Sédation-analgésie lors de soins douloureux au lit du patient Jusqu

Transcription

Sédation-analgésie lors de soins douloureux au lit du patient Jusqu
Sédation-analgésie lors de soins douloureux au lit du patient
Jusqu’où aller ?
Marcel Louis Viallard, MD, PhD, EA 4569, Paris Descartes, Sorbonne Paris Cité,
EMASP Necker-Enfants Malades, APHP, Paris
Certains soins sont particulièrement douloureux pour le patient. Une prise en compte de cette
douleur iatrogène permet dans nombre de cas un contrôle satisfaisant de cette douleur
provoquée tant pour le sujet lui-même que pour son entourage et les soignants.
L’antalgie peut recourir dans ces cas aussi bien à des médicaments qu’à des techniques
d’analgésie locorégionales ou non médicamenteuses.
Parfois, l’ensemble des techniques et approches antalgiques mobilisables ne permettent pas de
soulager le patient. Le recours à une sédation-analgésie peut dès lors être proposé.
La sédation-analgésie pour soins douloureux ou complexes.
La sédation est une pratique utilisée dans diverses spécialités médicales. En médecine
palliative, en phase terminale pour détresse, « la sédation est la recherche, par des moyens
médicamenteux, d’une diminution de la vigilance pouvant aller jusqu’à la perte de
conscience. Son but est de diminuer ou de faire disparaître la perception d’une situation
vécue comme insupportable par le patient, alors que tous les moyens disponibles et adaptés à
cette situation ont pu lui être proposés et/ou mis en œuvre sans permettre d’obtenir le
soulagement escompté.» « La sédation est une diminution de la vigilance pouvant aller
jusqu’à la perte de conscience qui peut être appliquée de façon intermittente, transitoire ou
continue. » [1]. On a retenu la même définition chez l’enfant [2].
En réanimation et en anesthésie on parle notamment de sédation-analgésie de confort dont les
objectifs sont de soulager, par des moyens médicamenteux, en priorité la douleur et
d’améliorer la tolérance à l’environnement source « d’agressions physiques et/ou
psychologiques » [3].
Ces définitions insistent sur l’objectif de soulager le patient d’une perception soit d’une
douleur soit d’une situation vécue comme insupportable. Lors d’un soin ou une exploration
douloureuse ou complexe, quand le ressenti de la douleur, ou de la situation, souvent itérative,
dès lors que les techniques analgésiques bien menées n’ont pas permis de préserver le patient
de cette perception, l’objectif du prendre soin s’inscrit parfaitement dans la logique
d’indication d’une sédation-analgésie. L’analgésie permettant de contrôler du mieux que
possible la douleur physique et la sédation permet de diminuer ou mieux supprimer les
perceptions vécues comme insupportables par le patient.
On peut donc légitimement s’inscrire dans les recommandations de bonnes pratiques publiées
sur la sédation tant en médecine palliative qu’en anesthésie-réanimation.
Cependant si l’on applique à la lettre ces recommandations, on se trouve alors dans
l’obligation de respecter des conditions de qualification et d’environnement technique qui ne
sont pas toujours accessibles là où le geste douloureux doit ou peut être pratiqué.
Se pose alors la question, du jusqu’où aller ? Si l’on dépasse certaines limites, que l’on se
soustrait à certaines contraintes, comment ne pas aller trop loin et ne pas exposer le patient à
des risques déraisonnables et inacceptables dans une pratique médicale et soignante
moderne ?
Sur quels arguments rationnels peut-on se baser pour s’autoriser à déplacer les limites puisque
la littérature est totalement silencieuse sur le sujet ?
Avant toute chose, il nous semble impératif de bien préciser que l’on ne considère pas cette
« prise de risque exceptionnelle » raisonnable et acceptable comme un « blanc seing » qui
ouvrirait la porte à des pratiques anarchiques et libérées de toute contrainte de sécurité.
La pratique d’une sédation présente des risques de complications pouvant être sévères qu’il
faut connaître et savoir éviter et anticiper. Ses risques parfaitement identifiés sont
essentiellement ventilatoires et cardiovasculaires. Une pratique rigoureuse associée à une
parfaite connaissance de la pharmacologie des médicaments utilisables peuvent anticiper et
diminuer la prise de risque supplémentaire que la complexité spécifique de la situation peut
justifier.
Quelles limites de contrainte ?
La réalisation de certains soins ou pansements douloureux sous sédation ne peut pas toujours
s’effectuer dans un environnement spécifiquement dédié où les règles de sécurité
anesthésiques sont assurées. Pourtant il y a impérieuse nécessité de réaliser le geste
douloureux et de soulager le patient.
Les appareils de monitorage ne sont pas toujours accessibles. Pour la réanimation cardiorespiratoire parfois seul un « chariot d’urgence » est disponible. La sécurité est facilitée par
ces appareillages et peut aussi être assurée par des moyens cliniques qu’il suffit de connaître
et maîtriser.
Les médicaments nécessaires comme la technique de sédation ne sont pas toujours bien
connus par les professionnels prenant en charge le patient. Un spécialiste rompu à la pratique
de la sédation n’est pas toujours disponible. L’association d’un produit fortement sédatif et
d’un antalgique opioïde puissant, souvent de mise, est encore mal connue de nombreux
professionnels. Cette association est assimilée parfois à une prescription de toute fin de vie,
pouvant rendre acceptable certaines prises de risque notamment dans le cadre du double effet
et du meilleur intérêt du patient [4, 5]. Or nous ne sommes ni en phase terminale, ni dans le
cadre d’une procédure d’anesthésie ou de réanimation. Le patient doit bénéficier du maximum
de qualité et de sécurité pour la réalisation de ce soin. Il doit tout aussi impérativement être
soulagé et bénéficier du pansement ou du geste pour s’améliorer ou guérir.
Il y a nécessité de réaliser le geste douloureux dans un cadre inhabituel, le plus souvent le lieu
au sein duquel il est hospitalisé. Les professionnels devant assurer ce geste sont le plus
souvent les plus qualifiés pour cela mais n’ont pas nécessairement les compétences adaptées
pour la réalisation de la sédation-analgésie. Le sujet connaît la détresse d’une douleur vécue
comme insupportable par lui, incontrôlable et peu atténuable lors de la réalisation de ce geste.
La sédation-analgésie est une nécessité à la fois médicale et humaine. Le dilemme est là !
Comment concilier cet impératif à la déclinaison d’une prise en charge « raisonnable » et la
plus proche possible des canons de sécurité et de bonnes pratiques ? Il faut donc aménager les
recommandations sans pour autant renoncer à l’idée d’une bonne pratique dans l’intérêt du
patient.
Lors de la mise en application de la décision de sédation-analgésie, la supervision d’un
médecin senior de l’équipe référente reste fortement recommandée. Cette disponibilité permet
de pouvoir assurer la titration parfaite au moment de l’induction, l’évaluation de la qualité de
la sédation-analgésie obtenue en conformité avec l’objectif défini dans le projet de soin
partagé [2]. Mais cela n’est pas toujours possible.
Jusqu’où aller pour réduire ces contraintes ?
Pour répondre logiquement et en toute sécurité à ces impossibles, on peut proposer quelques
éléments qui permettent de s’écarter, raisonnablement, des règles habituelles.
Le geste doit être anticipé de façon à mettre en place une organisation qui limite au maximum
le « sur-risque ». La procédure doit être vécue comme habituelle avec des règles aménagées.
Le patient doit avoir au moins une période de jeûne de 6 heures. On organisera le soin de
façon à le réaliser dans une période de la journée si possible qui n’ajoute pas à son inconfort.
Chaque professionnel impliqué dans la réalisation de la sédation-analgésie doit bénéficier
d’une formation spécifique (pharmacologie des médicaments utilisés, les effets délétères
possibles et la façon de les éviter et de les corriger sans risque, par exemple la manipulation
de l’antidote du midazolam, le Flumazenil (Anexate), capacité à assurer la liberté des voies
aériennes et une éventuelle assistance ventilatoire au ballon, échelle d’évaluation de la
sédation (Rudkin) et de la douleur… L’acquisition d’une expérience partagée est un objectif
qui doit rester permanent.
Toute prescription de l’induction, de la surveillance et de la levée d’une sédation-analgésie
doit être personnalisée, nominative, réévaluée systématiquement et notée dans le dossier.
Chacun doit aussi connaître parfaitement les lieux, tous les produits et matériels nécessaires
doivent être présents et vérifiés comme pour le chariot d’urgence.
Les modalités d’appel et d’intervention d’une équipe de recours doivent être prévues et
disponibles de façon évidente dans la pièce.
L’évaluation de la sédation analgésie se fait toutes les 15 minutes pendant la durée du geste
douloureux. La surveillance est essentiellement clinique. On appréciera pour adapter les
posologies :
- le degré de soulagement du patient, par une hétéroévaluation
- la profondeur de la sédation (échelle d’évaluation de Rudkin = 4 au
maximum) [6]
- les signes de surdosage et les effets secondaires.
La phase d’arrêt de la sédation-analgésie doit être accompagnée d’une analgésie la plus
complète possible dans un milieu rassurant et calme notamment débarrassé de tous les
matériels évoquant le geste lui-même si possible, s’il s’agit de sa chambre d’hospitalisation.
La surveillance reste adaptée jusqu’à la récupération par le patient d’une vigilance et d’un
confort satisfaisant.
Sédaté, le patient est dans un état de grande dépendance vis-à-vis d’autrui et dans un état de
grande vulnérabilité. Il doit recevoir une information loyale et rassurante sur la procédure
elle-même comme sur ses risques surajoutés ainsi que sur la façon dont on les anticipe et on
envisage de les atténuer, au mieux des circonstances exceptionnelles.
Pour conclure :
La réalisation d’une sédation-analgésie pour la réalisation d’un geste douloureux est une
procédure d’exception qui oblige à franchir les limites des recommandations habituelles de
bonnes pratiques. Franchir les limites ne signifie pas faire n’importe quoi ni s’affranchir de
toute limite, ni transgresser en toute liberté. Cela signifie simplement s’inscrire dans une
démarche raisonnable et responsable, dans le meilleur intérêt du patient. Des règles simples,
facilement adaptables à la réalité des possibilités des services confrontés à ce type de
situations peuvent permettre de s’affranchir dans un cadre bien défini et réaliste de contraintes
qui empêcheraient de proposer au patient une prise en charge adaptée et sécure.
Cela nécessite une anticipation et organisation qui, pour être stricte, n’en reste pas moins
simplifiée et garantit à tous des conditions de sécurité acceptables.
Références
1) Blanchet V, Viallard ML, Aubry R. Sédation en médecine palliative :
recommandations chez l’adulte et spécificités au domicile et en gériatrie. Med Pal.
2010; 9: 59-70
2) Viallard ML et al. Indication d’une sédation en phase terminale ou en fin de vie chez
l’enfant : propositions à partir d’une synthèse de la littérature. Med Pal. 2010;9:80-86.
3) Sauder P et al. Conférence de consensus commune (SFAR-SRLF) en réanimation
Sédation-analgésie en réanimation. Annales françaises d’anesthésie et de réanimation
2008;27 ;7-8: 541-55.
4) Fondras JC, Rameix S. Questions éthiques associées à la pratique de la sédation en
phase terminale. Med Pal. 2010;9;3:120-125
5) Carnevale F. Ethical Challenges in Pediatric Palliative Care Medicine. Med Pal 2012.
Sous presse.
6) Rudkin GE, Osborne GA, Finn BP et al. Intra-operative patient-controlled sedation.
Comparison of patient-controlled propofol with patient-controlled midazolam.
Anaesthesia 1992; 47: 376-81.