Raisonner les teneurs en lysine des aliments poulet en vue d

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Raisonner les teneurs en lysine des aliments poulet en vue d
RAISONNER LES TENEURS EN LYSINE DES ALIMENTS POULET EN VUE
D’OPTIMISER LE RESULTAT ECONOMIQUE DE LA FILIERE
Doussat Yoann 1-2, Bouvarel Isabelle 1, Relandeau Claire 2, Magdelaine Pascale 1
Catteau Hervé 2
1
2
ITAVI, 75008 PARI
AJINOMOTO EUROLYSINE SAS, 153 rue de Courcelles 75817 PARIS cedex 17
Raisonner les teneurs en lysine des aliments poulet en vue d’améliorer le résultat économique de la filière.
Les teneurs en lysine dans les aliments destinés au poulet standard doivent être raisonnées à la fois en fonction
de paramètres techniques et de paramètres économiques, et ceci nécessite d’intégrer des interactions complexes.
C’est pourquoi un modèle a été construit : Optilys, afin d’évaluer le niveau de lysine le plus rentable selon
différents objectifs de production. Le modèle se base sur des critères techniques, l’amélioration des
performances des animaux en fonction du taux de lysine digestible alimentaire, et sur des critères économiques,
prix de l’aliment et prix de la carcasse et du filet. Il permet d’estimer des optima économiques de lysine
digestible dans des conditions données, pour la période 20 jours-abattage. Le constat effectué est que ces optima
de lysine dépendent de l’objectif de production considéré : minimisation du coût alimentaire, production de vif
ou production de filet. Ainsi, dans les exemples choisis, pour une rentabilité optimale, la minimisation du coût
alimentaire nécessite un taux de lysine inférieur à celui nécessaire pour la production d’animaux vif, lui-même
inférieur à celui nécessaire pour la production de filet. Par rapport aux pratiques actuelles, il apparaît que le plus
gros potentiel d’amélioration économique est lié à la valorisation du filet.
Optimising the lysine levels in broiler diets to improve economic efficiency
The set up of lysine levels of broiler diets need to take into consideration both technical and economical
parameters that lead to integrate complex interactions. In order to estimate the most profitable lysine level in the
feed we have built a model called OptiLys, based on technical parameters (e.g. the improvement of broiler
performance relative to lysine inclusion in the feed) and economical parameters (e.g. feed and meat price). The
model estimates the optimal economic digestible lysine level in the feed, from 20 days of age to slaughter
(approximately 40 days of age). The optimal dietary lysine level depends on the production goal : feed cost,
total live body weight or breast meat production. For maximum profitability, with the selected examples, the
economical optimisation of feed cost requires a lower lysine level than maximizing live body weight, which
itself requires a lower lysine level than breast meat production. We also observed that the greatest potential for
economical improvement is associated with breast meat production and its value. .
Sixièmes Journées de la Recherche Avicole, St Malo, 30 et 31 mars 2005
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INTRODUCTION
La lysine est un acide aminé essentiel bien souvent
limitant dans les formules alimentaires destinées aux
volailles. Il est donc fréquent de recourir à une
supplémentation en lysine libre, qu’il convient de
raisonner en prenant en compte :
- son impact sur les paramètres zootechniques
d’intérêt (poids, IC et rendement en filet);
- le surcoût alimentaire engendré par la
supplémentation.
L’objectif de ce travail était de calculer des niveaux
de lysine digestible dans l’aliment pour optimiser le
résultat économique. Pour cela, nous avons mis au
point un modèle mathématique « OptiLys » intégrant
des lois de réponses zootechniques et une base de
coûts (aliment) et de valorisations (carcasse et filet).
1. EFFETS DE LA LYSINE SUR LES
PERFORMANCES ZOOTECHNIQUES
Jusqu’à un niveau optimum, l’élévation de la
consommation de lysine améliore le gain moyen
quotidien, l’indice de consommation et les
rendements en filet (figure 1).
Figure 1 - Réponse à une dose croissante d’un acide
aminé dans un régime mono déficient
(d’après Quentin et al., 2004)
Légère
Subcarence
Subcarence
forte
Equilibre
D’un travail à l’autre, l’optimum observé peut être
variable et dépend de la performance considérée
(tableau 1). Les variations peuvent par exemple, être
attribuées à la composition des aliments
expérimentaux utilisés, ou à l’analyse mathématique
des résultats.
Tableau 1 - Ordre des besoins en lysine pour
optimiser les différents critères (du besoin le plus
faible (1) au plus élevé (3)) :
Référence
GP IC Filet
Labadan et al., 2001
1
2
3
Mack et al., 1999
1
3
2
Leclercq, 1998
2
1
3
GP : Gain de poids, IC : Indice de consommation,
Filet : Rendement filet
2. MODELISER POUR MIEUX RAISONNER
2.1. Données bibliographiques
De l’ensemble des données expérimentales publiées
concernant les effets de la lysine sur les performances
zootechniques des poulets de chair, nous n’avons
retenu que les 6 publications (9 essais), relatives à la
période 20-40 jours et disposant de données sur le
rendement en filet. Les publications retenues sont
regroupées dans le tableau 2. Les niveaux de lysine
utilisés dans le modèle sont des taux de lysine
digestible (en pourcentage de l’aliment). Il s’agit de
taux de lysine digestible iléale standardisée recalculés
à l’aide des coefficients des tables INRA (Sauvant et
al., 2002), à partir des taux de lysine totale.
Consommation (g)
Gain de poids (g)
Indice de
Consommation (g/g)
Optimum GP
Acide aminé (%)
Optimum IC
De nombreuses publications portent sur le sujet.
Relandeau et Le Bellego (2004) ont réalisé une revue
de la littérature et ont rapporté vingt études présentant
des dose-réponses présentées dans 10 publications.
Les données de prix utilisées pour la conception du
modèle sont issues des enregistrements du service
économique de l’ITAVI. Un coût matières premières
a été calculé par programmation linéaire à partir de
relevés de cotations ou de prix de fabricants du coût
de différentes matières premières (Quentin et Gallot,
2002). Les prix de valorisation du poulet PAC et du
filet utilisés dans les simulations sont issus de
l’enregistrement des cotations SNM (Rungis).
Tableau 2 – Ensemble des références utilisées pour la construction du modèle
Référence
Berri et al., 2004
Han & Baker, 1994
Labadan et al., 2001
Leclercq, 1998
Mack et al., 1999
Mansuy et al., 2004
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Période Nombre d’essais
Génétique
21-42 j
1
Ross 308
22-43 j
2
Ross x Ross
21-42 j
1
Ross x Avian
19-40 j
2
Ross 308
20-40 j
2
ISA 220, Ross 208
21-42 j
1
Ross PM3
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2.2. Le modèle : Optilys
Le modèle Optilys s’appuie sur l’estimation d’une
marge sur aliment définie par :
[Valorisation du poids vif avec ou sans valorisation du
filet] – [coût alimentaire].
Cette marge permet de raisonner sur une
maximisation du profit, tout en conservant une
approche globale sur la filière. A titre de comparaison,
en plus de nos raisonnements sur les marges, un
raisonnement plus technique a été conservé. Ainsi le
modèle « OptiLys » intègre des approches pouvant
représenter
trois
objectifs
de
production :
l’optimisation économique du coût alimentaire, de la
production de vif ou de la production de filet.
Approche 1 : Minimisation du coût du kilo de croît
(CKC = IC 20-40j (t) x Coût Matières Premières 20-40j
(t)) – t= taux de lysine digestible (%)
Approche 2 : Maximisation de la marge sur aliment
en intégrant la valorisation du poids vif, sans
valorisation du filet
Approche 3 : Maximisation de la marge sur aliment
en intégrant la valorisation du filet ainsi que le reste
du poids vif (poids vif – poids des filets)
Afin de pouvoir comparer l’ensemble des données en
s’affranchissant de la variabilité liée aux conditions
expérimentales et aux génotypes, pour chacun des 9
essais, les courbes de réponse zootechniques en
fonction de la teneur en lysine, ont été converties en
valeurs relatives, par rapport à la performance
maximale (GMQ, indice de consommation et
rendement en filet).
Les courbes ont été tracées par ajustement
quadratique, pour chacun des critères (figures 2a à
2c). Il s’agit néanmoins de réponses inter-essais, qui
ne prédisposent pas de l’existence d’optima relatifs
différents au sein de chaque essai.
L’utilisateur doit ensuite paramétrer le modèle, en
fonction de ses objectifs de production, afin de passer
de valeurs relatives à des valeurs absolues. Ainsi, pour
un taux de lysine donné, il faudra renseigner une
valeur de GMQ, d’IC et de rendement en filet. Avec
cette méthode, nous obtenons alors une réponse
« universelle » mais dont l’amplitude peut varier avec
le potentiel de performances de l’animal. De ce fait,
les optima techniques de lysine digestible resteront
fixes pour un paramétrage donné et seuls les optima
économiques varieront.
Le prix de l’aliment est calculé en fonction de la
teneur en lysine, par ajustement quadratique. Nous
avons construit deux courbes, selon deux conjonctures
de matières premières, et intégré leurs équations au
modèle. Deux conjonctures matières premières
« extrêmes » ont été choisies afin d'encadrer un large
éventail de possibilités. Le tourteau de soja varie de
203 à 261 €/t, le blé de 101 à 151 €/t et la L-Lysine
HCl de 1750 à 3067 €/t.
Figures 2a à 2c - Courbes de réponses zootechniques (en relatif par rapport à la performance maximale) en
fonction du taux de lysine, par ajustement quadratique (résultats de 9 essais).
120%
IC relatif (%max)
GMQ relatif (%max)
100%
95%
90%
85%
80%
115%
110%
105%
100%
75%
70%
0,60
Ensemble données
Quadratique
Ensemble données
Quadratique
0,70
0,80
0,90
1,00
Lys dig (%)
1,10
1,20
Y=-1,279t² + 2,778t-0,506 (R²=0,828)
95%
0,60
0,70
0,80
0,90
1,00
Lys dig (%)
1,10
Y=0,859t² - 1,894t+2,044 (R²=0,865)
1,20
105%
Rdt filet relatif (%max)
105%
100%
95%
90%
85%
80%
Ensemble données
Quadratique
75%
70%
0,60
0,70
0,80
0,90
1,00
Lys dig (%)
1,10
1,20
Y=-1,030t² + 2,236t-0,217 (R²=0,668)
t = teneur en lysine digestible (%), variant de 0,7 à 1,20 %
2.3. Validation des courbes de réponses
Les courbes réponse ont été validées auprès de
nutritionnistes de firmes services. Trois jeux de
données expérimentales ou de terrain exploitables ont
été recueillis et ont permis une validation externe du
modèle, en estimant les écarts entre les valeurs
communiquées et les valeurs prédites par le modèle.
Dans chaque cas, 3 taux de lysine étaient comparés.
Les données fournies étaient le GMC, l’IC et la
consommation d’aliment. Le rendement en filet n’a
été mesuré que dans un seul cas.
L’écart maximum constaté pour le GMQ (3,8%), l’IC
(2,9%) et la consommation totale d’aliment (1,9%)
représente en valeurs absolues :
- pour un GMQ 20j- Abat de 80 g, un écart de 3 g.
- pour un IC 20j- Abat de 2,00, un écart de 0,06.
- pour une consommation totale d’aliment de 3,000
kg, un écart de 57 g
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Concernant le rendement filet, l’écart maximum
(6,3%) représente environ 1 point d’écart pour un
rendement de 16%. Cette valeur est élevée car il
semble que dans cet échantillon, le rendement ait
atteint le plateau avant le taux de lysine maximum
testé. Toutefois, avec un seul essai, nous ne pouvons
pas généraliser l’écart.
2.4. Résultats et discussion
Une situation de référence a été définie pour le
paramétrage du modèle (tableau 3). Les optima
économiques de lysine obtenus pour chacune des
approches sont présentés dans le tableau 4.
Tableau 3 - Situation de référence du modèle
Lys dig GMQ IC Rdt filet PV 20j Prix alim Conso alim
Age
Prix vif PVHF Prix filet
(%)
(g)
(% vif)
(kg)
0-20j (€/t)
0-20j (kg)
abat (j)
(€/kg)
(€/kg)
(€/kg)
0,90
60
2
14,0
0,600
220
1,00
40
0,7
0,6
4
Lys dig : Lysine digestible, GMQ : Gain Moyen Quotidien, IC : Indice de consommation, PV : Poids Vif, Prix
alim : Prix de l’aliment, Conso alim : Consommation d’aliment, Age abat : Age d’abattage, PVHF : Prix du vif
hors filet.
Tableau 4 - Taux de lysine digestible optima (% dans l’aliment) calculés par le modèle selon les trois approches
Conjoncture Basse
Conjoncture Haute
Approche 1
0,94
0,97
Approche 2
1,02
1,01
Approche 3
1,06
1,06
Conjoncture basse : blé=101 €/tonne, tourteau de soja=203 €/tonne
Conjoncture haute : blé=151 €/tonne, tourteau de soja=261 €/tonne
Approche 1 : Minimisation du coût du kilo de croît
Approche 2 : Maximisation de la marge sur aliment en intégrant la valorisation du poids vif sans valorisation du filet
Approche 3 : Maximisation de la marge sur aliment en intégrant la valorisation du filet ainsi que le reste de la carcasse
L’optimum de lysine dépend du type d’approche (1 vs
2 vs 3). Ceci montre qu’il existe une hiérarchie entre
les optima de lysine dans l’aliment en fonction des
objectifs de production. Ainsi, pour une rentabilité
optimale, la minimisation du coût alimentaire
nécessite des niveaux alimentaires de lysine inférieurs
à ceux nécessaires pour la production de vif, euxmêmes inférieurs à ceux nécessaires pour la
production de filet. Dans de nombreux travaux
rapportés par Quentin et al. (2004), l’optimum de
vitesse de croissance est observé pour des teneurs en
lysine inférieures à celles nécessaires pour obtenir un
indice de consommation minimum (Figure 1).
L’introduction de variables économiques dans le
calcul d’Optilys peut ne pas être la seule cause de ces
différences. Le choix du modèle quadratique utilisé ici
suppose en effet une variation opposée des
performances pour des concentrations de lysine dans
l’aliment supérieures au besoin, qui ne sont pas
observées dans la réalité. Toutefois, la même
hiérarchie est obtenue avec un modèle exponentiel.
L’analyse des optima d’une expérience à l’autre
révèle rarement un besoin significativement supérieur
de lysine pour le dépôt de filet (pour revue, Quentin et
al., 2004). La validation d’Optilys devra donc être
poursuivie comme l’indiquent les écarts relativement
importants observés sur les teneurs en filets dans le
début de validation externe (1 essai). Toutefois, à
terme, l’ajustement des taux de lysine pourrait peutêtre améliorer la rentabilité des diverses productions.
Le deuxième facteur le plus important est le prix de
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valorisation, du vif ou du filet. Enfin, pour les deux
conjonctures économiques testées, le coût de l’aliment
n’influe que très peu sur l’optimum. Par ailleurs, les
résultats conservent la même hiérarchie quelle que
soit la conjoncture étudiée.
CONCLUSION
Les approches proposées permettent de quantifier des
optima économiques de lysine dans l’aliment du
poulet de chair, de 20 jours à l’abattage. Un potentiel
d’amélioration économique non négligeable reste
réalisable par l’ajustement des normes nutritionnelles
en lysine digestible, en particulier pour la production
de filet.
Afin d’affiner notre approche, la validation du modèle
doit être poursuivie. Nous pourrions également
envisager de modéliser la période de démarrage (0-20
jours), compte tenu de l’impact important de la lysine
sur cette période. En effet, l’influence de la lysine est
continu : si la lysine est insuffisante en phase
démarrage, les rendements en carcasse et en filet
seront pénalisés à l’abattage, même si l’aliment
finition possède un niveau de lysine adéquat (Kidd et
Fancher, 2001).
Sixièmes Journées de la Recherche Avicole, St Malo, 30 et 31 mars 2005
REMERCIEMENTS
Merci à Isabelle Bouvarel et Claire Relandeau pour leurs conseils et leur encadrement. Merci également à
Pascale Magdelaine et Hervé Catteau pour leur soutien et leur disponibilité.
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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Han Y., Baker D.H., 1994. Poult. Sci., 73, 1739-1745.
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Leclercq B., 1998. Résultats disponibles sur demande à Laurent Lebellego, Ajinomoto.
Mack S., Bercovici D., De Groote G., Leclercq B., Lippens M., Pack M., Schutte J.B., Van Cauwenberghe S.,
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