Histoire de la "nation" Franc

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Histoire de la "nation" Franc
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21, 25, 30, 31; Coll. David Irving : 77, 78, 79,
82, 83, 85; Coll. P. Villiers : 60b ; DR : 2c, 4, 6,
10, 20, 23, 26, 37, 41, 42, 62, 64-65, 72, 7475, 80-81, 91, 95, 97, 100-120; Leonard M.
Scruggs : 55; Library of Congress : 3a, 48-49,
49, 50, 51ab, 52, 53, 54b, 56, 57, 63; Memoria
justicialista : 8; Museo romano : 3c, 88, 879;
National Archives : 54a, 92, 93; Paul Delsalle :
12, 13, 32, 33; The Bounty association : 2d, 3435, 36, 38, 40, 44; University of North -carolina : 3d, 86; Yad Vashem : 84. Pour les couvertures, se référer à l'intérieur.
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0602 K77 685 • ISSN 1253-5877
Dépôt légal : mai 2004.
Mai 2004. Rédacteur en chef, Balbino Katz.
L’histoire secrète de l’unité de la France
L’unité de la France est aujourd’hui un fait bien établi. En dehors de la Corse, de la Bretagne et du Pays
Basque, où les identités locales ont survécu au centralisme monarchique puis jacobin, les autres régions
semblent se fondre dans un harmonieux ensemble.
Certes, on relève en Savoie, en Alsace, en Normandie, en Catalogne ou en Flandres des velléités identitaires, mais rien d’important.
Curieusement, les ouvrages qui traitent de l’histoire du processus politique qui a conduit à la constitution de ce vaste ensemble hétérogène sont assez
rares. La plupart du temps il s’agit de compilation où
l’on nous apprend que les provinces se sont réunies
dans la joie, les unes après les autres, pour satisfaire
à ce que certains auteurs considèrent comme un dessein divin.
Pourtant, il est faux d’écrire que l’unification
française s’est faite dans la joie et la bonne humeur.
Elle fut le résultat d’une fantastique ambition politique servie par les moyens de la première puissance
européenne.
Connaître la vraie histoire de l’unité française ne
délégitimise pas la France d’aujourd’hui. Il s’agit
aussi d’un devoir de mémoire pour rendre à des provinces françaises leur histoire.
Dans ce but nous vous présentons dans ce numéro une histoire de la Franche-Comté telle que vous
ne l’avez probablement jamais lue.
L’article de notre collaboratrice Anne Le Diascorn va heurter la sensibilité de certains lecteurs.
Voilà pourquoi nos colonnes sont ouvertes à tous
ceux qui souhaitent lui répondre. C’est du débat que
naît la lumière.
Balbino Katz
2
S
o
m
m
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r
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L’HISTOIRE INTERDITE
DE LA FRANCHE COMTÉ
Anne Le Diascorn
10
Si les Français connaissent les nationalités
irrédentes de l’Hexagone, Pays Basque, Bretagne
et Corse, ils croient que la réunion des autres
régions fut le résultat d’un processus graduel
et pacifique. Nous vous présentons un essai,
volontiers polémique, qui présente une version
de décapante l’histoire de la Franche-Comté.
HMS BOUNTY UNE MUTINERIE
SANS ÉGALE DANS LE PACIFIQUE
Anne Hoyau
34
Peu d’aventures maritimes ont enflammé
l’imagination que celle de la Bounty.
Au milieu du Pacifique, une partie
de l’équipage d’un petit voilier chargé
d’une mission scientifique se mutine.
Une tragédie commence.
Quand les nations
indiennes choisissaient
la cause confédérée 48
Les gladiateurs romains étaient
gros et végétariens • Un village
japonais à l’heure allemande •
L’acte fondateur du parti nazi
retrouvé aux Etats-Unis •
Un mammouth en chair et en os •
Un musée des armes
à feu à Washington
88
L’Actualité
de l’histoire
4 & 100
Une étrange affaire
judiciaire sous
l’Ancien Régime
60
L’Holocauste
était-il inévitable ?
74
Courrier
des lecteurs
98
L’Actualité
des livres
106
4
Actualité de l’histoire
Les GI’s contrebandiers
Aussitôt la France libérée, après
la Seconde Guerre mondiale,
les soldats américains ont profité de leur présence dans l’hexagone pour mettre en place un
vaste réseau de contrebande,
d’alcool et de parfums. Selon
les documents rendus publics
par les archives de Kew, le service britannique des douanes
avait rapidement tiré le signal
d’alarme devant les quantités
de marchandises ramenées en
toute illégalité par les aviateurs
américains sur les bases anglaises
où ils étaient stationnés.
« Maintenant qu’il y a des
contacts quotidiens avec le continent, il y a des rumeurs de contrebande de vins et d’alcool mais
aussi d’autres denrées comme
des parfums, des fausses dents
ou des timbres de grand intérêt pour des philatélistes, contrebande qui se traduit au RoyaumeUni par du commerce illicite »,
s’était inquiété un fonctionnaire
britannique.
Au départ, les autorités britanniques avaient choisi de fermer l'œil sur les activités suspectes des militaires américains.
Mais la découverte de 1 000
bouteilles de champagne dans
un dépôt militaire américain a
été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase…
Les militaires britanniques
eux-mêmes n’étaient cependant
pas exempts de tout reproche,
ont également révélé les archives
anglaises.
Un officier de la Royal Air
Force avait ainsi souligné dans
un rapport que «la contrebande
Un des décors de Métropolis.
et le trafic de devises semblaient cycle commence en 1922 et
être devenus monnaie courante s’achève en 1960.
parmi les membres de la RAF ».
En 1933, le Testament du
Dr. Mabuse est frappé par la
Fritz Lang
censure. Goebbels convoque
au musée d’Orsay
Lang, lui propose de prendre la
direction du cinéma nazi. Le ciUn festival consacré à Fritz Lang, néaste quitte l’Allemagne sur le
a marqué, le 5 mars, le retour champ pour Paris (où il tourdu cinéma au musée d’Orsay, nera seulement Lilionavec Charles
à Paris, avec la réouverture de Boyer, avant de gagner les Etatsl’auditorium fermé depuis trois Unis).
ans pour rénovation.
Mythes et légendes reprend
Une vingtaine de films du la légende des Nibelungen avec
cinéaste allemand d’origine vien- la Mort de Siegfried et la Vennoise, qui a émigré aux Etats- geance de Kiremhild.
Unis en 1934, seront présentés
Critique sociale est centré
jusqu’au 28 mars selon cinq sur M le Mauditavec Peter Lorre
grandes thématiques.
et Fury, avec Spencer Tracy, son
Complots et sociétés se- premier film américain qui décrètes reprend le cycle du Doc- nonce le lynchage.
Héroïne tourne autour du
teur Mabuse, «le grand méchant
homme » de la filmographie de désir et/ou de la femme fatale,
Fritz Lang, le génie du mal qui particulièrement dans les films
apparaît sous la république de noirs américains comme la
Weimar et poursuit ses méfaits Femme au portrait, la Rue rouge
avec la montée du nazisme. Ce ou le Secret derrière la porte.
Actualité de l’histoire
Aventureest un thème plus
ludique avec la Femme sur la
lune, son seul film de sciencefiction avec Metropolis, et le Tigre
du Bengale et le Tombeau hindou, qu’on peut voir comme
une préfigurationdes aventures
d’Indiana Jones.
Seize des films présentés sont
allemands, réalisés avant le départ du cinéaste aux Etats-Unis
ou à son retour, et quatre sont
américains.
Revenu en Allemagne en
1959, Fritz Lang, qui avait pris
la nationalité américaine, y a
tourné ses trois derniers films.
Un Gauguin met sur
la voie d’un faussaire
Le propriétaire d’une galerie
d’art à Manhattan a été arrêté
pour avoir contrefait des tableaux dont les copies ont été
vendues des millions d’euros.
L’escroquerie a été découverte lorsque les célèbres maisons d’enchères Sotheby’s et
Christie’s se sont retrouvées à
vendre le même tableau, présenté comme étant du peintre
français Paul Gauguin.
Ely Sakhai a été inculpé pour
avoir contrefait de nombreux
tableaux, dont des œuvres de
maîtres tels que Pierre-Auguste
Renoir et Marc Chagall.
Selon une plainte du FBI,
Ely Sakhai achetait des peintures originales lors de ventes
aux enchères pour en faire faire
des copies vendues à des millions de dollars à des particuliers, dont plusieurs en Asie.
L’escroc laissait s’écouler
quelques années avant de vendre
5
les œuvres originales, habituellement lors de ventes aux enchères publiques.
Onze œuvres contrefaites
ont été vendues à une seule et
même galerie d’art à Tokyo,
dont un tableau de Renoir intitulé Jeune femme s’essuyant.
C’est le Vase de fleursde Gauguin qui a causé la perte d’Ely
Sakhai. Ce dernier avait confié
à Sotheby’s, en 2000, la vente
de l’original qui lui aurait rapporté 310000 euros. Au même
moment, une copie était proposée chez Christie’s.
Ely Sakhai est sous le coup
de huit chefs d’inculpation, passibles chacun d’un maximum
de vingt ans de prison.
Deux nouvelles
sépultures médiévales
découvertes à Cahors
Deux sépultures médiévales pouvant remonter au XIIIe siècle
ont été découvertes lors de travaux d’enfouissement des réseaux électriques autour de la
halle de Cahors.
Deux voûtes en briques,
dont l’une contient les squelettes de deux personnes d’âge
et de sexe encore inconnus, ont
été mises au jour. La sépulture
était fermée et le sommet de sa
voûte devait se situer au niveau
du sol médiéval.
Cette découverte va nourrir une carte archéologique du
Cahors médiéval dont l’élaboration doit débuter dans les prochaines semaines.
Le chantier va continuer
sous surveillance, et les sépultures découvertes seront refer-
mées la semaine prochaine dans
l’attente d’éventuelles études
complémentaires par le service
régional d’archéologie.
L’Humanité hebdo
publie un cahier spécial
sur la Résistance
L’Humanité hebdo a publié un
cahier spécial sur le soixantième
anniversaire du programme du
Conseil national de la résistance
(CNR) datant du 15 mars 1944,
avec un CD sur des textes et des
chansons de la Résistance.
A la une de ce numéro vendu
3 euros, titré «Une certaine idée
de la France», l’Humanité hebdo
indique : « Il y a soixante ans,
le Conseil national de la résistance adoptait son programme.
Le 15 mars 1944, un projet de
mesures démocratiques et sociales voyait le jour ».
Au sommaire notamment
de ce cahier de douze pages, inséré dans le journal communiste, le texte inédit du programme du CNR, l’histoire de
ce grand mouvement de la Résistance, un texte de MarieGeorge Buffet, secrétaire nationale du PCF.
Un CD intitulé les Jours heureux, livre textes et chansons de
la Résistance : un entretien exclusif avec Robert Chambeiron,
secrétaire général adjoint du
CNR, des chansons interprétées par Marc Ogeret (le Chant
des partisans, la Rose et le réséda,
Poèmes d’amour en guerre…),
Paul Eluard lisant son poème
Liberté, des extraits de l’allocution du général De Gaulle le 29
août 1944.
6
Actualité de l’histoire
Découverte du serpent
le plus vieux du Brésil
Les vestiges du serpent le plus
vieux du Brésil, qui mesurait 60
cm et vivait-il y a de 70 à 85
millions d’années, peu avant la
disparition des dinosaures ont
été découverts dans le sud-est
du pays. Le paléontologue brésilien Max Cardoso Langer, de
l’université de Sao Paulo, et le
français Emmanuel Fara, de
l’université de Poitiers, ont commencé leurs recherches de fossiles dans une région située entre
les Etats de Minas Gerais et de
Sao Paulo, pratiquement inexploitée à ce jour.
La recherche a été un coup
de chance, selon eux. Après avoir
lu l’article d’un collègue qui
avait travaillé dans la région, ils
ont décidé d’entrer dans des
zones inexploitées.
«Dès que nous sommes descendus de voiture et avons regardé par terre, nous avons vu
une série de petites vertèbres »,
qui ont fini par reconstituer le
serpent le plus vieux découvert
au Brésil », ont-ils expliqué.
Des manuscrits de
Conan Doyle retrouvés
Un important lot de lettres et
papiers personnels, pour la plupart inédits, appartenant au célèbre auteur britannique sir Arthur Conan Doyle, père du
détective Sherlock Holmes, a
été découvert récemment à
Londres, a annoncé la maison
de vente aux enchères Christie.
La collection comprend trois
mille pièces qui avaient disparu
a ajouté Tom Lamb, chef du
service des livres et manuscrits
de Christie.
Le mammouth laineux
« ressuscité » à Paris
Conan Doyle.
au cours d’un conflit juridique
sur les biens de l’écrivain après
sa mort en 1930. Elle comprend
des lettres personnelles, des notes
et des manuscrits qui reflètent
le cours de la production créative de l’écrivain. La plupart des
documents n’ont jamais été publiés.
La collection, découverte
dans les bureaux d’une étude
d’avocat londonienne, sera présentée au public en mai avant
d’être vendue aux enchères par
Christie pour un montant estimé trois millions d’euros.
L’une des pièces les plus importantes est une esquisse pour
la première apparition de Sherlock Holmes dans le roman Une
étude en écarlate », avec le titre
original Un écheveau emmêlé
écrit en travers.
« L’ouverture d’une dizaine
environ de ces grands cartons,
qui contenaient ces archives depuis les années 1960, a été un
moment à vous donner le frisson, que je n’oublierai jamais »,
Animal préhistorique légendaire, compagnon des hommes
de l’ère glaciaire, le mammouth
laineux est « ressuscité » dans
une exposition programmée jusqu’en janvier 2005 au Muséum
d’histoire naturelle à Paris.
L’objectif des concepteurs
de cette exposition intitulée «Au
temps des mammouths » est de
faire découvrir cet éléphant à
fourrure au moment de la période maximale de la dernière
glaciation, il y a 21000 ans, et
de l’accompagner jusqu’à sa disparition définitive une dizaine
de millénaires plus tard.
L’exposition, qui rassemble
pour la première fois des pièces
uniques provenant de musées
de Russie, d’Ukraine, de République tchèque, du RoyaumeUni et d’Allemagne, présente
l’animal lui-même, sous forme
de squelettes et celle d’une momie
de bébé mammouth. On y trouve
également son environnement
et ce qu’il représentait pour ses
contemporains humains, les
hommes de Neandertal et les
premiers hommes modernes.
L’os et l’ivoire de mammouth
constituaient une matière de
choix pour la fabrication d’outils ou d’œuvres d’art, comme
en témoigne une vingtaine de
statuettes exceptionnelles, mais
encore pour la construction de
huttes à partir de leurs os et de
leurs défenses. De temps à autre,
Actualité de l’histoire
des carcasses de mammouths
tués, ou beaucoup plus souvent
trouvés morts, ont certainement
sauvé des hordes d’hommes préhistoriques de la faim.
Le paléontologue Pascal
Tassy doute en effet fort de la
capacité de nos ancêtres de parvenir facilement à abattre un
mammouth avec des armes rudimentaires. Il les imagine plutôt pour se procurer de la viande,
pratiquant le charognage.
Rigueur scientifique oblige,
le Pr Tassy dément aussi d’autres
mythes, dont la taille gigantesque du mammouth laineux.
«Cet animal, explique-t-il, n’était
qu’un éléphant parmi d’autres.
Il pouvait, certes, atteindre 3,5
m de haut, mais certains éléphants d’Afrique d’aujourd’hui
sont plus grands. »
Cet habitant des steppes de
type arctique portant d’impressionnantes défenses hélicoïdales n’en est pas moins très
intéressant de par son adaptation aux rudes conditions glaciaires. Il est parfaitement digne
du nom de pachyderme («peau
épaisse ») : il avait une peau de
2 cm d’épaisseur et une couche
de graisse de 8 cm, sous un duvet
protecteur de sous-poils très
dense et des poils mesurant jusqu’à un mètre de long, plus une
particularité originale : un clapet anal, repli de peau qui agissait comme un couvercle de protection contre le froid.
En fait, cette spécialisation
était trop parfaite, car la fin de
l’ère des grandes glaces a sonné
le glas pour les mammouths :
contrairement à leurs nombreux
contemporains toujours en vie,
7
tels les rennes, les chevaux sauvages ou les loups, ils n’ont pas
su faire face au réchauffement
du climat et aux changements
de la végétation.
Décès du plus ancien
« poilu » meusien
Le plus ancien « poilu » meusien, Gabriel Pancher, est décédé à Dompcevrin (Meuse) à
l’âge de 105 ans.
Gabriel Pancher était né le
10 juin 1898 à Dompcevrin. Il
avait été mobilisé en mai 1917
peu avant son 19e anniversaire.
Affecté au 154e régiment d’infanterie de Saint-Brieuc (Côtes
d’Armor), il avait été fait prisonnier en octobre 1918 avant
d’être libéré, quelques jours plus
tard, après la signature de l’Armistice. Agriculteur dans sa commune après la guerre, il avait
été fait chevalier de la Légion
d’honneur en 1996. Le 11 novembre 2003, la France comptait encore trente-deux anciens
« poilus » de la Grande Guerre.
Ils sont moins d’une trentaine
aujourd’hui, selon l’association
« Ceux de Verdun », qui regroupe les anciens combattants
de cette bataille ainsi que leurs
familles et amis.
Un cimetière
gaulois à Nanterre
Des fouilles entreprises en bordure de la Seine ont permis de
découvrir à la fin de l’année dernière les restes d’un important
cimetière gaulois accréditant la
thèse de l’existence d’une ville
gauloise importante sur le ter-
ritoire de Nanterre, ont annoncé
les archéologues.
Tous les objets découverts,
dont des outils, des bijoux et
des armes ouvragés, ont été exhumés et mise en sécurité à la
fin de 2003.
Ces découvertes confirment
d’autres découvertes faites il y
a dix ans dans le même secteur
avant les travaux d’agrandissement de l’autoroute A 86.
«Vraisemblablement il s’agit
d’une ville très importante qui
pourrait correspondre à la Lutèce gauloise », a expliqué Antide Viand, l’un des archéologues du chantier.
Elle aurait été peuplée par
les Parisii et il pourrait s’agir de
la Lutèce gauloise, la Lutèce romaine étant « sans aucun doute
à Paris », a affirmé le chercheur.
Les Romains se sont installés à
Lutèce après leur victoire sur les
Parisii en 52 av JC.
Le linceul d’Eva Peron
aux enchères pour
40 000 euros à Rome
Le linceul utilisé pour recouvrir
Eva Peron à sa mort et la bibliothèque de l’ancien président
argentin ont été mis aux enchères à Rome par Christie’s Italie et les fonds recueillis serviront à financer des projets de
développement. « Nous avons
décidé de mettre le linceul aux
enchères en nous fondant sur
les dispositions testamentaires
d’Evita qui disait que l’on pouvait disposer de tous ses biens
à condition que l’argent serve
à des aides pour le peuple, ce
qui sera fait », a expliqué l’ex se-
8
Actualité de l’histoire
Eva Peron, première dame d’Argentine.
crétaire du leader argentin lors
d’une présentation des objets.
Le linceul et les autres biens
de Juan Peron sont revenus à la
Fondation pour la paix et l’amitié entre les peuples créée par
Antonio Mario Rotundo, son
ancien secrétaire personnel pendant l’exil espagnol.
Objet d’une véritable dévotion en Argentine, elle avait
été embaumée pour être exposée dans une chapelle ardente à
Buenos Aires jusqu’en 1955,
année du coup d’Etat qui a renversé Peron et l’a contraint à
l’exil en Espagne.
Parmi les lots proposés figurent également la plaque en
marbre réalisée pour la tombe
de son chien Canela, «le meilleur
et le plus fidèle des amis » mort
en 1966, un vieux coffre fort
rouillé, une antique chaîne stéréo, des souliers, des uniformes,
des albums de photographies
jaunies, des lettres, des disques
et un millier de livres.
Parmi les livres de Peron figurent des contes, et des biographies, deux ouvrages consacrés à Mussolini, sept livres sur
Ceausescu et des essais sur De
Gaulle, Kennedy, Mao et
Alexandre le Grand et aussi des
livres sur la médecine par les
plantes et sur l’ésotérisme.
Peron était revenu au pouvoir en 1973 en Argentine, mais
il est mort peu après, en juillet
1974, à l’âge de 79 ans.
Hitler revient
brièvement à Berlin
Durant quelques jours, il fut
possible de se faire photographier aux côtés d’Adolf Hitler
dans la «galerie des personnages
en cire » au cœur de Berlin, une
« première » dans un pays où
toute utilisation de symboles et
d’insignes nazis est interdite.
« Chez nous, vous pouvez
admirer de près des personnalités du passé et des stars d’aujourd’hui et vous faire photographier avec eux, notamment
Gorbatchev, Poutine, Staline,
Hitler, Honecker, Strauss, Goethe,
Napoléon, Einstein…», se vantait la galerie Art’el sur une affiche au pied de son immeuble.
A l’entrée, on se retrouve
nez à nez avec les répliques du
pilote allemand de Formule-1
Michael Schumacher et de Charlie Chaplin. Un avant-goût de
ce qui attend le visiteur au quatrième étage, où se côtoient 71
célébrités.
On est accueilli par le sourire du commandant et océanographe français Jacques-Yves
Cousteau, d’Agatha Christie et
de Johann Wolfgang von Goethe.
Les visiteurs semblent s’intéresser plus particulièrement à
la «salle des hommes politiques»
et notamment au personnage
tout au fond : le dictateur nazi
Adolf Hitler, les mains croisées
sur la ceinture et l’air sérieux.
Toutefois, à la suite de ces
protestations, le propriétaire des
locaux abritant la galerie Art’el
située au cœur de la capitale a
contraint la directrice à retirer
la réplique d’Hitler.
En outre, le propriétaire,
une filiale de la banque hypothécaire du Bade-Wurtemberg
(sud-ouest) Wuerttembergische
Hypothekenbank, a résilié le
bail avec la galerie qui loue ces
locaux depuis le début de l’année, a ajouté la directrice d’Art’el.
Actualité de l’histoire
Inne Vollstaedt a affirmé ne
pas savoir exactement quand
elle devrait quitter les lieux. «En
tout cas je serai là pour l’ouverture de la galerie, a-t-elle assuré.
De son côté, le président du
Conseil central des juifs en Allemagne, Paul Spiegel, a salué
la décision de la galerie de retirer Adolf Hitler.
Un site pour
l’anniversaire
du débarquement
Le ministère de la Défense a annoncé l’ouverture d’un site officiel, faisant « l’écho des actualités
liées
aux
commémorations » du débarquement en Normandie et de
la libération de la France.
Le nouveau site (www.liberation60.gouv.fr) a été présenté lors du point de presse
hebdomadaire par le porte-parole adjoint du ministère, l’amiral Claude Marcus.
Bilingue français-anglais, ce
site fournit au public et à la
presse les programmes des événements, des informations pratiques relatives aux cérémonies,
ainsi que des documents réalisés par des combattants (photos, «dessins inédits» d’époque).
Des rubriques spéciales sont
consacrées au débarquement en
Normandie, au débarquement
en Provence et à la libération de
Paris.
Dans un éditorial, présenté
en page d’accueil, le secrétaire
d’Etat aux Anciens combattants,
Hamlaoui Mékachera, écrit :
« les commémorations seront
9
très nombreuses, des cérémonies organisées par l’Etat jusqu’aux cérémonies et fêtes locales, dont la chaleur montrera
l’enthousiasme de nos compatriotes. Partout, les hommes et
les femmes, les anciens et les
jeunes, se souviendront ».
connu que le bimoteur DC3
« Dakota » était un avion-espion. Le scandale redoubla
lorsque la Suède, officiellement
non-alignée, admit que les informations collectées au cours
de ces missions étaient ensuite
transmises aux Américains et
aux Britanniques.
Les Suédois renfluent
La localisation de l’épave le
un DC-3 abattu
16 juin 2003, soit 51 ans presque
par les Soviétiques
jour pour jour après sa disparition, est due à une équipe diriL’épave d’un avion-espion DC3 gée par un spécialiste de la carsuédois abattu par la chasse so- tographie marine.
viétique en 1952 et localisée l’an
dernier au large de l’île de Got- Watteau revient
land, en mer Baltique, a été re- à Valenciennes
montée à la surface.
« C’est un événement his- Watteau maître chez lui. Le
torique. C’est capital, nous al- musée des Beaux-Arts de Valons enfin savoir ce qui est ar- lenciennes, sa ville natale, consacre
rivé à l’équipage », a indiqué pour la première fois une exClaes Lundin, l’officier de ma- position au peintre du plaisir
rine suédois responsable de de vivre, autour du thème de
l’opération.
« la fête galante » qu’il a introLe DC3 avait disparu le 13 duit dans l’histoire de la peinjuin 1952 avec ses huit hommes ture.
d’équipage. Trois jours plus tard,
L’exposition, en marge de
un avion de type Catalina, parti Lille 2004, capitale européenne
à sa recherche, était abattu au de la culture, réunit jusqu’au 14
motif qu’il avait pénétré dans juin 2004, 85 tableaux et desl’espace aérien soviétique. Très sins (20 de Jean-Antoine Watendommagé, l’appareil était par- teau, mais aussi des œuvres de
venu à se poser en catastrophe. ses maîtres flamands Bruegel,
Aucune perte humaine n’avait Rubens et de leurs continuaété déplorée.
teurs).
Les Suédois avaient vive«Watteau invente un genre,
ment protesté et demandé aux la fête galante. Il est en quelque
Soviétiques, sans obtenir de ré- sorte révolutionnaire. Il y a fiponse, s’ils avaient également nalement assez peu de peintres
descendu le DC3, officiellement qui créent un thème. Et en même
employé à des fins d’entraîne- temps, il s’appuie sur une trament. L’aveu ne viendra de Mos- dition qui remonte au Moyen
cou qu’en 1991.
Age », souligne le conservateur
Entre-temps, dans les an- du musée des Beaux-Arts, Panées 1970, Stockholm avait re- trick Ramade.
Les tentatives de la monarchie pour s’emparer de la Franche-Comté de Bourgogne
sont une des pages les plus noires de l’histoire de France dont il est bien difficile de trouver
des traces dans les manuels destinés aux petits Français. Ci-dessus : gravure française célébrant
la prise de cette vieille terre bourguignonne par Louis XIV.
La Franche-Comté
de Bourgogne
Une vieille nation
oubliée de l’histoire
Anne Le Diascorn
Si les Français connaissent les nationalités irrédentes de l’Hexagone,
Pays Basque, Bretagne et Corse, ils ont tendance à croire que la réunion
des autres régions fut le résultat d’un processus graduel et pacifique,
que les peuples se sont agrégés l’un après l’autre dans l’allégresse.
Ce fut rarement le cas. Nous vous proposons un essai, volontiers polémique,
qui présente une version inhabituelle de l’histoire de la Franche-Comté.
Les lecteurs qui souhaitent participer au débat sont les bienvenus.
L
’ARMÉE française avait investi la petite
ville, dont les cinq mille habitants se
préparent fiévreusement à la défense.
L’émissaire du prince de Condé, précédé d’un
cavalier portant le drapeau blanc, a franchi la
grand’porte et, entre deux haies de spectateurs silencieux et hostiles se dirige vers l’hôtel de ville. Le gouverneur en second, l’attend dans la salle d’honneur, entouré de ses
assesseurs. L’émissaire propose la reddition
pure et simple, avant qu’un seul boulet n’ait
fendu les airs. Tout en parlant, il sème négligemment sur le plancher des louis d’or frappés de la fleur de lys, qu’il puise dans la bourse de soie qui pend à son côté.
Le rouge monte aux joues du second gouverneur, le sieur Claude Dusillet. Il dégaine et
oblige le Français, en le menaçant de son fer
à ramasser une à une les pièces d’or et à les
remettre d’où elles sont venues.
— Ce genre de monnaie n’a pas cours en
Franche-Comté, monsieur. Maintenant, sortez !
La scène se passait à Dole, capitale de la
Comté, le 29 mai de l’an de grâce 1636, en
pleine guerre de Trente-Ans.
Pendant 16 jours, les Dolois résistent à l’armée royale, vingt fois supérieure en nombre.
La population s’est portée au secours de la chétive garnison qui ne peut faire front partout
à la fois. « L’avocat Michontey acquit une
réputation de tireur exceptionnel ». Un autre
avocat, Janot, le conseiller Toitot et le procureur général Brun, deux capucins, les pères
12
Polémique
Cartes dessinées par Paul Delsalle, maître
de conférences à l’université de Franche-Comté,
extraites de son ouvrage la Franche-Comté
au temps de Charles Quint.
Au moment de l’apogée de son rôle international,
la Franche-Comté appartenait à un ensemble
administratif appelé « le Cercle de Bourgogne »
comprenant le « Pays d’en bas » (la Comté) et le « Pays de par-delà (les Pays-Bas),
un des dix cercles impériaux institués par la diète de Cologne en 1512. Les habitants parlent
français et se disent « Bourguignons », parfois « Comtois ». Ils étudient volontiers dans
les universités des Pays-Bas, du nord de l’Italie ou même en Espagne, mais rarement
à la Sorbonne. On ne perçoit pas sur cette carte la position stratégique de la Comté qui assure
la liaison territoriale entre les possessions hispaniques de la péninsule italienne et les Pays-Bas.
Polémique
13
Selon les critères modernes, la Comté
est un petit pays. Mais à sa grande
époque, il fallait bien deux jours
pour la traverser de part en part.
La carte illustre bien la difficile
géographie politique de l’Ancien
Régime où le territoire contient
des enclaves et des espaces contestés
entre plusieurs princes.
14
Polémique
Assiégée par les troupes françaises en 1654, la ville d’Arras se défendit avec une énergie farouche.
La population joignit ses efforts à ceux de la garnison pour tenter de repousser les assauts des
troupes françaises avant de capituler après une résistance héroïque.
Eustache et Albert, font des sorties pour
détruire les batteries françaises. Un valet du
conseiller Mathécot met, seul, en fuite une
patrouille ennemie. Les Français ne s’expliquent pas cet acharnement. Le chef de l’artillerie, Le Meilleraie, écrit le 2 juin, à Richelieu : « je n’arrive pas à trouver un seul traître
parmi les assiégés, pour me fournir des renseignements. » Une autre lettre, le 25 juillet,
confirme que « tous les Comtois se feraient
plutôt écorcher que de rien faire contre leur
patrie. » Le cardinal, dans ses Mémoires, relève « la haine naturelle que les Comtois portent
à la France. »
Les Français humiliés par leur échec
devant Dole, font régner la terreur sur le pays.
Les historiens régionaux ne sont pas avares de
détails sur les assassinats en masse, les viols de
femmes, les incendies systématiques et autres
manifestations d’une barbarie déchaînée. « Le
pays est si exténué, dit le Parlement quinze ans
plus tard, que dans un lieu où l’on eut trouvé quatre à cinq cents habitants, il ne s’en
rencontre pas dix ou douze à présent. »
Les Comtois et Artésiens
haïssent la France
L’écolier français, auquel on enseigne que la
France était une profonde unité morale depuis
toujours et que Jeanne d’Arc en a exprimé, au
XVe siècle, la conscience nationale, ne comprend pas que les Franc-Comtois, un siècle
après le bûcher de Rouen, aient pu concevoir
pour la France, selon les mots de Xavier Brun
« une haine mortelle ». Il ne comprend pas
davantage que l’Artois, à la même époque, fut
dans le cas de la Franche-Comté. Richelieu dit
Polémique
15
des habitants d’Arras
le comte-roi d’Espagne.
« qu’ils sont tous enneCharles-Quint sut se
mis jurés des Français
faire aimer dans les proet plus Espagnols que
vinces européennes de
les Castillans. »
son empire, parce qu’il
en respecta scrupuleuL’historien Pierre
sement la langue, les
Heliot écrivait en 1951 :
mœurs et les « libertez ».
« les villageois de NorLe contraste était grand
rent, se défendant avec
avec les rois de France
peine contre les troupes
avides de conquête et
françaises, se réfugièrent
qui, pour payer les frais
finalement dans la tour
de la guerre, n’avaient
de l’église. On n’en eut
d’autres moyens que de
raison qu’en mettant le
pressurer les provinces
feu à l’édifice; les charvaincues. L’or du Pérou
pentes et les boiseries
n’était pas pour eux.
flambèrent en entier,
Certes, la Franchetandis que 142 perComté était un pays
sonnes des deux sexes
bien formé, dont la parpérissaient brûlées vives
La Bretagne offre un autre exemple des
ou asphyxiées. des tentatives désespérées d’un petit État pour tie montagneuse, le
Jura, les plaines du
scènes analogues se
préserver son indépendance des appétits
produisirent ailleurs. » français. La jeune duchesse Anne, cherchant Doubs et celle de la
haute Saône étaient des
D’autres témoiun allié, épousa par procuration
parties complémengnages de l’attacheMaximilien d’Autriche le 19 novembre
taires, il jouissait, à
ment de l’Artois à l’Es1490 à Rennes. Marie de Bourgogne,
pagne sont connus, la première épouse de l’archiduc et grand- l’époque pré-industrielle, d’une autonomie
comme par exemple le
mère du futur Charles V, était morte
naturelle. Au temps de
graffite du chevet de
en 1482. Cette union déclencha
l’église de Saint-Mar- immédiatement une invasion de la Bretagne la Gaule, il formait déjà
une unité humaine qui
tin à Hézecques :
par les armées de Charles VIII
« Vive l’Espagne ».
et l’annulation forcée du contrat de mariage. était celle de la nation
Séquane. Les archéoNotre écolier comlogues y ont trouvé de nombreuses traces de
prend d’autant moins qu’il s’agit là de pays de
fana (singulier fanum) gaulois, ces petits édilangue française, supposés de même civilisafices culturels, fait d’une simple « cellule »
tion et culture. A nous donc de tenter une
polygonale, carrée ou circulaire, qui renfermait
explication, car les faits sont là et rien ne sert
l’effigie d’un dieu, et qui était entourée d’une
de les passer sous silence ou de les nier. Le sengalerie couverte. Des bas-reliefs ou des bronzes
timent national, tel que nous l’entendons,
nous montrent la cavalière Epona, le dieu « au
n’existait pas sous l’ancien régime. Le patriomaillet » Sukellos ou le taureau sacré à trois
tisme était, bien sûr, l’amour de la terre natacornes. Mais la trouvaille, à Coligny et au lac
le, mais sur le plan politique il devenait l’atd’Ancre, des débris d’un calendrier celtique,
tachement et la fidélité au légitime souvegravé sur bronze, fournit un témoignage encorain. En Bretagne ou en Lorraine, c’était le
re plus probant d’une civilisation qui fut le
duc ; en Franche-Comté et en Artois, c’était
16
Polémique
Magnifique portrait de l’empereur Maximilien Ier par Albert Durer. Daté de 1518,
il révèle l’extrême attention portée par le monarque à son image. Du XVe au XVIIIe siècle,
la gravure est l’un des outils du pouvoir. Elle magnifie les princes et leurs victoires militaires.
Maximilien sera l’un des premiers à consacrer beaucoup de temps à surveiller le travail
des artistes et à encourager la diffusion des œuvres à sa gloire.
Polémique
17
fondement de la Franche-Comté. Il énumèse tient sa diète à Besançon. Chose curieuse,
re dans le détail 62 mois, repartis en 5 années
le pays que nous appelons aujourd’hui Boursuccessives de 12 mois, plus deux mois intergogne, n’en faisait pas partie. Duché gouvercalaires l’un venant en tête, l’autre au milieu
né par la branche robertienne des Capétiens,
de la série. Lors des grandes invail fut donné par le roi Jean le bon, à
sions, les Alamans dans le nord,
l’extinction de celle-ci, en 1364 à
les Burgondes dans le sud sont
Philippe le Hardi, son quatrièabsorbés par les Gallome fils, en apanage. Duché
romains. Ils laissent des souet Comté se trouvèrent
venirs dans la toponymie.
réunis par voie d’héritage
L’Escuens, autour de Lonssous les « grands ducs d’Ocle-Saunier, est l’ancien pays
cident » et partagèrent la
des « Skoding » une peugloire de leur épopée sans
plade burgonde. Ils en laispareil, qui vit, en quatre
sent aussi dans le parler. Le
générations, se créer une puisdialecte franco-provençal, qu’on
sance balançant celle du royaume
appelle aussi burgondan, qui s’est
de France.
conservé dans le sud du
L’arrivée des Capétiens
territoire comtois est pho- La Bourgogne entre légitimement dans dans la Comté y fit prévaloir
nétiquement différent du les domaines de la maison d’Autriche les institutions françaises.
français, sans pour autant
Le pays fut divisé en trois
quand Marie de Bourgogne
se confondre avec le pro- (ci-dessous) épouse en 1477 l’archiduc baillages et doté d’un parlevençal.
Maximilien d’Autriche (ci-dessus). ment. D’autre part, une
Entre Rhône et Rhin, il
Coutume Générale fondit
Par le traité de Senlis en 1493,
y a toujours eu une il conserve l’Artois et la Comté, la
en une seule la quinzaine
recherche permanente Basse Bourgogne revenant à la France. de coutumes locales, dont
d’autonomie. L’archevêché
les divergences permettaient
de Besançon comprenait,
aux négociants malhonjusqu’à la Réforme, les évêques de
nêtes de jouer sur les poids et
Bâle et de Lausanne. Montmesures.
béliard
(Mompelgard)
On sait que la grande
appartient au Wurtemberg
idée du dernier souverain
(et Mulhouse à la Suisse)
bourguignon, Charles le
jusqu’à la Révolution.
Téméraire, était de réunir
Besançon resta ville d’Emterritorialement des possespire jusqu’à la même date.
sions, en s’assurant de la
Avant l’annexion par la
Lorraine. Les Suisses peu souFrance en 1678 (traité de
cieux d’avoir un voisin trop
Nimègue), la Franche-Comté a
puissant, se rangèrent du côté des
vécu 1235 ans en dehors du terriLorrains. Pour les réduire, Charles fit
toire franc ou français, indépendante ou
contre eux deux expéditions qui finirent
autonome.
mal, l’une par la route de Grandson, l’autre par
En 1032, l’empereur Conrad II hérite des
le désastre de Morat, malgré la présence de
terres qui composaient le royaume de Bour25 000 hommes recrutés dans le haut-Jura.
gogne (Arelat). Au XIIe, Frédéric BarberousLouis XI, qui n’est pas homme à négliger les
Poussé par une ambition démesurée, François Ier s’affronta avec constance à Charles Quint et il
n’hésita pas à s’allier au Grand Turc contre l’Empire, un scandale pour l’Europe de son temps.
bonnes occasions, fait entrer ses troupes en
Franche-Comté et prétend l’occuper « par
droit de conquête ». La comtesse, Marie de
Bourgogne, sur ces entrefaites, se marie avec
Maximilien d’Autriche. Les Français doivent
se retirer, mais non sans arrière-pensées. Un an
et demi plus tard, introduits par une trahison,
comme savait en susciter « l’universelle
araigne », ils font un retour brutal, brûlent la
capitale, Dole, et démantèlent 92 châteaux, en
répandant une telle panique qu’une partie de
la population s’enfuit. Beaucoup ne reviennent
pas. Des Normands et des Picards vinrent
occuper les terres désertées. A partir de 1493,
la Comté reste définitivement sous la tutelle
de la Maison d’Autriche, mais en préservant
sa complète autonomie. Dole reconstruit
devient le siège d’un Conseil et des Etats. La
tâche du Conseil est de préparer les ordonnances législatives. Il a le pouvoir exécutif.
Maximilien est reconnu par le peuple souve-
rain de la Comté au cri de « Vive Bourgogne ! » sous-entendu « La Comté de », car
le duché du même nom est devenu français,
et les Etats de Dijon ne joueront plus désormais aucun rôle politique, quand il leur arrivera d’être réunis.
Marguerite gouverne conjointement la
Flandre et la Comté dans un esprit anti-français. Elle conclut en 1511 avec la Confédération Helvétique la Ligue Héréditaire qui lui
assure la paix de l’est, puis elle négocie et
signe avec François Ier un traité de neutralité,
qui garantira la paix à l’ouest pour un siècle.
François Ier part en guerre
Quand commence le duel entre François Ier et
Charles Ier d’Espagne et Quint d’Empire, la
Franche-Comté est dans le camp austro-espagnol. Charles possède les Pays-Bas, qui vont
de la Frise au Luxembourg et à l’Artois, il a
La belle victoire de Pavie mit un arrêt à l’agressivité de François Ier. Les chevaliers comtois
jouèrent un rôle clef en capturant le roi de France sur le champ de bataille.
conquis le Milanais. Mais entre les deux, le seul
pays où il est vraiment chez lui est la Comté
de Bourgogne. Ailleurs, en Lorraine, en
Savoie, qui ont leurs ducs particuliers son
autorité est plus nominale que réelle. L’empire
est une dignité, non pas un État. C’est pourquoi il n’est rien qu’il ne fera pour s’assurer la
fidélité et le cœur des Francs-Comtois. Il
choisit chez eux son secrétaire d’État, Jean
Carondelet. Il y recrute les dignitaires de sa
cour. C’est un juriste comtois, Jean Lallemand de Boudans, qui rédige les articles du
traité de Madrid, si lourd pour la France. Un
autre comtois, Laurent de Gorrevod est un des
négociateurs de la paix des Dames (1529).
Simon Renard, de Vesoul, négocie le mariage de Philippe II avec Marie Tudor, une union
qui fut la cause originelle du désastre de l’Invincible Armada. Nicolas Perrenot, petit-fils
d’un maréchal-ferrant, conseiller à Dole, est
le grand chancelier de Flandre. Il est ensuite
de toutes les grandes négociations entre les
couronnes de France et d’Angleterre. Il éloigne
la ville épiscopale de Besançon de la tentation
helvétique et la rapproche de l’Empire. Il n’est
donc pas insolite que François Ier ait été fait prisonnier, à Pavie, par un comtois, le capitaine
Grospain, après qu’un autre comtois, Louis
Méret, l’avait réduit à merci, en tuant son
cheval sous lui. Il y a dans le respect des libertés des Comtois et les faveurs dont ils sont l’objet de la part de l’empereur, un relent de géopolitique avant la lettre. C’est sans doute Vauban qui, le premier en France, vit l’intérêt
qu’il y avait à ce que les possessions du roi son
maître soient le seul tenant. On lui attribue le
mot du « pré carré ». Il semble bien que
Charles Quint avait une nette conscience de
cet intérêt quand il cherchait à s’assurer la
fidélité des Comtois autrement que par la
crainte du bourreau. Il suffit de jeter un regard
sur ses possessions en dehors de l’Espagne,
20
Polémique
pour voir que la Franche-Comté en est le
centre, on a dit la « plaque tournante » de l’empire chrétien universel qu’il rêvait de fonder.
Il avait annexé le Milanais, en 1535, à l’héritage des Habsbourgs, pour être maître de la
route de Gênes-Bruges, exception faite des
cantons suisses, qui n’avaient au demeurant,
aucun intérêt à faire barrage. Jalonnée par
Milan, Domo d’Ossola, Sion, Vevey, Lausanne et Yverdon, elle franchissait le Jura à
Jougne, gagnait Quingey, Besançon, Fondremand, Vesoul, Vaucouleurs (qui était de France), Saint-Mihiel et Verdun (qui relevaient
du duc de Lorraine) en terre d’Empire. Pour
la rendre sûre, Charles Quint en confia la
police à une armée, recrutée sur place, de
10 500 fantassins et 1 500 cavaliers, bien
appuyés sur une douzaine de forteresses, dont
Pontarlier, Dole, Gray, Champlitte, que son
sujet génois Precipiano, remit en état.
Une organisation décentralisée
Fils du chancelier d’Empire Nicolas Perrenot
de Granvelle, Antoine naît à Besançon
en 1517. Très tôt initié aux affaires
de l’Etat par son père, il étudie à Dole,
Padoue, Paris et Louvain. En 1540,
il devient évêque d’Arras et participe
au concile de Trente. Charles Quint le fait
entrer en son conseil. A l’avènement de
Philippe II, il représente le roi à Bruxelles
auprès de Marguerite de Parme. Il a aussi
préparé la victoire de Lépante et conduit
de nombreuses négociations diplomatiques.
Il meurt à Besançon en 1586.
Sous Charles Quint, Philippe II, et ses successeurs, l’Espagne n’était pas l’État centralisateur et niveleur qu’elle est devenue avec
l’avènement des Bourbons au trône, en 1700,
et plus particulièrement sous Ferdinand VII
qui établit, en 1813, un absolutisme tyrannique d’importation. « Les Espagnes, dit Elias
de Tejada, furent une monarchie fédérative et
missionnaire, diversifiée et catholique, formée par un ensemble de peuples dotés de
toutes sortes de particularités, raciales, linguistiques, politiques, juridiques et culturelles, mais vraiment tous unis par deux liens
(qu’on croyait alors) indestructibles : la foi au
même Dieu et la fidélité au même roi. Ceci est
tellement vrai que deux faits apparaissent avec
une aveuglante luminosité à qui s’adonne à
l’étude de notre âge d’or : d’abord la monarchie était si diversifiée qu’elle variait jusque
dans les titres, puisqu’il n’y avait pas de roi
d’Espagne, mais un roi de Castille et un roi de
Naples, un duc de Milan ou de Brabant, un
Polémique
21
Tableau d’Antonio Arias peint en 1639 et conservé au musée du Prado de Madrid, représentant
Charles Quint et Philippe II. Héritiers d’une conception fortement féodale du monde,
ils règnent sur des peuples de langues et de cultures différentes. A la différence de la monarchie
française, ils conservent une gestion décentralisée de leurs domaines, laissant une grande liberté
d’action aux autorités locales comme le parlement de Dole.
seigneur de Biscaye ou de Candi, un marquis de Finale ou d’Oristan, un comte de
Barcelone ou de Franche-Comté de Bourgogne. En second lieu, les Espagnes garantissaient à chacune de ces formations politiques,
l’autonomie et la liberté, autonomie et liberté perdues par ces peuples de la Sardaigne à
l’Artois ou des Flandres à la Sicile, quand la
force des armes – et jamais la volonté des
peuples – les fit sortir de la confédération des
Espagnes. Face à la bouffonnerie d’une historiographie faite de mimétisme et de lâcheté, je défie qui que ce soit de nier que les
Espagnes furent la liberté en tout genre de vie
(dans l’optique du temps, évidemment) et
que l’Europe absolutiste qui nous supplanta
au XVIIIe siècle fut la tyrannie avilissante. »
Avec l’annexion par Louis XI du duché
(Dijon) et sa réduction à un état « pré-départemental », désormais et pour toujours la
Franche-Comté équivala à Bourgogne. L’hôpital bourguignon de Saint-Claude, à Rome,
est une fondation de l’émigration comtoise ;
les deux peintres ayant porté le nom de Courtois, des Comtois, sont appelés « Bourguignons » par antonomase. Les héritiers de ce
grand nom avaient tellement la conviction
qu’il représentait une grandiose virtualité qu’ils
veillaient à ce qu’il fut scrupuleusement transmis et conservé. Marguerite, dans un codicille
à son testament, qu’elle ajouta sur son lit de
mort, recommande au jeune Charles Ier de
travailler « pour non-abolir le nom de la maison de Bourgogne » et de le transmettre à ses
22
Polémique
Henri IV représentait tout ce que les Comtois détestaient. Non seulement il avait ravagé
leur pays, mais il avait fait preuve à leurs yeux d’un insupportable relativisme religieux.
Son assassinat en 1610 fut accueilli par des manifestations de joie dans la Comté.
successeurs. On ne retrouve une telle intensité
mystique attachée au nom d’un pays qu’à
l’autre extrémité du royaume de France, en
Bretagne. Avec cette différence qu’en Bourgogne, il s’agissait moins d’une conscience
ethnique que d’un projet politique de grande
envergure qui conserva sa potentialité tant
que l’histoire fut celle des rivalités dynastiques : l’idée de faire renaître une Lotharingie, entre la France et l’Allemagne, et les dominant toutes deux.
A cet égard, la Comté était une positionclef, que renforçait la nette conscience qu’elle avait de son rôle historique, de même que
le traité de neutralité qu’avait signé François
Ier. Henri IV l’avait renouvelé pour trente ans,
en 1609, peut-être pour effacer le souvenir de
son coup de main manqué de 1595. Cette
année-là, l’effet de surprise avait joué. Ses
soudards s’étaient répandus sur le pays, tuant,
pillant, dévastant, brûlant. Lons-le-Saunier
avait accepté de capituler, à condition que la
ville soit épargnée et ses libertés respectées. Le
roi donne sa parole, entre dans la ville et la livre
au pillage et à l’incendie. La même scène
d’horreur se répète à Vesoul. D'où le dicton
comtois :
Il n’est pas François de nature
Qui ne trompe quand il assure.
Les Francs-comtois haïssaient Henri IV, qui
incarnait à leurs yeux les qualités qu’ils attribuaient aux Français : « la vilenie déloyale, la
machiavélique justification des moyens pour
arriver à ses fins, le mépris de l’éthique du chevalier chrétien, la préférence donnée aux avantages politiques sur l’idéal religieux, le fait
d’acheter Paris par une messe sacrilège. »
L’assassinat du roi par Ravaillac, en 1610,
fut salué avec joie dans la Comté. On trinquait
publiquement en l’honneur du régicide et on
allait même jusqu’à obliger les Français présents à s’associer aux vivats.
Polémique
23
Ce qui hérisse particulièrement les Comdole bourguignon, mort en 1650, ancien prétois, c’est le protestantisme. Alors que l’hérésident du parlement de Dole, était aussi
sie prolifère en France, eux restent fidèles à leur
célèbre par son honnêteté que par l’universacomte-roi très catholique. Le trait de l’union
lité de sa culture. Il était écrivain, juriste et
des Espagnes était une fidélité de fer à l’égliarchitecte de talent. Ses œuvres révèlent une
se romaine en même temps qu’à la monarchie.
forte influence italienne et espagnole. Il avait
Leur exemple a mis en évidence que ce n’est
pour le système de gouvernement que reprépas nécessairement la langue qui fait la natiosentait le royaume de France, une haine inexnalité, mais à la volonté politique. Celle-ci, à
tinguible, faite d’un mélange de réprobation,
son tour, donne ses
de rancune de mépris et
orientations à la cultud’aversion naturelle. De
re. En dépit d’une
lui est la phrase : « La
langue commune, la
Franche-Comté de
vie
intellectuelle
Bourgogne n’a rien de
n’obéissait pas en
commun avec la France
Franche-Comté aux
que le langage. »
mêmes courants qu’en
Louis Gollut fut le
France. Si le pays avait
héraut de la nationalité
son université à Dole,
comtoise, son doctrique Charles Quint
naire si l’on peut dire. Il
avait richement dotée,
composa, vers 1580, un
il envoyait beaucoup
énorme ouvrage, pour
d’étudiants à Louvain,
démontrer que les
à Ferrare ou à Bologne,
Séquanes, qui peuaucun à Paris. A une
plaient son pays avant
époque où l’enseignela conquête romaine,
ment était dispensé en
n’avaient rien de comlatin, la langue « vulmun avec les Gaulois,
gaire » importait peu à Le parlementaire Jean Boyvin fut une des dont la descendance
ceux qui voulaient
avait donné les Français.
grandes figures de la résistance doloise
acquérir le savoir. Paris, à l’invasion française. Son exemple galvanise Les Burgondes, qui
contrairement à une
l’avaient occupé par la
à la fois la population et la garnison
idée que les Français se
suite étaient aussi en
qui parviennent en 1636 à rejeter tous
font de son prestige
tous points distincts des
les assauts ennemis.
universel, ne manquait
Francs, qui avaient
en rien, culturellement, à la nation francdonné leur nom à la nation voisine. Il donne
comtoise. Elle fournit à l’Europe plusieurs de
ses preuves à l’appui. Les héros antiques,
ses plus hauts esprits. Parmi eux, dans les arts,
dénommés Congolitan, Anacroeste ou
une pléiade d’architectes et d’artistes, tel le
Comontoyre, sont différents des chefs gaulois,
génial Hughes Sabin. Dans les lettres, elle a ses
de même que la Bourgogne fut gouvernée
propres créateurs, tels le dramaturge Pierre
par les successeurs de Gundesol ou GundioMathieu, ou ses remarquables érudits, tels
ch et non par ceux de Faramond, l’ancêtre de
Johannès Metellus, dont la collection de
Clovis. Les argumentations les plus hardies se
manuscrits anciens est une des plus précieuses
développaient librement à l’époque où la
de l’Escurial. Jean Boyvin, ce Pic de la Miranlégende tenait la place de l’histoire.
24
Au mépris de la convention de neutralité
de 1595 et de la paix de Vervins de 1598,
Louis de Condé envahit la Comté en 1636
et commence une guerre abominable dont
la population civile paiera le prix du sang.
Gollut écrit peu après que Philippe II eut
promulgué ses ordonnances, qui favorisent
l’ascension de la bourgeoisie, en accroissant les
pouvoirs du Parlement de Dole au détriment
de ceux des gouvernements militaires et de la
noblesse en général, deux siècles avant la révolution française. Son patriotisme espagnol
l’aveugle au point de ne pas discerner le changement progressif et profond qui se produit
dans les relations de son pays avec « l’Hespagne ». La Comté continue à vivre en esprit
dans la légende dorée de son idylle avec
Charles Quint. En fait, elle vit, travaille et
souffre pour les besoins de la politique espagnole aux Pays-Bas, dont administrativement
elle dépend au plus haut niveau. « Elle est une
route où passent les troupes à destination de
par deçà ; un réservoir d’hommes propres à
combattre les rebelles flamands ; un coffre à
deniers, bien maigrement rempli, mais qu’en
cas d’urgence on vide sans merci. »(Lucien
Polémique
Febvre) Les levées de troupes se succèdent, en
1567, 1573, 1577, 1578. L’argent, lui aussi
quitte le pays. Les comptes de Benoit Charreton, conservés à Lille, montrent que de
1579 à 1589, une vingtaine de mille francs
sont sortis chaque année de la Comté à destination des Pays-Bas, la plongeant dans une
grave crise financière.
Et pourtant le patriotisme espagnol des
Comtois ne faiblit pas un instant. En 1652,
paraît à Besançon un poème de quatre-vingtdix-sept quatrains, qui célèbre les exploits des
régiments levés en Franche-Comté, pour aller
mater la rébellion des Catalans. L’auteur,
Nicolas Bourrelier, ne parle pas par oui-dire :
il en était. Au siège de Barcelone, c’était encore la France, par Catalans interposés, que les
Comtois avaient la joie de combattre.
Ils avaient de bonnes raisons de la craindre
et de ne point l’aimer. La guerre de Trente ans,
avec ses enchevêtrements, lui avait donné des
prétextes d’intervention, dans une vision globale et permanente d’extension du domaine
royal. A plusieurs reprises, de 1635 à 1644, les
Français envahirent la Franche-Comté. Les
historiens locaux en font un tout qu’ils nomment « la guerre de Dix ans ».
Tandis que Turenne était chargé des PaysBas, Condé passait la Saône avec 28 000
hommes. Les Comtois immédiatement mobilisent les légions de bailliage et ferment leurs
places fortes. Un homme hardi, jurassien de
Longchaumois, le capitaine Prost, dit Lacuzon,
imagine une tactique militaire inspirée par
les conditions locales, la guérilla, près de deux
siècles avant que les Espagnols crurent avoir
inventé la formule pour combattre Napoléon . Ce héros populaire devint bien vite et
pour des siècles le symbole de la résistance.
Les Français ont choisi de s’imposer par la
terreur. Ils incendient le monastère bénédiction de Mont-Roland, profanent la statue
miraculeuse de la Vierge, investissent Dole
(29 mai 1636). Des parlementaires de renom
animent la défense. Après un bombardement
Polémique
pour faire brèche , les assaillants montent à l’assaut. Ils sont repoussés. La scène se répète.
Quand les Français sont repoussés, les Dolois
font monter fifres et tambours au clocher
pour leur jouer une pavane. Les femmes abattent des murs et en charrient les pierres afin
de boucher les brèches. Le blocus, les bombes,
la peste ne peuvent venir à bout de l’héroïsme de jeunes gens, des femmes et des vétérans.
Après trois mois d’épuisants efforts, Condé
apprend que 13 000 Impériaux arrivent. Il
décampe.
Au cours des années suivantes, la Comté
est envahie du nord-ouest par Bernard de
Saxe-Weimar, du nord-est par Grancey, du
sud-ouest par Longueville. Richelieu avait
recruté tous les ennemis potentiels de l’Espagne : les princes réformés d’Allemagne, les
bandes suédoises ou suisses sans foi ni loi,
qu’il suffisait d’appâter en leur promettant
de leur laisser la bride sur le cou. En 1638,
Longueville se saisit de Lons, de Clairvaux et
d’Orgelet. En 1639, Weimar enlève Nozeroy
et Saint-Claude. La Comté ne pouvait s’opposer à ces professionnels que le courage de ses
milices, appuyés sur le réseau des places fortes.
Exaspérés par la résistance des forteresses
et harcelés par les guérillas, les Français, quand
ils prennent une ville, se vengent par une
orgie d’atrocités. L’Histoire des Capucins de
Franche-Comté en donne une description
insoutenable. Weimar allumait des brasiers
et jetait les habitants dedans. Il faisait murer
les grottes pleines de réfugiés et planter du
gazon et des arbustes devant. Richelieu avait
fait faucher le blé vert en Artois, un moyen
d’action devenu traditionnel dans les armées
du roi. On mangeait de l’herbe, on ramassait
les rats crevés pour les faire cuire. Un soldat
qu’on avait amputé d’une main, la garda pour
la manger. Des mères, folles de faim, dévorant
leur nouveaux-nés, morts dans leurs bras. Par
représailles, Lacuzon pille la Bresse, sans pour
autant soulager son pays des exactions qui
l’immolent. Quingey et soixante-dix châteaux
25
Fils de Philippe II, le roi Philippe III
sera bien en peine de conserver l’héritage
paternel. Face à l’irrésistible ascension
de la puissance française, les ressources
espagnoles ne peuvent pas suivre.
brûlent. Douze mille têtes de bétail crèvent en
1636, engendrant famine et dépeuplement.
Cent cinquante agglomérations du bailliage
d’Amont se vident. Les friches gagnent. Les
taillis, les futaies se consument, les salines
s’éteignent. Les habitants se cachent pour
26
Polémique
Le 26 mai 1674, Louis XIV arrive devant Dole. Soumise à un bombardement intense, la ville
capitule le 6 juin au matin. La garnison de Besançon avant capitulé quelques jours plus tôt.
échapper à la pendaison, à la crucifixion, au
bûcher, à l’enfouissement vivant. Bourgeois
pillés, femmes violées font amende honorable, adressent des supplications à la Vierge
ou prennent la route de l’exil, vers la Suisse,
la Savoie, le Milanais. Rien qu’à Rome, les
réfugiés sont 12 000. Quand les Français s’en
vont, en 1644, ils laissent un pays blessé à
mort.
La faiblesse du roi d’Espagne, Charles II,
qui succéda à Philippe IV, fournit à Louis
XIV l’occasion d’une revanche sur les échecs
de 1479, 1595 et 1636-1644. Cette fois l’intention d’en finir est évidente. Le roi, pour éviter que son action soit contestée, se justifie juridiquement. Il fait publier, en 1667, par le
conseiller royal Aubery, un livre, parmi
d’autres, intitulé Des Iustes prétentions du Roy
sur l’Empire. L’auteur développe deux arguments. D’abord, la couronne espagnole n’a pas
payé les 500000 écus d’or de la dot de l’infante
Marie-Thérèse, devenue reine de France en
1660. Il lui faut des gages. En second lieu, on
devait appliquer à la succession de Philippe II
la « coutume inviolable » appelée Droit de
dévolution, commune à la Flandre, au Hainaut, au Cambresis comme aux contés et
duché de Bourgogne. Cette ancienne coutume voulait qu’au décès d’un des conjoints
propriétaires d’un fief, les fils qui seraient nés
de leur mariage en deviendraient les héritiers.
Il est évident qu’appliquer arbitrairement les
règles en vigueur dans le droit féodal, d’essence
privée, à un pays étranger, possédant ses institutions nationales, était pour le moins abusif.
Louis XIV publia son « traité » et le fit parvenir à Madrid, le 8 mai 1667, sous forme
d’ultimatum, en annonçant qu’il allait incontinent occuper militairement le territoire
franc-comtois. Quoiqu’informé de première
main de l’hostilité de ses habitants envers lui
et de leur résolution de défendre leur liberté
les armes à la main, il déclarait n’agir ainsi que
pour « assurer la paix des vassaux qui lui
seront fidèles. »
Polémique
27
A ces allégations du prince, Aubery ajouse regimbait, est enfermée dans le couvent le
tait que la Franche-comtois revint à la Franplus obscur de Dijon.
ce en tant que dépendance de l’Empire, vu que
En entrant dans la Comté à la tête de son
l’Empire était le patrimoine des monarques
armée, le roi lance une proclamation rassurante
français. D’ailleurs, continue le trop zélé
mais ferme. Il promet de lui conserver le régirédacteur, la couronne française et non l’imme de liberté dont elle jouissait sous la coupériale l’emporte, en vérité, sur l’empereur
ronne espagnole. Le pays, qui ne s’est pas
en trois points : l’ancienneté, la plénitude de
encore relevé de ses dévastations, est incala souveraineté sur ses
pable d’offrir une résissujets et la puissance
tance sérieuse aux
militaire. C’était l’artroupes royales. Des
gument Quia nominor
proclamations sont plaleo. Le droit du plus
cardées qui enjoignent
fort, affirmé avec un
au peuple de regarder le
tranquille cynisme et
roi de France comme
qui permettait de douleur seul souverain, à
ter de la valeur que
peine d’être considéré
l’auteur lui-même
comme rebelle.
accordait à son arguUn meunier qui
mentation précédente.
répare sa digue, dit à
Le juriste François
deux soldats, en plaide Lisola, né à Salins,
santant, qu’il le fait pour
fait au roi une réponse
faciliter le passage aux
terrible, niant que la
Allemands. Dénoncé, il
Dévolution soit une
est présenté au gouvercoutume de Bourneur et raconte sans
gogne et démontrant
façon l’anecdote. « Eh
minutieusement la
bien, dit celui-ci, tu
mauvaise foi de l’agresseras pendu en plaisanseur, qui fait passer la
tant ! »
Louvois eut à faire face à la résistance
raison d’État avant la
La conquête va bon
populaire contre l’invasion.
religion et le droit, qui
train. Le 7 février,
foule aux pieds les traités portant son sceau,
Luxembourg entre à Salins, le 8, Besançon et
opprime les peuples sans pitié, fait alliance hier
occupé. Ses forts capitulent le 13. Le château
avec les infidèles, aujourd’hui avec les héréd’Arguel est détruit. Dole se rend et ses habitiques contre les défenseurs de la chrétienté.
tants, consternés, regardent passer le roi Soleil
Il termine en souhaitant qu’une révolution
sur un cheval piaffant. Les villes capitulent. La
populaire balaie la tyrannie des Bourbons.
promenade de 1668, accomplie en trois
Lisola , devenu français malgré lui, devait
semaines, ne rappelle pas la farouche résistance
payer cher son crime anticipé de lèse-majesde 1636. Le contexte international – la faité. Louvois, sur la demande du roi, ordonne
blesse de la régence espagnole – et les divisions
de l’assassiner discrètement. Le malheureux
internes l’ont favorisée. Mais, sous la preséchappe à une embuscade et s’enfuit. Ne pousion des puissances, la France est obligée de resvant plus l’atteindre, Louis le Grand s’en prit
tituer la province conquise à l’Espagne par le
à sa famille, qu’il met sur le pavé. La nièce qui
traité d’Aix-la-Chapelle. De dépit, Louis XIV
28
voulut, avant de partir, détruire les installations
des salines. Il n’y parvint pas.
Le gouvernement de Madrid, mal informé sans doute, imputa la facilité de la conquête de 1668 à la mollesse de la population à
défendre les droits de son souverain légitime.
Les trois gouverneurs qui se succèdent en
trois ans rivalisent de maladresse et s’aliènent
les bourgeois par des taxes excessives, peut-être
justifiées par la nécessité de relever les ruines.
Besançon a l’humiliation de voir sa citadelle
occupée par des Espagnols et des Allemands.
Dole doit payer 100 000 écus pour récupérer
son parlement. Les campagnes en revanche,
qui ont le plus souffert des exactions, restent
attachées à l’Espagne.
La résistance populaire
Chassé, en 1673, des Provinces-Unies de Hollande, Louis XIV, pris à partie aux Pays-Bas par
les Espagnols et bientôt par une coalition
européenne, décide d’attaquer le « ventre
mou » de son adversaire. En janvier 1674, les
troupes royales prennent possession de Vesoul,
Gray et Lure. Montbéliard, situé en FrancheComté, mais appartenant au Wurtemberg,
est occupé. Lons est enlevé sans peine. Arbois
et Salins résistent. Les habitants d’Arcey sont
barricadés dans les maisons et dans l’église,
auxquelles est mis le feu. Ils meurent carbonisés ; La relation des faits est publiée la même
année à Besançon. Au mois de mai, sur les
murailles d’Arbois, les femmes repoussent les
assaillants, saluant chaque coup de canon du
cri de « Vive l’Espagne ! » Les «loups des
bois » harcelèrent les conquérants en desperados. D’Apremont, dans une lettre à Louvois,
du 4 juillet, les appelle « canailles ». Pour le duc
d’Enghien, ce sont des « coquins ».
Faucogney écrivit, le 4 juillet 1674, la
dernière page de l’héroïsme d’un peuple qui
a retrouvé son unanimité pour défendre sa
liberté. Ses femmes font feu derrière les grilles
ou les parapets, au milieu des cadavres de
Polémique
leurs pères ou maris. Le général français, marquis de Resnel, fit passer au fil de l’épée tous
les habitants qui avaient échappé à l’incendie
général de la ville.
Louis XIV s’était engagé à Aix-la-Chapelle à respecter les franchises de la Comté.
Une fois maître du pays « il jugea puéril de se
comporter en bon et loyal comte palatin de
Bourgogne. « L’administration, arrachée aux
Comtois, passa entièrement aux mains des
intendants délégués directement de Paris. Les
seuls pouvoirs laissés au Parlement furent
d’ordre judiciaire. La première mesure prise par
Louvois, à Besançon, jusque-là ville libre, est
d’obliger les habitants à rechercher et mettre
en tas les 20 000 boulets tombés sur la ville,
à verser immédiatement une contribution de
guerre de 50 000 livres et à organiser des élections communales, dont étaient exclus ceux
qu’on nommait les « Espagnols », tel Chaudiot, le neveu de Lisola. Aux magistrats qui lui
présentent des plaintes, en 1676, le gouverneur
leur dit « d’aller se faire foutre ».
La conquête française est reconnue par
le traité de Nimègue, en 1678, où le roi s’engage une fois de plus à respecter les libertés et
institutions de la Franche-Comté. En violation
flagrante des engagements pris , les lois françaises sont mises en vigueur par les ordonnances, criminelle en 1679, civile en 1684,
agricoles en 1694. A Versailles, la cour a la
conscience tranquille. La ville de Paris, l’année même de la conquête, menée à bien en six
mois, avait fait élever l’arc de triomphe de la
Porte Saint-Martin, sur lequel on lisait Sequanis bis fractis et victis, les « Séquanes » ce sont
les Franc-Comtois « deux fois abattus et vaincus ».
Après 1674, le peuple franc-comtois restera pendant plus d’un siècle fidèle à luimême. Il a troqué sa jovialité naturelle pour
la tristesse et la gravité. Il gardera la barbe et
la dague espagnole. Il continuera à se faire
enterrer la face contre terre, pour ne pas
« voir » l’ennemi marcher sur sa tombe. Il
Polémique
29
Ci-dessus : Besançon au XVIIIe siècle. Après l’annexion, la Franche-Comté disparut de la carte
de l’Europe. Le petit État à l’autonomie préservée par ses souverains sera remplacé
par une province comme les autres, soumise à l’arbitraire absolutiste.
dira toujours, quand il traverse la Saône : « je
vais en France ».
Pour faire régner l’ordre de Louis XIV,
on pend à tour de bras. Jacques Godey, de Villers-sur-Montrond, a déjà la corde au cou.
Avant de mourir il demande un verre de vin
d’Arbois, qu’à la coutume du pays, il vide
d’un trait après avoir crié : « A la santé de Sa
majesté Charles II, notre bon roi ! ». Puis, d’un
coup de pied, il bascule le tabouret.
Les années de la guerre de succession font
renaître les espoirs et les intrigues. Un prêtre,
Claude Michelet est pendu en 1705, un autre
Simon Gonzel meurt à la Bastille. Un capitaine, un chaudronnier, un charpentier,
d’autres encore, montent sur l’échafaud en
1709. La guérilla s’éteint. Les soldats français
commencent à sortir seuls et sans armes.
Le système français s’établit. Les douanes
frontières avec les cantons et l’Empire brisent les réseaux commerciaux, les impôts
dépassent le seuil supportable. L’émigration
s’amplifie. Pour ne pas mourir de faim les
guérilleros s’engagent dans les régiments du
roi. Le parlement a les mains liées, les Etats ne
sont plus réunis. Aux gémissements, la réponse est toujours la même : « Le roi veut être
obéi » ou bien « Inutile, les ministres en ont
ainsi décidé. »
Ce que les Comtois ont le plus redouté se
produit : on s’attaque à leur âme. En 1770, sur
recommandation du cardinal de Besançon, un
homme « éclairé », la chaire universitaire de
théologie est confiée à un athée, « ignorant et
déshonoré » par surcroît. Les professeurs qui
remplacent les Jésuites expulsés ont ordre de
propager le déisme à la mode. Le machiavélisme que les Espagnols et les Comtois de la
Contre-réforme jugeaient « la lèpre du siècle »
constitue l’atmosphère morale du nouveau
régime. Les massacres, la famine, les émigrations massives et successives avaient réduit la
30
Polémique
population de 450 000 âmes à 150 000. Au
cours du XVIIIe siècle, beaucoup d’émigrés
sont rentrés, des immigrants sont venus occuper les villages désertés, depuis la Savoie et la
Lorraine voisines. La population dépasse
300 000. Mais la joie de vivre n’est pas revenue. Voltaire, dans ses Œuvres Historiques
constate que la liberté a été remplacée par la
tyrannie. « Jamais peuple ne vécut sous une
administration plus douce et ne fut si attaché
à ses souverains. Leur amour pour la maison
d’Autriche s’est conservé pendant deux générations ; mais cet amour était au fond celui de
leur liberté. Enfin, la Franche-Comté était
heureuse .»
La fin de la Comté
La Révolution acheva le travail de la monarchie. Au lieu de restituer des libertés palpables, elle apporta l’utopie de la Liberté abstraite. Elle passa comme un ouragan, dans la
Comté comme partout, en emportant le passé
avec les feuilles mortes. La vielle nation fut
morcelée en trois départements n’ayant d’autre
identité que les accidents géographiques qu’ils
renferment : Jura, Haute-Saône, Doubs. La
communauté de langue fit le reste. Cette fois,
puisque tous les hommes libres sont Français, pourquoi ne le serions-nous pas aussi ?
Pensent les Comtois. Pichegru, d’Arbois,
conquiert la Hollande. Rouget de Lisle, de
Lons, compose la Marseillaise. Moncey sert
Napoléon jusqu’à la fin. C’est alors que meurt
la Franche-Comté de Bourgogne.
Cependant, si l’on juge une nation à l’ampleur des sacrifices que ses fils jusqu’aux plus
humbles, ont consentis pour la défendre,
même quand tout espoir raisonnable de la
sauver était perdu, il faut reconnaître que la
nation franc-comtoise a été une nation au
moins aussi réelle et vigoureuse que la France de 1940.
Anne Le Diascorn
En dépit de trois siècles de présence française,
la tradition populaire comtoise conserve
le souvenir d’un « âge d’or » qu’elle associe
à la figure de l’empereur Charles Quint
(ci-dessus) mais en oubliant très injustement
le roi Philippe II.
Le 29 décembre 1558, le roi Philippe II organise les obsèques de son père à Bruxelles.
Dans le cortège figure un char porteur du vaisseau Victoire illustrant les domaines
de feu l’empereur. Le cinquième drapeau à partir de la proue est celui
de la Franche Comté de Bourgogne.
Pour en savoir plus
Les lecteurs désireux de se faire une idée moins
polémique et plus reposée de l’histoire de la
Comté peuvent consulter les ouvrages ci-dessous et notamment le classique de L. Febvre.
Histoire de la Franche-Comté, Lucien Febvre,
Paris 1912.
Si la Comté m’était contée, J.-L. Clade, Cabédita, Genève 2001.
L'Espagne au XVIe siècle, Joseph Perez, Armand
Colin, Paris 1973 et 1998.
Les Monarchies espagnole et française au temps
de leur affrontement, G. Larguier, J.-P. Dedieu
et J.-P. Le Flem, Presses universitaires de Perpignan, 2001.
Les Inquisitions modernes dans les Pays-Bas
méridionaux, Aline Goosens, éditions de l'université de Bruxelles, Bruxelles 1998.
Philippe II, Ludwig Pfandl, Paris 1942.
Arbol de odio, Philip W. Powell, Iriz de Paz,
Madrid 1991.
Las Claves de la hégémonia española, Enric
Riera Fortiana, Planeta, Barcelona 1991.
La Charge d'audiencier dans les anciens PaysBas, Catherine Henin, éditions de l'université de Bruxelles, Bruxelles 2001.
Felipe de España, Henry Kamen, Siglo Veintiuno, Madrid 1997.
El Cardenal Granvela, Imperio y revolucion
bajo Carlos V y Felipe II, van Durme, Barcelone 1957.
La Franche-Comté hispanique, Elias de Tejeda,
Poligny 1977.
Histoire de Lons-le-Saunier, G. Duhem et
J. Brelot, Paris 1961.
Histoire de Besançon, Claude Fohlen, Paris
1964-1965.
Les Comtois, le pays, l’histoire, l’esprit, Jean
Defrasne, Cabédita, Genève 2002.
Une histoire maltraitée
L’histoire de la Franche-Comté n’est pas un sujet très en vogue parmi
les historiens français. Pour en savoir plus, nous avons interrogé Paul Delsalle,
un chercheur spécialisé dans la période habsbourgeoise de la Comté.
L’histoire de la Comté
est-elle traitée
comme elle le mérite
par l’université?
revue d’histoire, comme
il y en a en Provence, en
Bourgogne, ou ailleurs.
Les historiens
étrangers
Oui, à l’Université l’hiss’intéressent-ils
toire de la Francheà la Comté?
Comté est enseignée,
pour toutes les périodes
historiques, surtout les
Oui, des Belges surtout.
plus anciennes : AntiOn parle souvent de
quité et Moyen Age. Les
Franche-Comté « espaétudiants se familiarignole » mais il serait plus
sent aussi à l’histoire
juste d’évoquer la
comtoise lorsqu’ils élaFranche-Comté « habsborent un « mémoire de
bourgeoise » ; le gouvermaîtrise ». En outre, des
nement était alors à
Paul Delsalle est maître de conférences
cours sont proposés à
Malines puis à Bruxelles,
en histoire moderne à l’université
un large public, bien auet non pas en Espagne.
delà des étudiants, dans
Les archives qui nous
le cadre de l’université ouverte.
intéressent sont à Bruxelles, principalement.
Nous constituons en ce moment un réseau
d’historiens européens sur l’histoire de la
Pourquoi aussi peu d’études sur la Comté
Franche-Comté : les Belges forment le gros du
alors qu’elles fleurissent en Bretagne?
bataillon !
Pourtant l’annexion de la Bretagne
par la France fut à la plus ancienne
et moins sanguinaire.
Peut-on parler de mauvaise conscience
française au sujet de la Comté?
Je ne sais pas. Peut-être parce que le Comtois
est par nature plutôt discret. Des provinces
Je ne pense pas. Je suis même persuadé que les
comme la Bretagne, mais aussi l’Alsace ou la
Français ne connaissent pas la FrancheFlandre, examinent en effet leur passé de
Comté ! Le Jura, oui. Grâce à la géographie.
façon plus approfondie. Je suis frappé aussi par
En outre, pour que les Français aient une
le petit nombre de travaux de première main
mauvaise conscience au sujet de notre prosur l’histoire de la Franche-Comté. Il y a trop
vince, il faudrait qu’ils connaissent son histoire,
d’ouvrages de vulgarisation, qui se répètent et
notamment l’épisode tragique de la Guerre de
se copient, qui colportent sans cesse les mêmes
Dix Ans, avec ses 200 000 morts. Toutefois,
mythes. Je déplore que nous n’ayons pas de
on ne doit pas tous les attribuer aux armées
Polémique
françaises ou suédoises : la peste en
est la principale
responsable.
Les Comtois
d’aujourd’hui
connaissent-ils
leur histoire?
33
Besançon
(le
palais Granvelle à
Bruxelles a été
détruit). Cela dit,
les Granvelle sont
des personnages
qui n’intéressent
plus personne, à
part quelques spécialistes.
Non, pas du tout.
Les étudiants en
Existe-t-il un
histoire,
euxintérêt du grand
La ville de Dole, siège du parlement comtois,
mêmes, ont une
public
gravure de Claude Luc datée de 1553.
très grande ignopour l’histoire
rance du passé de
comtoise?
leur région, du moins au début de leurs
Oui, les ouvrages historiques en témoignent,
études. Ils la découvrent, et avec un réel plaide plus en plus. Le public se presse lors des
sir je crois. Il faut rappeler que l’histoire régioconférences sur l’histoire de la région, du
nale n’est jamais enseignée dans le secondaimoins celui qui a un certain âge, qui cherche
re, ce qui me paraît scandaleux. On a enseià s’instruire, qui « veut rattraper le temps
gné « Nos ancêtres les Gaulois aux Africains »
perdu ». Le public jeune est davantage présent
mais on continue à enseigner François Ier au
sur les chantiers archéologiques, ce qui me
semble bon signe.
lieu de Charles Quint aux Comtois d’aujourd’hui !
Quels sont les deux ou trois
titres d’ouvrages récents
Peut-on dire que la Comté a cessé d’être
que vous recommandez?
un sujet d’histoire après l’annexion?
Non, je ne pense pas. La Franche-Comté a
toujours intéressé les historiens, depuis Cousin (ami d’Erasme) et Gollut. Il est vrai que le
« siècle des Lumière » n’a pas laissé d’œuvre de
premier plan. A la fin du XIXe siècle, Lucien
Febvre a consacré sa thèse à la Franche-Comté
sous Philippe II, très discutable d’ailleurs, très
polémique.
Les noms de grands Comtois comme
les Granvelle ou Boyvin ont-ils survécu
dans la mémoire collective?
Plus personne ne connaît Boyvin ! Granvelle,
oui, à Besançon et à Ornans, surtout. Le
palais Granvelle est un monument célèbre à
Pour compléter la liste de titres que vous
publiez par ailleurs (voir à la page 31), je vous
citerai ceux que j’ai publiés. Vous y trouverez
peu de références bibliographiques dans la
mesure où j’ai surtout exploité des sources
primaires, principalement dans les archives.
La Franche-Comté au temps de Charles Quint,
Paul Delsalle, PuFC (Presses universitaires de
Franche-Comté), Besançon 2001.
La Franche-Comté au temps des Archiducs, Paul
Delsalle, PuFC, Besançon 2002.
La Franche-Comté à la charnière du Moyen
Age et de la Renaissance, Laurence Delobette
et Paul Delsalle, PuFC, Besançon 2004.
Propos recueillis par Balbino Katz
A la fin du XVIIIe siècle, quand les grandes puissances européennes
organisent des expéditions scientifiques d’exploration, le capitaine
Bligh, commandant du navire britannique HMS Bounty, reçoit pour
mission de rapporter des spécimens d’arbres à pain de l’île de Tahiti
pour les acclimater dans les Antilles où ils contribueraient
à la nourriture des esclaves noirs. Au cours du voyage de retour,
une mutinerie éclate à bord du petit voilier. C’est le début d’une des
plus extraordinaires aventures maritimes de l’histoire.
HMS Bounty :
une mutinerie
sans égale
Anne Hoyau
L
A sortie du tout nouvel ouvrage de Caroline Alexander The true story of the
Bounty, est l’occasion de revenir sur la
mutinerie si célèbre de la Bounty qui influença des générations de marins. Quelle rage
poussait donc ces hommes à la sédition, à
l’abandon de tout puisqu’au retour dans la
mère patrie la pendaison les attendait ?
La Bounty, une histoire
vraie parmi beaucoup d’autres
Comme ses nombreux prédécesseurs, Caroline Alexander prétend révéler des faits inédits
dans son récit de la très célèbre aventure de la
mutinerie de la Bounty. Cette révolte oppose
un capitaine, William Bligh, connu pour son
36
Les mutins de la Bounty
respect au pied de la lettre des lois de la Maritant et une carte. Bligh, abandonné au milieu
ne, sans souplesse aucune, ni ménagement
de l’océan Pacifique, voué à la mort, rallie
pour ses hommes, à un jeune lieutenant, Fletmiraculeusement Timor (3) et parcourt ainsi
cher Christian, issu de la petite noblesse, que
8 334 km. Ses dons de navigateur hors pair le
le cinéma hollywoodien a représenté cheveux
mènent ensuite en Nouvelle Hollande et de là
déliés au vent, col de
il rejoint, avec un équichemise ouvert, tompage réduit, l’Angleterbant sous le charme des
re à bord d’un East
femmes tahitiennes, le
Indiaman (4). Il s’ensuit
genre même du héros
un jugement en cour
de la nouvelle ère
martiale qui innocente
romantique qui débute
le capitaine Bligh de la
à cette période. Bligh
perte de la Bounty. Une
et Christian, sont pourexpédition punitive est
tant des amis de longue
chargée de ramener les
date. Bligh fait personmutins en Angleterre
nellement la demande à
pour les juger. Le capil’amirauté pour embartaine Curtis à bord de la
quer F. Christian à ses
Pandora récupère une
côtés durant cette expéquinzaine de marins
dition botanique (1).
mais ne peut mettre la
De son côté, F. Chrismain sur Fletcher
tian est heureux de
Christian et ses plus
naviguer aux côtés de
fidèles compagnons. La
cet homme qu’il admiPandora fait naufrage
re. Pourtant les deux
sur le voyage de retour
hommes vont en arriavant la Nouvelle Holver à se détester. Fletlande. Quelques pricher Christian prend le Une réplique de la Bounty a été construite sonniers mis aux fers ne
commandement de la
parviennent pas à se
aux Etats-Unis et navigue régulièrement
Bounty et oblige le
dégager et meurent
pour les besoins de l’industrie
capitaine Bligh et une cinématographique. On voit ici le navire
noyés. Après plusieurs
vingtaine d’hommes
mois, une nouvelle cour
en cale sèche pour une remise en état
dévoués à quitter la
martiale juge les rescade la coque.
Bounty et à embarquer
pés. Durant ce temps
sur la grande chaloupe gréée en cotre (2). Il lui
Bligh repart pour une seconde expédition
donne des vivres pour quelques jours, un sexrécolter les arbres à pain de Tahiti et n’est pas
présent au rendu du jugement. Le lecteur
assiste alors au procès dans ses moindres
1. Chargée de récolter des arbres à pain à Tahidétails.
ti et de les réimplanter en Indes Orientales et plus
particulièrement en Jamaïque pour nourrir les
esclaves des planteurs de canne à sucre.
2. Petit bâtiment à un mât, une grand voile et un
foc, qui servait d’annexe à la Bounty pour les
expéditions à terre.
3. Ile de la Sonde, à l’est de Flores.
4. Navire de la compagnie hollandaise VOC,
cf. bibliographie.
Les mutins de la Bounty
37
Caroline Alexander développe la saga de
écrites depuis le XIXe siècle. L’historien louela Bounty jusqu’au décès du capitaine Bligh
ra néanmoins le souci du détail et l’examen
devenu vice-amiral après avoir été gouverscrupuleux des témoignages de toutes les parneur de la Nouvelle Galles du Sud en Australie.
ties prenantes à la révolte. L’auteur, trame
Elle décrit scrupuleusement, dans les
minutieusement la toile d’une intrigue qui,
moindres détails, la fin
jusqu’à la fin de l’oude vie de chacun des
vrage, nous tient dans
protagonistes, voire de
l’expectative d’une granleurs descendants,
de nouvelle. Mais le lecnotamment ceux de F.
teur tombe de haut en
Christian. Elle mène
arrivant aux dernières
ainsi sa propre enquête
pages. Aucune explicaà travers les archives,
tion plausible nouvelle
évoque le présumé
n’est proposée par l’auretour de F. Christian
teur.
en Espagne et en
La vie de ces
Angleterre, caché par
hommes est décrite avec
son frère, décrit la réabeaucoup de détails,
lité de la vie à Pitcairn
citant les poèmes de la
(5). Elle s’appuie sur les
petite sœur de Peter
différents récits de vie
Heywood, les révoltés
écrits par William
graciés par le roi, ou les
Bligh (6), John Adams,
récits de la mort des
James Morrison durant
mutins, des femmes de
le voyage et au retour.
mutin, de leurs enfants,
Indépendamment
des oncles et tantes, des
de la peinture très préamis de la famille ou des
cise des rouages de la
amiraux. Mais en matièsociété anglaise des Le cinéma est un grand vecteur de culture re de nouveauté concerXVIIIe et XIXe siècles
nant les causes de la
populaire. Les historiens peuvent
mutinerie et le caractèréhabiliter tant qu’ils voudront
et des descriptions de
re des protagonistes
la personnalité du capitaine Bligh,
la vie quotidienne à
William Bligh et Fletil demeure à jamais dans l’esprit public
bord d’un navire armé
cher Christian, rien à
l’officier détestable incarné par le grand
pour une expédition
l’horizon, si ce n’est une
acteur Charles Laughton. A l’inverse,
botanique, C. Alexancorrection à la baisse de
Christian Fletcher sera le jeune officier
der n’apporte rien de
la « cruauté » du capiromantique et juste porté à l’écran
véritablement neuf à la
taine Bligh. Il est perçu
par le séduisant Clark Gable.
connaissance de cette
comme un marin inapaffaire. Son œuvre n’est
te au commandement plutôt qu’une brute
qu’une version qui s’ajoute à tant d’autres
cruelle et rancunière.
5. Ile choisie par F. Christian pour s’installer. Elle
ne figurait pas sur les cartes de l’époque et assurait ainsi une retraite en toute sécurité. Christian
la connaissait d’un voyage précédent.
6. Deux livres de bord, l’officiel et le personnel,
les deux ayant été publiés, comme celui de
J. Morrison.
38
Les mutins de la Bounty
La réplique de la Bounty a réduit sa voilure pour atterrir dans un port de Floride. Trop petit,
ce bâtiment de commerce reconverti était mal adapté aux missions d’exploration scientifique.
L’étude de Caroline Alexander, menée
avec beaucoup de rigueur dans la lecture des
archives et un souhait d’exactitude louable, ne
raconte pas moins l’histoire de la Bounty que
l’on connaît tous. Certes nous sommes un
peu déçus, quand on s’attend à découvrir
enfin les véritables raisons de la mutinerie,
celles cachées depuis deux siècles et que l’on
croit découvrir Fletcher Christian, le jeune et
beau lieutenant rebelle romantique, enfin
innocenté, reconnu et soutenu par ses pairs
face à un commandement jugé inadmissible
et condamnable. Mais c’était rêver… et
oublier que la polémique des causes de la
révolte restera certainement ouverte aussi
longtemps que des hommes auront des opinions différentes sur les attitudes à adopter par
rapport à la religion, la société, la sexualité.
Néanmoins, l’histoire de la Bounty conserve le label de la mutinerie la plus célèbre. Elle
tient lieu de référence à la fin du XVIIIe siècle,
période de révolte et de révolution et sert la
cause des récriminations des marins au service de sa majesté, George IV roi d’Angleterre.
Elle donne naissance ainsi à la grande révolte généralisée de la marine britannique en
1797, révolte que Nelson avait dans un premier temps soutenue.
La mutinerie de la Bounty donne
naissance à une révolte généralisée
Tous les hommes embarqués à bord des
navires de sa majesté durant le XIXe siècle
connaissent l’histoire de Fletcher Christian,
victime d’un capitaine tyrannique, maltraité
Les mutins de la Bounty
jusqu’à l’exil forcé. L’avènement du romantisme ne fait qu’amplifier le rêve d’une quête
de la liberté individuelle que tous envient à travers le choix des révoltés de la Bounty : vivre
sur un paradis terrestre nommé Tahiti. Cette
nouvelle ère établit la célébration des plaisirs
de la vie comme un nouveau code de conduite où l’autorité est moins honorable que la célébration des passions. Fletcher Christian est
perçu comme l’annonciateur de la libération
du matelot. Il s’est révolté contre la soumission imposée par la loi et les officiers. Il a su
briser ses chaînes et devenir le héros romantique (7) par excellence.
Bligh impliqué
dans une deuxième mutinerie
Après son second voyage botanique pour la
récolte des arbres à pain à bord de la Providence, le capitaine Bligh s’embarque en 1797
pour la bataille de Kamperduin (8) sur le
Director, un navire de ligne de 64 canons et
quelque 500 hommes d’équipage. Il essuie
alors une seconde mutinerie pour laquelle à
nouveau il n’est pas jugé responsable. Cette
mutinerie dite du mouillage de Nore, à l’embouchure de la Tamise, s’inscrit dans une série
de troubles et de révoltes qui ravagent la flotte de guerre britannique. Il s’agit en réalité plus
d’un refus de travailler des matelots que d’une
véritable mutinerie. Cet événement s’inspire
d’un cas similaire qui se déroulait peu de
temps auparavant à Spithead où les révoltés
revendiquaient pour la première fois des droits
laissés pour compte depuis 1653. Ils souhaitaient que l’on revoie leurs salaires, la qualité
7. Largement évoqué dans la poésie britannique
par lord Byron, et W. Wordsworth.
8. Durant cette période, la Hollande soutient
Napoléon contre les Anglais. Bligh et l’équipage du Director engagent trois navires hollandais
dont ils seront vainqueurs. Bligh félicité termine sa carrière avec le grade de vice-amiral.
39
et la quantité de leur nourriture, jugées insuffisantes, et que l’on s’occupe correctement
des malades et des blessés. En refusant de
lever l’ancre jusqu’à ce que leurs demandes
soient prises en compte, les marins ont paralysé toute la flotte de la Manche sous le commandement de l’amiral Duncan. Richard
Howe, premier lord de l’amirauté, pariant
sur la confiance et le respect que les marins lui
portent, a négocié adroitement avec les
mutins, acceptant la plupart de leurs
demandes et garantissant leur pardon (9).
Les revendications des insurgés du
mouillage de la Nore concernaient un second
niveau des réclamations. Elles portaient sur la
redistribution des prises de mer, les relâches à
terre et la cruauté des termes de certains
articles du code de la guerre. Fait révélateur,
les révoltés demandèrent également que certains officiers impopulaires soient démis de
leurs fonctions et évacués du navire. Pour
attester de leur sérieux les insurgés ont
péremptoirement envoyé vers le rivage un
flot d’officiers désavoués, lieutenants, aspirants et maîtres, avec des degrés de disgrâce
variables. Les plus touchés par cet événement
furent les capitaines qui faisaient partie des
juges de la cour martiale des révoltés de la
Bounty. Le sergent du Montagu, sous le commandement du capitaine John Knight a été
goudronné et emplumé; John Colpoy premier
lieutenant à peine échappé, fut pendu ; plusieurs aspirants burent la tasse. William Bligh
n’était pas parmi ces présumés coupables.
La mutinerie a finalement été étouffée
par un usage limité de la force et par la menace d’un usage plus grand. Parmi les concessions
que lord Howe avait accordées aux marins
du Director figurait le mouvement des officiers
mal aimés, une liste d’une centaine de noms
parmi lesquels ne figurait pas celui de Bligh.
9. C. Alexander, p. 584
40
Les mutins de la Bounty
Après un voyage de plusieurs mois, la Bounty arrive en vue de l’île de Moorea dont la montagne
la plus haute, le Tohivea, culmine à 1 207 m. A quelques milles à peine se trouve
l’île principale de Tahiti dont le somment le plus haut atteint 2 237 m.
Mutineries en chaîne
Contemporaine à la sédition de Nore la rébellion de la baie de Branty (décembre 1801) est,
elle aussi, née du vent de révolte qui souffle sur
la flotte britannique depuis les événements survenus à bord de la Bounty. Elle touche deux
navires de la flotte du vice-amiral Mitchell, le
Temeraire et le Formidable, puis quatre jusqu’à
ce que « le contre-amiral Campbell parvienne à s’imposer aux mutins en se jetant au
milieu d’eux » (10). Ces marins refusaient de
partir pour les Indes Occidentales. L’insurrection est maîtrisée, les officiers ont ordre de
ne pas découcher de leur bâtiment. Quinze
individus seront mis aux fers puis jugés. Parmi
eux, treize seront condamnés à mort. Les sur10. Annuaire 1789-1815,
1815.com/mutin_branty. htm
www.1789-
vivants « s’excuseront d’avoir osé préférer leur
plaisir et leurs intérêts personnels à ce que
les autorités jugeaient nécessaire pour le bien
public ».
Ces tentatives d’insurrection générale font
pourtant preuve d’exception dans l’histoire
maritime européenne. Comment cela est-il
possible quand les raisons de se révolter étaient
si nombreuses ?
Des mutinerie souvent justifiées par les
dures conditions de vie à bord
Les prétextes à la mutinerie sont aussi divers
que variés. Il semblerait même que parfois
aucun grief n’en soit à l’origine. Ainsi, Fletcher
Christian se disait être depuis une semaine « en
enfer » sans pouvoir en dire plus.
Rien d’étonnant en effet à ce que les équipages des navires se mutinent. La vie en mer
Les mutins de la Bounty
41
est une activité ingrate et souvent mal rémuQuelques grandes mutineries
nérée qui éloigne les marins de leur famille
qui ont marqué l’histoire maritime
pour de longs mois. Aux intempéries s’ajoutent les conditions de guerre. Pour autant
L’équipage de la Santa Maria, commandée
elles n’éclatent pas que sur les navires de guerpar Christophe Colomb, tente en 1492 un
re, mais également au milieu des pêcheurs et,
début de mutinerie. Effrayés par la durée du
surtout, des équipages corsaires. L’espace
voyage vers des terres inconnues et peut-être
réduit et humide de la coque d’un navire
inexistantes, les matelots veulent rebrousser
impose la promiscuité aux hommes et le
chemin. Pour calmer les esprits, Colomb prorationnement des vivres et objets personnels.
pose un marché à son équipage : s’il n’y a pas
Pour peu qu’un abus
de terre en vue d’ici trois
de pouvoir ne vienne
ou quatre jours, ils vires’ajouter à cet
ront de bord pour rentrer
ensemble, les esprits
en Espagne. Son intuition
s’échauffent et la
de marin lui porte chanrévolte, parfois justice. Au bout de trois jours
fiée, éclate. La désode navigation, ils atteibéissance, sous la
gnent le Salvador puis
forme de la désertion
Cuba et Haïti. Croyant
ou de la sédition,
être à Cipangu aux Indes,
peut germer d’une
Colomb devient un
profonde solitude,
découvreur de terres noud’un appel du sol
velles sans le savoir.
natal, d’une soif L’arbre à pain s’est acclimaté avec un grand
Henry Hudson, chard’aventure, parfois
gé par les marchands de
succès dans les Antilles où il contribue
d’une vexation, souLondres de trouver un
à assurer la subsistance des populations
vent d’un quotidien
passage direct vers la
les plus pauvres.
répétitif et pénible.
Chine par les mers arcLe rationnement de l’eau, remplacée par le vin
tiques à bord de la Demi-Lune découvre en
ou le contraire, les rations de rhum, données
1611, non pas le passage recherché, mais l’imen récompense ou pour garder le bon moral
mense baie canadienne qui portera bientôt son
des troupes, suffisent à exciter les esprits belnom.
liqueux. Un meneur prend la tête et la violence
Durant tout l’hiver, il longe ses rives est.
contenue se déchaîne. Les mauvais traiteMais las de ces solitudes glacées, les membres
ments, infligés par un commandement exide l’équipage se rebellent, embarquent de
geant, ajoutés au reste, réveillent des sentiforce Hudson et son jeune fils dans un canot
ments de vengeance. Les difficultés de raviqu’ils abandonnent au milieu des glaces. Maltaillement et la mauvaise conservation des
gré les recherches, plus personne n’entendit
aliments entraînent une déficience alimenjamais parler d’eux. Les survivants furent jugés
taire et un dégoût pour la mauvaise chair.
à leur retour par la justice anglaise.
Les raisons qui peuvent pousser à la désoEn 1684, le voyageur et grand explorateur
béissance sont aussi nombreuses qu’il y a d’inRobert Cavelier de la Salle, arme quatre
dividus. Quelques grandes mutinerie marnavires dans le port de La Rochelle le Joly, l’Aiquent l’histoire maritime mais restent pourmable, la Belle et le Saint-François pour une
tant des exceptions.
expédition au golfe du Mexique. Il part
42
Les mutins de la Bounty
exhausser le souhait de Louis XIV : coloniser
la flotte de la mer Noire. Matiouchenko excila riche vallée du Mississipi.
te facilement ses camarades à la révolte. Le ton
Lors d’une exploration à terre, à la
monte. Entraîné par le meneur, l’équipage se
recherche de vivres frais, Cavelier de la Salle,
mutine et le cuirassé tombe aux mains des
accompagné de son frère, de son fils, du chirévoltés.
rurgien du bord et
Après de nomd’hommes de confianbreuses péripéties, une
ce, est assassiné. Un de
longue errance sur la
ses hommes, bien
mer Noire et malgré les
déterminé a ne plus
objurgations
de
exécuter les ordres de
Matiouchenko,
le
son commandant, lui
Potemkine se dirige vers
tire à bout portant une
le port roumain de
balle en plein front. Les
Constantza où les insurmanières hautaines et
gés obtiennent l’asile
la dureté du commanpolitique. Deux ans plus
dement de Cavelier de
tard, le tsar Nicolas II
la Salle furent la cause
promet une amnistie
de sa perte.
aux révolutionnaires de
Le 27 juin 1905,
1905. Les mutins,
mutinerie à bord du
méfiants, préfèrent rescuirassé russe Potemkiter en Roumanie… à
ne. La marine du tsar
l’exception de cinq
Nicolas II est en crise
d’entre eux qui font le
depuis la défaite un
choix de rentrer en Rusmois plus tôt contre la
sie. Parmi eux, MatiouL’arrivée des grands navires européens
flotte japonaise. Sur constituait un événement majeur dans la vie chenko. Il est reconnu à
terre, dans tout le pays,
la frontière, arrêté et
des petites communautés insulaires.
se multiplient grèves et De toutes parts les Polynésiens venaient voir pendu. Ses quatre comrébellions depuis la
pagnons sont envoyés
ces étrangers et tenter d’entrer
révolte sanglante du
en Sibérie.
en contact avec eux.
« dimanche rouge » du
22 janvier 1905 à Saint-Pétersbourg. Les offiMutinerie à bord du Foch
ciers du Potemkine ont peine à maintenir
ou l’art des fausses nouvelles
l’ordre parmi les matelots. En guise de ravitaillement les marins découvrent une viande
La mutinerie d’un équipage embarqué est
puante et truffée d’asticots. C’est l’indignation.
devenue rarissime grâce à l’amélioration des
Le médecin du bord, le docteur Smirnov, exaconditions de vie à bord de navires de guermine la viande. Il prétend sentencieusement
re. Mais, cette rébellion contre l’autorité a
que la viande est « comestible » sous réserve
conservé dans l’opinion publique toute son
d’être simplement lavée avec du vinaigre !
aura romantique. Le sachant, certains auteurs
Dans l’équipage, Afatasy Matiouchenko,
en mal de copie n’hésitent pas à recourir à de
militant révolutionnaire du parti social-démofausses mutineries pour susciter l’alarme du
crate, reçoit de son parti la consigne de prépublic. C’est ainsi que le publiciste Thierry
parer les marins à une insurrection générale de
Meyssan a tenté d’ameuter l’opinion en décla-
Les mutins de la Bounty
rant le 12 septembre 1999 que l’équipage du
porte-avions Foch s’était insurgé au large de la
Yougoslavie, au milieu des forces de l’Otan.
Cette rumeur est immédiatement démentie et l’opération fait long feu. Quelques mois
plus tard, l’hebdomadaire Paris-Match tire les
leçons de cette affaire en titrant le 11 avril
2002 : « Thierry Meyssan : l’effroyable imposteur ». François Labrouillère écrit « Cet agitateur n’en est pas à son coup d’essai dans la
propagande d’informations fausses. Le 12
septembre 1999, dans un éditorial du réseau
Voltaire qu’il dirige, Meyssan se faisait l’écho
d’une rumeur dévastatrice (sic) selon laquelle
une mutinerie aurait eu lieu sur le porte-avions
Foch, alors au large de la Yougoslavie avec les
forces de l’Otan (…) En parler, c’est jouer son
jeu, affirment certains, ils ont raison. A moins
que cela ne soit pour clore le débat. C’est ce
que nous faisons en apportant point par point,
la preuve que Thierry Meyssan n’est même pas
un piètre enquêteur, puisqu’il n’a pas enquêté du tout » (11).
En guise de conclusion
Il est nécessaire dans les sciences historiques
de reprendre les sources, de les confronter
aux découvertes récentes, de les tester et d’en
extraire des pistes inexplorées. C’était la tâche
que s’était fixée Caroline Alexander dans son
ouvrage The True Story of the Bounty. Toutes
les pistes de la mutinerie ont été scrupuleusement examinée par l’œil inquisiteur de l’auteur. Et cependant, rien qui ne révolutionne
la saga de la Bounty. Et quand bien même en
apportant la preuve de fais nouveaux aurionsnous été pour autant des lecteurs comblés ?
Comme l’auteur le dit elle-même, il y a des
combats perdus d’avance car le rêve est plus
fort que la réalité. Bligh n’avait pas compris
qu’il était en train de mener un combat contre
le plus formidable et inhabituel ennemi qu’il
11. http://www.parismatch.com/
43
aurait pu rencontrer sur mer, la puissance
d’une opinion publique gagnée par le sentimentalisme (12). Déjà en 1800 la population soutenait la cause du jeune Fletcher, parfait héros romantique, contre le cruel Bligh.
C. Alexander apporte finalement la confirmation que nous pouvons continuer de croire à la victoire de la liberté sur l’asservissement.
La réalité de l’Histoire ne fait ici qu’une avec
la légende héroïque, cas extrêmement rare.
Cette histoire vraie, passée pour ainsi dire
dans le monde des contes et légendes au
même titre que Simbad le marin, Corto Maltèse ou Jack Sparrow (13), crée désormais du
rêve. Alors il est bon que Caroline Alexander
nous permette encore de rêver.
Pour en savoir plus
Ouvrages contemporains à l’événement de la
Bounty
Voyage à la mer du Sud, entrepris, par ordre de
S. M. Britannique, pour introduire aux Indes
occidentales l’arbre à pain et d’autres plantes
utiles, avec une relation de la révolte à bord de
son vaisseau, etc., Bligh, William, n-8˚, 372 p.,
pl. et cartes, Garnery, Paris 1792.
Relation de l’enlèvement du navire le Bounty,
Bligh, William, Paris 1790.
Relation de l’enlèvement du navire le Bounty,
appartenant au roi d’Angleterre, et commandé
par le lieutenant Guillaume Bligh, avec le voyage subséquent de cet officier... depuis les îles des
Amis dans la mer du sud, jusqu’à Timor, Bligh,
William, Firmin Didot, Paris 1790.
12. The Bounty, The true story of the Bounty, C.
Alexander, p.534 : « While Bligh had defended
himself in crisp, logical naval fashion, he failedvto comprehend that he was doing battle
with a force more formidable and unassailable
than any enemy he would meet at sea – the
power of a good story ».
13. Pirates des Carïbes, ou la malédiction du Black
Pearl, film de Gore Verbinski, avec Johny Depp,
2003.
44
Les mutins de la Bounty
L’île de Pitcairn
où trouvèrent refuge les mutins
de la Bounty. En avril 2003,
un cinquième de la population mâle
de l’île a été inculpée d’abus sexuels à mineurs.
Return to Tahiti : Bligh’s second breadfruit voyage, Bligh, William, édition éditée par Douglas
Oliver, University of Hawaii press, Honolulu 1988
Les Révoltés de la Bounty, Verne, J., Paris entre
1871 et 1882.
The Borderers, Wordsworth, W., 1795 (tragédie).
Ouvrages spécialisés récents
The True Story of the Bounty, Caroline Alexander, 491 p., ill., cartes, biblio., 27,95 USD,
Viking Press, 2003.
La vergue et les fers, mutins et déserteurs dans la
marine de l’ancienne France, Cabantous, A.,
Paris 1984.
Hollandia compendium, a contribution to the
history, archeoloy, classification and lexicography
of a 150 ft. Dutch East Indiaman (1740-1750),
Gawronski, J.- Kist, B.- Stokvis-van Boetzelaer, O., Amsterdam, Oxford, New York,
Tokyo, 1992.
L’histoire vraie des mutins de la Bounty, Kirchner, Y., Gallimard, 1988.
Marine royale, corsaires et trafic dans l’Atlantique de Louis XIV à Louis XVI, Patrick Villiers.
Filmographie
Mutiny of the Bouty (« Mutinerie sur la Bounty »), 1916 ; acteurs : G. Cross (W. Bligh), D.
L. Dalziel (J. Banks), W. Power (F. Christian)
In the wake of the Bounty (« Dans le sillage de
la Bounty »), 1933 ; acteurs : E. Flyn, J. Warwick ; producteur : C. Chauvel.
Mutiny on the Bounty (« Mutinerie sur la
Bounty »), 1935 ; acteurs : C. Gable, C.
Laughton ; producteur : F. Loyd.
Mutiny on the Bounty (« Mutinerie sur la
Bounty »), 1962 ; acteurs : M. Brando,
T. Howard, R. Harris ; producteur : L. Milestone.
The Bounty, 1984, acteurs : Mel Gibson,
Anthony Hopkins, L. Olivier; producteur : R.
Donaldson.
Les mutins de la Bounty
45
L’itinéraire d’un jeune
archéologue sous-marin
Anne Hoyau est un jeune archéologue sous-marin qui poursuit des études d’histoire.
L’historiographie de la révolte de la Bounty est
tout à fait intéressante, d’autant que je la
connaissais par le biais de deux des films réalisés sur le sujet. Les descriptions de la vie à
bord (les périodes de repos, la danse, le grand
lavage pendant les accalmies), sont autant de
détails qui rendent la vie des matelots plus réelle, plus proche et de ce fait mieux connue,
mieux comprise. C’est cette dimension palpable offerte par mon métier, l’archéologie
sous-marine, qui est passionnante. La comparaison avec notre quotidien nous aide à
découvrir, dans le cas présent, la vie des gens
de mer des XVIIe et XVIIIe siècles.
Cursus d’un jeune archéologue
Après le bac je m’oriente vers un cursus d’histoire de l’art à Lille III. A la fin du Deug, ma
préférence allait aux périodes anciennes, art
grec, art romain et art égyptien, je décide
donc de faire une licence d’archéologie et histoire de l’art. Je découvre la plongée sousmarine durant cette année de licence lors d’un
46
baptême à Saint-Jean-Cap-Ferrat. L’idée me
vient d’associer mes deux passions : l’eau et l’archéologie. L’année de maîtrise concrétise ce
choix. Je travaille sur les épaves méditerranéennes du IIIe siècle av. J.-C. au IIIe siècle
après J.-C avec les conseils de P. Pomey, de
l’université d’Aix-en-Provence et sous la direction de J. De La Genière, professeur à Lille III.
C’est là que les difficultés commencent.
C’est paradoxal d’essayer d’étudier cette
spécialisation, réservée au bassin méditerranéen, dans le Nord. Pourtant, c’est ce que je
souhaite. La pratique régulière de la plongée
en club dans les carrières du Nord et de la Belgique me permet de participer à des chantiers
archéologiques sous-marins en Méditerranée
sous la direction de L. Long, conservateur du
patrimoine au Drassm (1).
En DEA, toujours fidèle au Nord, je me
tourne vers les historiens qui me semblent
plus sensibles aux choses de la mer. S. Lebecq,
professeur à Lille III, dirige mon travail sur le
commerce maritime en Méditerranée au
début du Moyen Age. J’intègre une équipe
d’archéologues qui travaillent sur l’Atlantique,
M. L’Hour et E. Veyrat (conservateur et ingénieur d’études, Drassm). Mes attaches avec la
Méditerranée et l’Atlantique sont très fortes
mais je souhaite que le patrimoine de la
Manche et de la mer du Nord puisse être
découvert et mis en valeur.
Je rencontre, à la fin de l’année 2003,
Patrick Villiers, professeur d’histoire maritime
à l’université du Littoral et directeur du Laboratoire de recherche d’histoire de l’Atlantique
et du littoral (CRHAEL, Boulogne-sur-mer),
pour définir un projet de doctorat d’histoire.
Je travaille, sous sa direction, depuis le mois
de décembre dernier sur une thèse sur l’artillerie des navires de commerce et des corsaires
sous Louis XIV et Louis XVI.
1. Département des recherches archéologiques
subaquatiques et sous-marines, fort Saint-Jean,
Marseille.
Les mutins de la Bounty
En tant que chercheur la survie est délicate. Il n’existe pour ainsi dire pas de bourse
de financement et les sponsors se font rares
dans le domaine de la conservation du patrimoine. La famille devient bien souvent le
sponsor exclusif si les petits boulots manquent.
Mon rattachement à la côte d’Opale me
donnera, je l’espère, l’opportunité de travailler
sur le patrimoine archéologique sous-marin de
cette région.
L’archéologie et l’histoire, deux alliées
L’archéologie et l’histoire sont en effet deux
domaines différents dans la grande famille
historique. L’archéologie, notamment dans le
cas de la spécificité sous-marine, est une science de l’objet, tandis que l’histoire est principalement une science des textes anciens, pour
la période qui me concerne, du XVIe au
XVIIIe siècle. Si l’archéologie est une science
palpable, l’histoire est plus abstraite. Il est
toujours plus facile de connaître un objet, ou
un ensemble d’objet, sa fabrication, le contexte dans lequel il a été découvert lorsqu’il est
sous nos yeux et que l’on a participé à sa
découverte, que lorsqu’il est décrit ou dessiné
sur du papier. La théorie que je souhaite
défendre c’est celle de l’interaction de ces
deux disciplines. Elles se complètent, l’une palliant aux manques de l’autre et inversement.
La rareté des études archéologiques sousmarines, liée au manque de budget et à la
méconnaissance de cette science, n’offre pas
toujours l’observation en série des vestiges.
L’archéologue ne traite en fouille programmée
que les cas particuliers et rares. Il est obligé de
faire un choix, soumis, d’une part, au facteur
urgence, urgence de libération de la zone
d’étude avant chantier, urgence de l’intervention en raison du mauvais état de conservation des vestiges voués à disparaître et,
d’autre part, un choix soumis au niveau du
degrés d’intérêt scientifique du site car, finan-
Les mutins de la Bounty
cièrement, tous ne peuvent être étudiés. Dans
ces conditions l’histoire prend ensuite le relais
par la lecture des listes d’inventaire, ou des rôles
d’équipage par exemple, que renferment les
rayonnages des archives.
Ces deux disciplines sont indéniablement
complémentaires et les clivages qui perdurent entre l’histoire et l’archéologie nuisent à
la connaissance. Les métiers sont différents, les
cursus sont différents, les savoirs également et
c’est cela, à mon sens, qui fait la richesse de leur
union pour la construction du puzzle de l’histoire.
Le métier d’archéologue
sous-marin, rêve et passion
Le métier de l’archéologue sous-marin est un
métier pluridisciplinaire qui réunit les fonctions de plongeur, de dessinateur, de photographe, de restaurateur (premiers soins de
survie des objets exondés), de marin, de mécanicien, d’animateur (dans le cadre de l’accueil du public) et de chercheur. Un métier où
le corps et l’esprit sont sollicités au même
niveau.
C’est avant tout une passion difficile à
exercer du fait du peu d’importance qu’on
lui accorde. La création de postes est extrêmement rare, un tous les dix ans. Une vingtaine de personne vivent à l’heure actuelle de
ce métier à l’année. Elles ont la responsabilités du patrimoine sous-marin, subaquatique
et sub-lacustre de tout le territoire français
DOM et TOM compris. Ce rapport correspond tout à fait approximativement, dans
l’état actuel de nos connaissances, car l’inventaire de nos côtes est loin d’être achevé, à
un millier d’épaves pour un archéologue.
Malgré ces difficultés mon plus grand
souhait est de pouvoir continuer et partager
l’histoire du patrimoine maritime avec un
public de plus en plus intéressé.
Contact : [email protected]
47
Pour se distraire avec la Bounty
Les éditions Phébus ont publié une série de
romans qui ont pour thème la révolte de la
Bounty. Publié dans les années qui ont précédé la Seconde Guerre mondiale, ils ont contribué à renouveler la fiction d’aventures.
Les Révoltés de la Bounty, C. Nordhoff, J.N.
Hall, Phébus Libretto, n°104, 10,50 e.
Dix-neuf hommes contre la mer, C. Nordhoff,
J.N. Hall, Phébus Libretto, n°105, 8,90 e.
Pitcairn, C. Nordhoff, J.N. Hall, Phébus
Libretto, n°106, 10,50 e.
Sur le thème plus général de la mutinerie à
bord des navires de guerre :
Mutinerie à bord, Alexander Kent, Phébus
Libretto, n°108, 10,50 e. Au cœur du Pacifique, le jeune commandant Bolitho doit maîtriser un équipage où la colère gronde. Un
grand classique des aventures de mer à l’anglaise destiné à glorifier la Royal Navy.
Pourquoi
la nation cherokee
s’est-il alliée
aux États confédérés?
Le grand public ne connaît de la guerre
de Sécession que les clichés
simplificateurs diffusés par les films
hollywoodiens où il est de bon ton
de stigmatiser les Sudistes à la fois
racistes et esclavagistes.
En réalité, l’esclavage et le sort
des Noirs n’ont pas été un facteur
déterminant dans le déclenchement
du conflit. A titre de preuve,
la présence de Noirs dans les rangs
des combattants confédérés et, surtout,
le ralliement à la cause du Sud
de grandes nations indiennes comme
celle des Cherokees.
Le général cherokee Stand
Watie, fier descendant
des guerriers chasseurs
des Grandes Plaines.
Leonard M. Scruggs
B
ont entendu parler de la
valeur des guerriers cherokees qui ont
servi, durant la guerre de Sécession de
1861 à 1865, sous les ordres du brigadiergénéral Stand Watie à l’Ouest et dans la
célèbre Légion de Caroline du Nord de
Thomas à l’Est. Mais pourquoi les Cherokees et leurs frères Creeks, Séminoles, Choctaws et Chickasaws ont-ils décidé de faire
cause commune avec les Confédérés du Sud
contre l’Union du Nord ? Il est très instructif de connaître leurs raisons, car elles
nous éclairent sur les véritables questions qui
ont sous-tendu cette guerre tragique. La
plupart des Américains ont été davantage
endoctrinés qu’informés sur les causes de ce
conflit, car il ne s’agissait que de justifier a
posteriori les actions des vainqueurs. En
considérant le point de vue des Cherokees,
on découvre une bonne partie de la vérité
que des décennies de propagande « politiquement correcte » ont enterrée et, par là,
on obtient une image beaucoup plus exacte de la réalité.
Le 21 août 1861, à Tahlequah (Oklahoma), la nation cherokee déclare, par une
convention générale, faire cause commune
EAUCOUP
50
Les Indiens confédérés
avec les États confédérés
guère étonnant que, le 28
contre l’Union nordiste. Un
octobre 1861, le Conseil
traité est conclu le 7 octobre
national rendit publique une
entre les États confédérés et les
« Déclaration du peuple de la
Cherokees et, le 9 octobre,
nation cherokee sur les causes
John Ross, le grand chef de ces
qui les ont forcées à unir leur
derniers, convoque une sesdestinée à celle des États confésion du Comité national (1) et
dérés d’Amérique » (Declaradu Conseil national (2) chetion by the People of the Cherorokees (Cherokee National
kee Nation of the Causes Which
Committee et le National
Have Impelled them to Unite
Council) pour approuver et
Their Fortunes With Those of
entériner ce traité et les John Ross, le grand chef des the Confederate States of Ameactions futures.
Cherokees, signe un traité rica).
Dans un premier temps,
Les mots introductifs de
d’alliance avec les États
les Cherokees s’étaient mon- confédérés en octobre 1861. cette déclaration ressemblent
trés terriblement consternés
fortement à ceux de la déclapar le conflit survenu entre le Sud et le
ration d’indépendance de 1776 :
Nord et ils avaient préféré rester neutres. S’ils
« Quand les circonstances devenant
entretenaient beaucoup d’échanges et d’inincontrôlables contraignent un peuple à
térêts en commun avec leurs voisins conférompre les liens qui existaient depuis longdérés, ils avaient signé les traités avec le
temps entre lui et un autre État ou Confégouvernement des États-Unis.
dération, à contracter de nouvelles alliances
Mais l’attitude du Nord – leur conduiet à établir de nouvelles relations pour la
te de la guerre contre le Sud, la répression
sécurité de ses droits et de ses libertés, il est
féroce contre tout ce qui n’était pas d’accord
normal qu’il puisse publiquement exprimer
avec eux, le piétinement éhonté de la constiles raisons qui justifient ses actions. » Dans
tution américaine par le nouveau régime et
les paragraphes suivants, le Conseil cheroles pouvoirs politiques à Washington – les
kee rappelait son adhésion fidèle aux traités
fit bientôt changer d’avis.
signés avec les États-Unis par le passé et sa
Les Cherokees étaient peut-être les
volonté de rester loyalement neutre jusqu’à
mieux éduqués et les plus cultivés de tous les
présent. Mais le septième paragraphe comIndiens d’Amérique. Cette tribu comptait
mençait à esquisser sa crainte d’une agresaussi au nombre des plus christianisées.
sion nordiste et sa sympathie pour le Sud :
L’instruction et la sagesse étaient tenues en
« Mais la Providence gouverne les deshaute estime. Ils vénéraient la déclaration
tinées des nations et les événements, par
d’indépendance et la constitution qu’ils
une nécessité inexorable, annulent les résovoyaient comme des garants majeurs de
lutions humaines. »
leurs droits et de leur liberté. Alors, il n’est
Comparant les objectifs relativement
limités et la nature défensive de la cause
sudiste avec les actions agressives du Nord,
1. Comptant seize membres élus.
ils remarquaient à propos des États confé2. Comptant 24 membres élus. Conseil et Comidérés :
té constituaient l’organe législatif de la nation che« N’ayant aucune intention d’envahir les
rokee. Les membres des deux groupes, élus pour
deux ans, formaient le Conseil général.
États du nord, ils ne cherchent qu’à repous-
Les Indiens confédérés
51
ser les envahisseurs de
violée, les libertés
leur propre sol et à
civiles en péril et toutes
protéger leur droit à
les règles du combat
se gouverner. Ils ne
civilisé et les lois ordiréclament que le prinaires de l’humanité et
vilège, accordé par la
de la décence résoludéclaration d’indément méprisées. Dans
pendance américaine Pour faciliter la christianisation des Indiens, les États qui adhéraient
et sur laquelle le droit
encore à l’Union, un
les missionnaires ont mis au point
des États du nord à un alphabet adapté à la langue cherokee. despotisme militaire a
s’auto-gouverner est
supplanté le pouvoir
lui aussi fondé, de
civil et les lois se sont
modifier leur forme
tues devant les armes.
de gouvernement
La liberté de parole et
quand elle est devenue
quasiment de pensée
intolérable et d’établir
sont devenus un crime.
de nouvelles formes
Le droit d’habeas corpour la protection de
pus, garanti par la
leurs libertés. » Le
constitution, a disparu
paragraphe suivant
sur un simple signe
rappelait que chaque
d’un Secrétaire d’État
État confédéré avait
ou d’un général de
fait sécession en suirang inférieur. Le manvant un processus
dat du président de la
régulier et démocraCour suprême a été
tique. Il n’y avait eu
réduit à néant par le
ni violence ni
pouvoir militaire et cet
contrainte ; nulle part
outrage au droit comles libertés n’avaient
mun fut approuvé par
été entamées et les triun président qui avait
bunaux et autorités
juré de soutenir la
civils ne s’étaient
constitution. La guerre
La grande presse américaine aimait
jamais retrouvés sous
a été engagée sur une
à présenter les institutions de la nation
la coupe des militaires.
grande échelle et d’imcherokee. On voit ici en haut à gauche
L’unité et le succès le Capitole en construction, à droite, le lycée menses corps de
croissants du Sud face
troupes ont été mobides jeunes filles, une maison typique
à l’agression du Nord et un hôpital psychiatrique. Le grand chef lisés en l’absence de
étaient aussi relevés.
toute justification sous
D. Bushyhead, Sequoyah, une femme
Puis le neuvième paraprétexte d’éradiquer
pédagogue et Wilson Hare président
graphe faisait le
des rassemblements
de la chambre basse cherokee.
contraste avec les tenillégaux d’individus. »
dances impitoyables et totalitaires que l’on
Le dixième paragraphe continue en
rencontrait dans le Nord :
condamnant le parti politique au pouvoir
« Mais dans les États du nord, les Chedans le Nord et l’attitude des armées de
rokees s’inquiètent de voir la constitution
l’Union :
52
Les Indiens confédérés
« Les lois de la guerre,
passé de certains États du Sud,
que même les barbares resils ne peuvent faire autrement
pectent, ont été jugées
que sentir que leurs intérêts et
indignes d’être respectées.
leur destin sont inséparableDes mercenaires étrangers,
ment liés à ceux du Sud. La
la lie des villes et les détenus
guerre qui fait maintenant rage
des prisons ont été enrôlés,
est une guerre du Nord cupide
organisés en brigades et
et fanatique contre l’institution
envoyés dans les États du sud
de la servitude africaine, contre
pour aider à soumettre un
la liberté commerciale du Sud et
peuple qui lutte pour sa
contre la liberté politique des
liberté, pour incendier, piller
États. Son but est d’annihiler
et commettre les plus vils
la souveraineté de ces États et de
outrages sur les femmes. Les
changer complètement la natubottes de la tyrannie armée
re du gouvernement. »
William Woods Holden
ont écrasé le Maryland et le est un des hommes qui ont
Les Cherokees sentaient
Missouri et les hommes les contribué à écraser le Sud qu’ils avaient été fidèles et
plus éminents, de par leur après la défaite militaire. loyaux à l’endroit des traités
caractère ou leur position, se
avec les États-Unis, mais mainNommé gouverneur
sont retrouvés incarcérés sans de la Caroline du Nord il fit tenant, ils réalisaient que la relaprocès, sur de simples soup- régner la terreur avec l’aide tion n’était pas réciproque et
çons, dans des prisons, des de la milice nordiste dirigée que leur existence même en tant
forts et sur des navires- par le sanguinaire George que peuple était menacée.
cachots. Même des femmes
Récemment, ils avaient aussi
Kirk. Les Cherokees
ont été emprisonnées sur
été les témoins de l’exploitation
ne seront pas épargnés.
l’ordre arbitraire d’un présides propriétés et des droits des
dent et de son cabinet. Simultanément, la
tribus indiennes au Kansas, dans le Nebraspresse a cessé d’être libre et les publications
ka et en Oregon. Et ils avaient peur d’être
de journaux ont été suspendues, leurs exemles prochaines victimes de la rapacité norplaires saisis et détruits. Les officiers et les
diste. Par conséquent, ils étaient contraints
hommes capturés au combat doivent rester
d’abroger ces traités pour défendre leur
en captivité parce que le gouvernement s’est
peuple, leurs terres et leurs droits. Ils estiopposé à un échange de prisonniers. Ils ont
maient que l’Union leur avait déjà déclaré
même abandonné leurs morts sur plus d’un
la guerre par leurs actions.
champ de bataille qui a vu leur défaite, pour
Finalement, faisant appel à leur droit
que ce soient des mains sudistes qui s’eminaliénable à l’auto-défense et à l’auto-déterploient à les enterrer ou à soigner leurs blesmination en tant que peuple libre, ils
sés.
conclurent leur déclaration par les mots suiLe onzième paragraphe de la déclaration
vants :
cherokee est un résumé assez concis de leurs
« Obéissant aux lois de la prudence et
griefs à l’endroit des pouvoirs politiques
soucieux de la sécurité et du bien-être de la
présidant désormais le nouveau gouvernecollectivité, confiant en la rectitude de leurs
ment des Etats-Unis :
intentions et fidèles à leurs obligations, à
« Quels que soient les motifs qu’ont pu
leurs devoirs et à leur honneur, ils acceptèavoir les Cherokees de se plaindre par le
rent le destin qui leur était imposé, unirent
Les Indiens confédérés
53
La défaite du Sud eut des conséquences graves pour les droits des Cherokees.
Ils tentent de s’opposer aux mesures législatives qui leur sont hostiles. Ici des objections adressées
le 12 janvirer 1878 par la nation Cherokee au sénat américain.
leur destinée maintenant et à jamais avec les
États confédérés et prirent les armes pour la
cause commune. Et avec une entière
confiance en la justice de cette cause et en
la Providence Divine, ils en assumeront
résolument les conséquences. »
Les Cherokees furent fidèles à leur parole. Le dernier coup de feu tiré pendant la
guerre de Sécession à l’est du Mississippi
retentit le 6 mai 1865, lors d’un affrontement à White Sulphur Springs, près de
Waynesville (Caroline du Nord). La
confrontation opposait une partie de la
Légion de Thomas et les tristement célèbres
soudards unionistes de Kirk qui avaient
perpétré une terreur meurtrière et la destruction sur la population civile de l’ouest
de la Caroline du Nord. La Légion du colonel William H. Thomas était à l’origine
principalement cherokee, mais elle avait été
rejointe par un grand nombre de montagnards de Caroline du Nord. Le 23 juin
1865, au cours de ce qui fut le dernier combat de cette guerre, le brigadier-général et
chef cherokee, Stand Watie, se rendit finalement à l’Union avec sa division indienne
de l’Oklahoma (3), à forte majorité cherokee. Pour les Cherokees, les problèmes qui
se posaient étaient les suivants : 1) Légitime
défense contre l’agression nordiste, tant
pour eux-mêmes que pour leurs alliés confédérés, 2) Droit à l’autodétermination pour
un peuple libre, 3) Protection de leur héritage, 4) Préservation de leurs droits politiques dans le cadre d’un gouvernement
constitutionnel légal, 5) Volonté forte de
conserver les principes d’un gouvernement
limité et d’un pouvoir décentralisé, garanti par la constitution, 6) Protection de leurs
droits économiques et de leur bien-être, 7)
Rejet du despotisme des partis et des chefs
qui étaient maintenant aux commande du
gouvernement et condamnation du mépris
impitoyable par l’Union des lois de la guerre communément admises (et notamment
3. Ce que l’on appelait à l’époque l’Oklahoma,
n’était pas stricto sensu l’actuel État (qui ne
deviendra le 46e des Etats-Unis qu’en 1907),
même s’il en épousait les limites, mais les « Territoires indiens », une gigantesque réserve où
étaient parquées de nombreuses tribus.
54
Les Indiens confédérés
La fière nation cherokee ne s’est pas relevée
de la défaite du Sud. Ici, à la fin des années
1940, des visiteurs de la Foire artisanale
indienne observent l’artiste Amanda Crowe
travailler sur une œuvre avec ses étudiants.
Ci-contre : la photographie autographiée
d’une chanteuse cherokee
très populaire dans les années 1920.
le traitement des civils et des non-combattants), 9) Peur d’une exploitation économique par des politiciens corrompus et leurs
partisans (fondée sur l’observation de tristes
précédents), et 10) Crainte quant aux décla-
rations suffisantes, extrémistes, menaçantes
et vindicatives sur la question de l’esclavage, proférées par les abolitionnistes radicaux et soutenues par de nombreux politiciens, journalistes, et leaders civils et religieux
(principalement unitariens) du Nord. Il faut
noter ici que certains cherokees possédaient
des esclaves, mais la pratique n’était pas
répandue.
La déclaration cherokee d’octobre 1861
montre que les questions en jeu lors de la
guerre de Sécession étaient beaucoup plus
complexes que ce que l’on enseigne à la
plupart des Américains. La re-manifestation de certaines vérités ne fait pas toujours
Les Indiens confédérés
55
plaisir. A dire vrai,
les abolitionnistes et les
quelques-unes des quesrépublicains radicaux
tions soulevées ici sont si
furent en mesure de s’imgênantes que la réaction
poser. Une scandaleuse
des universitaires, des
époque d’oppression et
média et même du public
d’exploitation politique et
est en général de vouloir
économique commença,
les ré-enterrer ou de les
dont les effets durèrent de
rejeter violemment sous
très nombreuses années
prétexte qu’elles seraient
sans même être totalement
« politiquement incordissipés aujourd’hui.
rectes ».
Les Cherokees étaient
Dire que la question
et restent un peuple remarde l’esclavage était la seule
quable qui a eu un impact
vraie – voire simplement
sur l’héritage américain qui
la principale – cause de la
dépasse de loin leur imporguerre est une idée très
tance numérique. Nous
politiquement correcte et
pouvons leur être particulargement répandue, mais
lièrement reconnaissants
Leonard M. Scruggs, l’auteur
historiquement elle est de cet article, diplômé de l’université pour avoir produit, en
fausse. Cependant, elle a
1861, cette déclaration
de Georgie (1961) et titulaire
servi de justification a posbien pensée et bien argud’un mastère de l’université
teriori bien pratique de la
mentée expliquant pourde Stanford (1971), préside
guerre et de sa conduite.
quoi ils soutenaient et
le conseil d’administration
L’esclavage était une ques- de l’Oak Mountain Classical School rejoignaient la cause confétion qui se posait, certes,
dérée.
à Birmingham dans l’Alabama
mais elle était liée à bien
et le comité républicain
d’autres, et en aucun cas
de son comté.
Leonard M. Scruggs
elle n’était le seul sujet
sous-tendant la guerre, ni même le plus
Pour en savoir plus
important. Il ne s’agissait même pas d’un
problème au sens où la plupart des gens
History of the Cherokee Indians, Starr,
l’entendent. Seules 25 % des propriétés
Emmett, Warden Company, Oklahoma
sudistes environ possédaient des esclaves.
City 1921 et Kraus Reprint Company, MilPour la plupart des gens, au nord comme au
lwood, New York 1977.
sud, la question que posait l’esclavage n’était
Civil War Letters and Memories from the
pas de savoir s’il fallait ou non l’abolir, mais
Great Smoky Mountains, Davis, Hattie Caldde trouver comment l’abandonner prowell, éditée par l’auteur, Maggie Valley, NC,
gressivement sans provoquer une cassure et
1999.
une catastrophe sociales et économiques.
En langue française, on peut également
Malheureusement la peur des Sudistes et
lire le Blanc Soleil des vaincus, l’épopée sudisdes Cherokees à l’endroit des abolitionte et la guerre de sécession, de l’écrivain
nistes se révéla parfaitement fondée.
Dominique Venner, la Table ronde, Paris
Après la loi sur la Reconstruction
1975, qui évoque anecdotiquement les uni(Reconstruction Act) promulguée en 1867,
tés indiennes dans l’armée confédérée.
Quand le monde perd le nord
il faut retrouver le Sud
Alain Sanders
Il y a longtemps que les Anglo-Saxons en général, et les Américains
en particulier, ne racontent plus la guerre de Sécession comme on continue
de le faire en France. Les prétextes « humanitaires » avancés naguère
par les « gentils » Yankees contre les « méchants » Sudistes, ont définitivement
été battus en brèche par des historiens libérés de la langue de bois
et du politiquement correct.
La guerre de Sécession, comme nous
disons en Europe (les
Nordistes l’appellent
« la guerre Civile », les
Sudistes l’appellent
« la guerre entre les
Etats »), fut très exactement un conflit
entre deux mondes
que tout opposait : le
peuplement, les traditions, la civilisation, le
climat, l’économie,
voire même l’approche religieuse. Il y
a des centaines de
savants ouvrages américains, à commencer
par l’incontournable
The South Was Right Le général James (Jebb) Stuart, un des chefs
de James R. Kennedy
les plus prestigieux de l’armée sudiste.
et Walter D. Kenne- Commandant de la cavalerie sur le front
dy (Pelican Publishing
de Virginie, durant la campagne
Company, Gretna de l’été et de l’automne 1862, il fut avec
2001), pour le dire. Il
« Stonewall » Jackson le principal
n’y en a en France, et
collaborateur du général Lee.
c’est tout à l’honneur
de son auteur, qu’un
seul : le Blanc soleil des
vaincus (La Table
Ronde, 1975) de
Dominique Venner.
En rappelant, dans
un article particulièrement érudit de Leonard M. Scruggs, que
les guerriers cherokees,
mais aussi des Creeks,
des Séminoles, des
Chocktaws, des Chickasaws, firent cause
commune avec les
Confédérés contre les
Unionistes, la revue
Aventures de l’Histoire
apporte sa pierre au
rétablissement
de
décennies de propagande. Et l’on ne saurait trop conseiller, sur
le sujet, l’ouvrage de
Vernon H. Crow,
Storm In The Moun-
Les Indiens confédérés
57
Le gouvernement confédéré : de gauche à droite, assis, Mallory , Benjamin, Davis, Regan,
Toobs ; debout, Walker, Lee, Memminger et Stephens.
tains (MCI Press, 1992) qui raconte l’histoire
de la Thomas’ Confederate Legion, composée de Cherokees et de montagnards originaires notamment de Caroline du Nord et
de l’Est du Tennessee.
C’est pour toutes ces raisons, et d’abord
pour essayer de corriger tous les mensonges
sur les motivations profondes des « gentils
Yankees », que j’ai entrepris la publication
de cinq Who’s Who, faciles d’accès et de lecture. Le premier – déjà paru – s’appelle le
Who’s Who des officiers sudistes.
Un premier ouvrage pour « déblayer » le
terrain et qui, par-delà les figures les plus
connues de la Confédération (Lee, Beauregard, « Stonewall » Jackson, Jefferson Davis,
Nathan Bedford Forrest), fait mémoire de
ces combattants sudistes, hommes et
femmes fidèles, qui ne sont pas battus
« pour l’esclavage » mais pour défendre
leur(s) liberté(s).
Les quatre autres ouvrages, qui paraîtront
aux Editions de Paris (dans la collection
« Le Nouveau Monde »), s’attacheront à
des aspects plus spécifiques de ce conflit. A
commencer par un Who’s Who des officiers
texans sudistes. Bien que considéré encore
comme « un Etat de la frontière » au
moment de la guerre de Sécession, le Texas
a joué un rôle de tout premier plan. Plus de
70 000 Texans servirent dans l’armée entre
1861 et 1865. Et l’écrasante majorité d’entre
eux dans l’armée sudiste.
Nombre de ces combattants, et notamment les officiers, Pierre Gustave Toutant
Beauregard, John Bell Hood, Tom Green,
Albert Sidney Johnston, Ben McCulloch,
Samuel Bell Maxey, ont fait l’objet de volumineuses biographies aux Etats-Unis. Aucune d’entre elles, est-il besoin de le signaler,
n’a jamais été traduite, voire même distribuée, en France.
58
Les Indiens confédérés
Le
troisième
d’installer d’autres
ouvrage de la série
peuples indiens sur les
s’intitulera : le Who’s
terres cherokees, etc.
Who des Indiens dans
Notre quatrième
l’armée sudiste. Parouvrage s’intitulera : le
delà le personnage du
Who’s Who des soldats
général
cherokee
juifs dans l’armée
Stand Watie, d’abord
sudiste. A l’exception
colonel des Cherokees
de Judah P. Benjamin
Mounted Rifle, qui
(1) et de Phoebe Yates
sera l’un des tout derPember (2), confédéniers officiers conférés juifs sur lesquels des
dérés à se rendre (le
livres ont été publiés
23 juin 1865), ils
aux Etats-Unis (à comfurent des centaines à
mencer par le Judah P.
donner leur vie pour la
Benjamin de Pierce
cause sudiste. Des perButler, W.G. Jacobs &
sonnages étonnants.
Co., 1907), le rôle des
Comme Swimmer,
Juifs sudistes dans la
son nom cherokee
guerre entre les Etats
était A Yun Ini, né en
est très largement
1835, mort en 1899,
méconnu.
et décrit comme « le
Aux côtés des
Si la guerre de Sécession est à l’honneur
lien culturel entre les dans la bande dessinée européenne avec la Confédérés, les comCherokees modernes série les Tuniques bleues, aux Etats-Unis munautés juives floriset leurs ancêtres ».
santes
et
déjà
on trouve Captain Confederacy.
La plupart des
anciennes de Charlesofficiers cherokees étaient généralement des
ton, de Richmond et de Savannah, bien
gens éduqués et portaient des noms anglosûr, mais aussi, volontaires pour l’armée,
phones. La majorité des Cherokees avaient
les récents immigrés juifs originaires d’Eudes pseudonymes chrétiens et indiens (ces
rope centrale, d’Allemagne, de Pologne, de
derniers étant souvent traduits en anglais),
Hongrie et de Russie. Ce qui est l’occasion
surtout quand ils étaient des « sang-mêlés »,
de rappeler, loin des clichés habituels encoles « pur-sang » conservant, eux, leur nom
re entretenus de nos jours, que l’armée et le
indien. Ainsi relève-t-on, dans les rangs des
gouvernement confédérés, comme les popuunités indiennes, des Dick Baldridge et des
lations sudistes, étaient totalement étrangers
Jeff Ballow qui côtoient des Black Hawk, des
à tout antisémitisme.
Big Road, des Pa Sooz, des Cha Loo Ky.
Officiers, sous-officiers, simples soldats,
Après la guerre de Sécession, les Checommerçants, hommes d’affaires, politirokees, traités comme une « seule nation »
ciens, marins, docteurs, infirmiers, rabbins,
alors que certains d’entre eux s’étaient batces Juifs, les « Jewish Johnny Rebs » comme
tus côté nordiste, perdirent tous leurs droits :
annuités, protections, cession de leurs terres,
1) Membre du cabinet du président de la Confédroit de pénétration du chemin de fer, étadération, Jefferson Davis.
2) Infirmière-major du Chimorazo Hospital.
blissement de postes militaires, possibilité
Les Indiens confédérés
59
Le journaliste Alain Sanders est
un authentique passionné de la chose
américaine. Son dernier livre rappelle
aux jeunes gens de notre temps le souvenir
des héros de la noble cause du Sud.
on les appelait, furent présents dans toutes
les composantes du conflit. Et on les retrouve aussi bien dans la cavalerie que l’infanterie
et l’artillerie.
Dernier ouvrage de cette « suite sudiste », un Who's Who des Noirs dans l 'armée
sudiste, sans doute le plus utile, et le plus
révélateur, pour « casser » la propagande
caricaturale qui continue d’être de règle
quand on parle du Sud. Ils furent quelque
60 000 dans une armée confédérée estimée
à quelque 600 000 hommes. Ce qui a fait
dire au professeur Leonard Hayes de la Southern University : « Si vous éliminez le rôle
des soldats noirs dans l’armée sudiste, vous
éliminez l’histoire du Sud. »
Ces hommes et ces femmes, ces AfroAméricains comme on dit aujourd’hui, servirent comme soldats, marins, éclaireurs,
estafettes, infirmiers, espions, artisans,
sapeurs, tireurs d’élite, gardes-du-corps, etc.
Alors que les Noirs qui avaient choisi de servir dans les rangs de l’Union, étaient stric-
tement séparés des troupes blanches, les
Black Confederates étaient intégrés dans
les régiments confédérés. Et l’on rappellera
au passage que des nombreux monuments
du Sud sont dédiés aux « African-American
loyal to the Confederacy » alors qu’au Nord
il y en a très peu, sinon aucun, dédiés aux
Noirs ayant servi dans les armées de l’Union.
Dans un monde qui perd le nord, il
n’est pas inutile de retrouver le Sud. Dans
l’esprit de la chanson I’m A Good Old Rebel,
écrite en 1866, et qui disait :
« Oh! Je suis un bon vieux rebelle/Et leur
terre de « liberté » je n’en ai rien à cirer/Je
suis fier d’être contre/J’aurais seulement
voulu que l’on gagne/Et je refuse leur pardon pour tout ce que j’ai fait. »
Alain Sanders
Le Who’sWho des officiers sudistes est disponible chez Alain Sanders, 5 rue d’Amboise,
75002 Paris, au prix de 12 e franco.
Bernardin de Saint-Pierre, fut longtemps
un aventurier impécunieux avant
de submerger le gouvernement
et ses bureaux de demandes
de dédommagements ou de subsides.
Sur le tard, il connut une gloire littéraire
et sociale qui lui conféra non seulement
une relative aisance mais une réelle
reconnaissance sociale.
Le hasard des recherches dans les archives
a permis au professeur Villiers
de découvrir un épisode inconnu de la vie
de cet écrivain, les tribulations policières,
judiciaires et pénales de son frère Joseph
Nicolas de Saint-Pierre Dutailly.
Ci-dessous : le frère de Bernardin
est ramené en France à bord de la frégate
la Concorde (au centre), représentée
ici lors de son combat victorieux contre
la frégate anglaise Minerva (à droite).
Le commandant anglais de la Minerva, en captivité à Saint Domingue, jouera un rôle clef
dans cette affaire en dénonçant Joseph de Saint-Pierre aux autorités françaises.
Redécouvrir
la justice
d’Ancien Régime
Patrick Villiers
La réalité historique dépasse souvent l’imagination des romanciers
ou des scénaristes. Cette réflexion, Etienne Taillemite me l’a souvent faite
lorsqu’il me recevait dans son bureau des Archives nationales.
L’article suivant, qui repose sur un dossier de 107 pièces et 141 folios en est,
me semble-t-il, une illustration. Il va nous permettre également
de voir le fonctionnement de la justice à la veille de la Révolution française
sous un jour peu connu.
L
E 7 mars 1779, au début de la guerre
d’Indépendance américaine, le sieur
Digon, inspecteur de police, reçoit
l’ordre se présenter à l’arsenal de Brest avec
mission de conduire à Paris pour interrogatoire
à la Bastille le sieur Dutailly, ingénieur arpenteur au service des Insurgents, accusé d’espionnage au profit de l’Angleterre. Le 24
mars, Digon remet son prisonnier à M. De
Launay, gouverneur de la Bastille qui en informe aussitôt M. de Sartine. Sartine avait été
lieutenant-général de police mais c’est au titre
de secrétaire d’Etat à la Marine et aux Colonies qu’il se tient informé de cette affaire. En
effet, Dutailly a été arrêté aux colonies, à
Saint-Domingue sur ordre du gouverneur.
Pour la clarté de l’exposé, j’adopterai un plan
volontairement scolaire en examinant successivement les différents aspects de ce dossier.
Une affaire passablement embrouillée
Joseph Nicolas de Saint-Pierre Dutailly naquit
au Havre en 1742, il était de cinq ans le cadet
de son frère Jacques-Henri Bernardin de
Saint-Pierre né également au Havre (1).
Comme l’avait souligné Sainte-Beuve avec
une cruelle ironie, Bernardin est né « d’une
famille qui aurait aimé à descendre d’Eustache de Saint-Pierre », le célèbre bourgeois de
1. Fonds Colonies, dossier E363, précis de l’affaire Dutailly, 21 mai 1779.
62
Une affaire embrouillée
Le gouverneur
de la Bastille sera
une des victimes
emblématique
de la tourbe
révolutionnaire.
Calais. Comme son aîné, Joseph
a vraisemblablement suivi des
études à Rouen et peut-être a-til comme lui, suivi des cours à l’école des Ponts et Chaussées. L’école
ayant été supprimée, Bernardin est
reclassé dans l’école du Génie, obtient
un brevet d’ingénieur et participe en 1760 à
la campagne de Hesse. Suspendu de ses fonctions pour des raisons de discipline, Bernar-
din est envoyé à Malte comme ingénieur,
poste dont il est également rapidement
renvoyé. Après une aventure rocambolesque en Russie, Bernardin est envoyé à
l’île de France comme capitaine ingénieur. Ce début de la carrière de Bernardin est indiscutablement marqué
par l’instabilité et une certaine tendance à la mégalomanie. L’analogie avec celle de Joseph me
semble frappante si l’on se réfère aux pièces de son dossier personnel aux Archives d’outre-mer.
Ce dossier commence par
une lettre adressée à Sartine en
1775 pour une commission de
capitaine d’infanterie dans un régiment de Saint-Domingue.
Dans le rapport rédigé par le service des Colonies, il est noté que le sieur Dutailly « qui se
qualifie de lieutenant réformé des troupes de
Cayenne » [fait cette demande] « en considération de 17 ans de service, un brevet de capitaine d’infanterie qui lui faciliterait un mariage avantageux à Saint-Domingue. […] Il fait
remonter l’état de ses services au 13 février
1760 qu’il est entré dans les gendarmes d’Artois. Il ajoute qu’il a été fait lieutenant d’infanterie des troupes de Cayenne le 2 mai
1764 et qu’il a quitté la colonie dans la réforme de 1765. Il est recommandé par M. de
Guébriac. »
Dutailly fait également état de services
rendus comme lieutenant des troupes de
Cayenne au cours de la période 1763-1766 et
de promesses faites par Choiseul, puis par
Boynes et par Turgot. « Vérification faite… »
il apparaît que le bureau des Colonies n’a
jamais expédié de lettres de lieutenant d’infanterie à Dutailly, qu’on ne le trouve sur
aucune des listes d’officiers en poste à Cayenne et « qu’il ne peut avoir été nommé provisoirement par le gouverneur puisque M. Turgot était encore en France à l’époque du 2 mai
1764 ». Dutailly est donc soupçonné de faire
Une affaire embrouillée
63
Les arpenteurs ont joué un rôle capital dans le développement urbain de l’Amérique.
Ici, on perçoit bien l’arpentage de la ville de Savannah.
des faux mais soucieux de ne pas faire de
vagues, les services de Sartine réfutent la
demande du frère de Bernardin de Saint-Pierre au motif qu’une telle promotion ne peutêtre accordée qu’aux officiers en activité. Sartine approuve et le dossier ne comporte plus
aucune lettre à ce sujet ni à propos de Dutailly
jusqu’à une lettre de d’Argout, gouverneur
de Saint-Domingue annonçant à Sartine l’arrestation de Dutailly à Saint-Domingue et
de son envoi en France.
Argout le présente alors comme un
« ancien arpenteur de la colonie qui était
passé chez les Insurgents où il avait obtenu une
commission d’ingénieur avec rang de capitaine… ». Il l’accuse d’avoir voulu remettre au
gouverneur de la Jamaïque un plan d’attaque
contre la Géorgie sur la dénonciation du capi-
taine anglais Scott, commandant la frégate
Minerva. Cette frégate avait été capturée le 22
juillet 1778 par la frégate la Concorde, commandée par Le Gardeur de Tilly, lieutenant de
vaisseau. Le capitaine Scott était prisonnier sur
parole à Saint-Domingue (2). Après perquisition chez Dutailly, on découvrit une lettre
manuscrite de ce dernier adressée au gouver2. Voir Patrick Villiers, Marine de Louis XVI, Grenoble 1983, p. 405. Au cours du combat le frère
de Le Gardeur de Tilly fut tué et le capitaine Scott
blessé. « Le capitaine anglais John Scott est un
homme d’environ 68 ans, capitaine de vaisseau
du roi d’Angleterre. Il est ici chez le chirurgien
qui augure mal de sa blessure. Il a beaucoup
loué la bravoure de M. de Tilly et de son équipage ainsi que l’habileté de ses manœuvres. »
64
neur de la Jamaïque. Le comte d’Argout veut
alors assembler un conseil de guerre pour
juger Dutailly mais ses officiers le lui déconseillent en arguant que Dutailly n’a pas conspiré contre la France et qu’il faut le faire juger
en France. D’Argout suit ce conseil. Dutailly
est alors embarqué sur la frégate la Concorde
le 11 janvier 1779. La traversée est très mouvementée. La Concorde est chargée d’escorter
un convoi mais le 5 février une tempête disperse les navires. Le Gardeur de Tilly est
contraint de jeter douze canons à la mer. La
Concorde est ensuite attaquée par deux corsaires, mais Le Gardeur de Tilly repousse l’un
et capture l’autre avant de mouiller sa frégate à Brest le 22 février. Seuls deux navires du
convoi ont été capturés (3). Le Gardeur de
Tilly remet alors Dutailly au commandant
du port de Brest.
Une affaire embrouillée
Sartine, immédiatement averti, fit envoyer
Digon. A noter que le jour ou la veille du
départ de Dutailly pour Paris, le 17 mars
1780, Dutailly fut autorisé à écrire au comte
Sollano, grand président de l’Audience de
Santo-Domingo et à son frère, Bernardin de
Saint-Pierre, à Paris. Le 23 mars, de Launay
avertissait Sartine de l’arrivée à la Bastille de
Dutailly. Suite à la lettre de son frère, Bernardin de Saint-Pierre écrit au secrétaire d’Etat
à la Marine et aux Colonies pour se porter
garant de l’innocence de son frère, mais à
cette date, Bernardin n’a pas encore une grande notoriété et vit presque misérablement.
Pourquoi cet enfermement à la Bastille ?
En matière pénale, au XVIIIe siècle, la prison
était faite pour garder l’accusé avant son juge3. Ibidem, p. 406.
Une affaire embrouillée
65
A Saint-Domingue, au cap Français, les nombreux navires qui mouillent en rade témoignent
de l’importance capitale de l’île dans le dispositif français des Antilles.
ment. Elle est donc utilisée ici pour mettre l’accusé à la disposition de la justice pendant la
période de l’instruction. Sous l’ancien régime,
pour la grande majorité des prisonniers les
séjours étaient très courts. Ainsi à Louvres-enParisis, pour 1682 prisonniers de 1768 à 1775,
72% ne sont restés que 24 h et 86% moins de
48 h en prison.
Ici, l’instruction dura près de deux mois
puisque le 21 mai, Lenoir adresse un mémoire complet sur l’affaire à Sartine comme ce dernier le lui avait demandé. Lenoir avait été un
des proches collaborateurs de Sartine lorsque
celui-ci était lieutenant général de Police. Ce
dernier l’avait nommé lieutenant de police
(4). Dans son mémoire, Lenoir écrivait
notamment : « Les torts du prisonnier sont
constants mais on ne peut bien les juger sans
pénétrer ses intentions. A-t-il eu dessein de trahison ou n’a-t-il cherché qu’un moyen de se
sauver par un artifice ?
4. Jacques Michel, l’Œuvre de M. de Sartine,
deux tomes, Paris 1983, tome 1, p. 53. Lenoir,
lieutenant de police fut ensuite nommé conseiller
d’Etat. En 1786, on le retrouve en affaire avec
Beaumarchais.
66
Balançant le mérite ou le démérite de ses
allégations, je me trouve dans l’embarras de
vous donner une solution pour décider de
son sort… » (5)
Les bureaux de Sartine examinent alors le
rapport de Lenoir et en font un résumé en date
du 30 juin 1779. Dans une apostille apposée
à la fin de ce résumé et probablement de la
main même de Sartine, le ministre donne son
verdict. Il n’y a pas de date précise, mais la
décision fut certainement prise dans la première quinzaine de juillet. A ce moment,
toute l’attention du secrétaire d’Etat à la Marine était accaparée par le projet de débarquement franco-espagnol en Angleterre (6).
Comme nous allons le voir, Lenoir ne
refuse pas de prendre ses responsabilités mais
avoue ne pas avoir de certitudes absolues.
Soulignons au passage ce bel exemple d’intégrité intellectuelle du siècle des Lumières dans
une affaire qui est comme nous allons le voir
passablement embrouillée. Pour cet article,
nous nous référerons aux pièces du dossier
E363 qui contient le rapport Lenoir, des
pièces d’instruction et des lettres de la main
de Dutailly.
Lenoir, un enquêteur exemplaire
Pour établir son précis détaillé, Lenoir s’appuie
sur un ensemble de lettres adressé par l’accusé « à son frère, au Garde des Sceaux, à son
frère, à M. de Fleuriaux et au commissaire qui
l’a interrogé ». Certaines de ces lettres sont
dans le dossier d’Aix-en-Provence. Lenoir
interroge personnellement le 13 avril 1779.
Dans le précis qu’il adresse à Sartine, Lenoir
5. CAOM, fonds Colonies, dossier E363, Lenoir
à Sartine, 26 mai 1779.
6. P. Villiers. « La Tentative franco-espagnole de
débarquement en Angleterre de 1779 » in « le
Transmanche et les Liaisons maritimes XVIIIe XXe siècle », Revue du Nord, hors série n°9, 1995,
pp. 13-28.
Une affaire embrouillée
détaille minutieusement les pièces du dossier
et rapporte, fidèlement me semble-t-il, le
point de vue de Dutailly. Selon ce dernier, il
était employé comme capitaine ingénieur par
les Insurgents mais ses gages n’avaient pas été
payés. D’autre part, les Anglais s’étaient emparés du fort Saint-Augustin où ils auraient fort
mal traité les officiers français au service des
Insurgents : « un sort épouvantable ». Dutailly
décida alors de revenir dans les colonies françaises et s’embarqua le 28 avril 1778 à Charlestown sur un navire américain en partance
pour Saint-Domingue (7). Dutailly sachant
que son navire n’était pas armé et qu’il courrait le risque d’être pris par un corsaire anglais
imagina un stratagème. Il demanda à M. Porteous, un colon américain en partance pour
Londres et probablement favorable aux
Anglais de lui faire une lettre de recommandation pour les autorités anglaises. Il dessina
et écrivit un projet d’invasion de la Georgie
destiné au gouverneur de la Jamaïque, ce projet avait pour but de le faire passer pour un
espion au service des Anglais.
Dutailly avait du flair car le navire américain fut intercepté par un corsaire anglais, le
William, armé à l’île de Tortonne (ou Qortone). Le capitaine anglais, au vu de ces documents crut notre arpenteur et le débarqua à
Porto Rico. A cette date, les Espagnols étaient
neutres, ils n’entreront en guerre qu’en 1779.
Néanmoins, à Saint-Jean de Porto Rico, le
frère de Bernardin fut interrogé par un commandant espagnol et par des Français et un
procès verbal aurait été dressé. Les ayant
convaincus de son stratagème, Dutailly reçoit
un sauf conduit du gouverneur de Porto Rico
pour passer à Santo-Domingo. Là le comte de
Sollano aurait reçu notre homme et convaincu par ses explications l’aurait fait conduire à
« Saint-Raphaël, dernier bourg espagnol, à la
7. CAOM, fonds Colonies, Lenoir à Sartine,
26 mai 1779, Précis… f° 2.
Une affaire embrouillée
67
En provenance de Porto Rico, Joseph Detailly arrive à Santo Domingo
(ici, le plan de la ville en 1619) dans le but de rejoindre la partie française de l’île.
frontière du Cap… ». De là, Dutailly se rend
au Cap français où il raconte son aventure au
comte d’Argout.
D’après les diverses pièces du dossier,
Argout a accepté dans un premier temps la version de Dutailly. Pourquoi Dutailly qui coulait des jours heureux au Cap se présenta-t-il
au capitaine anglais de la Minerve, cause de
tous ses malheurs ? Dans son interrogatoire,
Dutailly affirme qu’il avait promis aux Insurgents de revenir pour participer aux opérations
militaires en Georgie et que les Insurgents
lui avaient promis la place d’ingénieur en
chef. Redoutant de se faire prendre sur le chemin du retour, il décide fin juillet 1778 de
refaire le même stratagème et, de même que
le planteur Porteous lui a fait une lettre de
recommandation, le capitaine Scott aurait dû
lui en faire une.
Selon les propos de Dutailly, là encore
fidèlement rapportés me semble-t-il, « on ne
peut pas le juger coupable pour une lettre
qu’il n’avait imaginée que comme une sauvegarde pour traverser de nouveau l’ennemi
sans être maltraité… ».
Au lieu de cela, Scott l’a dénoncé. Lenoir
rapporte alors fidèlement l’explication par
Dutailly de l’attitude de l’Anglais : « ce capitaine anglais qui pouvait craindre le jugement
de sa nation sur son combat dans lequel il avait
eu le dessous, et qui pour cette raison pouvait
avoir formé le dessein de n’y plus retourner
avait cru se faire un mérite auprès de la nôtre
en dénonçant un Français que l’on pouvait
regarder comme un traître à sa patrie… »
Lenoir cite également à plusieurs reprises
la « lettre de décomposition » c’est-à-dire la
lettre dans laquelle Dutailly analyse le plan
68
d’invasion de la Géorgie destiné au gouverneur
de la Jamaïque et où il prétend que son plan
était irréalisable. Lenoir note également que
Dutailly affirme avoir écrit une lettre à Benjamin Franklin dans laquelle il s’en rapporterait au jugement de ce dernier : « sur le crime
qu’il a renouvelé contre sa nation, il [Franklin] saura lui pardonner d’avoir su sortir des
mains de ses ennemis et des siens par un stratagème qui ne saurait exposer la Géorgie ni la
Caroline du Sud aux armées anglaises… ».
Mais Lenoir note qu’au cours de son
incarcération à la Bastille, Dutailly a changé
son système de défense, se mettant alors à
accuser le comte d’Argout d’avoir voulu lui
imposer un mariage à Saint-Domingue « avec
une jeune et belle veuve, fille d’un officier
qui avait rang de colonel au service de l’Empereur… Le vice-roi [Argout] aurait désiré
qu’il l’épousât, mais le grade qu’on lui offrait
était à son gré trop faible pour le dédommager de ce qu’il pouvait attendre pour son
retour aux Insurgents, pourquoi il se détermina
à partir [en Géorgie] », d’où « la lettre factice ». Lenoir interroge alors Dutailly et exige
le nom de la dame que ce dernier lui donne
après de nombreuses tergiversations, dans une
lettre du 4 mai. Il s’agirait « d’une Dame De
la Boissière… que le général aurait voulu le
fixer au Cap en lui faisant épouser cette dame,
que l’annonce de son départ dérangeait les projets de ce général…. Que M. le général en
aurait profité pour se venger… »
Lenoir reconnaît qu’il n’a pas écrit au
comte d’Argout pour lui demander son point
de vue sur ce mariage éventuel. Selon Lenoir,
il s’agit d’une fable inventée par Dutailly dont
l’arrestation a été déclenchée par la dénonciation du capitaine Scott. En outre remarque
Lenoir, le projet pour le gouverneur de la
Jamaïque suffit en lui même à accuser Dutailly
et il est inutile d’importuner Argout.
Aujourd’hui, nous pourrions supposer
que Lenoir a eu peur d’importuner un haut
personnage mais sur le fond, Dutailly recon-
Une affaire embrouillée
naît sans aucune contestation avoir demandé
la lettre au capitaine Scott, anglais donc ennemi de la France comme des Insurgents. Son
incarcération ne relève pas donc pas d’une
décision abusive du gouverneur de SaintDomingue :
« Il a convenu qu’il avait commis deux
imprudences. La première d’aller demander au
capitaine Scott sa recommandation, puisqu’il
n’avait eu besoin de celles qu’il avait prise la
première fois du sieur Porteous et que sa lettre
factice au général de la Jamaïque lui avait suffit. La seconde, d’avouer à ce capitaine le succès que lui avait procuré cette lettre factice… ». Comme le note Lenoir « ce mémoire
était bien suffisant pour exciter la vigilance du
général et pour l’autoriser à faire arrêter l’auteur… » mais Lenoir rapporte cependant la
réponse de Dutailly, : « le moyen qu’il proposait n’était ni praticable ni suffisant… »
Selon Lenoir, la question de la culpabilité du prévenu se réduit à l’emploi du stratagème et à la véracité du plan d’invasion.
Dutailly a bien utilisé le stratagème pour
échapper avec succès au corsaire le William et
sur ce point on peut admettre sa bonne foi
mais qu’en est-il du plan d’invasion ?
« Voici donc où se réduit l’examen de
cette affaire : les moyens proposés par la lettre
sont praticables et suffisants ou ils ne le sont
pas ? S’ils le sont, il faut retenir le prisonnier
tant que la guerre durera. S’ils ne le sont pas,
il n’est coupable que d’indiscrétion et d’imprudence, alors il a été assez puni par la prison qu’il subit depuis le 2 septembre 1778, par
la perte de son état, et de ses effets ».
Le rapport de Lenoir est alors réexaminé
par le bureau des Colonies et résumé à l’attention de Sartine dans une lettre en date du
30 juin 1779. Le rapporteur souligne que
« pour se prononcer avec certitude, il faudrait pouvoir pénétrer dans les replis du cœur
du prisonnier pour découvrir la vérité et… il
faudrait s’assurer si les connaissances sur les
moyens de prendre la Georgie sont illusoires
Une affaire embrouillée
69
Saint-Domingue était la plus riche des Antilles françaises. Son déclin a commencé lors de la
révolte des esclaves auxquels les colons refusaient d’appliquer les mesures émancipatrices décidées
par la métropole. Les Français ont progressivement quitté l’île pour s’installer à Cuba
où les Espagnols les ont accueillis à bras ouverts. Les derniers Français de Saint Domingue
ont été massacrés par les révoltés en 1804.
ou réelles ». S’appuyant sur les conclusions de
Lenoir, il propose de placer Dutailly hors de
la Bastille, et de l’exiler dans un lieu qu’il ne
pourrait quitter sous peine de désobéissance,
et où il serait surveillé jusqu’à la paix ou « le
laisser à la Bastille en attendant un éventuel
complément d’information ».
Le rapporteur ajoute que « le gouverneur
d’Argout a rendu compte de tout ce qu’il
savait de l’affaire et que Monseigneur est en
état de se prononcer… » cependant « on
observe que le prisonnier n’a aucune ressource en France pour subsister et que son frère
demande en conséquence qu’il soit employé
au sortir de sa prison ». A cette époque en effet,
Bernardin de Saint-Pierre n’a pas connu le
succès littéraire et est effectivement incapable
d’entretenir son frère. Le rapporteur suggère
d’exiler Dutailly et de pourvoir à sa subsistance.
Sartine ordonne alors de « le laisser à la
Bastille avec toutes les douceurs qu’on peut y
procurer aux prisonniers. Le mander à M.
Lenoir à qui j’en ai déjà parlé… » (8)
A la Bastille : une condamnation
et une détention arbitraires?
Jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, la condamnation à la prison était rare, elle existait surtout à titre de commutation de la peine de
mort. A partir de 1750, le parlement de Bretagne transforma presque systématiquement
8. C.A.O.M., fonds Colonies, dossier E 363,
Sartine, f°45 v. 30 juin 1779.
70
les condamnations à mort et aux galères en
peines d’emprisonnement. La prison commence à devenir une peine qui annonce le
bouleversement qui fera d’elle, à compter de
la Révolution, le pivot du système pénal (9).
Les prisons importantes, celles des présidiaux,
des conciergeries des parlements et la Bastille
étaient les mieux tenues. Pour les pauvres, la
vie quotidienne en prison était dure : paille
pourrie, nourriture de mauvaise qualité, promiscuité. Les prisonniers qui disposaient
d’une certaine aisance avaient toujours la possibilité d’améliorer l’ordinaire. Ils pouvaient
même disposer d’une chambre individuelle et
chauffée, d’un lit, voire d’un domestique à
demeure. Mais les Saint-Pierre étaient pauvres.
Bernardin ne pouvait payer pour son frère.
Il est donc particulièrement intéressant
de noter la phrase de la main de Sartine : « à
laisser à la Bastille… avec toutes les douceurs
possibles ».
A la suite de cette condamnation, Dutailly
va écrire de nombreux mémoires justificatifs
au ministre. Tous n’ont probablement pas été
conservés mais il en subsiste un certain
nombre dans le dossier, écrits, semble-t-il, de
la main de Dutailly. Tous reprennent les
mêmes faits et n’apportent rien en ce qui
concerne l’affaire elle-même mais on y trouve quelques détails sur la vie du prisonnier.
Dans l’une de ces lettres, datée de novembre
1779, il remercie Sartine de lui avoir fait
envoyer une robe de chambre. Un rapport
nous apprend qu’il a le droit de se promener
dans la cour de la prison et de parler aux
autres prisonniers qui ont la même autorisation.
Sartine ayant dû présenter sa démission,
son successeur Castries est avisé du cas
Dutailly le 2 décembre 1780 par un rapport
du bureau des Colonies qui lui adresse une
brève note et le dossier avec le rapport au
9. Benoit Garnot, Justice et société en France aux
XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, p. 196, Gap 2000.
Une affaire embrouillée
complet de Lenoir. Castries écrit laconiquement : « à garder en prison ». Les affaires
d’Amérique sont au point mort. Les Anglais
ont concentré leurs forces à Yorktown et à
New York. Il est logique que le ministre n’ait
pris le risque de libérer Dutailly (10).
Bernardin de Saint-Pierre écrivit de nombreuses lettres en faveur de son frère à Sartine et à Castries, la première en date du 26 mars
1779, soit deux jours après l’incarcération à la
Bastille. Bernardin est toujours convaincu de
l’innocence de son frère mais un rapport de
Lenoir va le faire changer d’avis. Le 15 octobre
1781, Lenoir écrit à Castries que « la tête de
ce prisonnier se dérange. » et propose de le
transférer. Bernardin, convaincu également
que son frère « n’a plus toute sa tête », donna
son accord. Encore faut-il trouver un lieu.
Un prisonnier encombrant
Après discussion entre les différents services,
Castries ordonna de « retirer du château de la
Bastille, le sieur Dutailly qui y est détenu en
vertu des ordres et de le conduire sûrement au
château de Ham, où il sera reçu et gardé jusqu’à nouvel ordre. Sa Majesté écrit au commandant de ce château. » (11). Le même jour,
en effet, le gouverneur du château de Ham, le
chevalier d’Avricourt était averti de l’arrivée
d’un nouveau détenu. Les archives ont conservé les frais de transfert de Dutailly « à savoir :
16 postes d’officiers à 73 livres et 10 sols, 16
postes de prisonniers à 3 livres et 16 postes
pour un homme de confiance à 3 livres, soit
au total 384 livres ». A titre de comparaison,
10. Cf. Patrick Villiers, Marine royale, corsaires et
trafic dans l’Atlantique de Louis XIV à Louis XVI,
thèse, 2 volumes, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, thèse à la carte, deuxième ed. 2002. Voir troisième partie, chapitre IV,
« Stratégie et batailles navales durant la guerre
d’Indépendance ».
11. Castries, f° 63.
Une affaire embrouillée
71
Le fort de Ham où fut détenu Joseph de Saint-Pierre.
le salaire mensuel d’un marin était de 15 à 20
livres. Transférer un prisonnier par relais de
poste était donc très coûteux.
La prison de Ham en Picardie, où sera
enfermé le futur Napoléon III, n’était pas une
prison bien sévère et d’Avricourt demanda si
Dutailly devait avoir un régime de surveillance
particulier faisant observer que : « le château
est en mauvais état et que les invalides qui le
gardent sont en petit nombre ». Il y avait
deux autres prisonniers : un lieutenant-colonel et un officier détenus par lettre de cachet
à qui le ministère de la Guerre faisait octroyer
3 livres par jour pour la nourriture du premier
et 2 livres pour le second. D’Avricourt donnait cette information afin que le secrétaire
d’Etat à la marine et aux colonies fixe la pension pour l’entretien de Dutailly. Il demandait
également « qu’un quartier fût payé d’avance
afin qu’on puisse lui fournir les choses dont
il a besoin le plus urgent et particulièrement
des habits et du bois ». Castries accorda 800
livres par an.
A peine arrivé, Dutailly commença à
envoyer des mémoires justificatifs à Castries,
mémoires auxquels le ministre ne répondit pas.
Cependant, en août 1782, Castries ordonna
le transfert de Dutailly à la maison de force des
Bons Fils de Saint-Venant. Denoir, prévôt
général de la Maréchaussée du Soissonnais
fut chargé du transport. Il en coûta 133 livres
et 13 sols qui furent réglés en mars 1783. Le
15 avril 1783, Castries adressa un courrier
au supérieur de Maison de force lui annonçant
que le roi avait décidé de faire libérer Dutailly.
Une lettre signée du roi était jointe à ce courrier. Les préliminaires de paix avec l’Angleterre
ayant été signé fin janvier 1783, Castries suivant l’avis de Lenoir avait donc décidé de
libérer le capitaine-ingénieur. Dutailly ne profita pas longtemps de cette liberté puisqu’on
le retrouve à nouveau à la prison de Ham au
72
Une affaire embrouillée
Avant la révolution industrielle, les voyages sont coûteux et ne concernent qu’une minorité
de personnes. Les frais de transfert de Joseph de Saint-Pierre représentaient des sommes
considérables. Ici, une malle-poste anglaise du début du XIXe siècle.
début de l’année 1784. Le 13 février 1784, une
lettre de cachet signée du roi et du maréchal
de Castries ordonna de le conduire une seconde fois à Saint-Venant où il arriva le 18 mars.
Un rapport d’Esmangart, intendant de
Flandres et d’Artois, écrit après la visite de cet
intendant à Saint-Venant le 1er septembre
1785, nous décrit sa situation et son état d’esprit : « Il se plaint beaucoup de M. Lenoir,
mais on ne voit pas très bien sûr quoi ses
plaintes pourraient porter il est impossible
d’y rien entendre ». L’intendant ajoute que le
prisonnier souhaiterait rentrer dans sa famille et qu’il se tient très tranquille. Il propose
donc de le libérer si le ministre en est d’accord.
Castries refuse, à la demande semble-t-il de
Bernardin de Saint-Pierre. Bernardin semble
convaincu que son frère « a la tête dérangée »
et il ne peut subvenir à ses besoins. L’enfermement de Dutailly permet une prise en charge de ce dernier aux frais du département des
Colonies.
On pourrait penser que Bernardin
manque d’amour fraternel mais une lettre
adressée par Esmangart à Castries nous
apprend que Dutailly s’est évadé le 2 août
1785 de la ville de Saint-Venant. A l’origine
de cette évasion un assouplissement du régime carcéral de ce dernier. Castries, en
décembre 1784, l’avait seulement relégué dans
la ville avec autorisation de vivre en ville mais
avec interdiction d’en sortir et obligation de
se présenter tous les 15 jours au représentant
de l’intendant. En s’évadant, Dutailly laisse
une lettre à l’attention de Brejeot, major de la
place pour expliquer son geste. Il part pour
Une affaire embrouillée
73
La vulgate des Lumières a calomnié la justice française d’Ancien Régime. Pourtant, notre droit
actuel lui doit beaucoup plus que la majorité des Français ne le pense. Ici une réunion
de préparation du futur Code civil.
« Clermont en Auvergne » pour « retrouver
Madame de D’Hélincourt, veuve de l’ancien
lieutenant du roi à Saint-Domingue » mais
comme le note l’intendant « il ne lui a jamais
parlé ». L’intendant ajoute : « le style de cette
lettre annonce une tête dérangée, ce qui le
prouve encore plus, c’est la folle passion qu’il
a conçue pour une dame avec qui il n’a eu
aucune espèce de relations et qui ne lui a
sûrement jamais donné le moindre espoir… »
Dutailly fut repris et son frère demanda
qu’il soit à nouveau conduit à Saint-Venant
« car il a la tête dérangée ». Castries a continué en effet à payer la pension de 800 livres.
Bernardin lui-même demande en 1788 une
pension qui lui est refusée mais le secrétariat
aux Colonies s’engage à acheter chaque tome
de son ouvrage : Son dossier contient la facture des achats des 4 volumes jusqu’en 1790.
Les pièces du dossier s’interrompent avec
les évènements révolutionnaires et ne per-
mettent donc pas de savoir ce que Dutailly est
devenu. L’évasion de 1785 donne cependant
un éclairage intéressant sur cette affaire. Lenoir
en avait eu l’intuition dès 1779, Dutailly avait
indiscutablement des problèmes psychiatriques, c’était au minimum un mythomane.
Ce dossier, qui serait à reprendre du point de
vue psychiatrique, me semble particulièrement intéressant pour l’étude du système judiciaire à la fin de l’ancien régime. Il nous donne
une vision bien éloignée de l’image traditionnelle des lettres de cachet et de l’arbitraire de la justice de l’ancien régime.
Patrick Villiers
Patrick Villiers est professeur d’histoire moderne
et contemporaine dans le département d’histoire de l’université du Littoral à Boulogne sur Mer,
directeur du Centre de recherches en histoire
atlantique et littorale, prix d’histoire de l’académie de Marine.
L’extermination
des Juifs était-elle
inévitable?
Dans son livre The Origins of the Final Solution (« les Origines
de la solution finale »), le professeur Christopher Browning,
de l’université de Caroline du Nord, présente la thèse qui cherche
à expliquer comment les Allemands ordinaires en sont venus à accepter
que l’extermination des Juifs était inévitable. A l’occasion
de sa publication, The Atlantic Monthly, sous la plume de la journaliste
Jennie Rothenberg, a interrogé l’historien.
Le début d’un engrenage terrible. Sur cette photographie, des Juifs de Stuttgart arrivent
à Riga le 4 décembre 1941. Quelques jours plus tôt, d’autres Juifs allemands avaient
été horriblement massacrés par la population locale avec la bénédiction des SS locaux.
E
N 1968, alors qu’il préparait un doctorat à l’université de Wisconsin, Browning proposa de centrer le sujet de sa
thèse autour de l’époque nazie. Son directeur
de thèse lui fit une réponse partagée : « Cela
ferait une formidable thèse, mais vous savez
qu’il n’y a aucun avenir à l’université pour les
recherches sur l’Holocauste ». C’était donc il
y a plus de trente-cinq ans.
Or, moins d’une décennie plus tard, l’Holocauste était étudié dans des universités du
monde entier et Browning se retrouvait au premier rang de ce nouveau domaine académique. Son travail était même si apprécié
que, dans les années 1980, il fut approché
par le musée de l’Holocauste en Israël, à Yad
Vashem, pour lui proposer de collaborer à
un projet. Le musée avait reçu des fonds pour
publier une collection en plusieurs volumes sur
l’époque nazie. Chaque tome devait résumer
l’expérience des Juifs dans une région différente
d’Europe. Le projet en question devait également consacrer trois volumes à la mise en
œuvre de la Solution finale par les nazis.
Aucun des chercheurs israéliens impliqués ne
voulait étudier ce dernier volet du point de vue
des auteurs des actes. Donc cette tâche incomba à un groupe d’universitaires non-juifs, chacun devant s’intéresser à une courte période
pour identifier les décisions-clef qui avaient
conduit à l’Holocauste.
Au terme de deux décennies de recherche,
le volume affecté à Browning, The Origins of
the Final Solution : September 1939-March
76
1942, est paru en mars 2004. Comme beaucoup d’autres auteurs avant lui, Browning a
cherché à répondre à la question « Comment
l’Holocauste a-t-il pu survenir? » Le livre rappelle beaucoup d’éléments tristement familiers : les trains de déportés, les fusillades de
masse à l’Est, les premières expérimentations
avec des gaz mortels… Mais Browning se distingue essentiellement des autres par sa
démarche : il présente les événements les uns
après les autres, tels qu’ils se sont enchaînés,
et non à travers un prisme rétrospectif. Browning ne présente pas la Solution finale comme
un grand projet, planifié avec soin par Hitler
dès le début de l’ère nazie. Au lieu de cela, il
considère la politique juive des Nazis comme
une réalité s’étant échafaudée sur un laps de
temps étendu et qui aurait commencé par un
programme d’expulsion des Juifs d’Allemagne
et non pas d’extermination.
Trop souvent, l’observation de ces politiques et de cette période a été influencée et
fréquemment déformée par la catastrophe qui
a suivi. Par exemple, durant des années, les historiens n’ont pas pris au sérieux la politique
d’expulsion des Juifs élaborée par les Nazis.
Encore au printemps 1940, les responsables nazis écartaient l’idée de meurtre de
masse en faveur d’une ré-installation des Juifs
dans une colonie d’Afrique. « Ce processus
[d’expulsion] est encore la solution la plus
douce et la meilleure, écrivait Heinrich
Himmler, le chef suprême de la Gestapo en
mai de cette année-là, dès lors que l’on considère que la méthode bolchevique de l’extermination de masse est intrinsèquement nongermanique et impossible ». On peut considérer que le projet Madagascar fut abandonné fin 1940 quand l’Allemagne perdit la
bataille d’Angleterre.
Browning présente les « camions exterminateurs [par les gaz d’échappement] »,
introduit en 1939 pour tuer les handicapés
mentaux, comme le premier pas vers les camps
d’extermination nazis. En se fondant sur l’eu-
Revue de presse
génisme, un développement des théories darwinistes du XIXe siècle, les Nazis élaborèrent
un programme utilisant l’euthanasie comme
moyen d’éliminer les personnes déficientes.
Mais dans les années suivantes, le gaz allait être
utilisé dans les camps de concentration
d’abord pour des exécutions ciblées, puis des
massacres de masse.
Le début du massacre
Selon Browning, l’été 1941 amena un « bond
phénoménal » vers l’Holocauste. Avant cette
date, les Juifs avaient été marginalisés socialement, ghettoïsés, rassemblés dans des mêmes
lieux et séparés d’autres groupes importants
considérés comme suspects ou inférieurs (tels
que les communistes ou les malades mentaux) en vue d’éventuelles exécutions massives. Mais ce ne fut pas avant l’Opération Barbarossa (l’invasion de l’Union soviétique par
l’Allemagne) que les agents nazis commencèrent à tuer de grandes quantités de Juifs,
hommes, femmes et enfants. A partir de là,
écrit Browning, « le processus ne pouvait plus
être arrêté ». Il impliquait l’élimination physique de tous les Juifs, sans considération de
sexe, d’âge, de profession ou de comportement, et il conduisit directement à l’extermination de communautés entières et à la
« dé-judaïsation » d’immenses régions. La
question n’était plus : « pourquoi devrait-on
tuer les Juifs ? », mais « pourquoi ne devraiton pas le faire ? »
En amenant le lecteur, des premières
déportations de Juifs, au lancement du plan
d’extermination en 1942, le livre de Browning
ne recherche pas une grande théorie unique
derrière la Solution finale. Au lieu de cela, l’auteur se concentre sur toute la série de circonstances et de décisions qui ont amené les
Allemands, pas à pas, à cette extrémité. En
conséquence, on découvre une vision du mal
qui n’a rien d’irréelle, mais qui est désespérément humaine.
Revue de presse
77
La plus grande partie des messages administratifs et militaires allemands envoyés par radio
au cours de la Seconde Guerre mondiale a été interceptée par les services d’écoutes britanniques.
Il est possible ainsi de suivre, au jour le jour, le fonctionnement de l’immense appareil répressif
hitlérien. Sur ce rapport d’écoutes daté du 20 novembre 1941, on apprend que des trains entiers
de Juifs allemands sont envoyés vers l’Est.
Cette approche novatrice de la Solution
Finale, étape par étape, méritait quelques
éclaircissements que Jennie Rothenberg est
donc allée chercher à la source auprès de l’auteur. En premier lieu, elle lui a demandé pourquoi il considérait la déportation des Juifs
comme une phase en soi et non, à l’instar de
la plupart des autres auteurs, comme une
étape vers l’extermination. « Quand on observe l’Histoire, lui a-t-il répondu, la solution de
facilité est de la considérer d’un point de vue
rétrospectif, avec tout ce que l’on sait aujourd’hui. Ainsi, on remonte en arrière en s’intéressant à tout ce qui a amené les événements
concernés, mais en laissant de côté les circonstances. Nous sommes très conscients
aujourd’hui de ne pouvoir voir l’avenir. En
revanche, nous repartons aisément en arrière
en pensant que nous pouvons imposer une
interprétation déterministe du passé au regard
ce que nous savons maintenant. Mais en faisant cela, nous oublions que les acteurs – tant
les futurs bourreaux que les victimes – de
cette époque, disons de 1939 à 1941, ignoraient ce qui allait se passer. Et nous ne pouvons donc comprendre les décisions qu’ils
ont prises sans comprendre leur perception du
monde dans lequel ils vivaient et les choix
auxquels ils eurent à faire face. Nous savons,
par exemple, que les leaders juifs prirent certaines décisions parce qu’ils ne pouvaient
concevoir l’extermination de masse qui les
attendait. »
Browning rappela l’objet du livre : identifier et dater les moments décisifs, où des
hommes se sont retrouvés à la croisée de chemins et ont pris une voie plutôt qu’une autre.
« Il ne faut pas seulement savoir ce qui est arrivé, mais il est essentiel de comprendre comment c’est arrivé. »
78
Revue de presse
13.30 SS O. Gr F. Heydrich,
Prague […] Trains de Juifs
de Berlin. Pas de liquidation. […]
Sur cette page de l’agenda de Himmler, on retrouve l’indication d’une conversation
avec Heydrich le 30 novembre 1941 à 13 h 30 où il est question d’arrêter le massacre
des Juifs allemands déportés par trains entiers à l’Est.
Parmi les facteurs historiques ayant
conduit à l’Holocauste, Browning évoquait au
début de son ouvrage une « approche déformée et incomplète des Lumières en Allemagne ». La journaliste ne manqua pas de lui
demander quelques explications. « En Allemagne, après la conquête napoléonienne, lui
répondit Browning, les valeurs des Lumières
se répandirent de manière inégale. Ce que
j’appelle le côté humaniste et individualiste des
Lumières a généralement été associé aux Français généralement, mais pour se différencier de
Napoléon, les Allemands ont embrassé le côté
scientifique et rationaliste des Lumières. Ainsi,
Revue de presse
dans une sorte d’approche schizophrénique,
l’Allemagne a absorbé les aspects des Lumières
qui leur donnaient le pouvoir de chasser les
Français dehors, mais rejetaient ceux qu’ils
considéraient comme contraires aux valeurs
germaniques : les droits individuels, la tradition politique plus libérale et démocratique.
Et simultanément, ils plongeaient dans une
organisation de la société rationnelle et
bureaucratique. C’est ce que j’entends en parlant d’approche asymétrique des Lumières,
au moins dans une partie de la culture allemande. »
La déportation des Allemands de l’Est
Lorsque les Nazis commencèrent à déporter
les Juifs des villages d’Europe de l’Est, ils
entreprirent également de les repeupler avec
des Allemands de souche, dont les familles
avaient vécu depuis des générations à l’Est et
qui vivaient encore dans des communautés
germanophones. Jennie Rothenberg demanda alors à Christopher Browning comment ces
deux initiatives se connectèrent. L’universitaire
rappela que les Nazis avaient une vision de leur
futur empire à l’Est qui différait de la plupart
79
des empires d’outre-mer que les autres nations
européennes avaient construits. Il ne devait pas
s’agir d’un empire dans lequel une poignée
d’Allemands de souche aurait dirigé une
population indigène étrangère, comme, par
exemple, l’administration britannique en
Inde. Alors, conformément aux concepts
raciaux très basiques des nazis, en dehors des
pays appartenant déjà à l’Allemagne – c’està-dire faisant partie du Lebensraum allemand,
peuplé entièrement d’individus de sang allemand –, il ne devait s’agir que d’une annexion
des territoires de Pologne occidentale.
Pour cela, il fallait expulser tous les Polonais, les Juifs, les Bohémiens – toute la population « indésirable ». Et corrélativement, il fallait que les Allemands repeuplent la région. Et
pour trouver du sang allemand afin de mener
à bien ce projet, il fallait ramener – ils utilisaient le terme « rapatriement » – les Allemands de souche vivant encore dans des secteurs concédés à Staline en vertu du Pacte de
non-agression : les Allemands des Pays Baltes
et d’Ukraine. Alors ces populations furent
récupérées, placées d’abord dans des camps de
réfugiés, puis installées dans des fermes polonaises évacuées.
Le responsable SS des massacres des Juifs allemands à Riga est convoqué par Himmler à la suite,
probablement, d’une critique de Hitler sur ces exécutions lors de la rencontre entre les deux
hommes le 30 novembre 1941 (voir à la page précédente). Le massacre de Juifs vont s’arrêter
quelque temps avant de reprendre de plus belle.
80
« A cet égard, il faut noter ici quelque
chose de très intéressant, souligna Browning.
Un des crimes contre l’Allemagne auquel on
n’a pas accordé assez d’attention, c’est le terrible nettoyage ethnique des Allemands d’Europe de l’Est à la fin de la Seconde Guerre
mondiale. Des centaines de milliers
d’hommes, de femmes et d’enfants sont morts
dans les Sudètes, en Pologne et ailleurs. On n’a
pas prêté assez d’attention à cet aspect des
souffrances allemandes. Mais ce que, à mon
sens, on néglige surtout dans ce vaste processus, c’est qu’en réalité, la première destruction
des communautés germanophones de l’Est
n’est pas imputable à l’Armée rouge victorieuse, aux Tchèques ou aux Polonais, mais à
Himmler. C’est lui qui déracina les Allemands
de souche des Pays Baltes et d’Ukraine. »
« Ce qui est très clair, ajoutait Browning,
c’est que dans l’idéologie nazie, l’individu
n’avait pas le choix de l’endroit où il voulait
vivre. Il appartenait à une communauté de
sang, à la race allemande. Hitler et Himmler
pouvaient disposer d’eux à leur convenance.
Revue de presse
Ils les prenaient, les déplaçaient et les ré-installaient où il seyait au régime nazi. »
Faire travailler les Juifs?
La journaliste aborda ensuite la question des
ghettos juifs établis par les nazis en Pologne.
Selon Browning, s’étonnait-elle, les Nazis voulaient que les Juifs y restent en bonne santé
pour fournir des ouvriers productifs. Elle
demanda donc au chercheur sur quelles
preuves il s’appuyait.
« Les preuves se trouvent dans les documents, rétorqua Browning. Comme je l’explique dans le livre, il y avait deux groupes que
j’appelle les attritionnistes et les productivistes. Certains souhaitaient certainement voir
disparaître la population juive en les affamant
délibérément. Mais un plus grand nombre
de nazis gérant les ghettos voulait incontestablement maximiser la productivité de ceuxci au profit de l’économie de guerre allemande. A n’en pas douter, une grande part de ce
phénomène était motivée par une volonté de
Revue de presse
81
Au front de l’Est, dans les arrières de l’armée allemande, la guerre de guérilla a conduit
à un paroxysme de violence et à une orgie de meurtres où les populations civiles et les Juifs
ont payé un prix élevé. Ici un peloton allemand procède à une exécution collective.
profit personnel. La présence allemande à
l’Est était extrêmement corrompue et ces
hommes ont vu dans les ghettos une opportunité d’enrichissement personnel. Simultanément, ils ont perçu le problème posé par les
maladies contagieuses et des épidémies. Le
typhus ne pouvait être circonscrit dans les
limites du ghetto. Donc ce n’était pas l’intérêt des organisateurs de ghetto d’avoir une
population juive malade et affamée. Et si cela
finit par survenir, c’est simplement que les
Juifs venaient en dernier, après que l’on a pu
subvenir aux besoins des communautés environnantes. Or il arriva un moment où il n’y
eut plus assez d’approvisionnement pour tout
le monde. »
Une autre question soulevée par le chercheur dans son livre avait troublé la journaliste.
A propos de l’eugénisme – la doctrine qui
permettait aux nazis d’éliminer les malades
mentaux –, Browning mentionnait brièvement qu’à la même époque une politique
semblable était mise en œuvre dans certains
États américains. Jennie Rothenberg voulut
savoir si, selon l’historien, les Etats-Unis
auraient pu réellement suivre la même voie
eugénique si les Nazis n’avaient pas poussé
l’idée à de semblables extrémités.
« Aux États-Unis, considéra Browning,
le mouvement eugénique ne visait pas le
meurtre – l’« euthanasie » pour utiliser la terminologie nazie – mais la stérilisation. Et il n’a
jamais eu de dimension raciale comme en
Allemagne. Il y eut cependant bien des initiatives pour stériliser les personnes à faible
revenu ayant déjà de grandes familles. Et au
bout du compte, cela toucha davantage les
Noirs que les Blancs. Naturellement, tout ce
mouvement – que ce soit aux États-Unis ou
dans le reste du monde – fut discrédité, dès lors
82
Revue de presse
que l’eugénisme fut
théorie du complot perassocié avec la politique
mettait de réconcilier
nazie. »
deux éléments qui
Autre point trouseraient, sans cela,
blant qui méritait un
incompatibles. Les
éclaircissement : quand
Nazis développaient un
les Nazis décidèrent
antisémitisme que je
d’envahir
l’Union
qualifie de « chimésoviétique, ils associèrique », mais il était
rent les Juifs à la menaacceptable par beauce bolchevique en
coup parce qu’il toudépeignant les premiers
chait à des stéréotypes
comme une race orienenracinés dans l’esprit
tale étrangère et le
d’un très grand nombre
communisme comme
d’individus dans toute
une sinistre idéologie
l’Europe. Pour Hitler
asiatique. Or simultalui-même, tout s’articunément, les Hitlériens
lait logiquement au sein
présentaient les Juifs
de cette grande conspicomme des capitalistes
ration mondiale fantasavides d’argent. Commatique. »
ment les Nazis pouJennie Rothenberg
vaient-ils soutenir une
évoquait ensuite des
telle argumentation,
lettres de responsables
En septembre 1944, le service d’écoutes
sans voir de contradicallemands citées par
du Reich, le Forschungsamt, captait
tion ?
Browning dans son
un programme de la radio soviétique
Christopher Brow- où il est question d’un « camp de la mort » ouvrage. Ils écrivaient à
ning reconnut que les
leurs épouses que, s’ils
découvert près de Lublin. Interrogé
deux accusations hitlén’étaient pas tués les
par ses services locaux de la propagande
riennes – le vieux sté- à Cracovie, le ministère de Goebbels donna premiers, les bolcheréotype médiéval du
viques allaient assassipour consigne de ne pas répondre à cette
Juif parasite, capitaliste
ner les femmes et les
attaque (voir à la page suivante).
et avide d’argent, et la
enfants allemands. La
nouvelle vision des Juifs révolutionnaires, boljournaliste demanda au chercheur s’il pencheviques et subversifs – étaient assez contrasait que ces Allemands croyaient vraiment à ce
dictoires : « Les Juifs ne peuvent être à la fois
qu’ils écrivaient.
capitalistes et communistes. Mais pour
« La plupart des génocides sont perçus
résoudre la quadrature du cercle, il suffit de
par leurs auteurs comme des actes d’autodéfaire appel à la vieille théorie du complot. Et
fense, répondit Browning. Le meurtre de
c’est ce que les Nazis ont fait : derrière ces deux
masse est justifié comme une mesure prévendifférentes attaques contre l’Allemagne – par
tive. Je pense que c’est juste une partie de la
les Juifs capitalistes, d’une part, et par les Juifs
mentalité qui rend le génocide possible.
communistes, de l’autre, il n’y aurait eu
D’abord vous divisez les gens entre « eux » et
qu’une unique conspiration juive visant à
« nous ». Puis vous présenter les autres –
écraser l’Allemagne par tous les moyens. La
« eux » – comme une terrible menace. Ensui-
Revue de presse
83
Face aux accusations soviétiques interceptées par les services des écoutes, Goebbels préfère
le silence. Sur ce télex, son ministère donne l’ordre à ses représentans de pas répondre.
te, vous justifiez les choses effroyables que
vous leur faites en considérant qu’il s’agit
d’autodéfense. »
Une césure dans l’Holocauste
Dans son livre, Christopher Browning parle
du 15 août 1941, comme d’une « césure dans
l’Histoire de l’Holocauste ». Selon lui,
explique-t-il à la journaliste qui l’interrogeait
sur ce point, « le passage d’une sorte de vision
vague et non-formulée d’un éventuel homicide
futur à la Solution finale – c’est-à-dire la destruction systématique et totale des Juifs d’Europe – s’est fait en deux étapes. D’abord, cela
a concerné la seule Union soviétique, puis le
reste de l’Europe. Il est possible que les Nazis
soient rentrés en Union soviétique en juinjuillet 1941 en pensant que, d’une certaine
manière, ils ne laisseraient aucun Juif sur
place, sans qu’ils se soient vraiment interrogés
sur les moyens – privation de nourriture, exécution, expulsion – et l’agenda. Mais dès la miaoût, des preuves existent pour montrer qu’ils
pensaient désormais que tous les Juifs devaient
être tués très rapidement. »
« Si je parle du 15 août, c’est que nous disposons du rapport d’un des escadrons de la
mort, le Einsatz Commando III de Lithuanie,
qui détaille jour par jour le nombre des victimes en les répartissant par catégories, les
communistes d’un côté et les Juifs de
l’autre. Pour les Juifs, ils les divisent encore
selon l’âge et le sexe. Nous savons quand ils
tuaient des hommes, des femmes et des
enfants, et dans quelles proportions. Ce qui
apparaît clairement, c’est que jusqu’à la miaoût, ils suivaient un schéma précis : ils exécutaient des Juifs mâles qui, soit étaient des
chefs, soit étaient associés au danger militaire communiste. Puis, le 15 août 1941, les
proportions changèrent radicalement. Les
principales victimes juives devinrent des
femmes et des enfants. C’était un très net
changement d’optique. Dès lors qu’ils assassinaient prioritairement des femmes et des
enfants juifs et non plus des ennemis mâles
potentiels, c’est qu’ils répondaient à un programme d’élimination totale de la race juive. »
Browning précisa quand même que la
transition avait dû intervenir en différents
endroits sur une longue période. Mais que, au
moins pour le Einsatz Commando III, on
pouvait clairement identifier cette date du 15
août 1941.
Jennie Rothenberg signala ensuite qu’une
déclaration d’un fonctionnaire nazi en poste
à Minsk avait particulièrement retenu son
attention dans le livre. Cet officiel évoquait
l’expulsion des Juifs du Reich, chassés de villes
comme Hambourg ou Berlin. En contraste
avec les Juifs d’Europe de l’Est, le fonctionnaire
84
Revue de presse
Une classe d’enfants juifs à Theresienstadt. Selon les experts du musée de Yad Vashem
à Jérusalem il s’agirait d’une mise en scène à l’attention d’une visite de délégués de la Croix rouge.
disait que ceux du Reich étaient des « êtres
humains venant de notre sphère culturelle »
et l’idée qu’ils puissent être exterminés le troublait. La journaliste demanda alors à l’historien si, selon lui, beaucoup d’officiels nazis
avaient eu du mal à digérer le meurtre des Juifs
du Reich.
« Les Nazis ont dû penser que, sous couvert de cette croisade anti-communiste en
Russie, ils pourraient tuer les Juifs soviétiques
sans grand problème chez eux, en Allemagne,
commenta Browning. Mais quand ils en vinrent à assassiner des Juifs allemands, ils se
virent obligés à faire preuve de davantage de
prudence. Je pense même qu’ils ont dû avoir
peur de se voir confrontés à des problèmes de
relations publiques si la rumeur des massacres
de Juifs allemands commençait à se répandre.
La lettre du fonctionnaire de Minsk en est une
preuve, mais il existe bien d’autres exemples.
« Quand les premiers convois de Juifs
furent assassinés à Kovno et Riga, les rumeurs
parvinrent jusqu’en Allemagne et des per-
sonnes furent bouleversées. Himmler fut certainement conscient que l’assassinat des Juifs
allemands ne pouvait pas laisser aussi indifférent ou être accepté comme l’était celui des
Juifs russes. Donc, après le massacre des six
premiers trains de Juifs allemands fin
novembre et début décembre, ce programme fut suspendu pendant quelque temps. Les
Juifs expulsés au printemps 1942 furent
d’abord envoyés dans les ghettos de Pologne
– en un sens, ils furent momentanément
« gelés » – avant d’être expédiés vers les camps
de la mort ultérieurement. De la même façon,
les Juifs, surtout les plus âgés, furent d’abord
dirigés sur Theresienstadt avant d’être transférés à Auschwitz. »
Quel fut le rôle de Hitler?
Dans la conclusion de son ouvrage, Christopher Browning revient particulièrement sur le
rôle d’Hitler dans la Solution finale. Il met l’accent sur le fait que l’enthousiasme du Führer
Revue de presse
85
a rallié toutes sortes de personne – les eugénistes qui voulaient atteindre la pureté raciale, les techniciens qui voulaient montrer leur
talent, les carriéristes politiques qui voulaient
simplement être au sommet. Mais l’auteur
montre surtout que bon nombre des idées et
des plans spécifiques ne venaient pas d’Hitler
lui-même mais de ses subordonnés qui s’inspiraient des vagues déclarations de leur Führer. Dans ces conditions, lui demanda Jennie
Rothenberg, les responsables nazis de second
plan, comme Himmler, peuvent-ils être tenus
pour aussi responsables que Hitler de l’Holocauste ?
Comme l’indiqua Browning, il est clair
que l’on attendait pas qu’Hitler intervienne
jusque dans les moindres détails ici : « Il
exhortait ses fidèles et prononçait des discours prophétiques ». Dans le système hitlérien, tout nazi loyal avait le devoir impératif
de « travailler pour leur Führer », de toujours
anticiper ses désirs et de le soutenir, en un sens
de dédier votre vie à lui. « Quand il faisait une
prophétie, ajoutait l’historien, vous n’aviez
qu’une obligation : faire en sorte que cette prophétie devienne réalité. Ainsi, quand il formulait une idée ou un objectif en termes
vagues, votre mission était de les rendre réels. »
Cette approche des choses donna naissance à toutes d’initiatives et de plans qui
étaient présentés à Hitler. « Parfois celui-ci
disait : « Non, vous ne m’avez pas interprété
correctement. » Parfois, il mettait son veto.
D’autres fois, il laissait une porte ouverte : « pas
encore ». Mais en d’autres occasions, il donnait son feu vert. A cet égard, la personne
qui interprétait le mieux Hitler était Himmler. Généralement, il anticipait tout ce qu’Hitler voulait et comprenait ce qu’il signifiait. Dès
lors il se rendit indispensable à Hitler par
cette capacité à transformer les prophéties en
réalité et c’est ainsi que la SS dont il était le
chef accrut rapidement son pouvoir au cours
de cette période. »
« Pour un historien, cette façon de prendre
des décisions est effroyablement imprécise. Il
est impossible de trouver un document ou une
réunion spécifique qui vous permette de dire :
« Voilà, c’est là que tout a commencé » ou
« Voilà, c’est ici que quelque chose a été décidé ». D’abord, il y a une première étape où
Hitler donne de vagues indications ou
signaux. Puis d’autres interprètent ces signes.
Ils reviennent vers Hitler et lui disent qu’ils
l’ont bien compris. Ils repartent et font des
plans. Et alors ils les ramènent au Führer.
A l’appui de la thèse du professeur Browning, un autre exemple
d’incohérence dans la politique allemande. Au printemps 1942, après
la conférence de Wannsee, le ministre de la Justice Lammers informe ses
services que « le Führer a déclaré de manière répétée… qu’il souhaite
reporter la solution finale de la question juive à l’après-guerre ».
86
Ainsi, le processus de
prise de décision peut
courir sur des mois. »
Dans ce contexte,
une question logique –
a contrario – se posait :
Pouvait-on imaginer
que le Führer ait pu
faire, à l’occasion, une
de ses déclarations
vagues, sans que personne ne se soit levé
pour la rendre réelle, la
mettre en oeuvre ?
C’est la question que
posa la journaliste à
l’historien.
« Parmi les nombreuses personnes « travaillant pour leur Führer », certaines étaient
des idéologues engagés,
des
antisémites
farouches. Certaines
d’entre elles pressaient
Hitler bien avant qu’il
soit prêt à prendre certaines décisions. Il ne
se contentait pas de
donner des feux verts,
mais parfois il devait
sortir le rouge en disant
« Non, c’est prématuré », rappela Browning.
Tel que le système
fonctionnait, même si
Himmler ou Heydrich
n’avaient pas fait différentes propositions, il
est quasi inévitable que
quelqu’un d’autre l’aurait fait. Himmler et
Heydrich se sont distingués en étant les premiers en cette matière,
Revue de presse
Mensuel américain très respecté,
The Atlantic Monthly est disponible dans
de nombreux points de vente en Europe ou
par abonnement (PO Box 37584 Boone IA
50037-2584). Les lecteurs peuvent visiter
sa page d’accueil (www.theatlantic.com).
Christopher Browning était l’un des
témoins experts appelés par Deborah
Lipstadt dans le procès en diffamation
qu’avait entrepris contre elle David Irving.
mais ils n’étaient certainement pas les seuls. Il
y avait suffisamment de
monde pour se disputer les faveurs du Führer,
pour que d’autres aient
rempli le vide, si ces
deux-là n’avaient pas été
là. »
Dans son ouvrage,
l’historien souligne également que les feux verts
donnés par Hitler coïncidaient souvent avec de
grandes victoires nazies.
Plus les campagnes
d’Hitler étaient couronnées de succès, pourraiton penser, plus il osait
mettre ses plans à exécution ?
« Je pense effectivement qu’il y a une étroite corrélation entre l’euphorie de la victoire
qu’éprouva Hitler – en
septembre 39, mai et
juin 40, juillet 41 et fin
septembre-début
octobre 41 – et ce que je
considère comme les
quatre pivots de la radicalisation de la politique
juive nazie, confirma
Browning à Jennie
Rothenberg. Selon moi,
l’un des facteurs ayant
le plus influencé Hitler
– l’une des raisons, en
somme, l’ayant le plus
incité à donner des feux
verts –, c’était l’idée
qu’il avait maintenant
l’Europe à ses pieds et
que tous les obstacles
Revue de presse
étaient tombés. Cette idée lui donna un élan
formidable. Il sentit que plus rien ne pouvait
l’arrêter, qu’il pouvait donner une impulsion
décisive afin de transformer ses rêves en réalité. Donc, les victoires nazies furent effectivement des facteurs accélérateurs, des facteurs qui favorisèrent l’intensification de la persécution raciale. »
Un ouvrage novateur
The Origins of the Final Solution étudie dans
les moindres détails la mise en œuvre de la
Solution Finale. L’ouvrage de Browning s’intéresse à tous les paramètres, des plannings des
trains aux différentes sortes de gaz testés par
les techniciens nazis. Comment peut-on évaluer le mal à l’œuvre, quand on décortique
autant les détails au lieu de ne prendre en
compte que le tableau général ? Se demanda
enfin la journaliste.
« Il est toujours facile d’identifier l’Holocauste à Hitler, lui répondit le chercheur, ce
qui n’est au demeurant sans doute pas faux.
Comme je l’avance dans mon livre, il fut certainement le principal décideur et instigateur
de tout ça. Mais si nous voulons réellement
une image complète de la mise en œuvre de
ce processus, si nous voulons comprendre
comment tout cela a pu arriver, il nous faut
inévitablement prendre en compte la réalité
complexe, stratifiée, dans laquelle toutes sortes
de gens sont intervenues de manière plus ou
moins conséquente. Il est important de repérer que les impulsions ayant conduit à la Solution Finale ne sont pas toutes venues du sommet, de Hitler, mais aussi d’individus situés
plus bas dans la hiérarchie. »
En fin d’entretien, Christopher Browning
put conclure que l’Holocauste possédait des
caractéristiques tout à fait uniques au regard
des autres génocides. « Mais être unique sous
certains aspects ne veut pas dire unique sous
tous les aspects, précisa l’auteur. Les différents acteurs qui furent impliqués dans la
87
Solution finale et les processus de prise de
décision n’ont rien d’unique. En réalité, je
pense même que nombre des éléments à
l’œuvre ici furent une mise en commun de facteurs et de gens ordinaires. Je crois qu’il est très
important de reconnaître cela si nous ne voulons pas mettre à part l’Holocauste comme une
sorte d’événement mystique et supra-historique que nous ne pourrions pénétrer et que
nous ne pourrions même pas essayer de comprendre. »
Christopher Browning est titulaire de la chaire
d’histoire Frank Porter Graham de l’université de
Caroline du Nord.
Pour en savoir plus
The Origins of the Final Solution
The Evolution of Nazi Jewish Policy, September 1939 – March 1942, Christopher R. Browning avec la collaboration de Jürgen Matthäus,
édition reliée 616 p., University of Nebraska
Press, 39,95 USD, ISBN 0-8032-1327-1.
Les gladiateurs romains
étaient gras et végétariens
Contrairement à l’image véhiculée par le cinéma
hollywoodien, les gladiateurs romains étaient gras
et végétariens, affirment des anthropologues autrichiens
qui ont analysé des squelettes de mirmillons
et autres rétiaires sur le site antique d’Ephèse.
«Des analyses effectuées sur
des fragments osseux prélevés sur
les squelettes de 70 gladiateurs enterrés
à Ephèse tendent à prouver qu’ils se
nourrissaient principalement d’orge,
de haricots et de fruits secs», affirme
Karl Grossschmidt, médecin-légiste qui
a participé aux recherches menées par
l’Institut autrichien d’archéologie.
«Ce régime, dont il est parfois
question dans la tradition orale, est
certes triste mais il permettait aux
gladiateurs d’être forts même s’il les
rendait gras», ajoute ce membre de
l’Institut d’histologie et d’embryologie
à la faculté de médecine de Vienne.
Pour parvenir à ces conclusions,
les paléo-anthropologues autrichiens
ont utilisé une méthode dite de «microanalyse des éléments» qui permet
de déterminer ce qu’un être humain
a mangé durant sa vie.
A l’aide d’une sonde nucléaire,
ils ont établi les concentrations en
Les gladiateurs ont nourri l’imaginaire des peintres pompiers du XIXe siècle.
Magazine
89
éléments chimiques à l’intérieur des
un filet, un trident et un poignard,
cellules des fragments osseux prélevés
ou encore le thrace, armé d’une épée
sur les squelettes d’Ephèse. Ils ont pu
recourbée, et le samnite, équipé
en déduire quelles
d’un casque à visière
proportions de
d’un bouclier long
poisson, de viande,
et d’une manica
de céréales et de
protégeant le bras
fruits entraient dans
portant l’épée.
le régime
Il s’agissait, pour
alimentaire des
la plupart,
dieux de l’arène.
d’esclaves
Un régime
qui choisissaient
composé de viande
de devenir des
et de légumes laisse
combattants
des traces
de l’arène pour
équilibrées de zinc
tenter de sortir
et de strontium alors
de leur condition
qu’un régime
(la victoire pouvait
végétarien laisse des
leur permettre d’être
Mosaïque romaine.
traces à haute teneur
affranchis) mais
en strontium et à faible teneur en zinc,
il y avait aussi des hommes libres
explique M. Grossschmidt.
qui s’engageaient pour des raisons
«La densité osseuse (des squelettes
économiques.
examinés) était plus grande que la
Si elles sont confirmées par des
moyenne, comme c’est le cas chez les
analyses encore en cours, les premières
athlètes modernes», indique Fabian
conclusions des chercheurs autrichiens
Kanz, de l’Institut de chimie analytique
battraient en brèche l’image imposée
de l’université de Vienne.
par Hollywood, dans des films comme
«La densité osseuse est
Spartacus et Gladiator, d’athlètes
particulièrement remarquable aux
carnivores à la musculature noueuse.
pieds, ce qui tend à prouver que les
«Il semble que les gladiateurs
gladiateurs combattaient pieds nus dans
tendaient à prendre du poids avant
le sable glissant de l’arène», ajoute-t-il.
les combats», estime encore M. Kanz.
Pour lui, «les gladiateurs, qui
«Mais rien n’interdit de penser
s’affrontaient presque sans armure,
qu’ils travaillaient dur pour le reperdre
pourraient avoir voulu développer leur
une fois sortis des arènes», ajoute-t-il
graisse pour protéger leurs organes
en souriant.
vitaux des coups tranchants portés par
Situé à 20 km de la ville de Kusadasi,
leurs adversaires».
le site archéologique d’Éphèse est
Dans la Rome antique,
l’un des plus important de Turquie.
l’affrontement classique de gladiateurs
La ville fut fondée par les Grecs mais
réunissait en une opposition de styles
ce furent les Romains qui en firent
le lourd mirmillon, armé du glaive
l’une des villes les plus prospères de
et protégé par un casque à l’effigie
l’empire et la capitale de leur province
de poisson et un bouclier rond, au léger
d’Asie. Des archéologues autrichiens
rétiaire, dont les seules armes étaient
fouillent à Ephèse depuis 1898.
Un village japonais
à l’heure impériale allemande
A la fin de la Première Guerre mondiale, un millier
de soldats allemands ont passé trois ans dans un camp
de prisonniers au fin fond du Japon. Une drôle de prison
où ils menèrent une vie presque idyllique, rythmée
par le football, la musique et les pique-niques.
Lorsqu’en 1920, ces hôtes forcés sont
rentrés en Allemagne, où leur histoire
est peu connue, ils ont laissé derrière
eux cinq ponts de pierre, la IXe
symphonie de Beethoven et de bons
souvenirs à Naruto (ouest du Japon).
«Mon père m’a raconté qu’au début,
les villageois étaient effarés de voir des
types aussi grands, au long nez et aux
yeux bleus», se souvient Keisuke
Hayashi, 70 ans, professeur à la
retraite. Son père, Yutaka, travaillait à
la poste du camp de Bando, construit
en 1917 à Naruto.
«Les gens pensaient que ces soldats
étaient des extraterrestres», explique-til. «Mais ils ont vite compris qu’ils
n’étaient pas le genre à mettre la
pagaille. Ils les ont aidés et ont vécu en
bonne entente avec Doitsu-san
(monsieur l’Allemand)».
Les 1028 Allemands étaient libres de
sortir du camp. Ils avaient le droit de
jouer au football, d’aller pique-niquer
et donner des concerts à l’extérieur.
Derrière la clôture, c’était
l’Allemagne: on s’y régalait de
saucisses et de choucroute, de pain et
de bière, on y discutait philosophie et
littérature, il y avait une brasserie et on
organisait des fêtes à Noël.
Pour s’amuser, les soldats allemands
construisirent un bowling. Ils jouaient
au billard, montaient des pièces de
théâtre, cuisinaient... Ils pouvaient aller
se prélasser dans un onsen, source
d’eau chaude naturelle où se baignent
les Japonais. Leurs gardiens les
autorisaient à faire du business grâce à
l’argent prêté par les villageois.
Les prisonniers reprirent
naturellement leurs métiers d’avantguerre: ébénistes, cordonniers,
photographes, barbiers, imprimeurs,
charpentiers, pharmaciens ou luthiers.
Un seul détenu, qui avait le mal du
pays, chercha à s’évader.
Certes, la plupart des 4630
prisonniers de guerre allemands de
1914-18 au Japon n’ont pas eu cette
chance. Entassés dans une dizaine de
camps, ils étaient souvent victimes de
mauvais traitements, selon Ichiro
Tamura qui s’occupe du musée
allemand de Naruto.
Ces soldats allemands avaient été
capturés en Chine. Dès 1914, le Japon
entra en guerre aux côtés des Alliés,
conséquence du traité de sécurité
anglo-nippon de 1902, et ses forces
s’emparèrent du port chinois de
Tsingtao, alors colonie allemande.
Les Allemands du camp de Bando,
eux, durent leur salut à un officier
japonais éclairé, le colonel Toyohisa
Matsue, chef de la prison de Naruto.
Magazine
91
Les Allemands prisonniers à Naruto auraient bien du mal à reconnaître la tranquille
bourgade où ils ont vécu quatre longues et paisibles années.
«Matsue avait l’habitude de dire
que soldats japonais et allemands
se battaient au nom de leur pays,
pas les uns contre les autres», raconte
Masashi Nakano, directeur adjoint
du musée où sont exposées les lettres
des prisonniers, des photos et des
numéros du journal qu’ils avaient créé.
«Matsue respectait ses ennemis.
Il a ordonné à ses hommes de leur
accorder toute l’hospitalité possible
même si le gouvernement central lui
a reproché son excessive indulgence»,
souligne Masashi Nakano.
Il n’est donc pas étonnant que des
liens d’amitié se soient forgés entre
les soldats allemands et leurs hôtes
nippons, qui perdurent jusqu’à ce jour.
Les premiers apprirent aux seconds
l’élevage laitier, à cuire du pain et bâtir
des maisons en dur. Mais le plus bel
héritage, c’est la musique. Le 1er juin
1918, 125 prisonniers allemands,
qui avaient formé un orchestre,
jouèrent pour la première fois
la IXe symphonie de Beethoven.
En souvenir, les habitants de Naruto
ont fondé en 1973 une «Société
musicale pour interpréter la
Neuvième», qui l’a déjà jouée à 24
reprises, dont deux fois en Allemagne
devant les descendants des prisonniers.
«J’ai été surpris de savoir qu’une
telle prison existait au Japon»,
témoigne Roland Schulz, un jeune
Allemand qui traduit les documents
du musée de Naruto.
«Je voudrais faire passer le message
que les racines des relations entre
le Japon et l’Allemagne sont ici».
L’acte fondateur du parti nazi
réapparaît aux Etats-Unis
L’original manuscrit de l’acte fondateur du Parti nationalsocialiste ouvrier allemand (NSDAP) signé de la main
du dictateur Adolf Hitler, dont n’étaient connues jusqu’à
présent que des copies, a été retrouvé aux Etats-Unis.
Connu des historiens, cet écrit était
retrouvés aux Etats-Unis n’étaient pas
tombé entre les mains d’un soldat
connus, à l’image de quelques discours
américain, selon l’AFP
prononcés par des
« dans des
dirigeants
circonstances
du NSDAP lors
mystérieuses ».
de leur premier
Cet euphémisme cache
congrès début
pudiquement le fait
juillet 1926
que les Américains
à Weimar.
ont mis durant
Dans l’un
plusieurs mois
d’eux, le chef
l’Allemagne au pillage.
de la propagande
C’est la fille
Joseph Goebbels,
du soldat qui a mis
affirme que
la main sur
la terreur «ne peut
le document fondateur
être combattue
du NSDAP, noyé
par un débat
au milieu d’une pile
dépassionné mais
de papiers dans
par la contrele grenier de son père,
terreur». Dans un
décédé. Le magazine
autre texte, Alfred
Die Gazette en a publié Quart d’un prisonnier allemand volé Rosenberg,
par un garde américain.
des extraits.
l’un des leaders
«Cela ne va
de l’idéologie
certainement pas réécrire l’histoire»,
nazie, célèbre «les paroles
observe Volker Dahm, expert
d’un Führer béni par Dieu».
à l’Institut d’histoire contemporaine
L’acte constitutif, daté d’août 1925,
de Munich, soulignant qu’il existe déjà
est une feuille recto portant la signature
des copies de cet acte et qui a
de Hitler et celle de trois autres
authentifié le document. «Mais cela
fondateurs du NSDAP.
donne un aperçu du parti dans ses
Le manuscrit original de l’acte
premières années», relève l’historien.
fondateur du NSDAP semble provenir
Et d’affirmer que certains détails
des archives du parti nazi et être
contenus dans d’autres documents
authentique, affirme l’expert après
Réacteur allemand ramené aux Etats-Unis par l’armée américaine.
avoir examiné une copie du document,
en particulier les signatures, l’écriture
et des détails historiques, en les
comparant avec ce qui existe déjà.
«Les signatures étaient relativement
faciles à identifier», a-t-il confié.
«Nous pensons que ces documents sont
des originaux», a-t-il assuré.
Le NSDAP n’a pas vu le jour pour
la première fois en 1925 mais en 1920.
Il avait été interdit après le putsch
manqué de 1923 qui avait valu à Hitler
une peine de prison d’un peu moins
d’un an.
Après sa libération en décembre
1924, Hitler s’est attaché à recréer
le parti. Et en août 1925, lui et trois
autres dirigeants ont approuvé
formellement les statuts et élu «Adolf
Hitler, profession: écrivain», comme
son premier président.
Aux yeux de l’historien Volker
Dahm, l’acte fondateur et quelques
autres documents retrouvés aux EtatsUnis, qui vont jusqu’à 1928, sont
une sorte de carnet de bord
de la branche munichoise du NSDAP.
Les documents retrouvés aux Etats-
Unis contiennent aussi une traduction
en anglais de l’acte constitutif du parti
nazi, écrite probablement par des
Américains, ce qui, d’après Volker
Dahm, montrerait que ce document est
passé à la fin du conflit mondial dans
les mains d’un service officiel
américain des forces d’occupation
américaines en Allemagne.
Volker Dahm espère que ces
documents, qui appartiennent selon
lui à l’Etat régional de Bavière, dont
Munich est la capitale, et qui gère
les biens d’Adolf Hitler, seront
restitués à l’Allemagne.
Car dans les archives, conclut
l’expert, «c’est toujours mieux d’avoir
l’original que la copie».
Goebbels s’est suicidé à la fin
de la Seconde Guerre mondiale
à Berlin, dans le même bunker
que celui où Hitler s’était donné
la mort un jour plus tôt, tandis
que Rosenberg a été condamné à mort
pour crimes contre l’Humanité
par le Tribunal militaire interallié
de Nuremberg en 1945 et pendu
un an plus tard.
Un mammouth en chair
et os découvert en Sibérie
Une carcasse de mammouth vieille de plus
de 18000 ans, comprenant notamment la tête bien
préservée et une patte presque intacte, a été extraite
en septembre dernier de la terre gelée de Sibérie
par une expédition franco-russe.
La découverte a été annoncée
par Bernard Buigues, directeur
des expéditions à l’origine de cette
découverte, et les paléontologues
Yves Coppens, du Collège de France,
et Dick Mol, du Muséum d’histoire
naturelle de Rotterdam.
Ce mammouth laineux a été repéré
dès novembre 2002 par un chasseur
de rennes de la région de Yukagir,
Vassili Gorokhov, lui-même alerté
par ses enfants qui avaient aperçu
une défense émergeant de la rive
d’une rivière. Après l’avoir dégagée, le
chasseur découvre la seconde défense
puis le crâne auquel les défenses sont
encore rattachées. Gorokhov décide
alors d’aller vendre son précieux
trophée dans la ville de Yakoutsk.
La nouvelle parvient à Bernard
Buigues, organisateur d’expéditions
polaires, à la tête de sa société
Cerpolex, qui consacre une partie
de ses activités à la recherche
de ces créatures préhistoriques pour
les mettre à la disposition de la science.
A cette fin, il a mis sur pied un comité
scientifique, Mammuthus, placé sous
la direction d’Yves Coppens, célèbre
pour ses travaux sur les ancêtres
de l’homme mais spécialiste également
des mammouths.
Buigues se rend immédiatement
à Yakoutsk. «Lorsque j’ai vu la tête,
raconte-t-il, je suis resté médusé.
Que ce soit dans la littérature ou dans
des musées, je n’avais jamais vu un
fossile aussi bien conservé, même si
malheureusement la trompe manque.»
Depuis le début du XIXe siècle, seule
une demi-douzaine de mammouths
«en chair et en os» ont été mis au jour.
Le Français obtient le fossile pour
25 000 euros, le dépose au musée
de Yakoutsk et organise une expédition
pour récupérer le reste du mammouth
qui portera le nom de la région
de sa découverte, Yukagir, dans
le nord-est de la Sibérie.
Une patte recouverte
de peau et de poils
Les hommes dégageront une omoplate,
une partie de la colonne vertébrale,
plusieurs côtes, une patte recouverte
de peau et de poils, de l’estomac,
de l’intestin et de la peau. L’arrivée
de l’hiver sibérien les empêchera
de terminer le travail, qui ne pourra
reprendre que l’été prochain.
Néanmoins, Dick Mol, coordinateur
scientifique de Mammuthus, n’hésite
pas à parler dès à présent d’une
«découverte exceptionnelle grâce
à la variété des examens que
Magazine
95
les scientifiques vont
le plus complet
pouvoir entreprendre
de la demicompte tenu de son
douzaine de
état de conservation»
pachydermes
et, entre autres,
préhistoriques
à la présence
«en chair et os»
de la moelle dans ses
trouvés à ce jour,
os. L’examen du
tous en Sibérie
fossile révèle qu’il
(sauf un,
s’agit d’un mâle
provenant
de 40 ans, mort voici
d’Alaska).
15600 ans.
Mis au jour par
Comme
hasard au cours
à l’accoutumée suite à
de travaux menés
une telle découverte,
en 1977 dans le
nombreux sont ceux
sol gelé d’une
qui s’interrogent
mine d’or dans la
sur la possibilité
région
de faire revivre un
de Magadan,
jour les mammouths
Dima
par clonage ou par
a reçu le nom
fécondation d’une
d’un ruisseau
Un mammouth nord-américain.
éléphante avec
voisin du lieu
du sperme
de sa découverte.
de pachyderme préhistorique.
Bien que légèrement détérioré par le
La majorité
bulldozer qui l’avait touché au moment
des biologistes sont très sceptiques.
de son dégagement inattendu, Dima
Dans un entretien accordé à Science et
reste bien conservé, sa trompe est
vie, Yves Coppens est, lui, plus nuancé.
entière et les organes internes restés
«Cela me paraît impossible à l’heure
en place. Au moment
actuelle, reconnaît-il, parce que l’ADN
de l’exhumation, le petit pachyderme
est très fragile et se brise aisément,
possédait même ses poils, qui sont
même dans d’excellentes conditions
malheureusement tombés,
de conservation. Je ne sais pas si nous
sauf à la base des pattes.
serons un jour en mesure de remettre
Cet «ancêtre» de Yukagir semble avoir
sur patte un fossile. (...) Mais je ne
perdu la vie à l’âge estimé de sept
comprends pas qu’un scientifique n’ait
mois, enseveli dans un glissement de
pas l’audace d’y songer, même si nous
terrain. En effet, l’analyse histologique
n’en sommes pas encore là.»
de ses tissus, la présence d’une quantité
importante de vase, d’argile, de gravier
Dima, un bébé mammouth
et de ses propres poils dans l’estomac,
de 40 000 ans «ancêtre» de Yukagir
ainsi que de particules minérales dans
les poumons, ont permis d’imaginer
Au Museum de Paris, les visiteurs
que l’animal est mort d’épuisement
peuvent également contempler Dima,
au terme d’une lutte désespérée pour
le mammoutheau
se libérer.
Au musée des Armes à feu,
la liberté est au bout du fusil
Au Musée national des armes à feu, l’histoire de
l’Amérique apparaît intimement liée à la détention
d’armes, symbole de liberté pour la National Rifle
Association (NRA), le puissant lobby des armes à feu.
«Le musée parle de la légende de
l’Amérique du début jusqu’à nos
jours», affirme Doug Wicklund, le
conservateur de ce musée installé au
rez-de-chaussée du siège de la NRA,
un banal immeuble de bureaux à
Fairfax (Virginie), à une trentaine de
kilomètres de Washington.
A l’entrée du musée, une phrase du
deuxième amendement de la
constitution des Etats-Unis rappelle
que «le droit du peuple à détenir et
porter des armes ne sera pas
transgressé».
Cet amendement «est aujourd’hui un
pilier de la liberté inhérente à la
citoyenneté américaine», affirme le
musée. Il «a été décidé par les pères
fondateurs comme un droit
fondamental du peuple et des individus
contre un gouvernement tyrannique»,
ajoute-t-il.
Pour bien marquer ce lien intime
avec la naissance de l’Amérique, une
carabine ayant appartenu à John Alden,
un des pères fondateurs arrivés à bord
du Mayflower en 1620 à Plymouth, est
présentée dans une vitrine.
Environ 2 000 armes sont exposées,
la plupart provenant de donations.
«Nous avons démarré cette collection
en 1871. En 1937, nous avons eu l’idée
que les gens pourraient aimer les voir»,
explique M. Wicklund, qui chiffre les
visiteurs à environ 30 000 par an.
Une chambre d’enfant a été
reconstituée. Un petit lit, du papier
peint, des rideaux décorent la fenêtre,
quelques livres, une mappemonde et
surtout quatre fusils taille enfant
accrochés au mur.
Calvin Hall, 13 ans, est venu avec
ses parents d’Alabama, visiter
le musée. C’est un amateur d’armes
à feu et il possède déjà un pistolet.
«Je m’entraîne dans notre jardin»,
raconte-t-il.
Un peu plus loin, Roger Shaw pousse
la chaise roulante dans laquelle est
assis son père Warren, 83 ans, ancien
combattant de la Seconde Guerre
mondiale. Le vieil homme, qui vit dans
l’Ohio, regarde un exemplaire de
l’arme avec laquelle il s’est battu en
Normandie en 1944.
Des armes ayant appartenu à des
hommes célèbres sont exposées dans
une autre vitrine: un fusil de
compétition offert à l’ancien président
américain George Bush père et une
arme ayant appartenu à Napoléon.
Un revolver endommagé, récupéré
dans les décombres du World Trade
Center à New York après les attentats
du 11 septembre 2001, côtoie un
Magnum utilisé au cinéma par Clint
Magazine
97
Le citoyen étatsunien est un homme armé, tant à la guerre (ci-dessus)
que dans la vie civile.
Eastwood dans Magnum Force et Dirty
Harry.
Le musée a reconstitué la
bibliothèque de l’ancien président
Theodore Roosevelt (1901-1909),
grand amateur de chasse. Pour les
créateurs du musée, le début du XXe
siècle était «Une époque d’élégance».
«Entre 1880 et 1930 (...) les meilleurs
fabricants d’armes ont produit certaines
des plus exquises armes à feu jamais
créées», assurent-ils.
«Cet endroit est si paisible qu’il y a
des gens qui s’assoient dans ce fauteuil
et s’endorment», assure M. Wicklund
en montrant un fauteuil recouvert de
velours bleu où les visiteurs peuvent se
reposer. A la boutique du musée, les
amateurs d’armes à feu sont gâtés.
L’autobiographie de Mikhaïl
Kalachnikov, créateur du fusil d’assaut
du même nom (inspiré d’une arme
allemande), est vendue au milieu de
briquets en forme de douille de fusil, de
bavoirs pour bébés et d’ours en peluche
sur lesquels est brodés le sigle de la
NRA et de pistolets en plastique rose
pour les petites filles.
100
Actualité de l’histoire
L’Allemagne
honore un espion allié
Le plus important espion des
forces alliées durant la Seconde
Guerre mondiale, un fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères du IIIe Reich,
sera honoré par l’Allemagne le
20 juillet, pour le soixantième
anniversaire de l’attentat manqué contre Adolf Hitler, affirme
le magazine Der Spiegel.
Le secrétaire consulaire Fritz
Kolbe, agent de liaison entre le
ministère et le commandement
général de l’armée, avait livré à
l’OSS (future CIA) plus de 1600
documents durant la guerre sous
le nom de code «George Wood»,
et avait eu des contacts avec les
conspirateurs de l’attentat du
20 juillet 1944.
Son travail pour les Alliés
n’avait pourtant pas été payé en
retour, et il avait été empêché
de reprendre son poste au ministère après la guerre. Il est mort
à Berne en 1971 sans avoir été
reconnu pour ses actes de résistance au nazisme.
Un autre fonctionnaire, l’attaché de l’ambassade au Danemark Georg Ferdinand, sera
également honoré par le ministère, pour avoir averti les réseaux de résistance de plusieurs
opérations de déportations des
juifs vivant au Danemark.
Un livre sur les années
de plomb au Maroc
L’arrestation arbitraire des journalistes et le pouvoir exorbitant
de la censure ont marqué les
« années de plomb » au Maroc,
Dans une postface, Khalid
Jamaï critique par ailleurs « un
système de gouvernance dont
la finalité première est de garantir la pérennité d’une monarchie autoritaire, totalitaire
qui doit régner et gouverner ».
Hassan II, écrit l’auteur,
avait affirmé clairement devant
le parlement « que la séparation
des pouvoirs ne le concernait
pas et que tous les parlementaires étaient ses conseillers ».
Un tableau de Caspar
David Friedrich rendu
à ses propriétaires juifs
Traître pour les uns, héros
pour les autres, Fritz Kolbe
sera honoré par
le gouvernement allemand.
affirme le journaliste Khalid
Jamaï qui relate son incarcération durant cinq mois en 1973,
sans procès, dans un livre publié au Marocsous le titre 1973
- Présumés coupables. Khalid
Jamaï, journaliste à l’Opinion,
quotidien francophone du parti
de l’Istiqlal (nationaliste), y
évoque son arrestation en 1973,
la torture, les insultes et les humiliations qu’il a subies dans un
commissariat de Rabat.
Khalid Jamaï affirme qu’une
photo d’un enfant, prise dans
une rue de la capitale par un
photographe de l’Opinion, a été
à l’origine de son arrestation.
« C’est toi qui lui avais ordonné
de prendre cette photo, tu savais qu’il s’agissait d’un membre
de la famille royale », lui disaiton lors d’une séance de torture.
Un tableau du peintre allemand
Caspar David Friedrich a été
rendu lundi à Berlin, en présence du chancelier allemand
Gerhard Schroeder, aux héritiers de ses anciens propriétaires
juifs, qui avaient été forcés de
le vendre aux autorités nazies
en 1937.
L’œuvre, intitulée le Watzmann, du nom d’une colline allemande, et peinte en 1824/25,
est l’un des rares grands tableaux
de Friedrich (1774-1840), l’un
des peintres les plus représentatifs de l’art romantique.
Ses propriétaires, une famille juive berlinoise, avaient
été forcés de vendre le tableau
aux autorités nazies en 1937.
Devenu propriété de l’Etat allemand, il était exposé depuis
décembre 2001 dans une des
salles de la Nationalgalerie.
La restitution des biens juifs
à leurs héritiers est « un devoir
historique et moral de l’Allemagne », a déclaré le chancelier
allemand.
Actualité de l’histoire
101
Les explorateurs Axel Brummer et Peter Glockner.
En jonque sur les traces
de Marco Polo
Sept cents ans après Marco Polo,
deux aventuriers allemands vont
mettre les voiles dans le port de
Hong Kong pour refaire en
jonque le voyage de retour de
l’explorateur vers Venise.
Axel Brummer, 37 ans, et
Peter Glockner, 36 ans, tous
deux originaires de feue l’Allemagne de l’Est, se sont rencontrés sur les ruines du mur
de Berlin au printemps 1990,
découvrant qu’ils avaient une
passion commune : les expéditions au long cours.
« A cette époque, on voulait juste la liberté », se souvient
Axel Brummer. «Nous n’avions
rien. Nous n’avions pas d’argent, mais nous voulions juste
voir le monde ».
Alors ils sont partis. Et en
14 ans, ils ont traversé 130 pays
et parcouru 135000 km en vélo
et 6 000 en kayak. Entre les
coups de pédale, ils ont écrit des
centaines d’articles et sept livres
pour financer leur expédition.
En 2001, ils ont refait en
neuf mois le voyage que Marco
Polo avait effectué de 1271 à
1275 de Venise jusqu’en Chine.
Mais depuis dix ans, l’idée de
refaire également le retour de
l’Italien, en bateau cette fois,
germait dans l’esprit des Allemands.
« Nous voulons suivre le
voyage de Marco Polo au plus
près possible », explique Axel
Brummer. L’itinéraire sera donc
le même, à l’exception notable
du tour de l’Afrique, remplacé
par le passage du canal de Suez.
A bord d’une jonque chinoise
semblable à celle que le négociant a empruntée, les Allemands
longeront les côtes d’Asie du
Sud-Est, faisant escale à Saigon,
puis Bornéo, Singapour et Sumatra, y passant à chaque fois
quelques semaines afin de se familiariser avec les cultures locales.
A Phuket, en Thaïlande, ils
attendront durant six mois que
la mousson se calme, puis mettront le cap sur le Moyen-Orient
et la Méditerranée. En tout, le
voyage devrait prendre trois à
quatre ans, mais aucun calendrier n’est fixé.
A chaque étape, ils prévoient
de recruter des bénévoles, « pas
des rêveurs », mais plutôt des
travailleurs prêts à faire la cuisine, laver le pont, réparer les
dégâts…, explique M. Brummer.
Le long voyage a bien failli
ne jamais se réaliser. La jonque
qu’ils avaient achetée a été emportée par un cyclone en mai
dernier dans l’océan Indien, de
quoi en faire renoncer plus d’un.
« C’était une autre aventure »,
répond Alex Brummer, d’un
ton léger. « Nous avons tout dû
reprendre depuis le début, mais
beaucoup de gens nous ont
aidés ».
Ils ont finalement trouvé
une jonque chinoise de 31 m
dont seule la coque était en bon
état. Tout le reste a dû être refait, avec l’aide de soixante personnes qui ont travaillé durant
cinq mois. Elle a été baptisée
Kubilay Khan, empereur mongol (1260-1294) pour lequel
Marco Polo a effectué des missions durant seize ans.
Schroeder commémore
l’insurrection de
Varsovie
Le chancelier allemand Gerhard
Schroeder participera aux cérémonies du soixantième anniversaire de l’insurrection de Varsovie, qui avait éclaté le 1er août
1944 contre les occupants nazis,
à l’invitation du premier ministre polonais Leszek Miller, a
indiqué ce dernier.
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« Le chancelier a accepté
cette invitation. C’est un événement significatif et important dans l’histoire de nos relations », a déclaré M. Miller lors
d’une conférence de presse commune avec M. Schroeder, à l’issue de leur rencontre à Varsovie.
Le chancelier allemand a
souligné qu’il «appréciait» l’invitation. « C’est à la fois une
distinction pour mon pays et
un honneur pour moi », a-t-il
dit.
Dirigé militairement contre
les occupants allemands, mais
politiquement contre l’URSS
de Staline dont les troupes approchaient de Varsovie, le soulèvement avait été écrasé par les
nazis après deux mois de combats, alors que l’Armée rouge
attendait l’arme au pied sur la
rive orientale de la Vistule, qui
traverse la capitale polonaise.
Plus de 200000 Varsoviens
périrent dans cette insurrection
menée par la résistance non
communiste polonaise et la ville
fut détruite sur ordre d’Adolf
Hitler.
Un crocodile de légende
retrouvé à Naples
Le chantier de la prolongation
du métro de Naples a fait ressurgir un squelette animal qui
pourrait appartenir au crocodile auquel la célèbre reine Jeanne
(1326-1382) jetait ses amants
en pâture selon la légende, a
rapporté la presse italienne.
Les restes ont été retrouvés
place de la mairie, au pied de la
forteresse médiévale du Masque
Actualité de l’histoire
Angevin, de même que les épaves
de trois navires romains et des
fragments d’une demeure impériale romaine.
Si la découverte laisse les
scientifiques dubitatifs comme
le professeur Ottavio Soppelsa,
qui a déclaré au Corriere della
Sera que les os ressemblaient à
ceux d’un gros dauphin ou d’une
orque, elle a enthousiasmé les
chroniqueurs locaux.
Le Masque Angevin est l’un
des monuments les plus visités
de Naples et sa lugubre légende
a eu les honneurs de conteurs
aussi célèbres qu’Alexandre
Dumas.
Des générations de prisonniers auraient aussi fini entre les
crocs du saurien avant que celuici ne soit achevé avec un jarret
de cheval empoisonné.
Découverte du plus
grand hippopotame
en albâtre
Une équipe internationale d’archéologues a découvert le plus
grand hippopotame en albâtre
de l’époque pharaonique datant du Nouvel Empire (XVIIIe
dynastie) près de Louxor, à 600
km au sud du Caire.
La statue, dont l’existence
était connue depuis les années
1970, a été découverte par une
équipe comprenant notamment
des archéologues allemands,
français, autrichiens, belges, roumains, japonais, espagnols, polonais.
L’hippopotame, de 130 cm
de haut et 73 cm de profondeur, est sculpté sur une base
en albâtre de 118 cm de large.
C’est la plus grande statue
de cet animal sacré de l’ancienne
Egypte découverte jusqu’à présent. Sans tête, elle a été exhumée dans la cour d’un temple
dédié à Amenhotep III.
D’autres statues d’hippopotames en albâtre, mais de bien
plus petite taille, ont été mises
au jour ces dernières années.
Farouk Hosni a par ailleurs
dévoilé le sarcophage restauré
de Ramsès VI (XXe dynastie) et
une statue de la reineTite, épouse
de Amenhotep III et mère d’Akhénaton.
Le sarcophage de Ramsès
VI a été restauré à partir de 250
fragments épars. Le couvercle
est une copie de l’original, exposé actuellement au British
Museum. Il avait été transféré
à Londres en 1823 à la demande
du consul britannique au Caire.
M. Hawass a saisi l’occasion pour demander sa restitution à l’Egypte : « le couvercle
exposé à Londres est sans valeur. Il serait préférable de le ramener en Egypte où il aurait
plus de valeur s’il est installé
dans sa tombe d’origine ».
Une mutation dans les
muscles masticateurs à
l’origine de l’homme
Le grand «divorce» entre l’homme
et le singe au terme de millions
d’années d’évolution commune
serait dû à une infime mutation
au niveau d’un gène, qui aurait
remplacé la puissance des mâchoires de nos propres ancêtres
par celle de notre cerveau, selon
une hypothèse originale exposée par des biologistes améri-
Actualité de l’histoire
cains dans la célèbre revue Nature.
De nombreux primates, allant des lignées éteintes d’hominidés, dont les australopithèques et les paranthropes, aux
gorilles et aux chimpanzés actuels, sont dotés de puissants
appareils masticateurs, expliquent Hansell Stedman, de l’université de Pennsylvanie, et ses
collègues, En revanche, ajoutent-ils, les muscles masticateurs
des humains, aussi bien fossiles
que modernes, sont incomparablement plus faibles, et leur
réduction aurait notamment eu
pour effet d’autoriser un développement sans précédent du
cerveau dans une boîte crânienne
de plus en plus volumineuse.
Pour les auteurs de cette
étude, cette mutation est due à
un gène codant de la chaîne
lourde d’une protéine musculaire, la myosine, connue des
généticiens sous le sigle de MYH
(myosin heavy chain), qui intervient dans la formation des fibres
contractiles et des muscles masticateurs entiers.
Des expériences en laboratoire ont montré que les souris
génétiquement modifiées pour
manquer des gènes spécifiques
de MYH développaient des
muscles nettement plus faibles.
En se basant sur les principes de l’« horloge moléculaire », qui permet d’estimer la
période à laquelle des organismes
ont pu se séparer au terme d’une
évolution commune, l’équipe
Stedman est arrivée à la conclusion que la divergence entre les
primates à muscles masticateurs
forts et à muscles masticateurs
103
Nestor Kirchner.
faibles s’est produite il y a 2,4
millions d’années environ.
Les chercheurs en ont été
agréablement surpris puisque
cette date coïncide parfaitement
avec l’âge des premiers représentants du genre Homo(homme),
tel qu’il est attesté par les fossiles et qui correspond aussi à
l’apparition des premiers hommes
(Homo erectus/Homo ergaster)
chez lesquels on observe simultanément une baisse de pouvoir de mastication et une augmentation de la capacité crânienne.
Argentine : la sinistre
ESMA devient un musée
L’Argentine a commémoré le
28e anniversaire du coup d’Etat
de 1976 au cours d’une émouvante cérémonie tenue dans l’enceinte de l’Ecole de mécanique
de la Marine (ESMA), le principal centre clandestin de torture du régime militaire, qui va
devenir un musée.
Le président Nestor Kirchner, qui fut lui même inquiété
par les militaires durant sa jeunesse militante, a signé l’acte
transférant la propriété des lieux
à la municipalité de Buenos
Aires pour qu’elle les convertisse en lieu de mémoire.
Durant la dictature (19761983), quelque 5000 opposants
ont transité par ces coquets bâtiments situés dans l’un des quartiers les plus chics de Buenos
Aires.
« Je demande pardon au
nom de l’Etat pour cette honte
que tant d’atrocités aient été
tues durant vingt années de démocratie. Ce n’est pas la rancœur ni la haine qui nous guident. C’est la Justice et la lutte
contre l’impunité », a lancé, la
gorge nouée, Nestor Kirchner,
devant une foule estimée à
quelque 20000 personnes.
Pour Kirchner, les chefs de
la dictature, qui avait été accueillie avec sympathie par une
grande partie de la population
argentine, ont été « des assassins ».
Maria Isabel Greco, une
jeune femme née à l’ESMA, a
demandé que les meurtriers de
ses parents soient mis en prison, sans bénéficier de privilèges d’aucune sorte. «Ma maman
m’a mis au monde ici, au mi-
104
Actualité de l’histoire
lieu de médecins tortionnaires»,
a-t-elle rappelé.
Plus de 400 enfants sont
nés à l’ESMA où avait été installée une véritable maternité
clandestine. Les prisonnières y
accouchaient et étaient par la
suite exécutées. Les nourrissons
étaient confiés à des familles de
militaires en mal d’adoption.
La collection du prince
du Liechtenstein
de retour à Vienne
Un nouveau musée, dédié à la
collection d’art de la famille
princière du Liechtenstein, ouvrait ses portes lundi à Vienne,
soixante ans après l’évacuation
de ces chefs-d’œuvre hors d’Autriche à la fin de la Seconde
Guerre mondiale.
Quelque 1600 tableaux de
la renaissance au romantisme
autrichien, dont des œuvres de
Raphaël, Pieter Breughel le jeune,
Jan Breughel l’ancien, Rubens,
ou Rembrandt, ont retrouvé
leur lieu d’exposition, au sein
du palais Liechtenstein de Vienne,
érigé au début du XVIIIe siècle
par la famille princière.
En 1944, durant les derniers mois de la Seconde Guerre
mondiale, la famille avait rapatrié sa collection privée, l’une
des plus remarquables au monde,
à Vaduz, où elle était conservée
jusqu’à présent.
« Bien sûr, certaines parties
de la collection ont été perdues,
d’autres ont été détruites. C’est
presque un miracle qu’autant
d’œuvres aient été sauvées », a
déclaré vendredi le prince du
Liechtenstein Hans-Adam II,
Pour ceux qui douteraient de l’existence du Liechtenstein,
voici la photographie officielle de la ratification d’un traité
à l’ONU par le représentant de la principauté (à gauche).
lors d’une présentation du musée
à la presse.
Parmi ces œuvres, on trouve
notamment une série de huit
tableaux géants de Rubens sur
la vie et la mort du consul romain Decius Mus, réalisés entre
1616 et 1617.
Pour le guide, Alexandra
Matzner, le charme du musée
réside dans le fait qu’il s’agit
d’un bâtiment d’époque, qui
n’a pas été détruit par la guerre,
comme nombre d’autres bâtiments à Vienne.
Pointant du doigt des fresques
et le parquet des salles, elle souligne que « rien n’a été modifié » et que le bâtiment donne
l’occasion au visiteur de « sentir le siècle du baroque ».
terrement d’une momie découverte dans leur région, estimant que cela arrêtera les séismes
qui s’y poursuivent depuis l’automne dernier, ont indiqué les
autorités locales.
La « princesse de l’Altaï »,
âgée de 25 siècles, a été découverte en 1993 sur le plateau
d’Oukok et transférée à l’Institut d’archéologie à Novossibirsk
à 600 km de là.
La dépouille de la jeune fille,
supposée avoir appartenu à une
famille noble et portant un tatouage sur le bras, a été découverte dans un état exceptionnel
de conservation, grâce aux conditions offertes par la terre gelée
de cette région très continentale. Six chevaux portant leurs
selles et brides, étaient enterrés
Les habitants de l’Altaï avec elle. « Il faut calmer la poveulent enterrer
pulation et enterrer la princesse
une momie pour arrêter de l’Altaï», a affirmé le chef de
les séismes
l’administration de la région de
Koch-Agatch où la momie avait
Les habitants de la république été découverte, Aouelkhan Djatrusse de l’Altaï réclament l’en- kambaïev.
Actualité de l’histoire
« Nous avons des secousses
sismiques deux ou trois fois par
semaine, parfois de magnitude
4. Les gens pensent que cela
continuera si l’esprit de la princesse ne retrouve pas la paix »,
a-t-il expliqué.
« C’est une question très
douloureuse. Le peuple autochtone de l’Altaï s’inquiète du
sort de son aïeule. Il faut que la
princesse retourne chez nous »,
a renchéri Rimma Erkinova, directrice du musée ethnographique à Gorno-Altaïsk, cheflieu de l’Altaï.
Découverte d’une
nécropole médiévale
au centre du Portugal
Une importante nécropole médiévale a été découverte à Castelo Branco, dans le centre du
Portugal, au cours des travaux
de restauration de la cathédrale
de la ville, rapporte le quotidien
Publico.
Un ensemble de 32 sépultures, dont plusieurs sarcophages
en granit renfermant des ossements humains appartenant à
dix individus différents, a été
découvert à l’extérieur de la cathédrale de Castelo Branco.
Ces sépultures datent probablement du XIVe ou du XVe
siècle, selon les archéologues
portugais.
« Dans ce genre de sépultures rupestres il n’est pas commun de trouver des ossements,
d’autant plus qu’ils sont en
contact avec le granit qui accélère leur décomposition », a expliqué Pilar Reis, l’archéologue
qui a coordonné les fouilles.
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Un pendentif, un rosaire et
plusieurs épingles, qui servaient
certainement à attacher les linceuls qui enveloppaient les cadavres ont également été trouvés.
Le rosaire est « un objet de
distinction », qui peut fournir
des éléments d’analyse sur le statut social des personnes. L’emplacement de ces sépultures, situées près de l’autel, semble
indiquer qu’il s’agit d’individus
nobles ou appartenant au clergé.
Une basilique du
Ve siècle à Fos-sur-Mer
Une basilique paléochrétienne
remontant aux Ve et VIIe siècles,
installée sur une nécropole du
IIe siècle, a été mise au jour début
mars sur un chantier de construction à Fos-sur-Mer, a annoncé
le service archéologique de la
ville.
Les murs, des fondations et
des tombes à sarcophages et à
coffrages, datant de l’époque
médiévale ou de l’époque romaine ont été mis au jour lors
des travaux. Selon les résultats
de sondages effectués sur le chantier, le site s’étendrait au moins
sur 600 mètres carrés.
L’archéologue, qui a daté les
vestiges, a expliqué qu’il espérait également trouver sur place
les restes d’une abbaye clunisienne datant du XIe siècle. «Une
rareté dans la région qui donnerait à cette découverte une
importance archéologique de
premier plan», a affirmé M. Lagrue.
Le chantier, destiné à la
construction d’un club de voile,
est situé sur le port Saint-Gervais non loin du site « Fossae
mariae », ancien port romain
répertorié noyé sous les eaux de
la Méditerranée.
La formation des
membres a débuté dans
l’eau et non sur terre
La formation des membres a
débuté dans l’eau et non pour
coloniser la terre, selon des travaux de chercheurs américains
publiés jeudi qui font état de la
découverte d’un fossile d’humérus vieux de 370 millions
d’années, pouvant être le plus
ancien du monde.
Le fossile découvert en Pennsylvanie indique que les membres
ont évolué dans les nageoires
des poissons afin de supporter
le corps et peut-être même de
soulever la tête, des caractéristiques d’ordinaire associées à la
vie sur la terre des premiers amphibiens tétrapodes, selon l’étude
dirigée par Neil Shubin de l’université de Chicago.
Ces poissons possédant des
membres peuplaient des rivières
peu profondes à débit lent au
Dévonien supérieur, bien avant
l’arrivée sur terre des vertébrés
les plus anciens, selon ces travaux.
La forme unique du fossile,
comparée aux humérus d’autres
vertébrés ayant des membres,
suggère une variété parmi les
premiers membres qui pourrait
expliquer les premières empreintes mystérieuses préservées
dans les lits de certaines rivières,
estiment encore les scientifiques
cités par la revue Nature.
Actualité des livres
LA LIBÉRATION
DE LA FRANCE
François Delpla
Archipel, 192 p., 300 ill.,
32 e, ISBN 2-84187-421-4.
François Delpla est un des historiens français les plus intéressants. En marge de l’historiographie officielle, il s’appuie sur
des archives, peu connues ou
mal exploitées, pour livrer à des
lecteurs passionnés une vision
renouvelée de grands événements de notre histoire récente
et plus particulièrement de la
Seconde Guerre mondiale. Dans
ce bel album de vulgarisation il
déçoit quelque peu ses lecteurs
car, en simplifiant à l’excès, il
introduit ce qui peut apparaître
comme des erreurs. Ainsi, à titre
d’exemple, pour justifier l’attaque anglaise contre Mers elKébir, il écrit que les clauses de
l’armistice concernant l’armée
de Mer étaient « ambiguës ». Il
semble pourtant que Churchill
ait joué à dessein sur une traduction erronée du mot «contrôle»
qui n’a pas le même sens en français qu’en anglais. En outre, les
Anglais avaient intercepté les
instructions de l’amiral Darlan
qui, elles, étaient claires et nettes.
Plus loin, ce ne sont pas des
bombardiers qui ont attaqué la
flotte italienne à Tarente, mais
des avions-torpilleurs. De même,
si la Luftwaffe avait commencé
à bombarder les villes britanniques à partir du 7 septembre
1940, il est important de préciser que c’est le résultat d’un
choix délibéré de Churchill pour
soulager les infrastructures de
la RAF. A la page 27, la légende
d’une photographie confond
allégrement des fantassins allemands marchant derrière un
char avec la route par laquelle
transitait l’aide alliée vers l’URSS.
A la page, 40, la biographie
d’Otto Abetz, ambassadeur d’Allemagne à Paris est illustrée par
la photo de Ribbentrop! En revanche, il ne se trompe pas sur
les signataires de la reddition de
la garnison de Paris. Il écrit bien
que le chef communiste RolTanguy n’a paraphé qu’une des
moutures de l’acte. Il a également raison de rappeler les rapports contrastés entre la population française et l’armée
américaine ou les véritables origines de la célèbre photographie du fusillé qui souriait.
HÉROS DU MOYEN AGE
Jacques Le Goff
Gallimard, 1344 p., 28,50 e.
Un de nos plus grands historiens raconte les exceptionnelles
figures de saint François d’Assise et de saint Louis, dans un
volumineux recueil paru à l’occasion de son 80e anniversaire,
célébré en janvier 2003. « Il me
semble qu’à travers ces textes,
qui concernent la sainteté et la
royauté, on peut non seulement
s’approcher de ces personnages
supérieurs et exceptionnels que
sont le Saint et le Roi mais aller
au cœur du fonctionnement de
la société médiévale », écrit
Jacques Le Goff dans une préface inédite. Le livre rassemble
des textes déjà parus. Il comprend également « Reims, ville
du sacre » et dix articles réunis
autour de trois thèmes : « Le
Roi dans l’occident médiéval »,
« La cour royale » et « Ordres
mendiants et villes ». L’ouvrage
s’achève avec « Du ciel sur la
terre, la mutation des valeurs
du XIIe siècle au XIIIe siècle dans
l’occident chrétien». Saint Louis
et saint François, explique-t-il,
ont beaucoup de traits en commun, en raison notamment de
leur personnalité individuelle.
Dans « une société de larmes et
de pleurs » qui professait « le
mépris du monde », le rire était
critiqué, voire condamné ou
banni. Avec eux deux, nous
voyons « le rire éclater au sommet de la société », assure-t-il
en précisant que « François est
un saint qui rit » et que « le roi
se libère et libère son entourage
par le rire ». Il rappelle qu’à partir du IVe siècle, « l’installation
en Occident d’une nouvelle religion, le christianisme, et d’un
nouveau système politique et
social, la société médiévale, en-
L’HISTOIRE SECRÈTE
DU MUR DE L’ATLANTIQUE
Rémy Desquennes
Editions des Falaises,
biblio., 215 p., très ill.,
35 e, ISBN 2-84811-009-0.
La stratégie de l’armée allemande pour contrer le débarquement de Normandie, et le
sort des prisonniers de l’armée
hitlérienne, sont présentés par
l’auteur dans ce superbe album.
Il s’intéresse notamment sur
l’envers du décor de l’avant,
du pendant et de l’après-Débarquement, vu du côté allemand. Très fourni en illustrations, dont certaines inédites,
l’ouvrage revient tout d’abord
sur la construction du mur de
l’Atlantique, la collaboration
aussi de certaines entreprises
françaises, volontaires ou requises, à l’organisation Todt,
autant de sujets dérangeants
sur lesquels l’auteur lève le voile.
Rémy Desquennes accorde une
large place à la bataille du rail
et à la guerre secrète qui a entouré la mise en place des fusées V1 et V2. Il aborde notamment un aspect moins
connu de la guerre sous-marine que furent les torpilles humaines allemandes. Selon l’auteur, de véritables kamikazes,
hommes et femmes se bousculaient pour avoir l’honneur
de monter dans une de ces
bombes humaines sous-marines pour éliminer les navires
alliés. Rémy Desquennes y décrit aussi les marchandages de
prisonniers allemands entre
Alliés après la Libération de la
France, leur utilisation dans le
déminage des côtes française
Dans le cas du Mur, la Résistance joua à la perfection
son vrai rôle : transmettre des informations aux Alliés,
ici un secteur repéré par le réseau Eleuthère.
Un des aspects les plus novateurs de ce livre par rapport à la
vulgate habituelle est l’attention qu’il consacre au sort
tragique des Allemands prisonniers des autorités françaises.
et leurs conditions inhumaines
de détention par la France. Il
faut se souvenir que des prisonniers allemands ont été détenus par les Français dans des
conditions souvent à la limite
du supportable et ce jusqu’en
1947, où la plupart des survi-
vants seront libérés. Soulignons
la grande qualité de cet album,
tant par le texte que par le choix
remarquable des images. Elle
prouve que des maisons d’édition régionales sont capables
de proposer aux amateurs des
ouvrages parfaitement réussis.
LES MENSONGES
DE LA SECONDE GUERRE
MONDIALE
Perrin, 220 p., notes, 18,50 e,
ISBN 2-262-01949-5.
Les éditeurs concoctent des
titres alléchants afin d’accrocher l’œil du chaland, titiller
la curiosité de son esprit et susciter en quelques secondes
l’éphémère étincelle d’intérêt
qui déclenchera l’achat. Quant
aux titres des auteurs, parfois
détaillés à l’extrême, ils ont pour
double rôle de flatter la vanité
des premiers et de rassurer les
lecteurs potentiels. Un ouvrage
qui s’intitule les Mensonges de
la Seconde Guerre mondiale, publié par la respectable maison
Perrin et signé par un historien, réunit toutes les conditions pour attirer les passionnés d’histoire. Las, le sommaire
est bien décevant. En fait de
caviar, le lecteur plonge sa louche
dans des œufs de lump. Le
choix des sujets laisse perplexe
car beaucoup manquent à l’appel. Rien de scandaleux à cela
car les historiens sont subjectifs et opèrent dans leurs sujets
le choix qui conforte leurs in-
clinaisons. Toutefois, au fil de
la lecture, on peut être étonné
par les notes qui renvoient non
pas à des ouvrages de référence
mais à des compilations de seconde main, notoirement contestables, comme le IIIe Reich du
journaliste William Shirer ou
les « souvenirs » d’un faux témoin professionnel comme
Naujocks. D’autres citent des
extraits de discours sans donner de sources vérifiables. Bien
étrange méthode pour un professionnel. Déconcerté, je relis
la quatrième de couverture où
l’éditeur affirme bien que l’auteur est historien et bat le rappel d’autres prestigieuses fonctions à l’appui de cette qualité.
Pourtant, aucun des historiens
qui collaborent à Aventures de
l’histoire ne citerait un compilateur comme William Shirer.
Pour en savoir plus, j’interroge
le catalogue de la Bibliothèque
nationale de France. Notre historien n’a publié en tout et pour
tout que la traduction d’un manuel de voyage, une chronologie et des collaborations à des
encyclopédies ou à des annuaires. Intrigué, je téléphone
à un professeur d’université
pour lui faire part de mes interrogations. Sur ses conseils,
je consulte le Système universitaire de documentation. Notre
auteur ne semble pas avoir soutenu de thèse. A la fin de mon
enquête, son éditeur m’apprend
qu’il a une licence d’histoire en
poche. Pas de quoi se prétendre
historien. L’histoire serait-elle
alors réservée aux universitaires?
Non, certes pas. Un romancier comme Robert Merle a fait
davantage pour le XVIe siècle
que beaucoup d’historiens. Les
romans de l’humoriste Cavanna
nous incitent à redécouvrir les
âges obscurs de la France. Un
journaliste comme Jean Mabire ou un photographe comme
René Bail ont écrit des récits
militaires à succès dont beaucoup s’appuient sur des recherches personnelles. Un autodidacte imbuvable comme
David Irving est l’auteur d’ouvrages dérangeants et fort utiles
sur la Seconde Guerre mondiale. Un fonctionnaire retraité
comme René Gourmelon a renouvelé nos connaissances sur
la présence française en Louisiane. Alors, qui est historien?
Peut se dire historien celui qui
a prouvé à ses pairs qu’il était
en mesure de maîtriser une méthode et dont les ouvrages peuvent servir d’outil de travail
grâce à un appareil de notes,
des sources et une bibliographie. Dans la société actuelle,
cette reconnaissance passe par
la soutenance d’une thèse. Rappelons que Marc Bloch disait
que l’histoire se caractérise par
une méthode, un état d’esprit
et une démarche scientifique.
Dans le cas de l’opus qui a suscité notre si longue digression,
l’auteur n’est pas le principal
responsable. Son éditeur a fait
preuve de légèreté en le publiant sans avoir soumis au préalable le manuscrit à la lecture
critique que tout titre aussi ambitieux mérite. Cette fausse
note n’obère en rien le travail
de Perrin mais doit encourager cette prestigieuse maison à
mieux faire.
Actualité des livres
traîne un changement profond
des dieux et des héros » et une
«nouveauté révolutionnaire: le
monothéisme remplace le polythéisme ».
L’ÉVANGÉLISATION DES
AZTÈQUES PAR L’EXEMPLE
Danièle Dehouve
Maisonneuve et Larose,
373 p., 28 euros.
L’auteur met un coup de projecteur sur tout un pan de l’entreprise de conversion des Indiens du Mexique, par le biais
d’un outil religieux spécifique,
l’exemplum. Défini comme «un
récit bref donné comme véridique destiné à être inséré dans
un sermon pour dispenser une
leçon édifiante », l’exemplum,
apparu dans la littérature ecclésiastique « entre le IVe et le
VIIIe siècle », est « recyclé » dans
le nouveau monde, principalement par les jésuites, pour répondre aux besoins spécifiques
de l’évangélisation des Indiens
(lutte contre la polygamie par
exemple). Situé aux carrefours
de l’histoire, de la linguistique
et de l’anthropologie, l’auteur
examine, en suivant un plan très
travaillé, l’histoire des exempla,
leur structure, et leur traduction en langue nahualt, « principal moyen de communication dans la civilisation des
anciens Aztèques (…), devenue, après l’arrivée des Espagnols, la première langue d’évangélisation». L’histoire de l’attirail
exemplaire est particulièrement
intéressante, depuis ses origines
à son renouveau dans le cadre
de la Contre-Réforme. L’ouvrage, illustré de quelques belles
109
gravures représentant certains
exempla, livre en annexe toute
une liste d’entre eux brièvement
analysés, aux titres aussi évocateurs que « Saint-Macaire et la
femme jument » ou « Le muletier qui jurait ».
MOLIÈRE
Alain Niderst
Perrin, 350 p., notes,
biblio., index, 21 e,
ISBN 2-262-01800-6.
Universitaire en retraite, l’auteur est bien conscient d’écrire
une biographie de Molière qui
s’ajoute à toutes celles qui ont
été publiées dans le passé. Pourquoi alors s’intéresser à un homme
dont les matériaux pouvant servir à une biographie sont à la
fois rares et archiconnus? Justement, spécialiste des études
d’écrivains du XVIIe siècle, l’auteur est particulièrement bien
armé pour s’inspirer des éléments rassemblés, les agencer
et les compléter à l’aide de sa
connaissance du temps et du
milieu. Avec bon sens, il écrit
que le biographe doit « malgré
tout arriver à un portrait et un
portrait suppose une harmonie,
qui au fond n’existait peut-être
pas dans la réalité, mais paraît
au public et donc à l’auteur indispensable. » Un bon travail.
HISTOIRE SOCIALE
DES LOMBARDS
Dominique Petit
L’Harmattan, 340 p., notes,
annexes, sources, biblio.,
28 e, ISBN 2-7475-5238-1.
Les âges obscurs de la naissance
de l’Europe, cette période de
transition entre l’empire romain
moribond et les nouvelles sociétés émergentes, sont probablement l’un des moments les
plus fascinants pour l’historien
et l’un des plus difficiles à traiter. Les archives sont rares et les
monuments rarissimes. Il faut
ainsi de peu bâtir une histoire
d’autant plus importante qu’elle
participe aux identités nationales. Les Bretons se passionnent pour leurs ancêtres venus
des îles britanniques, les Français pour les Francs et les Italiens du nord pour les Lombards, ces peuples de langue
germanique venus en Italie au
milieu du VIe siècle et qui vont
dominer la péninsule jusqu’à
l’arrivée des Carolingiens venus
au secours du Saint Siège. L’auteur nous offre non une histoire
événementielle, mais une histoire sociale des Lombards, insistant sur l’évolution des structures de la société, des mœurs
et du pouvoir politique. Cet ouvrage érudit est une véritable
plongée en eau profonde, dans
ces strates de l’histoire dont le
commun des mortels ne sait
rien. Une édition de vulgarisation serait la bienvenue.
110
LE CRIME DE POISON
AU MOYEN AGE
Franck Collard
PUF, 300 p., notes,
sources, biblio., index,
32 e, ISBN 2 13 052 470 2.
Si la presse nous assomme avec
les armes de destruction massive, l’auteur nous invite à renouveler notre horizon en regardant de plus une des armes
de destruction individuelle du
Moyen Age: le poison. De l’étude
des substances, aux producteurs
et aux marchands, en passant
par les modes d’administration,
peu d’aspects échappent à l’esprit inquisiteur de l’auteur. Ainsi,
contrairement à l’idée héritée
de la littérature, le poison n’est
pas une arme réservée à l’élite.
On trouve aussi le poison des
humbles et des sans grade. Cette
étude érudite devrait inspirer
les auteurs de romans policiers.
Dans les sources, les maris frustrés qui rêvent de faire passer
de vie à trépas leur belle-mère
trouveront une liste de traités
de poisons en latin et en langue
vulgaire qu’ils liront avec les précautions d’usage.
Actualité des livres
UNE HISTOIRE POLITIQUE
DU JOURNALISME
Géraldine Muhlmann
PUF, 250 p., notes, biblio.,
26 e, ISBN 2 13 053939 4.
Cet ouvrage a reçu le prix le
Monde de la recherche universitaire. Ne serait-ce pas une
bonne raison pour être sur ses
gardes? Mais, d’un autre point
de vue, un quotidien qui a tant
fait le journalisme au service
d’un projet politique ne seraitil pas au contraire le meilleur
juge d’une histoire politique du
journalisme? Si l’approche de
l’auteur est enrichie par une
perspective globale, la part de
l’histoire nord-américaine est
importante, ses choix personnels sont particulièrement prégnants. A titre d’exemple, dans
son introduction, elle trouve le
moyen de critiquer Gustave Le
Bon tout en se réclamant de
l’école de Francfort, de Marcuse, d’Adorno, d’Horkheimer,
d’Habermas et Pierre Bourdieu.
Un peu plus d’éclectisme n‘aurait pas desservi sa démonstration. Le lecteur qui dépasse ces
premières embûches est récompensé car il entre de plein
pied dans l’histoire du journalisme et notamment dans celle
de sa version étatsunienne. L’auteur étudie avec talent la montée en puissance de la recherche
de l’objectivité et elle cite comme
un moment clef l’article de Walter Lippmann et Charles Metz
condamnant en 1920 la couverture de la révolution bolchevique par le New York Times.
Un historien aurait pu rédiger
une note de bas de page pour
rappeler le rôle du même Lipp-
mann comme sous-marin de la
propagande britannique dans
la presse américaine. L’auteur
quitte ensuite les rivages de
l’Amérique pour revenir en Europe étudier les grandes figures
du journalisme français, d’Albert Londres aux premières années du quotidien Libération,
en terminant par quelques grandes
figures anglo-saxonnes telles Orwell ou Michael Herr. Le talent
de Géraldine Muhlmann est indéniable mais son travail laisse
un sentiment d’inachevé. Peuton réduire l’histoire politique
du journalisme à celle de la version anglo-saxonne (avec quelques
échantillons français) politiquement correcte? Quid, par
exemple, du journalisme allemand et japonais de l’aprèsguerre, des médias russes? Souhaitons qu’elle découvre d’autres
horizons pour écrire une véritable histoire politique du journalisme et non plus une version
régionale à l’usage des lecteurs
du Monde et de Libération.
LE MONDE BYZANTIN
Cécile Morrisson (dir.)
PUF, 544 p., notes,
cartes, biblio., chrono.,
glossaire, index, 33 e,
ISBN 2 13 052006 5.
Les Français connaissent peu le
monde byzantin. D’une part
parce qu’ils ont été peu en contact
direct avec cet empire et d’autre
part parce l’usage du grec et de
la religion orthodoxe rendaient
difficiles les échanges humains
comme intellectuels. Autant de
raisons pour se plonger dans cet
excellent manuel qui ne devrait
pas être le privilège de quelques
Actualité des livres
111
donne le ton: «L’islam en France,
vers la constitution d’une minorité tyrannique? ». La présence d’un grand nombre de
musulmans en Europe, et notamment en France, fait naître
de graves inquiétudes. Les récents attentats de Madrid ne
peuvent que les renforcer. Le
volumineux dossier réuni par
les animateurs de cette revue
apporte des réponses à certaines
des questions que l’on peut se
poser. Ainsi, la démographe réputée Michèle Tribalat tente de
cerner le nombre de musulmans
en France quand l’essayiste libéral A.-G. Slama se demande
si la peur du conflit n’engendre
pas au contraire le conflit. Barbara Lefebvre s’interroge sur
l’antisémitisme des jeunes musulmans et Raphaël Draï étudie l’intifada à la française. En
dehors de quelques lueurs d’optimisme, le ton général de ce
dossier est sombre et les conclusions que les lecteurs lucides
peuvent tirer de ce gros et bon
travail ne suggèrent guère de
lendemains qui chantent. La société européenne, et surtout ses
composantes les plus fragiles
comme la communauté juive,
risquent de connaître des heures
sombres si notre société ne se
ressaisit pas.
étudiants. La bibliographie, classée par thèmes, où ne manquant
pas de nombreuses ressources
en ligne, est proche de la perfection. Ce premier volume a
pour cadre les trois premiers
siècles de l’empire d’Orient, de
la fondation de Constantinople
à la conquête arabe de la Syrie,
de la Palestine et de l’Égypte.
Les auteurs ont tenu compte
des progrès de l’archéologie, de
l’épigraphie, de la numismatique et de la papyrologie. Nous
avons particulièrement apprécié la description des différentes
provinces. Elles permettent
d’éclairantes comparaisons avec
ce qu’elles sont devenues après
la conquête musulmane. Les
pages consacrées par Georges
Tate à la perte de la Syrie devraient être méditées par nos
hommes politiques. Une totale
réussite.
VALISE DIPLOMATIQUE
Pierre Louis-Blanc
L’ISLAM EN FRANCE
Le Rocher, 440 p., 19 e,
Yves Charles Zarka (dir.)
ISBN 2 268 05045 9.
PUF, 740 p., 25 e,
De l’air, du vent! Un esprit mal
ISBN 2 13 053723 5.
intentionné pourrait ainsi réCe numéro hors-série de la revue sumer les souvenirs de ce diCités fait le point sur l’islam en plomate qui a passé près de trente
France. L’éditorial de Y.-C. Zarka ans au service de la France dans
de nombreux pays. Que dire
d’un ouvrage rédigé sans notes
ni index, où l’auteur égrène une
foultitude d’anecdotes, de portraits ampoulés de politiques et
de gens connus mais qui se garde
bien de dire quoi que ce soit
d’intéressant sur ce qui compte
vraiment : « devoir de réserve
oblige »? Soit l’auteur l’a écrit
trop tôt, soit il n’a pas voulu
réellement travailler son texte il
lui donnant de la substance.
Mais, voilà, l’auteur de ces lignes
n’est pas assez pisse vinaigre pour
ignorer les réelles qualités de ce
livre. La description de la jeunesse de l’auteur sous l’occupation est parfaite de justesse et
de vérité. Le portrait qu’il fait
de la France et des Français de
ces heures tragiques devrait être
lu dans les écoles. Les réflexions
que lui inspirent ensuite les différentes étapes de sa carrière sont
à chaque fois l’occasion d’un
portrait d’un pays et d’une
époque. A défaut d’être un livre
d’histoire, c’est un livre d’honnête homme.
DES TEMPS DIFFICILES
POUR LES RÉSISTANTS
DE BOURGOGNE
Robert Chantin
L’Harmattan, 410 p., notes,
34 e, ISBN 2-7475-5227-4.
Voici un livre fort agaçant car
il a été publié sans sources, sans
bibliographie, sans index. A quoi
peut-il bien servir? Lecteur serait bien inspiré de lire ce travail à l’état de thèse (soutenue
en 2000) s’il souhaite en tirer
profit. Cette poursuite d’économies de bouts de chandelle
à l’heure de publier des travaux
112
historiques est une absurdité
que l’éditeur ne devrait pas accepter. Professeur de lycée, l’auteur a largement puisé dans les
archives départementales de sa
région pour brosser à grands et
petits traits le portrait de la BasseBourgogne de la Libération au
début de la Guerre froide. Des
difficiles attributions de bicyclettes à la cohabitation houleuse avec les GI’s, l’auteur en
arrive à s’intéresser aux résistants authentiques et douteux
dont certains sont particulièrement savoureux. Les pages consacrées à l’épuration sont pleines
d’enseignements. Le lynchage
par la foule en février 1945 du
commissaire Marsac, extrait de
force de sa prison, est un sommet dans l’horreur. Enfin, les
chapitres consacrés aux procès
de résistants comblent une lacune habituelle de l’historiographie française.
LA LANGUE SACRÉE
William K. Powers
Rocher, 300 p., notes,
annexes, biblio.,
ISBN 2 268 04853 5.
Cet ouvrage a attendu près de
vingt ans une traduction en français. L’attente en valait la peine
car il a rejoint la superbe collection Nuage rouge du Rocher
qui regroupe plus de 80 titres
consacrés aux cultures amérindiennes. Professeur à l’université Rutgers, l’auteur nous emmène dans un voyage en
profondeur au cœur des pratiques et des langages sacrés des
Indiens sioux Lakotas. Un livre
indispensable à tous ceux qui
s’intéressent aux spiritualités
Actualité des livres
non-chrétiennes. Si l’auteur a
le bon goût de rappeler la dette
des ethnologues actuels à l’égard
des jésuites qui ont tant fait pour
les Sioux et leur culture, il a le
mauvais goût dans sa bibliographie de citer des auteurs aussi
contestables que Franz Boaz
dont le Race Language and Culture (1940) a beaucoup contribué à la vulgate actuelle sur les
questions d’identité. Saluons
l’effort méritoire du traducteur
qui a francisé la bibliographie
autant que faire se peut.
HISTOIRE DE
L’AMÉRIQUE FRANÇAISE
Gilles Havard, Cécile Vidal
Flammarion, 550 p.,
notes, chrono., biblio.,
index, cartes, 25 e,
ISBN 2-08-210045-6.
Superbe travail de synthèse et
d’érudition, reposant sur une
exploitation intelligente des
sources bibliographie et des documents d’archives. Voici une
œuvre brillante qui va permettre
aux lecteurs français de redécouvrir un pan inconnu de leur
histoire, quand leur pays contrô-
lait l’Amérique septentrionale,
du Québec à la Nouvelle-Orléans, des forêts glacées du Canada aux bayous de la Louisiane. Les auteurs insistent tout
particulièrement sur les relations entretenues par la France
et les nations amérindiennes et
expliquent bien les différences
avec les méthodes des Anglais.
L’alliance avec les Indiens fut la
clef de voûte qui permit aux
Français de se maintenir face à
une incontestable supériorité
britannique. Dans l’ensemble,
ce travail à deux mains se lit avec
plaisir et on trouve à regretter
que le système absurde de gestion des notes qui rend difficile
leur consultation. Une réussite
totale.
PETITE HISTOIRE
DE LA GRANDE GUERRE
DE VENDÉE
Jean Silve de Ventavon
L’Aencre (12 rue de la
Sourdière, 75001 Paris),
110 p., notes, biblio., 17 e,
ISBN 2-911202-55-4.
L’auteur est un survivant des
guerres de Vendée. Les Bleus
l’ont longtemps pourchassé sans
succès. Aujourd’hui, il se souvient de ses tribulations passées
dans ce court ouvrage consacré
à un des épisodes les plus sanguinaires de l’histoire humaine.
Jean Silve de Ventavon est un
écrivain contemporain, mais il
est digne de ces paysans qui redressèrent leur faux en défense
de leurs libertés locales et, accessoirement, de leur foi et de
leur roi. On peut diverger avec
lui sur certains points. Sa description des routes et de la si-
VOIX INDIENNES,
VOIX AMÉRICAINES
Nelcya Delanoë,
Joelle Rostkowski
Albin Michel, 400 p.,
notes, biblio., 22,50 e,
ISBN 2-226-14180-4.
Le titre est à lui seul un motif
d’agacement. Il n’indique pas
avec précision le sujet du livre.
De quelles voix parle-t-on ?
Amérindiennes et euroaméricaines? De qui parle-t-on, des
Indiens de l’Amérique du nord
et des descendants d’Européens
qui peuplent les Etats-Unis?
A lire le texte, les auteurs emploient le terme « Américain »
pour désigner les euroaméricains ayant colonisé les actuels
Etats-Unis. Ce choix terminologique est particulièrement
mal venu car il pollue l’ouvrage. Les Indiens sont par nature américains, tout comme
leurs frères du reste du continent et l’Amérique ne se réduit pas aux Etats-Unis. A juste
titre les auteurs rappellent que
l’Amérique du nord commence
au Nicaragua. Les premiers pas
des Européens en Amérique
sont résumés à l’extrême, ce
qui entraîne des erreurs. Par
exemple, expliquer la perte de
l’Amérique française par l’art
des Anglais à nouer des alliances avec des tribus hostiles
aux Français est une contrevérité absolue. C’est bien au
contraire les alliances indiennes
et les métis qui ont permis à
la France de se maintenir face
à des colons anglais infiniment
plus nombreux. Néanmoins,
le cœur de l’ouvrage naît de la
confrontation de témoignages
d’Européens et d’Amérindiens.
sujet. Avec d’étranges lacunes.
Ainsi, ils ne pipent mot de l’engagement des tribus indiennes
aux côtés du Sud durant la
guerre de Sécession. Il s’agit
pourtant d’un fait significatif
qu’ils ont eu tort de passer sous
silence, probablement sous l’influence de l’historiquement
correct. Le principal reproche
que l’on peut faire à ce livre,
autrement intéressant et bien
écrit, est d’adopter une perspective étatsunienne. Le rôle
d’observateurs européens est
au contraire de s’évader de cette
prison conceptuelle pour en-
Ci-dessus : mariages d’aristocrates espagnols avec de jeunes
princesses amérindiennes.
Le choix des documents est
bien fait même s’il n’est pas
toujours assez critique. Ainsi,
ils ne rappellent pas la dimension de propagande de
l’œuvre de Las Casas et les précautions qu’il faut prendre à
l’heure d’étudier son témoignage. Le plus grand nombre
de textes concerne les rapports
entre le gouvernement des
Etats-Unis et les Indiens. Ici
les auteurs sont dans leur élément et ils maîtrisent bien leur
visager le phénomène des peuples
natifs de l’Amérique du Nord
dans sa globalité. Ainsi, comment peut-on apprécier la politique de Washington au XIXe
siècle si on ne connaît pas celle
des Anglais au Canada? Comment peut-on comprendre la
racine de l’attitude des protestants anglo-saxons à l’égard
des Indiens si on ne compare
pas leurs méthodes avec celles
des catholiques français et espagnols?
114
tuation bretonne à la fin du
XVIIIe siècle n’est pas exacte.
En outre, il fait des insurgés bretons des dévots à l’image des
Bas-Poitevins, ce n’est pas notre
avis. Pour le reste, le livre est
bien structuré et répond aux
principales questions sur cette
guerre patriotique.
DANS LES CUISINES
DES MINISTÈRES
Anne Véga
Hachette littérature,
220 p., annexes, 19,50 e,
ISBN 2-01-235588-9.
Passionnante enquête dans les
soutes du pouvoir, où les hommes
en blanc apaisent les appétits
des hommes de pouvoir et de
ceux qui les servent. Les lecteurs
vont découvrir ce que mangent
les ministres, les membres des
cabinets. Un portrait sensible
de ce qui se cache derrière les
ors de la République. Mais une
question de terminologie interpelle le lecteur. L’auteur différencie le service à l’assiette du
service à la française (au plat).
Actualité des livres
A notre connaissance, le service
à la française n’est plus en usage
depuis le XVIIIe siècle. On disposait en grand appareil l’ensemble des plats d’un repas sur
la table. Puis les Anglais ont inventé le service où chaque plat
arrivait de l’office successivement pour être présenté aux
commensaux afin qu’ils se servent. Enfin, le service à la Russe,
où les assiettes individuelles
étaient préparées à l’office pour
être posée devant chaque convive.
SOUS LE REGARD
DES DIEUX
C. Desroches Noblecourt
Albin Michel, biblio.,
22 e, ISBN 2-226-13753-X.
De son engagement dans la Résistance au sauvetage des temples
de Nubie, de ses multiples explorations et expertises, cette
femme exceptionnelle, premier
conservateur du département
des Antiquités égyptiennes au
musée du Louvre, nous raconte
une traversée du siècle hors du
commun sous le regard des
Dieux. Une grande dame dont
la France peut être fière.
120 QUESTIONS
D’HENRI IV À LOUIS XIV
Estelle Doudet
Studyrama, 160 p., index,
chrono., biblio., 19,90 e,
ISBN 2-84472-291-1.
Grâce à un jeu de questions réponses, cet ouvrage propose aux
lecteurs une synthèse du XVIIe
siècle. Destiné aux étudiants et
aux candidats aux concours télévisés, ce manuel offre une vision très conforme de l’histoire
de France. Par exemple, l’au-
teur ne mentionne même pas
l’invasion de la Franche Comté
par les troupes de Richelieu pendant la guerre de Trente ans.
Pour lecteurs pressés.
HISTOIRES
DU PARIS LIBERTIN
Marc Lemonier,
Alexandre Dupouy
La Musardine, 350 p.,
biblio., ill., plans,
index, 19,50 e,
ISBN 2 84271 177 7.
Paris capitale du plaisir tarifé et
de la joie de vivre, a été le décor
de milliers d’aventures galantes,
des histoires d’amour les plus
insolites aux débauches les plus
extravagantes. Abondamment
illustré, ce petit livre fait beaucoup pour la géographie parisienne et les fantasmes de ses
lecteurs. Pour amateurs avertis.
RIVAROL
Marc Laudelout
Déterna (BP 58 77522
Coulommiers), 220 p., ill.,
23 e, ISBN 2 913044 55 7.
Rivarol est un grand inconnu
de la presse française. Petit par
le nombre de pages et singulier
par l’absence de publicité, il est
grand par son hétérodoxie : il
compte parmi les très rares titres
qui ne partagent pas les valeurs
de notre société. Issu des vaincus de la Libération, cet hebdomadaire recrutait ses collaborateurs parmi ceux que
l’épuration avait oublié de fusiller. Il ne tarda pas à s’enrichir
des talents de nouvelles générations comme Antoine Blondin, des hommes qui aimaient
l’intégrité d’une rédaction in-
Actualité des livres
sensible aux attraits de l’argent.
Pépinière de talents, abonné aux
procès, souvent condamné, Rivarol est resté fidèle aux orientations de ses fondateurs et demeure à ce jour unique dans le
panorama de la presse française
hebdomadaire.
ÉROS PARMI LES DIEUX
Joël Schmidt
La Musardine, 233 p.,
biblio., index, 12 e,
ISBN 2 84271 194 7.
Petit livre à ne pas mettre entre
toutes les mains où l’écrivain
Joël Schmidt s’inspire des récits
mythologiques de l’antiquité
grecque et latine pour raconter
les ébats des divinités. Cette série
de courts textes doit se lire comme
un divertissement gaillard, réjoui et parfois délirant d’invention érotique.
115
sa carte de visite en publiant
avec une régularité de métronome un livre par an consacré
à la Russie d’hier et d’aujourd’hui. Ce ne sont pas de mauvais ouvrages et ils ont l’avantage de donner aux lecteurs
français l’envie de mieux connaître
l’autre moitié de l’Europe, celle
qui va de Brest (Litovsk) aux
îles Kouriles. L’auteur réussit
bien dans l’entreprise de nous
guider par la main dans le labyrinthe du palais du Kremlin,
un lieu magique où le visiteur
a l’impression de se situer précisément au centre géographique
et géopolitique de l’Eurasie. L’auteur va au plus facile en centrant son propos sur la petite
histoire policière des maîtres des
lieux, de Nicolas (Ier) à Vladimir (Poutine) en passant par Joseph (Staline). Toutefois, il encourage le lecteur à aimer la
Russie et c’est déjà un résultat
à son crédit. La courte bibliographie est bien faite et on y
trouve même des livres russes.
On peut en déduire que l’auteur lit encore sa langue natale.
LE CHEVALIER
DE KERLÉREC
L’affaire de la Louisiane
Hervé Gourmelon
Les portes du large,
500 p., notes, annexes,
sources, biblio., 25 e,
ISBN 2-914612-11-7.
L’histoire de la Louisiane comLE ROMAN DU KREMLIN
mence en 1682 avec la descente
Vladimir Fédorovski
du Mississippi par Cavelier de
Rocher, 250 p., annexes,
la Salle et s’achève en 1763 par
biblio., ISBN 2 268 04925 6. l’abandon de cet immense terAncien diplomate soviétique, ritoire à l’Espagne. Parmi les
l’auteur ne cesse de capitaliser hommes de valeur qui ont as-
suré la présence française, émerge
la figure du chevalier de Kerlérec, dernier gouverneur de la
Louisiane, dont voici la première biographie. Excellent administrateur, le chevalier de Kerlérec sut, ici aussi par une habile
politique d’alliance avec les Indiens, tenir tête aux Anglais durant la guerre de Sept Ans alors
même qu’il est privé de tout secours de la métropole. Pourtant, ses pires ennemis seront
ses propres compatriotes. De
retour en France il fut la victime d’une véritable conspiration judiciaire dont l’auteur rend
longuement compte en révélant le rôle accablant de Louis
XV et de sa cour.
UNE HISTOIRE DU SPORT
CATHOLIQUE 1898-2000
Laurence Muñoz
L’Harmattan, notes,
sources, biblio., 26 e,
ISBN 2-7475-5144-X.
Durant des années, les enfants
de la Laïque (l’instituteur) et
ceux du Patronage (le curé) se
sont regardés en chiens de faïence.
Mais qui connaît l’histoire des
associations catholiques? Pour
combler cette lacune, l’auteur
retrace l’histoire du sport catholique. Afin de ne pas abandonner la jeunesse au vent nouveau soufflant dans la société,
l’église innove. D’un côté elle
participe à l’organisation du
scoutisme et, de l’autre, elle surmonte ses contradictions théologiques pour reprendre à son
compte les mérites de l’effort.
Un livre pour spécialistes et commentateurs sportifs en mal de
lecture.
116
Actualité des livres
FAITS ET CHRONIQUES
INTERDITS AU PUBLIC
P. et D. de Willemarest
Aquilon, 120 p., index,
15 e, ISBN 2-9517415-1-0.
Engagé dans la Résistance dès
l’automne 1940 puis officier de
renseignements, l’auteur s’est
spécialisé dans les informations
confidentielles où l’histoire secrète rejoint la grande histoire.
GEORGES VALOIS
Jean-Claude Valla
Cahiers libres n° 11 (12 rue
de la Sourdière, 75001
Paris), 21 e franco de port.
L’auteur, ancien rédacteur en
chef duFigaro Magazine, poursuit son travail iconoclaste de
déconstruction de l’histoire du
XXe siècle. La question qu’il se
pose concerne une des figures
secondaires de la vie politique
française, le fondateur du Faisceau, le premier parti fasciste
français. Comment un homme
élevé dans la plus stricte tradition républicaine, acquis très
jeune aux idées anarchistes et
convaincu de l’innocence de
Dreyfus, a-t-il pu évoluer vers
l’antisémitisme, le monarchisme
et le fascisme avant de mourir
en déportation le 18 février
1945 ? C’est en répondant à
cette question que l’auteur tente
de comprendre une certaine jeunesse française de l’avant-guerre.
Le jeune militant
communiste Maurice Touati
fusillé le 17 avril 1942.
fiche rouge» où l’occupant avait
exposé les visages de communistes de l’organisation FTPMOI condamnés à mort et fusillés. Comme le remarque
l’auteur, « la plupart des combattants FTP-MOI étaient juifs,
juifs polonais, juifs roumains,
juifs hongrois, ce qui les qualifiait pour être les héros rêvés de
tous ceux qui voulaient que la
révolution fût sans frontière ni
patrie. » Avec beaucoup de justesse, Benoît Rayski commence
son ouvrage par l’évocation d’un
attentat à Jérusalem où Ismaïl,
un Palestinien bardé d’explosifs
s’est fait sauter en tuant une
douzaine de personnes parmi
lesquelles Baruch Lerner dont
le grand-père avait été fusillé au
mont Valérien en 1943. Benoît
L’AFFICHE ROUGE
Rayski met les points sur les «i».
Benoît Rayski
Il ne reconnaît pas pour semblable le jeune Palestinien qui
Le Félin, 127 p., 16 e,
a sacrifié sa vie. Il ne veut parISBN 2-86645-538-X.
Journaliste et écrivain reconnu, ler que des siens, tels les Lerner.
l’auteur fait revivre les incon- Dans le contexte de ce livre écrit
nus de la tristement célèbre «af- par un écorché vif, comment
ne pas le comprendre? A un
moment où le peuple juif subit
des attaques cruelles tant en Israël qu’en France, comment ne
pas se souvenir de ces jeunes
Juifs qui ont mis leur peau au
bout de leur engagement? De
place en place, l’auteur reconstitue une géographie imaginaire
de ces jeunes résistants en leur
rendant leur dignité d’hommes.
Il achève son voyage par d’émouvants remerciements : « Je remercie tous les Juifs qui sont
morts fusillés, guillotinés, massacrés et torturés, de m’avoir
donné la fierté d’appartenir au
même peuple qu’eux ». Signalons une erreur. L’aspirant de
Marine Alfons Moser fut tué
par le futur colonel Fabien le
21 août 1941 et non pas le 21
avril. Ce n’est pas sans importance dans la mesure où les communistes n’ont pris les armes
contre les nazis qu’à partir du
22 juin 1941. En refermant le
livre, le lecteur ne peut s’empêcher de songer à Ismaïl dont
le cruel sacrifice inspirera peutêtre dans une soixantaine d’années un écrivain aussi talentueux
que Benoît Rayski.
RAOUL WALSH
Michel Marmin
Dualpha (BP 58 777522
Coulommiers), 253 p.,
ill., notes, biofilmographie,,
biblio., 31 e,
ISBN 2 912476-91-7.
Ancien critique de cinéma à Valeurs Actuelles, l’auteur a dirigé
plusieurs encyclopédies de cinéma et il a été le co-scénariste
de Pierre et Djemila et d’Ainsi
soit-il. C’est donc à la fois en
Actualité des livres
théoricien et en praticien qu’il
se propose de nous initier au
«macmahonisme», une «conception hautaine, radicale, de l’esthétique cinématographique »
dont le grand prêtre fut le critique Michel Mourlet et le grand
temple le cinéma Mac-Mahon.
Les livres sacrés de ce culte sont
les grands films américains de
cinéastes comme Otto Preminger, Joseph Losey ou Raoul
Waslh. C’est justement à ce dernier que l’auteur a consacré son
premier livre dont voici la réédition. Après une promenade
dans les films de Waslh, qui,
pour la plupart, ne sont connus
aujourd’hui que des cinéphiles,
l’auteur a réuni un choix éclectique de citations et de documents qui aident à mieux cerner la personnalité de ce cinéaste
américain. Les extraits des opinions de critiques français sur
Raoul Walsh ne manquent pas
de sel.
LA SECONDE
GUERRE MONDIALE
Pierre Vallaud
Acropole, 704 p, ill.,
35 e, ISBN 2-7357-0230-8.
L’éditeur a eu la bonne idée de
rééditer en un fort volume les
cinq parus en 2001 et dont nous
avons rendu compte. L’ouvrage
se caractérise par un méritoire
effort de synthèse et par une
iconographie en grande partie
renouvelée, extraite d’archives
de collectionneurs. On y trouve,
par exemple, la seule reproduction d’une affiche de l’armée française de 1945 où le général Koenig proclame que pour
un Français tué «dix Allemands,
117
dix Allemandes, dix enfants allemands seront exécutés». Dans
une pareille somme des erreurs
peuvent se glisser comme la signature du chef communiste
Rol-Tanguy sur l’instrument de
réédition de la garnison allemande de Paris. En réalité, le
chef FTP n’était pas présent et
a seulement signé après coup
l’exemplaire du général Leclerc.
Il n’en demeure pas moins que
ce travail colossal est un des plus
originaux à la disposition des
lecteurs francophones.
LE SECRET SERVICE
Philip H. Melanson,
Peter F. Stevens
Carnot, 384 p., biblio.,
20 e, ISBN 2-84855-014-7.
Le Secret Service est l’une des
organismes les moins connus
de l’appareil de sécurité des EtatsUnis. Créé au départ pour lutter contre la fausse monnaie en
1865, consécutive au cours forcé
du billet vert décrété au cours
de la guerre de Sécession, ses
compétences vont progressivement être élargies à la protec-
tion de l’exécutif. Les talents
mêlés d’un professeur d’université et d’un journaliste font
que cet ouvrage se lit comme
un roman policier et à chaque
instant le lecteur découvre un
aspect méconnu de l’histoire
étasunienne. Toutefois, à la page
38 le livre a manqué de tomber
des mains de l’auteur de ces
lignes quand on apprend au
sujet de l’explosion du cuirassé
Maine dans le port de La Havane le 16 février 1898 : « L’attentat a été commis par des Espagnols ». C’est incroyable de
lire cela en 2004 quand depuis
près d’un siècle on sait parfaitement que les Espagnols n’y
sont pour rien et qu’il s’agit d’un
phénomène de combustion
spontané dans la soute à charbon qui s’est communiqué à la
sainte-barbe. Il s’agit probablement d’une erreur de traduction. De même, les missions du
Secret Service contre les espions
espagnols qui tentent de fomenter des émeutes semblent
aussi crédibles que les armes de
destruction massive irakiennes
de George W. Bush. Au fil des
pages, le lecteur le plus indulgent en arrive à nourrir des soupçons sur la qualité du travail du
traducteur. A la page 51 il est
question d’un espion allemand
qui, en 1917, cherchait à acheter une compagnie aérienne
américaine et à interdire les importations de coton en provenance du Royaume Uni! Or la
première compagnie aérienne
américaine a été fondée en 1926
et les Etats-Unis étaient l’un des
principaux exportateurs de coton
dans le monde! Cerise sur le gâ-
118
teau, les Allemands auraient eu
l’intention, toujours en 1917,
de débarquer un corps expéditionnaire de 85 000 hommes
dans le New Jersey pour affamer New York ! Tant d’âneries
en peu de lignes laissent le plus
indulgent des lecteurs pantois
comme le fait que la Magna
Carta se trouverait aux EtatsUnis sous la protection du Secret service. Il est difficile de
comprendre pourquoi les auteurs ont fait l’impasse sur la sécurité du président Roosevelt
lors du sommet de Théheran
(où les Soviétiques se jouèrent
des Américains), alors qu’ils affirment que le Secret Service a
écarté les assassins stipendiés de
l’Axe à Casablanca, une autre
invention pure et simple. Autant la partie purement historique semble parsemée d’erreurs
si grossières qu’il s’agit vraisemblablement d’erreurs monumentales de traduction, autant le reste du livre, dans ses
chapitres consacrés au travail
actuel du secret service est passionnant. A lire avec discernement et esprit critique.
LES QUATRE FÊTES
D’OUVERTURE DE SAISON
DE L’IRLANDE ANCIENNE
Véronique Guibert
de la Vaissière
Armeline (route de l’Aber
29160 Crozon), 622 p.,
notes, glossaire, chrono.,
cartes, sources, bibilio.,
40 e, ISBN 2-910878-15-5.
L’auteur a mis près de dix à écrire
la thèse de troisième cycle qui
a servi de base à cet ouvrage fondamental consacré aux fêtes ir-
Actualité des livres
landaises et à leur généalogie.
Les travaux de cet auteur sont
indispensables à la bonne compréhension des racines de la culture celtique et complètent admirablement ceux de Christian
Guyonvarc’h et de Françoise
Leroux. Nous aurons l’occasion
de revenir sur ce livre important.
ETA L’ENQUÊTE
Jean Chavildan
Cheminements, 400 p.,
23 e, biblio., annexes, index,
ISBN 2-84478-229-9.
Les arrestations répétées de
membres de l’ETA par l’action
conjointe des polices française
et espagnole font régulièrement
la une des journaux depuis trois
ans. Pourtant, l’hydre terroriste
basque n’est pas morte. Elle
puise à pleines mains des militants dans le vivier des jeunes
radicaux qui profitent de leur
minorité pour dévaster les rues
du Pays Basque dans un schéma
classique de stratégie de la tension. Elle fait aussi revenir de
leur exil sud-américain des cadres
vieillis pour les jeter à nouveau
dans l’action. Le public français dispose enfin avec ce livre
d’un outil de travail pour comprendre le fonctionnement de
l’ETA, connaître son histoire et
ses principales figures. En revanche, on relève quelques erreurs de taille dès que l’auteur
s’échappe de son domaine d’expertise. Ainsi, le roi Juan-Carlos n’est nullement l’héritier des
rois catholiques, mais plutôt des
rois qui en mille ans ont fait…
la France. Plus loin, il écrit que
la langue basque, le latin et le
grec descendent du même idiome
ibérique primitif. C’est stupéfiant car en trois lignes il met à
bas tout ce que les linguistes savent de la généalogie des langues
européennes. Rappelons que le
grec et le latin sont des langues
indo-européennes et que le
basque est d’origine inconnue.
La Luftwaffe n’est pour rien
dans le bombardement de Guernica, ce fut le fait de la Legion
Condor, de même affirmer que
la culture et la civilisation basques
sont aussi riches que la castillane
est une absurdité. Comment
comparer une civilisation rurale avec une culture qui a bénéficié de l’appui d’un État et
d’une cour durant des siècles?
Le principal reproche que l’on
peut faire au résumé historique
de l’auteur est de ne pas avoir
mis en lumière le fait, étonnant,
que le Pays Basque n’a jamais
été une entité autonome comme
a pu l’être la Bretagne ou la
Franche-Comté. Aussi loin que
l’on remonte dans l’histoire, les
Basques ont fait partie d’ensembles étatiques « étrangers ».
En revanche, pour ce qui concerne
l’ETA cet ouvrage est clair, bien
informé et utile.
Poche
LE VOYAGE D’ITALIE
Dominique Fernandez
Tempus, 680 p., index,
11 e, n° 63.
Véritable dictionnaire amoureux de l’Italie en 152 entrées,
l’auteur nous entraîne dans les
côtés tantôt sombres et tantôt
lumineux de la péninsulaire.
Avec Dominique Fernandez,
Actualité des livres
119
Romans
nous sommes loin des temps
obscurs des Lombards, tout en
est lumière et en courbes sensuelles. De Danate à Casanova,
des castrats à Zumbo, une série
de coups de projecteurs sur une
Italie parfois bien éloignée des
conventions. Quelques pages,
comme celles consacrée à l’opéra,
méritent d’être relues de temps
en temps comme antidote aux
maux dont nous afflige le monde
moderne.
MÉMOIRES
D’OUTRE-TOMBE
Chateaubriand
Livre de Poche, 1520 p.,
index, table, 23 e,
ISBN 2-253-13274-8.
Deuxième volume d’une exceptionnelle édition scientifique
des mémoires de Chateaubriand.
Pair de France, ambassadeur,
ministre des Affaires étrangères,
il laisse un texte superbe tant
par le style que par le fond, qu’il
rédige entre 1832 et 1840. Une
grande œuvre du patrimoine
littéraire français.
LA PROMESSE DE L’ANGE
Frédéric Lenoir, Violette
Cabesos
Albin Michel, 490 p.,
21,50, ISBN 2-226-15081-1.
Le mont Saint-Michel fut-il breton? Telle est la question, sacrilège pour nos voisins d’outreCouesnon, qui vient à l’esprit
une fois ce livre clos. Les auteurs se sont bien documentés
avant d’écrire leur roman et nous
proposent un cadre historique
crédible. Au début du XIe siècle,
les bâtisseurs de cathédrales érigent sur le mont une abbaye romane en l’honneur de l’Archange. Mille ans plus tard, une
jeune archéologue se retrouve
prisonnière d’une énigme où le
passé et le présent se rejoignent.
Les auteurs invitent le lecteur à
suivre deux histoires, séparées
de dix siècles, qui sont censées
se rejoindre à la fin. L’effort est
louable mais l’intrigue est compliquée et tarabiscotée. Toutefois, cela ne devrait pas décourager le grand public de faire de
ce roman dense et touffu, un
grand succès de librairie.
LES NUITS BLANCHES
DU CHAT BOTTÉ
J.-C. Duchon Doris
Grands détectives, n°3629.
En octobre 1700, d’étranges
crimes ensanglantent les Alpes
provençales. Un jeune procureur et une jeune châtelaine se
mettent sur la piste de l’assassin. Une enquête à multiples rebondissements. L’auteur ne
manque pas de talent mais son
œuvre n’est pas assez convain-
cante sur le contexte historique.
Enfin, la sexualité dont l’auteur
assaisonne l’intrigue est incongrue et dessert le roman.
L’ADIEU AUX REINES
François Cavanna
Albin Michel, 290 p., 19,50e
ISBN 2-226-15085-4.
L’humoriste anarchiste Cavanna
a beaucoup investi sur les Mérovingiens qui le lui rendent
bien. En exploitant l’histoire de
cette dynastie fondatrice de ce
qui deviendra un jour la France,
l’auteur nous régale de romans
cruels et violents qui sont le reflet d’une époque oubliée. A lire
dans le train.
LA CAVERNE
DES TROIS SOLEILS
Christine Féret-Fleury
Flammarion, 170 p.,
10 e, ISBN 2-08-162433-8.
Un joli petit roman conçu pour
de jeunes adolescents qui les entraîne dans la quête de nouvelles
terres pour y installer un village
pour le peuple du lac.
LA MAIN À LA PÂTE
Maria Orsini Natale
Phébus, 380 p., 20 e,
ISBN 2-85940-988-2.
Superbe exemple de littérature
italienne tout au service de
Naples, de ses gens et de ses
pâtes. L’auteur nous invite à
suivre deux générations de maîtresses femmes qui fabriquent
de la pasta napoletana. La première apprend les secrets de son
grand-père meunier et transforme un petit métier en entreprise florissante. La seconde,
reçoit de son aînée des recettes
120
Actualité des livres
de son art avant de devenir une
rivale. Mais ces deux femmes
savent faire front commun quand
tout conspire à ruiner leur rêve.
FUNÉRAILLES EN BLEU
Anne Perry
Grands détectives, n°3640.
En 1865, deux femmes sont retrouvées mortes dans l’atelier
d’un peintre londonien. Un enquête qui fera beaucoup voyager en Europe l’inspecteur Monk
sur les traces du passé trouble
du mari d’une des victimes, une
des figures du soulèvement viennois de 1848. Mais, fallait-il que
l’auteur parsème son roman
d’un moralisme à la fois pesant
et anachronique ?
Reconstitution
d’un navire celtique
du IIe siècle avant
JC, retrouvé
au Royaume-Uni.
Revues
MARINES MAGAZINE
En vente partout, 10 e.
La revue de référence sur l’histoire navale propose dans son
numéro de novembre 2003 un
gros dossier sur les convois alliés vers l’Union soviétique sous
la plume du spécialiste Yves Buffetaut. Le choix iconographique
est excellent.
LE RIRE DU BOURREAU
Edward Marston
Grands détectives, n°3642
Des conflits déchirent le milieu
du théâtre londonien du XVIe
siècle. Nicholas Bracewell, le régisseur de la troupe les Hommes
de Westfield, tente de ramener
la paix entre les acteurs. Mais
un meurtre se produit.
39/45
En vente partout, 6 e.
Notre grand confrère profite du
60e anniversaire du débarquement pour rendre hommage
aux Ecossais de la 153e brigade.
Signalons la biographie du maréchal Wilson, un des officiers
généraux britanniques qui ont
joué un grand rôle durant la Seconde Guerre mondiale et qui
pourtant a sombré dans l’oubli. Il est important pour les
Français car il négocié la fin des
combats en Syrie.
CHASSE-MARÉE
En vente partout, 10 e.
Une des plus prestigieuses revues bretonnes publie dans son
numéro de mars 2004 un remarquable article sur la construction navale celtique. L’auteur
rassemble et synthétise les renseignements fournis par la recherche archéologique. Une
somme à lire absolument.
Le maréchal John Wilson.