“To the Lighthouse: un succès européen”.

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“To the Lighthouse: un succès européen”.
“To the Lighthouse: un succès européen”.
Introduction
Pour comprendre le succès à niveau européen des oeuvres d’un auteur comme
Virginia Woolf, qui a crée beaucoup d’innovations stylistiques, qui a changé la
conception traditionnelle du roman et qui a eu des contacts avec les cercles
intellectuels de son époque, il faudrait sûrement analyser ce qu’on a écrit à propos de
ses travaux en Europe, sa présence intertextuelle chez des auteurs européens, les
circonstances spéciales liées au groupe de Bloomsbury et leurs relations avec les
intellectuels, les politiciens et les censeurs européens. Mais l’élément le plus
significatif pour comprendre ce succès et ces innovations techniques est sans doute la
traduction: observer combien de traductions de To the Lighthouse ont étées faites et à
quelle époque, dans quels pays, par qui et comment peut nous aider à comprendre le
véritable poids de cet auteur à niveau européen.
A tout cela il faut ajouter que la traduction d’un auteur si particulier comme Virginia
Woolf se lie aux problèmes les plus modernes de la traduction qui concernent la
visibilité du traducteur et les choix structurels qui peuvent changer la réception de
l’oeuvre, comme l’aspect du point de vue. Analyser le passage de ces mécanismes du
texte original au texte traduit devient un moyen pour percevoir la verité d’un texte et
du style de son auteur.
Petite histoire des traductions européennes
Avant de commencer l’analyse à niveau général du vaste panorama européen des
traductions woolfiennes on peut dire que Virginia Woolf même était méfiante à
l’égard des traductions de ses textes et dans le cas de la France et de l’Espagne elle
avait personnellement connu ses traducteurs.
En effet c’est la rencontre de l’écrivain anglais avec l’argentine Victoria Ocampo à
Londres en 1934 qui donne vie au projet des premières traductions des oeuvres de
Virginia en espagnol sur le magazine argentin “Sur” (traductions qui seront faites par
un jeune Jorge Luis Borges) et on peut ainsi observer que dans le cas de l’Espagne la
connaissance de Virginia Woolf et de ses traductions arrive directement d’un pays
extra-européen. Le philosophe espagnol José Ortega y Gasset avait encouragé
Victoria Ocampo: elle avait étudié à la Sorbonne en France et grâce à cette
expérience elle avait connu la culture européenne de manière complète, et son désir
était de pouvoir l’introduire dans un climat social et culturel qui n’était pas ouvert à
accepter cette offre. Victoria s’identifiait avec la figure de Virginia Woolf: elle
combattait pour les droits des femmes dans la société conservatrice argentine et le fait
de publier les travaux les plus importants de figures littéraires indispensables
permettait aussi aux intellectuels espagnols de pouvoir lire ces oeuvres en cachette
pendant la longue dictature de Franco et l’impact et les influences du magazine “Sur”
sur la culture espagnole sont enormes. Grâce à tout cela Victoria était devenue la
muse intellectuelle du monde de langue espagnole des années 30-401.
Une curiosité sur To the Lighthouseet le monde espagnol: c’est le seul livre de
Virginia Woolf qui a été traduit en galitien et en basque.
En Allemagne on s’interesse assez tôt à l’écrivain, on retrouve ses oeuvres traduites à
partir des annés 30 et son succès concerne surtout la critique féministe, mais pendant
la période naziste on retrouve l’interdition de la prose expérimentelle de Virginia et
on recommence à s’en occuper dans les années 50, grâce aussi à Mimesis de Erich
Auerbach en 1953, qui considérera To the Lighthouse comme une des oeuvres de la
modernité, en renouvelant dans tout le monde l’attention sur cet écrivain.
Mais il faut faire une distinction avec l’Allemagne de l’est, parce que beaucoup de
fois cette autrice était considérée par ceux qui ne connaissaient pas bien ses travaux,
comme une artiste esthétique qui n’avait pas un message solide et dans un pays
socialiste tout cela avait apporté des fortes polemiques et c’est seulement en 1977 que
nous retrouvons une traduction de Virginia dans ce pays et il s’agit de Mrs Dalloway.
Après cette phase Virginia Woolf sera décrite en Allemagne de l’est comme une
critique socialiste féministe, mais seulement très peu de gens pourront avoir accès
aux éditions limitées de ses oeuvres.
La Pologne suit plus ou moins les étapes de l’Allemagne de l’est: la seule différence
concerne le fait que là-bas la repression était plus forte et plus longue et nous
retrouvons les premières traductions des oeuvres de Virginia Woolf à partir de la fin
des années 70 et même si aujourd’hui il s’agit d’une figure très connue, son
interpretation reste encore équivoque.
Virginia Woolf avait visité la Grèce en 1932 et elle avait décrit ce pays comme “the
country of the moon” ou “England in the time of Chaucer”: c’est à dire elle avait
retrouvé le passé dans ce que pour la Grèce était le présent. L’autrice sera découverte
par un groupe important d’intellectuels appelés “School of Thessaloniki” et c’est à la
fin des années 70 que commencera un grand intérêt pour sa figure de femme écrivain,
dû à des raisons sociales et littéraires et les anées 80 et 90 voient une proliferation des
traduction de ses oeuvres dans le monde héllenique2.
En Italie, différemment des autres pays européens on retrouve tout de suite la
présence de Virginia Woolf et ses travaux sont appreciés comme exemple de bello
scrivere, à la mode en Italie pendant les années 30 et 40.
Dans les années qui suivent, avec l’emphase sur le neo-realisme de la période,
l’écrivain est ostracisé parce qu’on la considérait comme élitaire, snob et non
engagée. C’est seulement à la fin des années 70 que ses oeuvres commencent à être
traduites et publiées, grâce à un intérêt pour sa biographie, sa personnalité, ses
techniques littéraires et sa contribution au féminisme3.
1
Cfr L. LOJO, A Gaping Mouth, but No Words: Virginia Woolf Enters the Land of Butterflies
Cfr K. K. KITSI-MITAKOU, The country of the Moon and the Woman of ‘Interior Monologue’: Virginia Woolf in
Greece
3
Cfr S. PEROSA, The reception of Virginia Woolf in Italy
2
Le cas de la France
En France nous pouvons observer que au début des annés 20 Joyce est considéré
comme le représentant le plus significatif du mouvement moderniste, mais grâce aux
premières traductions des oeuvres de Virginia Woolf qui commencent très tôt et
voient des traducteurs comme Marguerite Yourcenar pour The Waves, Charles
Mauron pour Orlando et Maurice Lanoire pour To the Lightouse en 1929, on fera une
réevaluation de cet écrivain et elle commencera à influencer de plus en plus le milieu
culturel français.
Le lien entre Virginia Woolf et des auteurs français comme Simone de Beauvoir,
Nathalie Sarraute et Maurice Blanchot est clair: dans Le deuxième sexe (1949) et dans
les oeuvres qui suivent Simone De Beauvoir s’inspire des implications sociales,
sexuelles et politiques de Virginia Woolf, même si son matérialisme lui faisait
préférer les essais féministes de Virginia à ses romans.
Au contraire Nathalie Sarraute est fascinée par l’écrivain anglais et comme elle
recherche des rôles nouveaux pour le lecteur et l’autonomie complète de la voix du
narrateur, spécialement dans les textes écrits pour le théâtre comme Le silence (1967)
et influencés par les auteurs russes, passion littéraire qu’elle partageait toujours avec
Virginia Woolf.
Enfin Maurice Blanchot se préoccupe comme elle des problèmes liés au futur du
roman, parce qu’il appréciait dans les textes de Virginia les mélange de paradoxes
extrèmes et de contradictions et probablement c’est lui qui avait compris mieux par
rapport aux autres la grandeur des nouveautés stylistiques et poétiques de cet
écrivain4.
En 1993 éclate une polémique dans les milieux littéraires français à propos de la
qualité de la traduction de Cecile Wajsbrot du roman The Waves, publiée après celle
de 1937 par Marguerite Yourcenar. Cette dispute concerne deux positions opposées
de conception la pratique et la théorie de la traduction. La position de Marguerite
Yourcenar peut se résumer dans le fait qu’elle considère la traduction comme la
présentation d’un original qui appartient au système littéraire anglais, au public
français. Au contraire Wajsbrot considère Virginia Woolf comme une artiste avec un
style et une langue si particuliers et comme un exemple du génie littéraire anglais
qu’elle pense devoir se cacher pour faire briller encore plus l’original.
Ces deux options peuvent s’identifier avec une vision formaliste et avec une vision
romantique du traducteur.
Il faut donc comprendre quelles sont les techniques qui rendent la langue de Virginia
Woolf si complexe, si articulée, si novatrice et donc si difficile à traduire.
Le point de vue dans la traduction
Traditionnellement on a vu la traduction comme une activité dérivée et non pas
originelle ou créative. Cela suit que la traduction doit être aussi bien que l’original et
que les traducteurs sont considérés comme des bons traducteurs s’ils sont transaprents
et ne montrent pas un style personnel (on retourne à la question qui se posait à propos
4
Cfr P. E. VILLENEUVE, Virginia Woolf among Writers and Critics: The French Intellectual Scene
de deux versions françaises de The Waves). Les traducteurs doivent respecter mieux
qu’ils peuvent l’original, mais cette vision semble irréaliste, parce qu’il semble
impossible que les traducteurs ne laissent pas leur signe dans l’oeuvre.
Il y a l’idée que la structure narrative d’un texte littéraire n’est pas changée par le
processus de traduction. Lodge (1990) affirme que le moyen du roman est ses mots
écrits mais que ‘all critical questions about a novel are not reducible to questions
about language’:
For narrative is itself a kind of language that functions independently of specific verbal
formulations. Some of the meaning attributed to a narrative will remain constant when it is
translated from one natural language, to another, and some of the crucial decisions by which a
narrative is produced, such as the writer’s choice of narrative point of view, or the treatment
of time, are in a sense made prior to, or at a deeper level than, the articulation of the text in a
sequence of sentences5.
Si on suit Lodge, le choix du narratuer du point de vue narratif fait partie de la
structure profonde du texte et c’est pour cela que le point de vue narratif restera
constant quand le texte sera traduit dans une autre langue. La Valle n’est pas d’accord
avec cette vision parce qu’il soutient que toutes les significations dernières du texte
sont exprimées à travers le langage et pour cette raison elles peuvent être modifiées à
travers la traduction6. Levenston and Sonnenschein ajoutent qu’une manque pour
compenser ou préserver les éléments linguistiques dans la traduction peut toucher la
lecture du texte à un niveau tel que les pensées du personnage fictif peuvent être
interprétées ou comprises comme des idées présentées par le point de vue du
narrateur7.
Dans les dernières années on a beaucoup parlé du discours qui concerne la visibilité
du traducteur, qui se lie aussi au discours sur les stratégies de traduction feministe
(dans le cas de Virginia Woolf il s’agit d’un point très intéressant qui fera l’objet de
certaines reflexions conclusives de ce travail).
Hermans développe la notion de la voix du traducteur comme une voix spécifique ou
une ‘seconde’ voix qui est plus ou moins présente dans les textes traduits8 et Schiavi
offre un diagramme qui incorpore cette présence9. Ces deux textes étudient la
présence du traducteur dans le texte et les implications liées à cette voix.
D’autres études affirment que la traduction est un discours rapporté. Mossop
considère le texte original comme ‘a reported discourse’ et le texte traduit comme ‘a
reporting discourse’. Le traducteur est un ‘rapporteur in whose reporting voice we
hear the embedded reported voice’ de l’original10. Folkart explique que soit la
5
D. LODGE, After Bakhtin: Essays on Fiction and Criticism, London, Routledge, 1990, p. 4-5.
Cfr E. VALLE, Narratological and Pragmatic Aspects of the Translation into Finnish of Doris Lessing’s Four-Gated
City dans Translation and Knowledge, 1993, P.247-8.
7
Cfr E. A. LEVENSTON, G. SONNENSCHEIN, The translation of point of view in fictional narrative, dans
Interlingual and Intercultural Communication: Discourse and Cognition in Translation and Second Language
Acquisition Studies, Tübingen, 1983.
8
Cfr HERMANS T., 1996. The Translator’s Voice in Translated Narrative. Target Vol. 8. No. 1., p.23–48
9
Cfr G. SCHIAVI, There is Always a Teller in a Tale. Target Vol. 8. No. 1., 1996, p.1-21.
10
Cfr B. MOSSOP, The Translator as Rapporteur: A Concept for Training and Self-Improvement, Meta Vol. 28. No. 3.,
1983, p.244–278.
6
traduction, soit le discours rapporté sont des reprises d’énoncés produits
antérieurement, des modalités de réception et de réenonciation. Elle met l’accent sur
le fait que les traductions ou ré-énonciations ne sont jamais neutres, même s’il s’agit
de leur but initial. Par conséquent la trace du traducteur sera toujours présente dans le
texte traduit11.
Ces types d’études différents soulignent la subjectivité qui caractérise l’activité de la
traduction. C’est pour cela qu’il est intéressant de réflechir aux problèmes potentiels
liés à la traduction des éléments linguistiques qui constituent la notion du point de
vue, comme par example la deixis, le discours indirect libre, la modalité et les
constructions ergatives et transitives pour comprendre comment les choix du
traducteur changent le passage des structures de la narration.
Par example l’analyse de la traduction du discours indirect libre, élément qui se relie
à la notion de point de vue, peut nous aider à réfléchir sur la difficulté de traduire et
de pouvoir donner la vision la plus claire et fidèle du style si particulier de Virginia
Woolf.
La traduction du discours indirect libre en français
Le discours indirect libre donne l’impression d’être indirect dans le sens que la voix
du personnage est filtrée à travers le point de vue du narrateur.
C’est pour cette raison qu’il est difficile de l’identifier dans la narration, mais le fait
qu’il est élusif fait partie de l’effet stylistique. Il peut être reconnu grâce à la présence
d’indicateurs stylistiques que Bally appelle ‘indices’12. Par exemple le temps verbal
est un indicateur syntactique, c’est à dire que les combinaisons entre les verbs au
passé et les adverbs du présent comme dans le cas de ‘she was miserable’ (dans
l’extrait qu’on analysera dans la partie suivante du travail) ne sont pas des éléments
grammaticaux, mais dans le discours narratif ils sont conventionnellement lus comme
des signaux définitifs du questionnement indirect entre la voix du narrateur et
l’expérience du personnage. Les temps verbaux qui appartiennent au discours indirect
ou les verbs qui concernent l’interiorité et la persuasion sont utilisés aussi pour
distinguer le discours indirect libre comme might, doubt, could, would, should ou
must. Les adverbs comme surely, certainly, perhaps, besides ou doubtless sont
typiques aussi parce qu’ils montrent un débat intérieur et l’incertitude.
D’autres indicateurs sont les les personnes et les pronoms et aussi l’utilisation du
pronom de la troisième personne opposé à la première personne ‘Je’ du discours
direct. Si nous parlons du niveau lexical, il s’agit d’un mélange de types de mots
différents qui réunissent deux registres différents dans le même passage.
Et puis il faut considérer qu’il y a des mots qui peuvent être neutres mais aussi
caractéristiques du narrateur, tandis que d’autres se refèrent spécifiquement au
personnage (le language personnel ou une langue avec une emphase particulière sur
11
Pour tout ce discours cfr B. FOLKART, Le conflit des énonciations. Traduction et discours rapporté, Montréal, Les
Editions Balzac, 1991.
12
Cfr. B. FOLKART, Le conflit des énonciations. Traduction et discours rapporté, Montréal, Les Editions Balzac,
1991.
certains éléments); il y a les formes subjectives, des particules que dans certains
contextes apportent une référence à la subjectivité du personnage et indiquent qu’il
est en train de penser à quelquechose (so, thus, doubtless, besides…) et les déictiques
ou les mots d’orientation (principalement des adverbes du temps présent et de place
comme here, now, today) qui sont importants parce qu’ils peuvent être utilisés en
relation à l’expérience immédiate du personnage.
Le discours indirect libre est un type de discours mixte et on peut donc comprendre la
difficulté majeure qu’il peut apporter dans la traduction. Il y a des études qui
expliquent que l’ ‘hétérogénéité énonciative’ d’un texte arrive à diminuer dans la
traduction. Actuellement Gallagher explique que les différences structurelles entre les
langues sont une des raisons de l’ ‘homogénéisation énonciative’ dans la traduction13.
Levenston et Sonnenschein14 analysent les traductions françaises et hébraïques de
textes anglais en prose en considérant la focalisation et il conclut que quelquefois une
manque pour maintenir ou pour compenser les éléments linguistiques liés à la
focalisation peut changer la lecture du texte traduit d’une telle manière que les
pensées des personnages fictifs peuvent être interpretées comme celles du narrateur.
Gallagher soutient encore que le discours indirect libre permet de maintenir le ton du
discours direct à l’intérieur du discours indirect soit en anglais que en français. Il est
utilisé pour cacher les limites entre les commentaires du narrateur et des personnages
en considérant que toutes les deux voix émergent. Son utlisation en France
commence avec l’ancien français, mais nous avons son éclatement pendant la moitié
du XIX siècle. Par example Flaubert (son rôle novateur est partout reconnu) l’a
beaucoup utilisé et l’a fait devenir partie intégrale de son mécanisme stylistique.
Dans le discours indirect libre en français, les pronoms personnels changent (par
example ‘je’ est replacé par un pronom de troisième personne et le temps des verbs
conjugués est changé (par example le présent est remplacé par l’imparfait).
En Angleterre le discours indirect libre est apparu au XVIII siècle et il a atteint une
certaine importance avec les romans de Jane Austen. Gallagher considère que les
modifications du discours direct au discours indirect libre sont les mêmes que en
français (par example en ce qui concerne les temps et les pronoms personnels).
En tout cas il y a des situations dans lesquelles le discours indirect libre ne peut pas
être traduit dans la même manière qu’en français. Poncharal souligne que les
problèmes majeurs entre français et anglais concernent leur systèmes temporels. Le
français oppose le passé simple (c’est à dire la passé utilisé dans la narration) et
l’imparfait (le temps par excellence du discours indirect libre), tandis que l’anglais
utlise le même passé pour le discours du narrateur et pour le discours indirect libre.
Il souligne aussi que le traitement de la deixis à l’intérieur des passages en discours
indirect libre est plus flexible en anglais qu’en français, parce que le français semble
privilégier le point de vue du rapporteur à la place du point de vue de celui qui parle
au début, tandis que l’anglais ne sépare pas strictement les deux domaines.
13
Cfr J. D. Gallagher, Le Discours Indirect Libre vu par le Traducteur dans Oralité et Traduction, Collection
‘Traductologie’, Artois Presses Universités, 2001.
14
Oeuvre déjà citée, 1986.
Poncharal conclut en disant que beaucoup de fois les traducteurs français traduisent le
discours indirect libre comme un simple discours indirect ou direct15.
Woolf aussi est considérée comme le ‘master-weaver of multi-figural novels’ et ses
textes ont été l’objet de beaucoup d’études consacrés au discours indirect libre16.
Pour comprendre la difficulté de transmettre un style si novateur dans un autre pays à
travers la traduction, il me semble que la comparaison d’un extrait emblematique tiré
du roman To the Lighthouse avec ses trois versions françaises peut être un moyen
emblematique pour comprendre comment le traducteurs ont traité le discours indirect
libre et surtout pour comprendre si leur choix de traductionont changé la structure de
la narration (par example s’il y a une homogénéisation énonciative).
En utilisant le logiciel Concord j’ai étudié les indicateurs syntactiques du discours
indirect libre: l’utilisation des temps varbaux du passé en combinaison avec des
adverbs du temps présent et de place qui se relient à l’expérience immédiate du
personnage (here, now, last night et yesterday); des adverbs qui se relient à la
subjectivité (surely, certainly, perhaps) et exclamations et intterrogations (yes, oh, of
course, but why et but how).
Un cas pratique
Les trois versions françaises sont respectivement Promenade au Phare de Maurice
Lanoire (1929), Voyage au Phare de Magali Merle (1993) et Vers le Phare de
Françoise Pellan (1996).
Dans le cas de ce type de prose les choix des traducteurs semblent être encore plus
signifcatives et peuvent changer de manière considérable les structures de la narration
et donc la comprehension la plus profonde de la forme de l’oeuvre (comme on disait
avant).
Avec (Multi)Concord j’ai retrouvé 162 indicateurs du discours indirect libre (c’est à
dire les temps verbaux, les adverbes de temps, les exclamations, les interrogations et
les adverbes de certitude) dans les versions analysées: d’un côté j’ai observé que
Pellan et Merle reproduisent toujours les passages en discours indirect libre et qu’il y
a seulement six passages dans la traduction de Pellan et treize dans celle de Merle où
le discours indirect libre a moins d’emphase parce que les voix des personnages
étaient moins idiomatiques. De l’autre côté Lanoire a transposé cinq phrases avec un
discours indirect libre dans un discours indirect, cinq dans un discours direct et dans
les autres occasions il n’a pas mis en valeur la particularité de la voix des
personnages. Tout cela a montré que l’hybridité du discours indirect libre n’a pas étée
gardée dans la plupart de la traduction de Pellan.
L’analyse du nombre de ces catégories qui indiquent les passages avec le discours
indirect libre montrent ces résultats; le paragraphe qui suit en fournit quelques
exemples: dans ce cas les indicateurs considérés sont ‘was now’ et ‘of course’:
15
Pour tout ce discours cfr B. Poncharal, La Représentation de paroles au discours indirect libre en anglais et en
français, 1998.
16
Cohn D., Transparent Minds. Narrative Modes for Presenting Consciousness, Princeton University Press, 1978.
WOOLF p.92 And if Rose liked, she said, while Jasper took the message, she might choose
which jewels she was to wear. When there are fifteen people sitting down to dinner, one
cannot keep things waiting for ever. She was now beginning to feel annoyed with them for
being so late; it was inconsiderate of them, and it annoyed her, on top of her anxiety about
them, that they should choose this very night to be out late, when, in fact, she wished the
dinner to be particularly nice, since William Bankes had at last consented to dine with them;
and they were having Mildred’s masterpiece – Bœuf en Daube. Everything depended upon
things being served up to the precise moment they were ready. The beef, the bayleaf, and the
wine – all must be done to a turn. To keep it waiting was out of the question. Yet of course
tonight, of all nights, out they went, and they came in late, and things had to be sent out,
things had
to be kept hot; the Bœuf en Daube would be entirely spoilt.
LANOIRE Et si Rose le voulait, dit-elle, pendant que Jasper allait faire sa commission, elle
aurait le droit de choisir les bijoux que sa mère devrait mettre. Lorsqu’il y a quinze personnes
à dîner il est impossible d’attendre indéfiniment. Elle commençait à leur en vouloir d’être si
en retard; il y avait là un manque d’égard de leur part et à l’anxiété qu’ils lui faisaient
éprouver venait s’ajouter la contrariété qu’ils eussent choisi pour se mettre en retard justement
ce soir-ci où elle désirait tout particulièrement que le dîner fût réussi puisque William Bankes
avait enfin consenti à venir; et puis on devait manger le chef-d’œuvre de Mildred – le bœuf en
daube. Le succès du dîner dépendait de l’exactitude avec
laquelle on servirait dès que ce serait prêt. Le bœuf, le laurier et le vin – tout cela devait être
absolument à point. Les faire attendre, il n’y fallait pas songer. Et cependant c’était ce soirci qu’ils avaient choisi entre tous pour s’en aller et ne pas rentrer. Il allait falloir renvoyer des
choses à la cuisine, les tenir au chaud; le bœuf en daube serait entièrement perdu.
MERLE Et si cela faisait plaisir à Rose, dit-elle, pendant que Jasper allait porter le message,
elle pourrait présider au choix des bijoux que porterait sa mère. Quand il y a quinze personnes
à dîner, on ne peut maintenir les choses en attente indéfiniment. Elle commençait à présent à
leur en vouloir, d’être en retard; c’était là manquer d’égards; et à l’inquiétude qu’elle
éprouvait pour eux venait s’ajouter la contrariété de les voir choisir pour ne pas être à l’heure
justement ce soir-ci où elle désirait que le dîner fût particulièrement réussi, puisque William
Bankes avait enfin consenti à le prendre avec eux et on avait au menu la spécialité de Mildred
: le bœuf en daube. Tout le secret de la réussite résidait dans le fait de servir les plats à
l’instant précis où ils étaient prêts. Le bœuf, la feuille de laurier, le vin – le tout
impérativement à point. Les mettre
à mijoter était impensable. Et cependant, naturellement, ce soir, justement ce soir, on était
sorti, on tardait à rentrer; il fallait renvoyer les choses à la cuisine; il fallait les tenir au chaud;
le bœuf en daube serait complètement raté.
PELLAN Et si cela lui faisait plaisir, dit-elle, tandis que Jasper repartait avec le message,
Rose pouvait choisir les bijoux qu’elle allait porter. Quand on reçoit quinze personnes à dîner,
on ne peut pas laisser les choses indéfiniment en attente. Elle commençait maintenant à leur
en vouloir d’être tellement en retard; c’était un manque d’égards de leur part, et outre qu’elle
continuait à s’inquiéter à leur sujet elle leur en voulait d’avoir choisi ce soir, justement, pour
rentrer tard, alors qu’elle désirait que le dîner soit particulièrement réussi, puisque William
Bankes avait enfin consenti à le prendre avec eux et que le chef-d’œuvre de Mildred figurait
au menu – du bœuf en daube. Il était essentiel de servir ce plat à la minute même où il était
prêt. Le bœuf, la feuille de laurier et le vin – tout devait être cuit à point. Le laisser mijoter sur
le feu était hors de question. Mais bien sûr, ils avaient justement choisi ce soir pour partir au
diable vauvert et rentrer en retard, et il faudrait renvoyer les plats à la cuisine, il faudrait les
tenir au chaud;le bœuf en daube serait complètement fichu.
La phrase en discours indirect libre commence avec le commentaire de Mrs Ramsay
melangé avec les mots du narrateur ‘She was now beginning to feel annoyed’; il s’agit
d’une phrase longue interrompue par sept virgules, deux point virgule et un tiret. La
phrase termine avec le plat que Mildred préfère: ‘Boeuf en Danube’.
La phrase de Lanoire est beaucoup plus fluide que celle de Woolf parce qu’elle
contient seulement un point virgule et deux points. En plus, il n’utilise pas une
combinaison qui mélange passé et présent quand elle traduit ‘Elle commençait à leur
en vouloir’. Par conséquent sa phrase peut être lue comme un discours indirect.
Merle utilise deux virgules, deux point virgule et un deux points et c’est à cause de
cela que la synthaxe de sa phrase est moins incohérente que celle de la version
originale. En tout cas elle utilise la combination passé-présent et sa phrase peut être
encore lue comme un discours indirect libre.
La phrase de Pellan est la plus proche à la version originale parce qu’elle utilise
quatre virgules, un point virgule et un tiret. En plus elle maintient l’opposition
passé/présent: c’est pour cela que sa phrase est en discours indirect libre.
La dernière phrase du paragraphe est en discours indirect libre aussi et dans la version
originale est désunie parce qu’elle présente cinq virgules et un point virgule. Lanoire
divise la phrase en deux et traduit ‘of course’ avec ‘et cependant’: la première phrase
n’a pas de ponctuation à l’exception du point et la deuxième présente deux virgules.
Toutes les deux peuvent être lues comme un discours indirect.
Merle utlise cinq virgules et trois point virgule et donc la phrase est moins désunie
que dans la version originale. Elle utilise naturellement et justement ce soir avec on
était sorti, on tardait et raté qui sont plus idiomatiques que les choix de Lanoire
(example: perdu).
Les choix lexicales de Pellan révèlent aussi la voix de Mrs Ramsay derrier celle du
narrateur avec bien sûr, justement, diable vauvert et fichu: ‘raté’ et ‘fichu’ sont des
mots colloquiales qui n’aident pas à faire une distinction entre la personne qui parle
et la personne qui raconte.
A partir de ces petits extraits on peut donc observer que la traduction de Lanoire
donne moins d’accès direct aux mots des personnages focalisés que celles Merle et
Pellan. La traduction de Pellan présente la structure énonciative la plus proche à la
version originale.
Ces différences changent un peu la traduction de Lanoire par rapport aux autres deux
parce qu’elles conduisent à des passages où les voix des personnages focalisés sont
moins mélangées avec celle du narrateur ou présentent des types différents de
discours rapporté. La traduction de Lanoire montre une différence très claire entre le
monde du narrateur et celui des personnages; au contraire les traductions de Merle et
de Pellan reproduisent l’hybridité du discours indirect libre et l’hétérogénéité de la
structure originale.
Conclusion
Cette petite recherche nous aide à réflechir sur la difficulté de traduire un style si
particulier comme celui de Virginia Woolf, qui a fait aussi sa grandeur et l’a placée
parmi les grands novateurs du roman du XX siècle. C’est pour cela qu’il faut se
demander si la traduction réussit à accomplir le devoir de nous trasmettre ce qu’elle
est véritablement et son véritable syle. A tout ce discours se relient les théories sur la
traduction qui changent d’orientation à chaque période historique et qui influencent la
fidélité au texte original. En effet ce petit étude nous montre aussi qu’ à partir de ses
premières publications Virginia Woolf a été l’objet d’un travail continuel
d’évaluation, de réflexion et de recherche dans toute l’Europe et comme on voit dans
le cas de ses traductions en France, les versions les plus modernes ressemblent de
plus en plus à l’esprit et à la forme originale de ses oeuvres, en montrant comment
tout ce travail a permis de commencer à connaître et à comprendre la vraie Virginia
Woolf et le principe qu’elle nous avait transmis avec ses mots:
Literature is no one’s private ground; literature is common ground. It is not cut up into
nations; there are no wars there. Let us trespass freely and fearlessly and find our way for
ourselves17.
17
V. WOOLF, “The Leaning Tower”. The Moment and Other Essays, London, Hogarth, p.125.
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