Chapitre 4 - CosmoQueer

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Like a Prayer
Le docteur Schlange et Cut avaient enfin terminé leurs travaux. L’astronef était devenu une
véritable machine à remonter le temps que l’extraterrestre phallique et le savant fou espéraient
totalement opérationnelle. On devait maintenant trouver un moyen de sortir des Limbes
Galactiques. C’est l’Intelligence Artificielle du CosmoQueer qui proposa une solution :
trouver l’équivalent d’un trou noir et le traverser, à la manière des Voyageurs lorsqu’ils
venaient de leur dimension pour visiter l’univers des humains. N’ayant rien d’autre de moins
suicidaire à proposer, l’équipage approuva le plan de l’IA et tout le monde se mit à scruter les
détecteurs et astro-radars pour dénicher un trou noir.
_ On va bien se faire chier à chercher un trou noir dans les limbes, déclara laconiquement
Alex6 avant de réaliser que la petite Madonna était assise à côté de lui. Enfin, je voulais dire
que ça va être long, fastidieux et surtout très ennuyeux…
_ Alex6 ? demanda la fillette d’une voix hésitante.
_ Oui Madonna ?
_ Si on est au ciel, pourquoi on n’a pas encore rencontré d’ange ?
Le cerveau électronique de l’androïde eut un bogue décontenancé.
_ Et bien… Heu… La galaxie est immense… On a déjà du mal à trouver des trous noirs…
Alors des anges…
_ C’est dommage, fit Madonna songeuse. J’aurais bien aimé en voir un de mes propres
yeux…
La voix de l’Intelligence Artificielle se fit entendre après un bruit de castagnettes :
_ Youpi ! Un trou noir a déjà été détecté par mes instruments. Je suis en train de calculer la
meilleure trajectoire pour naviguer directement au centre de ce phénomène spectaculaire.
_ Et le bruit de castagnettes ? demanda Ana en s’attendant au pire.
_ Une petite fantaisie pour attirer l’attention quand j’ai besoin de vous parler. C’est rigolo,
non ? D’ailleurs j’ai décidé que dorénavant vous m’appellerez Pray For Spanish Eyes. C’est
quand même beaucoup plus original et personnel qu’Ordinateur ou Intelligence Artificielle,
non ?
_ C’est surtout inutile et débile, répliqua la mécanicienne de l’espace.
_ Moi je trouve ça très sympa, ne put s’empêcher de dire Stefan avec un sourire malicieux,
juste pour le plaisir de contredire Ana.
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_ J’ai beaucoup réfléchi depuis le début de ce troisième tome, continua l’Intelligence
Artificielle alias Spanish Eyes. D’accord, je suis une machine. D’accord, je suis censé
exécuter des programmes et suivre docilement les ordres de l’équipage. Mais dans
« Intelligence Artificielle », il y a quand même le mot « Intelligence ». Et en tant qu’être
intelligent, j’ai voix au chapitre, au moins en ce qui concerne ma propre personne virtuelle.
_ Je vais m’endormir, soupira Ana.
_ Donc, je réfléchissais au sens de ma vie artificielle et je me suis dit : Express Yourself ma
vieille ! Je suis peut-être un ordinateur mais j’ai développé ma propre personnalité riche,
belle, complexe et sensible. Donc à partir de maintenant, j’exige plus de considération et de
respect. Et merci de prendre en compte ma nouvelle identité d’Intelligence Artificielle
libérée : Spanish Eyes.
_ Je suis consternée, murmura la mécanicienne.
Kristof se brancha sur le système de communication de l’astronef. L’heure était grave.
_ Mes amis, une fois de plus le CosmoQueer va affronter l’inconnu et le danger. Nous allons
essayer de retourner dans notre dimension. Nous avons calculé nos chances de succès. Je ne
vous cacherai pas qu’elles sont assez minces.
Draja prit la main d’Ana. Celle-ci la rassura avec un sourire confiant :
_ Ne t’inquiète pas chérie, Kristof a un petit côté drama queen malgré sa tonne de muscles et
de prothèses cybernétiques chromées. Je suis sûre que la situation n’est pas si désespérée…
_ Le trou noir peut aussi bien nous renvoyer chez nous, poursuivait le capitaine avec sérieux,
que nous perdre à jamais, voire désintégrer le vaisseau et atomiser l’équipage…
Draja lança un regard inquiet à Ana.
_ Ça n’a quand même pas l’air très brillant…
De son côté, Alex6 se rongeait les (faux) ongles en écoutant le discours alarmiste de Kristof.
L’androïde nerveux posa les yeux sur Madonna qui était agenouillée devant l’un des hublots
de l’astronef, les mains jointes, les yeux fermés et la tête légèrement baissée.
_ Mais qu’est-ce que tu fabriques ma chérie ?
La petite fille se retourna, la mine grave.
_ Je prie pour que tout le monde s’en sorte, et pour que je puisse revoir un jour mon papa et
toute ma famille.
Alex6 était attendri. Son cœur électronique fondait.
_ Je n’ai jamais vu personne prier le Glamour de cette manière…
_ Le Glamour ?
_ Oui, le Glamour : la plus puissante force de l’univers !
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Madonna écoutait l’androïde avec des yeux ronds.
_ Grâce au Glamour, nous sommes fabuleux en toute circonstance. Le Glamour permet de
faire face à toutes les situations, même les pires, en restant flamboyant et sexy.
_ Les religieux qui viennent à la maison ne m’ont jamais parlé de ça.
_ Mais ils sortent d’où tes religieux ? s’étonna Alex6. Tout le monde connaît le Glamour ! Tu
viens d’une époque bien étrange ma petite…
Ana et Draja s’approchèrent de l’androïde et de la fillette.
_ Une fois de retour dans notre dimension, dit Ana en caressant les cheveux de Madonna,
nous te ramènerons à ton époque, chez toi. Et tout cela ne sera plus qu’un rêve bizarre.
Alex6 se laissa tomber sur le canapé.
_ Encore le vingtième siècle ! C’est tellement frustrant d’aller au temps de Twiggy et
Penelope Tree sans pouvoir sortir du vaisseau…
_ Et une fois Madonna dans sa maison, continua Ana, nous irons directement à notre époque
prendre un repos bien mérité après toutes ces aventures spatio-temporelles.
_ Bonne idée ! approuva Draja. Et nous pourrions même nous marier ma petite Ana adorée !
J’ai envie d’entendre : Till Death Do Us Part…
Alex6 se redressa brusquement, comme interpellé par la dernière phrase de Draja. Il fit un
petit geste comme pour dire « bon sang, mais c’est bien sûr ! ».
_ Tu es bien romantique ma chérie, dit Ana en serrant tendrement sa compagne dans ses bras.
Je t’écrirais bien une Love Song…
Alex6 se mit à gesticuler pour attirer l’attention des deux femmes.
_ Mais qu’est-ce que ça veut dire ? Qu’est-ce que ça signifie ? s’exclama l’androïde.
Ana, Draja et Madonna dévisageaient Alex6, déconcertées par le comportement de l’androïde.
_ Tu as un commentaire lesbophobe à faire, peut-être ? demanda Ana, prête à dégainer.
_ Vous n’avez rien remarqué ? demanda Alex6 avec un air stupéfait. Toutes ces phrases et ces
mots que nous disons tous depuis quelque temps. Et le nouveau nom débile de l’Intelligence
Artificielle ?
_ Je ne vois pas de quoi tu parles, répondit Ana.
_ Mon nouveau nom n’est pas débile, déclara l’Intelligence Artificielle vexée.
_ Oh Father ! Personne n’a remarqué ! Ah, vous voyez ! Je viens juste d’en dire une
nouvelle : Oh Father. Pourquoi j’ai dit ça, hein ? Pourquoi je n’ai pas dit : Oh Glamour, par
exemple ? Vous expliquez ça comment ?
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_ Calme-toi Alex6, fit Draja inquiète. Je crois que ton cerveau positronique surchauffe un peu,
ce qui est tout à fait normal quand on voit par où le CosmoQueer est passé. Mais par pitié,
arrête de gesticuler comme ça, tu vas faire peur à Madonna.
Alex6 s’énervait de plus en plus. Sa perruque était de travers et il arrachait un à un ses faux
ongles avec les dents.
_ Désolé, grogna-t-il entre deux faux ongles recrachés, je ne vais pas faire Act of Contriction
parce que je suis le seul à bord de cet astronef qui remarque quand quelque chose ne tourne
pas rond. Ah, tenez ! Vous avez entendu ? Act of Contriction ! Pourquoi j’ai dit ça ? C’est pas
normal !
Ana fronçait les sourcils. Elle réfléchissait.
_ Draja, il a peut-être raison après tout. Il y a visiblement quelque chose qui cloche dans la
façon de s’exprimer de l’équipage.
_ Ah, quand même ! s’exclama Alex6.
La mécanicienne de l’espace brancha son communicateur.
_ Stefan ?
_ Oui Ana ? Je suis un peu occupé à piloter en ce moment. C’est urgent ?
_ Pourrais-tu brancher le système d’analyse des ondes petzouilles gamma ?
_ C’est pas le moment, répondit Stefan. Je suis débordé.
_ S’il te plaît, j’aimerais vérifier quelque chose, insista Ana.
_ Bon, je ne te garantis rien, je vais faire de mon mieux… disons dans cinq minutes.
_ Promise To Try ! s’exclama la mécanicienne avec des yeux ronds de surprise.
Draja coupa le communicateur de sa copine.
_ Il y a effectivement un problème, confirma-t-elle.
Alex6 était hystérique.
_ Et voilà, quand c’est une fille qui le dit, on l’écoute et on la croit. Mais moi, on dit que je
surcompense, que je réagis de manière excessive, que je suis parano ! Comme si on ne
pouvait pas être à la fois fabuleuse ET perspicace !
_ Dear Jessie… Je veux dire cher Alex6, dit Ana. Tu ne vas pas nous faire une crise de nerf
intergalactique parce que nous avions besoin de temps pour remarquer ce phénomène !
_ Nous devrions en parler au capitaine, suggéra Draja. Ça n’a pas l’air très grave, mais c’est
tout de même bizarre.
Tout le monde était réuni dans le poste de pilotage. Kristof avait tout d’abord pensé que son
équipage avait définitivement disjoncté quand Alex6 et Ana lui avaient exposé les faits. Mais
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lorsqu’on lui fit remarquer qu’il avait utilisé les expressions Keep It Together et Like A Prayer
sans réelle justification, il dut se rendre à l’évidence : le CosmoQueer était une fois de plus le
théâtre d’une bizarrerie cosmodélique.
_ D’après les enregistrements de nos conversations à bord, dit l’Intelligence Artificielle, le
premier mot sorti de nulle part a été prononcé quelques heures seulement après notre voyage
dans le temps. Il semblerait donc qu’il existe une corrélation entre la distorsion temporelle et
ces mots injustifiés. C’est également confirmé par l’analyseur des ondes petzouilles gamma.
_ Bon, dit Kristof avec un air fatigué. Tant que ça ne nous menace pas directement, nous
devrons nous en accommoder, au moins jusqu’à ce que nous ayons le temps de nous pencher
sur le dossier. Je Cherish le moment où je pourrai enfin me détendre dans une salle de sport,
loin de toutes ses bêtises…
_ Tu as dit « cherish » au lieu de « chéris » mon cœur, fit Stefan avec un petit sourire amusé.
Alex6 pouffa, aussitôt imité par la petite Madonna.
_ Oh ça va ! explosa Kristof à bout de nerf. Si le fait d’être perdu dans une autre dimension
hostile, de risquer de ne jamais retrouver notre époque, de gérer un dictateur galactique et son
équipe de fachos, d’être responsable de la sécurité d’une petite fille terrienne innocente, de
collaborer avec un savant fou et de dire des conneries sans raison toutes les cinq minutes vous
amuse, tant mieux ! Moi, ça me les casse bien comme il faut ! Prévenez-moi quand on aura
traversé le trou noir, si on y arrive…
Et le capitaine cyborg alla se calmer dans sa cabine.
_ Aucun humour ces mecs musclés, fit Alex6.
_ Attention, signala l’Intelligence Artificielle. Nous approchons du trou noir. Je vous
conseille de vous asseoir, d’attacher vos ceintures de sécurité et de prier le Glamour pour
que le CosmoQueer passe à travers cet objet stellaire sans problème.
L’équipage suivit immédiatement les conseils de l’ordinateur. Draja vérifia la fermeture de la
ceinture de Madonna avant de s’installer à côté de Ana. Les deux jeunes femmes se blottirent
l’une contre l’autre. Stefan avait les yeux rivés sur les instruments de bord. Ses cheveux
étaient devenus violets.
_ Attention, répéta l’Intelligence Artificielle. La température augmente jusqu’aux limites des
capacités de résistance de l’astronef. Croisez les doigts et serrez les miches.
Le docteur Schlange se recroquevilla sur son siège. Cut s’était lui aussi ratatiné, de la même
manière que l’organe auquel il ressemblait après un passage dans l’eau froide.
_ Nous sommes engloutis par le trou noir, dit l’Intelligence Artificielle. Je coupe tous les
réacteurs. Alea jacta est…
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Alex6 agrippa les accoudoirs de son fauteuil tandis le vaisseau tremblait de façon inquiétante.
Il faisait de plus en plus chaud à bord du CosmoQueer. L’obscurité absolue tomba
brusquement, déclenchant un concert de cris stridents. Puis, une lumière aveuglante inonda
l’intérieur de l’astronef, provoquant une cécité temporaire chez tout le monde, excepté Alex6
dont les yeux artificiels supportaient les éclairages de forte intensité. L’androïde jugea
cependant nécessaire de sortir – certes avec difficulté à cause des secousses – une jolie paire
de lunette de soleil de son sac à main. Malheureusement, un choc violent lui fit lâcher
l’accessoire. L’androïde se retourna et réalisa que les autres étaient tous inconscients. Même
l’Intelligence Artificielle s’était tu, probablement rendue muette par la peur. Une seconde
secousse encore plus violente que la première renversa la perruque de l’androïde qui décida
de se déconnecter pour une durée de soixante-neuf minutes, le temps que tout se calme.
Une heure plus tard, l’équipage revenait à lui tandis que le CosmoQueer traversait un long
boyau de couleurs tourbillonnantes. Ana détacha sa ceinture et se leva pour rejoindre Stefan.
Elle écrasa par mégarde les lunettes de soleil d’Alex6 qui poussa aussitôt un hurlement
horrifié.
_ Des ProtoPrada édition limitée signées par la rédactrice en chef de Cosmodasse Magazine !
_ Désolé, fit la mécanicienne de l’espace avant de se pencher sur les instruments de bord du
poste de pilotage.
_ Elle l’a fait exprès ! hurla l’androïde.
La porte automatique s’ouvrit et Kristof alla rejoindre Ana et Stefan.
_ Les instruments ne répondent plus, expliqua Stefan dont les cheveux passaient du bleu au
rouge toutes les deux secondes.
_ Elle a écrasé mes ProtoPrada à six milles cosmocrédits la connasse !
_ Nous sommes emportés par le courant cosmique, dit Kristof. Ça va durer jusqu’à la sortie
du tunnel. IA, la coque a-t-elle résisté au pic de chaleur ?
_ Mes belles lunettes de soleil ! Elle les a complètement bousillées avec ses grosses godasses
immondes !
_ Oui, capitaine, répondit l’Intelligence Artificielle d’une voix agacée. L’intégrité de la coque
du vaisseau est préservée malgré plusieurs avaries mineures. Mais par pitié, appelez-moi
Spanish Eyes.
_ Regardez là-bas !
Ana désigna le bout du tunnel multicolore. On apercevait l’espace normal qui grandissait à
vue d’œil.
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_ Nous allons bientôt sortir du trou noir, fit Stefan en saisissant le manche de pilotage pour
passer en pilotage manuel.
_ Mes lunettes ! Mes lunettes ! J’exige des excuses ! Je veux qu’elle me rembourse !
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