Le Constitutionnel.

Transcription

Le Constitutionnel.
Le Constitutionnel.
Les commencements agités de cette feuille sont un exemple frappant, à la fois, et de
l'ardeur des passions politiques à cette époque, et de la situation difficile des journaux, qui,
pour être censurés, n'en demeuraient раs moins responsables, même par corps.
Le Constitutionnel ne portait pas en naissant ce nom, sous lequel il est devenu fameux ; il
parut d'abord sous le titre suivant:
L'Indépendant, chronique nationale, politique et littéraire. 1er mai-7 août 1815, in-fol.
Fondé par Gémond, ancien membre du jury révolutionnaire qui avait condamné MarieAntoinette; Fain, imprimeur; Jay, Chevasut, le comte de Lanjuinais, Bousselin, dit comte de
Saint- Albin, et Jullien de Paris, l´Indépendant, organe présumé de louché, tout en attaquant
les Bourbons et en louant Napoléon, ne cessait de faire la guerre au pouvoir absolu et à
l'importance personnelle du monarque dans une constitution libre.
Supprimé pour un article en faveur de La Bédoyère contenu dans son n" du 6 août, il
adressa, le 11, à ses abonnés
Écho du Soir, ou l'Ami du Prince. 11-25 août 1815, in-fol.
Avec cet avis : «Lee propriétaires du journal l'Indépendant, se trouvant, par une
circonstance imprévue, dans l'impossibilité de remplir les engagements qu'ils ont contractés
ave« les abonnés de ce journal, ont pris des arrangements avec les propriétaires de l´Écho
du soir pour servir leurs abonnés»
Je ne saie quel était cet Écho du soir ; sans doute quelque feuille agonisante, qui fut
probablement heureuse de vendre son titre à Г Indépendant, dont la nouvelle feuille prit la
forme et continua la numérotation. On peut présumer que l'administration ne fut pas dope
de cette ruse, ou que l'Indépendant ne tempéra pas encore assez l'ardeur de sa polémique,
car nous le voyons de nouveau obligé de changer deux fois de nom à quelques semaines
d'intervalle; il s'intitule successivement :
Courrier, journal politique et littéraire. 26 août 23oct. 1815, in-fol.
Le Constitutionnel, journal politique et littéraire. 29 oct. 1815-23 juillet 1817, 3 vol. in-fol.
C'était là un titre heureux pour l'époque, et il sembla porter bonheur à notre feuille, qui
fournit, comme on le voit, sous ce drapeau, une carrière relativement longue. Mais elle fut
de nouveau supprimée à la fin de juillet 1817 pour quelques lignes sur un tableau du salon
où la police ombrageuse de la Restauration crut voir une allusion sympathique au duc de
Reichstadt.
La situation était grave : la législation d'alors ne permettait pas d'établir de nouveaux
journaux sans l'autorisation (lu pouvoir; pour vivre il fallait avoir un titre, et le Constitutionnel
n'eu avait plus. Les propriétaires recoururent de nouveau à un expédient qui leur avait déjà
réussi quelques’ jours. Ils entamèrent des négociations, comme nous l'avons dit ailleurs,
avec les propriétaires du Journal du commerce, qui se mourait de consomption, et les frères
Bailleul leur vendirent le titre de leur journal aux conditions suivantes: 50.000 Гг. comptant,
une action dans l'ancienne propriété du Constitutionnel pour chacun d'eux et le droit de
publier à leur compte et à leur profit, comme annexe du journal politique, une feuille 'de
commerce — qui, par parenthèse, existe .encore . c'est la feuille qui accompagne l'édition
de midi du Journal la Pairie. Le Constitutionnel devint donc le
Journal du commerce, de politique et de littérature. Juillet 1817- 1er mai 1819, 4vol.
Sons ce nouveau titre, le Constitutionnel, qui avait alors pour principaux rédacteurs Jay,
Evariste Dumoulin, Etienne, Tissot, demeura, dans la presse quotidienne, le représentant
timide du parti indépendant, qui se constituait alors, avec toutes ses variétés d'origine,
d'opinions, de tendance. Il se joignait assez ordinairement au Journal de Paris et au Journal
général pour défendre la politique du gouvernement; mais, malgré toute! a prudence, toute
la réserve qui lui était imposée, il était facile de voir que ses sympathies étaient ailleurs, et
que le bonapartisme libéral des Cent jours avait au fond ses prédilections.
Enfin, «après des vicissitudes qui avaient tant de fois changé sa dénomination, sans
jamais altérer son esprit, cette feuille, consacrée à la liberté, put reprendre, le. 2 mai 1819,
le plus beau, le 'plus cher des titres qu'elle eut jamais portés» :
Le Constitutionnel, journal du commerce, politique et littéraire, 2 mai 1819-1866, in-fol.
On ferait un livre curieux de ces crises successives du Constitutionnel, des expédients au
moyen desquels, dans ces temps si difficiles, il parvenait à rester en communication de
pensée avec ses lecteurs : le public était accoutumé à ses réticences et on le jugeait bien
moins par ce qu'il disait que par ce qu’il ne disait pas. Un sait la grande influence qu'il
exerça sur les esprits au commencement de la Restauration, influence qu'il dut à un habile
mélange d'idées libérales exprimées avec passion, et de sympathies plus ou moins
avancées pour la gloire et pour If s malheurs de l'Empire. Le personnel de sa rédaction,
d'abord peu nombreux, s'était successivement fortifié par l'accession de la plupart des
talents de ce qu'on nommait alors l'opinion libérale. Parmi ses nouvelles recrues, nous
nommerons M. Thiers, qui devait avoir sur ses destinées une si-grande influence;
Cauchois-Lemaire, Léon Tbiessé, Buchón, Félix Bodin, Bénaben.
L'année 1830 marqua l'apogée de la prospérité du constitutionnel : un moment, dans les
premières semaines qui suivirent le succès des trois journées, ses bureaux furent le vrai
centre de la direction politique, le siège réel du gouvernement. Mais, parc des raisons que
j'ai dites ailleurs et qu'il serait trop long de. répéter ici, la décadence se manifesta bientôt et
fit en quelques années de rapides progrès ; l'abaissement du prix des journaux lui porta le
dernier coup Le nombre des abonnés, qui, en 1830, était de 22,000, était descendu en
1837 à 6,000, et en 1843 il n'était plus qu'à 3,700. C'est dans ces circonstances qu'un
nouvel actionnaire, le docteur Véron, en provoqua la liquidation judiciaire et en devint
acquéreur pour la somme de 432,000 fr. On sait par quels expédients hardis le nouveau
propriétaire parvint à ramener le moribond à la vie ; mais ce succès, cette cure inespérée,
ne s'obtinrent pas sans de grands sacrifices de personnes et d'opinions : l'ancien
Constitutionnel fit place à un journal nouveau. La rédaction eu chef fut confiée à M.
Merruau, dont les principaux collaborateurs lurent MM. Reybaud, Fix, Cncheval-Clarigny,
Boniface, Boilay, Henri Cauvain, M. Thiers en était la pensée dirigeante, et il еn inspira la
politique jusqu'en 1849. A cette époque il y eut rupture, et le Constitutionnel, dont on sait le
dévouement au président de la république, et dont la rédaction avait été renforcée par la
plume énergique de M. Granier de Cassagnar, devint le journal des solutions, comme on l'a
dit.
Cependant, malgré son dévouement, le Constitutionnel fut un des premiers journaux
atteints par la législation de 1852 ; il fut frappé de deux avertissements en deux jours, les 7
et 8 juin. Ce que voyant, M. Véron céda le Constitutionnel, moyennant 1,900,000 fr., à M.
Mirés, qui, déjà propriétaire du Pays, fonda la Société des journaux réunis, lesquels depuis
lors furent successivement dirigés et rédigés, simultanément on séparément, par MM.
Cachevàl-Clarigny, Amédée de Céséna, La Guéronnière, Amédée Renée. Granier
deCassaonac, Grandguillot. et Paulin Limavrac, aujourd'hui rédacteur en chef de la feuille
officieuse.
Enfin nous devons encore nommer parmi les rédacteurs littéraires du Constitutionnel MM.
Sainte-Beuve, qui inaugura dans ses colonnes ses brillantes causeries du lundi, Malitourne,
Hippolyte Bolle, Auguste Liretix et Florentino.
Voy. t. 8, p. 125, 168, 200,446, 586, et la Table analytique. — Voy. aussi les Mémoires
d'un Bourgeois de Paris, t. 3, p. 265 et suiv.
Bibliographie historique et critique de la presse périodique française par Eugène Hatin
Paris, Firmin-Didot frères, fils et cie, 1866
pp. 326-327
Storage 016.054 H286b

Documents pareils