La Guerre, d`Otto DIX

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La Guerre, d`Otto DIX
La Guerre, d’Otto DIX
I-
Présentation de La Guerre, d’Otto DIX
La Guerre, d’Otto DIX a été peinte entre 1929 et 1932. C’est un triptyque, c’est-à-dire une
œuvre peinte sur trois panneaux en bois que l’on peut replier. Ce format était principalement utilisé au
XIème et XIIème siècle pour les peintures religieuses. Le panneau central mesure 204 x 204 cm et les
panneaux de chaque côté mesurent 204 x 102 cm chacun.
C’est une peinture à l’huile qui n’a été exposée qu’une seule fois à Berlin en 1938. Considérée comme
« dégénérée » par les nazis, elle a ensuite été cachée afin de ne pas être détruite. Elle dénonce très
clairement les atrocités de la guerre.
La Guerre est un triptyque qui repose sur une prédelle. La prédelle étant la partie inférieure d’un
tableau divisé en panneaux peints ou sculptés et qui sert de support.
Ce type de tableau est aussi appelé retable. Le nom retable vient du latin et veut dire « en arrière
d'autel ». Le retable appartient donc à l’art religieux puisqu’on trouve les retables dans les églises. Il
est fréquent qu’un retable se constitue de plusieurs parties (deux parties : diptyque, trois : triptyque,
plus de trois : polyptyque). Le retable est donc une construction verticale, souvent en bois, qui
comporte des décors peints ou sculptés. Il est toujours de forme rectangulaire, composé de portes que
l’on ouvre pour voir les peintures intérieures.
Otto DIX inscrit ainsi son travail dans une perspective religieuse. En choisissant le triptyque, DIX fait
référence à la religion. En effet, le chiffre 3 représente la sainte Trinité, et la fonction du triptyque à
l’époque est, entre autres, de protéger la ville.
Cette œuvre est celle d’un homme qui a vécu l’horreur et l’inhumanité de « La Grande Guerre » (19141918) et qui témoigne de son expérience de soldat en représentant un champ de bataille où la mort et la
cruauté règnent en maître.
II-
Biographie d’Otto DIX
Otto DIX est né en 1891 en Allemagne d’un père ouvrier et d’une mère poète. Sa mère fut en
partie responsable de son éducation artistique avec son cousin, un peintre, dans le studio duquel Otto
passait beaucoup de temps. Entre 1905 et 1909, apprenti du peintre Carl SENFF, il apprend à peindre
ses premiers paysages.
Au début de la première guerre mondiale, il s’engage avec enthousiasme dans l’armée allemande. Il
devient mitrailleur et combat. Il obtient la croix de fer mais reste traumatisé par les horreurs de la
guerre dont il a été témoin, au point d’en faire des cauchemars.
A la fin de la guerre, Otto adopte l’expressionisme et le collage. Il décide de peindre les horreurs de la
guerre, notamment les « gueules cassées », les infirmes estropiés par la guerre ( Réf : Les Joueurs de
Skat, Le marchand d’allumettes et Rue de Prague »). Les peintures de DIX abordent souvent des
thèmes lugubres comme la mort, la vieillesse, la prostitution et la violence.
Quand les nazis arrivent au pouvoir, ils qualifient Otto DIX d’artiste « dégénéré » et il est renvoyé de
son poste de professeur. Un bon nombre de ses œuvres sont présentées à l’exposition nazie « Art
dégénéré » ou brûlées. Il doit alors promettre de ne pas critiquer le Reich (1933-1945 : régime national
socialiste dirigé par Hitler, 3ème Reich) dans ses œuvres.
Il est engagé de force dans l’armée pour la seconde guerre mondiale en 1944 mais se fait capturer par
les troupes françaises. Il est relâché en 1946. A son retour, il continue de peindre. Il décède en 1969
d’un infarctus, à l’âge de 78 ans.
III-
Contexte historique
La Guerre a été peinte entre 1929 et 1932. DIX présente une image plus réaliste et encore plus
sombre de la guerre que ce qu’il avait pu peindre auparavant. Alors même que la population
commence à oublier les horreurs qu’elle a vécues, soit plus de 10 ans après l’armistice, Otto DIX
dépeint une image crue de la guerre, non pas pour choquer mais plus pour témoigner et rappeler ses
réalités, pour que les gens n’oublient pas les terribles souffrances qu’elle génère.
IV-
Ensemble des panneaux
DIX dans La Guerre s’inspire du retable d’Issenheim de Mathias Grünewald, œuvre majeure
de La Renaissance (période entre le XV° et le XVI° siècle), dans laquelle il est aussi question de mort
et de souffrance, puisque le panneau central est la représentation d’une crucifixion. Grünewald peint
sans rien voiler de la déchéance du corps du Christ crucifié : corps amaigri, déformé, creusé par la
douleur, chairs grises et meurtries par les clous, sang, pustules.
Dans La Guerre, on peut observer une forme de chronologie au travers les panneaux. Ils racontent une
histoire. Le format gigantesque de l’œuvre suscite l’émotion.
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A gauche, on voit les soldats partir au front, portant sac au dos. Ils tournent le dos aux
spectateurs et marchent dans la brume. Ainsi, ils forment une armée humaine sans visage et
sans identité, masse aveugle avançant d’un même pas vers le front et ses atrocités.
Alors qu’aucun décor n’est représenté dans le panneau de gauche, l’arrière plan du panneau
central est occupé par la représentation de ruines : restes de maisons écroulées ou calcinées,
paysage désertique au sein duquel aucune trace humaine ne subsiste, évocation des ravages
causés par les bombardements. Au premier plan, c’est la tranchée dans toute son horreur et son
inhumanité qui est évoquée :
Amoncellement de corps déchiquetés et éviscérés surplombé par un cadavre aux yeux vides, à
la bouche ouverte d’où jaillit un vers et à la peau parsemée de pustules qui évoquent tout à la
fois le Christ de Grünewald mais aussi les conditions d’hygiène abominables dans lesquelles
ont vécu les poilus dans les tranchées.
Un cadavre tend une main, tentative désespérée d’obtenir de l’aide, dans un univers où
l’humanité a disparu. Son appel à l’aide reste suspendu dans le vide.
Au dessus de cet amas de viscères et de corps, flotte un squelette embroché sur un reste
d’architecture (réf : Christ crucifié) et qui désigne de son doigt la mort et la barbarie qui
s’entassent plus bas.
Quasiment invisible, à gauche de l’image, un unique survivant assiste à la scène, statufié par sa
cape qui le prive de ses bras, et donc de toute action, visage et regard dissimulés sous son
masque. C’est un personnage passif et sans identité, pétrifié par l’inhumanité dont il est
spectateur. Il est à son tour comme privé de son humanité.
Le panneau de droite contient un autoportrait d’Otto DIX qui se représente comme un sauveur
transportant dans ses bras un soldat blessé. Ce personnage de sauveur se distingue de tous les
soldats représentés dans le triptyque : c’est le seul qui fait face au spectateur et qui avance avec
détermination vers le premier plan. C’est le seul aussi qui possède la capacité de voir. Il regarde
le spectateur droit dans les yeux avec un regard presque effrayant. Par là il montre comment la
guerre l’a transformé. Il est enfin l’unique personnage de cette scène qui ne porte pas
l’uniforme complet du soldat : ni casque, ni arme, ni masque. Ce sauveur avance à découvert
ne craignant pas l’attaque ennemie et n’étant pas soucieux non plus de se défendre.
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La prédelle ou panneau inférieur a un format rectangle allongé. Le peintre inscrit dans ce
format la représentation de ce qui semble être un caveau ou un cercueil collectif : des soldats
allongés représentent le corps du Christ mort, représenté dans la prédelle du retable
d’Issenheim.
V-
Couleurs, lumières et perspectives
Le peintre à travers son œuvre nous donne une vision d’apocalypse et de désespoir. Pour cela,
divers procédés sont utilisés. On peut par exemple noter un contraste important dans les lignes et les
formes du tableau. Alors que celles des panneaux de gauche et de droite sont principalement droites,
celles du panneau central son courbées et enchevêtrées. Le peintre veut faire passer par là l’idée du
chaos et de la désolation du champ de bataille.
Les couleurs utilisées sont principalement ternes : le gris et le noir pour les gravats, la mort et les
cendres. On repère cependant des couleurs plus chaudes notamment le rouge et le marron, pour le sang
et la boue. Le rouge est utilisé pour représenter le ciel tourmenté (panneau de gauche), mais aussi
l’amas de viscères ensanglanté (panneau central) et le feu du champ de bataille (panneau de droite).
Mais la couleur dominante reste le brun, brun de la terre des tranchées, environnement quotidien et
unique horizon des poilus. Il nous rappelle que cette guerre s’est déployée dans la boue et la crasse et
qu’elle a répandu la violence et la mort.
Quant à la lumière, la principale touche se trouve dans le panneau de droite dans lequel le peintre
éclaire grâce à l’emploi de couleurs claires le personnage de sauveur. Cet éclairage puissant guide
notre regard vers cette partie importante de l’image, car elle est la seule à présenter une part
d’espérance et de vie.
VI-
Conclusion
Cette œuvre est forte mais aussi très riche. C’est une œuvre qu’on peut qualifier d’engagée,
c’est un acte politique par lequel l’artiste énonce son dégoût de la guerre et ses atrocités. Otto DIX y
dresse un portrait à la fois très cru et réaliste mais aussi rempli de symbolique de ce dont il a été
témoin. Il souhaite nous convaincre de l’horreur et de la bêtise de la guerre. C’est certainement pour
cela qu’il se représente en sauveur : il est celui qui nous met en garde.
L'expressionnisme est un mouvement artistique apparu au début du XXe siècle, particulièrement en
Allemagne. L'expressionnisme fut condamné par le régime nazi qui le considérait comme un « art
dégénéré ». L'expressionnisme tend à déformer la réalité pour inspirer au spectateur une réaction
émotionnelle. Les représentations sont souvent fondées sur des visions angoissantes. Celles-ci sont le
reflet de la vision pessimiste que les expressionnistes ont de leur époque. Les œuvres expressionnistes
mettent souvent en scène des symboles.
Les poilus : depuis 1914, le terme « poilu » désigne « le soldat combattant » qui défend son sol. Ce
surnom fut donné pendant la Grande Guerre, du fait des conditions de vie des soldats dans les
tranchées. Ils laissaient pousser barbe et moustache et, de retour à l’arrière, paraissaient tous « poilus ».

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