Quinze jours pour sauver Saft

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Quinze jours pour sauver Saft
Laboratoire de Recherche
de l’École de Guerre Économique (LAREGE)
« Maîtriser l’information en environnement hostile »
Quinze jours pour sauver Saft
La tentative d’acquisition d’une filiale d’Alcatel par un fonds étranger constitue un test
pour le gouvernement
C’est officiel : sauf avis contraire du gouvernement français, Saft, filiale d’Alcatel spécialisée dans la
fabrication de batteries pour la défense et l’aérospatial, passera sous le contrôle du fonds
d’investissement britannique Doughty Hanson avant la fin du mois.
Dévoilé par communiqué le 20 octobre dernier, le projet de cession a reçu, lundi, le feu vert de la
Commission européenne. Mais il pourrait encore être discuté à Paris. Car les dernières étapes de la
transaction, estimée à 390 millions d’euros, interviennent au moment où la France tente de muscler
son dispositif de contrôle des investissements étrangers sur le territoire.
Selon le quotidien La Tribune, un décret d’application à la loi sur la sécurité financière promulguée le
1er août 2003 serait en préparation à la direction du Trésor (La Tribune du 14 novembre). Il devrait
doter le gouvernement d’un "droit de veto" sur les opérations financières permettant l’entrée au capital
d'une entreprise française propriétaire de technologies "sensibles", mêmes non militaires.
Objectif : éviter que ne se reproduise le scénario ayant permis au fonds américain Texas Pacific
Group de prendre le contrôle de la société française de haute technologie Gemplus, alors numéro un
mondial de la carte à puce.
Inscrite dans le cadre juridique actuel, la cession de Saft a donc valeur de test : l’ancienne filiale
d’Alcatel qui emploie 4000 salariés répartis sur 14 sites - dont une majorité en France - développe
depuis 1918 des technologies sensibles pour les industries de souveraineté. Et notamment à Poitiers
où sont regroupées les activités de la « Division Lithium » et de la « Division Défense et Espace ».
Situées au cœur des terres de Jean-Pierre Raffarin, ces deux filiales du département « Specialty
Battery Group » se sont spécialisées dans les applications de pointe pour l'armement et l’aérospatial :
piles amorçables pour la propulsion de missiles tactiques et torpilles lourdes ; piles pour systèmes de
visée électronique ou encore générateurs électrochimiques destinés aux sous-marins, aux satellites et
aux lanceurs spatiaux tels Ariane 5 ou l’Américain Titan.
Surtout, c’est à Poitiers que sont développées les fameuses batteries Li-ion (lithium-ion) entrant dans
la composition d’appareillages de premier plan tels que la vision de nuit, la télémétrie laser, les
radiocommunications militaires, le GPS, les détecteurs de mines ou les systèmes de missiles.
Leader incontesté sur ce segment de marché, l’ex-filiale d’Alcatel est devenue le premier fournisseur
mondial de batteries Li-ion. A commencer par les Etats-Unis où ses ingénieurs engrangent les
contrats : Nasa, ministère américain de la défense ou firmes d’armement telles United Defense font
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confiance à Saft. Au grand dam de son concurrent, l’américain Power Group - Eagle Picher, dont les
batteries équipent les missiles de croisière Tomahawk et le système antimissiles Patriot.
A Poitiers, la crainte de voir partir ce savoir-faire stratégique est d’autant plus grande que le fonds
d’investissement Doughty Hanson n’apparaît pas en mesure de créer de synergies industrielles
européennes…et que Saft, si elle venait à être contrôlée par une société étrangère, pourrait perdre
son habilitation pour les marchés français de défense.
Tout aussi inquiétant : Project Speed Bidco, le holding destiné à prendre le contrôle de Saft, n’est pas
domicilié au siège social de Doughty Hanson à Londres - ni même dans les bureaux luxembourgeois
du fonds - mais dans les locaux d’une société fiduciaire spécialisée dans la domiciliation et
l’administration de sociétés pour le compte de tiers.
Clin d’œil de l’histoire : les statuts de Project Speed Bidco ont été rédigés par maître Toinon Hoss du
cabinet Elvinger & Hoss & Prussen. Très en vue au Luxembourg, cette étude de notaires et d’avocats
fiscalistes est bien connue pour avoir rédigé les statuts et les actes notariés de Gemplus International
SA, le holding financier par lequel le fonds Texas Pacific Group s’est emparé des actifs de Gemplus.
Tout un symbole.
Pascal Dallecoste
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