /../ Quand j’ai décidé de faire de la recherche, une thèse, j’ai choisi de partir de mon pays pour des raisons personnelles. Je voulais couper avec ma famille, découvrir autre chose » Doctorante/ Sciences de la vie INSERM/ CNRS « J’étais à un stade de ma vie qui faisait que je voulais changer d’univers, découvrir autre chose, alors quand j’ai eu cette opportunité de faire ma thèse à l’étranger, je me suis dit « c’est maintenant ou jamais » Doctorante/ Sciences de la vie INSERM/ CNRS Dès lors, les critères scientifiques intervenant dans le choix du laboratoire sont secondaires aux yeux des doctorants étrangers. Ils privilégient au contraire le choix du pays ou de la ville où ils voudront faire leur thèse. « J’ai choisi Montpellier parce que le sud de la France c’était bien pour moi, le soleil, la plage et aussi parce que j’étais à coté du Portugal (pays d’origine)» Doctorant-Sciences de la vie CNRS « J’avais choisi l’Europe pour pas trop m’éloigner quand même. Dans le choix du labo, j’avais décidé de privilégier le coté humain. Le coté scientifique est important mais je voulais choisir aussi un univers sympa » Doctorante-Sciences de la vie- CNRS « Moi ce qui a forcé mon choix c’est d’apprendre une 3eme langue pour retourner ensuite avec un supplément. Donc vous voyez que ce n’est pas au départ pour des raisons scientifiques même si je voulais rester sur le même domaine de recherche : l’embryon » Doctorant-Sciences de la vie INSERM 2.1.2 Une mobilité « par défaut » La mobilité des doctorants étrangers est enfin associée à la recherche de garanties supplémentaires qu’offrent la France pour leurs carrières en comparaison avec celles de leurs pays d’origine. C’est principalement le cas des étudiants provenant des pays en voie de développement. « Quand j’ai décidé de partir j’ai dit aux gens de mon labo « je vois le futur en noir en Argentine donc pour moi il faut que je parte ». C’était une bonne opportunité parce qu’ici les 15 moyens pour travailler sont beaucoup plus confortables» Doctorant Sciences de la vie INSERM « En Chine, les structures pour les Sciences de la vie sont vraiment moins importantes qu’ici. Je me suis dit si je veux rester dans la recherche, il faut que j’aille dans des labos qui m’apporteront plus. Donc je me suis renseignés sur les bourses et j’ai vu qu’il y avait des bourses fléchées pour la France. Je suis venu une première fois en France pour voir et j’ai fait mes premières démarches au CNOUS et c’est là que j’ai rencontré un prof qui travaillait sur le même domaine. Il m’a aidé et il m’a pris dans son labo, ma spécialité l’intéressait. Je ne sais pas si le choix du labo est absolument lié à la réputation. Une thèse c’est 3 ans et après on s’en va, si vraiment j’avais voulu ça, j’aurais pris un labo dirigé par un prix Nobel » DoctorantSciences de la vie CNRS Dans cette perspective, nous pouvons également évoquer les cas des étudiants de pays comme l’Algérie ou le Gabon disposant de bourses d’étude de 3ème cycle et de doctorat et accueillis en France dans le cadre de programme d’échange spécifique, les universités de leurs pays ne comprenant pas ces cycles universitaires. « Je suis venu d’Algérie en France parce que j’ai un des premiers au classement de ma licence et ceci me permettait d’avoir une bourse de 4 ans pour venir faire mon DEA et ma thèse en France » Doctorant- Economie Université « Au Gabon, la fac s’arrête au DEUG donc si tu veux continuer tes études il faut que tu aies une bourse du gouvernement pour venir étudier soit au Maroc soit en France » Post-doctorantChimie - CNRS 2.1.3 Les doctorant des sciences économiques : une mobilité de court terme encouragée Dans les laboratoires de sciences économiques étudiés, nous avons constaté une mobilité plus importante des doctorants à l’étranger. Il est en effet courant, qu’au cours du doctorat d’économie, l’étudiant séjourne temporairement dans un laboratoire étranger. Cette mobilité ponctuelle est permise grâce à des bourses attribuées surtout par programmes d’échanges européens spécifiques. « Je fais ma thèse à Bonn et c’est une des meilleures facs pour la micro économie avec Toulouse. Comme il y a un projet d’échange, ou plutôt un réseau entre Toulouse et Bonn, le réseau ENTER : avec Barcelone, Allemagne, Pays bas, Bruxelles, j’ai profité des bourses qu’ils donnaient pour passer un an ici à Toulouse pour avancer ma thèse parce qu’ici il y a des grands spécialistes très connus » Doctorant- économie- CNRS Pour les doctorants étrangers, cette mobilité ponctuelle est l’occasion d’échanger les résultats de leurs travaux en bénéficiant des conseils de professeurs spécialisés dans leur domaine. Les étudiants y voient de plus, l’opportunité de maîtriser une langue étrangère supplémentaire. « Je suis ici pour un an parce j’ai eu une bourse allemande. C’est sur les conseils de mon directeur de thèse que je suis venu ici. Il m’a dit que c’était excellent Toulouse et que passer une période ici pourrait m’aider dans ma réflexion de ma thèse. J’avais hésité entre Londres et Dans les cas rencontrés, ces périodes variaient de 3 mois à un an. 16 Toulouse mais j’ai choisi de venir ici pour apprendre le français aussi. J’ai choisi de bouger parce que c’est bien perçu en Allemagne de faire connaissance avec d’autres spécialistes qui seraient susceptibles de m’aider dans ma thèse » Doctorant- économie- CNRS 2.2 Les professeurs titulaires : une mobilité internationale choisie «par défaut » ou par motivations personnelles. Pour les chercheurs statutaires rencontrés au cours de cette étude, le choix de travailler en France obéit aux même raisons que celles que nous décrivions précédemment pour les doctorants à savoir une mobilité par « défaut » et dictée par des raisons personnelles. « Je suis venu ici pour suivre mon mari qui est également chercheur à l’INSERM /…/ On avait étudié toutes les possibilités : soit lui pouvait postuler aux USA soit moi en France. Finalement on s’est aperçu que c’était beaucoup plus facile pour moi de postuler en France à l’INSERM ou au CNRS que lui aux USA » Chercheur Sciences de la vie- CNRS/ INSERM « Au bout de deux ans aux USA, il y eu des restrictions budgétaires dans ce labo et comme on était titularisé au bout de 3 ans, je savais que les plus jeunes embauchés ne seraient pas reconduits. Alors tout de suite je me suis orienté vers la France et le CNRS parce que ma femme travaillait ici à l’INSEE et que ça faisait quelques temps déjà que je faisais l’aller/ retour France- USA et que j’en avais marre » Chercheur économie statutaire- CNRS Pour ces chercheurs, les raisons personnelles constituent un critère de choix primordial dans cette mobilité de long terme : certains des chercheurs statutaires étrangers que nous avons rencontrés ont en effet délaissé des postes aux salaires et aux conditions matérielles très avantageuses auxquels ils auraient pu prétendre ou qu’ils occupaient, dans leurs pays d’origine. C’est notamment le cas particulier de chercheurs américains et anglais qui firent le choix de suivre leurs épouses/concubines en France au détriment de postes de chercheurs statuaires économiquement plus intéressants dans leurs pays. «Quand je suis rentré au CNRS mon salaire a baissé de 40% par rapport à ce que je touchais aux USA. Aux USA le salaire d’un débutant est 4 fois supérieur au mien mais je l’ai fait pour ma femme qui voulait rester faire sa carrière ici. Je suis allé voir les gens de Paris I qui m’ont dit qu’ils m’accepteraient mais je voulais rester au CREST quand même. Le CNRS a dit OK, que j’étais libre. Le seul avantage du CNRS c’est que l’on est pas forcé de donner des cours, on est payé en plus. Mais les moyens pour la recherche en France sont plus minces ici par exemple je partage tous mes bureaux » Chercheur statutaire- économie CNRS Les chercheurs statutaires d’origine étrangère peuvent également choisir de s’établir en France en raison de perspectives de carrière bien plus favorables que celles offertes par leur pays d’origine. C’est le cas des chercheurs algériens, marocain ou encore chinois rencontrés qui nous évoquaie nt que la France leur ouvrait des opportunités de carrières plus favorables. « Quant l’opportunité de postuler au poste de maître de conférences s’est présenté je n’ai pas hésité /…/ De toute façon ce choix était évident dans le sens où j’avais ici de meilleures 17 conditions de travail qu’au Gabon. C’est un choix de carrière » Chercheur statutaire Chimie INRA Dans tous les cas, signalons que l’ensemble de ces chercheurs statutaires étrangers ont tous eu une expérience préalable en France que ce soit comme post-doctorant ou comme doctorant. 3. Les professeurs invités : une mobilité de courte durée très appréciée des chercheurs La dernière catégorie de chercheurs étrangers présente dans les laboratoires publics français sont les professeurs invités. Ces chercheurs statutaires étrangers sont accueillis par les laboratoires français dans deux cas de figure : soit dans le cadre d’une année sabbatique, soit par des invitations temporaires. 3.1 L’année sabbatique L’année sabbatique est la possibilité pour un chercheur statutaire de mettre en suspens son activité durant un an. Beaucoup choisissent de mettre à profit cette année de disponibilité dans un laboratoire étranger. Pour ce faire, ils disposent d’un financement attribué par leur laboratoire ou leur pays d’origine. Pour les chercheurs rencontrés, prendre une année sabbatique équivaut à l’écriture d’un ouvrage important ou encore à la volonté de découvrir des méthodes de recherche différentes. Pour ce faire, ils sont accueillis durant cette année, par un laboratoire travaillant sur des domaines proches du leur. Ils disposent de cette façon d’une certaine liberté qui leur permet de travailler en toute tranquillité tout en s’ouvrant à d’autres méthodes de travail. « J’ai choisi de venir ici pour mon année sabbatique ici à l’INSEE parce que j’étais intéressé par les données qu’ils avaient ici. Je me disais que ça serait l’occasion de tester les modèles d’économétrie sur lesquels je travaille depuis longtemps. C’est en fait l’occasion de renouveler mes recherches et de voir si je pouvais comme ça concrétiser un livre que j’ai en tête depuis un moment » professeur invité- Economie – CNRS/ INSEE 3.2 Les séjours temporaires Les invitations temporaires entre chercheurs constituent un autre cadre d’échange. Des chercheurs travaillant sur des sujets proches s’invitent ainsi mutuellement pour des courtes durées (variant de 2 semaines à 3 mois) pour présenter les résultats de leurs recherches. 18 Généralement, c’est le laboratoire qui invite qui prend en charge le financement de ces invitations : logement, transports etc…. . En contrepartie, le laboratoire attend de son invité qu’il assure des séminaires et des cours aux étudiants. De même que l’année sabbatique, ces invitations sont généralement l’occasion pour les chercheurs de bénéficier de moments de tranquillité, propices à la rédaction d’un article ou d’autres projets de recherche. « Je vais vous dire aussi la vérité. Si j’utilise mon temps de prof invité c’est aussi et presque surtout (rires) pour travailler tranquillement sans être dérangé par tous mes étudiants qui ont toujours des problèmes ou un truc à vous faire lire» Professeur invité- Sciences de la vie CNRS « Ces invitations se font individuellement, de chercheurs à chercheurs. Durant ces périodes ils viennent pour discuter avec les étudiants, ils nous apportent des éclairages sur certains travaux en cours. Si on se contentait de lire les revues on aurait des années de retard. On travaille beaucoup en interaction pour savoir quelles sont les fausses pistes sur lesquelles on ne peut pas s’engager, des tas de choses qu’on ne trouve pas dans les journaux» Professeur invité- économie- CNRS 3.3 Des invitations personnalisées Selon les chercheurs interrogés, ces invitations se font au gré de contacts individuels qui se nouent entre chercheurs travaillant sur des domaines proches. Ainsi, les « moyens » de rencontres sont les colloques ou encore la prise de contact (par e- mail) de chercheurs désirant avoir des approfondissements suite à la parution d’un ar ticle. « Les relations scientifiques vous les faites dans les conférences où vous êtes invités, vous échangez si vous avez des thèmes de recherche communs et puis lui peut vous inviter à donner un séminaire et puis ensuite c’est à votre tour. On peut lui payer 3 mois puis ensuite vous voyez s’il faut prolonger les affinités scientifiques mais aussi personnelles, ça compte aussi » Directeur de laboratoire chimie- CNRS/ ENS « On peut se mettre en contact par mail lorsque l’on a vu une publication qui nous intéresse. On contacte le prof : c’est comme ça que ça peut démarrer » Directeur de laboratoire - Sciences de la vie - CNRS Ces invitations résultent enfin, d’affinités personnelles entre chercheurs héritées du passé. 19 II. L’ OFFRE DES LABORATOIRES – D ES LOGIQUES D’ INTEGRATION VARIABLES EN FONCTION STATUT DU CHERCHEUR ETRANGER Pourquoi les laboratoires font- ils appel aux chercheurs étrangers ? A quels besoins spécifiques ces derniers répondent- ils ? Ce sont ces questions que nous allons développer dans la présente partie en distinguant « l’offre » proposée par les laboratoires selon des différentes catégories étudiées 1. Les post-doctorants : une main d’œuvre « rentable » et privilégiée pour la chimie et les sciences de la vie. Dans les disciplines de chimie et des sciences de la vie, les post-doctorants constituent dans la grande majorité des laboratoires rencontrés, une part importante du personnel total. Pour donner un ordre d’idée au lecteur, le pourcentage des post-doctorants dans les équipes rencontrées oscillait entre 30 et 50% de l’effectif total. Si dans ces deux disciplines, les post-doctorants sont présentés comme cruciaux pour l’activité des laboratoires, c’est qu’ils constituent une main d’œuvre particulièrement productive et ceci pour plusieurs raisons : ils représentent un personnel efficace, peu coûteux et pour lequel les laboratoires n’ont pas besoin de s’engager sur le long terme. 1.1 Une main d’œuvre efficace Tout d’abord, ces chercheurs sont soumis à une forte pression de résult ats en terme de publications. En effet, comme nous le précisions plus haut, l’étape du post-doctorat est décisive dans la carrière du chercheur, c’est pourquoi celui-ci doit obligatoirement produire des publications. « Avant de venir ici j’avais déjà pensé qu’il me fallait un certain nombre de publications /../ De toute façon, pour le post-doctorant, les publications c’est capital, c’est ce qui valorise notre travail » Post-doctorant- Sciences de la vie-INSERM En plus de cette obligation de résultats, ces chercheurs offrent un potentiel de travail supérieur à leurs homologues français . En effet, plus isolés dans leur vie sociale, ils peuvent d’avantage se consacrer à leur travail. 20 « En plus il faut dire que ces chercheurs travaillent beaucoup plus que les autres. Contrairement aux Français ils sont dans un environnement moins favorables, pas beaucoup de connaissances, pas beaucoup d’argent et une fois qu’on a visité Paris, on ne va pas le faire toute l’année, donc qu’est ce qu’ils font ? Ils bossent. Bon ça s’appelle de l’exploitation quand même » Directeur de laboratoire- Chimie- CNRS A ce titre, les responsables des laboratoires peuvent confier aux post-doctorants des sujets plus complexes mais aussi plus rentables en terme de production scientifique. « Généralement j’ai des idées de sujets en tête, des axes qui m’intéressent plus particulièrement. Après j’adapte les sujets aux gens qui se présentent /../ Il est bien évident que je donne les sujets plus complexes ou disons les plus innovants plutôt à un post-doctorant qu’a un thésard parce que le post-doctorant est plus autonome. Il a une plus grande expérience des méthodes de recherche. S’il (le post-doctorant) est très bon, je lui donnerai un sujet peut être plus dur mais dont il pourra tirer le bénéfice pour sa carrière » Responsable d’équipeSciences de la vie - institut INSERM/ CNRS « Pour nous, un post-doctorant, c’est une publication tous les 6 mois parce qu’on le met sur un sujet plus risqué alors que je reconnais qu’un étudiant en thèse c’est des publications dans des revues moins cotées » Directeur de labo- Chimie- CNRS/ institut curie Enfin, le temps d’adaptation d’un post-doctorant étranger est relativement court. L’apprentissage des techniques de manipulation et de la langue n’est donc pas considéré comme un problème pour les responsables des laboratoires. « Là-dessus (adaptation des post-doctorant), il n’y a aucun problème, en trois mois ils se débrouillent très bien en français. On fait nos conférences en anglais le temps qu’ils s’adaptent et puis après ça roule. Pour les techniques, c’est comme la cuisine, vous leurs montrez une fois et après deux manip c’est bon ils savent le faire » Directeur labo-Sciences de la vie - CNRS 1.2 Une main d’œuvre « meilleur marché » D’autre part, les post-doctorants constituent une main d’œuvre peut coûteuse pour les laboratoires. En effet et comme nous le développerons plus bas, lorsqu’ils recrutent un post-doctorant, les laboratoires sollicitent la plupart du temps des bourses d’études qui leur permettent de ne pas engager une partie de leur budget. Soulignons de plus, que même lorsque les laboratoires choisissent de recruter un postdoctorant étranger avec des fonds provenant d’une entreprise privée , ils paieront des charges sociales significativement moins importantes en comparaison de celles versées pour un Certains des laboratoires de recherche rencontrés bénéficiaient en effet de contrats de recherche privés contractés avec des entreprises. Sur ces fonds privés, les laboratoires peuvent choisir de recruter des postdoctorants qui sont alors salariés. 21 chercheur français. Les laboratoires ont dans ce cas la possibilité de déléguer la gestion des salaires (et le calcul des charges sociales ) des chercheurs étrangers à l’EGIDE, association à but non lucratif spécialisée dans l’accueil des étudiants étrangers . La citation suivante est éclairante sur le montant des exonérations : « Il y a un avantage énorme pour nous, c’est qu’ils (chercheurs étrangers) nous coûtent moins cher, c’est plus facile pour nous de les payer grâce à l’EGIDE /…/ Par exemple si je paye un étranger 6 000 F/ mois, moi je vais le payer en tout 7 000 F alors qu’un français avec les charges sociales ça va me coûter 12 000F. Avec l’EGIDE c’est super parce qu’ils s’occupent de tout ça. Je leur renvoie les papiers et après ils s‘occupent de tout » Chef de groupe- institut INSERM/ CNRS « Une des raisons fondamentales pour lesquelles on fait appel à des post-doctorants étrangers c’est qu’on paye moins de charges sociales que pour des français à compétences égales » Directeur de laboratoire - Chimie - Institut Curie/ CNRS Concrètement, pour les laboratoires ou les équipes de recherche, l’emploi des post-doctorants étrangers équivaut à une main d’œuvre moins onéreuse . « Disons le clairement, pour nous l’avantage est que les post-doctorants étrangers sont bien moins chers que les Français» Directeur de laboratoire- Chimie- CNRS Enfin, signalons le cas particulier des laboratoires de chimie rencontrés. Ces derniers semblent actuellement faire face à une pénurie de postulants potentiels au doctorat. Par conséquent, ils recrutent plus de post-doctorants afin de palier les carences de main d’œuvre que représentent les doctorants. « En ce moment on a du mal à recruter des doctorant donc du coup je vais prendre 2 postdoctorant en plus pour mettre sur un contrat que j’ai décroché et que j’aurai pu confier à un doctorant» Directeur de laboratoire - Chimie - CNRS « Faire une thèse en chimie ce n’est pas très couru en ce moment. Les étudiants préfèrent aller vers l’industrie parce que ça paye mieux et c’est plus sûr. Si vous voulez faire une thèse c’est 3 ans et en plus au bout vous n’êtes pas du tout sûr d’avoir un poste dans le public parce qu’ils sont très restreints » Directeur de laboratoire- Chimie - INRA 1.3 Une main d’œuvre « sans engagement » Enfin, et dernier avantage pour les laboratoires accueillant les post-doctorants étrangers, ils n’ont pas besoin de s’engager vis- à- vis d’eux sur le long terme. Ces chercheurs sont effectivement «de passage » pour une durée variable qui oscille entre 2 et 4 ans (pour les postdoctorants rencontrés). « Je ne veux pas garder des post-doctorant indéfiniment parce qu’après on crée des hors statuts. C’est vrai que les post-doctorants qui veulent rester en France c’est un problème parce A ce titre, l’EGIDE offre aux organismes publics ou privés des facilités de contractualisation entre les étrangers (ayant le statut d’étudiants ou stagiaires) et les organismes d’accueil. 22 qu’ils veulent toujours prolonger. Mais de notre coté on est clair avec les post-doctorant on s’engage pour un an c’est tout. Je ne garantis pas la pérennité du poste » Directeur de laboratoire- Chimie- CNRS/ institut Curie Nous relativiserons cependant ce constat dans la 3ème partie puisque nous verrons que dans la négociation visant à recruter les « meilleurs » chercheurs, les responsables des laboratoires peuvent leur proposer leur soutien à l’INSERM ou au CNRS en vue d’un poste de titulaire après le post-doctorat. 2 Les doctorants étrangers : une main d’œuvre plus rare à l’exception des sciences économiques 2.1 Les doctorants : un « coût » d’intégration plus élevée Surtout dans les sciences de la vie et la chimie, nous y reviendrons plus bas, les étudiants en thèse représentent une main d’œuvre moins productive en terme de production scientifique. Les laboratoires ne peuvent effectivement confier des sujets trop complexes à ces étudiants puisqu’ils sont toujours au stade de l’apprentissage de la recherche et de ce fait moins à même de traiter ce type de sujets. « Moi je connais des labos qui ne veulent pas de thèses et qui ne prennent que des postdoctorants parce qu’ils jugent que les thésards ne sont pas assez « rentables » au niveau de la recherche, c’est-à-dire si voulez grossièrement, le laboratoire avancera plus vite uniquement avec des post-doctorants et des chercheurs confirmés» Directeur de laboratoire- Sciences de la vie-CNRS De plus, l’accueil d’un doctorant nécessite un encadrement pédagogique qui implique un investissement en temps conséquent pour les chercheurs statutaires des laboratoires. « Quand on prend un thésard, je le mets avec un statutaire ou un post-doctorant. C’est pour l’encadrer c’est une obligation pour nous » responsable de groupe- Sciences de la vie- institut CNRS/ INSERM « Un post-doctorant on n’a pas l’aspect formation. Donc d’une certaine manière c’est moins contraignant parce que lorsque je recrute un thésard, il faut que j’aie un chercheur qui puisse l’encadrer. Ceci dit cela fait partie de notre mission d’encadrer des thèses, et on peut détecter des gens brillants chez les thésards» responsable de groupe- Sciences de la vie - INSERM 2.2 Une main d’œuvre qui reste « utile »… surtout pour les sciences économiques Pour autant, les responsables des laboratoires admettent que les doctorants participent bien à la production scientifique du laboratoire et qu’ils constituent, à ce titre, une partie du personnel également indispensable à la vie du laboratoire. 23 « En fait ici on est deux équipes dans le labo, moi j’en gère une. Ici on est donc 15 personnes et dans l’autre ils sont 7 ou 8. Au sein de l’équipe j’ai des statutaires, des étudiants thésards et des post-doctorants. Il y a peu près 4/ 5 personnes de chaque, je fais très attention à cet équilibre entre notre personnel permanent et personnel qui tourne. Les statuaires c’est du personnel qui vous accorde les moyens d’encadrement, ils peuvent diriger les projets et le personnel qui tourne, les post-doctorants et les thésards, c’est un renouvellement permanent, des personnes de nouveaux horizons. Pour ceux là, le taux de renouvellement ça doit être de 2 par an à peu près. Ici une thèse c’est relativement long. C’est pas comme en chimie, nous c’est 4 ou 5 ans. Moi en tant que responsable je suis toujours à la recherche de ce compromis. Mais on est limité ici à l’INSERM. On a une politique qui limite de toute façon les expansions abusives des laboratoires, vous ne verrez pas des labos qui ont une expansion de personnel très importante » Chef d’équipe- Sciences de la vie - INSERM Cette remarque concerne surtout les sciences économiques. Contrairement aux autres disciplines des sciences « exactes » où se sont plus les résultats des post-doctorats qui sont publiés dans les revues prestigieuses, dans les sciences économiques les doctorats sont plus fréquemment publiés dans les revues les plus « cotées ». « Toutes nos thèses sont publiées. C’est très important, ils ont deux ou trois ans pour faire une publication mais c’est dans un des journaux du top 20 parce que le processus de publication est assez long, ça prend en général plus d’un an. En plus, tous ces étudiants on leur finance chaque année des conférences annuelles pour qu’ils se fassent connaître, ils se font des réseaux de jeunes chercheurs pour publier entre eux comme ça ils s’invitent et travaillent ensemble » Directeur de laboratoire - économie- CNRS/ Université De ce fait, les doctorants dans les sciences économiques constituent une main d’œuvre plus « rentable » en terme de publications que dans les deux autres disciplines étudiées. 3 Les professeurs invités : des échanges très prisés par les laboratoires 3.1 Les invitations permettent de nouer des collaborations scientifiques Unanimement, les responsables des laboratoires étudiés, soulignent l’importance de ces invitations ponctuelles pour l’activité du laboratoire. Pour eux, cela marque tout d’abord une volonté d’ «ouverture » ou plus concrètement une occasion d’échanger des résultats de chercheurs travaillant dans le même champ en vue d’améliorer leur production scientifique réciproque. « Les professeurs invités c’est une occasion de s’ouvrir sur ce que font les autres. Ca permet aux étudiants et à nous aussi bien sur, de mieux réfléchir sur la portée des résultats auxquels nous pouvons arriver » Directeur de laboratoire- Chimie CNRS/ ENS De plus pour les laboratoires, le coût financier de ces invitations n’est généralement pas imputé sur leur budget propre mais sur celui de leur institution d’appartenance. Les 24 financements de ces invitations sont attribués suffisamment régulièrement par les organismes de recherche (INRA , CNRS, école normale supérieure, université… ) pour que les laboratoires puissent les mobiliser lorsqu’ils le souhaitent. Ajoutons de plus que le coût des invitations est également réduit du fait de leur durée restreinte. « L’ENS a toujours un quota de professeurs invités qui se comptent en mois et que chaque labo se partage. Il y a environ 40 mois pour 150 enseignants en sachant qu’il y a des postes d’enseignants vacants. C’est moins que ça et en plus pour nous c’est plus facile parce qu’on est le seul labo de physique donc on en a souvent » Directeur de laboratoire- chimie - ENS 3.2 Les (éternelles) rigidités administratives pénalisent le capital attractif des laboratoires Si ces invitations sont prisées par les laboratoires, ceux-ci déplorent en même temps des rigidités administratives lourdes qui rendent ces invitations peu attractives vis- à- vis de leurs collègues invités. Les responsables des laboratoires évoquent aussi des crédits limités en comparaison avec ceux dont disposent leurs homologues américains. « Ce sont des profs invités qui viennent pour une courte durée une semaine ou 2 mois. Pour les profs qui restent une année, c’est plus compliqué de trouver un financement. On utilise alors plusieurs choses : soit on utilise les chargé de mission de l’INSEE ce qui n’est pas très attractif pour les Américains, mais c’est plus facile avec les chercheurs européens. On peut aussi avoir les postes rouges du CNRS (attribué sur dossiers profil du candidat, ils passent en commission scientifique). Les gens qui viennent sont attirés par notre réputation scientifique, d’autres sont en année sabbatique, d’autres qui sont co- auteur. Souvent on leur demande de faire des cours sinon on les prend sur notre budget mais c’est pas le Pérou parce qu’on les loge dans des hôtels moyens et les indemnités journalières sont modiques » Directeur de laboratoire économie- INSEE/ CNRS De plus, la contrepartie que doivent parfois les professeurs invités en heures de cours peut dissuader certains d’entre eux et notamment les plus réputés (donc les plus sollicités) puisque, comme nous le soulignions précédemment, cela représente une perte de temps dans la réalisation de leurs travaux personnels. « On arrive à avoir des professeurs prestigieux parce que le département est bon mais ce n’est pas évident du tout. Le gros frein, c’est que les professeurs doivent donner 130h de cours. Pour le CNRS, on ne peut pas inviter des gens qui ne parlent pas français par exemple. Avec les financements de la Fac c’est plus libre mais il faut qu’ils (chercheurs invités) soient européens. On n’a pas pu inviter un chercheur américain il y a 6 mois à cause de ces rigidités : le fait que le CNRS n’a pas voulu donner les crédits à temps, lorsque lui pouvait. Alors il a eu des propositions de Harvard et Chicago pendant ce temps. On a dû lui expliquer qu’on n’était pas sûr d’avoir les financements pour ce mois là alors il a accepté les autres propositions. La solution c’est qu’on arrive à avoir l’IUF (Instiut universitaire de France), qui invite des profs en les déchargeant des cours. Mais c’est difficile à avoir/…/ On a même des profs qui viennent sur leur propre financement. Aux USA quand on est invité c’est 150 000 dollars avec 1 heure de cours » Directeur de laboratoire - Economie -CNRS/ Université Face à ces contraintes, les laboratoires s’appuient sur leur propre réputation scientifique ain si que sur l’attrait de la ville où ils sont situés. Les laboratoires implantés à Paris et à Toulouse, 25 que nous avons rencontrés, évoquaient cette ressource pour rendre leurs invitations plus attrayantes. « Et que voulez-vous… Paris au mois de juin ça ne se refuse pas non plus. J’aime venir à Paris durant cette période, je peux aller voir de nouvelles expositions, voir des amis que j’ai ici. Je profite de ces invitations aussi pour découvrir des villes européennes que j’adore » professeur invité- Sciences de la vie - INSERM « Quand ils viennent ici ce n’est pas pour l’argent sinon ils ne viennent pas. C’est d’autres raisons comme la culture, la qualité de vie, ou alors pour des raisons plus personnelles, parce qu’ils ont des amis dans le coin. Toulouse à ce titre c’est très attractif parce que la ville a un passé culturel important, qu’elle est bien située, que la gastronomie est bonne et en plus l’avantage c’est que le niveau de la vie est bas » Directeur de laboratoire- Economie-CNRS/ Université 4. Le vécu des chercheurs étrangers en France : un séjour jugé positivement à l’exception des post-doctorants soumis à une forte pression 4.1 Les post-doctorants face à une lourde charge de travail et à des rigidités administratives « typiquement » françaises Les chercheurs se déclarent globalement satisfaits de leur expérience en France. « Avant de partir, je savais que ça allait être une expérience riche. Au tout début je me disais que je m’étais trompée parce que ça a été difficile (rires). Mais maintenant je suis très heureuse d’avoir pu vivre un an et demi en France » Post-doctorante- Chimie- INSERM « Je dirais que ma vie en France est très agréable. Bien sûr on reste toujours l’étranger quand on se présente dans les soirées mais ça c’est pas grave. Maintenant je peux dire que je suis parfaitement intégré. J’ai beaucoup d’amis français et je pense que même après mon post-doc je reviendrai très souvent » Post-doctorant- Sciences de la vie - INSERM Parmi les différentes catégories de chercheurs, ce sont les post-doctorants qui évoquent les plus grandes difficultés dans le déroulement de leur séjour. Celles-ci sont tout d’abord d’ordre administratives : du fait de leur statut « hybride » entre salariés et étudiants, les postdoctorants se trouvent par exemple confrontés à des problèmes pour l’attribution de leurs cartes de séjour ou encore pour le remboursement de frais médicaux. « Je ne veux surtout pas trouver un autre poste parce que j’en ai marre du statut de postdoctorant. Quand vous faites un post-doctorant, vous n’êtes ni étudiant, ni salarié et l’administration française n’arrive pas à vous mettre dans des cases. Quand j’arrêterai mon post-doc, je ne pourrais pas toucher le chômage. C’est pareil pour les remboursement des frais médicaux. Comme je viens d’avoir une petite fille, je veux sortir de ce statut qui ne m’apporte rien du tout » Post-doctorante/ Chimie/ CNRS « Moi ils ont mis 4 mois pour me renouveler ma carte de séjour parce qu’ils ne savaient pas si j’étais étudiant. J’ai essayé de leur expliquer mais l’administration n’a rien compris. Du coup, cette affaire a pris 3 mois de courrier aller-retour pour finalement inscrire sur ma carte de Précisons ici que ces difficultés administratives concernent les post-doctorants provenant des pays hors de l’Union Européenne. Pour ceux qui y appartiennent les modalités d’entrée en France sont simplifiées. 26 séjour que j’étais étudiant ! Sinon on ne trouvait pas de solution » Post-doctorant/ Sciences de la vie/ INSERM De plus, les post-doctorants travaillant dans les laboratoires français les plus réputés avouent être soumis à une pression forte en terme de résultats. Si pour les plus motivés d’entre eux, un rythme de travail soutenu apparaît comme le « prix » de résultats intéressants qui vont servir leur carrière, d’autres estiment démesurée la pression que le laboratoire leur inflige. « Je ne vais pas renouveler mon post doctorat ici ça j’en suis sûr. Pourquoi ? parce que je m’use la santé ici. Tous les vendredi on a un réunion entre post doctorat et les chercheurs pour faire le point sur l’avancée de nos travaux. Toute la semaine du lundi au jeudi on bosse comme des dingues pour pouvoir trouver des choses nouvelles à dire en séminaire. J’ai déjà vu des post-doctorants pleurer dans les séminaires parce qu’ils craquaient » Post-doctorants/ Chimie/ CNRS/Institut Curie 4.2 La mobilité ouvre des perspectives supplémentaires Vivant en France au moins un an (sauf pour les professeurs invités bien sûr), les chercheurs étrangers rencontrés avouent toutefois que cette expérience prolongée de mobilité les amène souvent à bouleverser leurs volontés préalables de retour dans leur pays d’origine. Beaucoup de doctorants et de post-doctorants rencontrés, imaginaient s’établir en France pour la suite de leur carrière. « Ma copine et moi ça fait deux ans qu’on est à Paris et maintenant que les échéances sont là on se dit qu’on resterait bien définitivement ici. C’est pourquoi on regarde les opportunités ici et en Espagne. On serait pourtant un peu plus content si on était pris tous les deux en France. Même si on adore toujours l’Espagne on s’imagine très bien vivre à Paris pendant au moins 5 ans encore » Post-doctorant- Sciences de la vie - CNRS Pour d’autres, ce séjour les incite à renouveler l’expérience de vivre dans un autre pays. « Vivre ici me donne surtout le goût de découvrir d’autres pays après ma thèse, des pays comme l’Angleterre que je connais pas encore. Finalement je pense qu’il ne faut jamais partir de son pays parce qu’une fois qu’on a connu autre chose, on n’a plus envie de revenir ! » Doctorant économie- Université 27 III. L A VENUE DES CHERCHEURS ETRANGERS EN F RANCE, UNE MOBILITE A DEUX FACES : LE MARCHE ET LE RESEAU Nous avons, jusqu’à présent, id entifié pourquoi chaque catégorie de chercheurs étrangers choisissait d’exercer une mobilité internationale ainsi que les stratégies développées par les laboratoires. Il s’agit désormais d’analyser comment l’ « offre » des organismes de recherche et la « demande » des chercheurs parviennent à se rencontrer. Nous démontrerons ici que deux modèles distincts encadrent la mobilité des chercheurs étrangers : le marché et le réseau. Même si ces deux modèles s’entrecoupent dans la réalité, nous constaterons que la circulation des chercheurs obéit plutôt à un de ces deux modèles en fonction de la discipline scientifique dans laquelle ils se trouvent. 1. La mobilité dans le modèle du marché : les « meilleurs » laboratoires attirent les «meilleurs » candidats 1.1 les post-doctorants en chimie et dans les sciences de la vie : un marché structuré par la course à l’excellence 1.1.1 La demande des post-doctorants : la recherche du « meilleur » laboratoire En fonction de quels critères les post-doctorants étrangers choisissent-ils les laboratoires français susceptibles de les accueillir ? Il s’agit d’analyser maintenant ce qui constitue le capital attractif d’un laboratoire et les exigences des postulants. Le capital « attractif » des laboratoires Les laboratoires prestigieux sont tout d’abord ceux qui disposent d’une liste conséquente de publications. Mais il ne s’agit pas de n’importe quelle publication. En sciences de la vie et en chimie, elles sont classées selon des « critères d’impact » qui hiérarchisent les revues. Ainsi, les revues « dites » généralistes comme Nature (pour l’Europe) ou Science (pour les EtatsUnis) pour les sciences de la vie et le Journal of Chemical Physic pour la chimie représentent le haut de cette hiérarchie tandis que les revues plus spécialisées se situent à l’autre extrémité dans les deux disciplines. 28 « En sciences de la vie vous avez des facteurs d’impacts comme on dit, que l’on peut toujours discuter mais qui existent. Le principe est le suivant : vous avez des revues spécialisées qui touchent à tous les domaines des sciences de la vie : l’immunologie, la peau etc… et les revues généralistes comme Nature que normalement tout le monde doit pouvoir lire. Ce sont ces revues généralistes qui vous procurent le plus « grand facteur impact » Chef de groupeinstitut CNRS/ INSERM « Le prestige en chimie c’est le niveau des publications, le niveau de vos invitations aux conférences internationales, les publications dépendent du facteur d’impact : Nature, Science, Journal of chemical physic » Directeur de laboratoire- Chimie- CNRS La fréquence des invitations des chercheurs à des colloques internationaux participe également au prestige du laboratoire. « Je suis souvent invité à des colloques un peu partout. J’ai fait plus de 200 publications ce qui fait que les gens qui s’adressent à nous, ont déjà entendu parlé de nous. C’est aussi ça qui nous rend attractifs vis-à-vis des chercheurs qui postulent chez nous » Chef de groupe- institut CNRS/ INSERM 1.1.2 Les exigences des post-doctorants dans le choix du laboratoire Le choix du laboratoire : les critères scientifiques Au moment de leurs démarches quant au choix de leur laboratoire d’accueil, les futurs postdoctorants se déterminent selon les critères énoncés plus haut établissant le prestige de l’organisme : les publications dans les revues généralistes les plus « cotées » et la présence des chercheurs aux colloques internationaux. C’est en fonction de ces critères « rationnels » que les post-doctorants établissent leur choix. « L’immunologie c’est un domaine qui est déjà bien bouché où il y a beaucoup de chercheurs donc pour mon post-doctorat je voulais changer un peu de domaine. C’est pour ça que j’ai choisi la biologie du développement. Alors à la fin de ma thèse, j’ai suivi quelques cours dans ce domaine et j’ai postulé dans plusieurs labos à la fin de ma thèse. Mes recherches pour les labos, je les ai faites par Internet avec le serveur « pub med », où là on peut croiser les domaines que vous recherchez ou les spécialités et on vous sort tous les labos du monde qui travaillent sur ce domaine avec leurs listes de publications. Les publications c’est important, ça renseigne sur l’activité du laboratoire » Post-doctorant- Sciences de la vie INSERM « Du Québec, vous ne connaissez pas nécessairement le CNRS ou l’INSERM par contre l’institut Pasteur ça vous connaissez. D’ailleurs tous les chercheurs dans le monde le connaissent » Post-doctorant INSERM Le choix du laboratoire d’accueil est également déterminé en fonction du thème de recherche que le post-doctorant a choisi de développer. Le laboratoire retenu sera alors celui qui lui apportera la plus grande expérience dans ses futures recherches. « Ici à Paris j’ai vu 3 labos, j’ai pris celui-ci parce que les autres n’avaient pas de grosse expérience dans le domaine du développement embryonnaire. Ils m’ont dit que c’était assez novateur pour leur labo même s’ils étaient assez réputés comme l’Institut Pasteur, j’ai choisi ce labo parce qu’il avait une grosse expérience dans le domaine» Post-doctorants INSERM 29 « J’ai trouvé cette opportunité parce que j’ai un ami qui y travaillait avant, j’ai su qu’il cherchait une personne en post-doctorat. Je ne prenais pas de risque sur ce labo parce qu’il a une très bonne réputation en Angleterre et en Europe, je le connaissais avant de venir» Postdoctorant- Chimie - Institut curie/ CNRS Enfin, les post-doctorants sont attentifs à l’ambiance du laboratoire. Une bonne ambiance constitue un « plus » dans le choix du laboratoire. « Ici j’ai tout de suite senti que les gens étaient sympas. En discutant avec les autres chercheurs tout le monde m’a dit : « tu vas voir c’est sympa ici » et ça m’a influencé sûrement parce que quand vous quittez votre pays c’est important d’être dans une ambiance sympa. Si tu te retrouves avec des gens qui ne te parlent que boulot tu meurs » Post-doctorant- CNRS Les moyens de sélection : Internet et le réseau de connaissance Les post-doctorants sélectionnent les laboratoires selon deux moyens : 1. par le serveur Internet « PUB MED » et 2. par les réseaux de connaissances des amis ou collègues. Le serveur « PUB MED » permet au doctorant d’avoir accès à l’ensemble des laboratoires travaillant sur les thèmes de recherche souhaités ainsi que leurs publications. « Mon thème de recherche je le connaissais, je savais que continuerais à travailler sur le développement donc j’ai tapé mon thème sur Internet et j’ai eu la liste des labos, ensuite j’en ai retenu 4 et ensuite j’ai postulé aux quatre » Post-doctorant- Sciences de la vie-INSERM Pour les post-doctorants, les réseaux de connaissance apportent des garanties complémentaires dans la sélection du laboratoire. Il apparaît en effet plus rassurant de bénéficier des conseils d’un collègue ou ami qui connaissent les mêmes préoccupations : ambiance, méthodes de travail utilisées, conditions de travail . « Je connaissais le labo par une copine qui était en post-doctorat depuis un an. Elle m’avait conseillé de postuler parce que c’était sérieux mais aussi parce que l’ambiance était bonne » Post-doctorant- Sciences de la vie-INSERM « A la fin de ma thèse, j’ai fait un exposé aux journées scientifiques et le directeur de ce labo est venu me voir pour me proposer un post-doctorat mais en réalité il l’a proposé parce qu’il connaissait très bien mon directeur de thèse, il n’y avait pas de compétition parce que c’était un post-doctorat fléché, un poste rouge du CNRS » Post-doctorant- Chimie-CNRS / institut curie Le choix de la France : le poids des raisons personnelles En plus des critères rationnels décrits ci-dessus, les post-doctorants évoquent également des raisons plus personnelles dans leur venue en France. Ainsi, la mobilité devient un choix On retrouve ici les dispositifs de jugement par L. Karpik (1996) et en particuliers ceux qui reposent sur la confiance personnelle (réseaux d’amis). 30 concerté avec la conjointe/ conjoint du chercheur. Elle est encore motivée par la proximité avec leur pays d’origine ou enfin par l’attrait de la culture européenne et de la France en particulier. « Moi je m’étais fixé sur l’Europe parce que je connaissais un peu déjà. Ma mère est autrichienne et mon père est belge. Alors j’ai fait plusieurs entretiens en Allemagne, en Autriche et en France » Post-doctorant-Sciences de la vie- CNRS 1.2 Des modes de recrutement qui varient en fonction du capital attractif 1.2.1 Une méthode de recrutement « à l’Américaine » pour les laboratoires les plus attractifs Chaque laboratoire ne dispose pas des mêmes capacités d’attraction vis à vis des postulants étrangers. Cette variable agit sur les modes de recrutement des laboratoires. Les laboratoires « attractifs » emploient alors des méthodes de recrutement très sélectives tandis que les moins réputés cherchent à démarcher les postulants potentiels. Ainsi, lorsque le laboratoire est attractif/ réputé, celui- ci utilise une méthode de recrutement à l’ «américaine » : il s’agit d’accueillir le candidat dans le laboratoire et de lui faire présenter un séminaire pour exposer ses travaux et les soumettre à la discussion des membres du laboratoire. Cette méthode est considérée par les responsables des laboratoires comme la plus efficace pour juger de la valeur du candidat. « C’est pas toujours facile de reconnaître la qualité du candidat. Tout dépend d’où vient le candidat. Quand il vient de l’union européenne on peut le convoquer, discuter avec lui, lui faire faire un séminaire : c’est ça la meilleure façon de juger. A la limite la lecture du CV et des publications est parfois informative. Un nord américain c’est plus difficile de le faire venir même si on peut le faire. Moi je l’ai fait pour mon post-doctorant canadien. Une fois que le candidat nous semble bon, on discute du projet ensemble » Chef de groupe INSERM « Pour le recrutement, je vais discuter avec la personne, on regarde son CV, son discours, et son projet. Après ça on lui fait faire un séminaire et il va discuter avec les autres personnes de l'institut afin de voir s’il s’intéresse aux autres. Pour nous c’est très important car ici on a l’habitude de travailler en équipe » Chef de groupe Institut INSERM/ CNRS Pour ces mêmes laboratoires, les propositions de recrutement des chercheurs passent également par l’intermédiaire des réseaux de connaissances qui se nouent lors des colloques. Dans ce cas, la confiance entre collègues permet de recommander des candidats. « Recruter quelqu’un, cela se fait au gré des rencontres. Il y a aussi des demandes spontanées mais après surtout c’est le problème du financement. Quand on a un contrat, ça va il faut 31 qu’on mette quelqu’un dessus, il nous faut des mains. Sinon il faut chercher une bourse » Chef de groupe- institut INSERM/ CNRS 1.2.2 Les laboratoires moins attractifs démarchent les post-doctorants Lorsque le laboratoire est peu connu donc peu attractif, la démarche est inverse. Ces laboratoires recevant peu de candidatures spontanées, ils sont alors contraints de trouver du personnel pour assurer leur production scientifique. Dans ce cas, ce sont plutôt eux qui démarchent les chercheurs mais, une fois qu’ils se sont assurés du mode de financement. Ainsi, ils postulent aux appels d’offre ou bénéficient de l’ATIP (dans le cas du CNRS, financement attribué à une équipe de recherche prévoyant un post-doctorant) et ils cherchent parallèlement des postulants. « Pour la Chinoise (post-doctorante) elle dispose d’une bourse du ministère de la recherche. C’était un appel d’offre que j’avais déniché. Je passe du temps sur Internet pour voir quels sont les appels d’offre. Là c’était un appel d’offre particulier d’échange France-Chine. Là je suis en train d’en regarder un qui concerne l’Amérique latine » Chef de groupe- CNRS « Dans l’ATIP du CNRS il y a des postes rouges qui sont payés par le CNRS, donc on avait la possibilité de prendre un post-doctorant mais on ne savait pas où chercher et surtout qui engager. C’est un problème parce généralement on manque de bras. Le gros problème de la France c’est qu’on est très mal payé. Les biologistes préfèrent aller aux USA dans les labos les plus connus. En France les post-doctorants se disent on va aller chez les cadors comme l’institut Pasteur, université Curie… Pour en revenir à lui, le CNRS a passé une annonce dans Nature, qui est la revue de référence en Sciences de la vie et on n’a eu aucune réponse. Alors l’été dernier j’ai passé dix jours à plein temps à rechercher quelqu’un. Donc je me suis tapé tous les sites des universités et j’ai envoyé des mails à tout le monde, je crois que j’ai envoyé plus d’une centaine de mails et j’ai eu 3 réponses ! Alors je les ai convoqués tour à tour et j’ai pris celui qui n’avait pas forcément le meilleur CV. La recherche ce n’est pas que des publications vous savez, j’ai pris celui qui était le plus curieux de ce que l’on faisait : il s’était déjà renseigné sur ce que l’on faisait. » Chef de groupe- CNRS 1.3 Le problème des modes d’attribution des bourses : un handicap dans la course aux meilleurs 1.3.1 Une attribution sur le profil du candidat Au moment du recrutement des chercheurs étrangers, la mobilisation des financements constitue le problème majeur auxquels les responsables des laboratoires sont confrontés. « Avoir des candidatures c’est une chose, mais ensuite trouver des financements, là c’est plus délicat. On ne peut pas nous, sur le budget du laboratoire, verser des salaires comme ça, comme on le souhaite. Ce qu’on fait alors, c’est qu’on sollicite des bourses lorsqu’on veut recruter quelqu’un, mais c’est jamais confortable parce qu’il y a une forte concurrence pour l’obtention des bourses» Chef de groupe CNRS 32 En effet, lorsque les laboratoires désirent verser un salaire à un post-doctorant, ils sollicitent dans la plupart des cas des bourses de recherche spécifiques telles que les bourses Marie Curie (contrats de recherche sur deux ans), les bourses européennes ( bourses d’une durée de 3 ans), les bourses délivrées par les associations type ARC, Ligue contre le cancer, ou encore des bourses internationales du ministère de la recherche ou des affaires étrangères. Enfin, ajoutons que les laboratoires peuvent financer des salaires sur des contrats de recherche finalisés avec des entreprises privées mais ceux-ci sont, dans les laboratoires rencontrés, épisodiques et rares. « On peut avoir quelques financements privés mais c’est très rare et très ponctuel, on a peu de contact le privé. Lorsque l’on en a, c’est ponctuel. C’est quand certaines entreprises veulent faire de la recherche fondamentale » Chef de groupe- CNRS Ce mode de financement s’avère problématique puisque la sélection pour l’obtention de ces bourses est axée sur le profil du candidat et dans une moindre mesure sur le projet qu’il propose. De ce fait, les laboratoires ne peuvent solliciter ces modes de financements sans avoir un candidat au préalable. Ce mode d’attribution handicape alors le recrutement puisque les laboratoires sont contraints d’attendre les demandes des post-doctorants pour, dans un deuxième temps présenter leur candidature aux bourses. « Les bourses ce n’est pas toujours le même montant. Les plus favorables, ce sont celles de l’union européenne qui sont les plus longues et les mieux payées. Elles sont attribuées plus sur le candidat lui-même et son profil, ensuite vient le sujet mais ce n’est pas primordial. Le candidat est jugé sur ses publications, sa thèse et son impact scientifique on pourrait dire. Le labo d’origine, c’est un plus mais ce n’est pas primordial » Chef de groupe- INSERM Dans cette perspective, les responsables des laboratoires ne peuvent pas garantir le montant et la durée d’un financement aux postulants puisqu’ils vont faire plusieurs demandes de bourses. Dès lors et d’après ces derniers, lorsque cette garantie n’est pas acquise par les postulants, certains préfèrent accepter des propositions d’autres laboratoires présentant plus de garanties sur ce plan. Ceci entraîne par conséquent la fuite des « meilleurs » postulants. « C’est ça le problème majeur. On n’est jamais certains d’en avoir une. C’est pour cela qu’on en demande plusieurs et une fois qu’on a plusieurs, on prend celle qui est la plus avantageuse. C’est un problème parce qu’on ne peut jamais assurer à nos candidats qu’ils vont avoir un financement. Cela constitue un problème dans l’attractivité du labo parce qu’on ne peut pas promettre au candidat à 100% qu’il sera financé, il y aura toujours un risque. Alors eux font plusieurs démarches et ils regardent les labos qui sont sûrs de les payer et là, ils nous filent entre les doigts. Je peux dire que j’ai eu à peu près 1 postulant sur 3 qui nous intéressaient, avec qui les négociations étaient avancées et qui préfère aller ailleurs. C’est par exemple ce 33 que fait l’institut Curie. Les labos postulent à des projets, ils sont financés et ensuite ils cherchent le candidat, ce qui est plus intelligent à mon avis » Chef de groupe- laboratoire INSERM « Le problème c’est que ces bourses sont limitées dans le temps. Une bourse de la ligue c’est renouvelable chaque année mais pour deux ans maximum. On ne peut pas leur assurer une grande pérennité dans les financements. En France c’est pas facile, même ensuite pour un poste de statutaire, on ne peut rien garantir, on ne peut présenter qu’un nombre limité de personnes chaque année. Même si on demande une bourse à l’ARC ou la Ligue, c’est pas à 100%/ 100% garantit qu’il l’obtienne » Institut INSERM/ CNRS Ce handicap reste relatif et s’applique surtout dans la course aux meilleurs candidats susceptibles d’être recrutés par les laboratoires les plus prestigieux tel que l’institut Pasteur. « Moi je n’ai jamais eu d’échec au niveau des bourses, j’ai toujours réussi à en obtenir une. Ca fait 15 ans que je suis là et je connais bien aussi les comités d’attribution de ces bourses, donc j’ai une garantie d’en obtenir qui n’est pas de 100% mais disons de 98% » Chef de groupe- INSERM 1.3.2 Les exemples de laboratoires usant de ressources particulières pour palier le problème de l’attribution des bourses • Le cas d’un institut CNRS/ INSERM : les contrats privés nombreux et une double affiliation permettant de rivaliser dans la course aux meilleurs Au cours de notre enquête, nous avons rencontré le cas d’un institut de génétique moléculaire, unité mixte de recherche CNRS/INSERM qui parvenait à mobiliser deux types de ressources lui permettant d’être plus compétitif dans la course aux meilleurs candidats. Tout d’abord, cet institut dispose de fonds privés proportionnellement supérieurs aux autres laboratoires. Grâce à ces financements privés, l’institut peut se permettre de recruter dans l’immédiat un « bon » candidat lorsqu’il se présente à eux en attendant l’attribution d’une bourse. Ceci lui permet de palier le problème de la garantie des financements vis à vis des doctorants que nous évoquions plus haut. La seconde ressource pouvant être utilisée par l’institut dans le recrutement des « meilleurs » post-doctorants est la garantie de les soutenir et les présenter aux concours de statutaires dans ses deux organismes de tutelle : CNRS et INSERM. Ce fût par exemple le cas d’un chercheur espagnol qui après avoir cumulé deux post-doctorats dans des universités prestigieuses d’Angleterre, postule pour un autre post-doctorat à l’institut avec l’idée d’intégrer, à terme, l’INSERM ou le CNRS. Jugeant ces recherches excellentes, un chef de groupe de l’institut lui 34 offre la garantie de le présenter à un poste de titulaire dans une des deux institutions à la suite d’un autre post-doctorat. « Alberto notre post-doctorant est venu avec un projet précis mais je pense qu’il était venu avec une idée derrière la tête d’intégrer l’INSERM comme statutaire, les post-doctorants sont soucieux de voir s’il y a des débouchés après. Avec Alberto on a fait affaire. Il m’a dit est- ce que vous me présenterez à l’INSERM après ? Moi je lui ai dit qu’on essayerait mais que je ne pouvais pas garantir ça. Je lui ai dit « je propose qu’on travaille ensemble pendant deux ans ». Ca fait 5 ans qu’on est ensemble et il a été recruté l’année dernière » Chef d’équipe- institut CNRS/ INSERM Concernant cette ressource particulière, précisons ici que nous ne pouvons généraliser son utilisation par cet institut de recherche. Nous avons en effet, relevé son utilisation uniquement pour le cas particulier de ce post-doctorant. • Le cas d’un laboratoire de chimie du CNRS capable d’introduire de la «souplesse » administrative Nous avons également relevé l’exemple d’un laboratoire de chimie du CNRS qui parvenait à attirer les meilleurs candidats en leur garantissant un financement au moment même de leur recrutement. Pour ce faire, le directeur du laboratoire parvient à épargner une partie de son budget qu’il destine exclusivement au recrutement des post-doctorants. De même que dans l’exemple précédent, ces « économies » grâce aux nombreux contrats industriels que parvient à obtenir le laboratoire. De plus et dans les cas où ces économies sont insuffisantes pour pouvoir recruter un postdoctorant, ce directeur parvient à s’ « arranger » avec une de ses deux institutions d’appartenance, l’Institut curie, afin qu’elle lui avance une partie des fonds en attendant l’attribution d’une bourse ou un autre mode de financement du post-doctorat. « Quand un candidat vous intéresse vous pouvez boucher les trous. L’Anglais en Postdoctorat qui est là, il a commencé son contrat le 1 juillet, mais j’avais le poste rouge du CNRS uniquement le 1 avril. Donc je suis allé voir Curie pour leur demander de m’avancer 3 mois parce qu’il était bon, en leur montrant le papier du CNRS qui stipulait qu’il serait payé à partir de cette date. Curie a dit oui, pour m’arranger. Je jongle avec les crédits parce qu’en France si vous voulez quelqu’un, vous trouvez un candidat il vous faut 6 mois de délais. Donc ce que je fais c’est que je garde l’argent privé et je demande quand même le CNRS comme ça je garde de l’argent sous le coude. Là en ce moment j’ai deux ans de post-doctorants. Là j’ai un post-doctorant gabonais que je veux garder une année supplémentaire : je vais le payer sur ces économies » Directeur de laboratoire - Chimie - CNRS/ Institut Curie 35 1.4 Les candidatures des pays en voie de développement et celles des pays aux réputations scientifiques prestigieuses : deux populations peu concernées par des post-doctorats en France Dans cette logique de course à l’excellence, certains post-doctorants étrangers sont peu présents mais pour deux raisons différentes : ‘ Il s’agit tout d’abord des chercheurs des pays comme les Etats unis, l’Angleterre pour les sciences de la vie ou comme l’Allemagne pour la chimie dont la recherche bénéficie d’une réputation mondiale. Ces chercheurs n’ont pas conséquent aucune raison de rechercher une mobilité en France puisque leurs structures nationales sont plus performantes. « Ce sont essentiellement des thésards mais ils ne viennent jamais d’Allemagne , de Grande Bretagne ou des USA (rires) s’il y en a c’est qu’il y a quelque chose qui ne va pas » Chef de groupe- CNRS « Moi ici j’ai pas les moyens de retenir les gens parce qu’il n’y a pas beaucoup de postes. Là bas les salaires, les crédits de fonctionnement sont beaucoup plus importants donc ils raflent tout le monde. Mais d’un autre coté on ne peut pas garder les gens indéfiniment, il faut qu’ils partent aussi sinon on serait en surcharge » Chef de groupe- CNRS A l’inverse, les chercheurs des pays en voie de développement comme l’Afrique ou l’Inde par exemple éprouvent des difficultés à intégrer les organismes de recherche français faute de pouvoir être évalués par des critères d’évaluation significatifs à l’aune des habituels : les publications internes dans ces pays ne bénéficiant pas d’une reconnaissance internationale et les structures de recherche étant insuffisamment équipées, les responsables des laboratoires français se disent dans l’incapacité d’évaluer les compétences de ces chercheurs. « Le plus problématique, c’est pour les candidats qui viennent des pays en voie de développement comme la Chine, l’Inde, l’Amérique du sud qui constituent la majorité des demandes de post-doctorants. Parce que tout d’abord on ne peut pas juger bien leur travail parce qu’ils publient dans des revues chinoises qu’on ne connaît pas du tout, donc on n’a pas les moyens des les évaluer sur le papier. On n’a pas d’idée de leur valeur. En plus ils ont fait leurs thèses dans des conditions de recherche souvent difficiles ; l’état des labos n’est pas bon et on ne peut pas les faire venir comme ça. Et en plus, il y a des facteurs culturels défavorables. Je pense notamment à un visiteur chinois qu’on a eu, ils ont une faculté à dire « oui » à toutes les questions qu’on leur pose même s’ils veulent dire non. Donc imaginez si je dois expliquer une manip à quelqu’un qui n’a rien compris et qui me dit oui ! C’est un problème. Donc on ne recrute jamais des gens de ces pays là et à la limite les demandes des nord américains et des européens me suffisent largement » Chef de groupe- INSERM En revanche, ces post-doctorants sont recrutés plus facilement par les laboratoires peu « attractifs » qui manquent de « bras ». Pourtant et même dans ces cas là, cela n’estompe pas les réticences que peuvent éprouver les responsables de ces laboratoires. Citons à titre 36 d’exemple, les doutes évoqués par un chef de groupe du CNRS qui évoque le « risque » qu’il avait pris à ce moment là. « Pour elle (doctorante chinoise) j’ai pris un risque parce qu’on avait juste fait trois échanges de mail. J’aurais pu me retrouver avec quelqu’un d’incompétent et de caractériel. Tout le monde me demandait « alors la Chinoise ? » En fait j’ai eu de la chance parce qu’elle est très bien » Chef de groupe- Sciences de la vie- CNRS 2. Les doctorants : un marché plus restreint et moins structuré 2.1 Une offre limitée Comme nous l’indiquions dans la première partie, la thèse se déroule généralement dans un laboratoire dont on est originaire. De ce fait, les laboratoires privilégient l’accueil de doctorants français issus des DEA. Pour les laboratoires, la filière nationale constitue donc la principale source de recrutement des doctorants. 2.2 Les doctorants étrangers comme substituts des doctorants français Pour autant, nous avons relevé des laboratoires qui accueillent des doctorants d’origine étrangère. Pour ces derniers, l’intégration des doctorants étrangers vient palier leurs difficultés à recruter des étudiants français sortis des DEA. C’est le cas d’un laboratoire de biologie du développement du CNRS, dans l’incapacité d’attirer des doctorants potentiels français à la sortie du DEA. Ces derniers orientent leur candidature vers des laboratoires plus prestigieux tels que l’institut Pasteur. Ce laboratoire souffre donc d’une pénurie de candidats face au grand nombre de laboratoires de Sciences de la vie qui existent à Paris. « A Nice c’était plus facile parce que c’est plus petit. Il n’y a qu’un DEA de pharmacologie avec un nombre relativement restreint d’étudiants alors qu’à Paris la sélection en DEA de bio est draconienne. A Paris, le DEA de bio naturelle est très coté. Il y a à peu près chaque année 300 candidats et ils n’en retiennent que 16, évidemment les meilleures maîtrises ou des gens qui viennent des grandes écoles, Polytechnique. Alors les meilleurs ils ne viennent pas chez moi. Ils vont dans les labos les plus connus, chez ceux qui ont le plus de chance d’obtenir le prix Nobel comme l’institut Pasteur. La biologie du développement c’est très vaste comme domaine, ça va du système nerveux aux maladies génétiques. Moi en plus mes oursins c’est exotique. Donc normalement les étudiants font le tour des labos fin juin début juillet pour se décider, mais moi j’ai jamais personne. Cette année j’ai un colloque fin juin, je vais y aller parce que je suis sûre que personne ne viendra. C’est ça mon problème. A Nice c’était plus facile, il n’y avait pas une sélection énorme des dossiers » Chef de groupe- laboratoire- CNRS 37 C’est également le cas d’un laboratoire de sciences économiques qui dispose d’une importante capacité d’accueil de doctorants et qui ne parvient pas à trouver suffisamment de candidats français chaque année. Ce laboratoire recrute alors des doctorants étrangers pour palier également les insuffisances du marché français. Nous verrons dans la prochaine partie que cette volonté s’inscrit dans une stratégie de construction de réseaux sous jacente. « Il y a la carence des étudiants français mais aussi la volonté de s’ouvrir. Les bons étudiants ils sont partout. Avoir 20 bons étudiants français c’est pas possible parce que Paris truste tous les meilleurs étudiants en éco. C’est plus traditionnellement Normal sup et Polytechnique qui sont privilégiés par les étudiants. Les très très bons montent donc à Paris. Nous, on a une filière de recrutement locale avec le magistère, le magistère est bon et on arrive à avoir un recrutement de bonne qualité parce qu’on a pas d’échec finalement mais on ne peut pas avoir les 20 nouveaux doctorants par an qu’on recherche » Directeur de laboratoire- économie CNRS- université Ainsi, ces exemples démontrent que les laboratoires soumis à une forte concurrence dans le recrutement des doctorants, ont recours aux étudiants de nationalité étrangère. « On a, à peu près la moitié des thésards qui viennent de l’étranger. Pourquoi ? Parce qu’on a un peu une pénurie d’étudiants de DEA » Chef de groupe- CNRS 2.3 Les doctorants étrangers apportent un financement « clé en main » Pour les laboratoires français, les étudiants étrangers présentent l’avantage d’apporter un financement « clé en main ». En effet, ces doctorants bénéficient pour la plupart, de bourses « fléchées » c’est- à-dire une attribution conditionnée au déroulement de la thèse dans un laboratoire étranger . « Je suis chinois et j’ai eu l’opportunité pour faire ma thèse à l’étranger, c’était une bourse fléchée soit en France soit au Japon. Une fois que je l’ai eue, il faut contacter des laboratoires » Doctorant- Sciences de la vie- CNRS Les laboratoires faisant face à une pénurie de cand idatures perçoivent donc favorablement l’apport de ces doctorants dans la mesure où ils viennent compléter l’équipe de recherche sans pour autant chercher à mobiliser un financement spécifique pour eux. « Obtenir une bourse pour un doctorat ce n’est pas évident et les étrangers viennent eux avec leurs propres bourses. En Sciences de la vie on a des difficultés à payer quelqu’un » Chef de groupe- CNRS Ce laboratoire accueille 70 doctorants, ce qui implique, selon le directeur du laboratoire, un taux de renouvellement annuel de 2O doctorants. C’est par exemple le cas du côté français des bourses spécifiques prévues dans le cadre de coopération avec des pays particuliers délivrées par le ministère des affaires étrangères. Ou encore des bourses délivrées par les pays d’origine des doctorants étrangers. 38 De plus, les laboratoires se montreront moins exigeants sur la qualité de la formation du candidat-doctorant qui se présente à eux puisque le doctorat est avant tout une période de formation. « On est moins attentif au CV pour les doctorants parce que vous ne pouvez pas obtenir d’une thèse qu’elle produise des résultats trop ambitieux /…/ On est plutôt axé sur la motivation du thésard à venir travailler dans le laboratoire » Directeur de labo- Sciences de la vie- INSERM « Un thésard vous savez s’il est bien encadré, il doit réussir sa thèse » Directeur Economie CNRS/ université Dans cette perspective, les laboratoires peuvent recruter des chercheurs de toutes nationalités y, compris les candidats des pays « sous développés » que nous évoquions plus haut. « Non, on ne fait pas de classement par pays (concernant le recrutement des doctorants étrangers). Pour les Africains ou les Coréens on prend ceux qui ont fait des maths, comme les Russes. Dans tous ces cas on reprend tout à zéro mais il faut qu’ils aient une formation en math solide. Mais on connaît les Coréens, on connaît les bonnes universités de maths et pour les Africains souvent ils ont fait leurs études en France. Les Chinois, on commence mais ils vont plus aux USA ils ont des accords de coopération plus particuliers » Directeur Economie CNRS/ université 2. Une mobilité inscrite dans le cadre de la construction des réseaux : l’échange de chercheurs comme point d’ancrage à la coopération Dans ce modèle, la circulation des chercheurs est organisée dans le cadre de collaborations formalisées ou non qui s’établissent entre les laboratoires ou entre chercheurs. 2.1 Formes et utilités des réseaux scientifiques Dans notre étude, nous avons recensé deux formes de réseaux : les réseaux formalisés par des contrats ou des conventions et les réseaux informels, soit des collaborations plus lâches qui existent sans cadre juridique ou conventions particulières. 2.1.1 Les réseaux formels : le rôle prépondérant joué par l’union européenne Les réseaux formels établissent des collaborations entre organismes de recherches publics ou privés, établies sous une forme juridique précise à savoir des contrats ou conventions de collaboration formelles précisant la nature et la durée du projet de recherche ainsi que le partage des compétences entre les participants. 39 Dans notre étude, ces réseaux formels sont le plus fréquemment représentés par les conventions de coopération proposées par l’union européenne : il s’agit notamment du réseau UNICA (Réseau des universités des capitales d'Europe) ou encore COIMBRA GROUP. « On appartient au SIRAD, un réseau européen. Avec ces laboratoires étrangers, on a des métiers complémentaires. Eux font des recherches qu’ils appliquent à des domaines différents des nôtres. Ils nous apportent la connaissance sur des produits qu’on ne connaît pas et eux ne font pas de recherche fondamentale, ils finalisent plus leurs recherches parce que nourrir les gens pour eux c’est la priorité » Directeur de laboratoire chimie INRA Par ces réseaux, l’union européenne souhaite favoriser des collaborations entre des organismes de recherche privés et publics appartenant à la communauté en finançant des projets de recherche menés en commun : ainsi, un laboratoire de recherche de l’INRA où nous avons mené une partie de notre étude, participer à un réseau européen de ce type avec un laboratoire public espagnol et une entreprise de Lettonie. Le but du projet de recherche est d’étudier les processus de croissance chimique de fruits particuliers. Le partage des compétences s’établit ainsi : le laboratoire de l’INRA et le laboratoire espagnol prennent en charge la partie dite de «recherche fondamentale» tandis que l’entreprise Lettonne s’occupe de toute la partie recherche appliquée à savoir le développement industriel des produits. « Je rentre dans un projet européen financé par la commission européenne où 4 pays participent avec des laboratoires publics et des entreprises. L’idée c’est d’avoir une approche pluri disciplinaire. Par exemple la Lettonie qui y participe nous envoie les fruits à analyser. C’est nous qui nous en occupons » Post-doctorant- Chimie - INRA D’après les responsables des laboratoires interrogés, l’efficacité de ces réseaux est conditionnée à la qualité des relations personnelles existantes entre les différents participants. « Cette collaboration est formalisée. Mais elle marche bien parce qu’on connaît bien les gens. Le mieux c’est que l’on travaille en commun. Il y a par exemple des laboratoires qui nous envoient des échantillons et nous demandent de les analyser parce qu’on a des techniques d’analyse très au point ici à l’INRA. Notre équipement attire en fait les chercheurs. Par exemple, on a reçu un chercheur africain qui est venu étudier 2 mois différentes variétés de manioc. » directeur de laboratoire chimie INRA L’échange de personnel peut être prévu dans le cadre de ces réseaux. Il peut ainsi s’agir, dans ce cadre conventionnel, du financement d’un post-doctorat attribué à un étudiant d’un laboratoire partenaire. 2.1.2 Les réseaux informels : des ajustements personnalisés Les réseaux informels sont des collaborations non contractualisées qui reposent plutôt sur des relations interpersonnelles. Ces relations ont ainsi été conjointement éprouvées par les 40 chercheurs dans des collaborations passées (projets de recherche menés conjointement, publications communes, échange de personne l…..). Dans ces différents cas, la qualité des relations interpersonnelles entretenues revêt une importance capitale par la pérennité de cette forme de collaboration. «J’aime bien travailler avec mes copains qui travaillent soit dans le privé soit dans le public parce qu’il est évident qu’avec eux, le café se fait tout seul. On sait tout de suite où on va» Responsable équipe- Sciences de la vie - INSERM Cette forme de collaboration plus « lâche » est la forme la plus prisée par les chercheurs. Reposant sur une confiance mutuelle, elle permet tout d’abord, d’éviter les éventuelles discordes dues à la concurrence entre laboratoires. « Quand on ne connaît pas les gens, on ne sait jamais trop à quoi on s’expose. J’ai déjà connu des petites rivalités entre chercheurs qui peuvent vous pourrir la vie. Ca peut être se mettre sur une première signature ou s’attribuer derrière votre dos les résultats d’une étude à laquelle vous avez aussi participé. Le monde de la recherche est riche en anecdotes de ce genre vous savez » Directeur de laboratoire- Economie- Université D’autre part, et selon les chercheurs, cette forme de relation présente l’intérêt d’éviter les habituelles lourdeurs administratives formalisant la coopération. « On a beaucoup de contrat dans le monde mais généralement on travaille plutôt sans convention c’est trop lourd, on a plus des relations de chercheurs à chercheurs en voyageant, en allant à des colloques. On a ici beaucoup de chercheurs qui ont été formés à l’étranger » Directeur de laboratoire - économie université/ CNRS Précisons ici que ces collaborations ne s’inscrivent pas toujours dans une relation de confiance. Les chercheurs peuvent également initier des collaborations avec d’autres chercheurs ou d’autres organismes qu’ils connaissent moins bien et avec qui la confiance n’est pas entièrement assise. Ils peuvent pourtant s’essayer à « tester » ce type de collaboration informelle. Dès lors, nous pouvons ici avancer l’hypothèse que si les coopérations informelles sont la plupart du temps préférées à celles qui sont contractualisées, c’est parce qu’elles permettent de minimiser les engagements réciproques. De cette manière, les partenaires peuvent tester l’efficacité de la collaboration c’est- à-dire vérifier si elle répond aux attentes réciproques des chercheurs engagés. Dans le cas contraire, les participants peuvent, dans un cadre informel, romprent plus facilement la collaboration si celle-ci ne les satisfait pas. 41 2.1.3 Les réseaux scientifiques : des utilités diverses pour le laboratoire Quelle est l’utilité pour les laboratoires de construire ces réseaux scientifiques ? Il s’agit de plusieurs formes d’intérêt que nous répertorions dans deux grandes catégories : une aide à la production scientifique et l’attribution de financements supplémentaires. Grâce à des exemples concrets décrits dans la partie suivante, nous verrons que ces coopérations apportent à leurs participants des formes d’intérêts toujours particuliers selon la spécialité scientifique. • Le réseau comme moteur de production scientifique Pour les laboratoires entretenir un réseau scientifique c’est pouvoir diffuser ses résultats auprès d’autres chercheurs travaillant sur des domaines proches. Une diffusion « large » de ces résultats participe à la réputation du labor atoire. « Si vous invitez quelqu’un de prestigieux il va faire connaître votre labo dans son pays, il peut vous inviter, vous apporter des idées nouvelles pour notre carrière, c’est bon. Mais pour le labo aussi» Directeur de laboratoire- chimie- ENS De plus, soumettre ses résultats et en débattre avec un collègue, permet au chercheur d’améliorer sa propre production scientifique. Ces échanges fréquents que permettent les réseaux scientifiques, nous ont été présentés comme capitaux dans les trois disciplines étudiées. En sciences économiques, ils revêtent une importance fondamentale en raison des spécificités de cette science « non exacte », qui se prête plus au débat et à l’échange d’idées afin d’améliorer les résultats obtenus, comme l’explicite la citation suivante : « L’économie ce n’est pas produire une nouvelle molécule et c’est tout. C’est avant tout discuter de modèles, la portée de leurs applications sur tel domaine. On a toujours besoin d’échanger dans notre matière parce qu’en plus en économie on ne spécialise pas, tout est lié. L’économie n’est pas un champ de spécialistes. Si vous ne faites pas de macro vous ne comprenez pas le reste : il n’y a pas de spécialiste de l’économie industrielle sans parler des taux d’intérêt. C’est pour ça que vous devez avoir une formation généraliste (empirique et théorique) avec des dominantes. On ne fait pas d’expérience en laboratoire ici, on travaille avec les entreprises, avec les instances de décisions. C’est difficile de faire sa recherche dans son coin sans contrat, y’en a qui le font mais qui arrivent à rien. L’économie c’est surtout des petites collaborations à deux ou trois» Directeur de laboratoire - économie- CNRS/ Université Ainsi, les réseaux se créent en fonction des convergences scientifiques qui prévalent dans le champ d’étude du laboratoire. Plus précisément, ces connexions s’établissent entre des laboratoires aux spécialités scientifiques complémentaires. C’est par exemple le cas qu’évoque ici le directeur d’un laboratoire de chimie désirant développer des associations 42 avec des spécialistes de chimie combinatoire afin d’améliorer l'analyse de molécules particulières. « Avant un chimiste faisait sa planification et sortait le produit. Maintenant avec la technique de la biologie moderne, c’est devenu insuffisant alors on développe la chimie combinatoire, c’est-à-dire le mélange de molécule. Donc maintenant on se tourne vers des labos qui font ça » Directeur de laboratoire . Pour autant, ces connexions permises grâce aux convergences scientifiques trouvent une limite forte. En effet, des domaines scientifiques trop proches peuvent faire achopper la collaboration puisque dans ce cas, une certaine concurrence entre laboratoires peut s’installer. « C’est nous qui invitons des profs. On général bien sûr, on invite ceux qui sont connus sur un sujet. Mais en même temps, il faut pas qu’ils soient non plus un sujet trop proche parce que là ensuite c’est presque de la concurrence » Directeur de laboratoire - Chimie - CNRS Pour autant et en poursuivant notre hypothèse, il semble que la construction de ces réseaux ne soit pas aussi mécanique. Comme nous le soulignions précédemment, les réseaux informels induisant des engagements réciproques minimes, un laboratoire peut prendre le risque d’« expérimenter » une collaboration avec un autre jugé moins prestigieux. • Les réseaux formels, source de financements supplémentaires Les associations entre organismes de recherche, financée par l’Union européenne que nous évoquions précédemment, apportent par ailleurs aux participants des crédits de recherche supplémentaires. Ainsi, intégrer un réseau européen équivaut, pour le laboratoire, à un apport financier supplémentaire. Ceci constitue un intérêt non négligeable pour les laboratoires rencontrés qui disposent, selon eux, de budgets restreints. « En plus ça vous permet de vous mettre sur des contrats internationaux qui vous rapportent de l’argent qui vous permettent de financer des voyages. A travers l’accueil il y a un intérêt à nouer des contacts avec d’autres labos » Directeur de laboratoire- chimie- ENS 2.3 L’échange des chercheurs comme mode de concrétisation du réseau Si les réseaux permettent la circulation des différentes catégories de chercheurs, la mobilité de ces derniers peut également être utilisée pour initier ou solidifier ces formes coopérations. 43 2.3.1 Les professeurs invités : un moyen de « tester » une éventuelle collaboration Comme nous le précisions plus haut, les invitations entre chercheurs s’établissent consécutivement à des rencontres dans de s colloques ou des contacts spontanés faisant suite à une publication. Hormis, les avantages relatifs aux échanges scientifiques que permettent ces invitations, celles-ci sont plus généralement un moyen de « tester » si une collaboration (formelle ou non) peut être envisageable. En effet, pouvoir connaître personnellement le chercheur est considéré comme un moyen efficace de vérifier implicitement si les chercheurs pourraient s’accorder d’éventuelles coopérations : échange de post-doctorants, rédaction d’articles communs, participation communes à des contrats de recherche etc. Ce « test » s’avère d’autant plus important que la qualité des relations interpersonnelles est présentée comme le véritable « ciment » des réseaux. « Les invitations, vous voyez ensuite s’il faut prolonger ou pas selon les affinités scientifiques mais aussi en fonction des affinités personnelles. Ca compte aussi beaucoup on est des hommes donc cet aspect est très important. Travaillez avec des gens qui vont sont sympathiques c’est bien plus facile /../ Inviter des chercheurs c’est essentiel pour nous parce que nous permet de voir qui travaillent sur notre sujet et si on peut faire des choses avec eux » Directeur laboratoire- Chimie- CNRS/ ENS Ces invitations constituent en quelque sorte une phase initiale ou préparatoire à la construction de réseaux. Peu coûteuses financièrement, les laboratoires désireux de créer des réseaux scientifiques, utilisent fréquemment ces invitations. Citons à cet égard, le cas d’un laboratoire en économie de l’INSEE qui reçoit un nombre très important de chercheurs invités chaque année. Ce laboratoire parvient à attirer les meilleurs chercheurs en économie dans le monde parce qu’il dispose d’une ressource toute particulière : la base de donnée de l’INSEE. Des chercheurs profitent de ces invitations pour avoir accès à cette base de donnée très fine. Cela leur permet alors d’affiner les modèles d’analyse d’économétrie, de micro et macro économie qu’ils utilisent. « Si je suis venu ici au départ c’est que Paris dispose d’une base de donnée ici à l’INSEE qui est très impressionnante que l’on a pas aux USA. Avec de telles données ça permet d’affiner des questions d’économétrie. Un collègue m’a dit : « on va trouver un eldorado ici au niveaux des données ». Finalement ça a été fructueux parce qu’on a trouvé des choses auxquelles on ne s’attendait pas. Moi je travaille sur le marché du travail et ici on peut suivre la trajectoire professionnelle exacte d’un individu : suivre toute la mobilité, ses salaires. Bref on pouvait répondre à des questions qu’on ne trouvait pas aux USA » Professeur invité- économie CNRS/ INSEE 44 Fort de cette ressource spécifique, le laboratoire peut ainsi initier une pluralité de coopérations avec les meilleurs chercheurs dans le domaine. « On travaille beaucoup avec des chercheurs américains et anglais qui sont très forts en économétrie. Ils viennent souvent ici pour consulter notre base de données/…/ Comme les chercheurs se connaissent, ils travaillent ensemble sur des contrats privés ou sur des articles » Directeur laboratoire- CNRS/ INSEE 2.3.2 L’échange d’étudiants et de post-doctorants entretient les réseaux Pour un laboratoire, un large réseau scientifique permet d’offrir à ses étudiants des possibilités de placement supplémentaires pour trouver un post-doctorat (pour la chimie et les sciences de la vie surtout) ou un séjour à l’étranger à leurs doctorants (pour l’économie). Certes, les post-doctorants des sciences de la vie et de la chimie rencontrés exercent plutôt une mobilité dans le cadre du modèle du marché à savoir une rencontre entre les « meilleurs » candidats demandeurs avec les « meilleurs » laboratoires offreurs. Pourtant, la mobilité des post-doctorants de ces deux disciplines peut également s’effectuer dans le cadre des réseaux de connaissance des laboratoires. En effet, dans le cadre du réseau il existe la possibilité de se rendre service. Ainsi, accueillir un post-doctorant peut être demandé comme un service par un chercheur à un autre. « En fait, pendant ma thèse, j’ai eu une sale histoire avec une entreprise parce que j’avais découvert par hasard une molécule qui les intéressait. A la fin, comme c’était eux qui finançaient une partie de ma thèse, ils ont refusé de me verser une part de mon brevet que j’avais découvert. Comme mon directeur de thèse ne voulait pas d’histoire avec eux parce qu’ils apportaient beaucoup d’argent au labo, il a fait des pieds et des mains pour me trouver un post-doctorat. Comme ils se connaissent bien avec le directeur d’ici, il m’a accepté » Postdoctorant- Chimie - CNRS/ institut curie Cet échange induit une certaine réciprocité : - soit le laboratoire d’accueil y trouvent un intérêt immédiat en profitant de la compétence particulière du jeune chercheur puisque dans ce cas, bénéficiant des recommandations de ses collègues, il dispose de gages supplémentaires quant à la qualité du candidat. « Dans le recrutement des post-doctorants, on ne peut pas se fier à son CV uniquement. L’âge est significatif de la performance mais ce n’est pas tout. Ce qui est bien c’est avoir l’avis du chef de labo. C’est là que les réseaux sont importants» Directeur de laboratoire - Chimie CNRS/ ENS 45 - soit le laboratoire d’accueil acceptera de recevoir le post-doctorant, même si sa candidature ne présente pas tous les gages de qualité, mais il attendra en retour un service ultérieur de sa part. « Mon labo en Espagne appartient à un réseau européen qui comporte 4 pays. C’est comme ça que j’ai connu le directeur de ce laboratoire. Auparavant en Espagne on avait reçu un doctorant de l’iNRA et ça c’est bien passé. Comme ça, il m’a proposé de venir faire un postdoctorat à l’INRA. J’ai postulé à une bourse européenne et à Marie Curie mais j’ai eu seulement la bourse européenne attribuée par l’Espagne » Post-doctorant- chimie - INRA De ce fait, la circulation des chercheurs représente un des nombreux éléments d’échange qui permettent d’entretenir les réseaux scientifiques. Pour illustrer plus concrètement ce constat, nous détaillons ici deux exemples d’application de cette stratégie • Le cas d’un laboratoire en économie : la formation des doctorants étrangers, des « semences » de réseaux Dans ce laboratoire de sciences économique que nous évoquions précédemment, les doctorants étrangers occupent plus de la moitié de sa capacité d’accueil totale ( 40 doctorants étrangers sur 70 au total ). « On a la moitié des étudiants en thèse ici qui sont des étrangers. Tous les étrangers on les trouve par les contacts. On voyage beaucoup, on présente le département donc ils viennent , on a plus de facilité de recruter à l’étranger /…/ On dépend d’une école doctorale de 80 étudiants, chaque année on n’en garde que 20. Les gens viennent avec des bourses du ministère et les étrangers viennent avec des bourses de leur pays. Sur les 20 la plupart viennent de l’Europe et les autres d’un peu partout : Pologne, Russie, Amérique du sud. Ceux qui viennent sont financés par leurs pays. Ils viennent pour 4 ans d’abord pour suivre le DEA et ensuite pour faire la thèse. On tient à ce qu’ils fassent le DEA parce que l’enseignement est très spécifique et il faut qu’ils soient tous à niveau avant de faire leurs thèses. Mais les étudiants étrangers ne sont pas assurés de continuer chez nous s’ils ne sont pas bons à l’issue du DEA. Mais quand on prend quelqu'un qui est financé, c’est plus délicat parce qu’à la sortie du DEA on ne peut pas leur garantir qu’ils feront une thèse. Mais en général, si les gens sont bien encadrés, ils arrivent toujours à rendre leurs thèses » Directeur de laboratoire- économie CNRS- université Toulouse Le laboratoire n’opère pas de plus, une sélection rigoureuse dans le recrutement de ces doctorants en fonction de formatons particulières. Ainsi, les étudiants Africains, Coréens ou encore Sud américains, pays dont la recherche en économie ne bénéficie pas d’un grand prestige, sont acceptés sous condition d’une formation en mathématiques conséquente . Précisons ici que le laboratoire demande à ces étudiants étrangers de suivre le DEA affilié au laboratoire. De cette manière, les étudiants en thèse ont tous le même niveau de formation. 46 Cet accueil exhaustif permet en fait au laboratoire de se constituer un réseau (mobilisable à plus long terme) qui lui assure une série d’avantages : Le premier est que l’accueil des doctorants étrangers permet au laboratoire de renouveler ses thèmes de recherche. Les doctorants étrangers choisissent en effet des sujets qui concernent, la plupart du temps, des sujets concernant leurs pays d’origine . Cette pluralité de sujets internationaux est présentée comme indispensable par le directeur puisqu’ils permettent, par la comparaison, d’enrichir les modèles économiques développés par le laboratoire. « C’est des doctorants qui vont travailler sur des thématiques proches des nôtres et qui vont nous permettre de renouveler nos thèmes de recherche. C’est-à-dire que lorsqu’on fait une analyse du marché du travail, c’est pour nous intéressant de connaître comment il se régule au Brésil par exemple donc avoir une thèse sur ce sujet au Brésil ça alimente les réflexions des chercheurs » Directeur de laboratoire- économie- CNRS- université En formant des doctorants étrangers, le laboratoire pourra également, à l’avenir, solliciter ses anciens étudiants lorsqu’ils seront en poste dans la recherche (privée ou publique) pour collaborer sur des projets de recherches internationaux ou encore obtenir des contrats privés provenant d’autres pays. « Si on forme de bons thésards et ils retournent dans leurs pays. S’ils sont bons ça joue pour nous parce qu’on se fait des contacts. La formation pour nous favorise les réseaux » Directeur de laboratoire- économie - CNRS- université « Notre point fort c’est l’économie industrielle : la théorie des organisations et la théorie des contrats. Ces thèmes, ça nous rapporte des contrats privés et notamment au niveau international. On a beaucoup de contrat dans le monde. On a des relations de chercheurs à chercheurs en voyageant, en allant à des colloques. On a ici beaucoup de chercheurs qui ont été formés à l’étranger. On a des contacts un peu partout dans le monde grâce à des anciens doctorants qui ont fait leurs thèses ici » Chercheur statutaire- économie - CNRS- université • Le cas d’un laboratoire de chimie de l’INRA : des réseaux d’échange pour s’approprier la recherche appliquée Dans un laboratoire de chimie de l’INRA (que nous appellerons FIS), nous avons constaté que les réseaux qu’il s’attachait à développer concernaient exclusivement l’Amérique La tine : Argentine, Cuba et Venezuela. FIS accueillait en effet l’ensemble de ses post-doctorants en provenance de laboratoires de ces pays. L’accueil (et le financement par FIS ) de ces post- Il peut s’agir ainsi de l’étude de la politique communautaire concernant la régulation du marché de l’électricité en Corée. Le financement des post-doctorants nous a été présenté par X comme facilement mobilisable dans la mesure où l’INRA (implanté dans une ville de province) entretient des relations privilégiées avec le conseil régional. La région leur accorde donc régulièrement des bourses permettant de financer un post-doctorant. 47 doctorants fait partie, d’un échange implicite que le laboratoire français développe avec ses collègues latins : FIS est en effet intéressé par leurs thèmes de recherche, plus axés sur la recherche appliquée ou plus précisément sur des expérimentations concernant la transformation des polysaccharides . Par ce réseau, FIS se fait transmettre régulièrement les résultats de ces laboratoires afin de les faire progresser dans leurs pratiques de recherche fondamentale. « J’avais développé un programme avec le Venezuela et j’y suis allé pour faire mes courses. Ca a commencé quand je suis allé à un congrès là bas et je trouvais ça intéressant de faire un programme commun parce qu’eux sont plus axés sur la recherche appliquée pour faire simple. Et on a besoin nous de ce type de collaborations pour avancer. Donc moi je suis attentif à l’Amérique Latine parce que d’abord ils ont de bonnes publications et parce qu’ils ont tendance à s’adresser naturellement à l’Espagne. Nous on sait qu’il y a des programmes qui existent dans tels pays et que pour que ça marche, il faut qu’il y ait des collaborations. En fait au début se sont des petits programmes qui comportent le financement de séjours de 3 à 6 mois et après sur cette base là on connaît les collègues. Si ça colle, on échange après des postdoctorants même si c’est surtout eux qui viennent» Directeur de laboratoire- Chimie- INRA De leur coté et selon les dires des post-doctorants sud américains, leurs laboratoires d’origine les encouragent à accepter un post -doctorat en France non seulement pour le bénéfice que cela représente pour leur carrière, mais également pour qu’ils puissent leur transmettre les techniques de recherche utilisée en France. « Si je suis venu ici c’est pour travailler dans de bonnes conditions. Je suis surtout là pour faire une publication, parce que chez nous on a moins de techniques donc on n’a pas de publications. En publiant ici, je fais des publications pour mon laboratoire. En plus à Cuba on travaille plus sur l’application. Ici j’apprends plus la science fondamentale. Mais finalement si je suis ici c’est pour concrétiser une collaboration entre l’INRA et le Venezuela. Ici il y a des techniques très particulières que l’on ne connaît pas au Venezuela donc je les étudie et je les montrerai à mon laboratoire quand je reviendrai parce que le plus important c’est d’avoir la base pour savoir comment utiliser les techniques » Post-doctorant- Chimie- INRA Autre avantage de ces bourses, elles sont attribuées non sur le profil mais uniquement sur le projet de recherche, ce qui permet à X d’assurer au candidat leur venue. Les laboratoires d’Amérique disposent en outre de plantes particulières, c’est-à -dire de sujets d’étude qu’on ne trouve pas en France. Or, les processus chimiques de développement de ces plantes apportent également des résultats intéressants pour X . 48 Conclusion de la partie I : le modèle du marché prépondérant dans la mobilité des chercheurs publics ? Dans le secteur public, la mobilité des chercheurs étrangers s’inscrit dans deux modèles : le marché et le réseau. Le modèle du marché, construit autour de l’attirance de la « meilleure » offre vers la « meilleure » demande, concerne essentiellement la mobilité des post-doctorants des sciences de la vie et de la chimie. Le post-doctorat étant une étape cruciale (en terme de publications) et déterminant la suite de leur carrière, les jeunes chercheurs de ces disciplines vont se tourner vers les laboratoires (étrangers) les plus réputés dans leurs spécialités afin que ceux-ci leur apportent les meilleures garanties en terme de publications dans les revues prestigieuses de leurs domaines scientifiques. Le modèle du réseau est construit, quant à lui, non seulement autour des convergences scientifiques existantes entre les spécialités scientifiques mais surtout par la qualité des relations interpersonnelles qui existent entre chercheurs. Les origines de la mobilité des chercheurs dans le cadre des réseaux scientifique sont quant à elles plus délicates à déterminer. Si les réseaux servent de cadre à cette mobilité, l’échange de chercheurs constitue en même temps une des composantes essentielles à la construction de ces réseaux. En effet, le réseau peut être tout d’abord interprété comme un cadre d’espace de circulation des chercheurs. Dans ce cas, un laboratoire peut recommander à un de ses collègues le recrutement d’un de ses membres, doctorant ou post-doctorant. Mais ces échanges de personnel internationaux sont en même temps un moyen permettant d’initier ou de faire perdurer ces réseaux scientifiques. C’est notamment le cas des invitations entre chercheurs qui sont utilisées par les laboratoires pour « tester » d’éventuelles collaborations. L’accueil d’un post-doctorant peut également être accepté à titre de « service » moyennant une compensation implicite ultérieure. Ces formes d’échanges tacites constituent dès lors, un socle permettant de faire perdurer les réseaux scientifiques. Selon l’échantillon de cette étude, que la mobilité des doctorants dans le cadre de ces réseaux, est le modèle dominant dans les sciences économiques. Les spécificités de cette science « non exacte » étant plus propices aux interactions fréquentes entre chercheurs, les laboratoires 49 rencontrés accordaient une importance plus accrue que leurs collègues des sciences exactes à la construction de réseaux scientifiques. Enfin, précisons que ces deux modèles s’entrecoupent dans la réalité. Ainsi et pour reprendre l’exemple des post-doctorants des sciences de la vie et de la chimie, même s’ils exercent principalement une mobilité dans le cadre du marché, ils peuvent également solliciter un laboratoire étranger dans le cadre des réseaux établis par leurs laboratoires pour effectuer leur post-doctorat. Les résultats de cette enquête dans le secteur public sont globalement similaires à ceux établis par une précédente enquête menée par le Centre de sociologie des organisations . Celle-ci démontrait en effet que la mobilité des chercheurs publics (post-doctorants) s’inscrivaient dans deux modèles décrits également ici : le marché et le réseau. Cependant, c’est par la pondération de nos résultats, que nous nous démarquons de cette enquête. En effet, les conclusions de l’enquête menée en 1995 établissaient que le réseau était le modèle prédominant dans la mobilité des post-doctorants alors que nos conclusions affirment que la circulation des ces chercheurs s’inscrit plutôt dans le modèle du marché. E. Mouranche (sous la direction de C. Musselin), « La mobilité des chercheurs publics en Europe », rapport comparatif établi à partir d’études qualitatives menée s sur la France, l’Angleterre et l’Allemagne. Centre de Sociologie des organisations 1997 50 DEUXIEME PARTIE LES CHERCHEURS ETRANGERS DANS LE SECTEUR PRIVE FRANÇAIS La taille de l’entreprise et les statuts des chercheurs comme éléments structurants des pratiques de mobilité 51 INTRODUCTION Dans cette deuxième partie, consacrée aux pratiques de mobilité des chercheurs étrangers dans le secteur privé français nous présenterons tout d’abord les entreprises retenues dans notre échantillon. Cette présentation s’avère ici indispensable puisque l’hétérogénéité des modes d’organisation des secteurs recherche et développement (R & D) de ces entreprises structurent les logiques d’intégration des scientifiques étrangers. Nous nous attacherons, par la suite à décrire les spécificités des deux grandes catégories de chercheurs que nous avons rencontrés dans ces industries : les docteurs et les ingénieurs. Enfin, et après avoir démontré que les pratiques de mobilité dans ce secteur obéissent à trois catégories de logiques, il s’agira de comprendre pourquoi certaines entreprises s’avèrent plus aptes que d’autres à recruter une main d’œuvre scientifique étrangère. I. PRESENTATION DES ENTREPRISES ETUDIEES Dans la constitution de notre échantillon d’étude pour le secteur privé, nous avons respecté la même logique que celle adoptée pour les instituts publics : nous avons ainsi mené notre étude dans deux entreprises de taille opposée dans chaque discipline. Dans l’étude de ce secteur, nous avons eu de plus, le soucis de sélectionner des entreprises recrutant exclusivement des scientifiques-docteurs et d’autres composées de scientifiques- ingénieurs. 1. La discipline des sciences de la vie 1.1 MEDAM Médicament MEDAM Médicament est le 2ème laboratoire pharmaceutique français indépendant, MEDAM oriente son développement sur les axes thérapeutiques suivantes : Cancérologie, Urologie, Cardiologie, Psychiatrie, Phlébologie, Pneumologie, Infectiologie , Gynécologie et Rhumatologie 52 Le centre de recherche étudié est le plus important (450 personnes). Comprend 5 départements de recherche eux même subdivisés en unités de recherche. Dans ce centre, les chercheurs étrangers rencontrés occupent des postes de responsables de départements de recherche, d’unités de recherche et enfin comme simple techniciens. Ils sont diplômés d’un doctorat et post-doctorat universitaires Activité CA Laboratoire pharmaceutique 290 millions euros (en 2001) R & D et son organisation - - Représente 20% du CA Mission : développement précoce de molécules originales, d'origine naturelle, chimique ou biologique Comprend en tout plus de 2000 chercheurs 3 grands centre de recherche Statuts des scientifiques de la R&D Statuts : docteurs : titulaires d’un doctorat et post-doctorat universitaires 1.2. Axis une start up débutante composée de jeunes chercheurs L’entreprise axe notamment sa recherche sur le traitement du canceR & Des maladies neurodégénératives. L’unique centre de recherche de l’entreprise est divisé en « group leader » . Il s’agit de 7 groupes de recherche réduits incluant entre 5 et 10 personnes. Chaque « group leader » correspondant à un secteur de recherche particulier : Pharmaco –genomics, Pharmaco- toxicologie, séquençage informatique…) Les chercheurs étrangers occupent des postes de chercheurs à l’intérieur des « ‘groups leaders », attribués plutôt à des débutants. Trois chercheurs de nationalités étrangères sont des managers principaux, placés à la tête des « groupes leaders ». Ils sont diplômés d’un doctorat et post-doctorat universitaire et représentent 30% du personnel total . Organisation correspondant aux axes de recherches cités de MEDAM Médicament se concentrent sur 5 axes prioritaires qui sont : l’oncologie, le système nerveux central, système cardio -vasculaire, immunologie, médecine centrale L'investissement important dans la recherche se traduit par la découverte de nouvelles molécules qui permettent à l'entreprise d'accentuer son développement mondial Pourcentage estimé par le PDG de l’entreprise 53 Activité CA R & D et son organisation Laboratoire millions Mission : pharmaceutique euros Mise au point des techniques originales (en permettant l’identification et l’évolution Effectif total : 2001) des états génétiques. 70 Statuts des scientifiques de la R&D Statuts : docteurs : titulaires d’un doctorat et postdoctorat universitaires 80% du personnel total travaille dans le secteur recherche et développement. Le personnel de la R & D est plutôt jeune. Selon le PDG du groupe, sa moyenne d’age serait inférieure à 30 ans. 2. Le secteur de la Chimie : une place privilégiée pour les ingénieurs 2.1 Le groupe PETRO INDUS TRIE, un groupe en pleine restructuration PETRO INDUSTRIE est la branche chimie du groupe PETRO. L’entreprise a été formellement constitué en avril 2000 suite aux fusions successives du groupe de pétrochimie et elle fédère les activités pétrochimiques et chimiques développées par 3 sociétés avant que deux fusions successives, en 1998 et 1999, n'aboutissent à la création de PETRO INDUSTRIE. Le personnel étranger rencontré occupaient des postes de chercheurs débutants et des responsables produit. Ils sont diplômés de doctorats universitaires. Les chercheurs étrangers sont très peu nombreux dans le groupe et la quasi majorité d’entre eux présent est de nationalité allemande. Ainsi que dans le secteur R&D en général du groupe, nous l’avons vérifié, 54 Activité Les activités de PETRO INDUSTRIE s'organisent en trois grands métiers: - La chimie de base et les grands polymères - Les intermédiaires et polymères de performance - Les spécialités, qui rassemblent les résines CA R & D et son organisation millions Organisation générale euros (en 3 centres de recherches 2001) correspondant à trois domaines spécialisés présentés ci-contre. Dans le centre de recherche étudié, ils ont la charge d’un domaine très précis du développement de fluorés particuliers Statuts des scientifiques de la R&D Statuts : personnel scientifique est composé à 80% d’ingénieurs Moins de 10% de docteurs. Précisions ici que PETRO INDUSTRIE vient de subir une série de restructurations de son secteur recherche et développement. Plusieurs centres de recherche, dont un important en Allemagne a ainsi été fermé pour recentrer une part des activités en France. Nous verrons par la suite que cet élément à des incidences sur l’objet de notre étude. « On est en plein processus de restructuration, on a vécu une OPA sur ELF. Processus d’intégration pas facile parce que la chimie de Elf et de TOTAL sont très différente, structurée différemment : Total chimie est très intégrée en amont (pétrochimie, petites molécules de développement en synthèse) avec en aval très peu d’application (javel, solvant, plastic) on a très peu d’utilisation finale. Entre les deux nous avons une chimie d’intermédiaire partiellement élaborée : des molécules qui sont synthétisées et reprise par nos clients. A Elf il n’avait pas de chimie intermédiaire mais surtout de l’aval (caoutchouc, gant, + des produits de consommation pour les voitures. Il n’avait pas que de la chimie intermédiaire et ils avaient une somme de petites sociétés autonomes. Nous sur la chimie intermédiaire on avait des filiales mais c’était pas le cœur de la société. 50% de nos chercheurs travaillent dans le polymère » Responsable R&D PETRO INDUSTRIE 2.2 L’entreprise MOTOR COMPAGNIE MOTOR COMPAGNIE est une filiale du groupe Carbone Lorraine. Le groupe fait partie des spécialistes mondiaux du carbone et du graphite et de leurs applications. Il produit des composants pour moteurs et pour équipements électriques et électroniques. Le centre de recherche la chimie de base du groupe regroupe les grands intermédiaires de base de la pétrochimie, les grandes filières du chlore, les fertilisants et les grands polymères obéit à une logique industrielle largement fondée sur l'intégration avec le raffinage Qui couvrent les fluorés et oxygénés, de la thiochimie, des acryliques et des polymères techniques et fonctionnels, partagent un imp ératif de maîtrise des procédés et d'expertise chimique Avec Cray Valley et Sartomer -, les adhésifs - avec Bostik Findley-, la métallisation - avec Atotech -, la transformation des élastomères - avec Hutchinson - et les peintures avec SigmaKalon, se focalisent sur la formulation et le service à la clientèle. 55 Les chercheurs étrangers occupent des postes de chargés de mission auprès responsables scientifiques Activité CA Fournisseur de l’industrie aéronautique (principal fournisseur de la gamme Airbus A321). 250 employés 803,7 millions d’euros (en 2001) R & D et son organisation Développement des matériaux composites de carbone utilisés dans les freins d'avions et de motos. La fonction de ces matériaux est d'absorber l'énergie dégagée lors d'un freinage d'urgence . 70 personnes Nous avons mené notre étude dans l’unique centre de recherche de l’entreprise Statuts des scientifiques de la R&D Statuts : ingénieurs L’entreprise a fusionnée il y a trois ans avec une entreprise anglaise, Gould Shawnut, spécialiste de fusibles industriels. Grâce à cette acquisition, Carbone Lorraine devient le n°2 mondial des fusibles industriels. 3. Les sciences économiques 3.1 Le service recherche et développement d’ENERGIE On recense dans le service R&D aucune main d’œuvre « strictement » étrangère. Les économistes étrangers rencontrés étaient d’origine étrangère mais ayant faite leurs études en France et disposant de la nationalité française. Un Airbus lancé à 320 km/h doit s'arrêter en 1200 m) 56 Activité ProducteuR & Distributeur d’énergie CA du groupe ENERGIE (1999) 32 057 million d’eurso R & D et son organisation Service chargé d’études prospectives globales : économiques, environnementale et techniques Formations des économistes du « risque pays » Statuts : Titulaires de DEA, doctorat et ingénieurs La R&D est découpés en 3 sites correspondant aux axes de recherche : hydraulique, modèle économiques et nucléaire et grands équipements transports). Nous avons menés nos entretiens dans les trois sites. Effectif total : 60 personnes 3.2 Le service « risque pays » de BANQUE AFFAIRE Nous avons menés nos entretiens dans le service « risque pays » appartenant au service d’études économiques du groupe Banque Affaire. Dans le service, les économistes étrangers font figure d’exception Activité Banque d’affaire Résultat net du R & D et son organisation groupe Banque Affaire 4018 millions d’euros Service études économiques : « risque (en 2001) pays ». Chargé de faire des études prospectives internationales Formations des économistes du « risque pays » Statuts : Titulaires de DEA, doctorat ENSAE et ingénieurs Effectif : 28 personnes Source. Document interne « résultats du groupe EFD : année 1999 »- compte de résultats. 57 II. Les docteurs et les ingénieurs, les deux catégories de chercheurs rencontrées dans le secteur privé Dans le secteur privé, nous avons rencontré uniquement deux catégories de chercheurs : les docteurs et les ingénieurs dont nous présentons ici les spécificités liées à la formation. Comme nous l’expliciterons dans cette même partie, les entreprises étudiées n’ont que très peu recours aux doctorants et post-doctorants. Il nous semble important de commencer par des cette description des recrutements des chercheurs étrangers ou non dans les entreprises étudiées, car ses caractéristiques marquent le recrutement des chercheurs étrangers. 1. Les docteurs : une formation universitaire « spécialisée » 1.1 L’orientation vers le secteur privé : une vocation précoce pour les docteurs ? Pour les docteurs étrangers rencontrés, le choix de travailler dans le secteur privé fût fait très tôt, au moment de la fin du doctorat. « Je ne voulais pas passer toute ma vie dans un laboratoire poussiéreux à galérer pour avoir un petit financement pour les projets. C’était assez clair dès le départ en fait, moi je voulais plus m’orienter vers le privé. Travailler dans une entreprise l’avantage c’est qu’on voit tout de suite le résultats de ses recherches, on fait nos recherches et ensuite on développe le produit alors que dans le public, c’est souvent plus abstrait» Chercheur- Axis Les raisons invoquées sont un goût prononcé pour la recherche appliquée mais également un rejet d’un secteur public d’après eux « poussiéreux » et surtout déficient en terme de moyens. « Je suis parti d’Ukraine parce que je voulais changer d’air. J’ai passé 10 ans dans le même labo. Je ne voulais pas rester dans le public alors que j’étais pris comme maître de conf. Ici cela correspondait mieux à mon intérêt, les choses sont plus simples. On applique et c’est tout alors que dans le public la recherche se limite à des conflits de chapelle, de paradigmes dominants pas très intéressants. La recherche publique est faite pour quelques vanités personnelles, dépenser toute son énergie pour un article. C’est un peu triste toutes ces batailles. Ici si on fait des choses originales, on fait un brevet et c’est tout » ChercheurMEDAM 1.2 Une mobilité inexistante des chercheurs entre le secteur public et secteur privé De ce fait, nous n’avons rencontré aucun chercheur qui avait débuté sa carrière dans le secteur public pour la poursuivre dans le privé. 58 Les liens qui existent entre le secteur public et privé prennent essentiellement la forme de contrats de recherche. Dans ces contrats, l’entreprise commandite au laboratoire public un projet de recherche pouvant revêtir plusieurs formes : attribution de crédits de recherche (équipements, salaires…) ou encore financement de thèses ou de post-doctorats. Ces collaborations avec le secteur public sont jugées fondamentales par les industriels interrogés. En effet, les industriels ne peuvent maîtriser en interne toutes les compétences dont elles ont besoin pour élaborer de nouveaux produits. C’est pourquoi ils développent des collaborations avec le secteur public pour intégrer des résultats (notamment) de recherche « fondamentale ». Ces apports permettent aux entreprises, généralement plus axées sur la recherche « appliquée », d’offrir des possibilités de développement supplémentaires des produits qu’ils commercialisent. « L’entreprise a besoin des contrats avec le public parce que nous sommes plus axés sur une recherche plus appliquée c’est-à-dire plus sur le développement des produits que l’on adapte au client. Mais pour cette mission il arrive qu’on ait besoin de faire plus de la recherche fondamentale, c’est là qu’on fait appel aux laboratoires qu’on connaît » responsable secteur recherche MOTOR COMPAGNIE « Les industriels, ils ont besoin de nous pour toute la recherche fondamentale que eux souvent n’ont pas. On fait des contrats avec eux quand ils ont besoin de savoir quand veulent connaître les évolutions possibles d’un composé chimique pour un médicament particulier. De notre coté, nous aussi on a besoin d’eux pour qu’ils nous apportent de l’argent tout simplement. Mais globalement il faut dire que c’est plutôt eux qui y gagne parce que faire appel à un labo public c’est pas cher du tout pour eux » Directeur de laboratoire- Chimie- CNRS/ institut curie Ce constat de coopération que nous faisons ici, est similaire aux résultats apportés par les travaux des sociologues de l’innovation . Ces derniers mesurent en effet, l’engagement croissant des entreprises dans leurs coopérations avec les laboratoires publics. D’après ces travaux, ces collaborations de recherche correspondent à la volonté des firmes de se recentrer sur leur cœur de compétence. Pour ce faire, elles externalisent, par le biais de ces coopérations- appelées modèle de l’innovation en réseau-, une partie de leur R& D. 1.4 Les docteurs prédominants dans les entreprises des « sciences de la vie » Les entreprises Axis et MEDAM recrutent presque exclusivement des chercheurs ayant le titre de docteur. En plus de leur doctorat, les chercheurs de ces entreprises doivent avoir une expérience de post-doctorat. Larédo P. et Mustar M. « La recherche, le développement et l’innovation dans les grandes entreprises françaises : dynamiques et partenariats », Education et formations, N° 59, Avril-juin 2001 59 Ainsi, comme dans le secteur public, le post-doctorat généraleme nt effectuée dans le privé comme une étape obligatoire dans la formation du chercheur aux yeux des responsables des secteurs recherche interrogés. Ce post-doctorat apporte la double garantie que le postulant peut mener à son terme un projet de recherche d’ envergure, tout en s’adaptant au fonctionnement d’un laboratoire à l’étranger. « On ne prend que des gens qui ont un post-doctorat. On ne prend pas de gens qui n’ont pas de post-doctorat à l’exception de certains qui sont vraiment très bons. Mais c’est très rare. Nous sommes aussi des scientifiques, on sait ce que c’est un post-doctorat. Si je dois résumer, en dehors des publications qui sont utiles pour un chercheur, mais qui ne sont pas essentielles à nos yeux, c’est surtout la garantie que le chercheur sait mener un projet de recherche important et surtout qu’il peut s’intégrer à une équipe» Responsable secteur recherche MEDAM « Nous recrutons des jeunes docteurs dont le sujet de thèse doit être similaire aux nôtres évidemment, mais le développement (domaine de recherche) est suffisamment large pour qu’on trouve assez de candidats/…/ Ce qu’on leur demande (aux candidats) c’est qu’ils aient fait au moins un post-doctorat à l’étranger. Ca nous permet de voir si le candidat peut s’adapter à des techniques de recherche différentes, s’il a mené à bien des projets d’envergure etc….Pour nous c’est une garantie indispensable le post-doctorat » Cadre dirigeant Axis 2. Les ingénieurs : des scientifiques généralistes 2.1 Une formation scientifique à vocation exhaustive D’une durée de 3 ou 4 ans, la formation d’ingénieur en France est à vocation généraliste tout en conservant une forte base scientifique. Cet impératif de polyvalence permet aux futurs ingénieurs d’occuper des fonctions de responsabilité dans des domaines multiples, comme la production, la recherche et le développement, la gestion, et dans des branches d'activités très diversifiées. Le cursus d’ingénieur permet ainsi d’assurer une solide culture scientifique commune dans les disciplines fondamentales telles que la chimie, la physique ou les mathématiques afin de permettre aux élèves d'approfondir un domaine de leur choix. 2.2 Les ingénieurs prisés par les entreprises de la chimie interrogées Si les entreprises des sciences de la vie recrutent majoritairement des docteurs, les secteurs recherche et développement des entreprises de la chimie interrogées sont composés quasi 60 exclusivement d’ingénieurs. Ainsi, à PETRO INDUSTRIE par exemple, ils représentent 80% du personnel scientifique. « 80% sont ingénieurs docteurs et 20% uniquement sont seulement docteurs .Ce sont des gens qu’on veut faire évoluer donc on prend des formations ingénieurs qui sont plus complètes. Un quart de nos scientifiques à peu près ont une thèse, ceux là vont vers le développement, la recherche appliquée. En fait on ne recrute jamais au niveau DEA ou DESS » Responsable recherche et développement PETRO INDUSTRIE Pour les responsables de ces entreprises, hormis la qualité et la réputation de la formation, c’est son caractère généraliste qui constitue le principal avantage vis- à-vis des autres catégories de chercheurs. « Les ingénieurs c’est quand même la garantie d’une formation solide, même si ça dépend des écoles. La différence entre les docteurs et les ingénieurs, c’est que les docteurs sont plus spécialisés sur un domaine et c’est tout, alors que les ingénieurs sont plus polyvalents. On peut donc leur confier des postes très différents» DRH PETRO INDUSTRIE En effet, recruter des scientifiques « généralistes » induit une grande souplesse dans l’attribution des postes au moment du recrutement mais également lorsqu’il s’agit de faire évoluer ce personnel au sein de l’entreprise. « La recherche chez nous concerne surtout le développement de produits, ce qui veut dire qu’on n’a pas vraiment besoin de spécialistes pointus dans un domaine. C’est pour cela que l’on recrute des ingénieurs et non pas des gens qui ont fait des thèses /…/ Un ingénieur vous pouvez le placer aussi bien à des postes de manager en production ou de responsable scientifique en R & D. Pour nous, c’est plus simple d’avoir ce type de compétence puisqu’on peut les mettre où ça nous arrange, en fonction de l’évolution du service, des départs » Responsable recherche et développement MOTOR COMPAGNIE L’entreprise PETRO INDUSTRIE a cependant recours à des docteurs mais uniquement pour des postes aux compétences très spécialisées et surtout minoritaires dans l’entreprise. 2.3 Les chercheurs en économie : des profils hétérogènes Les services de recherche et développement en économie étudiés, font preuve d’ouverture dans les profils qu’ils recrutent. Ils ne restreignent pas la sélection de leurs candidats à un seul type de formation comme nous l’avons vu dans les autres disciplines. On trouve ainsi des économistes titulaires de diplômes variés : Doctorat, DEA, écoles de commerce et ingénieurs. « Il y a un peu de tout dans le personnel qu’on recrute. On n’est pas dogmatique, il y a des docteurs, des ingénieurs, des DEA. A un moment on recrutait pas mal à l’ENSAE. On n’a pas de critères très particuliers. On recrute surtout sur des annonces ou alors par connaissance » responsable service risque pays Banque Affaire 61 Pour les responsables des secteurs études et développement, la pluralités des profil recrutés participe à une meilleure émulation dans la démarche de recherche. « Avoir des gens d’horizons divers, ça permet de confronter les points de vues, d’ apporter des nouvelles méthodes de travail et plus généralement des nouvelles idées. C’est cette mixité qui, je crois, joue pour dans la qualité du service. Mais cette mixité n’est pas toujours voulue. On est dépendant des profils de candidats qui se présentent ou qui viennent chez nous suite à la mobilité interne» Responsable R&D ENERGIE 3. Les post-doctorants et les doctorants : une faible représentation des étrangers dans le secteur privé 3.1 Les entreprises externalisent la recherche fondamentale vers les laboratoires publics Au cours de notre étude, nous n’avons rencontrés aucun doctorants et post-doctorants français ou étrangers dans les entreprises. « On crée quelques thèses mais finalement pas beaucoup. Cela dépend des crédits de recherche que je peux obtenir et ça dépend des périodes et surtout si j’arrive à convaincre mon patron du bien fondé de la recherche, ce qui n’est jamais évident. Pour donner un ordre d’idée depuis 5 ans, je n’ai pu financer qu’une seule thèse » Responsable R & D MOTOR COMPAGNIE Les responsables de ces entreprises, préfèrent en effet déléguer l’encadrement des éventuels doctorats ou du post-doctorats qu’ils financent, au laboratoire public avec qui ils collaborent. « On estime que les doctorants qu’on finance doivent travailler dans leurs laboratoires de recherche pour qu’ils aient tout l’encadrement pédagogique nécessaire, ce que nous ne nous pouvons pas apporter complètement. La thèse ça reste un exercice universitaire » PDG Axis 3.2 L’exception PETRO INDUSTRIE : le financement de doctorats comme période d’essai PETRO INDUSTRIE fait ici figure d’exception puisque le groupe finance un nombre important de doctorants qui travaillent au sein même du secteur recherche pendant les trois ans que durent ces doctorats. Parmi ces doctorants on recense à la fois des français et des étrangers, même si ces derniers sont presque tous de nationalité allemande, nous y reviendrons. Dans le groupe, les méthodes de recrutement des futurs doctorants sont les mêmes que celles utilisées pour les cadres. Le candidat doit ainsi s’entretenir avec les différents responsables recherche : DRH de la R & D, responsable de la recherche pour le groupe, responsable du centre de recherche, afin de leur exposer la nature de ses motivations. En outre, le candidat 62 doit démontrer sa valeur scientifique (méthodes de recherche mobilisées, définition des hypothèses de travail…. ) et, pour les postulants étrangers, leur maîtrise de la langue française « Les chimistes allemands, ils font à 50% une thèse. C’est un système différent de la France où les ingénieurs sont plus importants. Ma thèse portait sur les polymères à l’université. J’ai rencontré un post doc allemand qui travaillait pour PETRO INDUSTRIE et il m’a dit qu’ils cherchaient un thésard qui parlait le français. J’ai envoyé un CV à PETRO INDUSTRIE et ils ont vu que j’avais passé une année à Lyon. Après ça, j’ai passé les entretiens d’embauche et j’ai été pris. C’était d’ailleurs pas évident ces entretiens, c’était les questions style « comment vous imaginez vous dans 15 ans » ou votre vision de la science, mais au final j’ai été pris et j’ai fait la thèse à PETRO INDUSTRIE en collaboration avec mon université » Chercheur PETRO INDUSTRIE En dehors de l’intérêt scientifique avéré, le financement des doctorats est utilisé par les responsables RH de PETRO INDUSTRIE comme une forme de période d’essai préalable à un éventuel recrutement. Ainsi, durant les trois ans du doctorat, l’étudiant pourra démontrer (ou pas) ses capacités à travailler dans le service. S’il est jugé compétent au bout de ce laps de temps, il pourra bénéficier d’une proposition d’emploi au terme de son doctorat. « A la fin de ma thèse j’ai présenté des résultats à ATO FINA et c’est au cours de cette réunion que l’on m’a demandé si je voulais venir travailler ici comme responsable et je travaille sur le même sujet que ma thèse. J’ai aussi parlé de ma copine qui voulait me suivre, elle a aussi fait une demande et ils l’ont prise aussi » Chercheur PETRO INDUSTRIE « Pour nous, financer des thèses c’est un bon moyen de sélection comme ça on voit si la personne est bonne ou pas. Mais on sélectionne déjà les gens a qui on propose des thèses » Responsable du secteur recherche PETRO INDUSTRIE Ce moyen est jugé essentiel par ces responsables RH, parce qu’ils doivent faire face à un « turn-over » important dans le secteur R & D. Le DRH de la R & D admet ainsi avoir une visibilité inférieure à trois mois concernant les besoins en personnel dans ce secteur. Dès lors en finançant des doctorats, il s’assure d’un « vivier » de candidats potentiels susceptibles de remplacer les postes vacants. « Moi je fonctionne par vivier parce que je n’ai pas une vision supérieure à trois mois, je ne peux pas faire de gestion prévisionnelle, les gens qui sont mutés, qui partent d’eux même etc… bien sûr je ne peux pas laisser un trou dans un secteur. C’est pour ça qu’on a un vivier de gens qui travaillent pour nous. Quand un poste se libère on privilégie la promotion interne donc finalement pour moi c’est une mobilité sur 4 ou 5 personnes. Un jeune qui débute il va commencer par un métier technique. En fait mon vivier c’est 20 personnes qui vont être sélectionnées, il sont embauchables mais on ne peut pas tous les prendre immédiatement. Quand le marché est bon, ils partent plus facilement vers d’autres sociétés mais quand il est mauvais, ils peuvent attendre, faire un post-doc » DRH R & D PETRO INDUSTRIE En revanche, l’entreprise n’a que très peu recours au financement de post-doctorats. Ceux-ci devant être réalisés à l ‘étranger, l’entreprise ne peut pas éprouver la valeur des candidats dans ses propres équipes de recherche. 63 « En général je me méfie des post docs. On n’en fait pas beaucoup parce que les post docs qui sont en France, ça ne présente pas d’intérêt » Responsable du secteur R & D PETRO INDUSTRIE Les post-doctorats sont utilisés ponctuellement par l’entreprise, comme précédemment, pour mettre à l’essai un chercheur de nationalité étrangère. « On peut proposer des post doc à titre d’essai. On a eu un chercheur lituanien qui faisait des choses intéressantes dans le public et on lui a proposé un post doc afin de voir s’il ferait l’affaire ou non, en fait c’était une période d’essai de 1 an le post doc » DRH R & D PETRO INDUSTRIE III. Les entreprises françaises face aux recrutement de scientifiques étrangers : 3 logiques d’intégration différenciées Après avoir présenté le cadre général de l’étude du secteur privé : les organisations et les acteurs, intéressons-nous ici aux logiques d’intégration que les entreprises adoptent vis à vis des scientifiques étrangers. Il ressort de notre étude que les entreprises font appels à eux par trois grandes catégories de besoins : - Il s’agit tout d’abord, des entreprises qui ne parviennent pas à se montrer suffisamment attractives sur le marché du recrutement français. - Ensuite, ce sont des entreprises qui élargissent leur recrutement au marché international afin d’accroître leurs chances d’attirer les meilleurs scientifiques. - Enfin, la présence des scientifiques étrangers est liée à divers mouvements de fusion et restructuration que les entreprises établissent au niveau international. 1. Les chercheurs étrangers comme substituts des chercheurs français Ce premier concerne deux des entreprises étudiées que nous allons reprendre successivement. 64 1.1 Le Cas Axis: une entreprise à faible compétitivité sur le marché du recrutement des chercheurs en France 1.1.1 Une entreprise en manque de « bras »scientifiques Les cadres dirigeants d’Axis évoquent leurs difficultés à se montrer attractifs sur le marché du recrutement des chercheurs. Selon eux, les nouveaux diplômés postulant sur le marché préfèrent s’orienter vers le secteur public ou bien postulent en priorité vers les grands groupes privés du secteur, plus attractifs en terme de sécurité de l’emploi, de salaires et de perspectives d’évolution de carrière. « On a plus de difficultés à recruter des chercheurs, des docteurs /../ Je pense que les scientifiques soit choisissent de rester à l’INRA ou au CNRS soit s’ils choisissent le secteur privé, préfèrent aller dans des grosses sociétés » PDG Axis Pour palier cette difficulté, Axis n’hésite pas à attribuer une part importante de son budget à la masse salariale afin de devenir plus compétitifs sur le marché. Plus précisément ; en complément de salaires jugés avantageux, l’entreprise met en place un système de stock option pour attirer les candidats étrangers ou français. « Nous, quand on a commencé on a tout de suite compris que l’important était de bien payer les gens sinon on n’aurait pas les meilleurs. Là on est obligé de suivre le marché des salaires. C’est pourquoi on a décidé de ne pas lésiner sur la masse salariale et de favoriser très vite la participation en terme de stock option » PDG Axis Du fait de sa faible capacité d’attraction en France, l’entreprise se tourne vers le marché international pour le recrutement de ses scientifiques. L’entreprise intègre ainsi essentiellement de jeunes chercheurs étrangers auxquels elle confie des postes de « première catégorie » sans responsabilités managériales. Ces postes sont cependant majoritaires dans cette entreprise puisque l’organisation de la recherche est éclatée en sept « groupes leader » (voir première partie) avec une faible ligne hiérarchique. Les postes de responsables sont donc relativement restreints. « Dans l’entreprise, le personnel est jeune, nous avons fait la moyenne d’âge cette année et elle est de 30 ans. Cela donne une culture d’entreprise particulière avec des gens détendus, volontaires tout en restant efficaces » PDG Axis Des chercheurs plus âgés (plus de 35 ans), c’est- à-dire ayant une expérience professionnelle plus importante, sont quant à eux placés à ces postes de responsables de « groupe leader ». Sur les sept, trois sont de nationalité étrangère. 65 De ce fait, dans l’entreprise Axis, les chercheurs étrangers viennent palier les carences du marché français. Pour autant comme nous allons le voir ici, le recours à cette main d’œuvre étrangère ne se limite pas à cette explication. Les chercheurs étrangers sont aussi considérés comme un véritable atout dans un secteur recherche qui constitue, rappelons l’avantage concurrentiel de l’entreprise. 1.1.2 Les chercheurs étrangers facilitent les négociations commerciales internationales A Axis, les chercheurs étrangers sont une main d’œuvre très prisée par les dirigeants. Pour ces derniers, le recrutement du personnel étranger est considéré comme le moteur d’une culture internationale que l’entreprise souhaite favoriser. «On ne dit pas pour ce poste on veut un étranger. On met des annonces et on voit quel est le meilleur et c’est tout, qu’il soit étranger ou français. Mais sur ce point j’irais plus loin en disant que l’on souhaite un mixage international dans notre équipe de recherche parce que de cette manière on a des façons différentes d’analyser les sujets. Donc je ne dis pas que l’on va forcément chercher un étranger, mais si on a un candidat étranger, c’est un plus pour nous » PDG Axis « Pour nous c’est une blague de dire qu’il y a des différences entre étrangers et français. Pour nous il n’y en strictement aucune, les techniques qu’ils apprennent sont les mêmes et dans notre société tout le monde doit parler l’anglais, du technicien à la secrétaire et évidemment les chercheurs » PDG Axis Au delà de cette volonté culturaliste, le recrutement de personnel étranger sous entend plusieurs formes d’avantages pour Axis. Tout d’abord les scientifiques étrangers apportent leurs propres réseaux de connaissance avec les organismes privés ou publics de leurs pays d’origines. Ces contacts représentent des cibles de clients potentiels ou encore des possibilités de collaborations scientifiques supplémentaires. « Un scientifique, il vous apporte toujours ses propres réseaux avec lui : d’autres laboratoires .Mais c’est également un plus en terme de négociation, en ce moment on a un chercheur anglais dans notre équipe de recherche, c’est lui qui nous a conseillé de nous adresser à une entreprise cliente, mais plus généralement quand un anglais s’adresse à un anglais ça facilite le contact » PDG Axis Mais surtout, intégrer des chercheurs étrangers dans son équipe crée également selon les responsables des « groupes leaders », un avantage dans les négociations commerciales 66 internationales, marché primordial pour l’entreprise (voir 1er partie). Selon ces managers, des interlocuteurs de culture identique parviendront plus facilement à négocier entre eux. « Un anglais il préférera toujours parler à un anglais dans une négociation. Je ne peux pas bien expliquer pourquoi mais avoir la même culture fait finalement tomber bien des barrières, enlever quelques méfiances qui sont inévitables quand vous ne connaissez pas les gens /../ donc pour nous quand on négocie avec des clients anglais, on emmène toujours avec nous un anglais comme ça c’est plus facile » Responsable groupe leader Axis Enfin les scientifiques étrangers apportent des méthodes de travail différentes au groupe de recherche, ce qui participe à une meilleure production scientifique. « Un scientifique étranger, il va apporter sa façon de travailler et même de raisonner. Le mélange des genres, si je puis dire, va aider la recherche, amener des idées nouvelles qui vont nous permettre de progresser » Responsable groupe leader Axis 1.1.3 Axis: des réseaux encore insuffisamment structurés Axis recrute essentiellement son personnel par le biais d’annonces diffusées dans les journaux spécialisés. L’entreprise mobilise ainsi peu les réseaux dans ce but. Débutant son activité depuis peu, elle ne dispose pas de relations encore suffisamment étendues. Pour autant, même si ce mode de recrutement est très minoritaire dans l’entreprise, il est utilisé par ses dirigeants pour placer des gens de « confiance » aux postes à responsabilités. Plus précisément, les cadres dirigeants, provenant tous du même groupe industriel, sont parvenus à convaincre d’anciens collaborate urs de les rejoindre dans la création d’Axis. C’est ainsi, qu’une partie de ces chercheurs recrutés par cooptation est de nationalité étrangère. « Nous avons recruté des gens que l’on connaissait, des collègues de chez AVENTIS avec qui on pensait qu’ils travaillaient bien. On a réussi à les convaincre de venir travailler avec nous dans cette aventure» PDG Axis Axis fait donc appel à des scientifiques étrangers faute d’attirer suffisamment de candidats français. Malgré ce recrutement exercé par « défaut », les chercheurs étrangers apportent à l’entreprise une série d’avantages concrets dans son activité internationale. 1.2 Le groupe PETRO INDUSTRIE en quête d’une expertise rare La venue de chercheurs étrangers à PETRO INDUSTRIE est au départ due à une soudaine pénurie de scientifiques aux compétences spécifiques particulières, dans un des centres de recherche du groupe. Historiquement, le centre de recherche recrutait ces chercheurs grâce à 67 un réseau particulier qu’il entretenait avec un laboratoire pub lic spécialisé dans ce domaine d’expertise. Le réseau fut interrompu lorsque le laboratoire dépérit progressivement suite au départ à la retraite d’un directeur emblématique. Du fait du tarissement de ce réseau, le centre de recherche fut contraint de rechercher à l’étranger les compétences recherchées. C’est en Allemagne que le centre va trouver un laboratoire public bénéficiant d’une excellente réputation dans le domaine. PETRO INDUSTRIE noue alors un partenariat avec cet organisme public en initiant des projets de recherches communs mais surtout en finançant des doctorants allemands que l’entreprise recrute à l’issue de leurs thèses, conformément au processus que nous décrivions précédemment. PETRO INDUSTRIE entretient ainsi ce réseau depuis plus de 10 ans et recrutent des scientifiques allemands depuis cette période. Ainsi, les chercheurs de nationalité étrangère d’PETRO INDUSTRIE travaillent tous dans le même centre de recherche et sont tous de nationalité allemande . Leur place est donc très restreinte puisqu’ils occupent uniquement un secteur d’expertise au sein d’un des centres de recherche du groupe. « Les étrangers que l’on recrute sont en quasi totalité des allemands parce qu’ils sont bons en chimie. On a commencé à les recruter il y a 7 ou 8 ans parce que l’on a commencé à travailler sur la poly-combustion. On a créé le CERDATO. Pour cette recherche on travaillait avec des laboratoires mais la performance de ces laboratoires s’était nettement dégradée parce que des directeurs qui étaient bons sont partis à la retraite et que leurs successeurs n’étaient pas à la hauteur. C’est à partir de ce moment là que l’on a commencé à travailler avec un laboratoire spécialisé dans le domaine. On a alors financé une thèse à Freibourg et après on a embauché ce jeune allemand et c’est comme ça qu’on créé une filière et qu’on a recruté dans ce labo allemand » Directeur centre de recherche PETRO INDUSTRIE Précisons ici que les compétences de ces chercheurs allemands sont suffisamment rares pour que l’unité de recherche en question « paye cher » leur venue. Ainsi, PETRO INDUSTRIE peut proposer d’offrir un poste aux époux (ses) ou aux concubins (nes) de ces scientifiques au sein du groupe pour mieux les convaincre d’exercer une mobilité en France. « Lui (chercheur allemand), on a même sa femme qui est venue travailler chez nous /../ On lui a proposé ça parce qu’il est bon et qu’il nous le fallait /…/ Mais il n’y a pas que pour lui que l’on a fait ça. On peut proposer, quand c’est possible, une offre pour la compagne aussi parce que c’est souvent un obstacle majeur pour qu’ils viennent en France. On ne le fait pas à chaque fois, mais si on regarde le personnel du CERDATO, on s’aperçoit que parmi les scientifiques étrangers, il y a quelques couples que l’on a reformés » DRH R&D PETRO INDUSTRIE A part l’exception d’un chercheur Lituanien que nous citons plus bas. 68 1.3. Les chercheurs étrangers de PETRO INDUSTRIE et de MEDAM Médicament: des profils plutôt jeunes Dans les deux cas que nous venons de décrire, les chercheurs étrangers recrutés ont des profils plutôt jeunes. Plus précisément, pour la majorité d’entre eux, leur premier poste en France correspond à leur première expérience professionnelle après leur doctorat. « C’est pas évident de s’intégrer dans l’entreprise parce que d’abord je suis loin de chez moi et en plus il s’agit de mon premier poste. Mais heureusement mon chef est anglais ça facilite les choses » Chercheur MEDAM «Je pensais qu’il fallait que je saisisse cette opportunité de venir travailler en France parce que c’était mon premier poste et qu’on voulait en profiter avec ma copine avant d’être complètement installé, avoir des enfants… Après, c’est moins facile de bouger » Chercheur PETRO INDUSTRIE « Pour moi, c’était extraordinaire cette offre parce que les gens ici sont plus ouverts que dans l’industrie allemande, moins conservateurs qu’en Allemagne. Pour moi c’était l’occasion de faire quelque chose de différent la première année où l’on travaille parce qu’au bout de 5/6 ans, on est beaucoup moins souple pour bouger. En plus ça nous faisait une 3ème langue à notre actif c’est bon pour notre carrière » Chercheur PETRO INDUSTRIE Pour ces jeunes scientifiques accepter un premier poste à l’étranger est principalement motivé par des raisons personnelles : il s’agit ainsi de rejoindre son (sa) compagnon(e) en France ou encore, c’est le cas le plus fréquent, de découvrir véritablement une culture différente en s’installant durablement en France. « Si je suis venue ici c’est aussi parce que je m’intéresse beaucoup à l’Europe. Je voulais découvrir des coutumes, des manières de penser différentes. C’est vraiment enrichissant pour moi. Ca me sert même dans mon travail. Dans les négociations on n’aborde pas un hollandais comme un anglais. De toute façon moi j’ai vécu partout, en Belgique, en Suède, donc la mobilité c’est naturel pour moi » responsable groupe leader MEDAM « J’ai fait un post-doc en France et c’est là que j’ai rencontré ma femme. On s’est marié et c’était plus difficile pour elle d’aller au Canada pour son job, donc je me suis mis à chercher du travail en France » Chercheur MEDAM « Le choix de la France c’est aussi pour ce que l’on pouvait appeler l’après travail. C’est à dire que je suis célibataire et j’accorde une grande importance à la ville où je dois m’installer. Il faut que je puisse rencontrer des gens même en sortant toute seule. Paris c’est très bien pour ça » responsable groupe leader Axis Même si ces raisons personnelles nous apparaissent prédominantes dans le choix de la mobilité, ajoutons que dans les entretiens, ces jeunes chercheurs évoquent également des motivations professionnelles. « J’ai également choisi PETRO INDUSTRIE parce que c’était un groupe très important et qu’il offrait beaucoup de possibilités pour la suite de ma carrière » Chercheur PETRO INDUSTRIE « J’avais envie de m’investir dans une entreprise comme celle là. Une start-up qui débute c’est assez excitant. On se sent plus concerné par le boulot. Je préfère travailler dans une petite structure comme celle là que dans un grand groupe pour commencer. Je me trompe peut 69 être, mais je n’ai pas une bonne vision des grandes entreprises où tout est trop hiérarchique » Chercheur Axis Ainsi, les motivations personnelles et professionnelles dans le choix de la mobilité sont toujours étroitement entremêlées dans le discours des acteurs. 2. Les chercheurs étrangers : des concurrents naturels dans la course aux meilleurs La deuxième catégorie d’ « offre » vis- à- vis des chercheurs étrangers est proposée par les entreprises qui recrutent leurs scientifiques à l’international. Comme no us le développons ici, l’intérêt affiché de ces industriels est d’accroître, par ce moyen, leurs chances d’attirer les meilleurs candidats. 2.1 Le cas de MEDAM Médicament : recruter les meilleurs scientifiques équivaut à une ouverture ver l’ internationa l 2.1.1 Un groupe attractif visant les scientifiques les plus qualifiés Selon les dirigeants de MEDAM Médicament, le groupe parvient à attirer de très bons chercheurs. « Je pense que nous parvenons à recruter de très bons scientifiques, ce qui est une des clés de notre secteur recherche et développement. On base notre politique sur un recrutement d’excellence de façon à avoir les meilleurs chercheurs sur le marché » Responsable R & D MEDAM A ce pouvoir d’attraction, les responsables voient deux facteurs explicatifs : - Tout d’abord le groupe MEDAM bénéficie d’une solide réputation internationale du fait de sa présence sur le marché mondial du médicament. - De plus, de part sa taille, le groupe offre aux postulants, des garanties attrayantes en terme de salaires, de sûreté de l’emploi mais également de par les moyens matériels importants mis à leur disposition pour réaliser leurs recherches. « Je pense de mon point de vue, qu’un chercheur n’est pas malheureux dans le groupe parce qu’il va pouvoir mener des recherches d’envergure au sein d’un groupe compétitif sur le marché mondial » Responsable R & D MEDAM 70 2.1.2 Des chercheurs étrangers placés à des postes à hautes responsabilités Dans le groupe MEDAM , les chercheurs étrangers ont des fonctions à hautes responsabilités. Dans les unités de recherches où nous avons mené notre étude, la grande majorité d’entre eux occupent des postes de responsables de départements de recherche comprenant des équipes de 20 ou 40 personnes. Les autres chercheurs étrangers présents dans le secteur recherche du groupe travaillaient comme simple techniciens. Pour les dirigeants du groupe, les postes de responsables scientifiques sont systématiquement ouverts au marché international afin d’attirer les meilleurs candidats dans le domaine recherché. Leur politique de recrutement concernant ces postes de responsables ne fait donc aucune discrimination entre les chercheurs étrangers et français. « Les chercheurs étrangers ne font pas l’objet d’un traitement particulier dans l’entreprise. Ils sont recrutés selon les mêmes critères que les autres c’est-à-dire sur l’adéquation compétences-profil du poste. Ce qui fait qu’on ne fait absolument pas de distinction entre un français et un étranger dans notre recrutement, c’est ouvert à tout le monde » Directeur de la RD MEDAM « Chez nous, il n’y a pas de distinction entre français et étrangers au niveau des postulants, ce que l’on veut c’est les meilleurs c’est tout » responsable département scientifique » Adjoint directeur R & D MEDAM Pour les dirigeants de MEDAM Médicament, restreindre les offres d’emploi de responsables scientifiques uniquement à la France ne satisferait pas aux exigences de qualité définies par le groupe. « Historiquement, notre dirigeant avait fixé une ligne très claire dans le recrutement de ces collaborateurs scientifiques. Il disait « prenez les meilleurs et c’est tout » et pour avoir les meilleurs, il souhaitait que l’on regarde dans le monde entier » Directeur de la RD MEDAM L’ouverture des offres d’emploi au marché international est de plus facilitée par le fait que l’intégration de personnel étranger dans le fonctionnement quotidien des unités de R&D ne présente aucune difficulté particulière. En effet, l’entreprise veille systématiquement à mettre à disposition des chercheurs étrangers, des collaborateurs bilingues : secrétaires, et techniciens. « Mon principal problème quand je suis arrivé ça a été la langue bien sûr parce que je ne parlais pas du tout le français. Mais quand j’ai été recruté j’avais demandé à avoir au moins une secrétaire et des techniciens bilingues pour que je puisse travailler normalement. Maintenant ça va mieux en français sauf pour l’écriture » Responsable département recherche MEDAM 71 2.2 Un mode de recrutement répondant aux exigences de qualité 2.2.1 La sélection des candidats par le comité scientifique interne du groupe Du fait de sa réputation internationale, le groupe n’éprouve pas de difficulté particulière à se montrer attractif sur le marché du recrutement des chercheurs. Ainsi, les responsables diffusent leurs offres principalement publiées dans les journaux spécialisés comme Nature. « Dans le recrutement on passe principalement des annonces dans les journaux spécialisés /…/ lorsqu’un poste se libère en général on trouve quelqu’un dans des délais raisonnables, ce qui montre qu’on est tout de même assez attractif dans notre domaine mais je pense que c’est dû à la politique du personnel de MEDAM qui apporte des garanties sérieuses aux postulants. C’est d’ailleurs pour cela qu’on arrive à faire venir des chercheurs étrangers qui font le sacrifice de quitter leurs pays pour venir dans une petite ville du sud ouest de la France » Directeur de la R & D MEDAM La sélection des candidats s’appuie sur des critères précis qui sont validés par un comité scientifique. Ce comité est composé de chercheurs de renoms dont certains sont extérieurs au groupe, en provenance du secteur public. C’est le fondateur du groupe, lui- même scientifique, qui a instauré ce système de recrutement par comité qui réunit des scientifiques qui font partie de son réseau de connaissance. « Lorsqu’il a crée l’entreprise, M. Fabre qui était un bon scientifique avait mis en place un comité scientifique qui réunissait beaucoup de ses collègues de l’époque. Il voulait avoir ce comité pour que le recrutement du personnel scientifique soit le plus performant possible. Ca a fait ses preuves dans le passé et on continue toujours de la même façon 15 ans plus tard » Responsable département recherche MEDAM La valeur scientifique du candidat s’évalue en fonction de critères standards qui sont identiques à ceux que nous avons observés dans le secteur public : publications (selon les critères d’impacts des revues), fréquences des invitations aux colloques, expériences de la conduite de projet de recherche. 2.2.2 La « Belge connexion » ou l’instauration d’un système de cooptation pour les subordonnés Comme dans les cas cités précédemment, les dirigeants du groupe mobilisent peu leurs réseaux de connaissance pour recruter leurs responsables scientifiques. Etant suffisamment attractif sur le marché du recrutement et disposant d’un mode de recrutement fiable, le groupe parvient à recevoir suffisamment de candidatures de qualité pour ne pas avoir à mobiliser leurs réseaux de connaissance. 72 Le recrutement par le biais de réseaux n’est pourtant pas totalement absent. En effet, un micro-système de cooptation est instauré par les scientifiques étrangers une fois en fonction. Ces derniers parviennent à inciter d’anciens collab orateurs à venir travailler avec eux dans leurs unités de recherche. C’est le cas dans un des centres de recherche du groupe, où le dirigeant principal d’origine belge est parvenu à s’entourer d’anciens collègues avec lesquels il travaillait dans son précédent poste en Belgique. Le centre de recherche est à ce propos, affectueusement appelé par les dirigeants du groupe « la belge connexion ». « J’ai demandé à des collaborateurs avec qui je travaillais précédemment de venir travailler avec moi ici. Ca a été facile parce que dans mon ancienne entreprise c’était aussi moi le patron et ils travaillaient déjà avec moi pour la plupart. J’ai donc recréé mon ancien service en fin de compte /…/ Pour tout responsable, c’est important de s’entourer de gens en qui on a confiance. Ca tourne, on a déjà nos habitudes » responsable département recherche MEDAM 2.3 Les chercheurs étrangers de MEDAM : une mobilité plus « professionnelle » Contrairement aux entreprises Axiset et PETRO INDUSTRIE, les chercheurs étrangers travaillant chez MEDAM sont plus âgés puisqu’ils ont en général au moins 40 ans. Ils bénéficient ainsi d’une expérience professionnelle importante (entre 10 et 20 ans) dans la recherche privée. Cette expérience professionnelle conséquence est justifiée au regard des postes de responsables d’unités de recherche qu’ils occupent. « Moi j’ai roulé ma bosse comme vous dites ici. J’ai derrière moi un bagage de 20 ans de recherche dans pas mal d’entreprises au final » Responsable Unité de recherche MEDAM Concernant leurs motivations à accepter une mobilité, les chercheurs étrangers de ce groupe évoquent en premier lieu des critères strictement professionnels. Pour eux, ce poste en France équivaut en effet, à une progression dans leur carrière. Plus précisément, c ela se traduit généralement par un poste aux responsabilités managériales plus importantes. « Si j’ai choisi l’industrie c’est justement pour ça. Pour pouvoir changer quand j’ai fait le tour de mon poste. Bien sûr il ne faut pas faire n’importe quoi, changer pour changer ça ne sert à rien. Moi j’essaye de me fixer des objectifs dans ma carrière. Il y a des étapes que je m’impose : il s’agit d’avoir des postes avec des responsabilités supplémentaires comme j’ai ici. Et aussi un salaire plus important (rires) » Responsable Département recherche MEDAM L’autre élément incitant ces scientifiques à accepter ces postes, est l’obtention de moyens techniques et humains supplémentaires pour mener à bien leurs recherches. « Je savais que MEDAM possédait des moyens colossaux par rapport à mon ancienne boîte. C’était pour moi un critère fondamental parce que dans mon travail précédent c’était toujours problématique pour obtenir des crédits supplémentaires pour avoir un technicien 73 supplémentaires ou pour du nouveau matériel. Ca j’en avais marre parce que ça nous limitait dans nos recherches » Responsable unité de recherche PF Ainsi et plus généralement, ces chercheurs ont quitté leurs pays d’origine parce qu’ils y « gagnaient » professionnellement . « Ce qui m’a motivé en premier lieu c’était le poste lui même qu’on me confiait, on me proposait ici de diriger un groupe, pour moi c’était donc une étape importante dans ma carrière » Responsable unité de recherche PF Comme précédemment, précisons que ces motivations strictement « professionnelles » sont du reste étroitement mêlées à des facteurs plus personnels. Ces chercheurs étrangers évoquent notamment la nécessité d’un accord concerté avec leurs familles pour accepter un poste à l’étranger. « Lorsqu’on m’a proposé ce poste, j’en ai parlé avec toute ma famille. Même si la Belgique c’est juste à coté, je n’aurais pas pu venir vivre ici tout seul. Heureusement ils ont accepté. Je ne sais pas exactement ce que j’aurai fait s’ils avaient refusé, je ne suis pas vraiment certain que j’aurais accepté » Responsable département recherche MEDAM Nous pouvons ici avancer l’hypothèse que ces chercheurs expérimentés, exerçant une mobilité plus « professionnelle » sont attirés vers les grands groupes industriels comme MEDAM et PETRO INDUSTRIE capables de leur offrir des garanties d’évolution de carrière et salariales plus importantes que ne pourraient le faire des entreprises plus modestes. « Pour l’instant je m’imagine rester ici parce que le groupe propose des métiers différents qui vous permettent d’évoluer. Il y a ici beaucoup de possibilités. On pense rester en France mais on aimerait le sud. Ca fait 3 ans que je suis ici et je pense évoluer vers le management dans la production. Je voudrais un poste avec plus de responsabilités personnelles. C’est très important pour moi » Responsable Unité de recherche MEDAM « Au départ j’étais un universitaire ukrainien et j’ai été invité par un collègue de l’université du Mans pour travailler sur un projet de 11 mois. Ca c’est bien passé et on m’a proposé un post doc (financement région) puis, pour continuer le projet, on m’a proposé un poste rouge du CNRS pour un an. Après cette année le laboratoire du Mans était en contact avec PETRO INDUSTRIE qui cherchait un spécialiste dans mon domaine donc ils m’ont invité un an en post doc qui a été prolongé d’un an parce qu’il y avait des problèmes de restructuration et les postes n’étaient pas clairs. Entre temps j’avais eu une proposition des USA mais PETRO INDUSTRIE a proposé de créer un poste pour moi. Aux USA c’était plus intéressant au niveau du salaire mais je ne voulais pas bouleverser une fois de plus ma famille qui était déjà installée ici en France. En plus la France est plus proche de l’Ukraine, géographiquement et au niveau de la mentalité. En plus ils ne me proposaient qu’un an et au bout d’un moment je cherchais quelque chose de stable » Responsable unité recherche PETRO INDUSTRIE 3. Les restructurations et fusions industrielles comme cadre de la mobilité Nous allons voir ici que le s mouvements de fusion, d’acquisition et de restructuration engagés par deux des entreprises étudiées favorisent la mobilité internationale des chercheurs. 74 3.1 Le redéploiement des compétences : des expertises essentielles à conserver Les restructurations des secteurs de recherche subies par PETRO INDUSTRIE et MOTOR COMPAGNIE compagnie, permettent également la mobilité des scientifiques étrangers en France. PETRO INDUSTRIE a ainsi supprimé un de ses centres de recherche en Allemagne et choisi de replacer le personnel scientifique allemand dans une unité française. « Il y a aussi une mobilité dans le cadre de restructuration. Il y a deux ans on a fermé un centre de recherche en Allemagne parce que les structures n’étaient plus assez performantes. Suite à cette fermeture on a proposé à des chercheurs allemands de venir travailler au CERDATO (unité de recherche) pour les replacer» DRH R & D ATO FINA Il en va de même pour l’entreprise MOTOR COMPAGNIE qui a fusionné il y a quelques années avec une entreprise anglaise. A la suite de cette fusion, des scientifiques anglais ont été mandatés pour assister les responsables des unités de recherche de l’entreprise pour intégrer au secteur R&D, des méthodes spécifiques de développement des composés de fusibles telles qu’elles étaient appliquées précédemment dans l’entreprise fusionnée. « Ma mission dans l’entreprise devait au début durer deux ans mais maintenant ça fait 3 ans que j’y suis et je pense y rester quelque temps en plus parce que plus on travaille plus on s’aperçoit qu’il y a des choses à faire /../ Au départ je devais appliquer et former les ingénieurs d’ici à la manipulation et au développement que l’on appliquait à Gould Shawnut parce que l’entreprise désirait percer le marché français avec ces techniques » Chercheur – chargé de mission MOTOR COMPAGNIE D’après les acteurs, si ces entreprises font le choix de déplacer le personnel scientifique au moment des fusions/ restructurations c’est pour trois raisons majeures: Tout d’abord déplacer les scientifiques équivaut à conserver des expertises jugées essentielles pour les deux entreprises. Ainsi, la mobilité des scientifiques correspond à un redéploiement des compétences, composante essentielle de la restructuration de l’unité. « L’intégration a tout reconsidéré et a bouleversé les choses. On a réorganisé par secteur d’activité technique : polymères, chimie organique, catalyse, chimie minérale sont des gros secteurs autonomes. Après à l’intérieur on est organisé en Business unit… Mais ça c’est la partie je dirais organisationnelle de la restructuration. Mais pour nous à la DRH, l’autre élément important, c’est de mettre le personnel adéquat » DRH R & D PETRO INDUSTRIE D’autre part, les scientifiques étrangers déplacés suite aux restructurations, permettent de faciliter les relations entre les deux entités fusionnées. C’est le cas particulier de PETRO 75 INDUSTRIE où les scientifiques allemands travaillant actuellement en France, permettent de faciliter les relations avec l’usine allemande du groupe. Grâce à cette proximité, les chercheurs allemands sont sollicités par leurs collaborateurs lorsqu’ils sont confrontés à un problème avec cette usine. « Et en plus j’ai l’expertise humaine parce que nous sommes toujours en contact avec l’usine de Bonn qui fabrique la gamme. Je connais bien les gens et comme ça les contacts sont facilités lorsqu’on a besoin de revoir un échantillon. Lorsque c’est un français qui s’en occupe il y a toujours des problèmes. Il ne sait pas trop à qui s’adresser, il y a des problèmes de compréhension alors on me demande toujours de faire passer le message. Je suis une sorte de facilitateur. C’est différent de mes collègues allemands d’ici qui eux sont venus pour une expertise bien particulière » Chargé développement produit PETRO INDUSTRIE Il en va de même pour MOTOR COMPAGNIE qui, au moment de sa fusion avec une entreprise anglaise a accueilli des responsables scientifiques de ce groupe mandatés pour intégrer un nouveau composé de plaquette dans le secteur recherche et développement de l’entreprise française. «Après la fusion avec Gould Shawnut (entreprise anglaise), MOTOR COMPAGNIE s’est aperçu que ce composite maquait à la R&D parce qu’il permettait de mieux contrôler la qualité vis à vis des clients /../ Comme un certain nombre de mes collègues que vous avez rencontré on est en charge de l’application de ce procédé» Chargé de mission- MOTOR COMPAGNIE 3.2 Des conditions salariales et matérielles attrayantes pour inciter les chercheurs à accepter la mobilité Au moment de leurs restructurations, PETRO INDUSTRIE et MOTOR COMPAGNIE incitent la mobilité des chercheurs par des conditions très avantageuses : salaires, aides diverses (déménagement, logement..), aménagement des conditions de travail. « Je travaillais chez PETRO INDUSTRIE à Bonn dans un petit labo, mais il y eu une restructuration et on a concentré la recherche ici au SERDATO et au moment de la fermeture on m’a demandé si je voulais venir travailler ici dans la même fonction de chercheur. Ce n’était pas trop difficile de bouger parce que je parlais le français et mon épouse aussi. Ca tombait bien parce qu’elle voulait arrêter de travailler avec la naissance de notre premier enfant. Donc ça tombait bien de venir à la campagne ici. Je connaissais la région parce qu’on était déjà en contact avec le SERDATO. Tous les deux mois j’y allais. On nous a prévenus suffisamment à l’avance pour que l’on puisse réfléchir. Ils avaient même proposé aux techniciens de venir avec moi mais ils étaient trop implantés à Bonn ils ne voulaient pas venir donc » Responsable unité de recherche PETRO INDUSTRIE « Pour moi professionnellement et au niveau salaire ça changeait dans le positif et puis on sentait très bien qu’il y aurait des restructurations. Donc, évoluer dans une grande entreprise française c’était le mieux à faire. Au niveau du développement de ma carrière c’était le mieux. Je n’ai pas cherché un autre poste de chimiste en Allemagne parce que la situation pour les chimistes n’était pas facile, ils n’ embauchent pas beaucoup de chimistes en Allemagne. En plus PETRO INDUSTRIE nous a proposé des aides pour le déménagement, on a trouvé ici une très belle maison qu’on aurait jamais trouvée en Allemagne. Dans ma décision je me suis assuré que ma femme était OK. Les conditions de travail étaient ici plus favorables qu’a Bonn 76 donc on n’a pas trouvé que déménager en France était un grand risque » Responsable développement produit PETRO INDUSTRIE 4. Les entreprises « fermées » aux scientifiques étrangers : les filières de formation françaises comme recours exclusif Après s’être intéressé aux critères incitant les entreprises françaises à recruter des chercheurs étrangers, examinons à présent les compagnies qui ne ressentent pas la nécessité de faire appel à cette main d’œuvre étrangère et ne développent pas de stratégies particulières à cet égard. C’est dans le secteur de l’économie que l’on observe la présence la plus limitée de chercheurs étrangers mais aussi dans les secteurs ou les services de recherche qui privilégient les ingénieurs aux docteurs. 4.1 La place prépondérante des ingénieurs restreint les possibilités d’intégration des chercheurs étrangers 4.1.1 Le recrutement des ingénieurs induit de la souplesse dans la politique de ressources humaines Dans les groupes PETRO INDUSTRIE et MOTOR COMPAGNIE, la place des chercheurs étrangers est très minoritaire (voir partie I). En effet, ces groupes industriels privilégient le recrutement d’ingénieurs dans leurs secteurs recherche et développement. Comme nous le précisions plus haut, la polyvalence des ingénieurs sortis des écoles françaises due à leur formation de généraliste permet à l’entreprise d’être souple dans l’attribution des postes. « On recrute majoritairement les ingénieurs parce qu’avec eux on sait où on va. Un jeune ingénieur qui débute chez nous, il peut occuper quasiment tous les postes dans le service. Pour nous c’est un avantage certain au moment de leur entrée dans le service parce qu’on peut le mettre à n’importe quel poste et ensuite tout au long de leur carrière, d’abord pour eux parce qu’ils pourront changer de fonction au sein du groupe et ensuite pour nous car on est plus souples » Responsable centre de recherche PETRO INDUSTRIE Ajoutons que les ingénieurs ne sont pas lésés par rapport aux « docteurs » dans les pratiques de recherches « pures » dans la mesure où la recherche privée est, la plupart du temps, focalisée sur « l’application et le développement ». Ainsi, la recherche privée ne requiert pas obligatoirement une solide formation en recherche fondamentale telle que la dispense la doctorat universitaire. 77 Enfin, et concernant le cas particulier d’PETRO INDUSTRIE, le recours quasi-exclusif aux ingénieurs correspond à une stratégie de gestion des ressources humaine particulière : l’enjeu primordial du Directeur des Ressources Humaines du secteur recherche est de pouvoir fidéliser, donc de conserver, le personnel scientifique au sein du groupe en les faisant évoluer au sein de différents postes. Pour ce faire, le groupe propose à son personnel scientifique des opportunités de changements de postes tout au long de leur carrière. Ainsi, un ingénieur débutant à un poste de chercheur, pourra par la suite évoluer par exemple vers un poste de manager dans la fabrication. La formation « généraliste » des ingénieurs représente alors un avantage primordial dans cette stratégie. Le but affiché de cette politique de RH est l’efficacité. Un scientifique ayant occupé plusieurs postes différents au sein de la R & D, sera plus à même de comprendre les différentes contraintes de ses collègues subordonnés lorsqu’il occupe un poste de responsable. « La politique RH dans le groupe est de pouvoir faire évoluer les gens tout au long de leur carrière. Cette politique de fidélisation sert, je pense, l’intérêt des salariés parce que le groupe offre une variété de métiers dans lesquels chacun peut trouver pourquoi il est fait ou alors dans lesquels il pourra évoluer tout au long de sa carrière. Mais c’est aussi une politique délibérée dans le sens où les gens connaissent les différents postes et secteurs de l’entreprise, il sera d’autant plus efficace quand il prendra un poste de responsable d’une unité de recherche s’il connaît d’abord le travail de chercheur » DRH PETRO INDUSTRIE 4.1.2 La filière française de formation des ingénieurs : un gage de qualité pour les entreprises Si ces deux groupes industriels privilégient de plus le recrutement de scientifiques- ingénieurs, c’est tout d’abord, nous l’avons vu, du fait du caractère polyvalent de leur formation qui induit une plus grande souplesse dans la politique de ressources humaines des entreprises de la chimie étudiées. D’autre part, si ces entreprises choisissent des scientifiques- ingénieurs c’est parce qu’elles estiment que le contenu de leur formation leur apporte des garanties fiables sur la qualité des candidats. Chaque entreprise établie alors son propre classement des écoles d’ingénieurs en fonction de sa réputation et va recruter en fonction de cette hiérarchie. Il se forme par conséquent, des réseaux particuliers écoles d’ingénieurs - entreprises par lesquels les entreprises presque exclusivement leur personnel scientifique, phénomène bien connu dans les grandes entreprises françaises et qui reste très présent. 78 « A force de recruter dans les écoles d’ingénieurs on fini par bien les connaître. On connaît les classements selon leur réputation. Quand on a une candidature, ça nous simplifie la tâche, on a déjà une idée de sa valeur selon l’école par laquelle il est passé. Parce que toutes ne recrutent pas leurs élèves de la même façon, certaines demandent Maths sup et d’autres recrutent sur concours » Directeur de la recherche PETRO INDUSTRIE « Pour les recrutements des scientifiques, j’ai mes habitudes, je connais les écoles d’ingénieurs qui ont une bonne réputation et ce sont ces candidatures là que je privilégie. On accueille également chaque année des stagiaires auxquels on peut proposer un emploi quand ils apportent toute satisfaction. C’est les gens du labo qui me font part de leurs sentiments » DRH MOTOR COMPAGNIE Dès lors, c’est la filière française qui est privilégiée par ces deux entreprises puisqu’elle celleci présente l’avantage d’apporter des garanties supplémentaires quant à la qualité du recrutement de ces scientifiques. Ceci limite, de fait, fortement la place des chercheurs étrangers dans ces groupes industriels. 4.2 La recherche et développement dans les sciences économiques : la formation française couvre les besoins des sociétés étudiées 4.2.1 Les économistes étrangers du service risque « pays » Banque Affaire : peu de valeur ajoutée ? A priori et au vue de sa mission d’étude prospective internationale, on pourrait penser que le service « risque pays » de la Banque Affaire cherche à recruter des économistes de nationalité étrangère. Or dans les faits, il n’en est rien et dans le service, les 3 économistes de nationalité étrangère qui y travaillent font figure d’exception. « On n’a pas d’étrangers dans le service. Je n’ai que mon Hollandais et mon africain et aussi une petite de Moldavie mais elle, c’est un peu différent, parce qu’elle a fait ses études en France. Mais eux on ne les pas recrutés pour leur nationalité. Je ne sais d’ailleurs plus très bien comment ça s’est fait mais ce n’est pas parce qu’ils avaient quelque chose de particulier » Directeur service risque pays/ BANQUE AFFAIRE Selon ce dirigeant, deux facteurs expliqueraient cette faible représentation: - Tout d’abord le service reçoit très peu de candidatures d’économistes étrangers. Ils y voient deux raisons différenciées en fonction des pays d’origine : les économistes bénéficiant de formations solides comme les américains ou anglais, s’avèrent difficile à attirer puisque la France ne peut offrir les mêmes garanties salariales que dans leurs pays. A l’opposé, le service prendrait peu en compte les candidatures provenant du tiers monde puisque celles-ci n’offrent pas les mêmes garanties dans la qualité de leur formation et que ces postulants ont l’handicap de pas se trouver sur place au moment des entretiens. 79 « On n’a pas vraiment d’économistes anglais ou américains qui postulent chez nous tout d’abord parce qu’on ne peut pas leur offrir les mêmes conditions salariales qu’en Angleterre ou qu’aux USA. C’est inutile que je vous détaille le poids des impôts et des charges en France je pense. On peut avoir mais c’est très rare des candidatures de pays du tiers monde mais là aussi c’est délicat parce qu’ils ne sont pas sur place et on ne peut pas leur payer un voyage pour qu’ils passent l’entretien. Souvent, c’est vrai, elles passent à la trappe ces candidatures même si elles sont pas nombreuses» Responsable études économiques Banque Affaire - D’autre part, les économistes étrangers ne disposeraient pas de compétences spécifiques s’avérant directement utiles pour le fonctionnement du service. En effet, les économistes de ce service élaborent leurs analyses prospectives à partir d’informations recueillies principalement sur le web (données historiques, PIB évolutif, décision FMI, contexte politique…). En travaillant (pour des commandes internes) sur cette base de données commune, le risque pays n’a aucun besoin de chercher à recruter des économistes des pays étudiés pouvant leur apporter des informations plus précises sur le système politique, les rumeurs, les lois spécifiques etc… « Je ne vois pas pourquoi je recruterais un économiste américain dans mon service. Quelqu’un qui va me coûter 10 fois plus cher même s’ils ont une très bonne réputation. Si je le recrute, quand je vais dire ça à la direction ils vont me dire même si j’argumente « pourquoi vous ne prenez pas un français très bon à la place » Directeur service risque pays/ BANQUE AFFAIRE En conséquence, les économistes étrangers ne présentent pas une plus-value particulière vis à vis des missions du service « risque pays ». De ce fait, les économistes étrangers du service ont été recrutés presque par hasard. « A la fin de mon contrat avec l’OCDE, je ne voulais pas retourner en Hollande (pays d’origine), je préférais rester en France parce que j’y avais mon appartement et aussi parce que j’avais rencontré ma compagne. Ca a joué aussi beaucoup. Donc je me suis mis à chercher et finalement après être resté 6 mois au chômage, j’ai vu une annonce dans le monde pour la BANQUE AFFAIRE, qui me correspondait bien et c’est comme ça que je suis rentré » Economiste Risque pays Banque Affaire Cette logique est inversée dans les services de la banque implantés à l’étranger et chargés de conseiller les clients de ces pays. Dans ce cas, la banque est vigilante à recruter uniquement des américains pour traiter avec des clients américains puisque ces économistes disposent de connaissances plus fines présentées comme indispensables pour les analyses prospectives : texte juridiques, information concernant la politique interne « Je m’en foutrais de prendre un américain pour couvrir la zone euro, ça ne me gène pas. On n’a pas besoin dans le service de prendre des économistes du « cru » (de nationalité des pays étudiés) parce qu’on a toutes les informations dont on a besoin pour faire nos analyses sur notre ordinateur. Par contre dans nos agences aux USA, ils ne font pas le même travail, ils 80 conseillent directement le client alors je ne peux pas mettre un français pour parler à des américains, les clients n’apprécieraient pas. C’est une question d’image et une question de sources parce que si les économistes ne baignent pas dans le bain ils ne comprendront jamais rien du système politique un peu fin, de la législation et tous les autres éléments qui peuvent jouer dans les prévisions » Directeur service risque pays/ BANQUE AFFAIRE Paribas 4.2 Le service étude et développement d’ENERGIE : pourquoi faire appel aux économistes étrangers ? Le département R&D d’ENERGIE ne recrute aucun économiste de nationalité étrangère. Les économistes dit « étrangers » que nous avons rencontrés sont du personnel certes originaire d’autres pays mais ayant tous suivi un cursus de formation supérieure en France. Ceux-ci disposent, de plus, soit de la nationalité française ou de la double nationalité. « Moi je ne sais si je rentre dans votre catégorie d’étude parce que je suis originaire d’Inde mais mon père a vécu une grande partie de sa vie en France. Donc j’ai été élevé en France, j’y ai fait toutes mes études même si je reste très fermement attaché à mes racines en Inde puisque une grande partie de ma famille est toujours là bas » Economiste R&D/ direction de la stratégie ENERGIE FRANCE « Je ne me sens pas du tout comme un étranger puisque j’ai toujours vécu en France et j’y ai fait toutes mes études. Seulement c’est vrai, mon père est anglais et j’y vais régulièrement, estce que ça vous suffit pour dire que je suis une étrangère » Economiste R&D Comme dans l’exemple précédent de la Banque Affaire, deux raisons majeures expliquent ce cloisonnement apparent à l’égard de la main d ’œuvre étrangère : 1. les statuts publics propres à ENERGIE et 2. l’adéquation forte entre la nature des missions du service et les compétences dispensées par les formations françaises. Tout d’abord, selon les statuts de service public appliqués au personnel d’ENERGIE, la nationalité française constitue une condition préalable obligatoire dans le recrutement d’un statutaire. C’est ainsi, que le personnel de nationalité étrangère ne peut postuler dans le groupe. « Il y a quand même une raison fondamentale pour que l’on ne recrute pas d’étrangers, c’est lié aux statuts publiques des salariés d’ENERGIE FRANCE. C’est-à-dire que pour pouvoir postuler à ENERGIE FRANCE, il faut être de nationalité française. Recruter des étrangers dans cette perspective ça devient plus compliqué » Responsable R&D ENERGIE FRANCE Cependant, dans la réalité, il en va autrement. Ainsi, la responsable du département recherche admet que le groupe peut recruter une main d’œuvre « strictement » étrangère mais en leur proposant des statuts plus particuliers dits de « chargés d’étude » qui ne confèrent pas à ces salariés la sécurité de l’emploi. Comme l’explique ci-dessous cette responsable, ce fut le cas des linguistes étrangers dont le service avait besoin. 81 « Le personnel étranger c’est un vrai problème pour nous parce qu’on ne peut pas le recruter comme statutaire selon les textes en vigueur à ENERGIE FRANCE. Mais par exemple l’année dernière, on a engagé un linguiste étranger parce qu’on le voulait mais on a dû contourner le problème et l’engager dans un statut particulier qui est proche du chargé d’étude. Cela ne veut pas dire qu’ils sont précaires parce qu’ils sont bien rémunérés mais ils n’ont pas le même statut que les autres » Directrice département recherche et développement L’autre élément expliquant l’absence des économistes étrangers dans le service recherche tient au fait que ce service trouve dans les différentes filières de formation françaises (voir partie I) les compétences dont ils ont besoin. Plus précisément, les missions du service concernent plus l’application de modèles économiques qui permettent d’établir les études prospectives qu’une réflexion plus théorique sur ces modèles tels qu’ils sont élaborés dans la recherche publique. « Finalement et pour être un peu cru, les gens de la R&D à ENERGIE FRANCE ne font pas de recherche. Ce que la boîte attend d’eux c’est plus qu’ils fassent du développement, c’est-àdire de trouver des travaux de recherche et ensuite de les appliquer, ils se réapproprient plus les travaux de recherche qu’ils ne les inventent. C’est plus du développement que l’on fait et c’est pour ça qu’il y a pas mal de gens qui sont frustrés » Ingénieur R&D ENERGIE « A la R&D tout va très vite, on n’a pas le temps de rentrer dans des logiques de modélisation économiques. On doit par exemple fournir une prospective sur 10 ans d’un nouveau type d’équipement, on prend en compte la valeur d’usage, les coût marginaux tout ça. C’est un travail d’application économique pur mais ça reste une perspective très technicienne. On en dégage pas des problématiques plus théoriques. On n’en a pas besoin » Economiste R&D Les responsables du service déclarent ne rencontrer aucunes difficultés à trouver les compétences adéquates que ce soit, en recrutant directement dans les filières de formation économiques françaises (diplômes universitaires, écoles d’ingénieurs etc..) ou par le biais de la promotion interne . D’autant plus que, toujours selon ces derniers, le groupe se montre suffisamment attractif (de part les avantages salariaux, les garanties d’emploi etc.. qu’il procure) du potentiel de postulants. Dès lors, le service « recherche » dispose d’un vivier de candidatures satisfaisant du point de vue à la fois qualitatif et quantitatif. En conséquence, le service n’épro uve pas le besoin de prospecter vers des demandes provenant d’autres pays, faute de carences en compétences « rares » ou de meilleure qualité comme nous l’avons vu dans les exemples de PETRO INDUSTRIE et de MEDAM . Exemple : étude de la mesure des coûts liés à l’application d’un nouvel équipement dans un réseau de distribution Précisons ici que la majeure partie du personnel qui compose le service étudié est expérimenté et ont déjà travaillé au préalable dans d’autres services du groupe. La promotion interne constitue donc une voie privilégié dans le recrutement du personnel du service recherche étudié. 82 « Pour nous, il n’y pas une utilité, je dirais, directe à recruter des étrangers même si sur le principe je n’y voit pas d’inconvénients. Notre politique de ressources humaines nous satisfait telle qu’elle est dans la mesure où nous parvenons à trouver un bon équilibre dans l’adéquation compétences/ postes. On essaye de mélanger de mettre des gens qui peuvent nous apporter au groupe des analyses pertinentes et je pense qu’on y arrive même si on ne va pas assez loin dans la transversalité des compétences je pense » Responsable R&D ENERGIE FRANCE Relevons ici toutefois les avantages qu’un ingénieur-économiste indien, retire de ses origines étrangères dans son travail de prospective économique. Selon lui, ses contacts et sa connaissance locale des pays du tiers monde alimentent les réflexions conduites autour des programmes de prospectives de long terme qu’il dirige . Ce dernier ne fait pourtant pas vraiment figure d’exception à notre constat précédent dans la mesure où il propose une offre de travail de nature différente de celles d autres économistes « type » du service, c’est- à-dire une prospection plus tournée vers la théorie . « Mes origines étrangères font que j’ai une perception différente de la logique dominante de développement occidental. Je peux ainsi comparer que les inerties de la France ou des USA ne sont pas forcément celles de l’Inde ou de l’Afrique. Le constat est que aujourd’hui 4 milliards d’individus sur la planète vivent avec moins de 500 dollars par an. Donc les entreprises mondiales se battent pour un tiers de la population. Ca veut dire que pour tous le reste, les autres marchés, il faut les appréhender d’une autre manière : les demandes en énergie dans ces pays là ne répondent pas du tout aux mêmes problématiques. Toutes ces expériences m’aident en fait à trouver, apporter une réflexion supplémentaire sur de nouvelles demandes » Economiste R&D/ direction de la stratégie ENERGIE Enfin et pour conclure les constats concernant les services recherche privés des sciences économiques, signalons que la pluralité des profils de formation recrutés par les deux services étudiés, ne fait que renforcer leurs recours exclusif au marché français : en effet, en intégrant des économistes de formation différente ( DEA, ingénieurs, écoles de commerce…), ces services accroissent d’autant plus leurs possibilités de choix à l’intérieur des filières de formation nationale. Il s’agit par exemple du thème « l’évolution des énergie renouvelables dans les 50 prochaines années » Pour être tout à fait complet, pré cisons que cet économiste bénéficie dans le service d’un statut totalement atypique dans le service puisqu’il est rattaché à la fois à la direction de la stratégie et à la recherche et développement 83 5. Le vécu des chercheurs étrangers : les entreprises françaises trop bureaucratiques ? De même que dans le secteur public, les chercheurs étrangers travaillant dans les entreprises privées évoquent tout d’abord, dans leurs discours, leurs satisfaction globale de vivre en France. Pourtant, ce sentiment général masque une série de critiques que les chercheurs soulignent de manière plus virulente que leurs homologues du secteur public : Le premier motif de mécontentement des chercheurs étrangers concerne les rigidités de la hiérarchie dans les organisations françaises. Pour une grande partie d’entre eux, et plus particulièrement pour les Américains, Anglais et Hollandais, cette distance établie entre un supérieur et un subordonné nuit à l’efficacité du fonctionnement du service ou de l’organisation. « Ce qui me gène le plus, c’est la hiérarchie à la française. Quand on parle à un responsable, on le sent, il faut avoir une certaine distance. En Hollande ce n’est pas le cas on a des relations beaucoup plus détendues avec les chefs, on peut se dire plus de choses plus librement. Ca a des conséquences sur le travail lui même parce qu’on ne peut pas plus clairement des reproches à un responsable. L’autre fois, je me suis retrouvé face à ce problème, j’ai exposé brutalement mes reproches à quelqu’un de plus important que moi lors d’une réunion. Tout le monde était très choqué de mon intervention et lui n’a pas apprécié du tout » responsable group leader Axis Dans le même ordre d’idée, les étrangers soulignent, avec une certaine ironie, la passion que vouent les dirigeants français à la bureaucratie. Ils expriment alors leurs difficultés à la fois à comprendre et à s’adapter aux règles bureaucratiques qu’ils doivent respecter dans leurs activités. « Mon principal problème ici ? C’est votre infernal fonctionnement bureaucratique ! Mon dieu, pourtant on m’avait prévenu que la France était comme ça, mais à ce point /../ Chaque fois que je veux faire une demande, il faut la faire passer aux bureaux produits et à la production pour qu’eux la valide. Comme les deux ne répondent jamais en même temps parce qu’ils demandent à leur tour, une série de validation, les autorisations se perdent et il faut en refaire. Tout ceci est extrêmement usant » Responsable produit PETRO INDUSTRIE « Ce qui m’angoisse le plus, c’est de comprendre toutes les subtilités des règles. Un papier doit être signé par 5 personnes différentes sinon vous ne pouvez rien faire et pire, vous prendre une faute professionnelle pour ce genre de conneries /…/Je pense que je ne pourrais jamais m’habituer à demander cinq autorisations pour chacune de mes actions sans que je puisse comprendre exactement pourquoi le service comptabilité doit donner son autorisation pour tout nouvel achat alors que j’ai un budget propre. J’ai souvent évoqué ces problèmes mais c’est comme si je parlais à un mur » Responsable département recherche MEDAM 84 Enfin, les étrangers soulignent la vigilance des français à ne pas dépasser le temps de travail légal. Parmi les chercheurs rencontrés, ce sont les anglais et les américains principalement qui fustigent ce type de comportement. Pour eux, c’est un des principaux inconvénients qu’ils rencontrent dans les entreprises françaises en comparaison avec leurs pays d’origine. « Dans le travail, l’autre problème surtout c’est que les gens ne font rien. Le plus flagrant c’est pour les secrétaires. Elles sont là de 9h à 16h45 et après plus rien. Je ne pourrais jamais leur demander de rester un peu plus tard parce que sinon je vais passer pour un fou, un tyran. C’est pareil pour mes collègues vers 18 heures, on ne rencontre plus grand monde à part le chef. C’est très différent de ce que j’ai connu aux Pays Bas et surtout en Angleterre où là, on reste jusqu'à ce que le travail soit vraiment terminé. Alors qu’en France, les gens aiment bien remettre à demain » Economiste- risque pays Banque Affaire « Les 35 heures c’est quelque chose qui me surprend beaucoup quand même. Je pense que je suis dans un secteur où il faut investir un temps de travail très important, les essais ça prend beaucoup de temps. Mais ça, les gens ici ils n’aiment pas rester jusqu'à 22h comme nous on le fait beaucoup en Angleterre. Moi, ça me choque beaucoup ce genre de chose. J’en ai souvent discuté avec les dirigeants ici qui me disent qu’ils ne peuvent rien faire contre ça. J’imagine que c’est surtout culturel ce genre d’attitude mais pour moi ça va contre la performance » Chargé de mission- MOTOR COMPAGNIE 6. La mobilité des chercheurs étrangers dans le secteur privé : la prédominance du modèle du marché En reprenant la logique de la démonstration que nous avons suivi dans le secteur public, nous proposons ici une analyse établissant comment l’ « offre » des entreprises et la « demande » des chercheurs s’entrecroisent. Il ressort de cette démonstration que c’est le modèle du marché qui domine dans les pratiques de mobilité dans ce secteur. Contrairement au secteur public, le réseau ne sert pas de cadre à la circulation des chercheurs. Au contraire, les entreprises privées renversent plutôt cette logique : le recrutement des chercheurs étrangers est un moyen de constituer des réseaux de connaissances. 6.1 Le capital attractif de l’entreprise structure la demande des chercheur La mobilité des chercheurs étrangers dans le secteur privé français est encadré par le modèle du marché que nous avons décrit dans le secteur public. Nos entretiens montrent en effet que la coordination entre l’offre et la demande se fait essentiellement par la publication de postes et l’arrivée de candidature spontanées, sélectionnées en fonction de la qualité des candidats sur la base de jugement scientifiques. Les entreprises ne sont pourtant pas égales sur leur capital « attractif ». Ainsi, on observe une distinction nette entre les profils de chercheurs étrangers des groupes industriels importants 85 (PETRO INDUSTRIE, MEDAM ) et des entreprises plus petites (Exhon Hit) : dans le premier cas de figure, les grands groupes industriels parviennent à investir des moyens financiers et matériels conséquents pour inciter des chercheurs étrangers de très bon niveau à les rejoindre. Pour ces derniers, qui ont une expérience professionnelle importante, la mobilité est perçue comme une « promotion » dans la gestion de leur carrière. Au contraire, une entreprise débutante ne pourra pas proposer les mêmes garanties de sécurité de l’emploi, de promotion interne ainsi que de niveau de rémunération à ses postulants. Dans ce cas, les chercheurs étrangers qu’elle parviendra à attirer sont des jeunes débutant leur carrière et exerçant cette mobilité plutôt pour des motifs extra-professionnels (découverte culturelle, rejoindre son conjoint….) L’exception à ce modèle, est la mobilité des chercheurs dans le cadre des fusions/ restructurations appliquées développées ci-dessus. 5.2 Les réseaux dans le secteur privé : une fin plus qu’un moyen Dans l’étude de ce secteur, nous n’avons constaté qu’une minorité d’exemple de mobilité dans le cadre du réseau. Ce modèle est peu donc utilisé par les entreprises étudiées pour le recrutement des chercheurs étrangers. En allant plus loin, il semble que la logique des organismes privés soit presque inversée : l’intégration des chercheurs étrange rs représente surtout pour eux un moyen de nouer des réseaux qui apportent un certain nombres d’avantage : cibles de clients internationaux supplémentaires, possibilités de collaboration avec des laboratoires publics étrangers etc… 86 Conclusion de Partie II : des logiques de mobilité hétérogènes dans le secteur privé Il ressort ainsi de notre échantillon que, la mobilité des chercheurs étrangers dans le secteur privé français obéit à 3 grandes logiques : • Les entreprises françaises étudiées, ont tout d’abord recours à des chercheurs étrangers lorsqu’elles rencontrent des carences sur le marché du recrutement français. C’est le cas de PETRO INDUSTRIE qui se trouvait face à une pénurie de compétence dans un domaine d’expertise particulier et a recruté des chercheurs allemands pour combler ce manque. L’autre cas de figure est l’entreprise débutante, Axisqui ne parvient pas à se montrer suffisamment attractive pour les chercheurs français et qui fait appel aux scientifiques étrangers pour palier ce problème. • Le deuxième facteur explicatif quant à l’intégration de chercheurs étrangers est l’élargissement de la politique de recrutement au marché international. C’est le cas du groupe industriel MEDAM qui « ouvre » ses offres d’emploi à l’international en vue d’accroître ses chances d’attirer les « meilleurs » scientifiques. La logique est dans ce cas là, inverse à la précédente puisque les entreprises recrutent des chercheurs étrangers non plus par « défaut » mais parce qu’ils sont des postulants naturels dans un recrutement international. • Enfin, les scientifiques étrangers peuvent exercer une mobilité en France au moment des fusions et/ ou des restructurations appliquées, dans notre champ d’étude, par PETRO INDUSTRIE et MOTOR COMPAGNIE compagnie. La mobilité des chercheurs s’inscrit ici dans un redéploiement global des compétences s’inscrivant dans des réorganisations internationales plus larges. Ainsi, selon ces trois logiques d’intégration, on constate des profils différents de chercheurs étrangers : les entreprises en « manque de bras » scientifiques parviennent à attirer des chercheurs plutôt jeunes, c’est- à-dire débutant leur carrière et acceptant une mobilité pour des motifs principalement personnels : découverte d’une autre culture, se rapprocher de son conjoint etc. Au contraire, le choix des scientifiques impliqués dans un recrutement d’excellence, correspond plutôt à une motivation d’ordre strictement professionnels : opportunité d’un poste aux responsabilités étendues, obtentions de moyens supplémentaires 87 pour mener ses recherches etc. Même si, au regard de notre démonstration la nature de ces motivations à exercer une mobilité apparaît contrastée, il nous semble ici en même temps nécessaire de préciser que dans la réalité, les discours des acteurs mêlent toujours étroitement motivations « personnelles » et « professionnelles ». D’une manière plus générale, ce sont les entreprises qui recrutent majoritairement des « docteurs » qui sont les plus ouvertes à l’intégration des chercheurs étrangers . Dans leurs cas en effet, les convergences de compétences entre un docteur français et étranger sont plus évidentes en raison du caractère spécialisé de cette formation. En revanche, les unités de recherche essentiellement composées de scientifiques- ingénieurs, privilégient le recours exclusif aux filières françaises qui leur offrent les garanties de qualité de formation qu’ils exigent. Ces entreprises sont donc, de fait, moins à même d’intégrer des scientifiques étrangers puisque l’équivalence de compétence ainsi que les gages de qualité sont moins évidents à cerner que dans le cas des docteurs universitaires. 88 CONCLUSION GENERALE Pour terminer, nous voudrions développer quelques points que suggèrent les résultats de cette étude. Dans un premier temps, nous rappellerons les conclusions auxquelles aboutissait une enquête comparable menée par E. Mouranche (1997) il y a un peu plus de cinq ans pour chercher les tendances qui se dessinent. Dans un second temps, nous reviendrons sur la coupure privé/public autour de laquelle ce rapport est construit. Enfin, nous terminerons par quelques réflexions sur les modèles de circulation de ces personnels : le « réseau » ou le « marché ». La mobilité internationale, cinq ans plus tard A la demande du ministère de la Recherche une étude comparative qualitative de grande envergure (plus de 200 entretiens) avait été menée en France, en Allemagne et en GrandeBretagne sur la mobilité des chercheurs et universitaires dans le public. Comme pour l’étude que nous venons de réaliser, des laboratoires avaient été sélectionnés dans chacun des trois pays et pour deux disciplines : la physique nucléaire et les sciences de la vie. Des responsables de laboratoires et d’équipes, ainsi que des doctorants non originaires du pays où se déroulaient les entretiens avaient été interviewés. Si l’on compare les résultats de cette première enquête et ceux de l’étude conduite cette année pour le secteur public, on ne peut qu’être frappé par la relative stabilité des conclusions. Ainsi, le post-doctorat reste la période pendant laquelle les mobilités sont les plus importantes (sauf en économie toutefois, où les doctorants sont plus concernés) ; cette mobilité est envisagée dans une stratégie de consolidation d’un CV dans la perspective d’un retour dans le pays d’origine ; les laboratoires d’accueil voient dans ces post-doctorants une main d’œuvre peu coûteuse et productive ; ils ne développent pas à leur endroit de politique particulière et ne se sentent pas engagés vis- à- vis de leur avenir ; enfin, l’appariement entre des postdoctorants et un laboratoire intervient soit par recours au marché, soit en mobilisant les réseaux scientifiques au sein desquels on est inséré. 89 Un autre élément récurrent concerne la situation particulière de la France, pays où d’un côté les bourses de post-doctorat restent plus rares qu’ailleurs mais où par ailleurs les possibilités d’accès à une carrière scientifique pour ces post -doctorants étrangers sont plus élevées qu’ailleurs. Comme nous l’avons vu, des relatio ns fructueuses entre post-doctorant et un laboratoire peuvent amener le premier a décidé de rester en France et le second à soutenir la candidature du premier sur un poste permanent. Cet avantage comparatif de la France s’explique notamment par l’accès plus précoce à un emploi permanent dans ce pays (Musselin 1996, 2000a) et par les possibilités de carrière à l’intérieur des organismes nationaux de recherche (qui évitent les problèmes de maîtrise de la langue qui peuvent en revanche gêner l’accès aux postes universitaires). Cependant cette opportunité de recrutement en France à l’issue d’un post -doctorat reste assez marginale et les stratégies de carrières dans le public conserve leur caractère prioritairement national. Est-ce à dire pour autant que rien n’a changé et qu’aucune évolution n’est discernable ? Cela n’est pas vrai non plus. D’une part, le passage par un post-doctorat et encore plus par un doctorat ou un post-doctorat à l’étranger semble se généraliser (notamment en chimie), alors qu’il concernait essentiellement les sciences de la vie dans la première enquête. Par ailleurs, les laboratoires semblent avoir acquis une certaine compétence dans la recherche des bourses : le thème du financement reste présent (c’est une contrainte forte) mais il paraît moins problématique pour les laboratoires comme pour les post-doctorants que lors de la précédente étude. Notons cependant que le mode d’attribution des bourses, basé sur le profil du candidat et le projet, est critiqué par les laboratoires qui ne peuvent solliciter et obtenir une bourse avant même d’avoir trouvé la personne intéressée et préféreraient qu’elles leur soient données « sans nom » afin d’utiliser ce financement pour attirer les « meilleurs ». Evolution des conditions de production de la recherche et des frontières entre public et privé Un des résultats peut-être les plus surprenants de cette étude concerne le cloisonnement des carrières entre public et privé. Certes, les laboratoires publics étudiés ont tous des relations, et parfois des relations contractuelles étroites, avec le secteur privé et réciproquement, les laboratoires privés travaillent avec des unités du public. 90 Pour autant, les passages d’un secteur à un autre semblent rares. Plus même, les stratégies de carrière paraissent singulières à chaque secteur quand on regarde la question de la mobilité internationale. Du côté du privé, elle s’inscrit beaucoup plus dans une stratégie à long terme (plus de deux ou trois ans) qui privilégie une carrière au sein d’une entreprise (et souvent plusieurs déménagements en fonction des opportunités) ou au sein d’un développement de carrière personnelle où l’individu va passer d’une entreprise à une autre et/ ou d’un pays à un autre pour accéder à des postes plus importants. Du côté du pub lic, les mobilités internationales se font généralement dans le cadre d’une carrière ou dans la perspective d’une carrière qui se déroule ou se fera dans le pays d’origine. Notre étude semble donc confirmer (même s’il faut rester prudent car ce n’était pas l’objet de cette enquête) le constat que font de nombreux travaux sur la dissolution de la distinction entre public et privé du fait de la constitution de réseaux d’interactions professionnelles entre des organismes de statuts différents. En revanche, elle ne confirme pas une autre conclusion qui est souvent avancée par ces mêmes travaux (Owen-Smith et al. à paraître ou Gittelmann, à paraître) à savoir la plus forte circulation des personnes au sein de ces réseaux. Pour être plus précis encore, on retrouve bien du côté du privé des personnes qui passent d’une entreprise à une autre ou d’un pays à un autre (notamment en biologie), mais du côté du public, les personnels sont moins mobiles et de plus, les chercheurs du privés restent dans le privé et ceux du public dans le public également. Le moment crucial pour l’orientation vers l’un ou l’autre secteur étant le doctorat et surtout le post-doctorat. Réseau versus marché, et réciproquement Comme nous l’avons signalé à la fin de la première partie du rappor t, une différence supplémentaire avec l’étude de E. Mouranche (1997) tient au recours plus fréquent au « marché » (avec toute la prudence que l’usage de ce mot requiert) qu’au réseau dans les unités étudiées pour cette dernière étude. Les hasards liés à la constitution de l’échantillon expliquent peut-être plus cette différence que l’hypothèse d’une évolution des pratiques et nous n’en tirerons donc pas de conclusions. 91 En revanche, cette étude révèle, de manière encore plus claire que la précédente l’extrême imbrication entre les deux mécanismes. Premièrement, comme l’ont montré les sociologues du marché, les échanges marchands reposent toujours sur des mécanismes ou des dispositifs qui vont permettre l’appariement entre une offre et une demande (Karpik 1996, Cochoy 2002, Callon et al. 2001 et Callon 2002) et ces mécanismes peuvent reposer sur des effets réputationnels. Ils ne correspondent pas à des collaborations ou à des interactions concrètes. Ainsi, quand un laboratoire repère la candidature d’un jeune chercheur, c’est souvent parce que celui-ci a travaillé dans une équipe de grande renommée (réseau réputationnel) ou parce qu’il a publié dans une revue cotée… Mais deuxièmement, il s’agit à travers ces échanges « marchands » de créer à terme des réseaux, donc de créer l’occasion de développer ensuite des coopérations. Cette remarque vaut d’ailleurs aussi bien pour le secteur public que pour le secteur privé : le recrutement de chercheurs étrangers de haute volée est aussi un moyen d’acquérir leur carnet d’adresses ou leurs ressources relationnelles. Enfin et troisièmement, le recours au réseau pour trouver des chercheurs étrangers est souvent plutôt un substitut au marché, quand on n’a pas la possibilité de bien se positionner dans le jeu de l’offre et de la demande. 92 ANNEXES ANNEXE I : échantillon de l’étude et les catégories de personnels interrogés dans le secteur public Nous avons réalisé 58 entretiens dans les laboratoires publics, selon l’échantillon suivant: Dans cet échantillon, nous apportons également de quantifier la part des chercheurs étrangers dans les laboratoires interrogés. Pourtant, les chiffres avancés ici, sont principalement indicatifs puisque la totalité des organismes publics et privés rencontrés ne disposaient pas de ces chiffres. Ainsi, les proportions apportés ici ont été constituées par les organismes étudiés ou par nous même en prenant comme base l’effectif total et le nombre de chercheurs de nationalité étrangère que nous avons recensés. Dans d’autres cas, nous n’avons pu fournir ces chiffres faute de données suffisantes. • Les sciences de la vie - 2 équipes CNRS/ université Pierre et Marie Curie (Paris 6) Effectif 2 équipes interrogées : 12 Personnel interrogé (6) Equipe 1 : Chef de groupe, 2 Post-doctorants étrangers Equipe 2 : Chef de groupe, 2 doctorants étrangers Proportion de chercheurs étrangers estimée: ? - 1 laboratoire INSERM/ école normale supérieure Effectif : 45 Proportion de chercheurs étrangers estimée: ? Personnel interrogé (4) Directeur du laboratoire, 2 Post-doctorants et 1 doctorant étranger 93 - Un institut, unité mixte de recherche INSERM/ CNRS Effectif : 120 Proportion de chercheurs étrangers estimée: % (43/100) Personnel interrogé (11) Directeur du laboratoire, 3 chefs d’équipe, 3 Post-doctorants étrangers, 2 doctorants étrangers, 2 chercheurs statutaires étrangers • La chimie - Laboratoire de recherche CNRS/ institut Curie Effectifs : 36 Proportion de chercheurs étrangers estimée : ? Personnel interrogé (7) Directeur du laboratoire, 4 post-doctorants, 2 professeurs invités - 1 équipe d’un centre INRA Effectifs : 5 unités comprenant au total 250 personnes Proportion de chercheurs étrangers estimée dans l’unité étudiée : 41,6 % ( 5/12) Personnel interrogé (8) Directeur du centre, 1 chef d’équipe, 1 doctorant, 1 professeur invité et 4 post-doctorants 1 équipe, unité mixte de recherche (CNRS/ Cachan) Effectif : 28 Proportion de chercheurs étrangers : Uniquement un seul post-doctorant au moment de notre étude. Personnel interrogé (4) Directeur du laboratoire, 1 chef d’équipe, 1 doctorant, 1 professeur invité 94 • Les sciences économiques 1. Groupement de recherche CNRS/ Université / EHESS Effectifs :59 Proportion de chercheurs étrangers estimée : 59 % ( 35/ 59) Personnel interrogé (8) Directeur, 1 post-doctorant étranger, 3 doctorants étrangers, 1 professeur statutaire étranger, 2 professeurs invités 2. 1. Laboratoire Universitaire Effectif : 65 Proportion de chercheurs étrangers estimée : 17 % (11/65) Personnel interrogé (5) Directeur du laboratoire, 4 doctorants étrangers 3. 1 groupement de recherche, institut mixte CNRS/ INSEE Effectif : 120 Proportion de chercheurs étrangers : ? (trop difficile à évaluer en raison du nombre important de chercheurs invités et de chercheurs associés disposant temporairement d’un bureau à l’INSEE) 95 Personnel interrogé (5) Directeur du laboratoire, 1 post-doctorant étranger, 1 professeur statutaire étranger et 2 professeurs invité II. Echantillon de l’étude et les catégories de personnels interrogés dans le secteur privé 42 entretiens ont été menés dans le secteur privé selon l’échantillon suivant: • Les sciences de la vie 1. Axisinternational Personnel interrogé (9) PDG, 3 responsable de « group leaders », 5 chercheurs. 2. MEDAM médicaments Personnel interrogé (8) Responsable R&D, responsable centre de recherche, 3 responsables départements de recherche, 2 responsables unités de recherche, 1 technicien • La Chimie 1. PETRO INDUSTRIE Personnel interrogé (8) 96 DRH R&D groupe, responsable R&D groupe, responsable centre de recherche, 3 chercheurs, 1 responsable unité de recherche, 1 responsable développement produit 2. MOTOR COMPAGNIE compagnie Personnel interrogé (5) DRH, responsable R&D, 2 chargés de missions, 1 techniciens • Les sciences économiques 1. ENERGIE Personnel interrogé (6) Directeur département R&D, responsable site de recherche, 4 ingénieurs économistes 2. Banque Affaire Personnel interrogé (6) Directeur du département « étude économique », responsable du service « risque pays », 4 économistes appartenant au « risque pays » 97 ANNEXE II. GUIDES D’ENTRETIEN GUIDE D’ENTRETIEN- CHERCHEURS ETRANGERS I. LE TRAVAIL DE L’INTERVIEWE Depuis quand occupez-vous vos fonctions ? Pouvez-vous me décrire les missions et la composition de votre service ? Pouvez-vous me décrire en quoi consiste votre travail ? Travaillez-vous sur des projets particuliers ? Quels sont les aspects les plus importants de votre travail ? Pourquoi ? II. LA MOBILITE DANS LE PARCOURS PROFESSIONNEL 1. Les raisons de la mobilité Depuis quand êtes vous en France (professionnellement, à titre personnel ) ? Comment avez-vous eu connaissance de cette opportunité de mobilité ? Quelles sont les raisons pour lesquelles vous avez choisit de venir travailler en France ? Quels sont (ou ont été) vos attentes vis à vis de ce poste ? Ces attentes sont-elles totalement remplies ? dans quelle mesure ? Comment concevez-vous cette expérience : ponctuelle, durable ? Quels avantages comptez-vous tirer de cette expérience dans la gestion globale de votre carrière ? 98 Est-ce que vous êtes en relation avec d’autres organismes de recherche privé/ public étranger ? 2 Les difficultés rencontrées Comment jugez-vous votre intégration dans l’organisation? Quelles sont les difficultés majeures auxquelles vous êtes confrontées ? Plus généralement quelles sont les difficultés majeures que vous rencontrez dans le cadre de votre travail ? Comment parvenez-vous à les surmonter ? III. SOUHAITS D’AMELIORATION Comment pourrait-on, selon vous, améliorer l’intégration des chercheurs étrangers dans les organismes de recherche français ? Quelles sont les conditions favorables à une bonne intégration ? Comment pourrait-on, selon vous , améliorer les formes d’échanges avec les organismes de recherche étrangers ? A votre avis, quelles sont les évolutions à venir dans votre secteur pour la mobilité des chercheurs ? IV. INFORMATIONS PERSONNELLES Votre formation ? Parcours professionnels et institutionnels ? Comment envisagez-vous votre carrière à moyen/ long terme ? 99 GUIDE D’ENTRETIEN- RESPONSABLES/ CHERCHEURS FRANÇAIS I. LE TRAVAIL DE L’INTERVIEWE Depuis quand occupez-vous vos fonctions ? Pouvez-vous me décrire les missions et la composition de votre service ? Pouvez-vous me décrire en quoi consiste votre travail ? Quels sont les aspects les plus importants de votre travail ? Pourquoi ? II. L’INTEGRATION DES CHERCHEURS ETRANGERS DANS L’ORGANISATION 1. Pourquoi faire appe l aux chercheurs étrangers ? Quelle est la proportion de chercheurs étrangers travaillant dans votre organisme ? Pourquoi votre organisme fait-il appel à des chercheurs étrangers ? Comment avez-vous été amenés à recruter des chercheurs étrangers ? Cela s’inscrit-il dans une forme d’échange particulière ? Comment ont-ils été sélectionnés ? Ont-il des contrats et des rémunérations différentes des chercheurs Français ? 2. L’utilisation des chercheurs étrangers dans le travail scientifique Quelles fonctions occupent les chercheurs étrangers ? Travaillent -il sur des projets particuliers ? Comment jugez-vous leur intégration dans l’équipe de recherche ? 100 A votre avis quels sont les avantages/ inconvénients en terme de production scientifique à intégrer des chercheurs étrangers ? 3 Les difficultés rencontrées Quelles sont les difficultés majeures que vous rencontrez dans la gestion de ce personnel étranger ? Comment parvenez-vous à les surmonter ? III. SOUHAITS D’AMELIORATION Comment pourrait-on, selon vous, améliorer l’intégration des chercheurs étrangers dans les organismes de recherche Français ? Quelles sont les conditions favorables à une bonne intégration ? Comment pourrait-on, selon vous, améliorer les formes d’échanges avec les organismes de recherche étrangers ? A votre avis, quelles sont les évolutions à venir dans votre secteur pour la mobilité des chercheurs ? IV. INFORMATIONS PERSONNELLES Votre formation ? Parcours professionnels et institutionnels ? 101 BIBLIOGRAPHIE Callon, M. (2002) : “Pour en finir avec les incertitudes », Sociologie du travail, Dossier-Débat « La qualité », 44(2), pp. 255-287. Callon, M., Meadel, C., Rabeharisoa, V., (2001) : L’économie des qualités. Politix, 52 (1), pp. 211-239. Cochoy, F. (2002). L'âne du Buridan et l'économie du marché. Essai d'anthropologie du marché, Paris, PUF. Crozier, M. et Friedberg, E. (1977) : L’acteur et le système, Le Seuil, Paris. Friedberg, E. (1993) : Le pouvoir et la régle, Le Seuil, Paris. Gittelman, M. (à paraître) : “Mapping national knowledge networks: scientists, firms, and institutions in biotechnology in the United States and France”, working paper, Université de New York. Gibbons et al (1994) : The New Production of Knowledge. The Dynamics of Science and Research in Contemporary Societies, Sage, Londres. Karpik, L. 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